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15.09.2025 à 16:45

La chute de Troie est en partie due à la surexploitation de la nature – des leçons de l’âge du bronze

Stephan Blum, Research associate, Institute for Prehistory and Early History and Medieval Archaeology, University of Tübingen
Au début de l’âge du bronze, Troie a prospéré grâce au commerce et à l’innovation, avant de s’effondrer, notamment pour avoir surexploité ses ressources. À méditer pour relever nos défis contemporains.
Texte intégral (2004 mots)

Au début de l’âge du bronze (2500-2300 avant notre ère), Troie est passée d’un village à une cité prospère, grâce à l’innovation et au commerce. Mais derrière cette réussite se cachait une exploitation effrénée de la nature : forêts rasées, sols épuisés, érosion galopante. La cité légendaire a payé le prix d’une croissance sans limites : une mise en garde d’une grande résonance aujourd’hui.


Parfois, les germes de l’effondrement sont semés dans le sol même de la prospérité. Sous les murs brillants de l’ancienne ville de Troie, en Asie Mineure (actuelle Turquie), la terre se fissurait silencieusement sous le poids de son ambition.

Lorsque nous pensons à la destruction de l’environnement de nos jours, des images de plateformes pétrolières, de centrales à charbon ou d’îles de plastique nous viennent à l’esprit. Mais, bien avant l’industrie, les sociétés anciennes poussaient déjà leurs écosystèmes à bout.

Troie au début de l’âge du bronze nous en livre un exemple frappant : une histoire de brillante réussite économique assombrie par un coût écologique durable. Il ne s’agit pas seulement d’un récit d’innovation et de succès, mais d’une mise en garde contre la surenchère, l’épuisement et les coûts cachés d’une croissance incontrôlée.

Entre 2500 et 2300 avant notre ère, Troie est devenue un centre de pouvoir et d’expérimentation dans le nord-ouest de l’actuelle Anatolie (la partie asiatique de la Turquie), plusieurs siècles avant que l’Iliade d’Homère ne la rende légendaire. À son apogée, la ville aurait compté une population estimée à 10 000 habitants.

Grâce à des années de fouilles menées dans le cadre du projet Troie de l’Université de Tübingen, j’ai compris comment des choix délibérés en matière de production, de planification et d’organisation ont progressivement transformé un modeste village de l’âge du bronze en une communauté dynamique présentant les premiers traits d’une ville. Les bâtiments monumentaux en pierre, les rues ordonnées et les quartiers résidentiels distincts de Troie reflétaient une société en transition.

Au cœur de cette transformation se trouvait l’essor de la production de masse. S’inspirant des modèles mésopotamiens, le tour de potier a révolutionné la céramique troyenne, permettant une production plus rapide, plus uniforme et à plus grande échelle. Les poteries tournées au tour de potier ont rapidement dominé la production. Elles se caractérisaient par des rainures profondes et des finitions simplifiées qui privilégient l’efficacité plutôt que l’art.

pile d’assiettes marons
Exemples d’assiettes tournées, produites en série à Troie entre 2500 et 2000 avant notre ère. Institute of Classical Archaeology at the University of Tübingen/Valentin Marquardt, CC BY-SA

À mesure que la production augmentait, le besoin d’une main-d’œuvre plus structurée et spécialisée s’est également accru. L’artisanat est passé des maisons aux ateliers, et le travail est devenu de plus en plus spécialisé et segmenté. Le commerce a prospéré, s’étendant bien au-delà de la Troade (la région de Troie) et dépassant la portée locale de la colonie.

Pour gérer cette complexité croissante, les Troyens ont introduit des mesures de poids standardisées et des sceaux administratifs, outils de coordination et de contrôle dans un monde qui se tournait de plus en plus vers le commerce.

Mais le progrès, à l’époque comme de nos jours, avait un coût. Les innovations mêmes qui ont alimenté l’ascension de Troie ont libéré des forces qui se sont avérées de plus en plus difficiles à contenir.

La prospérité grâce à l’exploitation

La richesse de Troie reposait sur une exploitation incessante. Les bâtiments monumentaux nécessitaient des tonnes de calcaire provenant des carrières voisines. L’argile était extraite des berges autrefois fertiles pour alimenter les fours et la fabrication de briques. Les forêts ont été déboisées pour fournir du bois d’œuvre et du bois de chauffage, éléments vitaux d’une industrie céramique en plein essor, qui fonctionnait jour et nuit.

L’agriculture a également connut une intensification radicale. Les générations précédentes pratiquaient la rotation des cultures et laissaient leurs champs en jachère. Les agriculteurs de Troie, en revanche, cherchaient à obtenir des rendements maximaux grâce à une culture continue. L’amidonnier et l’engrain, d’anciennes variétés de blé bien adaptées aux sols pauvres mais à faible rendement et à faible teneur en protéines, dominaient. Ils étaient résistants et faciles à stocker, mais pauvres en nutriments.

À mesure que les terres agricoles s’étendaient sur des pentes raides et fragiles, l’érosion s’est installée. Les collines autrefois couvertes de forêts sont devenues stériles, comme le confirment les preuves archéobotaniques.

Le bétail a ajouté une pression supplémentaire. Des troupeaux de moutons et de chèvres paissaient de manière intensive dans les pâturages des hautes terres, arrachant la végétation et compactant le sol. Il en a résulté une réduction de la rétention d’eau, un effondrement de la couche arable et le déclin de la biodiversité. Peu à peu, l’équilibre écologique, qui avait soutenu la prospérité de Troie, commença à se désagréger.

