19.11.2024 à 17:00
Madlen Sobkowiak, Associate Professor in Social and Environmental Accounting, EDHEC Business School
En matière de RSE et de préservation de la nature, l’accent est surtout mis sur la transparence des actions. D’où une multiplication des informations qui n’est peut-être pas le meilleur levier pour atteindre les objectifs annoncés. Bonne nouvelle : des moyens pertinents existent.
La transparence des entreprises pourrait-elle être l’une des solutions pour limiter le changement climatique ? Ou, à tout le moins, serait-elle un moyen de tenir les entreprises responsables de leur impact sur l’environnement ? 94 % des investisseurs eux-mêmes doutent de la validité des rapports sur le développement durable des entreprises, qui utilisent quantité d’affirmations non étayées selon le « Global Investor Survey 2023 » de PwC. Et leur scepticisme n’est pas infondé, selon l’étude que nous avons menée et récemment publiée.
En effet, si la transparence des entreprises est une première étape stratégique vers une économie plus durable, elle ne suffira pas à elle seule à obtenir des résultats positifs en matière d’impact des entreprises sur nos écosystèmes. Pour que le changement se produise réellement, trois conditions sont nécessaires : lier les actions des entreprises à leur impact sur l’environnement, prendre en compte les effets des opérations quotidiennes sur la nature et aligner les incitations financières et les objectifs écologiques.
Même si l’on observe une pression croissante en faveur des réglementations relatives à la prise en compte des écosystèmes naturels – en particulier sur les déclarations (disclosures) s’y rapportant – les entreprises commencent tout juste à fournir des informations sur leurs performances, leurs impacts et leurs risques en lien avec la nature. C’est l’essence même de la règlementation SFDR – Sustainable Finance Disclosure Regulation qui est entrée en vigueur en 2021 et de la directive CSRD – Corporate Sustainability Reporting Directive qui entre en vigueur en 2024 et vise à renforcer les obligations de transparence des entreprises sur les questions ESG au sein de l’Union européenne. Ces mesures sont caractéristiques d’un certain type d’approche, qui utilise la déclaration obligatoire d’informations comme moyen de réguler les comportements.
À lire aussi : Pourquoi la RSE ne suffit pas à rendre nos sociétés plus durables
Cela fonctionne-t-il ? Pas comme levier unique, car les entreprises ont encore du mal à comprendre pleinement leurs propres impacts ou les impacts de leur chaîne d’approvisionnement sur la nature. De plus, elles manquent souvent de connaissances et d’expertise pour naviguer dans le paysage complexe et en constante évolution des exigences nationales et internationales en matière de rapports sur le développement durable, et encore moins pour prendre des mesures significatives. Cela pourrait entraîner une dilution du concept de transparence et une augmentation de l’écoblanchiment.
Que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez notre newsletter thématique « Entreprise(s) » : les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts.
L’écoblanchiment consiste à faire des déclarations environnementales fausses ou trompeuses. Ceci peut fausser les informations pertinentes dont un investisseur (un consommateur) a besoin pour prendre des décisions et, en fin de compte, éroder sa confiance dans les produits et/ou les pratiques liés au développement durable.
Une étude commandée par l’Union européenne en 2023 a révélé que 53 % des allégations environnementales sur les produits et services sont vagues, trompeuses, voire infondées. 40 % ne s’appuient sur aucune preuve. Aux États-Unis, 68 % des dirigeants ont admis s’être rendus coupables d’écoblanchiment. La normalisation des rapports sur le développement durable dans l’UE est donc nécessaire et attendue depuis longtemps.
Cependant, au lieu de demander aux entreprises de réduire leur impact environnemental en soi, les politiques actuelles se concentrent sur les informations à fournir, ce qui est nécessaire mais loin d’être suffisant en soi. Mes coauteurs et moi-même avons identifié trois conditions pour que les informations publiées puissent potentiellement influencer positivement les effets des activités des entreprises sur la nature :
établir un lien entre les entreprises et les écosystèmes ;
traduire les aspirations en opération ;
améliorer la réactivité et les réponses du système financier.
Notre approche actuelle, qui utilise les exigences en matière de déclaration pour modifier le comportement des entreprises, pourrait être limitée, car la fourniture d’informations n’encourage pas en soi les entreprises à atteindre pleinement des impacts positifs sur la nature. Comment changer cela ? Comment les informations publiées peuvent-elles donner lieu à des résultats tangibles ? Trois pistes doivent être étudiées.
Le premier moyen intéressant à explorer consiste à relier les entreprises et les écosystèmes. Cela implique la mise en place d’une traçabilité radicale qui relie les actions des entreprises aux résultats obtenus dans des environnements particuliers. Cela permettrait de responsabiliser les entreprises, qu’elles publient ou non des données, et de les inciter à produire leurs propres données plutôt que de devoir répondre à des exigences créées par des tiers.
Cargill, fournisseur du secteur alimentaire, en est un exemple. Dans son rapport sur le soja en Amérique du Sud, l’entreprise trace le soja qu’elle produit et achète tout au long de sa chaîne d’approvisionnement, avec des sites situés dans des pays d’Amérique du Sud. Ces lieux sont géolocalisés et des données sur le degré de déforestation dans chaque parcelle sont obtenues à partir d’images satellites. Ainsi la traçabilité permet d’enrichir les déclarations de Cargill en lien avec les écosystèmes concernés par ses activités.
