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08.04.2025 à 16:35
Librairies françaises : un rôle culturel essentiel dans une économie instable
Texte intégral (1858 mots)
Désormais rebaptisé Festival du livre de Paris, le Salon du livre va se tenir du 11 au 13 avril dans la capitale. L’occasion de prendre le pouls du secteur de la librairie. L’effet Covid semble passé et les libraires doivent faire face à un redoutable effet ciseau. Dans ce commerce pas comme les autres, cela menace leur viabilité financière, mais aussi, pour de nombreux indépendants du secteur, leur raison d’être.
Avec le Festival du livre du Paris, qui ouvre les portes du Grand Palais, du 11 au 13 avril 2025, les projecteurs sont évidemment braqués sur l’état de santé du secteur du livre. C’est l’occasion de faire le point sur les librairies. En déclin, pas rentables, résilientes, résistantes, fragiles, essentielles, tous les qualitatifs ont été utilisés ces dernières années pour qualifier les librairies. Mais où en sont-elles vraiment ?
En juin dernier, lors des Rencontres nationales de la librairie à Strasbourg, Xerfi a comme chaque année publié les principaux résultats de son étude sur la santé économique et financière des librairies. La tonalité de ces résultats a particulièrement détonné.
Le commerce le moins rentable de France
Alors que la période qui a suivi la pandémie (2021 et 2022) avait pu laisser croire que le rebond n’était pas que conjoncturel et que l’embellie alors observée s’installerait durablement, les prévisions du cabinet xerfi ont douché l’ambiance de la salle remplie de librairies lors de la présentation en juin 2024.
Avec une rentabilité moyenne de 1 %, la librairie continue en effet à être le commerce le moins rentable de France, loin derrière l’optique, la maroquinerie ou la parfumerie. Les principaux ratios de gestion sont tous à la peine : le chiffre d’affaires ralentit, les achats et charges externes (transport, banques, loyers notamment) et la masse salariale ont augmenté, le résultat brut d’exploitation atteint son plus bas niveau depuis 2018. Les auteurs de l’étude prévoyaient alors l’installation dans le temps d’un effet ciseau (diminution d’activité et augmentation des charges) conduisant à la fragilisation du tissu de librairies, synonyme de rentabilité négative et de fermetures.
Ces perspectives ont été abondamment reprises par les médias, soulignant les tensions sur la trésorerie, la grise mine des librairies et leur économie sur le fil du rasoir.
À lire aussi : À quoi ressembleront les librairies de demain ?
Un tissu fragile
Qu’en est-il finalement des librairies au printemps 2025, presque un an après ces prévisions alarmantes ? À Riga (Lettonie), où les libraires de tous les pays se réunissaient en mars dernier pour leur conférence annuelle, les libraires français venus en délégation évoquent le climat d’inquiétude qui ouvre chaque réunion depuis le début d’année.
Cette perception se confirme dans les chiffres, quelle que soit leur source.
L’observatoire de la librairie montre une année 2024 en légère régression (environ -1 %) et un début d’année 2025 franchement au ralenti (environ -3 %). La mise à jour de l’étude Xerfi en février 2025 indique que les grandes librairies et les chaînes résistent mieux que les librairies de moindre envergure. Quand les premières ont vu leur activité diminuer de 1 % en 2024 (-2 % prévus pour 2025), les secondes ont déjà subi une baisse de 2 % en 2024 (-4 % prévus en 2025).
Toutes subissent la fragilisation de l’activité, mais les moins grandes sont davantage exposées. Les prévisions économiques sont elles aussi pessimistes : avec une activité qui stagne voire régresse et des charges qui augmentent, l’effet ciseau annoncé est manifeste. Fatalement, les résultats d’exploitation se réduisent encore, bien qu’ils soient déjà structurellement faibles.
Alors que les librairies ont vu leurs parts de marché dans la vente de livres se relever depuis une dizaine d’années selon les chiffres du ministère de la culture (passant de 21,5 % en 2013 à 23,7 % en 2023), elles sont plus que jamais en péril. Contrairement aux prévisions du début des années 2000, les librairies ont réussi à s’adapter aux nouvelles conditions de l’activité en développant notamment une activité hybride et omnicanale. Mais elles font face, maintenant, à une pression économique très forte qui met en question leur modèle. Leur place à part dans l’économie française résistera-t-elle encore ?
Une année 2025 compliquée
Le contexte de l’année 2025 semble plus que compliqué. Amazon a attaqué le décret d’application de la loi Darcos au Conseil d’État et cherche encore et toujours à lutter contre la régulation publique du secteur. Le changement des règles du jeu du dispositif du Pass culture, depuis le 1ᵉʳ mars, a suscité beaucoup d’inquiétudes de la part des libraires devant les probables pertes d’activité engendrées par les nouvelles modalités.
Le rythme des créations et reprises de librairies de ces dernières années, particulièrement dynamique, signe d’un secteur encore attractif, semble lui aussi ralentir.
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Outre ces faits marquants, une autre tendance perturbe le marché du livre et l’activité des librairies : le ralentissement très net des ventes de bande dessinées (BD). Alors que les librairies et l’ensemble des acteurs avaient profité jusque-là de l’explosion des ventes de BD (comics, mangas et BD) particulièrement fortes depuis la pandémie, ce secteur semble être davantage à la peine : l’activité a diminué de 9 % en 2024. Ce ralentissement n’est pas contrebalancé par le rebond des ventes de poésie signalé depuis quelque temps déjà.
