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19.11.2024 à 16:55

Pourquoi notre environnement nous semble plat alors que la Terre est ronde ?

Kelly R. MacGregor, Professor of Geology, Macalester College

Tout est une question de perspective : Plus on monte, plus on voit la courbe.
Texte intégral (1013 mots)
Cette image d'une tempête tropicale prise en 2014 depuis la Station spatiale internationale montre clairement la courbure de la Terre. NOAA/Getty Images

Depuis que les Grecs de l’Antiquité ont fait des observations de la Lune et du ciel, les scientifiques savent que la Terre est une sphère. Nous avons tous vu de magnifiques images de la Terre depuis l’espace, certaines photographiées par des astronautes et d’autres collectées par des satellites en orbite. Alors pourquoi notre planète ne semble-t-elle pas ronde lorsque nous nous trouvons dans un parc ou que nous regardons par la fenêtre ?

La réponse est une question de perspective. Les êtres humains sont de minuscules créatures vivant sur une très grande sphère.

Imaginez que vous êtes un acrobate de cirque debout sur une boule d’environ 1 mètre de large. Du haut de la boule, vous la voyez s’éloigner de vos pieds dans toutes les directions.

Imaginez maintenant une petite mouche sur cette boule de cirque. Son point de vue se situerait probablement à un millimètre ou moins au-dessus de la surface. Comme la mouche est beaucoup plus petite que la balle et que son point de vue est proche de la surface, elle ne peut pas voir toute la balle.


Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.

N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.

Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !


La Terre mesure environ 12,8 millions de mètres de large, et même le regard d’un adulte de grande taille ne culmine qu’à environ 2 mètres au-dessus de sa surface. Il est impossible pour nos yeux de saisir la taille de la Terre sphérique lorsque nous nous trouvons dessus. Vous ne pourriez pas visualiser que la Terre est une sphère même en montant au sommet du mont Everest, qui se trouve à 8 850 mètres au-dessus du niveau de la mer.

La seule façon de voir la courbe de la Terre est de s’envoler à plus de 10 kilomètres au-dessus de sa surface. En effet, la longueur de l’horizon que nous voyons dépend de la hauteur à laquelle nous nous trouvons au-dessus de la surface de la Terre.

Debout sur le sol, sans rien qui bloque notre vision, nos yeux peuvent voir environ 4,8 kilomètres de l’horizon. Ce n’est pas assez pour que la ligne d’horizon commence à montrer sa courbe. Comme une mouche sur une boule de cirque, nous ne voyons pas assez le bord où la Terre rencontre le ciel.

Pour voir l’ensemble de la sphère planétaire, il faudrait voyager avec avec un astronaute ou à bord d’un satellite. Vous auriez ainsi une vue complète de la Terre à une distance beaucoup plus grande.

Les gros avions de ligne peuvent également voler suffisamment haut pour donner un aperçu de la courbure de la Terre, bien que les pilotes aient une bien meilleure vue depuis l’avant de l’avion que les passagers depuis les fenêtres latérales.

Pas tout à fait une sphère

Même depuis l’espace, vous ne pourriez pas déceler quelque chose d’important à propos de la forme de la Terre : elle n’est pas parfaitement ronde. Il s’agit en fait d’un sphéroïde légèrement aplati ou d’un ellipsoïde. Cela signifie qu’autour de l’équateur, elle est un peu plus large que haute, comme une sphère sur laquelle on se serait assis et qu’on aurait un peu écrasée.

Ce phénomène est dû à la rotation de la Terre, qui crée une force centrifuge. Cette force produit un léger renflement au niveau de la taille de la planète.

Les caractéristiques topographiques de la surface de la Terre, telles que les montagnes et les fosses sous-marines, déforment également légèrement sa forme. Elles provoquent de légères variations dans l’intensité du champ gravitationnel terrestre.

Les sciences de la Terre, le domaine que j’étudie, comportent une branche appelée géodésie qui se consacre à l’étude de la forme de la Terre et de sa position dans l’espace. La géodésie sert à tout, de la construction d’égouts à l’établissement de cartes précises de l’élévation du niveau de la mer, en passant par le lancement et le suivi d’engins spatiaux.

The Conversation

Kelly R. MacGregor reçoit des fonds de la National Science Foundation, du Keck Geology Consortium et du Minnesota Environment and Natural Resources Trust Fund (ENRTF).

19.11.2024 à 15:57

Reading dark romance: The ambiguities of a fascinating genre

Magali Bigey, Maîtresse de conférences en SIC, sémiolinguiste spécialiste de la réception de publics populaires, Laboratoire ELLIADD, Université de Franche-Comté – UBFC

What does the growing success of these provocative novels, often portraying romantic relationships tinged with violence, tell us eight years after #MeToo?
Texte intégral (1260 mots)
Un rayon qui ne cesse de s'étoffer. Fourni par l'auteur

A literary subgenre that emerged in the 2010s and gained widespread popularity in the 2020s, dark romance falls under the umbrella of unhealthy love stories. These novels often depict relationships that challenge moral and legal boundaries, raising questions about their growing appeal. What does the success of these provocative stories, frequently marked by violence and complex power dynamics, reveal about contemporary society?


Fueled by social media platforms such as TikTok – particularly under the hashtag #BookTok – the meteoric rise of dark romance underscores a shift in how narratives about love and desire are consumed. The genre’s ability to provoke intense emotional responses has captivated a predominantly young, female, and highly engaged audience. While controversial, these novels allow readers to explore forbidden or complex emotions within a controlled, fictional environment. How can society better understand this phenomenon, and more importantly, guide young readers toward critical engagement without dismissing their preferences?