Vers 2300 av.n. è., le système en vient donc à se fracturer. Un incendie massif a ravagé la colonie, peut-être déclenché par une révolte ou par un conflit. Les bâtiments monumentaux ont été abandonnés, remplacés par des habitations plus petites et des fermes modestes. Le centre du pouvoir s’est effondré.

Cet effondrement a probablement été causé par une combinaison de facteurs : tensions politiques, menaces extérieures et troubles sociaux. Mais il est impossible d’ignorer la pression environnementale. L’épuisement des sols, la déforestation et l’érosion ont certainement entraîné une pénurie d’eau, une raréfaction des ressources et, peut-être même, une famine. Chacun de ces facteurs a érodé les fondements de la stabilité de la cité.

Par la suite, l’adaptation a pris le pas sur l’ambition. Les paysans ont diversifié leurs cultures, abandonnant la monoculture à haut rendement au profit de stratégies plus variées et plus résilientes. Les risques ont été répartis, les sols se sont partiellement régénérés et les communautés ont commencé à se stabiliser.

Troie n’a pas disparu : elle s’est adaptée et a trouvé un nouvel équilibre pour un autre millénaire. Mais elle l’a fait dans l’ombre d’une crise qu’elle avait contribué à créer.

Les leçons d’un paysage usé

L’histoire de Troie est plus qu’une curiosité archéologique, c’est un miroir. Comme beaucoup de sociétés passées et présentes, ses ambitions économiques ont dépassé les limites écologiques de son milieu. Les signes avant-coureurs étaient là : baisse des rendements, appauvrissement des forêts, érosion des collines. Mais l’illusion d’une croissance infinie s’est révélée trop tentante pour y résister.

Les parallèles avec aujourd’hui sont frappants. L’épuisement des ressources, les gains à court terme et la négligence environnementale restent des caractéristiques centrales de notre économie mondiale. Les technologies ont peut-être évolué, mais les mentalités, elles, n’ont pas changé. Nous consommons, nous jetons, nous développons, et nous recommençons.

Mais Troie offre également une lueur d’espoir : la possibilité d’une adaptation après l’excès, d’une résilience après la rupture. Elle nous rappelle que la durabilité n’est pas un idéal moderne, mais une nécessité intemporelle.

Troie est la preuve qu’aucune société, aussi ingénieuse soit-elle, n’est à l’abri des conséquences d’un dépassement écologique. Les signes avant-coureurs d’un déséquilibre sont visibles, mais il est facile de détourner le regard. C’est à nous de décider si nous voulons les prendre en compte.

The Conversation

Stephan Blum ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

15.09.2025 à 16:43

Le vent, un allié pour décarboner le transport maritime

Christian de Perthuis, Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL
Le transport maritime émet autant de gaz à effet de serre que l’aviation, mais ses enjeux climatiques restent ignorés. Et si le vent était la clé de sa décarbonation ?
Texte intégral (2817 mots)
Déjà dans les années 1920, des expérimentations ont été menées en matière de propulsion vélique (ici, par rotor, sur le _Buckau_ en 1925). Library of Congress

Le transport maritime émet autant de CO2 que l’aviation, mais la décarbonation de ce secteur a longtemps été négligée, la priorité étant mise sur les enjeux sanitaires liés aux marées noires et à la pollution de l’air. Le vent, énergie gratuite et renouvelable, pourrait cependant souffler sur le fret maritime pour l’aider à faire face aux enjeux climatiques.


Dans le débat public, on parle beaucoup des impacts de l’aviation sur le climat, beaucoup moins de ceux du transport maritime.

En 2024, pourtant, les bateaux parcourant le monde (hors navires militaires) ont rejeté un milliard de tonnes (gigatonne ou Gt) de CO2 dans l’atmosphère. Un chiffre équivalent aux rejets de l’aviation civile, avec un rythme de croissance comparable – à l’exception des évènements exceptionnels comme la pandémie de Covid-19 en 2020.

Pour atténuer le réchauffement planétaire, la décarbonation du transport maritime est donc tout aussi stratégique que celle de l’aviation civile. L’utilisation du vent – à travers le transport à voile – devrait y jouer un rôle bien plus structurant qu’on ne l’imagine.

Les retards à l’allumage de l’Organisation maritime internationale

Les liaisons internationales génèrent un peu plus de 85 % des émissions du secteur maritime, le reste provenant des lignes intérieures et de la pêche. De ce fait, les régulations adoptées par l’Organisation maritime internationale (OMI) jouent un rôle crucial en matière de décarbonation.

Les enjeux climatiques n’ont été intégrés que tardivement aux régulations environnementales de l’OMI. Celles-ci ont historiquement été conçues pour limiter les risques de marées noires, puis de pollutions atmosphériques locales provoquées par l’usage des fiouls lourds dans les moteurs.

Jusqu’en 2023, la baisse des émissions de gaz à effet de serre n’était visée qu’à travers des régulations sur l’efficacité énergétique, limitant la quantité de carburants utilisée pour propulser les navires, avec des règles plus sévères pour les rejets d’oxydes de soufre et les autres polluants locaux (oxydes d’azote et particules fines à titre principal) que pour le CO2.

Ces régulations n’ont pas permis de limiter l’empreinte climatique du transport maritime. Les deux principaux leviers utilisés par les armateurs pour améliorer l’efficacité énergétique ont consisté à réduire la vitesse des navires et à augmenter leur taille. Ces gains ont permis de baisser les coûts d’exploitation du fret maritime, mais pas les émissions de CO2, du fait de la croissance des trafics.