Il est difficile à ce stade de vraiment savoir si ce ralentissement relève d’une « turbulence passagère de plus » ou d’un « problème structurel qui va s’enkyster ». Les libraires ont appelé, lors des Rencontres nationales de Strasbourg, à une prise de conscience de tous les acteurs du livre, et notamment des éditeurs, pour revaloriser les conditions commerciales. Un an après, où en sont les avancées ?
La promotion de la diversité culturelle
Les stocks des librairies atteignent un niveau bas, autour de 14,4 % pour 2025 : c’est le niveau le plus bas depuis 2016 (en dehors des deux années 2021 et 2022 liées à la pandémie). C’est certainement l’effet de l’optimisation de la gestion des librairies pour s’adapter aux contraintes économiques. Or, le stock d’une librairie – qu’on appelle aussi le fonds d’une librairie – participe aussi de son identité, son ADN culturel et reflète son rôle culturel.
Pourtant, malgré ces enjeux économiques et financiers prégnants, la librairie continue à jouer un rôle actif d’intermédiaire culturel. Une étude que nous avons menée avec Nicolas Guilhot à partir des données de l’Observatoire du syndicat de la librairie française montre ainsi que les libraires font face à un flux de nouveautés dont les chiffres sont étourdissants. Ainsi, le nombre de nouveautés vendues en librairie a augmenté de 4 % depuis 2017, malgré un léger fléchissement depuis la pandémie. Plus de 67 000 nouvelles références ont été vendues en 2023.
L’ampleur de la production est telle que, en 2023, les librairies ont vendu plus de 46 000 romans différents et 28 000 BD différentes. Pour un libraire travaillant dix années, le nombre de nouveaux romans à lire et connaître est de 53 000, c’est une quantité assez extraordinaire de nouveaux textes auxquels les libraires sont confrontés. Il faut rajouter à cela bien sûr 30 000 BD et 30 000 albums jeunesse, car la vie des libraires ne se limite bien souvent pas à la littérature.
Un rôle culturel et de curation
Et pourtant, face à ce flux énormissime de nouveautés, qualifié par la journaliste Claire Lecœuvre de « gâchis et de danger écologique », les libraires jouent encore un véritable rôle culturel et de curation. Les ventes ne se concentrent pas uniquement sur les nouveautés dites fraîches (de moins de 3 mois) : les ventes de catalogue (supérieures à 2 ans) restent pour la BD et la jeunesse très fortes (entre 44 % et 46 % du total des ventes de ces segments) et moindres mais malgré tout encore dominantes pour la littérature (34 %).
Le poids du catalogue (c’est-à-dire les titres anciens mais toujours intéressants) marque ainsi le travail des libraires pour ne pas subir la « best-sellerisation » et le primat des ventes issues des prix littéraires ou de la pression des médias. Ainsi, malgré des enjeux économiques compliqués et un cycle de production qui favorise les grandes ventes médiatisées, les libraires arrivent à faire vivre des titres à plus faible rotation, portés par des auteurs moins connus et des éditeurs bien souvent indépendants. Ils continuent encore à jouer un rôle en faveur de la diversité culturelle, mais pour combien de temps ?

David Piovesan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
08.04.2025 à 16:34
Formation professionnelle : bilan mitigé pour le plan d’investissement des compétences
Texte intégral (1747 mots)

En 2017, le Plan d’investissement des compétences (PIC) avait pour intention de transformer en profondeur le système de formation en France, tout en réussissant l’insertion professionnelle des citoyens éloignés de l’emploi. Le bilan en 2025 est mitigé. Étude de cas avec le projet la Locomotive, en Maine-et-Loire et en Alsace, auprès de 2 000 personnes sans emploi, accompagnées pendant dix mois.
En 2017, la ministre du travail Muriel Pénicaud appelle de ses vœux à l’édification d’une société de compétences, afin « d’armer nos concitoyens » face aux défis de l’évolution du marché du travail. Lancé en 2018, le Plan d’investissement dans les compétences (PIC) vise à former, dans toute la France, un million de jeunes éloignés du monde du travail et un million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés. Issu du rapport de Jean Pisani-Ferry, il ambitionne de répondre aux demandes des métiers en tension, d’anticiper les besoins en compétences associés aux transitions écologique et numérique.
Ce plan, par l’accompagnement de publics très hétérogènes, vise à agir auprès des personnes « les plus vulnérables ». L’objectif pour le ministère du travail : favoriser leur « inclusion » par l’expérimentation de « nouvelles approches de remobilisation, de développement et de valorisation des compétences de ces publics ». Avec près de 13,8 milliards d’euros de budget, il est piloté par le ministère du travail pour une durée de cinq ans. Structurés en plusieurs axes d’intervention, une grande part des fonds sont alloués à une intervention à l’échelle régionale et à différents dispositifs nationaux, ainsi qu’à des appels à projets expérimentaux nationaux.
Au terme du plan, le bilan est mitigé et critique. C’est ce que relève la Cour des comptes dans son rapport d’évaluation du PIC, publié en janvier 2025.
Un bilan critique
Le constat de la Cour des comptes est cinglant. Elle considère que le PIC n’a pas atteint ses objectifs, car « la société de compétences a été laissée de côté ».