A genre on the rise

The success of Fifty Shades of Grey by E.L. James in the early 2010s helped establish new romance as a dominant force in publishing, paving the way for subgenres like dark romance. Series such as 365 Days by Blanka Lipińska and Captive by Sarah Rivens have garnered millions of readers, cementing dark romance as a popular niche.

By 2023, romance accounted for 7% of the French book market, with dark romance representing a significant portion. Once relegated to the fringes, the genre is now widely available in bookstores, libraries, and even boasts its own event – the Festival New Romance in Lyon.

Central to dark romance’s success is the role of online literary communities. Platforms such as TikTok amplify these novels’ visibility through thousands of videos featuring recommendations, excerpts, and emotional analyses. Enthusiastic readers become influencers, driving interest and propelling titles to success – sometimes even before official publication. Viral sensations like Captive owe much of their popularity to this digital word-of-mouth model.

The allure of emotional intensity

Dark romance explores the murky areas of love and desire, often characterised by fraught power dynamics and implicit or explicit violence between protagonists. Yet, these stories typically have a positive, albeit complicated, conclusion.

Protagonists in these novels are often young women in submissive roles paired with dominant male characters. Despite frequent criticism for their portrayal of toxic relationships, these narratives resonate with readers by offering an emotional intensity unmatched by other romance subgenres.

For many, the appeal lies in the safe exploration of extreme emotions within a fictional framework. Similar to the thrill of horror movies, readers can experience fear, tension, or desire, knowing they remain in control of the story. This emotional catharsis may reflect broader societal unease, particularly among young people navigating conversations around gender equality, consent, and power dynamics in the post-#MeToo era.

Recognising excess without normalizing it

Contrary to fears that dark romance promotes violence or unhealthy relationships, many readers engage critically with these narratives. A 2024 study of high school students revealed that young readers often interpret such content through a lens of awareness, acknowledging the troubling dynamics while recognising their fictional nature. “It’s good to show readers the violence of these acts so they can understand how absurd it is,” one student told Arnaud Genon, a professor at INSPÉ in Strasbourg. This sentiment underscores the idea that reading these novels can foster a critical awareness of harmful behaviours rather than normalising them.

Far from being a mere incitement to violence, dark romance can serve as a tool for introspection and emotional processing – though its impact varies significantly based on the reader’s maturity and age. Concerns often arise regarding very young readers, particularly girls who may lack the emotional tools to process such content effectively. This underscores the importance of providing guidance and fostering environments where young people can discuss these narratives openly, whether with trusted individuals or within critical reading communities. Such approaches mitigate risks of superficial interpretations or unchecked immersion, especially on platforms like Wattpad, a collaborative storytelling site where moderation can be minimal.

Dark romance often serves as a form of catharsis, allowing readers to engage with powerful and conflicting emotions in a controlled and safe environment. The genre enables readers to navigate themes of control, freedom, and submission – concepts many young women grapple with amid societal pressures. Within these fictional realms, readers remain in control of the narrative, creating a boundary that separates fantasy from reality.

This exploration is particularly relevant in a society where young women are often subjected to paradoxical expectations. Dark romance provides a space to examine these tensions without real-world repercussions, making emotional engagement the cornerstone of the reader’s experience.

One of the reasons dark romance maintains its popularity is its ability to offer a sense of reassurance amid the complexities of real-world relationships. The recurring theme of the heroine “healing” her abuser or gaining control over the relationship provides a redemptive arc that appeals to readers seeking resolution. While the initial depictions of violence may be troubling, the eventual mastery and closure provide a controlled space for readers to explore challenging emotions without endorsing such behaviours in real life.

In many households, the introduction to dark romance comes from familial connections, such as mothers or older sisters sharing their own discoveries. These shared experiences often lead to discussions, fostering critical thinking and reflection on the content. In more open-minded environments, such exchanges transform reading into a communal and analytical activity, steering readers away from simplistic or potentially harmful interpretations.

Toward a more nuanced approach

Rather than condemning dark romance, society should focus on guiding its readership. Demonising the genre risks alienating young readers, while fostering open dialogue encourages critical reflection.

Teenagers often engage with these stories as a form of experimentation, rather than a desire to emulate the characters or relationships depicted. Social media reactions like “Oh, Ash is so handsome; I’d love a guy like that” are frequently playful provocations rather than genuine aspirations.

As Hervé Glevarec, a CNRS sociologist specialising in contemporary cultural practices, observes: “Cultural tastes cannot be understood independently of the context in which they are expressed; they are shaped by social situations and networks of sociability.” Dark romance, in this light, becomes an emotional playground where readers can safely explore desires, frustrations, and fantasies while remaining grounded in the understanding that these stories are fictional.

The challenge lies in ensuring young readers encounter dark romance within frameworks that encourage thoughtful engagement. When supported by open discussions and critical analysis, this provocative genre can serve as a space for readers to confront complex emotions on their terms – and ultimately dominate the narrative.

The Conversation

I advise library staff and middle and high school teachers regarding Dark Romance for young audiences

19.11.2024 à 12:36

« Kéta », « K », « Spécial K »… les usages détournés de la kétamine prennent de l’ampleur : quels sont les risques et les dispositifs de surveillance ?