La deuxième approche consiste à traduire les aspirations en opération. Pour cela, les entreprises doivent veiller à développer des outils et des « habitudes » qui traduisent l’intention stratégique en comportement sur le terrain. En d’autres termes, il s’agit d’établir un lien entre la connaissance et l’action. Même si les entreprises sont bien informées de leur impact sur la nature, il peut s’avérer difficile de traduire les stratégies de réduction de l’impact et de restauration de la nature en objectifs opérationnels. À cet égard, il peut être utile de traduire les ambitions en mesures spécifiques qui, une fois intégrées dans les entreprises, créent des actions (visibles et récurrentes) axées sur le changement.
Par exemple, LafargeHolcim Espagne, un producteur de granulat et de ciment, a développé un système de suivi pour évaluer les processus de restauration en étudiant les actifs naturels. Il a également analysé les ressources disponibles à partir d’échantillons de terrain en cataloguant la flore, en identifiant la végétation, en déterminant la répartition des oiseaux et des insectes, en évaluant l’état de la biodiversité dans la carrière et en élaborant des stratégies et des plans d’action. Le suivi des activités a été effectué à l’aide d’un indice de biodiversité développé en collaboration avec le WWF et le système d’indicateurs et de rapports sur la biodiversité de l’UICN.
La dernière condition consiste à améliorer la réactivité des acteurs financiers, ainsi que leurs réponses. Cela nécessite de déterminer comment les acteurs du système financier peuvent favoriser les actions des entreprises. En d’autres termes, il s’agit d’aligner les incitations financières sur les objectifs environnementaux.
Pour cela, les propriétaires des entreprises et ceux qui les financent sont les acteurs les plus puissants. La stabilité financière repose sur le bon fonctionnement des écosystèmes (des études récentes ont montré que le changement climatique constitue une menace pour la stabilité du système financier). Les modalités de publication d’information pourraient donc être utilisées pour attirer l’attention des investisseurs sur les impacts sur la nature, à l’image d’autres reportings existants plus développés.
Un exemple de ce type de mécanisme est le SFDR de l’Union européenne, qui exige des banques, des assureurs et des gestionnaires d’actifs qu’ils fournissent des informations sur la manière dont ils traitent les risques liés au développement durable. Prenons le cas de la société ASN Bank, spécialisée dans les produits bancaires durables, qui a développé un outil d’empreinte de biodiversité pour les institutions financières afin d’estimer les impacts d’un portefeuille d’investissement et d’identifier les points chauds de ce portefeuille.
Plus les informations déclarées sur le développement durable par les entreprises seront solides, normalisées et transparentes, plus nous pourrons lutter contre l’écoblanchiment qui sape la crédibilité des efforts. Mais si les déclarations sont essentielles, il est temps de prendre en compte leurs limites. Cela implique, pour les entreprises, d’adopter des approches de gouvernance qui façonnent l’action, et de cesser de s’appuyer uniquement sur les rapports existants.
Madlen Sobkowiak ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
19.11.2024 à 16:59
Olivier Simonin, Maître de conférences en linguistique anglaise , Université de Perpignan Via Domitia
Les fictions qui évoquent le Moyen Âge ont tendance à perpétuer des clichés sur la barbarie d’une époque sombre et rustre. Pourtant, Sire Gauvain et le Chevalier Vert, roman anonyme de la fin du XIVe siècle qui se déroule à la cour du Roi Arthur, nous démontre tout l’inverse.
Si le Moyen Âge passionne, il est souvent représenté comme une période obscure, marquée par la sauvagerie. En témoignent divers clichés, portant entre autres sur un recours barbare à la torture, dont une réplique culte de Pulp Fiction de Tarantino se fait plaisamment l’écho : « Je vais me la jouer médiéval sur ton gros cul » (I’m gonna go medieval on your ass).
Il en est de même pour l’esthétique sombre de séries médiévales-fantastiques comme Game of Thrones et de films tels que The Green Knight de David Lowery, inspiré du joyau de la littérature médiévale anglaise qu’est Sire Gauvain et le Chevalier Vert (Sir Gawain and the Green Knight en anglais), qui a tant inspiré Tolkien : le philologue qu’il était lui consacra une édition scientifique, qu’il co-signa avec E. V. Gordon, ainsi qu’une traduction qui reproduit le mètre d’origine.
Œuvre anonyme, Sire Gauvain et le Chevalier Vert est un des romans de chevalerie les plus aboutis du corpus occidental, qui laisse entrevoir un univers aux couleurs vives, d’un grand raffinement, conforme au goût aristocratique de la fin du XIVe siècle.
L’histoire s’ouvre sur des divertissements de cour à Camelot, où fait irruption un mystérieux chevalier paré de vert, qui vient lancer un défi au roi Arthur : que quelqu’un s’essaie à le décapiter avec la hache qu’il tient et, si lui-même survit à cette tentative, qu’il lui soit donné de rendre pareil coup un an plus tard. Gauvain tranchera la tête du Chevalier Vert, qui se relèvera pour la saisir de ses mains par quelque enchantement et engagera l’illustre chevalier à le retrouver dans un an.