« L’entrée centrée sur la formation et les compétences des publics peu ou pas diplômés a laissé place à une approche plus sociale et globalisante visant les publics éloignés de l’emploi. »
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Les travaux de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) confirment eux aussi ce constat. Ils mettent en exergue que les projets régionaux financés ont rencontré des difficultés de double nature : à la fois liées au « sourcing » dans les formations proposées et aux freins sociaux des publics accompagnés, limitant leur entrée en formation.
L’expérimentation de la Locomotive
L’évaluation de l’une des expérimentations du Plan d’investissement dans les compétences (PIC) montre également les enjeux et limites rencontrés localement par les porteurs de projets.
La Locomotive est lauréate de l’appel à projet 100 % Inclusion. Ce projet est déployé en Maine-et-Loire et en Alsace. Il est porté par un consortium de 33 structures – principalement des associations –, issues des champs de l’emploi-insertion et de l’animation sociale. Il a pour finalité d’accompagner socialement et professionnellement 2 000 personnes sans emploi pendant dix mois.
Le profil de ces personnes est hétérogène : en situation d’isolement, ne recourant pas à leurs droits, citoyens, ne bénéficiant d’aucun accompagnement socioprofessionnel, jeunes à la recherche d’un projet professionnel, etc. Les accompagnements réalisés représentent un « espace-temps » de socialisation et d’entraide pour réinvestir un collectif et retrouver un rythme au quotidien. De facto, les temps collectifs se concentrent en partie sur les freins à l’emploi en complément de rendez-vous individuel avec un professionnel référent.
Accompagnement social davantage que professionnel
Dans le cadre de son financement, la Locomotive est soumise à une évaluation en partie liée aux taux d’insertion professionnelle – 500 personnes – ou d’entrée en formation des publics – 200 personnes. Ces objectifs ont été menés à terme.
Cependant, les acteurs professionnels font part de la complexité qu’entraînent les enjeux d’évaluation spécifique à ce programme. Lesquels ? L’insertion professionnelle des publics à court terme – parcours de dix mois – et l’accompagnent des publics dont l’employabilité ne semble envisageable qu’à moyen, voire long terme, au regard des difficultés rencontrées.
Ces enjeux font écho au constat dressé par la Cour des comptes relative à l’approche sociale du PIC. La Locomotive a davantage permis de proposer des accompagnements sociaux et des parcours individualisés aux publics, qu’une réelle orientation, voire un engagement, dans des actions de formations qualifiantes ou certifiantes des publics.
Challenger France Travail, CAP Emploi et les missions locales
Au travers du PIC, l’État a eu la volonté d’ouvrir le champ d’intervention de l’insertion professionnelle à de nouvelles structures.
L’idée est de faire émerger de nouvelles pratiques d’accompagnement innovantes des personnes éloignées du marché du travail. Il s’agissait en creux de « challenger les trois opérateurs historiques des politiques d’aide à l’insertion professionnelle », c’est-à-dire France Travail, CAP Emploi et les missions locales.
Les structures participant à la Locomotive sont intervenues dans les territoires d’actions en addition à l’existant. Les antennes locales de France Travail et de CAP Emploi n’ont pas été impliquées dans les actions mises en œuvre. En agissant en « additionnalité », il a été nécessaire aux acteurs impliqués d’agir sans entrer en concurrence avec les opérateurs du service public de l’emploi et les dispositifs préexistants. Conclusion : les accompagnements réalisés sont devenus plus complexes. Le consortium a également peiné à mobiliser et intégrer au projet le tissu et les acteurs économiques locaux pourtant en demande de main-d’œuvre.
Limites des appels à projet
La dimension expérimentale du PIC a révélé plusieurs limites. Premièrement, les financements temporaires ont engendré une vision à court terme du projet, limitant ainsi l’engagement de certaines structures. La majorité d’entre elles ont recruté des professionnels en contrat à durée déterminée (CDD) pour l’accompagnement, entraînant une rotation importante des personnels. Cette précarité a eu des répercussions sur les accompagnements, qui nécessitent une présence durable des intervenants pour établir une relation de confiance avec les personnes accompagnées.
Deuxièmement, à la fin de l’expérimentation, les personnes accompagnées ne bénéficient plus du projet et de ses actions sur les territoires. La logique du PIC, basée en partie sur des appels à projets, oblige les structures de la Locomotive à anticiper la fin des financements. Elles doivent rechercher de nouveaux appels à projets auxquels candidater pour pérenniser les actions. Les structures associatives sont donc en constante recherche de financements, ce qui peut fragiliser leur capacité à inscrire leurs actions dans le temps long et de manière plus durable au sein des territoires.
Ce dernier constat fait écho aux conclusions du rapport du Conseil économique social et environnemental (Cese) sur le financement des associations en 2024. La baisse de la part des subventions, la hausse des commandes publiques et les appels à projets poussent les associations à avoir un système de gestion court-termisme entraînant une double conséquence : dénaturation et perte de sens de leur action.

Lisa Colombier est doctorante à l'Université de Strasbourg, ayant reçu des financements de la Caisse des dépôts dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences.
Aurélien Martineau est géographe, chercheur associé et membre de l'UMR CNRS ESO-Angers 6590, ayant reçu des financements de la part de la Caisse des dépôts dans le cadre du Plan d'Investissement dans les Compétences.