Joëlle Micallef, Service de pharmacologie clinique et pharmacosurveillance, AP-HM Centre d'Évaluation et d'Information sur la Pharmacodépendance – Addictovigilance PACA-Corse Institut de Neurosciences des Systèmes (U1106), Aix-Marseille Université (AMU)

Thomas Soeiro, Service de pharmacologie clinique et pharmacosurveillance, AP-HM Centre d'Évaluation et d'Information sur la Pharmacodépendance – Addictovigilance PACA-Corse Institut de Neurosciences des Systèmes (U1106), Aix-Marseille Université (AMU)

L’usage détourné de la kétamine comme hallucinogène, psychédélique, pour le chemsex… se répand et fait régulièrement la Une, avec l’affaire Palmade ou le décès de Matthew Perry de la série « Friends ».
Texte intégral (2579 mots)

L’usage détourné de la kétamine, un médicament anesthésique, comme hallucinogène s’installe dans la population, même chez les jeunes. Ce produit peut entraîner des comportements addictifs, avec toutes les conséquences que cela implique, et peut aussi conduire à des complications sévères, notamment urinaires. Il fait l’objet de suivis par des dispositifs de surveillance spécialisés.


La kétamine est un médicament anesthésique général pour usage humain et vétérinaire, dont la première spécialité a été commercialisée en France en 1970.

Plus de 50 ans après, ce produit est aussi de plus en plus présent dans les faits divers en France ou à l’étranger pour son usage détourné. Il en a par exemple été question suite au décès de Matthew Perry, l’un des protagonistes de la célèbre série Friends. L’ampleur que prend l’usage détourné de la kétamine comme hallucinogène, bien loin de son utilisation médicale pourtant essentielle, est sans équivalents. Comment et pourquoi en est-on arrivé à une telle situation ?


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En France, les usages récréatifs explosent avec la techno des années 90

Aux États-Unis puis en Europe, les premiers cas de déviation de son usage médical vers un usage récréatif ont été décrits notamment chez des professionnels de santé (anesthésistes) ayant accès aux produits. À la fin des années 90, son usage en France gagne l’espace festif techno, où elle est proposée sous différentes appellations (Kéta, K, Kate, Spécial K, la Golden, la vétérinaire…) et consommée essentiellement par voie nasale (60-100 mg) ou orale, pour ses effets hallucinatoires.

L’usage détourné de la kétamine va également atteindre l’Asie. Elle y prendra une ampleur considérable, en particulier dans les night-clubs de Taiwan et de Hong Kong. En 2006 à Hong Kong, la kétamine est la deuxième substance psychoactive la plus consommé après l’héroïne.

Une substance sous surveillance grâce à l’addictovigilance

En France, depuis de nombreuses années, la kétamine fait l’objet de rapports nationaux d’expertise d’addictovigilance, permettant ainsi de détecter, repérer et caractériser de nouvelles pratiques d’utilisations ainsi que leurs conséquences sur la santé.

Il faut dire que la France est le seul pays en Europe à avoir mis en place depuis 1990 un dispositif de veille spécifique sur les substances psychoactives et leurs conséquences sur la santé, grâce aux treize Centres d’Évaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance-Addictovigilance (CEIP-A) qui constituent le Réseau français d’addictovigilance.

Cette analyse s’appuie sur la triangulation de plusieurs sources de données françaises, dont les déclarations de cas graves avec la kétamine (qui sont une obligation légale pour les professionnels de santé) et les données issues d’un dispositif de pharmacosurveillance appelé OPPIDUM (Observation des produits psychotropes Illicites ou détournés de leur Utilisation Médicamenteuse).

Ce dispositif permet de connaître les substances psychoactives consommées par les patients pris en charge en France dans les structures spécialisées en addictologie, grâce à un recueil effectué chaque année durant le mois d’octobre. Sur le mois d’octobre 2012, 35 patients (0,7 %) étaient des consommateurs de kétamine. Ce chiffre ne cesse de croire depuis jusqu’à attendre 107 consommateurs (2 %) lors du recueil en octobre 2023.

Une constante progression des usagers réguliers

La proportion d’usagers réguliers de kétamine est aussi en constante progression. C’est également le cas pour ceux qui augmentent les doses de kétamine et présentent des troubles de l’usage, c’est-à-dire une addiction avec la kétamine.

Cette problématique des troubles de l’usage avec la kétamine se retrouve dans les déclarations d’addictovigilance avec des usagers qui se retrouvent en difficulté avec leur consommation. Cela se manifeste par des augmentations des doses, du craving qui décrit le besoin irrépressible de consommer, des complications dans le domaine de la santé (complications urinaires, complications sur le foie, complications psychiatriques…), des conséquences financières… ce qui amène les usagers à consulter ou à être hospitalisés.

À noter dans ce contexte de troubles de l’usage avec la kétamine, des situations cliniques qui rapportent un comportement de recherche de kétamine pharmaceutique, par des passages via les services d’urgences pour obtenir de la kétamine. Ceci témoigne des passerelles qui peuvent exister entre la kétamine dite « illicite » et la kétamine pharmaceutique.

Quant au profil des usagers, il se diversifie. Certains continuent d’utiliser la kétamine dans un contexte festif ou récréatif, d’autres pour une finalité « auto-thérapeutique » (réduction de l’anxiété, bien-être, antidouleur, amélioration de l’humeur, sevrage alcoolique…) sans que l’efficacité de la kétamine dans ces indications ait été démontrée et hors de tout accompagnement médical, ce qui les expose à des effets indésirables possiblement graves et enfin, d’autres encore à visée sexuelle, notamment dans un contexte de chemsex.


À lire aussi : Du chemsex aux fêtes… La 3-MMC, cette drogue de synthèse qui gagne du terrain chez les jeunes


Une kétamine expérimentée aussi par une minorité de jeunes

De façon intéressante, trois récentes études réalisées en France sur les niveaux d’expérimentation des substances psychoactives ont inclus spécifiquement la kétamine. Leurs chiffres témoignent notamment de l’installation de l’expérimentation de kétamine en population générale mais aussi chez les jeunes.