Les contraintes spécifiques sur les polluants locaux ont même alourdi l’empreinte climatique du transport maritime.

La substitution du GNL au fioul, par exemple, réduit drastiquement les émissions de polluants locaux, mais génère des fuites de méthane dont l’impact sur le réchauffement dépasse la plupart du temps les gains obtenus par l’économie de CO2.

Surtout, la réduction des rejets de SO2 du diesel maritime opérée en 2020 pour se conformer à la réglementation de l’OMI, de l’ordre de 80 %, a brusquement réduit la quantité d’aérosols présents dans l’atmosphère. Les chercheurs y voient l’une des causes majeures de l’accélération du réchauffement planétaire observée depuis 2020.


À lire aussi : Faiseur de nuages, d’années sans été, de pluies acides : comment le soufre impacte l’environnement


Des régulations climatiques tardives mais ambitieuses

La progression des émissions de CO2 du transport maritime n’a toutefois rien d’inéluctable. Elle reflète les arbitrages passés de l’OMI, si lente à intégrer les enjeux climatiques. Mais le vent est en train de tourner.

En juillet 2023, les membres de l’OMI se sont accordés sur une stratégie de décarbonation visant la neutralité d’ici 2050, avec des cibles intermédiaires ambitieuses en 2030 et 2040.

Pour les atteindre, l’OMI projette d’introduire en 2028 un mécanisme de tarification des émissions de CO₂ pénalisant les armateurs qui ne se conformeraient pas à ces nouvelles exigences et rémunérant ceux décarbonant plus rapidement.

De son côté, l’Union européenne intègre graduellement le transport maritime dans son système d’échange de quotas de CO₂.

Dans ce nouveau contexte, on ne peut plus compter sur des progrès incrémentaux du type amélioration de l’efficacité énergétique. Le transport maritime devra opérer une mue bien plus radicale, tant sur le plan technique que socioéconomique.

Comme on compte environ 100 000 navires parcourant l’océan, cette mue concerne à la fois la flotte existante et la construction des bateaux du futur. Or, le vent, énergie gratuite et renouvelable, peut être mobilisé dans les deux cas.

Savoir-faire ancestraux et innovations techniques

En simplifiant, on peut distinguer quatre grandes familles de techniques permettant de capter l'énergie éolienne pour déplacer les navires :

Le E-ship 1, lancé en 2010, est équipé de quatre rotors verticaux. C’est le premier cargo de l’ère moderne à propulsion vélique assistée. Piet Sinke, CC BY-NC-SA
  • Les deux premières se matérialisent par d’immenses colonnes de forme cylindrique sur le pont des navires : rotors ou voiles aspirantes, comme le montre l’image du E-ship 1 ci-dessus.
Le WindSurf est une goélette dotée de deux moteurs électriques et d'une assistance vélique à la propulsion. EcoVictor, CC BY-SA
  • L’utilisation de voiles ou ailes portées par des mâts représente la troisième famille qui se décline suivant leur épaisseur, leur rigidité et les matériaux les constituant.
Kite tractant un cargo. Yves Parlier, CC BY-SA
  • Dernière famille : les kites arrimés au navire capturant des vents plus réguliers et plus puissants en hauteur. Ces derniers ont l’avantage de ne pas prendre de place sur le pont des navires, mais leur efficacité diminue sitôt qu’il faut remonter au vent.

L’utilisation du vent pour déplacer les navires combine ainsi des méthodes low tech, parfois ancestrales, avec de l’ingénierie de pointe se basant par exemple sur l’aérodynamisme, des modélisations numériques, l’automatisation des tâches, l’intelligence artificielle…

Le vent comme propulseur d’appoint

Début 2025, une cinquantaine de navires en opération disposaient déjà d’assistance vélique. Pour les trois quarts, il s’agissait de navires anciens « rétrofités », principalement par adjonction de rotors ou de voiles aspirantes. Une minuscule goutte d’eau, au regard du nombre total de navires sur les océans !

Mais le marché naissant de l’assistance vélique est en forte accélération. Les organismes certificateurs de référence, comme DNV ou Lloyd’s Register anticipent un changement d’échelle du marché, avec une proportion croissante d’opérations concernant les navires neufs.

Sur les navires anciens, le rétrofit permet de réduire les émissions de l’ordre de 5 à 15 % suivant les cas. Les gains sont toutefois nettement plus élevés sur les navires neufs. Le Canopée, lancé en 2022, permet ainsi de transporter les éléments des fusées Ariane d’Europe vers la Guyane en économisant de l’ordre du tiers des émissions relativement à un cargo standard.

Le Canopée est le premier cargo moderne à utiliser des voiles comme propulseurs secondaires. Ce navire pionnier est un démonstrateur du potentiel de l’énergie du vent pour réduire rapidement l’intensité carbone du transport maritime.

De nouveaux modèles économiques stimulés par la tarification carbone

Le vent est une énergie de flux présente dans la nature. Contrairement aux carburants alternatifs au fioul comme le méthanol, l’ammoniac ou l’hydrogène, on n’a pas besoin de le produire, il suffit de le capter.

Cela engendre certes un surcoût d’investissement, encore élevé du fait de la jeunesse des industries véliques, mais qui s’amortit d’autant plus facilement que la tarification carbone renchérit les carburants les plus émetteurs. Cet atout de la disponibilité du vent joue encore plus lorsqu’il devient la source d’énergie principale.