08.04.2025 à 16:33
Afrique : comment les drones de livraison pourraient transformer les prévisions météo
Texte intégral (2152 mots)

Alors que les données météo manquent cruellement en Afrique, une idée fait son chemin. Celle d’utiliser les drones, de plus en plus nombreux dans les ciels du continent pour livrer par exemple des médicaments. Car ces derniers peuvent fournir également de nombreuses données météo.
Un drone fend le ciel au-dessus des plaines ensoleillées d’Afrique de l’Ouest. Ses hélices vrombissent doucement dans l’air chaud de l’après-midi. Au sol, un agriculteur suit du regard l’appareil qui survole son champ, où ses cultures peinent à se développer, à cause d’un épisode de sécheresse. Comme la plupart des paysans de cette région, il ne peut compter que sur les précipitations, de plus en plus irrégulières et imprévisibles. Ce drone qui passe pourrait-il changer la donne ? Peut-être.
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Une véritable explosion des drones de livraison en Afrique
Nés dans divers contextes civils et militaires (photographie, surveillance, cartographie…), les drones connaissent aujourd’hui une expansion fulgurante en Afrique, surtout pour la livraison de produits de première nécessité dans des zones difficiles d’accès. Parmi eux, la société états-unienne Zipline et les Allemands de Wingcopter sont particulièrement actifs au Rwanda, au Ghana, au Nigeria, au Kenya, en Côte d’Ivoire et au Malawi, où ils transportent du sang, des vaccins, des médicaments ou encore du matériel médical.
Mais ce que l’on sait moins, c’est que ces drones portent aussi en eux un potentiel météorologique : au fil de leurs livraisons, et afin de sécuriser les vols et planifier efficacement leur route, ils enregistrent des données sur la vitesse du vent, la température de l’air ou la pression atmosphérique.
Un manque criant de données météo
Pourquoi ces informations sont-elles si précieuses ? Parce qu’en matière de prévision météo, l’Afrique souffre d’un déficit majeur. Par exemple, alors que les États-Unis et l’Union européenne réunis (1,1 milliard d’habitants à eux deux) disposent de 636 radars météorologiques, l’Afrique – qui compte pourtant une population quasi équivalente de 1,2 milliard d’habitants – n’en possède que 37.
Les raisons derrière cela sont multiples : budgets publics en berne, manque de moyens techniques, mais aussi monétisation progressive des données, rendant l’accès à l’information plus difficile. La question du financement et du partage de ces données demeure pourtant cruciale et devient un enjeu majeur pour la sécurité alimentaire et la gestion des risques climatiques.
À lire aussi : Le paradoxe des données climatiques en Afrique de l’Ouest : plus que jamais urgentes mais de moins en moins accessibles
La « collecte opportuniste » de données météo
Dans ce contexte, chaque nouveau moyen de récupérer des informations est un atout. Or, si les drones de livraison africains ont d’abord été pensés pour desservir des lieux isolés, ils permettent aussi des relevés météo dits « opportunistes » effectués en marge de leurs missions, dans une logique comparable aux relevés « Mode-S EHS » transmis par les avions de ligne depuis des altitudes beaucoup plus importantes. Zipline affirme ainsi avoir déjà compilé plus d’un milliard de points de données météorologiques depuis 2017. Si ces relevés venaient à être librement partagés avec les agences de météo ou de climat, ils pourraient ainsi, grâce à leurs vols à basse altitude, combler les lacunes persistantes dans les réseaux d’observation au sol.
La question du partage reste toutefois ouverte. Les opérateurs de drones accepteront-ils de diffuser leurs données ? Seront-elles accessibles à tous, ou soumises à des accords commerciaux ? Selon la réponse, le potentiel bénéfice pour la communauté scientifique et pour les prévisions météorologiques locales pourrait varier considérablement.

Les drones déjà destinés à la météo
L’idée d’utiliser des drones destinés aux observations météo n’est pas neuve et rassemble déjà une communauté très active composée de chercheurs et d’entreprises. Des aéronefs sans équipage spécifiquement conçus pour la météorologie (appelés WxUAS pour Weather Uncrewed Aircraft Systems) existent déjà, avec des constructeurs comme le Suisse Meteomatics ou l’états-unien Windborne qui proposent drones et ballons capables de fournir des relevés sur toute la hauteur de la troposphère. Leurs capteurs de pointe transmettent en temps réel des données qui nourrissent directement les systèmes de prévision.
Selon les conclusions d’un atelier organisé par Météo France, ces observations contribuent déjà à améliorer la qualité des prévisions, notamment en réduisant les biais de prévision sur l’humidité ou le vent, facteurs clés pour détecter orages et phénomènes connexes. Pourtant, les coûts élevés, l’autonomie limitée et les contraintes réglementaires freinent encore une utilisation large de ces drones spécialisés.
Or, les appareils de livraison déployés en Afrique ont déjà surmonté une partie de ces défis grâce à leur modèle économique en plein essor, à un espace aérien moins saturé et à une large acceptation sociale – car ils sauvent des vies.
