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14.07.2025 à 18:34
Donald Trump et les diverses traditions de la politique étrangère américaine
Texte intégral (2434 mots)
Les actions de Donald Trump sur la scène internationale – qu’il s’agisse des rebondissements de sa guerre tarifaire, de son comportement sur le dossier russo-ukrainien ou, tout récemment, de son implication dans la guerre Israël-Iran – sont souvent jugées imprévisibles, voire irrationnelles. Mais en réalité, ces décisions s’inscrivent dans diverses traditions politiques américaines qui ne datent pas d’hier.
Il faut au moins un an pour juger la politique étrangère d’une nouvelle administration américaine, et c’est d’ailleurs le temps minimum que celle-ci se donne pour rédiger sa traditionnelle « stratégie de sécurité nationale » qui indique le cap et les priorités. Ainsi, la première administration Trump avait publié la sienne fin 2017, et l’administration Biden n’avait rendu son texte public qu’en octobre 2022, soit presque deux ans après son arrivée à la Maison Blanche.
Entre les craintes de « tsunami » et le choc suscité par le discours de J. D. Vance à Munich, il est néanmoins possible dès aujourd’hui de baser l’analyse sur des faits et pas seulement sur des présupposés. Trois points de repère doivent entrer ici en considération : le facteur personnel ; les traditions de la politique étrangère américaine ; et le poids du contexte géopolitique.
Le facteur Trump : chaos ou pragmatisme ?
Du premier mandat de Donald Trump, on avait retenu une présidence mal préparée, chaotique et freinée par « l’État profond » américain (l’administration, les diplomates, l’armée, les services de renseignement), par exemple dans ses velléités de se rapprocher de la Russie ou de trouver un accord avec la Corée du Nord.
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Le second mandat a commencé avec une volonté beaucoup plus affirmée de s’emparer de l’ensemble des rênes du pouvoir. En mars dernier, l’épisode de la fuite de la « boucle Signal » – le rédacteur en chef de The Atlantic aurait accidentellement été ajouté à une conversation confidentielle du gouvernement américain durant laquelle était discutée une opération de frappes aériennes contre les Houthis au Yémen – révélait déjà les contours et les débats du nouveau cercle décisionnel américain.
Se borner à fustiger l’imprévisibilité ou la vanité du président américain, et tout ramener à la question de savoir « où sont les adultes dans la pièce », ne permet ni de comprendre ni de rendre compte de la logique de ses décisions. Il est certain que les va-et-vient des menaces de droits de douane, par exemple, ou que les polémiques à répétition dans les relations avec les dirigeants étrangers, comme avec les présidents Zelensky et Macron, continuent de dérouter les observateurs et les usagers des pratiques diplomatiques.
Pour autant, il y a toujours, dans les actions et les déclarations du président américain, une finalité interne, populiste et électoraliste qui doit être prise en compte par ses interlocuteurs étrangers, même si c’est un facteur évident de complication. Mais l’analyse doit porter le regard au-delà de ces péripéties de forme.
Le trumpisme dans les traditions de politique étrangère américaine : populisme et réalisme
Walter Russel Mead a élaboré en 2001 une classification célèbre des traditions de la politique étrangère américaine : l’isolationnisme de Jefferson (président de 1801 à 1809), l’économisme de Hamilton (secrétaire au Trésor de 1789 à 1795), le populisme d’Andrew Jackson (président de 1829 à 1837), ou encore le libéralisme internationaliste de Woodrow Wilson (président de 1913 à 1921). Plus simplement, Henry Kissinger avait opposé en 1994 la posture du « phare » de la liberté (dans une logique jeffersonienne, donc isolationniste) à celle du « croisé » (dans une logique wilsonienne, donc interventionniste), plaidant pour sa part pour une autre voie intermédiaire, qu’il qualifiait de réaliste, inspirée de la diplomatie bismarckienne.
La politique étrangère de Donald Trump s’inscrit parfaitement dans la tradition jacksonienne, avec son populisme nationaliste avide de puissance et de force (« America First », « Make America Great Again », la « paix par la force »), illustré par des visées expansionnistes sur le Canada, le Groenland ou encore le canal de Panama. Mais on peut aussi voir chez lui certaines tendances isolationnistes au repli (qui remontent aux origines, dès le premier président américain George Washington), ainsi qu’une priorité affichée pour l’économie (qui peut rappeler la vision d’Hamilton, favorable au libre-échange mais n’écartant pas le protectionnisme).
Sur le plan des faits, Trump n’est pas un belliciste, mais ce n’est pas non plus un pacifiste ni un isolationniste, comme l’avaient déjà montré ses frappes en Syrie en 2017 et en 2018. Ses frappes sur le Yémen et sur l’Iran en 2025 l’ont confirmé : il n’entend pas mettre fin au leadership militaire américain dans le monde.
Au niveau économique, Trump renoue avec une tradition protectionniste américaine d’avant la Seconde Guerre mondiale (qui rappelle les tarifs McKinley en 1890 et la loi sur les droits de douane Hawley-Smoot en 1930), mais sans renoncer à conclure des accords commerciaux, qui restent la finalité ultime de ses guerres commerciales, dans une logique de rééquilibrage.
C’est évidemment avec l’internationalisme libéral américain que la rupture est la plus flagrante, et le contraste est net avec l’administration Biden qui avait ressoudé les alliances de Washington avec ses alliés traditionnels (UE, Japon, Australie…) face aux régimes autoritaires russe et chinois. Il reste que Trump n’a pas remis en question la présence de son pays au sein de l’OTAN, cherchant plus à faire payer ses alliés qu’à supprimer la garantie de sécurité américaine.
Le changement de posture sur la Russie n’est pas, en soi, un changement d’alliance. En effet, Washington n’est pas allé jusqu’à forcer Volodymyr Zelensky à se plier aux conditions maximalistes de Poutine. Trump est sans doute freiné en cela par l’hostilité profonde de l’opinion américaine à l’égard de la Russie. Sur la Chine, sa position dure est en revanche dans la continuité de la position des administrations précédentes.