Dans la propulsion vélique principale, le moteur du navire n’est utilisé que pour les manœuvres dans les ports ou pour raison de sécurité ou de ponctualité. Les réductions de CO2 changent alors d’échelle, atteignant de 80 à 90 %. La neutralité peut alors être atteinte si le moteur annexe utilise une énergie décarbonée.

La propulsion vélique rend alors la décarbonation complète du transport maritime envisageable. Sans compter qu’elle réduit ou élimine également d’autres nuisances, comme le bruit sous-marin et les dégâts provoqués par le mouvement des hélices. Son développement peut dès lors contribuer à une mue en profondeur du transport maritime, comme l’analysera un prochain article.

The Conversation

Christian de Perthuis ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

15.09.2025 à 16:39

Immigration : un débat confus et mal étayé

Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherches sur les migrations internationales, Sciences Po
« Grand remplacement », coût de l’immigration pour le pays d’accueil, « appels d’air », fermeture des frontières… Les stéréotypes alimentent des débats sur les migrants peu soucieux de données scientifiques.
Texte intégral (2953 mots)

Grand remplacement, migrants qui coûtent cher au pays d’accueil, théories de l’« appel d’air », efficacité des frontières fermées… Les stéréotypes sur l’immigration alimentent un débat confus et souvent mal étayé. L’autrice d’Idées reçues sur les migrations (Le Cavalier bleu, avril 2025) les passe en revue.


Dans son Dictionnaire des idées reçues, Gustave Flaubert dénonçait les conventions, les préjugés, les formules toutes faites, ce que l’on appellerait aujourd’hui les stéréotypes. Sur l’immigration, ces idées reçues sont nombreuses, à droite et à l’extrême droite, mais aussi à gauche : elles alimentent un débat politique peu soucieux de la réalité, et encore moins des données scientifiques. Examinons les plus courantes.

Le « grand remplacement »

La plus médiatisée des idées reçues sur les migrations est sans doute celle du « grand remplacement », un thème déjà exprimé dès le début du XXe siècle par des nationalistes comme Maurras. La thèse du « choc des civilisations » de Samuel Huntington (1996) remet cette idée au goût du jour en décrivant un monde où l’islam aurait pris la place de l’ancien ennemi soviétique pour l’Occident, et où l’identité deviendrait un enjeu essentiel.

En France, le Club de l’Horloge, organe de réflexion de l’extrême droite, a, depuis le milieu des années 1980, développé l’idée que la conquête de l’Europe par l’islam serait une menace, face à laquelle il faudrait opérer une « reconquista ». Le même Club de l’Horloge a commis en 1985 un ouvrage, Être français, cela se mérite, fustigeant « les Français de papier » voire les « Français malgré eux », et plaidant déjà pour l’abolition du droit du sol.

Le thème du grand remplacement est aussi issu d’un contresens sur un scénario démographique calculé par le responsable du Département de la population et de la mortalité des Nations unies Joseph Grinblat, en 2000. Dans ses conclusions, Grinblat estime que :

« En Europe, dans un contexte de faible fécondité conduisant à une diminution et à un vieillissement rapide de la population, l’immigration pourrait être, dans certains cas, une solution, au moins partielle, au déclin de la population totale et de la population d’âge actif. »

Au constat démographique, et aux angoisses liées à un « changement de peuple et de civilisation » en faveur de l’islam sur le sol européen, introduites notamment par l’écrivain Renaud Camus, s’ajoute l’idée, reprise à l’extrême droite, d’un complot fomenté par les « élites mondialisées » et les institutions internationales. Les partisans de cette thèse projettent un désir de revanche sur l’Occident chez les nouveaux arrivants, supposément fondé sur leurs passés de colonisés ou d’esclaves.

Qu’en est-il dans la réalité ? Le démographe François Héran rappelle que l’immigration constitue 10,2 % de la population vivant en France, contre 5 % en 1946 et 7,4 % en 1975. Par immigration, on entend ici les personnes nées à l’étranger et vivant depuis au moins un an en France. Selon les rapports annuels du Département des affaires économiques et sociales (DESA) de l’ONU), ce pourcentage de 10,2 % est en moyenne celui des autres pays européens.

François Héran rappelle que « la France n’a jamais été en première ligne tout au long de la crise migratoire » de l’accueil des Syriens ou des Ukrainiens, que le métissage est la tendance générale en France ou dans tous les pays avec une immigration, et que l’on observe une convergence des comportements démographiques des immigrés et des nationaux sur le plan des naissances au fil du temps.

L’Afrique et sa démographie « galopante »

Le thème a été développé par le journaliste Stephen Smith qui part d’un constat multiple : la démographie de l’Afrique subsaharienne n’est pas encore entrée dans l’ère de la transition démographique ; le continent africain va ainsi atteindre deux puis trois milliards d’habitants entre 2050 et la fin du XXIe siècle. Par ailleurs, la moitié de la population de ce continent a moins de 20 ans dans sa partie subsaharienne. Cette population jeune, de plus en plus active sur les réseaux sociaux, est mise en relation avec un ailleurs l’orientant vers un imaginaire migratoire.

Lampedusa, Agrigento, Italie, 15 septembre 2023, où plusieurs milliers personnes sont arrivées sur l’île en quelques jours. Alec Tassi

Pourtant, les comportements démographiques de familles avec un grand nombre d’enfants, y compris africaines, sont amenés à changer. Aucune région de monde ne fait, en effet, exception à la tendance mondiale à la diminution des naissances, comme l’analysent les démographes Gilles Pison et Youssef Courbage.