Fiabilité des données : des défis mais un fort potentiel
Reste la question de la fiabilité. Même si les drones de livraison captent des variables essentielles (vent, température, pression…), on ne peut les intégrer aux systèmes de prévision qu’à condition de valider et d’étalonner correctement les capteurs. Mais avec des protocoles rigoureux de comparaison et de calibration, ces « données opportunistes » pourraient répondre aux exigences de la météo opérationnelle et devenir un pilier inédit de la surveillance atmosphérique.
Leur utilisation serait d’autant plus précieuse dans les zones rurales, en première ligne face au changement climatique. Là où les stations au sol manquent ou vieillissent, les survols réguliers des drones pourraient fournir des relevés indispensables pour anticiper épisodes secs, orages violents ou autres phénomènes météo extrêmes.
À lire aussi : VIH : et si les drones servaient aussi à sauver des vies ?
L’essor d’initiatives locales
Parallèlement, des initiatives émergent pour démocratiser l’accès à la technologie drone. Au Malawi, par exemple, des projets universitaires (dont EcoSoar et African Drone and Data Academy) montrent que l’on peut construire à bas coût des drones de livraison efficaces à partir de matériaux simples (mousse, pièces imprimées en 3D). Cette démarche ouvre la voie à une potentielle collecte de données météo supplémentaires, accessible à des communautés qui souhaitent mieux comprendre et anticiper les aléas climatiques.
Coopération internationale et perspectives
À une échelle plus large, l’Organisation météorologique mondiale (OMM) mène la campagne Uncrewed Aircraft Systems Demonstration Campaign (UAS-DC), réunissant des opérateurs publics et privés autour d’un même objectif : intégrer les drones dans le réseau mondial d’observation météorologique et hydrologique. Les discussions portent sur la définition des mesures fondamentales (température, pression, vitesse du vent, etc.), et l’harmonisation des formats de données et sur leur diffusion pour que ces mesures soient immédiatement utiles aux systèmes de prévision.
Cependant, ces perspectives ne deviendront réalité qu’au prix d’une coopération poussée. Entre acteurs publics, opérateurs de drones et gouvernements, il faudra coordonner la gestion, la standardisation et, surtout, le partage des informations. Assurer un libre accès – au moins pour des organismes à but non lucratif et des communautés rurales – pourrait transformer ces données en un levier majeur pour la prévision et la résilience climatiques.
Qu’ils soient opérés par de grandes sociétés ou construits localement à moindre coût et s’ils continuent d’essaimer leurs services et de collecter des relevés, les drones de livraison africains pourraient bien inaugurer une nouvelle ère de la météorologie sur le continent : plus riche, plus précise et, espérons-le, plus solidaire – grâce à des modèles économiques soutenables, à l’utilisation déjà effective de données météo embarquées et à la créativité citoyenne qui émerge un peu partout.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
08.04.2025 à 11:51
Des centenaires et supercentenaires toujours plus nombreux : va-t-on repousser les limites de la longévité ?
Texte intégral (2142 mots)
Le nombre des centenaires s’est considérablement accru. De nouvelles classes d’âges, les plus de 105 ans et même les plus de 110 ans ou « supercentenaires », ont émergé. Cela veut-il dire que les limites de la longévité vont être repoussées ? Une base de données hébergée par l’Ined rassemble les cas validés de personnes décédées à plus de 105 ans dans une douzaine de pays. Son analyse apportera des éléments de réponse.
Jusqu’à aujourd’hui, quatre personnes seulement au monde sont reconnues comme ayant vécu plus de 118 ans. Parmi elles, figurent deux Françaises : Jeanne Calment, qui a atteint 122 ans et 5 mois et, plus récemment, Lucile Randon, décédée en 2023 à près de 119 ans (118 ans et 11 mois). Bien qu’ils soient parfois contestés, ces âges très élevés ont été validés par les chercheurs sur la base de divers certificats d’état civil ou documents administratifs.
Dans l’histoire des sociétés humaines, la survie aux très grands âges a toujours fasciné. Mais au-delà des cas extrêmes, et finalement anecdotiques, l’accroissement du nombre des personnes très âgées mérite d’être souligné.
Arrêtons-nous ici plus particulièrement sur le cas de la France.
Trente fois plus de centenaires qu’en 1970 !
Dans tous les pays où les données ont pu être validées, les personnes qui vivent au-delà de 100 et même de 110 ans sont de plus en plus nombreuses et partout le nombre de femmes est largement supérieur à celui des hommes.
En France, le nombre de centenaires dépassait 30 000 personnes en 2024. C’est 30 fois plus qu’en 1970 ! Et si l’hypothèse d’une poursuite des tendances actuelles de mortalité se confirme, l’Insee projette plus de 200 000 centenaires en France en 2070.
Baisse de la mortalité des enfants au cours du XXe siècle
En Europe, la réduction drastique de la mortalité des enfants et des jeunes adultes, observée à la fin du XIXe siècle et tout au long du XXe siècle, a permis à des survivants de plus en plus nombreux d’atteindre 70 ou 80 ans. Auparavant, la très forte mortalité infantile, essentiellement due aux maladies infectieuses, puis des risques de décès élevés tout au long de la vie réduisaient rapidement l’effectif des générations (Caselli Graziella, Meslé France et Vallin Jacques, 1999).