Par ailleurs, il faut rappeler que les républicains sont marqués par une tradition réaliste (Eisenhower, Nixon, Bush père) par opposition à la tradition plus idéologique des démocrates – à l’exception très particulière de la présidence de George W. Bush, dominée par les « néoconservateurs », que Pierre Hassner caractérisait comme un « wilsonisme botté ».
Dans la lignée de Kissinger, Trump n’est ni dans l’isolement du « phare », ni dans la « croisade » démocratique, mais dans une logique transactionnelle qui dépend des rapports de puissance. C’est en effet à cette logique qu’il faut raccrocher ses efforts plus ou moins fructueux de régler les conflits (Gaza, Inde/Pakistan, RDC/Rwanda, Ukraine).
Les États-Unis entre leadership et retrait
Donald Trump est confronté, au-delà de ses orientations populistes, nationalistes et idéologiquement réactionnaires, à des changements structurels de la géopolitique mondiale qui mettent au défi le leadership américain depuis longtemps. Et là encore sa politique paraît afficher des continuités dont on peut donner plusieurs exemples.
L’unilatéralisme qu’ont manifesté par exemple les frappes au Yémen ou en Iran est une tradition très ancienne de la puissance américaine. « Multilateral when we can, unilateral when we must », disait un slogan de l’époque Clinton/Albright. Trump accentue certes le mépris des institutions multilatérales et des alliés, mais ce n’est pas de lui que date le mépris américain pour le droit international.
La tentation du retrait stratégique remonte à la présidence de Barack Obama et découle du fardeau militaire, politique, financier, humain, moral, qu’a été l’enlisement en Afghanistan et en Irak. Trump a essayé d’accélérer ce retrait durant son premier mandat, mais c’est Obama qui avait retiré les troupes américaines d’Irak en 2011, et c’est Biden qui a quitté l’Afghanistan en 2021. Trump a aussi manifesté la même réticence à engager des opérations autres qu’aériennes. En cela, il s’inscrit dans les pas d’Obama qui privilégiait une « guerre furtive » contre le terrorisme, dont les récentes frappes de Trump au Yémen et en Iran apparaissent comme un prolongement.
Le durcissement de la relation avec la Chine est également une évolution qui enjambe les mandats de Obama, Trump et Biden. C’est devenu la priorité de la politique étrangère américaine. Entre les années 2000 et 2020, un Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (« Quad ») avait été lancé entre les États-Unis, l’Australie, l’Inde et la Chine. Ce format, destiné à contenir l’expansion chinoise, a été relancé par l’administration Trump en 2017. Il a donné lieu à plusieurs sommets sous l’administration Biden, et il a été l’objet de la première rencontre multilatérale à laquelle a participé le Secrétaire d’État Marco Rubio en janvier 2025.
Découlant de la volonté de réduire la dépendance à la Chine, les politiques d’autonomie stratégique de l’administration Biden (comme la loi sur la réduction de l’inflation « IRA » de 2022 et le « Chips Act » de 2023) ont été poursuivies sous une autre forme : le soutien aux énergies fossiles plutôt qu’aux renouvelables, ou encore les investissements venus de l’étranger plutôt que les subventions. Mais leur objectif, de même que celui des « tariffs », reste le même : relocaliser la production aux États-Unis, dans une optique mercantiliste, pour accroître la puissance économique américaine, réduire les vulnérabilités, diminuer les déficits et créer des emplois.
Enfin, la proximité avec Israël, plus que jamais revendiquée par l’administration Trump, est consubstantielle à la politique étrangère américaine depuis la création de l’État juif. Les démocrates avaient pris certaines distances avec la politique de Benyamin Nétanyahou, mais pas au point de s’en désolidariser totalement. Il est probable qu’Israël n’a pu attaquer l’Iran sans un soutien américain. En revanche, Trump a manifesté à plusieurs reprises son impatience vis-à-vis de son allié israélien, sans que tout cela n’ait encore débouché sur une politique complètement cohérente.
Trump déchaîné ou Trump enchaîné ?
Les premiers mois du deuxième mandat Trump montrent qu’il n’y a pas de plan établi et méthodique pour mettre en œuvre une politique étrangère radicalement nouvelle.
Trump n’est peut-être plus freiné par « l’État profond » comme il l’avait été durant son premier mandat, mais il est confronté à des pesanteurs géopolitiques qui ne peuvent qu’entraver sa volonté et ses actions quand il veut s’affranchir des réalités. Ce qui, pour les partenaires historiques de l’Amérique, est une évolution plutôt réconfortante.

Maxime Lefebvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
10.07.2025 à 16:04
« Migrants », « réfugiés », « illégaux », « candidats à l’asile »… comment les politiques et les médias désignent les personnes en déplacement
Texte intégral (1645 mots)
L’analyse de plus de 13 000 articles de presse et 3 400 journaux télévisés montre la grande diversité des termes utilisés pour désigner les personnes en déplacement – une terminologie qui influence profondément le regard porté sur elles.
Les termes utilisés dans les médias pour désigner les personnes en déplacement (une formule encore peu répandue en France mais qui tend à s’imposer comme une expression neutre et inclusive dans les sphères internationales, notamment au sein d’organisations comme l’Organisation internationale pour les migrations (OIM)) ne sont jamais neutres : ils révèlent, souvent malgré eux, des rapports de force politiques et idéologiques.
La catégorisation – et donc le mot utilisé pour désigner une catégorie – manifeste un rapport de pouvoir. Dans le contexte de la « crise migratoire » européenne, l’usage des catégories est devenu fortement politisé, et varie largement selon le contexte discursif. De plus, la catégorisation et la nomination dans le discours médiatique influencent grandement l’opinion publique.
Dans le cadre de ma thèse de doctorat, j’ai examiné plus de 13 300 articles de presse et 3 490 journaux télévisés diffusés en Belgique entre mars 2015 et juillet 2017. À travers une analyse lexicale du discours médiatique, ce travail documente le répertoire de dénominations utilisées pour nommer les personnes en déplacement et l’évolution du sens de ces termes dans les médias belges. La recherche dévoile plus de 300 dénominations et désignations différentes, allant des plus établies (réfugié, migrant, demandeur d’asile) à des formes plus fugitives ou créatives : personnes qui cherchent une vie meilleure, clients, amis, etc.
