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07.11.2024 à 17:26
Make America Great Again (again) : à quoi la présidence Trump ressemblera-t-elle ?
Jared Mondschein, Director of Research, US Studies Centre, University of Sydney
Texte intégral (2096 mots)
Il est compliqué de prévoir la politique que Donald Trump mettra en œuvre au cours des quatre prochaines années. Il est toutefois possible d’en dessiner les grandes lignes, au vu de ce que fut son premier mandat et des tendances générales à l’œuvre aux États-Unis et dans le monde.
Prédire ce que Donald Trump fera lors de son second mandat présidentiel est d’autant plus une gageure qu’il n’a finalement pas beaucoup parlé de son programme politique au cours de la campagne électorale qui vient de s’achever. À bien des égards, Kamala Harris a adopté la même stratégie, consistant à garder le flou sur son programme, mais cela lui a moins bien réussi…
Cela étant dit, Donald Trump revient au pouvoir fort de quatre années d’expérience à la Maison Blanche mais aussi des quatre années suivantes durant lesquelles il n’a cessé de critiquer son successeur Joe Biden. Toutes ces années passées sous le feu des projecteurs ne peuvent pas nous dire avec certitude ce que le 47e président des États-Unis fera lors de son second mandat, mais elles donnent des indications sur ses grandes priorités.
Un programme politique ambigu
Le programme politique de Donald Trump manque à la fois de substance et de cohérence.
D’un côté, il a félicité les juges qu’il a nommés à la Cour suprême pour avoir annulé l’arrêt Roe vs Wade qui reconnaissait l’interruption volontaire de grossesse comme un droit protégé par la Constitution américaine. De l’autre, il a soigneusement évité la question de l’avortement durant sa campagne électorale et a encouragé le camp républicain à ne pas légiférer pour en durcir les restrictions.
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Dans la même veine, ce sont certains de ses principaux conseillers durant son premier mandat qui ont rédigé le Projet 2025 – un ensemble de propositions politiques ultra-conservatrices et controversées visant à consolider le pouvoir exécutif du candidat républicain une fois élu. Mais Trump a pris ses distances vis-à-vis de cette publication et de ses auteurs, affirmant qu’il ne l’avait même pas lue.
Enfin, le milliardaire Elon Musk, l’un de ses principaux partisans et plus grand soutien financier, a déclaré qu’il réduirait la taille du gouvernement, le montant des dépenses publiques et qu’il supprimerait un certain nombre d’agences fédérales pour améliorer la situation économique du pays. Or la plupart des économistes estiment que le programme économique de Donald Trump augmenterait considérablement le déficit national, plus encore que celui de Kamala Harris.
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Il existe tout de même un domaine dans lequel Donald Trump n’a jamais fait preuve d’ambiguïté : le commerce. Il a constamment maintenu une position protectionniste – et ce, depuis plusieurs décennies et ne devrait pas revenir sur ce principe à présent qu’il a été élu une deuxième fois. Il reste toutefois difficile de savoir dans quelle mesure les membres du Parti républicain des régions rurales soutiendront les politiques protectionnistes qu’il mettra en œuvre.
Un « dictateur d’un jour » ?
Lors d’un de ses meetings, Donald Trump avait promis de jouer les dictateurs, mais « seulement le premier jour », afin de faire passer en force un certain nombre de mesures.
Cette déclaration a été régulièrement citée dans les discours de campagne de Biden et de Harris pour discréditer le candidat républicain. Mais ce que cette promesse impliquerait concrètement reste encore obscur.
Donald Trump s’est d’abord engagé à fermer immédiatement la frontière avec le Mexique et à développer l’exploitation des combustibles fossiles.
Pendant sa campagne, il a élargi ses priorités en incluant :
Le licenciement du procureur spécial Jack Smith qui l’a inculpé dans deux affaires fédérales – dont celle des documents classifiés retrouvés dans sa résidence privée de Mar-a-Lago.
La libération de certains émeutiers emprisonnés pour avoir pris part à l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021 afin de contester sa dernière défaite électorale.
L’expulsion de quelque 11 millions d’immigrés illégaux vivant aux États-Unis.
L’abrogation de ce qu’il appelle les « atrocités du Green New Deal », visant le plan d’action du président sortant Joe Biden pour lutter contre le changement climatique.
En outre, à la surprise générale des défenseurs des droits des migrants, Donald Trump a déclaré qu’il accorderait « automatiquement » aux personnes étrangères et vivant aux États-Unis un titre de résidence permanente (la fameuse green card) dès l’obtention d’un diplôme dans l’enseignement supérieur américain.