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Jusqu’au milieu du XXe siècle, seule une part infime pouvait espérer devenir nonagénaire et a fortiori centenaire. L’augmentation du nombre de centenaires est réellement devenu spectaculaire après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, lorsque les générations nées dans les dernières décennies du XIXe siècle, qui avaient bénéficié des progrès sanitaires tout au long de leur vie, ont atteint des âges avancés.
Autour d’une centaine en France en 1900 et encore limité à 200 en 1950, le nombre de centenaires s’établissait déjà à plus de 1 000 en 1970 pour atteindre plus de 8 000 en 2000.
La nécessité de valider les données disponibles
Au sein même des centenaires, les années récentes ont vu s’imposer une nouvelle classe d’âge, les 105 ans ou plus dont le nombre était estimé à près de 2 000 au 1er janvier 2023. À ces âges très avancés, où les effectifs sont encore faibles et où l’âge déclaré au recensement peut être imprécis, le dénombrement des personnes vivantes est difficile.
C’est là tout l’intérêt de l’International Database on Longevity (IDL), une base de données constituée par un groupe international de chercheurs et hébergée à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Elle a pour but de fournir des données validées sur les décès survenus à l’âge de 105 ans ou plus dans des pays à statistiques fiables.
Dans cette base, les décès rassemblés à partir de sources exhaustives sont soumis à une stricte procédure de validation des âges. Cela consiste à vérifier que la date de naissance et les identifiants figurant dans l’acte de décès correspondent à ceux donnés par l’acte de naissance.
Dans le cas de la France, les données proviennent du Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP), un fichier géré par l’Insee qui contient la liste nominative des personnes, nées en France ou nées à l’étranger, disposant d’un numéro de sécurité sociale.
Pour tous les individus décédés à 110 ans ou plus et pour un échantillon des personnes décédées entre 105 et 109 ans, les caractéristiques mentionnées dans le RNIPP (date de naissance, date de décès, lieu de naissance, lieu de décès) sont vérifiées en les confrontant aux actes authentiques d’état civil (naissance et décès).
Si, à moins de 110 ans, les erreurs sont rares (0,7 %), la vérification des décès à 110 ans ou plus amène à exclure un plus grand nombre de cas (de l’ordre de 8 %).
L’augmentation des personnes qui vivent 105 ans ou plus
Les données du RNIPP montrent donc l’évolution du nombre de décès validés à l’âge de 105 ans ou plus (Figure 1). Bien sûr, ce nombre est encore dérisoire (moins de 0,15 % des décès) quand on le compare aux plus de 600 000 décès observés chaque année en France. Mais son explosion est spectaculaire. Limité à quelques individus jusqu’à la fin des années 1980, il augmente très vite pour atteindre 924 en 2020.
En 2021 et 2022, ce nombre baisse. Mais il ne faut pas y voir une diminution de la probabilité d’atteindre l’âge de 105 ans. C’est simplement l’arrivée à cet âge des classes creuses nées durant la Première Guerre mondiale.
L’effondrement des naissances (plus de 40 %), enregistré à partir de 1915 et jusqu’en 1919, se répercute encore 105 ans plus tard avec des générations aux effectifs plus réduits. Si la baisse n’est pas visible dès 2020, cela tient sans doute au fait que les décès de cette année-là ont été amplifiés par l’épidémie de Covid-19.
Une surmortalité masculine tout au long de la vie
L’immense majorité des personnes décédées à 105 ans ou plus sont des femmes (843 femmes et 81 hommes en 2020). Soit 10 fois plus de femmes que d’hommes ! Ce ratio impressionnant tient entièrement à la surmortalité masculine, qui prévaut tout au long de la vie, notamment aux âges actifs, et qui réduit d’autant les effectifs des générations masculines par rapport à leurs homologues féminines.
La natalité joue à l’inverse puisqu’il naît chaque année un peu plus de garçons que de filles. Quant à l’immigration, qui pourrait modifier le rapport entre sexes, elle n’entre pas en ligne de compte puisque seules les personnes nées en France sont prises en compte dans l’International Database on Longevity.
Dans la pyramide des décès par âge après 105 ans (Figure 2), la prépondérance féminine est encore plus spectaculaire. On y voit clairement le contraste entre le grand nombre de décès féminins et le nombre beaucoup plus réduit de décès masculins. On y observe aussi la concentration des décès des hommes aux âges les plus « jeunes », les barres masculines devenant à peine visibles au-delà de 108 ans.
Y a-t-il un plafond de longévité ?
Au-delà de la comptabilisation de cas vérifiés et de la validation des âges extrêmes atteints par quelques individus, les démographes s’intéressent aux décès à 105 ans ou plus pour affiner leurs estimations des risques de décès aux très grands âges.
S’il est désormais possible de tracer précisément la courbe de mortalité par âge jusqu’à 100 ans (dans les générations 1901-1905, une femme âgée de 100 ans avait un risque sur trois de mourir dans l’année), les risques de décès sont encore fluctuants et incertains au-delà, particulièrement pour les hommes.
À ces âges avancés, les nombres d’observations restent encore insuffisants pour trancher le débat entre les partisans d’une augmentation exponentielle de la mortalité, telle qu’observée aux âges plus jeunes, et les tenants de l’hypothèse d’un ralentissement ou même d’une stagnation aboutissant à un plateau de mortalité.
En d’autres termes, on ne sait pas si, au-delà de 105 ans, le risque de décès augmente encore très vite avec l’âge ou s’il plafonne.