On observe ainsi en France :

  • en 2023, une prévalence d’expérimentation de la kétamine au cours de la vie de 2,6 % (3,3 % chez les 18-24 ans, 4,8 % chez les 25-34 ans, 3,2 % chez les 35-44 ans ; sur un échantillon représentatif de 14 984 personnes âgées de 18 à 64 ans), d’après l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives OFTH.

  • une prévalence d’usage de la kétamine de 0,9 % (allant de 0,6 % à 4,7 % en fonction de la situation scolaire) quand on interroge de jeunes gens âgés de 17 ans lors de la journée défense et citoyenneté (sur un échantillon représentatif de 23 701 filles et garçons âgés de 17,4 ans), selon les données ESCAPAD 2022.

  • une prévalence d’expérimentation de la kétamine de 1,1 % (1,4 % garçons, 0,9 % filles) chez des élèves de la sixième à la terminale, d’après les données d2022 du dispositif EnCLASS.


À lire aussi : Cocaïne, ecstasy, hallucinogènes… Quels sont les comportements des jeunes face aux drogues illicites ?


Et il ne s’agit pas d’une spécificité française. Au Royaume-Uni,par exemple, l’expérimentation de la kétamine est passée de 0,5 % en 2010 à 0,8 % en 2020. Parmi les 16-24 ans, cet usage a doublé durant la même période, de 1,7 % à 3,2 %.

Gare aux complications sévères, notamment urinaires

Une abondante littérature scientifique caractérise des complications liées à la consommation de kétamine, en particulier des complications urinaires sévères (à type de cystites interstitielles) chez des consommateurs réguliers de kétamine souvent par voie nasale.

Pourtant au début, comme souvent pour tout évènement nouveau, le lien avec la kétamine fut débattu et même critiqué, avec des arguments évoquant d’autres hypothèses comme l’existence d’un produit adultérant dans la kétamine, ses modalités de préparation (chauffage de la kétamine) ou encore la synthèse d’un métabolite toxique de la kétamine par les usagers asiatiques qui présente souvent des polymorphismes génétiques.

C’est en 2007 que paraîtront les deux premiers articles scientifiques sur les complications urinaires chez des usagers réguliers de kétamine, à Hong Kong et au Canada, battant en brèche l’hypothèse du métabolite toxique liée à la population asiatique.

De façon intéressante, cette publication canadienne donnera lieu à d’autres publications par des équipes utilisant la kétamine à but médical, de façon répétée, pour traiter des douleurs complexes et relatant dans ce cadre-là également des complications urinaires.

Des études expérimentales chez l’animal amèneront un éclairage utile pour établir ce lien avec notamment la mise au point d’un modèle animal de cystites induites par l’administration répétée de fortes doses de kétamine ou encore la mise en évidence d’anomalies urinaires symptomatiques chez le rat après l’administration de la méthoxétamine, une puissante drogue de synthèse et un antagoniste des récepteurs de la NMDA comme… la kétamine.

Difficultés à uriner, mictions fréquentes…

Ces cystites se manifestent par des difficultés à uriner (dysurie), la présence de sang dans les urines (hématurie) et des mictions très fréquentes en lien avec une capacité réduite de la vessie. Elles peuvent entraîner un retentissement sur le haut appareil urinaire donc au niveau des reins, conduisant à ce que l’on appelle des hydronéphroses.

Des tableaux cliniques sévères et invalidants peuvent nécessiter des interventions chirurgicales. Ces complications sont observées en cas de poursuite de la consommation de kétamine. Dès les premiers symptômes urinaires, l’arrêt constitue pourtant le meilleur traitement.

En France, toutes ces complications cliniques en lien avec les substances psychoactives à risque d’abus (médicamenteuses ou non) sont suivies de près par les pharmacologues du Réseau français d’addictovigilance, piloté par l’Agence National de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM).

Des saisies importantes, signe de la circulation du produit

La kétamine est un produit qui circule davantage. En 2022, près de 3 000 saisies ont été réalisées en Europe, pour un total de près de 2,79 tonnes de kétamine. Elles s’inscrivent dans une dynamique croissante.

Cet usage est facilité par une diffusion accentuée de la kétamine (comme en témoignent les niveaux de saisies en augmentation au niveau européen et mondial) et une accessibilité facilitée (deal, dématérialisation par le recours aux outils numériques…).

Cette situation explique les chiffres d’exposition en population générale, ou plus spécifiquement chez les collégiens et lycéens scolarisés, et également l’augmentation des complications sanitaires liées à la kétamine en France ou ailleurs.

The Conversation

Joëlle Micallef a reçu des financements dans le cadre d'appels à projets de l'Institut pour la Recherche en Santé Publique (IReSP) et de l’Institut National du Cancer (INCa).

Thomas Soeiro a reçu des financements dans le cadre d’appels à projets du GIS EPI-PHARE.

18.11.2024 à 15:56

50 ans après, Lucy n’a pas encore révélé tous ses secrets

Jean-Renaud Boisserie, Directeur de recherche au CNRS, paléontologue, Université de Poitiers

La découverte de Lucy marque un jalon scientifique très important. Que savons-nous d’elle aujourd’hui et que reste-t-il à découvrir ?
Texte intégral (3189 mots)

Ce dimanche 24 novembre marque le cinquantième anniversaire de la découverte du fossile de l’australopithèque Lucy. Jean-Renaud Boisserie dirige un programme de recherche interdisciplinaire travaillant dans la basse vallée de l’Omo en Éthiopie et ayant pour objectif de comprendre les interactions entre les changements environnementaux et l’évolution des organismes (humains inclus) de cette vallée au cours des quatre derniers millions d’années. Spécialiste des faunes fossiles de la région où à été découvert le fossile de Lucy, il nous renseigne sur l’importance de cette découverte et sur toutes les questions qu’elle soulève encore.