Le Chevalier Vert est un être éminemment paradoxal, qui relève du merveilleux. Le poète et les témoins de l’épisode s’interrogent sur sa nature, son origine : est-ce un homme, un demi-géant, ou bien provient-il du monde des fées ? Le vert qu’il arbore sur ses habits et son équipement, jusqu’à sa barbe et ses cheveux, est éclatant et lumineux. Comme l’a si bien montré Umberto Eco (Art et beauté dans l’esthétique médiévale), l’homme médiéval est fasciné par les couleurs, et le vert intense, saturé, qui caractérise le chevalier ne pouvait que susciter l’étonnement en tant que signe extérieur de grande richesse (voire de magie), aux antipodes du vert sale, triste, délavé, que l’on peut voir dans des adaptations filmiques.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]
Michel Pastoureau (Vert. Histoire d’une couleur) a très justement insisté sur la difficulté d’obtenir des teintes vertes stables et vives, qui demeuraient l’apanage des puissants à cette époque, tout en soulignant l’ambivalence sémiotique de la couleur, qui combine des aspects positifs (le vert gai, associé à la jeunesse, au printemps…) et négatifs (le vert « perdu », qui connote la traîtrise, l’infidélité…). Or il se trouve que Chevalier Vert brouille les pistes en portant un vert éclatant, qui pourrait signifier beaucoup des choses que véhiculent habituellement le mauvais vert.
Gauvain, quant à lui, apparaît non moins resplendissant dans une armure rutilante, avec un blason nouvellement apposé sur sa cotte et son bouclier au moment de son départ : un pentacle d’or sur fond rouge vif. Ce symbole représente un idéal de perfection morale longuement développé dans le poème (2 strophes sur 101), que tous s’accordent à voir en Gauvain à ce stade de sa carrière, et qu’il affiche aux yeux du monde.
Champion de la courtoisie, soucieux du respect des usages et des engagements pris, tenant toujours des propos prévenants et délicats, il incarne l’opposé du Chevalier Vert, aux manières globalement frustes. Toutefois, même le meilleur des chevaliers d’Arthur qu’est (dans ce roman) Gauvain ne peut prétendre être exempt de toute faute ou souillure. C’est d’ailleurs ce que s’emploie à montrer le poète à travers cette aventure, que l’on pourrait considérer comme une démonstration sans appel qui consiste en une illustration par un cas extrême. Le simple fait de vouloir atteindre une authentique perfection trahit un grand orgueil, péché jugé mortel, et le roman de chevalerie plaide de fait pour une humilité lucide.
Dans le contexte religieux de l’époque, la perfection morale étant d’essence divine, on ne pouvait pas mériter le salut sans l’aide de Dieu, par le biais de sa grâce. On apprend en outre, plus tard, que l’envoi du Chevalier Vert à la cour d’Arthur avait notamment pour but de lui faire perdre de sa superbe, d’émousser son hubris, ses prétentions démesurées. Ainsi, le roman courtois (autre nom donné au roman de chevalerie, mais qui insiste moins sur ses aspects guerriers) flirte ici avec le genre tragique, par la hauteur de son propos et surtout par sa trame.
L’œuvre ne manque cependant pas d’ironie, et même d’effronterie, que le poète Simon Armitage – auteur d’une traduction récente en anglais moderne – estime typiquement nordique : le poème est écrit dans un dialecte du nord-ouest des Midlands, où se déroule d’ailleurs l’essentiel de l’action.
L’humour dont fait preuve le Chevalier Vert et, plus tard, le seigneur du château où réside Gauvain, est volontiers sarcastique. Tout cela va de pair avec l’aspect carnavalesque particulièrement marqué lors de l’irruption du Chevalier : il paraît devant la Cour le jour de l’ancienne fête des fous (le jour de l’an), dans un accoutrement qui pourrait rappeler un bouffon (le vert est aussi la couleur de la folie) ou un homme sauvage en lequel des mimes pouvaient se déguiser pour divertir les puissants.
Un des grands thèmes de l’œuvre est le jeu, le loisir, et la façon dont il convient de s’y adonner. Par exemple, on peut se demander s’il est légitime pour un chevalier de se présenter devant une cour et de requérir, par jeu, un échange de coups visant la décollation, la décapitation, tout en sachant pertinemment que cela n’aura pas de conséquences pour lui (comme il se trouve protégé par magie). Le grandiose et la légèreté se côtoient dans un véritable élan pré-shakespearien.
Le poète de Gauvain déploie non seulement son génie en sublimant le genre du roman courtois, mais il innove également en employant à la fois des vers allitérés, qui reposent sur un principe de répétition de consonnes sur des syllabes accentuées, et des vers rimés, qui viennent clore par groupes de cinq chaque strophe, donnant par là même une structure singulière au poème, dont il est le seul modèle parvenu jusqu’à nous. Pour reprendre les termes d’Ad Putter et Myra Stokes, dans The Works of the Gawain Poet :
« De même, les vers allitérés qui constituent l’essentiel du roman présentent des variations par rapport aux schémas attendus, détournés avec bonheur. »
Qui plus est, ce maître de l’art poétique de la fin du XIVe siècle se livre à la production de ce que l’on appelle aujourd’hui de la métafiction : alors qu’il décrit un Gauvain dans sa prime jeunesse, il convoque par l’intermédiaire d’une avenante châtelaine la littérature chevaleresque dont Gauvain est le protagoniste, et qui est souvent peu flatteuse à son égard, faisant de lui un galant plutôt libertin : elle cherche à le convaincre de lui apprendre les délices de l’amour courtois, dont elle a une vision bien prosaïque, sensuelle. Le poète oppose ainsi le véritable raffinement de la courtoisie, des bonnes manières et de l’art d’aimer, à ce qui pourrait être son prolongement voire son travestissement littéraire, son interprétation purement physique. Il se rapproche également de la modernité par un geste final d’ouverture, laissant de toute apparence le lecteur (ou auditeur) décider par lui-même si la quête de Gauvain est un succès ou un échec, pour lui et pour la cour d’Arthur.