La porosité du langage médiatique aux discours politiques
Cette productivité lexicale s’explique par le besoin des journalistes et des responsables politiques de nommer de nouvelles situations ou des cas spécifiques. Elle révèle aussi la porosité du discours médiatique aux discours politiques, à tel point que de nombreuses dénominations, bien qu’émanant du monde politique et non des journalistes eux-mêmes, se retrouvent dans les médias via le discours rapporté – comme c’est le cas pour des formules comme « chercheur de fortune » ou le terme « illégal ».
Ces dénominations servent souvent à classer les personnes selon leur « mérite », divisant celles qui mériteraient d’être accueillies (les réfugiés politiques « idéaux ») de celles qui devraient être expulsées (les migrants dits « économiques »).
Les journalistes ne créent pas les mots qu’ils emploient. Ils piochent dans le langage juridique et administratif, ou dans les débats politiques. Ce qui les amène à reproduire, parfois sans le vouloir, les représentations dominantes. Cette dynamique est particulièrement visible dans le lexique des migrations.
Prenons l’exemple du mot transmigrant. Inexistant dans le droit international, ce terme s’est imposé dans les discours politiques belges dès 2015 pour désigner les personnes qui tentaient de rejoindre le Royaume-Uni depuis la France ou la Belgique, sans vouloir y rester. Ce néologisme a très vite été repris par les médias, en particulier néerlandophones. Les personnes ainsi désignées sont perçues comme provisoires et illégales. On parle de leur présence comme d’un « problème », jamais d’une trajectoire. La force de ce mot réside dans son caractère flou : ni réfugié, ni migrant, ni demandeur d’asile, le transmigrant devient une catégorie politique commode pour justifier l’application à son encontre des politiques de contrôle, voire d’expulsion, tout en évitant les obligations internationales liées à l’asile.
Autre exemple frappant : la forte fréquence du terme illégal, « l’exclu des exclus ». Cette désignation stigmatisante s’est banalisée dans le discours médiatique. Entre 2015 et 2017, plus de 700 occurrences du terme ont été relevées dans le corpus néerlandophone, contre 94 seulement dans le corpus francophone. Ce décalage linguistique reflète des choix éditoriaux différents mais aussi une proximité plus ou moins assumée avec les éléments de langage politiques.
La Belgique, pays multilingue sans espace public unifié, constitue un laboratoire d’observation privilégié. Les différences lexicales entre les médias francophones et néerlandophones sont notables : usage plus fréquent de sans-papiers au sud, de illegalen (« illégaux ») au nord ; plus de voix associatives dans les JT francophones, plus de voix politiques dans les JT néerlandophones. Mais ces différences ne doivent pas masquer une tendance commune : dans les deux espaces, le langage médiatique reste fortement influencé par les discours politiques, souvent opposés à l’accueil de réfugiés (durant la période étudiée, le secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Théo Francken, était issu du parti nationaliste flamand N-VA, qui a fait de l’immigration son cheval de bataille.).
Des journalistes critiques : pistes de bonnes pratiques
Certains journalistes développent des pratiques plus réflexives, plus éthiques. Les termes utilisés pour nommer sont souvent précis : mineur non accompagné, candidat à l’asile, personne en situation irrégulière, réfugié de guerre… Ou, une fois que le statut de la personne est décrit, des termes relationnels ou des termes comme sœur, fils, voisin ou ami, sont également utilisés. Cette précision permet d’éviter les amalgames et d’humaniser ces personnes.
Si les termes stigmatisants apparaissent surtout dans la bouche des politiciens et circulent via les discours rapportés, ils sont généralement contextualisés, voire remis en question par les journalistes qui s’en distancent en les mettant entre guillemets :
« Trois policiers l’emmènent. D. est ici en tant que “migrant illégal”, comme ils l’appellent. » (Het Laatste Nieuws, 24 août 2016).
Les journalistes font également preuve d’une grande créativité lexicale. Ils ont, par exemple, créé la désignation candidat demandeur d’asile pour référer aux personnes qui font la file devant l’Office des étrangers sans pouvoir déposer leur demande d’asile :
« Hier, l’Office des étrangers a dû refuser une cinquantaine de réfugiés qui voulaient demander l’asile parce que la salle d’attente était surpeuplée. Les candidats demandeurs d’asile doivent trouver refuge chez des parents ou des connaissances ou dans un hôtel. Certains n’y sont pas parvenus et ont passé la nuit dans un parc bruxellois. » (VRT, 4 août 2015).
Et ils n’hésitent pas à se montrer critiques :
« En outre, la confusion entre la cupidité et la recherche d’une vie meilleure est le plus souvent délibérée. Ainsi, nos esprits sont façonnés pour cocher mentalement la case “réfugié de guerre” et mettre une croix à côté de “réfugié économique”. Le “chercheur de fortune” a progressivement acquis une connotation négative. Sémantique ? Oui, mais pas de manière innocente. Des gens se noient en Méditerranée parce que l’Europe a tergiversé dans les opérations de sauvetage. » (De Standaard, 27 février 2016)
À lire aussi : À bord de l’« Ocean Viking » (1) : paroles de réfugiés secourus en mer
Les termes liés à la migration mettent l’accent sur des aspects très variés : origine, nationalité, genre, statut relationnel, destination ou mouvement. De nombreuses dénominations dans le discours médiatique sont accompagnées de qualificatifs (vulnérable, économique, adjectifs de nationalité), qui modifient le sens du mot, même lorsqu’il s’agit de catégories juridiques supposées stables et précises sur le plan sémantique.
Vers un journalisme plus conscient
Pour aller vers une couverture médiatique plus humaine et plus rigoureuse des migrations, plusieurs pistes peuvent être envisagées :
Contextualiser les mots, leur usage, en expliquer la genèse, la portée.
Donner la parole aux personnes concernées, pour qu’elles puissent se nommer elles-mêmes.
Former les journalistes pour qu’ils prennent conscience des effets de leurs choix lexicaux.
Favoriser la diversité des sources : ONG, chercheurs, personnes en migration, avocats, et pas seulement des responsables politiques.