The Conversation : Lucy fait partie du genre Australopithecus et notre espèce du genre Homo : quelles sont les principales différences et ressemblances et notre lien de parenté ?

Jean-Renaud Boisserie : Le genre Homo est caractérisé à la fois par un volume cérébral généralement de grande taille (plus de 600 cm3), même s’il existe des exceptions, par une bipédie obligatoire marquée par diverses adaptations (par exemple jambes longues, bras courts) qui améliore l’endurance et la rapidité des déplacements bipèdes, et par une denture relativement réduite. Bien qu’également bipèdes, Australopithecus gardait une morphologie compatible avec une bonne aptitude aux déplacements arboricoles, présentait une denture le plus souvent « mégadonte » – c’est-à-dire des dents grosses à l’émail très épais (en particulier chez les australopithèques dits « robustes », et un cerveau de taille peu différente de celle des chimpanzés et des gorilles. On sait cela notamment grâce à la découverte d’Australopithecus afarensis.

T.C. : Quelle importance a eu la découverte de Lucy, la plus célèbre représentante de cette espèce ?

J.-R. B. : Cette découverte est un jalon dans notre compréhension de l’évolution humaine en Afrique, puisqu’on se posait un certain nombre de questions avant la découverte de Lucy sur l’ancienneté du genre Homo et le rôle des australopithèques dans l’ascendance de notre genre. Avec Australopithecus africanus en Afrique du Sud, on savait qu’il existait des formes bipèdes avec un cerveau relativement réduit, mais sans dates bien établies dans les années 1970, ce qui était assez problématique.

Côté Afrique orientale, Louis et Mary Leakey avaient mis au jour des australopithèques robustes à partir de la fin des années 1950, assez bien datés vers 1,8 million d’années, ainsi que les restes d’Homo habilis, alors le plus ancien représentant du genre Homo. À partir de 1967, les travaux menés dans la vallée de l’Omo, qui pour la première fois mobilisaient des équipes importantes et pluridisciplinaires, ont permis de découvrir des restes d’australopithèques datant de plus de 2,5 millions d’années, et des restes du genre Homo à peine plus récents.

Au début des années 1970, la découverte sur les rives du lac Turkana du crâne d’Homo rudolfensis – un représentant indubitable de notre genre avec sa capacité cérébrale de près de 800 cm3 – suggérait initialement l’âge très ancien (jusqu’à 2,6 millions d’années) de notre genre et d’une capacité cérébrale importante. Une partie de la communauté scientifique, notamment la famille Leakey, pensait donc que le genre Homo constituait une branche parallèle à celle des australopithèques, qui auraient donc été des cousins éteints, mais pas nos ancêtres.

Reconstruction du squelette fossile de Lucy, Australopithecus afarensis. MNHN Paris, CC BY

La découverte d’Australopithecus afarensis, et notamment de Lucy, a clarifié ce débat. Non seulement l’âge de ces nouveaux fossiles était clairement plus ancien que 3 millions d’années, mais surtout ils incluaient des fossiles bien préservés, en particulier l’exceptionnelle Lucy. Avec 42 os, représentés par 52 fragments, à peu près 40 % du squelette est représenté. Des fossiles humains aussi complets n’étaient alors connus qu’à des périodes beaucoup plus récentes (moins de 400 000 ans).

Avec Lucy, de nombreux autres spécimens ont été découverts dans les années 1970 à Hadar, ainsi qu’à Laetoli en Tanzanie, où ces derniers étaient associés à des empreintes de pas bipèdes dans des cendres volcaniques datées de 3,7 millions d’années.

Tous ces éléments montraient qu’Australopithecus afarensis, bipède à petit cerveau, était nettement plus ancienne qu’Homo (l’âge d’Homo rudolfensis fut d’ailleurs ultérieurement réévalué à moins de 2 millions d’années). Cette espèce pouvait donc être considérée comme ancêtre commun des toutes les espèces humaines ultérieures, notre espèce, Homo sapiens, comprise. C’est devenu l’hypothèse dominante pour décrire l’évolution humaine pendant pour plusieurs décennies.

T.C. : Quelle importance a eu Lucy dans le monde ? La connaît-on partout comme en France ?

J.-R. B. : En France, c’est vrai qu’on la connaît bien parce qu’elle a été très bien présentée par Yves Coppens, un des codirecteurs de l’International Afar Research Expedition, l’équipe qui a découvert Lucy. Avec son immense talent de vulgarisateur, il a réussi à la faire adopter par le public français tout en montrant bien son importance scientifique.

Ce fut la même chose aux États-Unis, où d’autres membres de l’équipe ont mené le même travail de vulgarisation, ainsi qu’en Éthiopie. Mais cela dépasse ce cadre géographique : ailleurs en Europe, en Asie et en Afrique, elle est extrêmement connue. C’est réellement un fossile extrêmement important pour la science internationale en général.

T.C. : Lucy a été présentée comme « grand-mère de l’humanité », cela a été vrai combien de temps ?

J.-R. B. : Après cette découverte d’Austrolopitecus Afarensis qui a conduit à la considérer comme l’ancêtre commun à toutes les espèces humaines plus récentes, il y a tout d’abord eu des espèces plus anciennes qui ont été mises au jour. On connaissait dès le début des années 1970 des fossiles plus anciens, mais ils étaient rares, très fragmentaires et mal conservés.

À partir des années 1990, de nouveaux travaux dans l’Afar, à quelques dizaines de kilomètres au sud de Hadar dans la moyenne vallée de l’Awash, ont révélé la présence d’une espèce plus ancienne qui a été baptisée initialement Australopithecus ramidus, puis Ardipitecus ramidus parce qu’elle a été jugée suffisamment différente pour définir un nouveau genre. Ces restes de 4,4 millions d’années montraient qu’il y avait eu quelque chose avant Lucy et les siens, qui ne représentaient plus le stade évolutionnaire le plus ancien de l’humanité.

