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22.07.2025 à 15:00

Comment Palantir et Peter Thiel veulent créer une machine de propagande à Hollywood

Marin Saillofest

En lançant la société de production de films patriotiques Founders Films, trois personnes liées à Palantir et Peter Thiel — Shyam Sankar, Ryan Podolsky et Christian Garrett — entendent mettre à l’honneur des « héros » américains et célébrer les accomplissements de l’armée américaine au cinéma.

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Texte intégral (867 mots)

Selon des informations obtenues par Semafor, trois individus liés à l’entreprise technologique créée par Peter Thiel, Palantir, se sont associés afin de lever des fonds pour lancer Founders Films, une société de production de documentaires et longs métrages. 

Nommée en référence à Founders Fund, la société d’investissement en capital risque de Thiel, Founders Films a pour ambition de financer des productions patriotiques mettant en avant des « histoires américaines remarquables » 1.

  • Un document préparé à l’attention de potentiels investisseurs liste plusieurs productions envisagées par Founders Films : un biopic sur l’emblématique figure libertarienne Ayn Rand, l’assassinat de Qassem Soleimani par un drone américain, l’opération israélienne contre l’Iran Am Kalavi ou bien le « retrait bâclé d’Afghanistan » sous le mandat de Joe Biden.
  • Le groupe à l’origine du projet comprend le directeur de la technologie (CTO) de Palantir Shyam Sankar, un ancien employé de l’entreprise fondée par Thiel, Ryan Podolsky, ainsi que l’investisseur californien Christian Garrett, l’un des principaux artisans du rapprochement entre la Silicon Valley et Washington via le forum annuel « Hill and Valley », lancé en 2023 2.

Bien qu’il n’en soit encore qu’à ses débuts, le projet Founders Films compte s’insérer dans un segment qui n’a été que relativement peu exploré jusqu’à présent. Si on compte un nombre croissant de « documentaires » conspirationnistes (notamment ceux écrits et réalisés par Dinesh D’Souza) ou mettant en avant des « valeurs traditionnelles » financées par des sociétés de production conservatrices, les œuvres de fiction à portée politique peinent à voir le jour.

  • Pour cause : les coûts de réalisation des films américains ont considérablement augmenté ces dernières décennies, contraignant notamment les sociétés de production à chercher des lieux de tournage moins onéreux à l’étranger.
  • Afin de réduire les coûts de ses productions, Founders Films mise sur une « production et une réalisation basée sur l’intelligence artificielle », sans toutefois préciser quelles étapes seront assistées par des outils alimentés par l’IA.
  • Donald Trump a déploré la « mort de l’industrie cinématographique américaine » dans une publication sur Truth Social en mai, et annoncé des tarifs de 100 % sur les films produits à l’étranger.

La volonté « d’inspirer l’action » et de « célébrer les héros » américains est souvent mise en avant par Palantir qui publie régulièrement sur son compte Substack des profils de « disrupteurs » et « d’hérétiques » qui ont marqué leur époque en pensant à contre-courant.

  • Les hommes (aucun profil de femme n’a été publié à ce jour) mis en avant dans First Breakfast, la page Substack qui rassemble les publications des employés de Palantir, sont largement inconnus du grand public MAGA.
  • Ils pourraient toutefois être érigés dans les productions de Founders Films en nouvelles figures de « bâtisseurs » célébrés dans le cadre de la révolution trumpiste voulue par l’élite techno-césariste.
  • Comme l’explique Maya Kandel dans ces pages : « Il y a ce sentiment dominant chez les trumpistes que la gauche a gagné la bataille culturelle dans les années 1960, ce qui a fait naître une volonté de revanche et un désir de reprendre l’ascendant culturel ».

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22.07.2025 à 08:23

Près de 60 % des frontières internes à Schengen sont soumises à des contrôles temporaires

Ramona Bloj

Aujourd’hui, mardi 22 juillet, les ministres de l’Intérieur des 27 se retrouvent à Copenhague pour une réunion informelle. Les discussions porteront notamment sur les migrations, alors que plus de la moitié (58 %) des frontières internes à l’espace Schengen sont désormais soumises à des contrôles temporaires.

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Texte intégral (630 mots)

Le Danemark a fait du durcissement de la politique migratoire européenne l’une des priorités de sa présidence du Conseil. Si la réunion d’aujourd’hui, mardi 22 juillet, est informelle, il pourrait y avoir des évolutions lors du Conseil des affaires intérieures prévu le 13 octobre.

  • La présidence danoise entend explorer des « solutions nouvelles et innovantes pour mieux répondre aux défis posés par la migration irrégulière », estimant que les migrants sont parfois utilisés « comme un outil politique pour nous déstabiliser ».
  • Elle pousse notamment pour une réforme de la directive « retour » de 2008, déjà proposée par la Commission en mars, alors que les taux de retour dans l’Union n’atteignent actuellement qu’environ 20 %.
  • Mardi dernier, devant le Parlement européen, le ministre danois de l’Immigration et de l’Intégration, Kaare Dybvad, a cité trois axes d’action : « la mise à jour de la liste des pays sûrs », « des hubs dans les pays tiers » et « des partenariats avec les pays d’origine ».
  • Soulignant quelques réserves liées aux droits de l’homme et à l’État de droit, il a tout de même vanté l’accord entre l’Italie et l’Albanie, qui « comprend quelques expériences positives qui peuvent être réutilisées ».

Un récent rapport non publié de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile indique que l’Allemagne n’est plus la première destination des demandeurs d’asile en raison de la baisse des arrivées de Syriens depuis la chute du régime d’al-Assad (qui sont passées de 16 000 par mois en octobre 2024 à 3 100 en mai 2025), tandis que l’Espagne, avec une hausse des arrivées de Vénézuéliens, est devenue le premier pays d’accueil.

  • Sur les 29 États membres de l’espace Schengen, 11 ont annoncé avoir mis en place des contrôles à leurs frontières.
  • Au total, celles-ci concernent actuellement 58 % des frontières internes de l’espace.
  • La France, l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas notamment ont ainsi la possibilité de contrôler les flux transfrontaliers sur l’ensemble de leurs frontières, mettant en avant des « menaces graves pour l’ordre public ou la sécurité intérieure ».
  • Ces mesures sont notamment justifiées par les États par un « haut niveau de menaces terroristes », mais également une « pression migratoire » considérée élevée par la Pologne, l’Autriche, l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas.
  • Berlin a mis en place ces restrictions en mars, Paris au début du mois de mai, tandis que Varsovie a annoncé le 7 juillet réintroduire des contrôles à ses frontières avec l’Allemagne et la Lituanie.
  • Dans la quasi-totalité des pays, ces restrictions, à caractère temporaire, arriveront à expiration à l’hiver (pour la Pologne, celles-ci devraient prendre fin le 5 août). 

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22.07.2025 à 06:00

Le Parti démocrate peut encore gagner

daravelikova

En 2026, trois sièges suffiraient à bloquer Trump à la Chambre des représentants.

Face à cette opportunité historique, le Parti démocrate donne l’impression d’une machine affaiblie et sans cap.

Pourtant, il existe aujourd'hui une théorie de la victoire démocrate — elle mérite d'être connue.

Une pièce de doctrine de l'historien américain Michael Kazin.

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Texte intégral (5930 mots)

Spectaculaire, brutal, chaotique : le projet civilisationnel de Donald Trump semble se déployer de manière inarrêtable, irrésistible.

Cela fait six mois qu’il est à la Maison-Blanche. Face au vertige des nombreux bouleversements enclenchés à Washington, comment faire un inventaire  ?

Pour dresser le bilan provisoire d’une présidence qui veut changer le cours de l’histoire en transformant la vieille république américaine en empire, nous publions cette semaine notre première série d’été pour essayer de comprendre — au-delà des sources — ce qu’a mis en acte concrètement Donald Trump pendant six mois. Et comment lui résister.

Les partisans du Parti démocrate américain n’ont jamais été aussi inquiets. Pourtant, ils ont une occasion en or de retenter leur chance dans les urnes — cette fois-ci, en espérant l’emporter.

Les raisons de s’inquiéter sont claires.

Le Parti ne contrôle plus aucune branche du gouvernement fédéral et, en dehors des côtes de l’Atlantique et du Pacifique, il n’y a guère que trois États où les démocrates détiennent le poste de gouverneur et contrôlent les deux chambres.

Contrairement aux républicains, ils ne disposent pas d’un mouvement de masse comme la horde MAGA — ni d’un leader charismatique reconnu qui exige et obtient la loyauté sans faille de la base de son parti. Les démocrates, qui ont longtemps cultivé leur réputation de « parti de la classe ouvrière », tirent désormais la majorité de leurs électeurs parmi les Américains diplômés de l’enseignement supérieur et gagnant plus de la moitié du revenu moyen.

Les États-Unis restent néanmoins, comme tout au long du XXe siècle, un régime politique profondément — et amèrement — divisé entre les deux grands partis.