Pour aller plus loin, se reporter à notre livre (en anglais) « Did you say “migrant” ? Media Representations of People on the Move ».

Valériane Mistiaen a reçu des financements du Fonds de la Recherche Scientifique (FNRS) pour mener sa thèse de doctorat.
10.07.2025 à 16:03
L’Indonésie à l’honneur le 14 juillet, reflet de la stratégie française en Indo-Pacifique
Texte intégral (2544 mots)
Portées par une volonté commune de proposer à la région indo-pacifique une option alternative à la rivalité sino-américaine, la France et l’Indonésie approfondissent le partenariat stratégique scellé en 2011. Après la visite d’État d’Emmanuel Macron à Jakarta en mai dernier, son homologue indonésien, Prabowo Subianto, est cette fois l’invité d’honneur du défilé du 14 juillet à Paris. Au-delà du symbole, c’est une dynamique de rapprochement à la fois militaire, économique et diplomatique qui se confirme entre les deux pays.
Quelques semaines après une visite d’État en Indonésie, Emmanuel Macron a rendu la politesse à son homologue indonésien, Prabowo Subianto, en le conviant aux cérémonies du 14 juillet 2025 en tant qu’invité d’honneur.
Cette double séquence diplomatique entre Jakarta et Paris, concomitante au 75e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, s’inscrit dans la continuité d’un partenariat en plein essor.
Élevée au rang de partenariat stratégique en 2011, la relation franco-indonésienne constitue désormais l’un des piliers de la politique proactive de la France en Asie du Sud-Est. Pour l’Indonésie, la France, en plus d’être un partenaire européen d’autant plus important qu’elle est un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, représente un levier de diversification stratégique cohérent avec sa posture traditionnelle de non-alignement.
Porté par une coopération de défense en pleine croissance, ce partenariat se veut ambitieux et durable. Si la relation globale demeure encore modeste, notamment en matière d’échanges économiques, les convergences géopolitiques croissantes et des ambitions compatibles dans la région indo-pacifique ouvrent la voie à un approfondissement stratégique de long terme.
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Une coopération de défense florissante
La coopération de défense et de sécurité constitue la pierre angulaire du partenariat franco-indonésien. Elle a connu un développement important au cours des cinq dernières années, notamment grâce à d’importants accords dans le domaine de l’armement.
Depuis 2022, l’Indonésie a acquis 42 avions de chasse Rafale, 2 sous-marins de classe Scorpène (impliquant des transferts de technologie importants, puisque ceux-ci sont construits par le chantier PT PAL en Indonésie), 13 radars longue portée Ground Master 400 auprès de Thales et 2 avions de transport militaire Airbus A400M. La France profite donc largement de l’effort capacitaire indonésien entamé depuis près d’une décennie et de la stratégie de diversification des fournisseurs, articulée autour d’une exigence croissante de transferts de technologies.
Jakarta est désormais le deuxième client de la France en Indo-Pacifique (derrière l’Inde), et la base industrielle et technologique de défense (BITD) française espère des ventes supplémentaires prochainement : Rafale et Scorpène supplémentaires, frégate de défense et d’intervention, avions Airbus multirôle de ravitaillement en vol et de transport (MRTT), satellites, missiles sol-air Mistral et système de défense aérienne VL MICA.
Cette communauté de moyens inédite entre les deux pays s’accompagne d’une coopération opérationnelle en progression constante. Ainsi, l’Indonésie est une escale régulière des missions de projections aériennes françaises Pégase. Les deux pays organisent un exercice terrestre nommé Garuda Guerrier depuis 2023. Une frégate française a participé en 2025 à l’exercice indonésien Komodo.
Sur les théâtres extérieurs, leur participation commune aux opérations de maintien de la paix de l’ONU, notamment la FINUL au Liban dont les deux pays sont des contributeurs majeurs, donne également lieu à des interactions opérationnelles renforcées.
Point d’orgue de cette dynamique de coopération, le porte-avions Charles de Gaulle a, pour la première fois de son histoire, fait escale en Indonésie, à Lombok, en février 2025. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, s’est spécialement déplacé sur place et a accueilli à bord du bâtiment son homologue indonésien, Sjafrie Sjamsoeddin.
À lire aussi : Le porte-avions « Charles-de-Gaulle », vitrine des ambitions françaises en Indo-Pacifique
Un partenariat global et ambitieux, mais encore modeste
Le partenariat franco-indonésien ne se limite pas à la seule sphère de la défense. Avec plus de 280 millions d’habitants, l’Indonésie est la première économie d’Asie du Sud-Est et représente, à ce titre, d’importantes perspectives de croissance.
La déclaration conjointe publiée à l’issue du voyage du président français en mai 2025, intitulée Horizon 2050, en témoigne : ses 68 points couvrent un spectre très large, allant de la gouvernance internationale à la sécurité alimentaire, en passant par la transition énergétique, la coopération maritime, la biodiversité, l’enseignement supérieur, la culture, le sport ou encore le droit.
Pourtant, malgré une feuille de route bilatérale ambitieuse et la présence de quelque 200 filiales françaises implantées dans le pays – notamment de grands groupes comme Eramet, Total ou Danone –, les échanges économiques entre la France et l’Indonésie demeurent modestes.
Avec environ 3,5 milliards d’euros d’échanges commerciaux annuels, la France reste un partenaire économique de second rang pour l’Indonésie, loin derrière la Chine (127 milliards), les États-Unis (35 milliards) ou encore d’autres puissances asiatiques, et ne figure qu’au quatrième rang des partenaires européens. De son côté, l’Indonésie n’est que le cinquième partenaire économique de la France au sein de l’Asean derrière Singapour, le Vietnam, la Thaïlande et la Malaisie.
Si la France demeure active sur le plan culturel et éducatif, notamment grâce à un Institut français dynamique et présent dans 4 villes, la communauté française en Indonésie reste toutefois relativement modeste, avec environ 3 000 expatriés recensés, bien moins qu’à Singapour ou en Thaïlande.