D’autres découvertes sont intervenues au tout début des années 2000, avec Orrorin tugenensis au Kenya, daté à 6 millions d’années ; puis Ardipithecus kadabba, de nouveau dans le Moyen Awash, daté de 5,8 à 5,2 millions d’années ; et enfin, Sahelanthropus tchadensis (Toumaï), cette fois en Afrique centrale, au Tchad, plus près de 7 millions d’années.

Australopithecus afarensis n’était donc plus l’espèce la plus ancienne, mais devint potentiellement un jalon au sein d’une lignée évolutionnaire beaucoup plus ancienne.

En parallèle, il y a eu la découverte de formes contemporaines de Lucy, attribuées cette fois à des espèces contemporaines mais différentes. Ça a été par exemple le cas d’Australopithecus bahrelghazali au Tchad, daté entre 3,5 et 3 millions d’années. Dès 1995, ces restes assez fragmentaires montraient un certain nombre de caractères qui suggèrent qu’il s’agit d’une espèce différente de celle de Lucy. D’autres ont suivi, notamment Australopithecus deyiremeda, ou encore une forme non nommée connue par un pied très primitif (« le pied de Burtele »), tous deux contemporains d’Australopithecus afarensis, et issu d’un site voisin de celui de Hadar, Woranso-Mille.

T.C. : Comment détermine-t-on qu’un fossile appartient à telle espèce ou à tel genre ?

J.-R. B. : C’est un degré d’appréciation de la part des scientifiques qui est assez difficile à tester en paléontologie. Prenez par exemple les chimpanzés : il en existe deux espèces légèrement différentes dans leur comportement et dans leur morphologie. Elles sont néanmoins beaucoup plus semblables entre elles qu’avec n’importe quelle autre espèce de grands singes et sont donc toutes deux placées au sein du genre Pan. Les données génétiques confirment largement cela.

En paléontologie, c’est plus compliqué parce qu’on a affaire à des informations qui sont parcellaires, avec la plupart du temps la morphologie pas toujours bien préservée, et finalement peu de données sur les comportements passés. On peut caractériser une partie de l’écologie de ces formes fossiles avec des approximations, et sur cette base, les informations morphologiques et une vision souvent incomplète de la diversité alors existante, on tâche de déduire des critères similaires à ceux observés dans l’actuel pour classer des espèces fossiles au sein d’un même genre.

Pour définir Ardipithecus par rapport à Australopithecus, ce qui a primé, c’est la morphologie des dents, puisque par rapport aux grosses dents à émail épais des australopithèques, Ardipithecus présentait des dents qui sont relativement plus petites, un émail plus fin et des canines relativement plus grosses.

En matière de locomotion, il y a également des différences, bien décrites en 2009. Le bassin de Lucy est très similaire au nôtre, la bipédie est bien ancrée chez Australopithecus. Par contre, chez Ardipitecus, le développement de certaines parties du bassin rappelle ce qu’on voit chez des quadrupèdes grimpeurs, par exemple les chimpanzés. Surtout, on observe un gros orteil (hallux) opposable.

Par contre, les critères sont parfois beaucoup moins objectifs. En dehors de détails mineurs des incisives et des canines, ce qui a conduit à placer Orrorin et Sahelanthropus dans des genres différents d’Ardipithecus est davantage lié au fait que ces restes ont été découverts dans d’autres régions par des équipes différentes.

T.C. : Qu’est-ce qui a changé entre notre connaissance de Lucy au moment de sa découverte et aujourd’hui ?

J.-R. B. : Les grandes lignes de la morphologie des australopithèques n’ont pas fondamentalement changé depuis cette époque-là. Australopithecus afarensis et Lucy ont permis de définir des bases qui sont toujours extrêmement solides. Par contre, même s’il y des débats sur certains fossiles, il est très probable qu’il y avait une plus grande diversité d’espèces entre 4 et 3 millions d’années que ce qu’on pensait à l’époque. Avec le fait qu’il y a également des fossiles humains beaucoup plus anciens relativement bien documentés, c’est un changement majeur par rapport à la vision acquise dans les années 1970.

T.C. :Que savons-nous du régime alimentaire de Lucy ?

L’alimentation d’Australopithecus afarensis était certainement assez diversifiée, pouvant incorporer des fruits, mais également des herbacées et peut-être des matières animales. Australopithecus afarensis a vécu au moins entre 3,8 et 3 millions d’années, soit une très longue durée, beaucoup plus importante que les possibles 300 000 ans d’existence proposés pour Homo sapiens. Il a donc fallu une bonne dose d’opportunisme pour pouvoir faire face à des changements environnementaux qui ont parfois été relativement importants au Pliocène.

Il y a diverses techniques qui s’intéressent aux dents parce que ce sont des objets complexes, constitués de plusieurs tissus et incluant des éléments chimiques dont les concentrations peuvent être liées à l’alimentation. Il y a donc des approches qui utilisent ces contenus chimiques, ainsi que d’autres qui sont réalisés sur les types d’usures liées à l’alimentation. Ces méthodes et d’autres permettront d’avoir une meilleure compréhension de l’alimentation de ces espèces anciennes.

Australopithecus afarensis, connu par plusieurs centaines de spécimens, rarement aussi complets que Lucy même si certains s’en approchent, comprenant néanmoins beaucoup de restes dentaires, de mâchoires et d’os des membres, nous offre un véritable trésor sur lequel s’appuyer pour développer de nouvelles approches et répondre aux questions en suspens.