D’autre part, le lien entre croissance de la population et migration vers l’Europe reste à démontrer : la moitié des Africains en migrations se dirigent vers d’autres espaces de leur continent, une autre partie se dirige vers le Golfe arabo-persique, une autre encore vers les États-Unis ou la Chine. L’idée que les Africains (et les autres migrants) viendraient chercher en Europe un État-providence développé n’est pas démontrée, car ce ne sont pas les pays qui offrent le plus de prestations sociales qui attirent le plus, mais ceux qui proposent un imaginaire de réussite ou une proximité linguistique avec les personnes migrantes, à l’image des États-Unis ou du Royaume-Uni.

« L’immigration est coûteuse et remplace les travailleurs locaux »

Les analyses économiques montrent que le marché du travail national est très segmenté et que les migrants sont rarement en situation de concurrence avec les nationaux. Ceux-ci bénéficient de surcroît de certains emplois protégés, réservés aux nationaux ou aux citoyens européens (notamment dans la fonction publique et dans certaines professions régies par les ordres professionnels).

Les derniers venus occupent ainsi les métiers pénibles, dangereux, sales, mal payés, soumis aux intempéries ou travaux périodiques, surtout s’ils sont en situation irrégulière. Même en temps de crise, le marché du travail n’atteint pas le niveau de flexibilité qui amènerait les nationaux à occuper les emplois des migrants. Restent, par ailleurs, des métiers, qualifiés et non qualifiés, non pourvus par les nationaux comme dans le cas des médecins de campagne, des métiers spécialisés de la construction, de la maintenance informatique, de l’hôtellerie, de la garde des personnes âgées et des jeunes enfants, ou encore de l’agriculture.

Les immigrés contribuent également à accroître le nombre des actifs dans l’ensemble de la population : il y a parmi eux moins de très jeunes et de retraités. Arrivant dans leur pays d’accueil à l’âge adulte, ils ne lui ont ainsi rien coûté quant à leur éducation et leur formation jusqu’à l’âge de leur majorité. Une partie d’entre eux repart, par ailleurs, au pays à l’âge de la retraite, ce qui diminue fortement le coût de leur grand âge.

Si les personnes immigrées reçoivent des prestations sociales, elles versent aussi des impôts, directs et indirects. Une fois passés les effets de court terme de la migration, liés à l’adaptation et à la langue, les nouveaux entrants stimulent l’activité économique et créent à leur tour de nouvelles activités, élargissant à la fois le marché de l’emploi et celui de la consommation. Dans l’ensemble, la hausse des recettes publiques liée à l’arrivée des immigrés est plus importante que celle des dépenses publiques.

Enfin, il est bon de rappeler que les flux migratoires vers la France sont principalement constitués d’étudiants, suivis par les demandeurs d’asile, les personnes bénéficiant du regroupement familial et, enfin seulement, les travailleurs. C’est également le cas pour l’Europe.

« Générosité » du système social français et « appel d’air »

En France, les étrangers sont davantage représentés parmi les bénéficiaires de la protection sociale (RMI, RSA, allocations familiales, aide médicale d’État [AME], aide au logement) que les nationaux. Ils sont en revanche moins souvent bénéficiaires des allocations d’assurance maladie et d’assurance vieillesse. Leurs retraites sont, par ailleurs, souvent plus modestes en raison de parcours professionnels plus courts et moins linéaires que les nationaux.

Le débat sur l’aide médicale d’État, destinée à offrir des soins d’urgence aux sans-papiers, a eu le mérite de mettre en évidence l’importance sanitaire de cette mesure, qu’il n’est pas sans risque pour la santé publique de supprimer. Le montant de cette dernière n’a, d’autre part, progressé que très modérément depuis quinze ans, en proportion du nombre des demandeurs (de 800 000 à un milliard d’euros).

Une fois ces chiffres donnés, l’attrait des prestations sociales, médicales et des services publics est-il décisif pour les migrants ? Ceux-ci sont souvent relativement jeunes et ne viennent ni pour la sécurité sociale ni pour la retraite, mais pour travailler ou pour fuir la guerre et l’absence d’espoir qui minent leurs pays, comme le montrent toutes les enquêtes de terrain. La plupart d’entre eux acceptent plus volontiers des métiers déqualifiés sans lien avec leur formation initiale pour gagner plus rapidement de l’argent, rembourser leur voyage et envoyer des fonds à leurs familles.

L’histoire a déjà donné tort aux responsables politiques qui persistent à croire que plus on accueille mal les migrants, moins ceux-ci choisissent de se rendre en un lieu donné. Malgré les conditions de vie dramatiques des occupants de la « jungle » de Calais – démantelée en 2016 – et des autres campements sur la côte du Pas-de-Calais, ces lieux restent attractifs en raison de leur proximité avec le Royaume-Uni.

Selon Josep Borrell, ancien responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, la crainte de l’« effet d’appel » est infondée « car ce ne sont pas les conditions d’arrivée, souvent mauvaises qui attirent – le facteur pull –, mais la situation dans les pays de départ – le facteur push ».

Stopper l’immigration en fermant les frontières

Les frontières sont de retour, transformant la Méditerranée en un vaste cimetière. Un rapport de l’Organisation internationale des migrations (OIM) donne 50 000 morts à l’échelle mondiale, dont 25 000 en Méditerranée lors de tentatives de traversées depuis les années 1990, et 2 000 à 3 000 morts par an ces dernières années. Ces derniers chiffres seraient par ailleurs sous-estimés en raison des noyés non retrouvés.