Convergences géopolitiques
Pourtant, au-delà des chiffres, c’est avant tout une vision commune des relations internationales qui semble porter le partenariat. Une vision que le président français a résumée en ces termes à Jakarta : « Nous ne voulons la guerre avec personne, mais nous ne voulons dépendre de personne. »
Pour l’Indonésie, le principe fondamental de sa politique étrangère depuis son indépendance en 1945 est la doctrine bebas aktif – une diplomatie libre et active – qui repose sur une politique de non-alignement, engagée, multilatérale et constructive. C’est cette vision qui a guidé l’engagement de l’Indonésie dans le mouvement des non-alignés et son rôle clé dans l’organisation sur son territoire de la Conférence de Bandung en 1955.
À lire aussi : En relations internationales, le non-alignement existe-t-il vraiment ?
Soixante-dix ans plus tard, Jakarta reste un acteur diplomatique très actif : présidence du G20 en 2022, de l’Asean en 2023, adhésion aux BRICS en 2024, candidature en cours à l’OCDE, participation accrue aux opérations de maintien de la paix.
Dans un contexte régional marqué par l’intensification de la rivalité sino-américaine, Jakarta réaffirme sa volonté d’autonomie stratégique. L’élection du président Prabowo Subianto — ancien gendre de Suharto et militaire de carrière à réputation pour le moins contrastée du fait des multiples accusations l’ayant visé par le passé — s’inscrit dans la continuité de cette posture d’équilibriste. Passé par les États-Unis dans le cadre de sa formation, le nouveau chef de l’État a pourtant réservé son premier déplacement officiel à la Chine, en novembre 2024.
Ce geste fort s’est accompagné d’une déclaration conjointe sur l’exploitation partagée des ressources en mer de Chine méridionale, et ce, en dépit des tensions persistantes dans la zone des îles Natuna – une région sous souveraineté indonésienne, mais régulièrement sujette à des incursions de navires de pêche et de garde-côtes chinois.
Ces constantes de la politique étrangère indonésienne, marquée par une proximité simultanée et parfois tendue avec Washington et Pékin, sont compatibles avec « l’autonomie stratégique » défendue par le président Macron comme facteur de rapprochement entre l’Asie et l’Europe pour former une « coalition d’indépendants », concept qu’il a défendu lors du dernier dialogue de Shangri-La à Singapour.
Depuis 2023, les deux pays ont instauré un dialogue stratégique au format 2 +2 (réunissant les ministres des Affaires étrangères et de la Défense), une première pour l’Indonésie avec un pays européen – et cherchent désormais à approfondir leur coopération sur les grands enjeux internationaux. Ainsi, la déclaration conjointe franco-indonésienne du 28 mai 2025 sur le Proche-Orient appelle à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, condamne fermement l’occupation illégale des territoires palestiniens et réaffirme l’engagement des deux pays en faveur de la solution à deux États.
C’est cependant dans l’espace indo-pacifique que les convergences stratégiques entre la France et l’Indonésie sont les plus nettes, les deux pays partageant, on l’a dit, une volonté commune de stabilité, de multilatéralisme et aussi de préservation des biens communs maritimes (lutte contre la pêche illégale, la pollution et les trafics illicites, sauvetage en mer, sécurisation des infrastructures critiques, surveillance des domaines maritimes, réponse aux catastrophes naturelles, aide humanitaire).
Horizons indo-pacifiques
À l’heure où l’Indo-Pacifique s’impose comme le théâtre central des recompositions géopolitiques, la convergence entre Paris et Jakarta se reflète dans leurs documents de doctrine respectifs : la Stratégie française en Indo-Pacifique (2018) et la Vision de l’Asean pour l’Indo-Pacifique (2019), dont l’Indonésie a été l’un des principaux artisans.
Les deux pays coopèrent déjà étroitement au sein de plusieurs forums multilatéraux dans l’océan Indien et en Asie du Sud-Est, tels que l’Indian Ocean Rim Association (IORA), l’Indian Ocean Naval Symposium (IONS) ou l’Asean Defence Ministers Meeting Plus (groupe auquel la France participe comme observateur).
Cette dynamique pourrait s’étendre au Pacifique insulaire, où la France – puissance riveraine – et l’Indonésie – État archipélagique majeur – ont tout intérêt à conjuguer leurs efforts pour répondre aux vulnérabilités spécifiques des États océaniens, en lien avec les priorités portées par le Forum des Îles du Pacifique, institution dont les deux pays sont partenaires de dialogue.
À cet égard, l’Indonésie cherche à renforcer sa présence diplomatique dans le Pacifique océanien. Elle est membre associé du Groupe de Fer de lance mélanésien (MSG) depuis 2015 et souhaite désormais participer au Sommet des ministres de la défense des pays du Pacifique (SPDMM). Dans cette stratégie, Jakarta s’appuie directement sur la France, perçue comme un acteur moins polarisant que la Chine ou les États-Unis dans la région.
Autant de dynamiques convergentes qui augurent d’un renforcement du partenariat franco-indonésien ans les années à venir.

Paco Milhiet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
09.07.2025 à 16:24
Trump, Nétanyahou et l’introuvable cessez-le-feu à Gaza
Texte intégral (2475 mots)
Lors de la visite de Benyamin Nétanyahou à Washington, Donald Trump a affiché son optimisme quant à un possible cessez-le-feu à Gaza. Pourtant, les discussions patinent, et les objectifs à long terme du gouvernement israélien révèlent bien plus un choix pour la guerre que de véritables pistes de résolution du conflit.
Le 7 juillet, Donald Trump a accueilli le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou pour un dîner à la Maison Blanche, à l’issue duquel il a déclaré que les pourparlers visant à mettre fin à la guerre à Gaza « se passent très bien ».
De son côté, Nétanyahou a annoncé qu’il avait proposé la candidature de Trump au prix Nobel de la paix, déclarant :
« Il est en train de forger la paix, à l’instant même, d’un pays à l’autre, d’une région à l’autre. »
Malgré toutes ces déclarations sur la paix, les négociations en cours au Qatar entre les délégations israélienne et palestinienne se sont interrompues sans résultats concrets. Les pourparlers devraient reprendre plus tard cette semaine.