T.C. : Quelles sont les grandes questions qui restent à étudier ?

J.-R. B. : Lucy a encore un bel avenir scientifique devant elle car elle aidera certainement à répondre à plein de questions. Ainsi la caractérisation de la locomotion et les transitions entre les différentes formes de locomotion sont toujours l’objet d’un débat.

Lucy était bipède quand elle était au sol mais son membre supérieur suggère un également une locomotion arboricole. On ne sait toujours pas, néanmoins, combien de temps passait-elle réellement dans les arbres. Et comment et à quel moment se font les transitions entre les formes aux locomotions versatiles (par exemple Sahelanthropus, à la fois bipède au sol et sans doute fréquemment arboricole) et la bipédie plus systématique des australopithèques, puis avec la bipédie obligatoire d’Homo ? Ou encore entre un cerveau de taille similaire à celui des grands singes non humains actuels et le cerveau plus développé du genre Homo ?

Car finalement, les premiers représentants du genre Homo sont surtout bien connus après 2 millions d’années. Avant 2 millions d’années, les spécimens attribués au genre Homo sont essentiellement fragmentaires et donc assez peu connus. Cette transition n’est toujours pas bien comprise, et c’est un de nos objectifs de recherche dans la basse vallée de l’Omo.

Il y a d’autres questions qui se posent au sujet des australopithèques. Comment se développaient-ils ? Est-ce qu’ils présentaient des caractéristiques du développement similaire à celle des chimpanzés, ou plus similaire à celle d’Homo sapiens, c’est-à-dire avec une croissance plus lente, plus étalée dans le temps, et donc avec des jeunes qui naissent avec des capacités amoindries, nécessitant que l’on s’en occupe beaucoup plus.

La question de la naissance est de ce point de vue très importante. Est-ce que les bébés australopithèques avaient un cerveau relativement développé par rapport à la taille finale, comme ce qu’on peut observer chez les chimpanzés, ou est-ce qu’ils avaient un cerveau plus petit comme chez nous, permettant de se faufiler dans le canal pelvien ? Avec la bipédie, le bassin a été modifié et le canal pelvien, par où les naissances doivent s’effectuer, est devenu plus étroit et tortueux. Dans cette configuration, un cerveau trop gros à la naissance coince, et ça ne marche plus. Des travaux en cours sur Lucy et d’autres spécimens apportent des éléments de réponse importants sur ce type de questions.

D’autre part, si toutes les espèces d’australopithèques contemporaines au Pliocène récent sont bien avérées, comment tout ce petit monde coexistait ? À partir de Lucy et jusqu’à relativement récemment, on a toujours eu plusieurs espèces humaines qui ont pu exister de manière contemporaine et même vivre dans les mêmes endroits. Comment est-ce que ces coexistences s’articulaient ? Pour répondre, il y a encore beaucoup de choses à découvrir sur leurs modes de vie, sur leurs écologies, sur leurs alimentations.

The Conversation

Jean-Renaud Boisserie ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

18.11.2024 à 15:52

Pourquoi les chats ont envahi Internet

Justine Simon, Maître de conférences, Université de Franche-Comté, ELLIADD, Université de Franche-Comté – UBFC

Qu’ils fassent des blagues, des câlins ou des bêtises, les images de chats circulent sans fin sur les réseaux sociaux. Mais pourquoi ces animaux ont-ils envahi nos écrans ?
Texte intégral (1834 mots)
Sur le web, impossible d'échapper aux memes mettant en scène les félins domestiques. Mr Thinktank / Flickr, CC BY

Des chats partout : en dessins, en photos, en vidéos, en GIFs, en mèmes… Ils sont devenus les véritables stars d’Internet. Qu’ils fassent des blagues, des câlins ou des bêtises, leurs images circulent sans fin sur les réseaux sociaux. Mais pourquoi ces animaux ont-ils envahi nos écrans ? Et que nous révèlent-ils sur notre société et sur le fonctionnement des plates-formes que nous utilisons au quotidien ?


Cela fait plusieurs années que j’étudie la propagation des images sur les réseaux sociaux, qu’elles soient humoristiques ou plus sérieuses. C’est dans les années 2000 que le chat est devenu un objet central de la viralité avec des formats comme les « LOLcats » (2007) et cette viralité s’est accentuée avec la montée en puissance des réseaux sociaux (comme Facebook, YouTube, Instagram et TikTok).

Au cours de ma recherche sur les #ChatonsMignons (c’est le terme que j’utilise pour désigner ce phénomène viral), j’ai relevé plusieurs aspects fascinants, comme l’utilisation symbolique du chat en politique ou sa dimension participative, lorsque des internautes créent des mèmes.

Un mème est un élément décliné massivement sur Internet et qui s’inscrit dans une logique de participation. Il peut s’agir d’un texte, d’une image (fixe ou animée), d’un son, d’une musique ou une combinaison de ces différents éléments.


À lire aussi : Le mème : un objet politique


On peut également noter le renforcement des liens sociaux que le partage d’images de chats crée, et enfin, leur capacité à générer des émotions fortes.

Le chat en politique, un symbole multiple

Les chats ne sont pas seulement mignons : ils sont aussi des symboles très puissants. En analysant un total de 4 000 publications sur Twitter, Instagram et TikTok – une veille de contenus et une recherche par mots-clés ont été menées sur une période de quatre mois (d’octobre 2021 à janvier 2022) – il est apparu que le chat pouvait revêtir de nombreux masques.

Parfois, il est un outil de mobilisation collective, parfois une arme pour la propagande politique. Par exemple, un GIF de chat noir effrayé peut symboliser la résistance politique et renvoyer à l’imaginaire anarchiste, dans lequel le chat noir incarne la révolte.