Face au phénomène migratoire, l’Union européenne a mis la priorité sur le contrôle de ses frontières extérieures : le budget de l’agence Frontex est passé de 6 millions d’euros en 2004 à près d’un milliard annuel aujourd’hui. Les politiques de retour et de reconduction à la frontière mobilisent, en outre, des pratiques aux confins du respect des droits, tout en étant peu efficaces comme le montre le rapport annuel de la défenseure des droits.

L’aide publique au développement, parfois dépeinte en alternative aux politiques répressives, n’a jamais empêché les migrations. Elle a surtout pour but d’offrir une contrepartie à l’acceptation des politiques de reconduction dans les pays d’émigration. Face à ces politiques de plus de trente ans d’âge et sans résultats réels, l’Union européenne développe, depuis les années 1990, des partenariats d’externalisation de ses frontières. Ceux-ci conditionnent les actions financées à la réadmission de ressortissants, comme on le voit avec l’ensemble des pays du pourtour sud-méditerranéen et au-delà, en Afrique subsaharienne, par exemple au Niger.

Cependant, l’Europe a toujours besoin de migrations et cherche à s’attirer les compétences et les talents du monde entier à travers l’accueil d’étudiants étrangers et plusieurs programmes d’attraction des talents. De plus, elle ne peut pas renier les engagements internationaux qu’elle a signés sur les réfugiés, sur le droit de vivre en famille et sur les droits des mineurs.

Face à ces besoins et à ces obligations, la guerre aux migrants fait davantage figure de recette électoraliste que de véritable politique s’appuyant sur la réalité des données.


Cet article est rédigé dans le cadre du Festival des sciences sociales et des arts d’Aix-Marseille Université. L’édition 2025 « Science & croyances » se tient du 16 au 20 septembre. Catherine Wihtol de Wenden participe, le mardi 16 septembre, à une table ronde autour de son ouvrage Idées reçues sur les migrations, publié dans la collection « Idées reçues », aux éditions du Cavalier bleu, 2025.

The Conversation

Catherine Wihtol de Wenden ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

15.09.2025 à 12:28

Pourquoi la construction des villages JO de Paris 2024 fut une réussite

Geneviève Zembri-Mary, Professeure en Urbanisme et Aménagement, CY Cergy Paris Université
Le village des athlètes et le village des médias ont été livrés à temps et trouvent aujourd’hui une seconde vie avec des habitations, des commerces et des entreprises. Comment l’expliquer ?
Texte intégral (1775 mots)
La construction des villages et du centre aquatique olympique ainsi que les aménagements urbains ont coûté 4,5 milliards d’euros, dont 2 milliards apportés par le secteur privé. AntoninAlbert/Shutterstock

Le village des athlètes et le village des médias ont été livrés à temps. Ils trouvent aujourd’hui une seconde vie avec des habitations, des commerces et des entreprises. Comment l’expliquer ? En partie grâce à la loi de 2018 relative à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. Ce sont également des bâtiments bas carbone et étudiés pour être réversibles, en particulier dans le cas du village des athlètes.


Le contrat de ville hôte signé entre Paris 2024 et le Comité international olympique (CIO) pour accueillir les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) a prévu de réaliser seulement trois ouvrages nouveaux : le village des médias, le village des athlètes et le centre aquatique olympique. Ces constructions devaient être durables, avec une empreinte carbone réduite, et faire partie de l’héritage des JOP.

Les Jeux olympiques et paralympiques ont pu être critiqués par des mouvements citoyens en raison de leur coût, de l’absence de garantie gouvernementale sur les risques des projets ou de leur empreinte carbone liée aux déplacements des visiteurs et à la construction de nouvelles infrastructures. Le CIO a donc établi des recommandations pour limiter le nombre de nouveaux sites olympiques et leur empreinte carbone avec l’agenda olympique.

Cela implique pour la ville hôte d’agir dans deux domaines :

  • Faire en sorte que la réalisation des infrastructures et des projets urbains rencontre le moins d’incertitudes pour être livrée à temps.

  • Construire des infrastructures sportives et des projets urbains durables avec une empreinte carbone réduite pour la phase « Héritage ».

Pour quel bilan de ces ouvrages olympiques ? Avec quelles innovations ? Dans notre étude, nous analysons tout particulièrement les nouveautés juridiques du droit de l’urbanisme mises en œuvre pour les JOP de Paris et la réversibilité des ouvrages olympiques.

Livrer à temps

Le contrat de ville hôte oblige à livrer le centre aquatique olympique, le village des athlètes et le village des médias pour la date des JOP. La Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) a été en charge de cette mission.

Les JOP bénéficiant d’une couverture médiatique mondiale, les enjeux financiers liés aux droits de retransmission télévisés perçus par le CIO sont particulièrement importants. Ces droits ont atteint 3,107 milliards de dollars pour Tokyo 2020. Une ville hôte cherche quant à elle à se mettre en valeur à l’échelle internationale, en étant sensible à tout risque réputationnel. Livrer à temps était une nécessité pour la SOLIDEO et les acteurs privés impliqués dans la construction.