Trump a remporté moins de la moitié des suffrages populaires en 2024 et a obtenu des millions de voix de moins que ses rivaux démocrates en 2016 et 2020. 

Cette année, après six mois au pouvoir, il a traversé une série de crises qui ont fait chuter sa popularité.

Son administration a certes tenu une promesse de campagne en expulsant plus de 100 000 immigrés sans papiers — et prévoient d’en expulser plusieurs millions d’autres. Mais ce succès fragilise sa position auprès des employeurs qui dépendent de ces travailleurs pour occuper des postes essentiels, peu rémunérés, dans des secteurs comme l’agriculture et la construction, que peu de citoyens américains acceptent d’exercer.

Pour regagner la majorité à la Chambre des représentants, les démocrates n’ont besoin que de trois sièges lors des élections de 2026.

Trois sièges, c’est ce qui empêcherait Trump de signer toute loi importante.

Trump domine son parti plus que tout autre président dans l’histoire des États-Unis. Il est difficile d’imaginer un successeur qui le ferait aussi bien.

Michael Kazin

Construire : un retour aux racines du Parti démocrate

Le président des États-Unis n’a pas de rival au sein de son parti et se moque rapidement de tout républicain qui exprime publiquement son désaccord avec lui. Mais son règne égocentrique pourrait s’avérer être une aubaine pour les démocrates.

Lorsqu’il quittera la Maison Blanche en 2029, aucun autre républicain ne sera susceptible d’hériter de son emprise sur le mouvement MAGA ou d’égaler son talent pour les performances brutales et charismatiques. Trump domine son parti plus que tout autre président dans l’histoire des États-Unis. Il est difficile d’imaginer un successeur qui le ferait aussi bien que lui.

Il est évident que les démocrates ne peuvent pas se contenter d’attendre en espérant que le trumpisme échoue. Ils ont besoin de leaders et d’un programme qui répondent au mécontentement de nombreux Américains concernant l’avenir de leurs emplois dans une économie bientôt dominée par l’IA et déjà marquée par les guerres culturelles qui font rage depuis des décennies sans que l’un ou l’autre camp ne remporte plus que des victoires temporaires et partielles.

Les démocrates ne peuvent pas se contenter d’attendre en espérant que le trumpisme échoue.

Michael Kazin

Le maintien du Parti républicain sous Trump dans son programme de baisses d’impôts et de réductions des prestations sociales pour les plus vulnérables devrait offrir aux démocrates l’occasion de proposer une alternative à la fois populaire et progressiste, capable de reconquérir les électeurs de la classe ouvrière qu’ils ont perdus. C’est du moins de cette façon que leurs prédécesseurs ont remporté la majorité au pouvoir dans le passé.

Chaque fois que les démocrates ont su convaincre qu’ils défendaient les intérêts économiques du plus grand nombre, ils l’ont généralement remporté dans les urnes.

Il a fallu un temps terriblement long pour que le « parti du peuple » — comme il se désigne lui-même — accepte le soutien et défende les intérêts des Américains qui n’étaient pas blancs et de sexe masculin.

Au cours de son premier siècle d’existence, le Parti démocrate était de fait — même si ce n’était pas sa doctrine officielle — une organisation qui sollicitait uniquement les votes des hommes blancs et négligeait ou dénigrait tous les autres. Ce n’est que dans les années 1930 que le parti, au niveau national, a commencé timidement à embrasser un électorat pluri-ethnique. Ce changement a mûri de longues années durant : il n’a débouché sur l’adoption de lois solides en matière de droits civiques que près de trente ans plus tard 1.

Tout au long de leur histoire, les démocrates ont su remporter les élections au niveau national et être compétitifs dans la plupart des États lorsqu’ils ont réussi à articuler une vision économique égalitaire et à défendre des lois visant à la réaliser — d’abord uniquement pour les Américains blancs, certes, mais finalement pour tous les citoyens. Même lorsqu’ils défendaient la suprématie raciale et instauraient des politiques brutales qui ont dévasté la vie des Noirs américains et des autres personnes de couleur, les démocrates ne juraient que par la maxime de Thomas Jefferson : « des droits égaux pour tous et aucun privilège spécial pour personne ».

Seuls les programmes visant à améliorer la vie des gens ordinaires — en la rendant plus prospère ou simplement plus sûre — leur ont permis de s’unir et de rassembler un nombre suffisant d’électeurs pour constituer une majorité durable au gouvernement. Les dirigeants du parti comprenaient que la plupart des électeurs ne voyaient pas d’alternative au système du marché et des salaires — et ils n’ont pas d’ailleurs cherché à en proposer une — mais ils considéraient, de dehors de toute idéologie, que l’ordre capitaliste ne parvenait pas à produire l’idéal utilitariste du plus grand bien pour le plus grand nombre.

Des programmes universels comme la sécurité sociale, le GI Bill ou Medicare ont rencontré un large succès lorsqu’ils ont été adoptés par des majorités démocrates au Congrès et promulgués par des présidents démocrates. Modifiés pour aider les Américains de toutes les origines, ils sont devenus des piliers inébranlables de la politique de l’État. Ni Donald Trump ni aucun autre président républicain avant lui n’a véritablement tenté de les abolir ou de les remplacer.

Les périodes où les démocrates ont démontré leur engagement à mettre l’économie au service des citoyens ordinaires ont également été les seules où le parti a obtenu une majorité nationale durable : de la fin des années 1820 au milieu des années 1850, puis de nouveau des années 1930 à la fin des années 1960.

Au milieu du XXe siècle, l’historien Richard Hofstadter écrivait : « La tradition libérale dans la politique américaine, depuis l’époque de la démocratie de Jefferson et de Jackson jusqu’au populisme, au progressisme et au New Deal, a d’abord eu pour fonction d’accroître le nombre de ceux qui pouvaient bénéficier de la grande manne américaine, puis d’humaniser son fonctionnement et enfin d’aider à panser ses blessures. »

Pour gagner, les démocrates ont toujours dû construire.

Michael Kazin

L’idéologie séduisante promue par ce que l’on appelle aujourd’hui le « messaging » ne suffit guère si l’on veut remporter des élections nationales.

Même si les démocrates ont souvent gagné en formulant leurs critiques économiques et leurs propositions alternatives en des termes moraux, l’éthique n’a jamais vraiment été une exigence pour ceux qui excellaient dans l’art électoral.

En politique, on parle souvent de tactique et de stratégie.

Comme le laissent entendre ces métaphores guerrières, les personnalités politiques doivent analyser les forces et les faiblesses de leurs adversaires tout en mobilisant leurs propres ressources pour dominer le champ de bataille.

Pour gagner, les démocrates ont dû construire — puis, après de douloureuses défaites, reconstruire — une organisation efficace et intelligemment dirigée, composée d’éléments interdépendants.

Gluesenkamp Perez et Mamdani : figures d’une relève du Parti

Les bâtisseurs de cette organisation étaient rarement des présidents.

Pour certains, comme la Première dame Eleanor Roosevelt et le leader syndical Sidney Hillman dans les années 1930 et au début des années 1940, ils n’étaient même pas élus.

Mais ils avaient compris une chose essentielle : ils avaient trouvé ce qu’il fallait pour recruter des candidats capables de rassembler une coalition démographiquement diversifiée, à même de canaliser et d’intégrer les revendications et l’énergie des mouvements sociaux émergents.

Aujourd’hui, deux jeunes démocrates partageant les mêmes principes se sont révélés habiles dans ce type de politique, bien qu’ils mobilisent des électorats très différents et proposent des politiques assez dissemblables.

Marie Gluesenkamp Perez — ou MGP comme elle est désormais surnommée aux États-Unis — a été élue deux fois au Congrès dans une circonscription rurale de l’État de Washington que Trump a facilement remportée. Âgée de 37 ans, cette ancienne propriétaire d’un garage automobile parle presque exclusivement des questions qui préoccupent vraiment ses électeurs : l’accès aux soins de santé reproductive, le maintien des hôpitaux locaux et l’arrêt des importations de fentanyl

À un journaliste qui lui demandait comment les démocrates pourraient regagner la majorité, elle déclare : « il faudra que les parents de jeunes enfants, les habitants des communautés rurales et les artisans se présentent aux élections — et qu’on les prenne au sérieux. »

Elle est l’incarnation du profil des candidats aux fonctions électives issus des rangs des salariés ou des petits entrepreneurs et capables de gagner la confiance de ces catégories sociales qui forment la majorité de l’électorat américain.

De manière particulièrement habile, elle prend soin de louer le bipartisme et se vante des projets d’infrastructure qu’elle a fait financer dans sa circonscription. Évitant toute attaque contre Trump lui-même, Gluesenkamp Perez qualifie les républicains du Congrès de serviteurs des riches, tandis qu’elle défend les « familles travailleuses du sud-ouest de l’État de Washington » et leurs besoins d’une « santé durable ». En 2026, les démocrates qui se présenteront dans des circonscriptions conservatrices et modérées de la Chambre des représentants auraient tout intérêt à imiter sa stratégie : un savant mélange de modération et de conscience de classe.