Si un accord est conclu, il sera sans doute considéré comme une chance majeure de mettre fin à presque deux ans de crise humanitaire à Gaza, ouverte par l’opération lancée par Tsahal dans la bande après les attaques du 7 octobre au cours desquelles 1 200 Israéliens ont été tués.
Cependant, le scepticisme grandit quant à la pérennité de tout éventuel cessez-le-feu. Le précédent accord de cessez-le-feu, conclu en janvier 2025 et ayant permis la libération de dizaines d’otages israéliens et de centaines de prisonniers palestiniens, a été rompu dès mars, lorsque Israël a repris ses opérations militaires à Gaza.
Cette rupture de confiance des deux côtés, combinée aux opérations militaires israéliennes en cours et à l’instabilité politique, laisse penser qu’un nouvel accord risque de n’être qu’une pause temporaire plutôt qu’une solution durable.
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Les détails de l’accord
L’accord proposé prévoit un cessez-le-feu de 60 jours visant à désamorcer les tensions entre les différents acteurs et à créer un espace pour des négociations en vue d’un règlement plus pérenne.
Le Hamas devrait libérer dix otages israéliens survivants et restituer les dépouilles de dix-huit autres. En échange, Israël devrait retirer ses forces militaires vers une zone tampon définie le long des frontières de Gaza avec Israël et l’Égypte.

Par ailleurs, alors que les modalités précises d’un échange de prisonniers restent en cours de discussion, la libération de détenus palestiniens emprisonnés en Israël continue d’être un volet central des négociations et des revendications palestiniennes.
L’aide humanitaire constitue également un volet majeur de l’accord. L’assistance serait acheminée par des organisations internationales, principalement des agences de l’ONU et le Croissant-Rouge palestinien.
Cependant, l’accord ne précise pas le rôle futur du Fonds humanitaire de Gaza soutenu par les États-Unis, qui distribue une aide alimentaire depuis le mois de mai, et ce alors que l’urgence d’un accès humanitaire se fait chaque jour plus pressante au regard de l’ampleur des destructions à Gaza.
Selon le ministère de la Santé de Gaza, la campagne militaire israélienne a coûté la vie à plus de 57 000 Palestiniens (chiffres repris par l’ONU). L’offensive a déclenché une crise alimentaire, déplacé une grande partie de la population à l’intérieur du territoire et laissé de vastes zones en ruines.
Fait important, cet accord ne mettrait pas fin à la guerre, ce qui constitue une revendication centrale du Hamas. Il engage plutôt les deux parties à poursuivre les discussions durant les 60 jours, dans l’espoir d’aboutir à un cessez-le-feu plus solide et global.
Les obstacles pour une paix durable
Même si le contexte semble propice à la signature d’un cessez-le-feu définitif, tout spécialement après les lourds dégâts infligés au Hamas par Israël, le gouvernement de Nétanyahou semble réticent à mettre un terme complet à sa campagne militaire.
Pour des raisons en bonne partie propres à des considérations de politique intérieure : la coalition au pouvoir en Israël dépend fortement de partis d’extrême droite qui insistent pour poursuivre la guerre. Toute tentative sérieuse de cessez-le-feu pourrait vraisemblablement entraîner l’effondrement du gouvernement Nétanyahou.
Pourtant, d’un point de vue militaire, Israël a atteint plusieurs de ses objectifs tactiques.
Il a considérablement affaibli le Hamas ainsi que d’autres factions palestiniennes et provoqué une dévastation généralisée à travers Gaza. S’y ajoutent, en Cisjordanie, le meurtre de centaines de Palestiniens, ainsi que des arrestations massives et de nombreuses démolitions de maisons.

De plus, Israël a réussi à contraindre le Hezbollah libanais à réduire très significativement ses attaques visant l’État hébreu, et lui a infligé de lourdes pertes, y compris son leader historique, Hassan Nasrallah.
Plus important encore peut-être, Israël a, en juin dernier, frappé en profondeur l’infrastructure militaire iranienne, tuant des dizaines de commandants de haut rang et endommageant les capacités balistiques et nucléaires de Téhéran.
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Les intentions réelles du gouvernement israélien
Pourtant, les buts de Nétanyahou semblent dépasser les simples victoires tactiques. Plusieurs signes indiquent qu’il vise deux objectifs stratégiques plus larges.
D’abord, en rendant Gaza de plus en plus invivable, son gouvernement pourrait pousser les Palestiniens à fuir la Bande. Cela ouvrirait de fait la voie à une annexion du territoire par Israël à long terme – un scénario soutenu par une grande partie des alliés d’extrême droite du premier ministre.
S’exprimant à la Maison Blanche, Nétanyahou a affirmé travailler de concert avec les États-Unis pour trouver des pays prêts à accueillir les Palestiniens de Gaza :
« Si les gens veulent rester, ils peuvent rester ; mais s’ils veulent partir, ils doivent pouvoir partir. »
Ensuite, en prolongeant la guerre, Nétanyahou peut retarder son procès pour corruption en cours et prolonger sa survie politique.
Au cœur de l’impasse se trouve la vision de l’extrême droite israélienne : celle d’une défaite totale des Palestiniens, sans concessions ni reconnaissance d’un futur État palestinien. Une vision qui bloque depuis des décennies la résolution du conflit.
Divers dirigeants israéliens ont à plusieurs reprises qualifié toute entité palestinienne potentielle de « moins qu’un État » ou « État-moins », une formulation qui ne correspond ni aux aspirations palestiniennes ni aux normes juridiques internationales.
Aujourd’hui, même cette vision limitée semble écartée, alors que la politique israélienne s’oriente vers un rejet total de l’idée d’un État palestinien.
Alors que les mouvements de résistance palestiniens sont fortement affaiblis et qu’aucune menace immédiate ne pèse sur Israël, la période actuelle constitue un test crucial des intentions de Tel-Aviv.
Israël cherche-t-il véritablement la paix, ou vise-t-il à consolider sa domination dans la région tout en niant de façon permanente aux Palestiniens leur droit à un État ?
À la suite de ses succès militaires et de la normalisation de ses relations avec plusieurs États arabes dans le cadre des Accords d’Abraham en 2020, le discours politique israélien n’a fait que se radicaliser.