Quid des membres de son cabinet ?
L’adage « personnel is policy » (littéralement, « le personnel fait la politique ») s’applique aussi bien aux administrations républicaines que démocrates.
Par exemple, la nomination de Kurt Campbell pour gérer les affaires indo-pacifiques au Conseil national de sécurité a révélé que l’administration Biden appliquerait en Asie une approche volontariste dite « d’alliés et partenaires ».
De même, en 2016, la nomination au poste influent de vice-président de Mike Pence, un « insider » du Parti républicain, avait permis à Donald Trump de montrer patte blanche auprès des Républicains traditionnels.
Depuis, ce dernier a fait savoir qu’Elon Musk et Robert F. Kennedy Jr – récemment entrés dans le monde politique – allaient intégrer son administration, sans préciser pour autant le rôle exact qu’ils occuperont.
Elon Musk a déjà promis de réduire la réglementation et la lourdeur bureaucratique du gouvernement, tandis que l’héritier Kennedy s’est engagé à « rendre l’Amérique saine à nouveau » (« Make America Healthy Again »).
Cependant, il est encore trop tôt pour dire quelles seront concrètement les fonctions de ces deux soutiens notoires, d’autant que les personnes nommées par Trump devront être confirmées par le Sénat.
En effet, même si les Républicains contrôlent à nouveau le Sénat, cela ne garantit pas un soutien inconditionnel pour les personnes nommées par le président Trump. Pour rappel, la faible majorité républicaine au Sénat n’avait pas soutenu l’ensemble de son programme en 2017.
Il semble probable que la rotation du personnel qui a caractérisé son premier mandat pourrait se reproduire. D’ailleurs, les nominations de l’ancien président avaient parfois manqué de logique. Ainsi, les conseillers successifs à la sécurité nationale, Michael Flynn puis John Bolton, avaient peu de choses en commun, si ce n’est un même antagonisme à l’égard des politiques conduites par l’administration Obama.
Parallèlement, le conseiller adjoint à la sécurité nationale Matt Pottinger est resté en poste durant la quasi-totalité du premier mandat Trump. Il a non seulement dirigé une grande partie des politiques stratégiques de son administration à l’égard de l’Asie, mais il a également donné naissance à la notion de « concurrence stratégique » avec la Chine – une notion qui survivra probablement aux administrations Biden et Trump.
Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes
En fin de compte, il est moins pertinent de tenter de deviner ce que pourrait faire le nouveau président des États-Unis que de se concentrer sur les tendances structurelles qui se poursuivent quel que soit le locataire de la Maison Blanche.
Il convient de souligner que l’administration Biden a maintenu voire renforcé certaines initiatives lancées par l’administration Trump sur le plan international. Entre autres, sa politique « Free and Open Indo-Pacific » (« libérer et ouvrir l’Indo-Pacifique ») dans le cadre de sa rivalité avec Pékin, l’application de tarifs douaniers, ou encore les accords d’Abraham qui ont normalisé les relations entre Israël et plusieurs États arabes.
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En termes de politique intérieure, l’administration Biden s’est aussi appuyée sur des politiques mises en œuvre sous la première présidence Trump, notamment le soutien de l’État à l’industrie manufacturière nationale, l’extension du crédit d’impôt pour enfant à charge, ou l’augmentation des restrictions imposées aux grandes entreprises technologiques.
Une administration Harris aurait été tout aussi peu encline que celle de Trump à considérer la Chine comme un partenaire économique équitable, à déployer des troupes américaines au Moyen-Orient ou bien à s’opposer à l’augmentation des budgets de défense des alliés de l’OTAN.
En conclusion, Donald Trump exercera sans aucun doute une gouvernance imprévisible et non conventionnelle. Mais ne pas prendre en considération les continuités marquant la politique américaine serait une erreur : ces dernières débutèrent avant l’accession de Donald Trump au pouvoir et devraient se poursuivre bien après la fin de son second mandat.