À un journaliste qui lui demandait comment les démocrates pourraient regagner la majorité, Gluesenkamp Perez déclare : « il faudra que les parents de jeunes enfants, les habitants des communautés rurales et les artisans se présentent aux élections — et qu’on les prenne au sérieux. »
Lors des primaires de juin, il a fait campagne en promettant de rendre la ville abordable pour les millions d’habitants qui se sentent étouffés par les loyers élevés et le coût des produits de première nécessité. Mamdani promet de construire davantage de logements sociaux, de rendre les transports publics gratuits et d’augmenter les impôts des plus riches.

L’identité et le parcours de Zohran Mamdani diffèrent fondamentalement de ceux de la représentante de l’État de Washington.

Lorsqu’il était encore enfant, celui qui s’est autoproclamé socialiste démocrate a immigré avec ses parents depuis l’Ouganda ; son père — de gauche — est un professeur renommé à l’université Columbia et sa mère une réalisatrice de cinéma célèbre. À 33 ans, il a surpris la plupart des observateurs en remportant l’investiture de son parti pour la mairie de New York avec un message populaire qui pourrait aider ses collègues démocrates à regagner les voix des Américains ordinaires qu’ils ont perdues.

Mamdani et Gluesenkamp Perez montrent tous deux comment une nouvelle génération de politiciens démocrates ravive un populisme agressif que le reste du parti gagnerait à adopter.

Michael Kazin

Lors des primaires de juin, il a fait campagne en promettant de rendre la ville abordable pour les millions d’habitants qui se sentent étouffés par les loyers élevés et le coût des produits de première nécessité. Mamdani promet de construire davantage de logements sociaux, de rendre les transports publics gratuits et d’augmenter les impôts des plus riches. 

S’il pourrait tout à fait être élu maire de New York, son identité « socialiste » risque de limiter l’influence qu’un tel succès pourrait exercer sur le reste du parti.

Les jeunes progressistes le saluent comme un candidat qui ose dire la vérité sur les maux du capitalisme moderne — mais le socialisme n’a historiquement jamais conquis le cœur ou les votes de plus qu’une minorité bien déterminée d’Américains. Face à lui, la stratégie des républicains sera assez évidente : ils s’aligneront sur la description récente que Trump a faite de Mamdani — « un communiste fou à 100 % » et tenteront de forcer tous les candidats démocrates à se positionner par rapport à lui.

Si la plupart des électeurs vivant loin de New York se moquent bien de savoir qui sera élu maire de la ville, l’accusation de « radicalisme » a déjà mis les démocrates sur la défensive et pourrait compromettre leur volonté de faire campagne contre les coupes budgétaires de Trump dans les soins de santé et d’autres prestations sociales populaires. Certains démocrates centristes s’opposent déjà à Mamdani pour ces mêmes raisons.

Malgré leurs différences et ces limites, Mamdani et Gluesenkamp Perez montrent tous deux comment une nouvelle génération de personnalités politiques démocrates ravive un populisme agressif que le reste du parti gagnerait à adopter.

Depuis la crise de 2008, alors que les populistes autoritaires de droite gagnaient en puissance dans toute l’Europe, les sociaux-démocrates n’ont proposé aucune alternative cohérente. Ils ont d’ailleurs gagné uniquement lorsque leurs adversaires se sont révélés être de piètres gouvernants — comme au Royaume-Uni en 2024. Des deux côtés de l’Atlantique, la gauche et le centre-gauche continuent de perdre des électeurs nés dans le pays et sans diplôme universitaire, qui considèrent l’économie d’aujourd’hui et de demain comme une machine à créer des inégalités.

Revenir à l’économie : de la « vie large » en Amérique

Une solution pour les démocrates serait de défendre et de lutter avec acharnement pour faire adopter un petit nombre de mesures à la fois très populaires et susceptibles de rendre la vie du plus grand nombre des Américains plus sûre.

Les possibilités ne manquent pas : de la généralisation de l’école maternelle à un salaire minimum de 18 dollars de l’heure en passant par un contrôle strict des prix des médicaments et du droit à l’avortement et à la contraception. Une stratégie consisterait ainsi à sélectionner quelques mesures clef et à les défendre inlassablement dans un langage clair et compréhensible pour les Américains — plutôt que de recourir à des formules creuses censées plaire à tous mais qui n’enthousiasment en fait personne, à l’image ce qui a conduit à l’échec de Kamala Harris en 2024.

Les identités ethniques continuent bien sûr d’avoir leur importance, mais centrer une stratégie dessus ne permet pas d’obtenir la majorité.

Michael Kazin

Pour réussir, ce virage doit être radical.

Les démocrates devraient ainsi également abandonner l’idée fixe selon laquelle les groupes ethniques auraient, en tant que tels, une quelconque importance électorale. La croyance selon laquelle on pourrait compter sur la solidarité ethnique pour gagner les voix d’un professeur noir dans une université prestigieuse, d’une employée de maison salvadorienne et d’un programmeur informatique dont la famille vit à Mumbai a toujours relevé davantage du vœux pieu que de la réalité de terrain. Le fait que Harris n’ait remporté que 53 % des voix des Latinos et 86 % des voix des électeurs noirs prouve que faire appel au vote des « personnes de couleur » uniquement en raison de leur origine est souvent une stratégie perdante. Les identités ethniques continuent bien sûr d’avoir leur importance, mais centrer une stratégie dessus ne permet pas d’obtenir la majorité.

Les démocrates devraient aussi renforcer leur collaboration avec les syndicats existants — qui rassemblent 14 millions de membres de toutes les origines, genres et nationalités — et plaider pour l’adoption de lois facilitant leur implantation dans le secteur privé, où ils ne représentent aujourd’hui que 6 % des travailleurs. Joe Biden et Kamala Harris ont tous deux participé à des piquets de grève et exprimé leur soutien au PRO Act, une loi pour la protection du droit à l’organisation syndicale, qui supprimerait les obstacles juridiques à la création de syndicats. 

Mais les élus et les militants démocrates devraient placer cette défense des syndicats au cœur de leur discours et la mettre en avant tout au long de l’année. Seuls les travailleurs eux-mêmes peuvent créer des syndicats, mais il ne peut y avoir de véritable « populisme économique » sans institutions qui représentent et défendent les besoins économiques du « peuple » lui-même.

Parfois, cela peut partir de situation extrêmement concrètes.

L’automne dernier, les démocrates du comté de York dans l’État clef de Pennsylvanie ont mené leur campagne électorale dans un bâtiment appartenant à une section locale de l’International Brotherhood of Electrical Workers (IBEW) — l’un des plus grands syndicats du bâtiment du pays. Kamala Harris a obtenu dans ce comté conservateur des résultats similaires à ceux obtenus par Biden quatre ans auparavant. Sans le soutien en nature de l’IBEW, les militants sur place du parti démocrate n’aurait peut-être pas eu de lieu où se réunir.

Les politiciens et les militants démocrates doivent placer la défense des syndicats au cœur de leur discours et la mettre en avant tout au long de l’année. 

Michael Kazin

Le parti doit également mettre en place des institutions qui recrutent des militants dans toutes les régions de leur État, avec pour mission de créer un mouvement durable — et pas simplement une organisation qui s’anime au début de chaque campagne.

Recrutement, gestion des ressources humaines et organisation : redevenir un parti

Le Wisconsin présente un cas d’étude fécond pour penser une telle bifurcation.

De 2019 à 2025, Ben Wikler a dirigé une organisation disposant de bureaux dans tout l’État et travaillant en permanence avec des défenseurs de toutes les causes progressistes. Les démocrates de cet État indécis ont remporté une série de victoires — du poste de gouverneur à la Cour suprême en passant par la législature. En 2024, Harris a perdu le Wisconsin avec seulement 29 000 voix d’écart, le plus faible écart dans les trois États pivots qui bordent les Grands Lacs. Néanmoins, les démocrates du Wisconsin sont parvenus à renverser dix circonscriptions à la Chambre et quatre qu’ils avaient ciblées au Sénat de l’État.

En l’absence des anciennes « machines » municipales et étatiques qui récompensaient autrefois les partisans fidèles par des emplois et des faveurs personnelles, les démocrates aux niveaux étatique et local doivent s’adapter : compter sur des bénévoles dévoués est toujours un point de départ. Mais leur nombre et leur enthousiasme fluctuent à chaque cycle électoral. Le recours direct des candidats aux réseaux sociaux pour s’adresser aux électeurs contribue par ailleurs à affaiblir ce qui reste des structures traditionnelles du parti.

Au niveau national, le Comité national démocrate est devenu une coquille vide. La responsabilité de remporter ou de conserver des sièges au Congrès et dans les États incombe au DCCC (Comité de campagne du Congrès démocrate), au DSCC (Comité de campagne sénatoriale démocrate) et au DLCC (Comité de campagne législative démocrate).