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Certaines voix au sein de l’establishment israélien plaident ouvertement pour le déplacement permanent des Palestiniens vers des pays arabes voisins comme la Jordanie, l’Égypte ou l’Arabie saoudite. La mise en œuvre d’un tel projet reviendrait à effacer toute perspective de création d’un futur État palestinien.
Cela suggère que, pour certaines factions en Israël, l’objectif final n’est pas un règlement négocié, mais une solution unilatérale qui redessinerait la carte et la composition démographique de la région.
Les semaines à venir révéleront si Israël choisira la voie du compromis et de la coexistence, ou s’il empruntera une trajectoire rendant impossible toute paix durable.

Ali Mamouri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
09.07.2025 à 16:18
États-Unis : nouveau feu vert de la Cour suprême à une présidence monarchique
Texte intégral (2538 mots)
Le 27 juin, par six voix contre trois – celles des six juges conservateurs contre les trois progressistes –, la Cour suprême des États-Unis a rendu une décision aux lourdes implications : les juges fédéraux ne pourront plus bloquer les décisions de l’administration Trump. Plus que jamais, le président a les mains libres pour appliquer ses décrets, y compris ceux qui contreviennent aux dispositions de la Constitution.
L’affaire qui a conduit à la décision prise par la Cour suprême le 27 juin touche au droit du sol. Signé en grande pompe par Donald Trump le jour même de son investiture, le 20 janvier 2025, le décret 14 610 stipule que les enfants nés de parents ne disposant pas de titre de séjour permanent valable (green card) ou n’ayant pas la nationalité américaine ne deviennent pas citoyens à la naissance.
Ce décret constitue une violation de ce que prévoient explicitement le 14ᵉ amendement à la Constitution, la loi sur la nationalité de 1940 et la jurisprudence de la Cour suprême elle-même : dans la décision U.S. v. Wonk Kym Ark de 1898, elle avait jugé que même si ses parents étaient « sujets de l’Empereur de Chine », un enfant né aux États-Unis était bien citoyen américain.
Un tour de passe-passe judiciaire
L’application du décret avait alors immédiatement été contestée par 22 États, des associations pour la défense des migrants et plusieurs mères enceintes souhaitant protéger les droits de leur enfant à naître, puis suspendue par trois juges différents saisis au Massachusetts, dans le Maryland et dans l’État de Washington. Ces ordonnances avaient ensuite été confirmées en appel.
Face à ce blocage, l’administration Trump a adressé à la Cour suprême une demande d’intervention d’urgence, dans laquelle elle demandait à la Cour de juger illégales les ordonnances dites « universelles » (Nationwide injunctions).
La Cour aurait pu refuser ce tour de passe-passe mais, une fois de plus, elle a refusé de jouer son rôle de contre-pouvoir. Le 27 juin, dans la décision « Trump vs. CASA » (CASA étant le nom d’une organisation d’aide aux migrants), elle a accédé aux désirs du président. Le moment et l’affaire choisis sont éminemment politiques : les initiatives de l’administration Biden en matière de vaccination obligatoire ou d’effacement de la dette des étudiants avaient été bloquées par ce type d’ordonnances universelles, et la Cour n’avait alors rien fait.
Durant l’audience du 15 mai, les questions posées par les juges conservateurs avaient reflété leur hostilité envers les ordonnances universelles, qui s’appliquent à tous ceux dont les droits risquent d’être violés, et pas seulement aux requérants et parties aux procès. Pourtant, alors que le risque était de créer le chaos avec des situations différentes selon les États, une ordonnance universelle se justifiait pleinement ici.
Cette pratique, qui est un phénomène récent (remontant sans doute à 1963), a connu un pic au cours des 20 dernières années et a été critiquée par les républicains comme par les démocrates, à des périodes différentes. Elle est due à une conjonction de facteurs. Parce que le Congrès est polarisé et dysfonctionnel, les présidents Obama, Trump et Biden ont eu recours aux décrets pour tenter de faire avancer leurs priorités politiques hors la voie législative. Leurs adversaires ont aussitôt saisi la justice fédérale en ayant soin de choisir une juridiction dont les juges partagent leur vision idéologique, ce qu’on appelle le forum shopping.
Les républicains intentent leurs actions au Texas et en Floride, qui relèvent de deux cours d’appel conservatrices (5e et 11e circuits). Les progressistes, eux, saisissent la justice à New York, dans l’Oregon ou à Hawaï, là où les juges sont plutôt progressistes et où les cours d’appel compétentes, celles des 2e et 9e circuits, sont encore progressistes malgré la nomination par Trump, durant son premier mandat, de 250 juges très conservateurs choisis par la Federalist Society pour leur fidélité idéologique.
La décision de la Cour suprême et ses conséquences
L’opinion majoritaire rédigée par la juge conservatrice Barrett est courte (33 pages) mais accompagnée de plusieurs opinions « séparées » – des opinions convergentes rédigées par les juges de droite qui auraient voulu aller plus loin, et deux opinions dissidentes par les juges progressistes.
La motivation de l’opinion majoritaire est extrêmement technique et s’appuie sur un pseudo-originalisme qui remonte à la naissance de l’Equity créé en Angleterre pour pallier les lacunes du droit de common law, et à la loi qui a créé le système judiciaire des États-Unis (Federal Judiciary Act, 1789) pour conclure que les juridictions fédérales ne jouissent pas du pouvoir de rendre ces ordonnances universelles.
La juge progressiste Sotomayor, auteur d’une longue opinion dissidente démontant le raisonnement de la juge Barrett, a décidé d’en lire des extraits (pendant 20 minutes) à haute voix, après l’annonce, par la juge Barrett, de la décision de la majorité. Cette pratique extrêmement rare, déjà utilisée par elle-même une fois cette année et plusieurs fois par la juge Ruth B. Ginsburg, icône de la gauche, vise à porter le débat au-delà du cercle restreint des juristes, et à souligner son désaccord profond avec la décision majoritaire et les dangers pour les libertés dont cette décision est porteuse.