La collecte de données vérifiées, de plus en plus nombreuses et fiables, disponibles dans l’International Database on Longevity, devrait permettre, dans les prochaines années, d’analyser avec moins d’incertitude la forme de la courbe de mortalité aux très grands âges et d’apporter des éléments de réponse sur l’existence, ou non, d’un plafond de longévité.
Laurent Toussaint, consultant indépendant, est également coauteur de cet article.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
08.04.2025 à 11:51
Vivre plus longtemps, mais moins bien ? Les inégalités qui pèsent sur le grand âge
Texte intégral (2474 mots)
L’allongement de la vie ne correspond pas toujours à une amélioration de la qualité de vie quand les seniors perdent leur autonomie. Des travaux menés à partir de données européennes montrent que les inégalités socioéconomiques ainsi qu’une variabilité dans la qualité des soins, en particulier en maison de retraite, entrent en ligne de compte.
Avec l’allongement de l’espérance de vie, de nouvelles questions émergent quant à la qualité de cette vie prolongée. Alors que l’on pourrait s’attendre à ce que la longévité soit synonyme de meilleure qualité de vie, nous avons mené plusieurs recherches, en nous appuyant sur une base de données européenne, qui démontrent une réalité bien plus complexe et contrastée.
Nous avons étudié des paramètres qui impactent la qualité de vie quand on avance en âge, comme les inégalités socioéconomiques et la variabilité dans la qualité des soins qui sont prodigués dans les maisons de retraite en Europe. Nous nous sommes également intéressés à la perception que les personnes âgées pouvaient avoir de leur lieu de vie, qu’elles résident à leur domicile ou en maison de retraite.
Une combinaison d’inégalités pour les plus pauvres
Dans une recherche publiée dans la Revue française d’économie, nous nous concentrons sur l’impact du statut socioéconomique sur la perte d’autonomie à un âge avancé. Cette étude révèle des disparités profondes et persistantes entre les groupes socioéconomiques, au détriment des personnes issues de milieux socioéconomiques défavorisés.
L’une des découvertes clés de cette recherche est l’existence d’une « triple peine » pour les individus les plus pauvres.
D’abord, ces personnes pâtissent d’une espérance de vie plus courte (selon les pays, l’écart peut aller de 4 à 7 ans d’espérance de vie). De plus, elles passent plus de temps dans un état de dépendance et, enfin, elles rencontrent davantage de difficultés en fin de vie (comme être capable de s’habiller, se laver ou se faire manger seules).

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Cette combinaison d’inégalités est particulièrement préoccupante. Elle signifie en effet que les personnes issues de milieux défavorisés vivent non seulement moins longtemps, mais aussi que leur qualité de vie en fin de parcours est significativement dégradée par rapport à celles des groupes socioéconomiques plus aisés.
À noter que dans nos travaux de recherche, nous avons utilisé des données provenant d’une grande enquête longitudinale : « Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe » (SHARE). Ces données permettent d’analyser les trajectoires de santé des individus au fil du temps, ce qui est crucial pour comprendre l’évolution de la perte d’autonomie.
Vivre chez soi ou en maison de retraite : quelle perception des personnes âgées ?
Alors que nous constatons que l’accès aux maisons de repos diffère selon le patrimoine des personnes interrogées (les personnes les plus riches seraient celles qui évitent davantage la maison de retraite), nous étudions l’impact de ce lieu de vie sur leur bien-être.
En effet, dans une autre étude très récente, nous explorons les préférences des personnes âgées quant à leur lieu de vie. Le désir de vieillir « chez soi » est souvent exprimé par les seniors qui perçoivent la maison de retraite comme une option de dernier recours. Cependant, cette étude révèle une réalité plus nuancée. En analysant les données issues de l’enquête SHARE, nous avons comparé le bien-être subjectif des personnes vivant chez elles à celui des résidents de maisons de retraite.
Initialement, les résultats montrent que les personnes vivant en maison de retraite rapportent un niveau de satisfaction de vie inférieur à celles vivant chez elles, avec une différence de près de 8 %. Cette disparité semble renforcer l’idée que la maison de retraite est liée négativement au bien-être des personnes âgées.
Cependant, après avoir contrôlé par les variables liées à la santé, au statut fonctionnel (être capable de se laver, de s’habiller ou de se faire à manger seul) et aux caractéristiques démographiques telles que l’âge, le sexe ou encore les niveaux d’éducation et de richesse, la différence de bien-être entre les deux groupes devient négligeable.
Mais attention, quand on utilise des méthodes d’appariement, en comparant des personnes similaires dans chacun des deux habitats, le fait d’être en maison de retraite ou de soins semble avoir un impact négatif sur le bonheur.
Ehpad ou domicile : choisir la meilleure option selon son état de santé
A contrario, comme nous avons pu suivre les individus au cours du temps et particulièrement pour ceux observés plusieurs fois, nous avons constaté qu’ils expérimentaient une plus-value après l’entrée en maison de retraite et de soins.
En d’autres termes, les personnes qui se retrouvent en maison de retraite ne sont pas forcément moins heureuses en raison de leur lieu de résidence, mais plutôt à cause de leur état de santé souvent plus précaire.