Derrière ces acronymes ennuyeux se cache le travail de milliers de gestionnaires, de consultants, de publicitaires, de programmeurs et de démarcheurs qui promeuvent des candidats à la Chambre des représentants, au Sénat et dans les assemblées législatives des États — des candidats dont les ambitions dépassent parfois leurs compétences politiques.

Les tenants cosmopolites du « blob » washingtonien veillent à ce que le parti soutienne fermement le droit à l’avortement, l’égalité des droits pour les couples mariés et la justice raciale.

Mais la plupart des démocrates « de carrière », grands gagnants de la loterie méritocratique interne aux parti, ont peu de contacts avec les classes moyennes inférieures. Ils se sentent souvent moins pressés de mettre en avant des solutions à l’inégalité économique que leurs leaders condamnent rituellement dans leurs discours.

Le recours direct des candidats aux réseaux sociaux pour s’adresser aux électeurs contribue aussi à affaiblir ce qui reste des structures traditionnelles du parti.

Michael Kazin

Mais rien ne condamne les démocrates à se battre uniquement avec les armes de l’appareil officiel du parti.

Dans le camp progressiste de la société civile, il existe un certain nombre d’organisations qui défendent les politiques démocrates et qui sont assez habiles dans la gestion quotidienne des campagnes électorales ou dans la mobilisation de partisans enthousiastes. L’une d’elles est « Indivisible », fondée après la victoire de Trump aux élections de 2016, qui compte des milliers de sections à travers le pays, dont au moins une dans chaque circonscription électorale. En collaboration avec une multitude de groupes locaux, elle a organisé les manifestations « No Kings » le 14 juin dernier, qui auraient rassemblé jusqu’à cinq millions de personnes. Des groupes plus anciens, tels que le Sierra Club, Planned Parenthood et la NAACP, font également des dons et travaillent à l’élection de leurs candidats.

Les militants démocrates ne peuvent toutefois pas percevoir leur institution seulement comme un mouvement social.

De 2019 à 2025, Ben Wikler a dirigé une organisation disposant de bureaux dans tout l’État et travaillant en permanence avec des défenseurs de toutes les causes progressistes. Les démocrates de cet État indécis ont remporté une série de victoires — du poste de gouverneur à la Cour suprême en passant par la législature.
En 2024, Harris a perdu le Wisconsin avec seulement 29 000 voix d’écart, le plus faible écart dans les trois États pivots qui bordent les Grands Lacs. Néanmoins, les démocrates du Wisconsin sont parvenus à renverser dix circonscriptions à la Chambre et quatre qu’ils avaient ciblées au Sénat de l’État.

Dans un système démocratique, le rôle d’un parti politique est de remporter les élections, puis de faire pression sur les élus pour qu’ils mettent en œuvre les politiques souhaitées par leurs électeurs. Les mouvements sociaux, quant à eux, existent pour articuler des politiques alternatives et lancer des appels moraux forts en faveur d’une ou plusieurs causes. Leur rôle n’est pas de convaincre la majorité mais de persuader la minorité qui s’identifie à eux de changer le fonctionnement du pouvoir.

Les démocrates auraient néanmoins tout intérêt à attiser l’élan qui anime tout mouvement efficace et durable : le sentiment de faire cheminer un objectif commun vers une fin louable ; la solidarité entre ses partisans et l’empathie envers les Américains qui ont besoin d’une société plus équitable — et la méritent.

Plus le nombre de personnes mobilisées pour lutter de manière intelligente et stratégique pour leur propre compte sera important, plus les États-Unis se rapprocheront de cet objectif.

Nevada, section locale 226 : refaire de la politique

Dans le Nevada, un syndicat unique en son genre a fourni une sorte de modèle pour le succès des démocrates.

Le soir des midterms de 2018, une foule de travailleurs, vêtus de chemises rouge vif portant le nom de leur section locale en grosses lettres noires, a défilé dans les couloirs ridiculement larges du Caesars Palace, sur le Strip de Las Vegas.

Les membres du syndicat Culinary Workers Union Local 226 discutaient gaiement et riaient à gorges déployées.

De temps à autre, l’un d’eux lançait le slogan « Nous votons, nous gagnons ! » — aussitôt repris en chœur par les autres.

En groupe, ils se dirigeaient vers la salle de bal de l’hôtel — une immense salle décorée comme une parodie du Forum romain — pour suivre l’annonce des résultats électoraux.

Plus le nombre de personnes mobilisées pour lutter de manière intelligente et stratégique pour le compte du parti sera important, plus la nation se rapprochera de cet objectif.

Michael Kazin

Lorsque le bureau du secrétariat de l’État a finalement annoncé les résultats, le slogan du syndicat s’est concrétisé : les électeurs avaient élu, avec une nette avance, des démocrates à presque tous les postes de l’État — à l’exception d’un seul — ainsi que trois des quatre représentants du Nevada au Congrès.

Ils avaient également battu le sénateur républicain sortant, signant ainsi la seule victoire démocrate de l’année au Sénat 2. Les démocrates ont également renforcé leur majorité déjà confortable au sein de la législature, et le Nevada est devenu le premier État à compter plus de femmes que d’hommes dans cette instance.

Sans la section locale 226, ces victoires n’auraient pas été possibles.

Le syndicat, qui représente quelque 60 000 travailleurs qui servent les clients à Las Vegas et à Reno, nettoient leurs chambres et portent leurs bagages, est une formidable machine électorale dans le comté de Clark, où vivent trois habitants du Nevada sur quatre.

Le syndicat organise régulièrement des sessions d’éducation politique pour ses membres.

Il loue des bus pour les transporter jusqu’aux urnes.

Dans les conventions collectives qu’il a signés avec les hôtels, il a obtenu le droit pour ses membres de prendre un congé de deux mois si c’est pour participer à une campagne électorale.

Lorsque les démocrates remportent Clark avec plus de dix points d’avance, la base républicaine blanche rurale de l’État ne parvient pas à rassembler suffisamment de voix pour les battre.

Malgré la pandémie de Covid-19 qui a poussé la plupart de ses membres au chômage, la section locale 226 a réitéré sa performance en 2020.

Ils ont frappé à plus d’un demi-million de portes — permettant de nouveau aux démocrates de remporter la victoire dans toutes les catégories.

En 2024, le mécontentement face à la hausse des prix a réduit l’avance du parti dans le comté de Clark à seulement 2 %. Trump a remporté l’État.

La section locale 226 reste un modèle de multiculturalisme en action. Ses membres sont originaires de plus de 170 pays et parlent plus de quarante langues. La majorité d’entre eux sont latino-américains et la plupart sont des femmes. La section locale aide des milliers de travailleurs immigrés à se préparer à l’examen de citoyenneté. Elle gère également une pharmacie où les membres de la section et leurs familles peuvent se faire délivrer leurs ordonnances gratuitement.

Le syndicat projette ainsi une image des Latino-Américains qui diffère nettement de celle véhiculée par la gauche — qui les considère principalement comme des victimes du racisme nativiste — ou par la droite — qui les accuse d’être des voleurs d’emplois ou des criminels. Ces immigrés ont conquis le pouvoir sur leur lieu de travail et savent comment l’utiliser pour défendre leurs intérêts politiques.

Ce sont des syndicats comme celui-ci, composés de travailleurs d’origine étrangère, qui ont joué un rôle essentiel dans la création du New Deal dans les années 1930 et 1940.

À l’époque, le Congrès des organisations industrielles (CIO) avait brisé la résistance des employeurs dans les secteurs de l’automobile, de la sidérurgie, des docks et de l’électricité, et a transformé des États autrefois solidement républicains comme l’Ohio, la Pennsylvanie et le Michigan en bastions des démocrates pro-syndicats.

L’industrie lourde décline depuis longtemps aux États-Unis, tout comme les institutions ouvrières qui permettaient autrefois aux hommes et aux femmes peu diplômés — souvent sans diplôme au-delà des études secondaires — d’accéder à un emploi stable et correctement rémunéré. Mais les membres de la section locale 226 accomplissent un travail collectif, socialisé, même s’il est aujourd’hui jugé moins essentiel — à l’image des ouvriers qui assemblaient autrefois des pare-chocs de Chevrolet ou des métallurgistes au pied des hauts fourneaux.

Comme dans les puissants syndicats industriels du passé, la section locale 226 donne à ses membres le sentiment d’appartenir à une communauté de personnes qui ne se contentent pas de travailler ensemble.

Ils s’informent mutuellement des enjeux de la politique locale et nationale et passent de nombreuses heures à sillonner le Nevada pour élire des hommes et des femmes qui, selon eux, protégeront et feront progresser leurs intérêts.

*

Comme à l’époque du New Deal et de la Grande Société, les démocrates ne connaîtront à nouveau des victoires régulières que si leurs militants, leurs candidats et leurs élus débattent de leurs divergences sans qu’un camp ne dénonce ou ne cherche à purger l’autre.