L’organisme public a dû faire face aux incertitudes liées à ces projets d’infrastructures. Le village des médias a fait l’objet de deux recours par deux associations locales pour des raisons environnementales. La construction des ouvrages a été exposée à l’arrêt et au ralentissement de l’activité pendant la pandémie de Covid-19. D’autres incertitudes pouvaient impacter le planning, comme des délais allongés pour obtenir les permis de construire ou exproprier.

Mégaprojets urbains

Le village des athlètes de Saint-Denis, de Saint-Ouen et de l’Île-Saint-Denis, et le village des médias de Dugny, en Seine-Saint-Denis, sont les deux projets urbains des JOP. Le village des athlètes a pu accueillir 15 000 athlètes. Le village des médias a pu loger 1 500 journalistes et techniciens.

Les bâtiments deviennent aujourd’hui des logements, bureaux, services et commerces. Ils sont considérés comme des mégaprojets urbains. La zone d’aménagement concerté du village des athlètes a une surface de 52 hectares et accueillera 6 000 nouveaux habitants et 6 000 salariés, une fois l’ensemble des travaux de transformation terminés en 2025, et en fonction du rythme de vente. Les ventes sont en cours.

La zone d’aménagement concerté du village des médias compte 70 hectares, et 1 400 logements à terme. Elle est desservie par la gare du tramway T11 de Dugny-La Courneuve et le RER B du Bourget. Elle bénéficiera, comme le village des athlètes, de la desserte des futures lignes 16 et 17 du Grand Paris Express. Des parcs, des commerces, des équipements publics sont aussi réalisés. La construction des villages et du centre aquatique olympique, ainsi que les aménagements urbains ont coûté 4,5 milliards d’euros, dont 2 milliards apportés par le secteur privé.

Loi olympique et paralympique de 2018

Aussi pour faire face aux incertitudes pouvant affecter habituellement la réalisation des projets urbains et les livrer à temps, la Solideo a intégré par anticipation une marge au planning. La réalisation des villages et du centre aquatique olympiques a également bénéficié d’une loi olympique et paralympique votée en 2018. Elle a permis de réduire les délais et de sécuriser juridiquement la réalisation des projets pour la date des JOP par rapport aux procédures habituelles du code de l’urbanisme. Ont été mis en place :

  • Une procédure d’expropriation d’extrême urgence, qui a permis à la Solideo d’exproprier plus rapidement que la procédure classique, les propriétaires des terrains et immeubles des zones de construction des équipements olympiques. Les expropriations essentiellement faites pour le village des médias et le village des athlètes ont été peu nombreuses.

  • Des consultations publiques par voie électronique dans le cadre de la concertation. Ces consultations électroniques ont supprimé de fait les réunions publiques de discussion sur le projet, plus longues à mettre en place dans le cadre d’une concertation classique.

  • L’innovation juridique du permis de construire à double état. En une seule fois, il confie au maire le droit de donner un permis de construire pour les deux usages des bâtiments des villages : (i) la construction des logements des athlètes et des logements des journalistes de la phase Jeux et (ii) leur transformation en quartier d’habitations, de bureaux et de commerces classique lors de la phase Héritage des JOP.

  • La cour administrative de Paris, censée être plus rapide pour statuer, devait juger les éventuels recours contre les trois projets, en remplacement du tribunal administratif. Cela évitait que la réalisation des équipements olympiques ne prenne de retard par rapport à la date des JOP. La Cour administrative d’appel de Paris a eu notamment à statuer sur les deux recours contre le village des médias en avril 2021. Ces recours ont occasionné un retard d’un mois du début de la construction du projet.

Réversibilité bas carbone

La réversibilité consiste à concevoir un bâtiment pour que son usage puisse changer plusieurs fois dans le temps. Par exemple, le village des athlètes a été conçu pour :

  • Intégrer des chambres et des sanitaires lors de la phase Jeux pour les athlètes.

  • Transformer les espaces en logements familiaux lors de la phase Héritage. Par exemple, les réseaux d’arrivée d’eau et d’électricité pour les futures cuisines des logements ont été prévus lors de la construction, ainsi que la modification des cloisons.

Le village des médias, le village des athlètes et le centre aquatique olympique ont été conçus avec des principes de construction circulaire et bas carbone pour limiter leur impact environnemental. La construction circulaire permet par exemple de récupérer une partie des matériaux pour les réutiliser pour d’autres constructions après la phase Jeux.

Les sites olympiques devaient aussi avoir une empreinte carbone réduite. Dans le cas de Paris 2024, celle-ci est divisée par deux grâce à une conception bioclimatique des bâtiments, une bonne isolation, des protections solaires, la récupération d’énergie, le réemploi des matériaux, la construction bois et béton bas carbone, le transport fluvial des matériaux, le recyclage de ces derniers.

La réversibilité est en cours d’achèvement au village des athlètes où elle est la plus importante par rapport au village des médias. La vente des appartements, des bureaux et des commerces est en cours. Elle connaît cependant un ralentissement et une baisse des prix de vente au village des athlètes liée en partie au ralentissement plus général du marché.

The Conversation

Geneviève Zembri-Mary a reçu des financements de Cergy Paris université pour cette recherche.

15.09.2025 à 12:28

Concilier rentabilité et émission de carbone, c’est possible

Ethan Eslahi, Professeur de finance, spécialisé en économie et finance de l’énergie et de l’environnement, et en modélisation prédictive, IÉSEG School of Management
Pour que le principe « pollueur-payeur » soit pleinement efficace, il faut questionner la façon dont les entreprises définissent la performance… environnementale, financière ou les deux.
Texte intégral (1224 mots)
Un marché de quotas carbone est un système d’échange de droits d’émissions de gaz à effet de serre, de crédits carbone et de quotas carbone. AndriiYalanskyi/Shutterstock

Pour que le prix du carbone, et le principe du « pollueur-payeur », soient pleinement efficaces, il ne suffit pas d’agir sur le marché lui-même, mais sur la manière dont les entreprises définissent la notion même de performance… environnementale, financière ou les deux.