Sire Gauvain et le Chevalier Vert est peut-être la meilleure illustration de l’inanité d’une perception plus ou moins fantasmée d’un Moyen Âge terne et morne au propre et au figuré, tout à la fois lugubre, rustre, et résolument rétrograde d’un point de vue littéraire.
Ma traduction bilingue de l'oeuvre médiévale est parue au Livre de Poche, auquel je suis de fait lié.
19.11.2024 à 16:59
Colineaux H, Post-doctorant en epidemiologie sociale, Medecin de sante publique, Methodologiste, Université de Toulouse III - Paul Sabatier, Inserm
Prendre davantage en compte les mécanismes sociaux et, en particulier le genre, dans la recherche biomédicale permettrait d’éviter des biais méthodologiques et interprétatifs et ainsi de mieux appréhender les enjeux actuels de santé, explique Colineaux H (Université de Toulouse III – Paul Sabatier, Inserm) dans Déconstruire les différences de sexe/Le sexe biologique et le genre à l’épreuve de la méthode scientifique aux éditions Double ponctuation.
Même si le champ du « genre en biologie/santé » a rapidement évolué ces dernières années, il me semble que les questions liées au genre et les questions liées à la biologie sont encore très cloisonnées disciplinairement. À quelques exceptions près, les sciences humaines et sociales se sont saisies du « genre » sans tellement s’approcher des questions de la dimorphie sexuelle (qui désigne le fait que les mâles et femelles d’une espèce sexuée se distinguent, en moyenne, morphologiquement et physiologiquement), de la physiologie reproductive, etc.
Et la recherche biomédicale pour sa part n’articule que très rarement ses objets avec les phénomènes sociaux, tels que le genre. Ce travail prend justement son point de départ dans les pratiques de la recherche biomédicale, et dans les biais méthodologiques et interprétatifs que peuvent produire la non-prise en compte des facteurs et mécanismes sociaux. C’est donc de ce point de vue que je l’aborde.
Dans la littérature biomédicale, on peut constater que les différences biologiques observées entre les catégories de sexe ont été fréquemment expliquées par des mécanismes eux-mêmes biologiques, sans réelle base scientifique.
Par exemple, si la distribution du taux d’une protéine sanguine X montre un taux en moyenne plus élevé chez les femmes par rapport aux hommes, cette différence est souvent expliquée en premier lieu par des mécanismes liés à la dimorphie sexuelle.
On fait, par exemple, l’hypothèse d’une différence de calibre et d’élasticité des vaisseaux sanguins pour expliquer les différences de tension artérielle, on décrit l’interaction des œstrogènes ou de la testostérone avec le système physiologique de tel ou tel biomarqueur sanguin pour expliquer les différences de taux, etc.
Ces facteurs, bien sûr, peuvent être impliqués et nécessitent d’être explorés, mais des mécanismes sociaux peuvent aussi être en jeu pour expliquer ces différences, et ceux-ci ont été souvent négligés. Ils sont mobilisés plus souvent lorsque l’objet d’étude est de près ou de loin « social » (tel que le tabagisme, l’accès aux soins, voire l’obésité, etc.), mais plus rarement lorsqu’il est biologique (typiquement tous les biomarqueurs allant de la fréquence cardiaque au taux de cortisol).
Ce raccourci est parfois explicite. Par exemple, dans un cours en ligne portant sur « Le sexe et le genre dans l’analyse des données » (consulté en mars 2022 sur le Canadian Institutes of Health Research, NDLR), l’hémoglobine, la fonction rénale, la taille, la masse maigre sont catégorisées comme des « variables liées au sexe », définies comme « des paramètres biologiques ou physiologiques qui diffèrent systématiquement entre les hommes et les femmes en raison de facteurs génétiques ou hormonaux ». Les facteurs génétiques ou hormonaux sont en effet probablement en jeu, et peut-être même pour une large part, mais expliquent-ils vraiment toute cette variabilité ?
Ce raccourci est aussi parfois, et même plus souvent, implicite, par exemple lorsque des seuils biologiques spécifiques par catégorie de sexe sont fixés pour prendre en compte un dimorphisme sexuel présumé. L’utilisation de seuils biologiques sexe-spécifiques pour établir un « score allostatique » en épidémiologie est d’ailleurs le point de départ de cette thèse. En épidémiologie sociale, nous utilisons en effet une mesure de la « charge allostatique », qui représente l’usure biologique du corps liée à l’ensemble des stress que nous traversons au cours de nos vies.
Cette mesure est calculée à partir de plusieurs biomarqueurs (un biomarqueur est une caractéristique biologique mesurable, par exemple la tension artérielle, le taux de cholestérol, etc.), tels que la tension artérielle, le taux de cholestérol, la CRP (il s’agit d’une protéine présente dans le sang et utilisée pour mesurer le niveau d’inflammation), etc.
Chez un individu donné, si un biomarqueur a une valeur « élevée », on le dit « à risque » et plus cet individu a de biomarqueurs « à risque », plus sa charge allostatique, c’est-à-dire son usure physiologique, sera considérée comme forte.
Mais qu’est-ce qu’une « valeur élevée » ? À partir de quel seuil la considère-t-on « à risque » ? Ce seuil est-il le même selon l’âge ? Selon la catégorie de sexe ? Nous avons observé dans la littérature que beaucoup ne prenaient pas les mêmes seuils selon le sexe.