Il serait utile que les démocrates de tous horizons, salariés ou non, s’inspirent de ce que les membres de la section locale 226 ont accompli sur leur lieu de travail et dans leur quartier.

Tout comme les républicains ne pourraient pas se qualifier de « parti chrétien » s’ils n’avaient pas des milliers d’églises évangéliques à leurs côtés, les démocrates ne redeviendront jamais un « parti de la classe ouvrière » s’ils n’aident pas à construire et à soutenir des institutions solides représentant les Américains ordinaires — pour en faire les forces vives d’une coalition plus large. 

Des groupes solides, durables, rassemblant celles et ceux qui aspirent à incarner collectivement ce que le poète Walt Whitman appelait « l’égalisateur de son temps et son pays » 3, sont essentiels pour faire face à la pression puissante exercée par Donald Trump et ses partisans pour remettre en cause la démocratie américaine.

Sources
  1. What It Took to Win : A History of the Democratic Party, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2022.
  2. He is the equalizer of his age and land ». Nous empruntons la traduction française à Léon Bazalgette in Walt Whitman, Feuilles d’herbes, II, Mercure de France, 1922, « Au bord de l’Ontario bleu », p. 92.

21.07.2025 à 20:06

Au Tibet, la construction par Pékin du plus grand barrage au monde inquiète l’Inde

Marin Saillofest

La construction par Pékin du plus grand barrage du monde — plus imposant encore que le barrage des Trois-Gorges, achevé en 2009 — pourrait accroître la croissance chinoise de 0,1 point de pourcentage de PIB par an pendant une décennie.

Mais New Delhi craint que le contrôle en amont des eaux du fleuve Yarlung Tsangpo ne fournisse un important levier politique aux autorités chinoises pour transformer cette infrastructure en arme tournée contre l’Inde.

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Texte intégral (890 mots)

Samedi 19 juillet, le Premier ministre chinois Li Qiang a officiellement lancé le projet de construction d’un gigantesque barrage sur le fleuve Yarlung Tsangpo, dans la région autonome du Tibet. Une fois terminé, celui-ci pourrait devenir le plus grand ouvrage hydroélectrique au monde, avec une capacité annuelle de production de 300 TWh d’électricité — soit plus que l’Espagne, l’Italie ou le Royaume-Uni.

  • Avec un coût estimé à 1 200 milliards de yuan (143 milliards d’euros), le barrage de Medog serait l’une des infrastructures les plus coûteuses de l’histoire.
  • Les immenses quantités de ciment et d’acier, leur transport ainsi que la main-d’œuvre requise pour sa construction pourraient faire augmenter le PIB chinois de 0,1 point de pourcentage chaque année durant une décennie, selon Citigroup 6.
  • À ce stade, on ignore toutefois comment le China Yajiang Group, une nouvelle société chargée de gérer le développement du barrage, financera le coût de sa construction. 

L’annonce de Li Qiang a fait bondir l’action du conglomérat public de construction China Energy Engineering de 51 %, tandis que l’action Huaxin Cement Co. a plus que doublé à la bourse de Hong Kong avant de perdre une partie de ses gains.

Malgré une réaction favorable des marchés — qui ont interprété l’annonce du projet comme un signe de relance économique soutenue par de nouveaux investissements publics massifs 7 — le projet de construction du barrage de Medog demeure largement controversé.

  • Situé à proximité de l’État indien d’Arunachal Pradesh, il est susceptible de devenir une importante source de tensions avec New Delhi.
  • Les autorités indiennes ont fait savoir en décembre à leurs homologues chinois qu’elles « prenaient note » du projet chinois et prenaient des mesures « visant à préserver la vie et les moyens de subsistance des citoyens indiens résidant dans les zones en aval » 8.
  • Le fleuve Yarlung Tsangpo a un impact économique sur la vie de millions de personnes en Inde et au Bangladesh, où il se jette pour aller rejoindre les eaux du golfe du Bengale.
  • L’Inde craint que la Chine ne soit en mesure de limiter le débit d’eau du barrage afin d’exercer une pression politique en cas de dégradation de la relation bilatérale.

Plusieurs groupes de protection de l’environnement ont dénoncé l’impact écologique que pourrait avoir le barrage sur l’écosystème des gorges du Yarlung Tsangpo ainsi que sur les communautés vivant en aval et en amont du fleuve. Un rapport publié en décembre par International Campaign for Tibet révélait que plus d’un million de personnes pourraient être contraintes de se déplacer et perdre ainsi leurs moyens de subsistance 9.

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21.07.2025 à 18:00

Immigration, dépenses, cryptos, décrets… : les chiffres des six mois de Trump en 10 indicateurs clefs

Matheo Malik

Avalanche d’executive orders, licenciements et expulsions massives, ratification d’un méga-budget, usage inédit de la force militaire…

Mieux préparé, mieux entouré, en six mois à la Maison-Blanche, Trump a voulu changer les États-Unis.

Mais la mise en œuvre de ce projet radical demeure fragile.

Dix indicateurs pour décoder un semestre marqué par le spectacle et le chaos.

Trump : six mois à la Maison-Blanche | 4/7

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Texte intégral (6911 mots)

Spectaculaire, brutal, chaotique : le projet civilisationnel de Donald Trump semble se déployer de manière inarrêtable, irrésistible.

Cela fait six mois qu’il est à la Maison-Blanche. Face au vertige des nombreux bouleversements enclenchés à Washington, comment faire un inventaire ?

Pour dresser le bilan provisoire d’une présidence qui veut changer le cours de l’histoire en transformant la vieille république américaine en empire, nous publions cette semaine notre première série d’été pour essayer de comprendre — au-delà des sources — ce qu’a mis en acte concrètement Donald Trump pendant six mois.

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1 — L’accélération du pouvoir exécutif : plus d’executive orders — plus courts

Depuis le 20 janvier, Trump s’est considérablement reposé sur son pouvoir exécutif pour faire avancer son agenda. En matière de commerce, tout d’abord, avec la déclaration « d’urgences nationales » utilisée pour justifier l’imposition de droits de douane, notamment via l’International Emergency Economic Powers Act. Trump est ainsi devenu le premier président à s’être servi de cette loi pour imposer des tarifs douaniers.

Les décrets ont également servi à stimuler la production énergétique et l’extraction d’hydrocarbures, à réformer le gouvernement fédéral, à fermer le département de l’Éducation ou bien dissuader les grands cabinets d’avocats de contester ses actions. Plusieurs de ces décrets ont permis à Trump de contourner le pouvoir législatif, notamment en repoussant à trois reprises l’interdiction de TikTok aux États-Unis votée par le Congrès — refusant ainsi de fait d’appliquer la Take Care Clause contenue dans l’Article II de la Constitution.

Trump a eu recours au pouvoir exécutif plus que n’importe quel autre président de l’histoire américaine. En six mois, il a signé 170 décrets présidentiels — soit plus que Biden entre 2021 et 2024 (149). L’analyse du contenu de ces executive orders révèle toutefois une diminution de leur taille par rapport à la précédente administration démocrate.

Ces 170 décrets contiennent en moyenne environ 1 200 mots chacun — soit environ 4 minutes de lecture —, contre 2 100 pour ceux signés par Joe Biden entre 2021 et 2024 — ils sont ainsi 42 % plus courts. Les executive orders signés depuis le 20 janvier 2025 sont également 16 % plus courts que ceux signés par Trump au cours de son premier mandat (sur la période 2017-2020). En conséquence, le volume de décrets présidentiels de Trump depuis le début de l’année 2025 n’est que 40 % supérieur à ceux signés par Biden en 2021, bien que le nombre de documents soit quant à lui 120 % plus important.

2 — « Un million de personnes par an » : les chiffres de la lutte contre l’immigration irrégulière dans l’administration Trump

Depuis le retour au pouvoir de Donald Trump le 20 janvier, le nombre d’arrestations de migrants vivant, dans la plupart des cas, illégalement sur le territoire américain, a doublé par rapport à l’année dernière, sous le mandat de Joe Biden.

En moins de six mois, près de 100 000 personnes ont été arrêtées sur le territoire américain par l’ICE (Immigration and Customs Enforcement), l’agence de police douanière et de contrôle des frontières. Ces opérations avaient un rythme relativement stable jusqu’au début du mois de juin, avant de connaître une forte augmentation.

Au cours des 10 premiers jours de juin, le nombre de personnes arrêtées a en effet presque doublé : 11 600, contre 6 100 au cours de la même période en mai. Le nombre de franchissements illégaux de la frontière a quant à lui atteint son niveau le plus bas depuis les années 1960 en juin : 25 000 à l’échelle nationale, dont 6 000 à la frontière avec le Mexique.

Avec près de 18 000 arrestations, le Texas est de loin l’État le plus ciblé par les opérations de l’ICE. En raison de sa frontière avec le Mexique longue de plus de 2000 kilomètres, il comptait en 2022 une population en situation irrégulière d’environ 1,6 million de personnes. La Floride et la Californie ont connu le plus grand nombre de migrants arrêtés après le Texas, respectivement 9 000 et 5 000.