À l’inverse, Marine Le Pen utilise aussi les #ChatonsMignons pour adoucir son image dans une stratégie de dédiabolisation – c’est ce que je nomme le « catwashing » : une stratégie de communication politique qui vise à donner une image trompeuse des valeurs portées par une personnalité politique.

Le chat devient alors un symbole politique, parfois pour défendre des idées de liberté, parfois pour cacher des messages plus inquiétants.

Même Donald Trump a mentionné le félin durant la campagne présidentielle américaine, dans une formule absurde accusant les migrants de manger des chiens et des chats lors du seul débat télévisé l’opposant à Kamala Harris,créant ainsi un buzz monumental.

Cette déclaration a généré une vague de mèmes et de réactions sur les réseaux, au départ pour la tourner au ridicule, puis elle a été récupérée par les pro-Trump. Ce raz-de-marée de mèmes a pris une importance démesurée au point de faire oublier le reste du débat. On peut alors s’interroger : n’était-ce pas une stratégie volontaire de la part du camp républicain ?

La participation des internautes : un jeu collectif

Car les mèmes de chats, en particulier les célèbres « lolcats », sont devenus des éléments clés de la culture Internet participative. Ces images de chats avec des textes souvent absurdes ou mal écrits constituent une façon décalée de s’exprimer en ligne.

En partageant et en réinventant ces mèmes, les internautes s’approprient le phénomène des #ChatonsMignons pour créer une sorte de langage collectif.

L’exemple du « Nyan Cat », un chat pixelisé volant dans l’espace avec une traînée d’arc-en-ciel, montre bien à quel point les chats sont intégrés à la culture participative du web.

Nyan Cat ! [Official].

Ce mème, créé en 2011, est devenu emblématique, avec des vidéos de plusieurs heures sur fond de boucle musicale kitsch et hypnotique.

Plus récemment, le mème « Chipi chipi chapa chapa cat », apparu en 2023, a suivi une ascension virale similaire (28 millions de vues sur ces dix derniers mois pour cette vidéo), prouvant que les chats sont loin de lasser les internautes.

La culture participative pousse ces derniers à relever des défis : créer de nouveaux contenus, utiliser des références cachées et partager ces créations à grande échelle. Avec l’arrivée de plates-formes comme TikTok, ce phénomène s’accélère : chaque vidéo devient un terrain de jeu collectif. Mais ce jeu peut aussi servir des objectifs sérieux, comme dans les cas d’activisme en ligne.

Le chat, un outil de sociabilité

Ils jouent aussi un rôle important dans la manière dont les gens se connectent et interagissent en ligne, et cela ne se réalise pas que dans un registre humoristique, comme pour les mèmes. Le chat favorise ainsi un lien social qui traverse les frontières géographiques et culturelles, rassemblant des individus autour de l’amour des animaux.

Partager une photo de son propre animal domestique devient une façon de se montrer tout en restant en arrière-plan. C’est ce qu’on appelle l’extimité, c’est-à-dire le fait de rendre publics certains aspects de sa vie privée. Le chat sert alors d’intermédiaire, permettant de partager des émotions, des moments de vie, tout en protégeant son identité.

Ainsi, beaucoup de gens publient des photos d’eux en visioconférence avec leur chat sur les genoux. Ce type de contenu met en avant non seulement leur quotidien, mais aussi la relation particulière qu’ils entretiennent avec leur animal. Ces échanges dépassent la simple publication de photos de son chat ou de « selfiecats » (selfies pris avec son chat).

Il s’agit de mettre en valeur une expérience collective, où chaque interaction avec une image de chat contribue à une conversation globale. Le « selfiecat » est ainsi devenu un moyen d’exprimer et de valoriser cette complicité unique, aux yeux de tous.

Dans de nombreux cas, la relation entre l’humain et le chat est mise en avant comme une expérience partagée, créant une sociabilité numérique autour de cette humanité connectée. Les membres des communautés se retrouvent pour commenter, échanger des anecdotes ou des conseils, et ces interactions virtuelles renforcent les liens sociaux.

En ce sens, les chats deviennent plus qu’un simple objet de viralité : ils sont le ciment d’une forme de sociabilité numérique qui permet aux gens de se rassembler, de se comprendre et de se soutenir, même sans se connaître.

Les chats, une machine à émotions

Enfin, si les #ChatonsMignons sont si viraux, c’est parce qu’ils sont capables de provoquer des émotions fortes. Les chats ont un regard, une posture et des mimiques si proches de celles des humains qu’ils nous permettent d’exprimer toute une gamme d’émotions : de la joie à la frustration, en passant par l’étonnement ou la colère.

Cette puissance affective explique pourquoi ils génèrent autant de clics et de partages. Sur les réseaux sociaux, où tout repose sur l’attention et l’engagement, les chats deviennent de véritables machines à clics. Les plates-formes profitent de cette viralité pour capter l’attention des utilisateurs et monétiser leur temps passé en ligne.

Les chats ont envahi le web parce qu’ils sont bien plus que des créatures mignonnes. Ils sont des symboles, des outils de participation, des créateurs de liens sociaux et des déclencheurs d’émotions. Leur succès viral s’explique par leur capacité à s’adapter à toutes ces fonctions à la fois. En fin de compte, les #ChatonsMignons nous apprennent beaucoup sur nous-mêmes, nos besoins d’expression et la manière dont nous interagissons dans un monde hyperconnecté.


Justine Simon est l’autrice de « #ChatonsMignons. Apprivoiser les enjeux de la culture numérique », paru aux éditions de l’Harmattan.

The Conversation

Justine Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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