Le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (SEQE-UE), fondé sur le principe « pollueur-payeur », vise à inciter les entreprises à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre en augmentant le coût de ces émissions. Dès 2005, ce mécanisme a constitué le cœur de la stratégie climatique de l’Union européenne.

Pour les entreprises, le prix du carbone a un double visage : il peut encourager les investissements verts, mais il alourdit aussi la facture des plus gros émetteurs. Alors, les entreprises réagissent-elles toutes pareillement à ce signal-prix ?

Dans notre étude, nous montrons que l’effet concret de ce signal dépend de la manière dont la performance est définie en interne – c’est-à-dire selon que l’on accorde plus ou moins de poids aux résultats financiers, environnementaux, ou à une combinaison des deux.

Définir sa performance

Les entreprises sont de plus en plus appelées à évaluer leur exposition aux risques liés au climat, par exemple via un prix interne du carbone utilisé dans leur planification stratégique. La manière dont elles définissent leur performance conditionne leur capacité à anticiper les coûts futurs du carbone et à ajuster leurs décisions en conséquence.

Cet enjeu de définition de la performance se traduit déjà dans certaines pratiques. En avril 2023, Getlink (ex-groupe Eurotunnel) a introduit une « marge de décarbonation ». Cet indicateur financier mesure la capacité de l’entreprise à s’adapter à la hausse des coûts carbone en soustrayant les coûts futurs d’émissions au résultat opérationnel (EBITDA).

Cette initiative illustre l’importance croissante de relier directement les dimensions financière et environnementale.

Rentabilité et émissions

Notre étude porte sur environ 3 800 entreprises soumises au SEQE-UE dans 28 pays européens, sur la période 2008–2022. Il s’agit d’un échantillon représentatif des entreprises couvertes par ce système, issues de secteurs comme l’énergie, l’acier, le ciment, la chimie, la papeterie ou l’aviation, qui déclarent chaque année leurs émissions vérifiées. À partir de ces données, nous construisons pour chaque entreprise un indicateur composite de performance combinant deux dimensions : la rentabilité opérationnelle (mesurée par la marge d’EBITDA) et les émissions de gaz à effet de serre.


À lire aussi : Le prix interne du carbone : un outil puissant pour les entreprises


Nous proposons un cadre d’analyse multidimensionnel : au lieu de traiter la performance financière et la performance environnementale comme des dimensions distinctes ou opposées, nous les combinons dans un indice unique. Nous faisons varier le poids relatif accordé à chacune des deux dimensions pour générer plusieurs profils types d’entreprises, allant d’une vision 100 % financière à une vision 100 % environnementale de la performance.

Nous analysons ensuite, à l’aide d’une modélisation prédictive, alimentée par le Stochastic Extreme Gradient Boosting, un outil avancé d’apprentissage automatique, dans quelle mesure le prix moyen du quota carbone d’une année peut prédire l’évolution de cette performance composite l’année suivante. Cela nous permet d’évaluer si – et pour quels profils – le signal-prix du carbone est effectivement pris en compte par les entreprises dans leurs décisions stratégiques.

Performance conditionnelle au prix du carbone

Nos résultats montrent que l’effet du prix du carbone dépend fortement de la pondération accordée aux deux dimensions de performance. Lorsque la performance est définie principalement selon la rentabilité financière, une hausse du prix du carbone a un effet négatif significatif sur la performance globale. Cela s’explique par le fait que les coûts supplémentaires induits par les quotas érodent la marge opérationnelle.

À l’inverse, lorsque la performance est définie en mettant davantage l’accent sur la réduction des émissions, le lien entre le prix du carbone et la performance devient beaucoup plus faible, voire inexistante. Ce résultat suggère que les entreprises ayant déjà intégré une logique de réduction des émissions peuvent être moins sensibles aux variations du prix du carbone – soit parce qu’elles ont déjà accompli l’essentiel des efforts, soit parce qu’elles réagissent davantage à d’autres types d’incitations (réglementaires, normatives ou réputationnelles).

Incitations alignées

Les investisseurs financiers peuvent intégrer ce type d’indice composite financier environnemental dans leur évaluation des entreprises. Cela leur permettrait d’identifier celles qui sont les plus vulnérables à une hausse du prix du carbone, ou au contraire les plus aptes à aligner performance économique et objectifs climatiques.

Pour les régulateurs du système d'échanges de quotas d'émissions (SEQE-UE), nos résultats confirment l’importance d’accompagner le signal-prix d’un cadre plus structurant : publication obligatoire d’indicateurs intégrés dans le cadre de la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), mise en place de corridors de prix pour assurer la prévisibilité du marché, ou encore le soutien ciblé aux entreprises qui prennent des risques environnementaux sans retour immédiat sur la rentabilité.

Les citoyens peuvent également jouer un rôle actif en soutenant les initiatives qui rendent visibles les compromis entre rentabilité et réduction des émissions. Par exemple, ils peuvent exiger que les entreprises publient des indicateurs combinés permettant de suivre simultanément leur performance financière et environnementale.

The Conversation

Ethan Eslahi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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