Le nombre d’arrestations a augmenté dans l’ensemble des 50 États au cours des six premiers mois de l’année par rapport à 2024. Si ce chiffre a en moyenne doublé à l’échelle fédérale, il a triplé en Arizona (+205 %), dans l’Utah (+207 %) et dans le Nevada (+208 %), et a quadruplé en Géorgie (+274 %) et dans le Colorado (+297 %).

L’administration Trump revendiquait début juin avoir expulsé plus de 200 000 personnes depuis le 20 janvier. Le Migration Policy Institute estimait en avril que le nombre de personnes expulsées devrait atteindre environ 500 000 personnes d’ici la fin de l’année. C’est moins que les 685 000 déportées sous Biden en 2024 1.

L’administration républicaine s’est fixé pour objectif de déporter un million de personnes par an — un chiffre inférieur aux 15 à 20 millions de personnes que Trump disait l’an dernier vouloir expulser au cours de son deuxième mandat (environ 4 à 5 millions de personnes par an). Pour ce faire, le Congrès vient de voter un nouveau budget qui alloue plus de 100 milliards de dollars à l’ICE et à la surveillance des frontières jusqu’en 2029, dont 45 milliards seront dédiés à la construction de centres de détention.

L’ICE disposera ainsi dès l’an prochain d’un budget annuel supérieur aux dépenses de plusieurs grandes armées du monde : 28 milliards de dollars contre 23 pour la Turquie en 2024 et 22 pour l’Espagne et les Pays-Bas, selon l’OTAN.

En raison d’un nombre de franchissement de la frontière considérablement plus élevé sous Biden, la plupart des migrants « déportés » étaient en réalité refoulés directement à la frontière par les autorités américaines. L’administration Trump arrête quant à elle les migrants vivant illégalement aux États-Unis principalement dans les villes, ce qui nécessite plus de temps et de moyens — d’où l’écart dans les nombres d’expulsions.

3 — « Vibe shift » et popularité : pourquoi les six mois de Trump n’ont pas converti l’opinion publique américaine

À l’occasion des Cent jours de Trump à la Maison-Blanche, Marlène Laruelle signait dans la revue une enquête portant sur le vibe shift à Washington depuis le retour au pouvoir de Trump.

Dans celle-ci, elle décrivait le basculement de tout un écosystème humain, intellectuel et financier à partir du microcosme washingtonien dans lequel les employés fédéraux, les instituts de recherche, les grandes sociétés de consulting ainsi que les universités tentaient de naviguer tant bien que mal le choc Trump.

En amont du 20 janvier, les dirigeants de plusieurs grandes entreprises avaient multiplié les signes d’allégeance à Trump en donnant des millions de dollars à son fonds d’investiture, nommant des proches du président dans leurs conseils d’administration ou bien en se rendant à Mar-a-Lago, Maison-Blanche officieuse durant la période de transition.

À Wall Street, le retour de Trump était synonyme pour certains d’une « bouffée d’air frais » : certains banquiers et acteurs de la finance avaient en effet déclaré au Financial Times se sentir « libérés », signalant un vibe shift supposément annoncé par les résultats de l’élection de novembre 2.

Des dizaines de grandes entreprises comme Amazon, Walmart, Meta ou McDonald’s annonçaient avoir mis fin partiellement ou totalement à leurs programmes DEI (Diversité, équité et inclusion), contre lesquels Trump et plusieurs membres de son administration, particulièrement le secrétaire à la Défense Pete Hegseth, ouvertement sexiste et masculiniste, avaient manifesté leur vive opposition.

Au-delà de ces signaux, les sondages réalisés à l’échelle nationale depuis le 20 janvier montrent que Trump demeure un président très contesté. Ses premiers mois au pouvoir n’ont par ailleurs pas conduit à faire bouger l’opinion américaine sur les grandes priorités de sa présidence.

Sur l’immigration, les Américains désapprouvent les méthodes violentes déployées par l’administration. Sur l’économie, 60 % disent désapprouver l’agenda de Trump, soit le taux le plus élevé enregistré par CNN au cours de ses deux mandats 3.

Si Trump a su faire campagne et gagner l’élection sur les échecs et la faible popularité de la précédente administration Biden, catalysant le mécontentement de nombreux électeurs indécis, l’opinion publique américaine ne semble pas pour autant être devenue plus conservatrice.

Notons toutefois que Trump a su bouleverser radicalement la perception par l’électorat républicain des interventions militaires américaines à l’étranger. Ainsi, avant les frappes américaines sur l’Iran du 22 juin 2025, seulement 23 % des Républicains étaient en faveur d’une intervention militaire. Dans le premier sondage réalisé par le même institut après l’attaque américaine, l’opinion des électeurs républicains s’est renversée en quelques jours : 68 % disaient « approuver » les frappes ordonnées par Trump sur les sites nucléaires iraniens.

Un autre renversement semble à l’œuvre l’Ukraine : dans une enquête Echelon Insights conduite du 10 au 14 juillet, les deux-tiers des électeurs ayant voté pour Trump en novembre disent soutenir la décision du président de continuer d’armer Kiev dans le cadre de la guerre contre la Russie 4. En décembre 2024, la même proportion affirmait que les États-Unis fournissaient trop d’aide à l’Ukraine.

À l’échelle nationale, 15 % des adultes américains disent s’identifier comme étant « MAGA » au 12 juillet selon YouGov. Pour les électeurs du Parti républicain, ce chiffre est de 48 % — soit 3 points de moins que début janvier, au moment de l’investiture de Trump 5.

4 — La « loi de Ferguson » et le poids de la dette américaine

Comme le détaille Benjamin Bürbaumer dans ces pages, l’effondrement annoncé de l’économie américaine n’a pas eu lieu.

Le taux de chômage se maintient à un taux relativement faible, l’inflation — bien qu’en hausse au mois de juin — poursuit sa dynamique baissière et les États-Unis devraient afficher cette année le taux de croissance le plus élevé du G7, malgré une baisse des prévisions de croissance du FMI.

Ces indicateurs cachent toutefois une réalité susceptible d’éclipser l’apparente bonne santé de l’économie américaine : la dette publique, qui a atteint 37 000 milliards de dollars, devrait considérablement augmenter au cours des prochaines années à la suite de l’entrée en vigueur de la réforme fiscale de Trump, ratifiée le 4 juillet dernier. Celle-ci devrait en effet ajouter 3 400 milliards de dollars à la dette américaine au cours de la prochaine décennie.

Les économistes peinent à s’accorder quant à l’impact de la dette publique sur les perspectives de l’économie américaine, bien que le président de la Fed Jerome Powell affirme que celle-ci se trouve sur « une trajectoire insoutenable » 6. Depuis 2024, une réalité s’impose toutefois : les États-Unis dépensent désormais plus pour le service de leur dette que pour la défense.

Les intérêts de la dette américaine, qui représentaient l’an dernier 3,1 % du PIB, pourraient atteindre 6,3 % d’ici 2054 selon une projection du Congressional Budget Office — contre 2,3 % pour la défense. L’historien écossais Niall Ferguson développe depuis plusieurs années une théorie, baptisée « loi de Ferguson », selon laquelle toute grande puissance consacrant plus pour le service de sa dette que pour sa défense s’engage dans une ère de déclin qui conduira inévitablement à sa chute. 

Selon Ferguson, le poids de la dette « attire vers lui des ressources rares, réduisant ainsi le montant disponible pour la sécurité nationale et rendant la puissance de plus en plus vulnérable aux risques sur le plan militaire » 7. Prenant pour exemple l’Espagne des Habsbourg, l’Empire ottoman, britannique ou la France pré-révolutionnaire, Ferguson argue ainsi que la dette américaine pourrait conduire à un déclassement des États-Unis.

5 — Bitcoin et GENIUS Act : quantifier l’enrichissement du clan Trump grâce aux cryptomonnaies

Il y a quelques jours, vendredi 18 juillet, Trump a ratifié l’une des lois les plus significatives de ses six premiers mois à la Maison-Blanche : le GENIUS Act. isant à réguler le marché des stablecoin. Ces actifs numériques servent pour l’heure surtout à réaliser des transactions sur des plateformes d’échange, mais deviennent une alternative de plus en plus crédible aux méthodes de paiements traditionnelles.

Cette législation contraint notamment les émetteurs de stablecoin à prouver qu’ils détiennent bien un dollar d’actifs « liquides » — c’est-à-dire soit en dollars, soit en bons du Trésor — pour chaque dollar distribué en stablecoin. Le GENIUS Act est le premier texte d’une série en préparation au Congrès qui s’inscrit dans l’agenda de Trump destiné à sortir les crypto-actifs de la zone grise juridique dans laquelle ils se trouvent actuellement afin de réduire les risques pour les investisseurs. En juin, le secrétaire au Trésor Bessent déclarait que l’offre de stablecoin pourrait être multipliée par 10 au cours des trois prochaines années, la propulsant d’environ 250 milliards de dollars actuellement à plus de 2 000 milliards 8.