Cela remet en question certaines idées reçues sur les maisons de retraite. Bien qu’elles soient souvent perçues comme des lieux indésirables, les maisons de retraite offrent, pour certains individus, un environnement plus adapté à leurs besoins de santé. Par exemple, une personne en perte de mobilité ou ayant besoin d’une assistance continue pour les activités quotidiennes peut bénéficier du cadre institutionnel de ces établissements, où des soins appropriés sont disponibles en permanence.
Les résultats suggèrent donc que, pour de nombreux seniors, le choix de vivre en maison de retraite est souvent la meilleure option en fonction de leur état de santé. Plutôt que de considérer la maison de retraite comme un échec ou une contrainte, il est important de reconnaître que ces établissements peuvent améliorer la qualité de vie de ceux qui nécessitent un soutien médical important.
À noter que, dans nos travaux, nous n’abordons pas la question des maltraitances en Ehpad qui ont pu faire l’actualité ces dernières années, notamment en France, ni celles qui peuvent survenir aussi quand une personne dans le grand âge réside à son domicile.
Enfin, les difficultés d’accès aux maisons de retraite pour tous, compte tenu de leurs coûts qui peuvent être prohibitifs, sont également des paramètres qui peuvent peser.
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Surmortalité dans les maisons de retraite en Europe du Nord, même avant le Covid-19
Dans une autre étude, nous examinons la mortalité des résidents en maisons de retraite avant la pandémie de Covid-19 qui a exacerbé les problèmes existants dans ces institutions. Cette recherche s’intéresse aux écarts de mortalité entre les résidents des maisons de retraite et les personnes vivant à domicile dans différents pays européens.
Les résultats révèlent une surmortalité significative dans les maisons de retraite des pays d’Europe du Nord, du Centre et de l’Est, par rapport à ceux d’Europe du Sud comme l’Italie et l’Espagne. Pour la France en particulier, mais avec un échantillon relativement petit, l’effet n’était pas présent.
Ces différences de mortalité s’expliquent en partie par les écarts dans la qualité des soins et l’organisation des maisons de retraite. Dans les pays d’Europe du Nord, les maisons de retraite sont souvent des établissements de grande taille, gérés par des structures à but lucratif. Cela peut influencer la qualité des soins prodigués, les ressources étant parfois insuffisantes pour répondre aux besoins croissants des résidents. En revanche, dans les pays du Sud, où les soins sont plus personnalisés et où les structures familiales jouent un rôle plus important, la surmortalité n’est pas aussi prononcée.
L’étude souligne également la nécessité de réformes structurelles pour améliorer les conditions de vie dans les maisons de retraite. Une augmentation des ressources allouées aux soins de longue durée, des normes de qualité plus strictes et un meilleur soutien aux soignants pourraient aider à réduire cette surmortalité et à améliorer le bien-être des résidents.
Les grands-parents aidants davantage soutenus en cas de dépendance
Jusqu’ici, nous avons évoqué principalement les aides formelles, qu’elles aient lieu en institutions ou à domicile. Or, il est important de rappeler que le principal pourvoyeur d’aide aux personnes dépendantes est la famille.
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Dans une recherche récente, nous examinons un nouveau motif derrière la « garde » des petits-enfants : la réciprocité en cas de dépendance.
Nous concevons un modèle à deux périodes, c’est-à-dire une première période, où le grand-parent est en bonne santé et capable de s’occuper de ses petits-enfants, et une seconde, où il est en situation de perte d’autonomie, pour analyser l’anticipation de cette réciprocité par les grands-parents.
En utilisant les données de l’enquête longitudinale SHARE, nous confirmons l’idée que les grands-parents qui ont gardé leurs petits-enfants quand ils étaient en bonne santé reçoivent plus d’aide quand leur santé se détériore. Et l’intensité de ce soutien des grands-parents à leurs enfants est importante ! Plus ils aident, plus ils reçoivent du soutien de leurs enfants dont ils gardé la progéniture en cas de besoin.
Réduire les inégalités socioéconomiques et dans la qualité des soins
Les résultats de l’ensemble de nos études montrent clairement que les soins aux personnes âgées, qu’ils soient prodigués à domicile ou en maison de retraite, nécessitent une attention particulière des décideurs politiques. Les inégalités socioéconomiques et les variations dans la qualité des soins entre les pays d’Europe ou encore les structures publiques ou privées créent des disparités importantes et dommageables dans les conditions de fin de vie des seniors.
Il est crucial que les politiques publiques s’attaquent à ces inégalités en améliorant l’accès aux soins, en renforçant les filets de sécurité sociale et en soutenant les structures familiales qui jouent un rôle clé dans de nombreux pays.
De plus, des réformes dans les maisons de retraite sont nécessaires pour garantir que tous les résidents, quel que soit leur lieu de vie, aient accès à des soins de qualité. L’enjeu est de taille : alors que la population européenne continue de vieillir, garantir une fin de vie digne et de qualité pour tous devient une priorité sociale et politique incontournable.
Ce texte a été écrit en collaboration avec Arnaud Stiepen, expert en vulgarisation scientifique.
Retrouvez le podcast « Est-il préférable de vieillir en maison de repos », un entretien avec Jérôme Schoenmaeckers, dans PULSE (un podcast conçu pour mettre en avant les recherches et les idées innovantes issues du corps académique de HEC Liège, l'école de gestion de l'Université de Liège).

Jérôme Schoenmaeckers ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.