Souvent, en effet, un biomarqueur est considéré comme « à risque » si sa valeur fait partie des 20 % ou 25 % des valeurs les plus hautes, non pas de toute la population, mais de sa catégorie de sexe. Ce choix n’est pas anodin et a des conséquences sur les analyses.
Par exemple, on prend un biomarqueur fictif X dont l’ensemble des valeurs possibles dans la population totale et par catégorie de sexe sont représentées sur la figure ci-dessous par une barre horizontale, et les seuils séparant les 25 % des valeurs les plus élevées par un trait vertical.
Si un individu catégorisé « homme » a un biomarqueur X avec une valeur de 70, cette valeur sera considérée comme « à risque » si le seuil est fixé dans toute la population (seuil du biomarqueur X égal à 65) mais pas s’il est fixé dans chaque catégorie de sexe (seuil du biomarqueur à 80 chez les hommes).
De même, si un individu catégorisé « femme » a un biomarqueur X avec une valeur de 60, cette valeur sera considérée comme « à risque » si le seuil est fixé par catégorie de sexe (seuil du biomarqueur X à 50 chez les femmes) mais pas s’il est fixé dans toute la population (seuil du biomarqueur à 65).
Pourquoi faire le choix de seuils différents selon la catégorie de sexe ? La justification, souvent non explicitée, repose sur l’observation de distributions statistiquement différentes en fonction de la catégorie de sexe, comme représentées sur la figure.
En effet si, dans cet exemple, les personnes catégorisées « femmes » n’atteignent jamais ou très rarement la valeur 80, alors que 25 % de la population catégorisée « hommes » la dépasse, il semble logique d’envisager qu’une même valeur n’a pas la même signification d’une catégorie à l’autre et ne doit donc pas être considérée de la même façon. Il y a plusieurs façons de prendre en compte cela avec des méthodes statistiques, dont la possibilité de fixer des seuils différents en fonction des catégories, comme décrit précédemment.
L’inconvénient de cette méthode est qu’elle neutralise les causes de ces différences. On ne peut plus mesurer ni observer leurs effets, elles sont comme effacées. Si cet inconvénient est accepté, c’est que l’hypothèse implicite est faite que ces différences de distribution ne s’expliquent que par le dimorphisme sexuel. Dans ce cas donc, fixer des seuils différents réalignerait en quelque sorte les hommes et les femmes, en « effaçant » ce dimorphisme, les rendant sur les autres plans comparables ou analysables ensemble.
Mais ces différences de distribution sont-elles réellement et uniquement liées au dimorphisme sexuel ? Des facteurs sociaux peuvent aussi, en théorie et jusqu’à preuve du contraire, expliquer une partie des différences de distribution des biomarqueurs entre les deux catégories de sexe.
En utilisant des scores sexe-spécifiques, on ne fait donc pas qu’effacer l’effet du dimorphisme sexuel, mais aussi de toutes ces autres causes. Or, si on utilise ces mesures pour étudier l’effet de facteurs tels que le niveau d’éducation, la classe sociale, les revenus, etc. sur la charge allostatique (ce qui est souvent le cas), cette approche sexe-spécifique peut potentiellement biaiser les résultats des analyses en sur ou sous-estimant l’impact des facteurs étudiés dans l’une ou l’autre des catégories de sexe.
Il nous semblait donc important d’explorer les causes, ou mécanismes, de ces différences biologiques. Sont-elles effectivement uniquement physiologiques, liées au dimorphisme sexuel, ou s’expliquent-elles, au moins en partie, par des mécanismes sociaux, liés au genre ? C’est cette question de départ qui a guidé mon travail de thèse.
Colineaux H est associé au groupe de recherche Gendhi et membre de la Society for Longitudinal and Lifecourse Studies (Interdisciplinary Health Research Group). Colineaux H a bénéficié de prises en charge de déplacements professionnels dans le cadre de son travail de thèse par le projet Gendhi (financement ERC) et de rémunérations au cours de ses dernières années de thèse par le projet GINCO (financement ANR).
19.11.2024 à 16:58
Laurent Gautier, Professeur des Universités en linguistique allemande et appliquée, Université de Bourgogne
En novembre 1989, la chute du mur de Berlin a mis fin en l’espace de quelques heures seulement à près de quarante années de séparation entre les parties est et ouest de la ville, aboutissant à la réunification des deux Allemagnes. Les divisions entre ces deux sociétés étaient multiples, mais certaines demeurent encore peu connues, notamment sur le plan linguistique.
Il y a 35 ans, la chute du mur de Berlin, érigé en 1961, marque la réunion d’une ville divisée – Berlin-Ouest, sorte d’île à l’intérieur du territoire est-allemand d’un côté, Berlin-Est de l’autre – et d’un État divisé, partagé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale entre la République fédérale d’Allemagne (RFA) et la République démocratique allemande (RDA).
Les analyses ne manquent pas sur les processus ayant conduit à la disparition du mur et à la naissance, un an plus tard, d’un État allemand unifié. Les dimensions entre autres politiques, institutionnelles, économiques ou culturelles ont ainsi été étudiées, avec une attention particulière portée à la ville de Berlin. Toutefois, un aspect concernant cette séparation de quarante années reste moins connu, surtout en dehors des territoires allemands : l’évolution qu’a subie au cours de ces quatre décennies et demie la langue allemande en RDA.
La langue évolue au fil du temps : c’est une évidence. Mais, souvent, cette variation est abordée sur le temps long à l’échelle d’un ou de plusieurs siècles ; ou bien sur un temps extrêmement court avec l’apparition de néologismes sous la pression du besoin que nous avons de nommer de nouveaux concepts (découvertes scientifiques, inventions, etc.). Dans ce contexte, les quarante années de division de l’Allemagne représentent un laboratoire intéressant.