La juge progressiste Jackson, dans une deuxième opinion dissidente, a le mérite de poser la question de façon plus directe encore. Les juridictions peuvent-elles s’opposer à un comportement illégal ou inconstitutionnel du président ? De son point de vue, la réponse est positive. Mais la juge Barrett, avec une once de condescendance, a rétorqué dans l’opinion majoritaire que la loi qui a créé l’organisation judiciaire (Federal Judiciary Act de 1789) n’a pas accordé aux juridictions fédérales ce pouvoir d’agir en Equity. Celles-ci ne peuvent donc pas violer le droit juste pour empêcher le président de violer celui-ci. « Les juridictions n’exercent pas un contrôle général de la branche exécutive ; elles résolvent des “controverses” et contentieux en vertu de l’autorité qui leur a été conférée par le Congrès. Quand une juridiction conclut que l’Exécutif a agi de façon illégale, la solution n’est pas que le juge excède lui aussi ses pouvoirs et fasse de preuve de suprématie judiciaire. », écrit Barrett.
L’interdiction de ces ordonnances à portée universelle signifie qu’il incombera désormais, dans les 28 États dirigés par les républicains qui n’ont pas contesté le décret en justice, à chacun des enfants (ou plutôt à leurs représentants, mères ou associations ou États) de saisir le juge afin de contester l’application du décret en invoquant la violation du 14e amendement.
La décision rendue ne s’appliquera qu’à cet enfant ou à ce groupe d’enfants, mais pas à la totalité des enfants nés de parents ne disposant pas de titre de séjour permanent valable. Dès que le délai de 30 jours fixé par la Cour sera écoulé, l’administration Trump pourra appliquer le décret dans ces 28 États, ce qui pourra amener des mères à tenter d’aller accoucher à New York ou dans le Massachusetts et qui, à terme, va creuser encore davantage le fossé entre États « rouges » (républicains) et États « bleus » (démocrates) protecteurs des droits attaqués par l’administration Trump.
Sur le plan logistique, et c’est ce que défendaient les États requérants, ce sera le chaos car les enfants se déplacent au cours de leur vie. Or, le statut de citoyen entraîne des droits et permet de bénéficier de certains services. Quid si un enfant né dans un État « rouge » (où les autorités auront refusé de le déclarer comme citoyen à sa naissance) vient vivre dans un État « bleu » ? Il n’aura pas les documents nécessaires et l’État ne percevra pas les subventions correspondantes du gouvernement fédéral (bons alimentaires par exemple). La décision majoritaire n’a pas entendu les États, mais ceux-ci peuvent continuer à agir et vont modifier leur requête en tenant compte de l’arrêt de la Cour.
Quid de la suite ?
Restent les recours collectifs (class actions) qui avaient occupé une bonne partie du temps lors de l’audience. Les avocats des requérants ont expliqué que constituer une action de groupe est compliqué et prend du temps.
Ils ont tenté de convaincre les juges que lorsqu’il y a urgence, ce n’est pas l’instrument idéal. La Cour ne les a pas suivis. Dès l’annonce de la décision, les groupes de défense des libertés ont donc déposé des demandes d’actions de groupe « nationales ». C’est ce qu’a fait l’association de défense des libertés fondamentales ACLU le jour même de la décision, le 27 juin, dans le New Hampshire et un autre groupe dans le Maryland.
Mais ce sera un parcours semé d’embûches car la Cour a progressivement rendu plus difficile la certification des actions de groupes : elle a, par exemple, refusé de façon spécieuse de certifier l’affaire Walmart en 2011. Ce sera donc au mieux complexe et lent, à la différence de ces ordonnances qui protègent avec effet immédiat tous ceux qui risquent de se voir privés d’un droit constitutionnel.
La Cour veut-elle encore être un contre-pouvoir ?
Le pouvoir judiciaire a été créé afin d’être un contre-pouvoir et le rempart protégeant les droits et libertés. C’est ce qu’ écrit Alexander Hamilton dans Le Fédéraliste n° 78, et ce fut la mission des juridictions durant la deuxième moitié du XXe siècle.
Mais aujourd’hui, avec la Cour Roberts (du nom de John Roberts, président de la Cour suprême depuis 2005), les droits fondamentaux sont en danger, et pas uniquement le droit du sol. Une dizaine d’autres ordonnances suspendent pour l’instant des décrets sans doute illégaux signés par Donald Trump : ceux qui bloquent les fonds votés par le Congrès, démantèlent les agences, limogent les fonctionnaires, s’en prennent aux transgenres et visent à modifier les règles électorales alors que celles-ci relèvent des États et, si besoin, du Congrès mais en aucun cas du président. Selon le texte du décret concerné, le libellé du recours et les requérants (États, particuliers), les juridictions vont devoir adapter leurs décisions en tenant compte de l’arrêt rendu par la Cour ce 27 juin.
En denier ressort, les affaires finiront devant la Cour suprême mais celle-ci, à la différence de la Cour Warren (1953-1969), ne cherche pas à ouvrir les portes de la Cour au maximum de justiciables et à les protéger. Elle veut limiter le nombre des bénéficiaires d’une décision favorable et la protection que peuvent procurer le droit et la Constitution à aussi peu de certains justiciables que possible. C’est apparu de façon évidente dans les questions et les développements des juges durant l’audience du 15 mai. Il s’agit, pour la Cour, de veiller à ce qu’un individu majeur ou mineur, qui risque d’être privé d’un droit, ne puisse pas bénéficier d’une décision qui n’a pas été le résultat d’une action en justice intentée par lui ou ses représentants.
Avec les trois juges nommés par Donald Trump à la Cour suprême durant son premier mandat, sélectionnés par la Federalist Society et approuvés grâce aux manœuvres de celui qui était alors le leader républicain au Sénat, Mitch McConnell, la Cour suprême est devenue la Cour des puissants et des nantis. Elle est enfin ce que voulaient l’avocat Powell (dans son Memo Powell de 1971) et ceux qui ont créé le mouvement conservateur dès les années 1970. Elle peut, par son interprétation des lois et de la Constitution, faire advenir des reculs (politiques, économiques et sociaux) qui ne peuvent passer par la voie législative. La droite est enfin parvenue à infléchir le droit en faveur des riches et puissants via la capture des juridictions et de la Cour suprême.

Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.