Trump et sa famille bénéficieront directement du GENIUS Act à travers les intérêts générés par les achats d’USD1 — le stablecoin lancé par Trump et ses fils via l’entreprise World Liberty Financial, Inc. (WLFI) — ainsi que la vente de tokens de gouvernance, des cryptomonnaies qui donnent à ses détenteurs un droit de vote sur les décisions importantes du projet. Selon une déclaration financière publiée en juin, le président américain aurait gagné 57,4 millions de dollars grâce à la vente de tokens WLFI sur la période allant de décembre 2023 à décembre 2024 9.

Le crypto-projet du président américain s’étend toutefois bien au-delà de World Liberty Financial, Inc. Avec ses memecoin $TRUMP et $MELANIA, la famille présidentielle aurait engrangé environ 150 millions de dollars grâce à la vente de ces actifs strictement spéculatifs 10. Afin de conférer une valeur à ces tokens et ainsi gonfler la valeur des 800 millions de tokens $TRUMP détenus par Trump via diverses entités, le président américain a organisé en mai un crypto-dîner au cours duquel les 220 principaux détenteurs du memecoin ont pu obtenir un accès direct dans le cadre d’une « réception exclusive » en sa compagnie.

Selon nos estimations, il fallait débourser environ 5 millions de dollars pour bénéficier de « l’expérience VIP ». Dans les heures ayant suivi l’annonce de l’organisation d’un dîner en présence de Trump pour les principaux détenteurs du token, son prix a bondi de plus de 50 %.

Les crypto-actifs représenteraient aujourd’hui plus d’un tiers du portefeuille de Trump.

Principalement destinés il y a quelques années à des investisseurs marginaux, les crypto-monnaies sont aujourd’hui très populaires à Washington : un haut responsable sur cinq de l’administration Trump détiendrait d’ailleurs des crypto-actifs — parmi lesquels J.D. Vance, Scott Bessent ou Robert F. Kennedy Jr. 11

6 — Traquer les signes de fracturation de la coalition trumpiste

La coalition ayant permis à Trump d’accéder à nouveau au pouvoir en novembre 2024 s’est considérablement élargie depuis sa première victoire en 2016. Sont notamment venus s’ajouter à la branche MAGA la « techno-droite », dont l’acteur le plus influent est Peter Thiel (l’un des seuls à avoir soutenu Trump dès son premier mandat), ainsi que les néo-réactionnaires, dont le principal intellectuel Curtis Yarvin dénonce toutefois un « ralentissement » qui empêcherait de mener la « transformation monarchique » et ainsi de convertir la révolte en révolution.

Si cette nouvelle coalition a permis une transformation radicale du pays en l’espace de six mois, elle s’est également révélée fragile face aux chocs politiques : la volonté de l’administration de « normaliser » ses relations avec la Russie, l’imposition de tarifs massifs et leur impact sur le pouvoir d’achat, l’intervention militaire en Iran, les réductions drastiques du budget de l’assurance maladie dans le cadre de la réforme fiscale de Trump, et dernièrement face à l’annonce de la procureure générale Pam Bondi le 7 juillet que la « liste de clients » de Jeffrey Epstein n’existait pas — cinq mois après avoir suggéré que celle-ci serait rendue publique.

Cette annonce a sidéré des millions d’électeurs MAGA et conspirationnistes qui attendaient de la nouvelle administration des révélations sur une prétendue « cabale »

Le scandale Epstein revêt un caractère particulièrement explosif en raison des liens établis et documentés entre Trump et le milliardaire, dont la relation remonte aux années 1980-1990 12. Interviewé par l’écrivain Michael Wolff, Epstein confia avoir été « l’ami le plus proche » de Trump durant une décennie, avant que ce dernier ne prenne ses distances avec Epstein suite à sa première inculpation 13.

Plusieurs dizaines d’influents conservateurs ayant permis à Trump de revenir au pouvoir ont publiquement appelé le président à faire la lumière sur l’affaire Epstein et de rendre public les noms de personnes associées aux activités criminelles de Jeffrey Epstein.

On compte notamment dans cette liste le conspirationniste fondateur d’Infowars Alex Jones, le podcast et ex-présentateur Fox News Tucker Carlson, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump Michael Flynn, l’ex-soutien et désormais potentiel futur rival du président Elon Musk, qui a insinué que Trump figurerait dans les supposés documents, ou bien l’actrice et loyale trumpiste Roseanne Barr.

7 — Une transformation radicale : la moitié du Projet 2025 a été mise en œuvre

Moins d’un mois après sa prise de fonction, Donald Trump avait déjà mis en œuvre un tiers du Projet 2025, le document programmatique dont l’élaboration a été pilotée par la Heritage Foundation en partenariat avec plusieurs dizaines d’organisations conservatrices.

Depuis que Trump a ratifié son budget — le One Big Beautiful Bill Act (OBBBA) — le 4 juillet, près de la moitié (46 %) de ce programme a été inscrit dans la loi.

Avec l’OBBBA, Trump a accompli 16 objectifs contenus dans le Projet 2025, notamment en limitant les subventions accordées pour l’installation d’éoliennes et de panneaux solaires, en instaurant des frais pour les demandes d’asile ou bien en finançant l’installation de 100 000 places supplémentaires dans les centres de détention de l’ICE, la police douanière et de contrôle des frontières.

Trump a également fait avancer le programme de la Heritage Foundation en supprimant des fonds essentiels au bon fonctionnement de l’Agence d’observation océanique et atmosphérique (NOAA), sans toutefois la démanteler comme le recommandait le Projet 2025. La prolongation de manière permanente du taux d’impôt sur les sociétés de 21 % appliqué en 2017 durant son premier mandat rapproche également la Heritage de son objectif de voir un taux d’imposition de 18 %.

Au cours des 100 premiers jours de son mandat, Trump était allé plus loin que le Projet 2025 dans certains domaines, notamment en proposant à tous les employés fédéraux une compensation en échange de leur démission (alors que la Heritage Foundation recommandait cette mesure uniquement pour la CIA) ainsi qu’en démantelant l’USAID dans sa totalité — lorsque le Projet 2025 recommandait de « réaligner l’aide étrangère des États-Unis sur les intérêts nationaux américains et les principes de bonne gouvernance ».

La Heritage Foundation n’est pas le seul think-tank conservateur dont le programme a été massivement mis en œuvre par l’administration Trump depuis le 20 janvier. 

Près de 90 % des 196 recommandations émises par l’America First Policy Institute (AFPI), un centre de recherche fondé par Brooke Rollins et Linda McMahon, ont été adoptées au cours des cent premiers jours de Trump.

La Maison-Blanche a également tenté de mettre fin au droit du sol en signant fin juin un décret présidentiel largement inspiré par les théoriciens du Claremont Institute — où le vice-président J.D. Vance a prononcé un discours le 5 juillet.

Une partie importante de sa prise de parole avait été dédiée à la citoyenneté. Vance avait notamment insisté sur le fait « qu’on ne peut pas remplacer dix millions d’Américains par dix millions de personnes venues d’ailleurs, et prétendre que le pays restera inchangé ». Il avait également déclaré que l’une des missions les plus importantes des conservateurs était « de redéfinir ce que signifie être citoyen américain au XXIe siècle ».

8 — Des licenciements massifs : comment Trump a fait disparaître un dixième de la fonction publique fédérale

Il s’agit probablement d’un des impacts les plus visibles du retour de Trump à la Maison-Blanche : fin avril, 260 000 employés fédéraux avaient été licenciés, étaient partis en retraite anticipée ou bien avaient accepté de démissionner en échange de plusieurs mois de salaire de compensation, selon Reuters 14.

Ce chiffre représente près d’un dixième de la fonction publique fédérale (environ 3 millions de personnes).

Si quelques hauts responsables ont été mis à l’écart, comme l’ancien conseiller à la sécurité nationale Michael Waltz — qui avait ajouté par erreur en mars le rédacteur en chef de The Atlantic dans une boucle Signal où des frappes contre les Houthistes avaient été discutées —, l’administration affiche une apparente stabilité en comparaison du premier mandat de Donald Trump.

En 2017, l’administration républicaine avait été bouleversée par une série de départs et de licenciements d’une ampleur inédite.

Anthony Scaramucci avait passé seulement 10 jours à la tête de la communication. Sally Yates était restée 11 jours procureur générale ad interim limogée pour avoir refusé d’appliquer le muslim ban exigé par Trump. En janvier 2019, deux ans après son arrivée au pouvoir, Trump avait établi un nouveau record en nommant son troisième directeur de cabinet, Mick Mulvaney, après que son prédécesseur John Kelly eut décrit la Maison-Blanche quelques mois plus tôt comme un « lieu de travail misérable ». À la fin de son premier mandat, en janvier 2021, le taux de turnover de l’administration Trump I était de 92 % — soit le niveau le plus élevé depuis au moins Ronald Reagan.