À un premier niveau, les divergences de fond entre les systèmes des deux États ont entraîné de grandes divergences lexicales, illustrant la manière dont un lexique peut donner à lire l’évolution d’une société. Deux séries de mots nouveaux sont ainsi apparues en RDA.
D’une part, des mots qui dénommaient des réalités est-allemandes n’existant pas sous une forme identique en RFA. Par exemple, le Dispatcher emprunté au russe, qui désigne un employé chargé de contrôler le processus de production et la bonne réalisation des objectifs imposés par la planification économique du régime.
D’autre part, des mots désignant des réalités partagées mais pour lesquelles des dénominations particulières permettaient de marquer la spécificité est-allemande et, ainsi, de mieux se « démarquer » de l’Allemagne de l’Ouest – octroyant de fait une marque idéologique au concept nommé.
C’est le cas de la formule Antifaschistischer Schutzwall employée pour désigner le mur de Berlin – une dénomination qui cherche à opérer une redéfinition politique au service de l’idéologie en place. Elle ne fait pas du mur un élément de division, mais lui attribue un rôle protecteur pour les citoyens de RDA face à une Europe occidentale ennemie qualifiée de fasciste. Il s’agit là d’un leitmotiv dans le discours officiel de RDA, bien analysé dans les travaux de recherche allemands, en particulier ceux de la linguiste Heidrun Kämper.
Berlin est aussi l’objet d’une intéressante paraphrase désignant la partie Est de la ville : Berlin Hauptstadt der DDR (littéralement : « Berlin, capitale de la RDA »). La non-utilisation du mot Est permet de faire passer la partition de la ville au second plan.
L’autre forme par laquelle le lexique reflète les évolutions divergentes des deux sociétés allemandes relève des « néologismes de sens », c’est-à-dire de l’apparition de nouveaux sens donnés à des mots existants.
Le terme Brigade désignait en allemand (et désigne d’ailleurs toujours) une « brigade » dans les deux sens principaux du terme existant aussi en français, pour l’armée et en cuisine. En RDA, un sens supplémentaire, emprunté au russe, lui a été attribué : celui de la plus petite unité d’ouvriers dans une entreprise de production.
À lire aussi : Et si on réunifiait enfin l’Allemagne…
Le lexique n’est toutefois pas le seul niveau linguistique touché par ces changements. La syntaxe – le mode de construction des phrases – l’est également, par exemple à travers l’utilisation accrue de formes passives qui permettaient d’exprimer les contenus, en particulier dans le domaine politique, de façon dépersonnalisée et sans jamais citer les agents des actions. Donnant le sentiment que ces décisions s’imposaient d’elles-mêmes à la population sans que personne ne soit désigné pour en avoir été à l’origine.
Les formules de routine, rythmant les interactions quotidiennes, se sont aussi « teintées de RDA ». À l’instar de Freundschaft (« amitié ») qui était la formule de salutation lors des rencontres de l’organisation de jeunesse Freie Deutsche Jugend (« jeunesse libre allemande »), ou mit sozialistischen Grüssen (« avec des salutations socialistes »), expression utilisée comme formule de clôture dans les lettres.
Les textes et les discours n’étaient pas en reste, avec deux types de textes emblématiques : les « blagues de RDA » (DDR-Witze), mettant généralement en scène le régime, le parti unique ou les conditions de vie ; et les lettres de réclamation, dites Eingaben, un type de texte inventé par le régime et à la structure très figée.
Le film Good Bye Lenin ! en présente un exemple parfait. Le personnage de Christiane Kerner – la mère du protagoniste – aidait, du temps de la RDA, des personnes dans l’écriture de leurs Eingaben. Sur un mode ironique, le film met ainsi en évidence la façon dont cette variété d’allemand était sclérosée, reposant sur des fossilisations de formules « prêtes à l’emploi » et le plus souvent vides de sens.
À lire aussi : L’Allemagne de l’Est est-elle la grande perdante de l’unification ?
Avant ce film devenu culte, des écrivains de RDA s’employaient déjà à montrer le ridicule de cette langue largement artificielle (incarnée en particulier par le quotidien Neues Deutschland). Ils dé-construisaient ces formules pour en faire tomber les masques linguistiques.
L’état des lieux de l’allemand en RDA, décrit plus haut, doit être contextualisé d’abord sur le plan linguistique. Les années 1960-1970 sont marquées dans l’espace germanophone par un large débat sur la question des variétés de la langue. La question était de savoir si l’allemand n’existait que sous une seule forme, celle de l’Allemagne – le plus souvent réduite de manière implicite à la RFA –, et si les variétés autrichienne ou suisse devaient être considérées comme des « déviances » par rapport à cette unique norme de référence ; ou s’il fallait considérer l’allemand, à l’instar notamment de l’anglais, comme une langue dotée de différents centres légitimes (ici, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse) caractérisés par des variétés propres historiquement constituées et sources d’identification pour les locuteurs locaux.
Or dans le cadre de cette discussion sur la langue, la RDA voit une carte à jouer sur le plan politique. En 1969-1970, une rupture survient dans le discours officiel est-allemand : les officiels postulent l’existence d’une « langue » différente de celle pratiquée en RFA, appuyant la revendication d’une nation est-allemande. Cela s’est traduit concrètement et au premier chef dans le travail lexicographique de « fabrication » des dictionnaires. Depuis 1952, un groupe de travail à l’Académie des Sciences de Berlin (Est) élabore un dictionnaire de référence produit en RDA, le Wörterbuch der deutschen Gegenwartssprache (dictionnaire de la langue allemande contemporaine), aujourd’hui accessible en ligne.
Après la parution des trois premiers tomes, le travail de cette commission connaît une inflexion afin de mettre en œuvre le programme de politique linguistique du régime. Stigmatisation systématique des mots propres à la RFA et plus généralement à l’Europe occidentale tels que Faschismus (fascisme) ou bürgerlich (bourgeois), révision des définitions et des exemples pour les rendre conformes à l’idéologie du régime, attention accrue portée aux mots et aux expressions propres à la RDA. Cette inflexion a non seulement concerné les tomes encore en cours d’élaboration (4 à 6) mais a aussi débouché sur une refonte des trois premiers pour les rendre plus « conformes ».
Toutefois, peu de sources permettent de mesurer aujourd’hui le véritable degré de pénétration de cette politique linguistique dans la pratique réelle des locuteurs est-allemands. Les sources les plus accessibles relèvent toutes du discours officiel, public ou médiatique, qui appliquait scrupuleusement les préconisations du régime. Afin de contourner ce biais, il faut donc aussi consulter les égo-documents (correspondances privées, journaux intimes, biographies linguistiques) qui permettent d’accéder à une part d’intime – dimension essentielle pour étudier les usages d’une langue.
Aujourd’hui, l’emploi de termes propres à l’ancienne RDA n’est jamais dû au hasard. Ils peuvent avoir une valeur documentaire car relevant de réalités désormais historiques, ou être utilisés de façon ironique pour marquer une forme de distanciation. L’attention de la recherche sur la langue allemande – comme pour d’autres idiomes – porte davantage sur les évolutions récentes : néologismes, par exemple liés à la pandémie ou aux questions climatiques, évolution des modes d’écriture liés aux dispositifs sociotechniques, places des emojis, etc.
Laurent Gautier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
19.11.2024 à 16:57
Cathy Grosjean, Enseignante-chercheuse sur la transition écologique, UCLy (Lyon Catholic University)
Comment s’inspirer des principes du vivant tout en respectant la biosphère ? Le biomimétisme nous invite à replacer l’homme comme une espèce vivante parmi les autres espèces vivantes. Explications.
Quel point commun entre les vitrages auto-nettoyants, les verres fabriquées par chimie douce et le traitement des eaux usées ECOSTP ? Tous relèvent du biomimétisme, une démarche visant à résoudre des problèmes et concevoir des solutions en s’inspirant des principes du vivant tout en respectant la biosphère et les limites planétaires.
Ainsi, les vitrages auto-nettoyants reproduisent l’effet superhydrophobe observé à la surface des feuilles de Lotus : une surface microtexturée et très hydrophobe qui ne retient ni la saleté ni l’eau. La chimie douce fabrique du verre à température ambiante en s’inspirant des processus biologiques identifiés chez les Diatomées, des microalgues qui fabriquent des « carapaces » transparentes en verre de silice. Quant au procédé ECOSTP, il s’inspire du fonctionnement de l’estomac à plusieurs chambres des vaches pour purifier l’eau sans alimentation électrique.
Les solutions identifiées par cette démarche sont ainsi par essence même économes en matière et en énergie, robustes et résilientes, elles s’insèrent dans leur milieu sans le dégrader et elles ne génèrent pas de déchets non réutilisables, au même titre que les processus développés par l’ensemble des êtres vivants au long des 3,8 milliards d’années d’évolution de la vie sur Terre.
Cette démarche de biomimétisme a toujours existé spontanément dans les populations humaines mais elle s’est structurée et théorisée récemment. Le terme lui-même de biomimétisme a été proposé pour la première fois en 1969 par le biophysicien américain Otto Herbert Schmitt dans le titre de son article Some interesting and useful biomimetic transforms.
Une étape majeure dans la structuration du concept a été la publication en 1997 du livre de l’Américaine diplômée en gestion des ressources naturelles Janine Benuys Biomimétisme : quand la nature inspire des innovations durables (Biomimicry : Innovation Inspired by Nature). L’auteure a regroupé et structuré de nombreuses approches hétérogènes comme la permaculture, la symbiose industrielle, l’écoconception… et a proposé de quitter la vision très technique de la bionique (démarche qui crée des systèmes technologiques inspirés du vivant) pour construire la vision systémique du biomimétisme, qui prend en compte les conditions d’équilibre et les interactions entre les différents éléments du système vivant étudié.
Qu’est-ce que le biomimétisme ?
Comment s’inspirer des principes du vivant tout en respectant la biosphère ? Le biomimétisme nous invite à replacer l’homme comme une espèce vivante parmi les autres espèces vivantes. Explications.
Sous l’impulsion de ce livre, des think tanks et des cabinets de conseil se sont ensuite créés, tels que Biomimicry 3.8 et le Biomimicry Institute aux États-Unis, ou le CEEBIOS (Centre d’excellence en biomimétisme de Senlis) en France.
Ainsi le biomimétisme s’est développé et installé dans le paysage mondial ces vingt-cinq dernières années : la mise en œuvre technologique du concept s’est accompagnée d’une définition par une norme ISO, les politiques s’en sont également emparés et les chercheurs ont commencé à livrer des analyses critiques, notamment sous l’angle de la philosophie et de l’éthique.