Le faible nombre de licenciements pour des raisons politiques ou personnelles au sein de l’administration Trump II reflète l’effort de préparation mené par des institutions comme la Heritage Foundation ainsi que la structuration de l’entourage de Trump en organisation à vocation managériale.

9 — Le recours à la force militaire : les frappes du « président de la paix »

Donald Trump se présente régulièrement comme un « président de la paix » dans ses discours, entretiens ainsi que sur sa plateforme Truth Social.

La « paix par la force » (« peace through strength ») revendiquée par le président américain a toutefois pris la forme d’un nombre très élevé de frappes de drones, de missiles et de bombardements depuis son retour à la Maison-Blanche.

Entre le 20 janvier et le 27 juin 2025, Trump a ordonné 529 frappes sur plus de 240 positions réparties en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie centrale, selon les données du projet ACLED — contre 555 pour Biden entre 2017 et 2021. La majeure partie de ces frappes (474) a eu lieu au Yémen, tandis que les autres sont réparties entre la Somalie (45), la Syrie (4), l’Irak (2) et l’Iran (3).

Au cours de son premier mandat, Trump avait également eu recours à des frappes de drones et des raids aériens à un rythme bien plus soutenu que sous les deux administrations Obama : dans la nuit du 2 mars 2017, celui-ci avait ordonné 25 frappes au total, soit le nombre le plus élevé en l’espace de 24 heures dans l’histoire récente des États-Unis, selon le Washington Post.

Au Yémen, les frappes de Trump se sont révélées être particulièrement mortelles pour les civils. Selon l’ONG britannique Airwars, 224 personnes sont mortes dans le cadre de l’opération militaire Rough Rider, lancée par Trump en mars — soit près du double du nombre de victimes civiles causées par les actions américaines au Yémen depuis 2002. Human Rights Watch et Amnesty International ont dénoncé la frappe du 17 avril sur le port de Ras Isa, au nord d’Hodeidah, ainsi que sur la prison de Saada le 28 comme étant susceptibles de constituer des crimes de guerre 15.

Plusieurs rapports ont par ailleurs questionné l’efficacité des frappes ordonnées par Trump sur le programme nucléaire iranien. Selon une dernière évaluation des services de renseignement américains menée en juillet, seul le site de Fordo aurait été gravement endommagé voire potentiellement détruit. Les frappes américaines sur les sites de Natanz et d’Ispahan auraient quant à elles provoqué des dommages limités, qui exigeront toutefois d’importants efforts de la part de Téhéran pour une remise en service.

10 — Palantir : après les données, prendre le contrôle des armées

Fondée après les attentats du 11 septembre 2001 par Peter Thiel, l’entreprise Palantir était initialement exclusivement tournée vers la lutte antiterroriste.

L’idée de Thiel était alors de récupérer et d’exploiter des données publiques du gouvernement américain — financières ou téléphoniques notamment — afin de permettre aux autorités et à l’armée de localiser des terroristes. Relativement discrète dans ses premières années, la notoriété de Palantir explose suite à la capture de Ben laden en mai 2011, au cours de laquelle sa plateforme d’analyse « Gotham » aurait joué un rôle central.

Thiel soutient Trump dès sa première campagne de 2016 en nourrissant l’espoir que ce dernier confiera à Palantir des contrats pour équiper les agences et départements de logiciels produits par l’entreprise. S’il est mobilisé par Steve Bannon pour proposer des noms après la victoire de Trump, l’empreinte de Palantir au cours de la première administration demeure principalement sectorielle : l’entreprise développe notamment des systèmes permettant de suivre la fabrication puis la distribution de vaccins durant la pandémie, et continue de fournir des logiciels à la police de contrôle aux frontières (ICE) utilisés pour les opérations d’arrestations de migrants.

Dans la deuxième administration Trump, Palantir occupe désormais une place structurante dans le projet de construction d’une « République technologique » appelé de ses vœux par Alex Karp, le PDG de Palantir placé à la tête de l’entreprise par Thiel, dans un livre publié en février. La société se trouve désormais à l’intersection de l’effort mené par l’administration Trump visant à compiler et regrouper dans une seule méga-base de données des milliers de points d’informations sur les citoyens américains, notamment des données médicales et fiscales. Celle-ci pourrait notamment servir à la Maison-Blanche pour traquer puis déporter des personnes vivant en situation irrégulière aux États-Unis.

Depuis l’élection de Trump en novembre, l’action de Palantir a été multipliée par 3, passant de 50 dollars à 153 au 18 juillet, signant la meilleure performance du S&P500 au cours du premier semestre 2025. Pour comparaison, sa capitalisation boursière a par exemple dépassé celles de Novo Nordisk, ASML, Samsung ou LVMH.

Aux côtés d’Anduril, l’entreprise technologique de défense co-fondée par Palmer Luckey, Palantir assiste également le département de la Défense dans son intégration de l’intelligence artificielle dans ses systèmes militaires. L’entreprise de Peter Thiel devrait aussi jouer un rôle central dans les travaux visant à développer un « Golden Dome » — un système de défense aérienne sur le modèle de l’Iron Dome israélien. SpaceX, l’entreprise spatiale d’Elon Musk, a ainsi fait appel à Palantir et Anduril pour former un partenariat qui travaillera à la concrétisation du projet lancé par Donald Trump, dans un décret signé le 27 janvier.

Il y a quelques semaines, le directeur de la technologie (CTO) de Palantir, Shyam Sankar, a été choisi aux côtés de trois autres dirigeants du secteur de la tech issus de grandes entreprises comme OpenAI et Meta pour intégrer le projet du Pentagone baptisé « Detachment 201 ». Intégrés à l’armée de réserve des États-Unis avec le grade de lieutenant-colonel, ces derniers seront susceptibles de servir au plus haut niveau des chaînes de commandement comme au niveau tactique, directement au contact des soldats. Leur rôle consistera à assister et conseiller l’armée sur les manières d’intégrer l’intelligence artificielle dans ses opérations et processus de décision.

Cette forme inhabituelle de coopération placera toutefois des dirigeants d’entreprises parmi les plus importants dans les secteurs de l’intelligence artificielle et de la défense directement au centre du Pentagone, tout en conservant leurs postes actuels. Palantir devrait ainsi bénéficier de connaissances directes des besoins et difficultés rencontrées par l’armée américaine pour intégrer l’IA à ses missions, tout en travaillant simultanément à l’obtention de contrats militaires.

La participation toujours plus étroite entre les entreprises de la tech et l’État fédéral américain concrétise la volonté exprimée par Thiel au moment de la fondation de Palantir en 2003 : ramener le complexe militaro-industriel dans la Silicon Valley. Ce rapprochement passe aujourd’hui par l’explosion de certaines start-ups combinant l’IA et la défense, qui rivalisent désormais avec les géants du secteur comme Raytheon, Lockheed Martin ou Northrop Grumman.

Sources
  1. In First 100 Days, Trump 2.0 Has Dramatically Reshaped the U.S. Immigration System, but Is Not Meeting Mass Deportation Aims », Migration Policy Institute, 24 avril 2025.
  2. Corporate America embraces a new era of conservatism under Donald Trump », Financial Times, 14 janvier 2025.
  3. Sondage CNN SSRS, 10-13 juillet 2025.
  4. July 2025 Verified Voter Omnibus, Echelon Insights.
  5. After 10 years, just how large is Trump’s actual base ? », The Washington Post, 16 juillet 2025.
  6. Powell calls for ‘change’ in ‘unsustainable’ fiscal path », The Hill, 4 décembre 2024.
  7. Ferguson’s Law : Debt Service, Military Spending, and the Fiscal Limits of Power, Hoover Institution, History Working Paper, 21 février 2025.
  8. Bessent Says $2 Trillion Reasonable for Dollar Stablecoin Market », Bloomberg, 11 juin 2025.
  9. Executive Branch Personnel Public Financial Disclosure Report (OGE Fonn 278e), US Office of Government Ethics, 13 juin 2025.
  10. Unlocked Trump Memecoins Set to Boost President’s Wealth by $100 Million », Bloomberg, 16 juillet 2025.
  11. Over 1 in 5 high-level Trump picks held crypto, Post analysis finds », The Washington Post, 17 juillet 2025.
  12. Teen models, powerful men and private dinners : when Trump hosted Look of the Year », The Guardian, 14 mars 2020.
  13. Behind Trump’s Jeffrey Epstein Problem », The New Yorker, 19 juillet 2025.
  14. US agencies shrink layoff plans after mass staff exodus », Reuters, 15 juillet 2025.
  15. Yemen : US air strike that has left dozens of migrants dead must be investigated, Amnesty International, 19 mai 2025 et Yemen : US Strikes on Port an Apparent War Crime, Human Rights Watch, 4 juin 2025.
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