Le biomimétisme doit désormais faire ses preuves. Se contenter de reproduire des concepts techniques ne suffira pas, seule l’intégration d’une dimension systémique peut répondre aux enjeux environnementaux de manière réellement soutenable. Quelques réalisations indiquent que c’est possible, comme celles relevant de l’écologie industrielle et territoriale ou encore les démarches de type permaentreprise.
Cette dimension systémique est rendue visible par le terme d’écomimétisme parfois utilisé à la place de biomimétisme : il enjoint de nous inspirer non pas seulement des fonctions biologiques mais des propriétés des écosystèmes, donc de prendre en compte les interrelations entre les espèces et les populations, la circularité des flux de matière et d’énergie, la frugalité dans l’utilisation des ressources… : des propriétés des écosystèmes garantes du respect de la biosphère et des limites planétaires.
Le biomimétisme et l’écomimétisme doivent également faire leurs preuves dans leur capacité à intégrer une réflexion éthique : imiter la nature pour des applications purement techniques n’est qu’une instrumentalisation de plus de la nature.
De nombreux auteurs invitent au contraire à un changement de paradigme philosophique : replacer l’homme comme une espèce vivante parmi les autres espèces vivantes. Car c’est la position dominante de l’homme vis-à-vis de la nature qui a abouti à notre économie extractiviste, linéaire et mondialisée, destructrice de nos milieux de vie et des conditions d’habitabilité de la Terre.
Cathy Grosjean ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
19.11.2024 à 16:55
Kelly R. MacGregor, Professor of Geology, Macalester College
Depuis que les Grecs de l’Antiquité ont fait des observations de la Lune et du ciel, les scientifiques savent que la Terre est une sphère. Nous avons tous vu de magnifiques images de la Terre depuis l’espace, certaines photographiées par des astronautes et d’autres collectées par des satellites en orbite. Alors pourquoi notre planète ne semble-t-elle pas ronde lorsque nous nous trouvons dans un parc ou que nous regardons par la fenêtre ?
La réponse est une question de perspective. Les êtres humains sont de minuscules créatures vivant sur une très grande sphère.
Imaginez que vous êtes un acrobate de cirque debout sur une boule d’environ 1 mètre de large. Du haut de la boule, vous la voyez s’éloigner de vos pieds dans toutes les directions.
Imaginez maintenant une petite mouche sur cette boule de cirque. Son point de vue se situerait probablement à un millimètre ou moins au-dessus de la surface. Comme la mouche est beaucoup plus petite que la balle et que son point de vue est proche de la surface, elle ne peut pas voir toute la balle.
Chaque semaine, nos scientifiques répondent à vos questions.
N’hésitez pas à nous écrire pour poser la vôtre et nous trouverons la meilleure personne pour vous répondre.
Et bien sûr, les questions bêtes, ça n’existe pas !
La Terre mesure environ 12,8 millions de mètres de large, et même le regard d’un adulte de grande taille ne culmine qu’à environ 2 mètres au-dessus de sa surface. Il est impossible pour nos yeux de saisir la taille de la Terre sphérique lorsque nous nous trouvons dessus. Vous ne pourriez pas visualiser que la Terre est une sphère même en montant au sommet du mont Everest, qui se trouve à 8 850 mètres au-dessus du niveau de la mer.
La seule façon de voir la courbe de la Terre est de s’envoler à plus de 10 kilomètres au-dessus de sa surface. En effet, la longueur de l’horizon que nous voyons dépend de la hauteur à laquelle nous nous trouvons au-dessus de la surface de la Terre.
Debout sur le sol, sans rien qui bloque notre vision, nos yeux peuvent voir environ 4,8 kilomètres de l’horizon. Ce n’est pas assez pour que la ligne d’horizon commence à montrer sa courbe. Comme une mouche sur une boule de cirque, nous ne voyons pas assez le bord où la Terre rencontre le ciel.
Pour voir l’ensemble de la sphère planétaire, il faudrait voyager avec avec un astronaute ou à bord d’un satellite. Vous auriez ainsi une vue complète de la Terre à une distance beaucoup plus grande.
Les gros avions de ligne peuvent également voler suffisamment haut pour donner un aperçu de la courbure de la Terre, bien que les pilotes aient une bien meilleure vue depuis l’avant de l’avion que les passagers depuis les fenêtres latérales.
Même depuis l’espace, vous ne pourriez pas déceler quelque chose d’important à propos de la forme de la Terre : elle n’est pas parfaitement ronde. Il s’agit en fait d’un sphéroïde légèrement aplati ou d’un ellipsoïde. Cela signifie qu’autour de l’équateur, elle est un peu plus large que haute, comme une sphère sur laquelle on se serait assis et qu’on aurait un peu écrasée.
Ce phénomène est dû à la rotation de la Terre, qui crée une force centrifuge. Cette force produit un léger renflement au niveau de la taille de la planète.
Les caractéristiques topographiques de la surface de la Terre, telles que les montagnes et les fosses sous-marines, déforment également légèrement sa forme. Elles provoquent de légères variations dans l’intensité du champ gravitationnel terrestre.
Les sciences de la Terre, le domaine que j’étudie, comportent une branche appelée géodésie qui se consacre à l’étude de la forme de la Terre et de sa position dans l’espace. La géodésie sert à tout, de la construction d’égouts à l’établissement de cartes précises de l’élévation du niveau de la mer, en passant par le lancement et le suivi d’engins spatiaux.
Kelly R. MacGregor reçoit des fonds de la National Science Foundation, du Keck Geology Consortium et du Minnesota Environment and Natural Resources Trust Fund (ENRTF).