Jared Mondschein ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
07.11.2024 à 17:24
Israël interdit l’UNRWA, dernière bouée de sauvetage des réfugiés palestiniens
Valentina Napolitano, Sociologue, chargée de recherche à l'IRD (LPED/AMU), spécialiste des questions migratoires et des conflits au Moyen-Orient, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Falestin Naïli, Historienne, professeure assistante à l'Université de Bâle et chercheure associée à l'Institut français du Proche-Orient (Ifpo)., University of Basel
Texte intégral (2274 mots)
Israël vient d’interdire à l’UNRWA d’opérer dans les territoires palestiniens occupés, l’accusant d’avoir été massivement infiltrée par le Hamas. Or l’agence onusienne fournit de nombreux services de première nécessité aux habitants de Cisjordanie et surtout de Gaza : la cessation de ses activités aggravera considérablement leur situation déjà désastreuse.
Le 4 novembre 2024, Israël a officiellement informé l’ONU de son intention de rompre ses liens avec l’UNRWA, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens dans le Proche-Orient. Une décision confortée, le lendemain, par la victoire à l’élection présidentielle américaine de Donald Trump, soutien constant de Benyamin Nétanyahou et détracteur virulent de l’agence onusienne.
Il s’agit de la première étape dans l’application de deux lois controversées votées le 28 octobre dernier par la Knesset – le Parlement israélien – interdisant les activités de l’UNRWA à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Trois territoires où Israël, en tant que puissance occupante, est pourtant tenu de garantir l’accès à l’aide humanitaire en vertu des Conventions de Genève de 1949.
Le premier texte de loi interdit les actions menées par l’agence sur les territoires israéliens, y compris Jérusalem-Est qui a été annexée en violation du droit international. Tandis que le second texte rend illégal tout contact entre les autorités étatiques israéliennes et l’agence, ce qui empêcherait toute coordination entre l’UNRWA et l’administration militaire israélienne qui contrôle les territoires occupés.
La fin des opérations de l’agence onusienne, très active à Gaza, notamment en matière de vaccinations contre la poliomyélite (polio) et de coordination de l’aide arrivant au compte-gouttes, aurait des conséquences dramatiques. Tout spécialement dans cette enclave assiégée où la situation sanitaire et humanitaire, après 13 mois de conflit, est qualifiée de « catastrophique » par l’Organisation mondiale de la Santé. Rappelons que dès janvier 2024, une ordonnance de la Cour internationale de justice (CIJ) a évoqué à cet égard le « risque de génocide ».
La volonté de démanteler l’UNRWA ne date pas d’hier. La décision du 28 octobre marque l’aboutissement d’un processus lancé par Tel-Aviv il y a des années pour se débarrasser de cette agence qui, en 75 ans d’existence, n’a cessé de rappeler à Israël ses responsabilités dans la création du problème des réfugiés ainsi que les violations du droit international liées à sa politique expansionniste.
Interventions humanitaires indispensables et rôle politique
L’UNRWA a été créée en 1949 pour fournir une aide d’urgence à près de 800 000 réfugiés palestiniens. Son mandat initial vise à améliorer leurs conditions de vie, jusqu’au règlement juste de leur situation, fondé sur la résolution 194 (III) votée le 11 décembre 1948 qui établit leur droit au retour et à des compensations. Soumis à un renouvellement triennal, ce mandat s’est pérennisé du fait de la non-résolution du problème.
Dans ses cinq aires d’intervention (Jordanie, Liban, Syrie, Gaza et Cisjordanie), l’UNRWA est devenue, pour quelque 6 millions de personnes, un pourvoyeur majeur de services essentiels (éducation, santé, logement). Elle entretient les infrastructures de 58 camps où elle gère 706 écoles accueillant un demi-million d’élèves, 140 dispensaires médicaux de base et 113 centres communautaires, et accompagne également 475 projets de microfinance.
L’UNRWA est en outre, après les services publics des pays hôtes, le premier employeur de la région avec près de 30 000 employés dont la majorité sont des Palestiniens. Elle possède aussi des millions de documents d’archives (à Gaza et à Amman) qui constituent une source historique exceptionnelle, notamment sur la question des réfugiés.
Si au moment de sa création, l’action de l’agence avait été conçue comme neutre et apolitique, elle s’est inévitablement politisée.
Trouver une solution politique pour mettre fin au conflit israélo-palestinien était du ressort de la Commission de conciliation des Nations unies pour la Palestine (UNCCP) qui termina ses travaux à la fin des années 1950. Depuis, l’UNRWA est devenue le seul organisme de l’ONU fournissant aux Palestiniens des services quasi étatiques, mais elle ne leur accorde pas pour autant une protection politique internationale. En effet, les Palestiniens sont exclus du système de protection établi par la Convention de Genève sur le statut des réfugiés de 1951.
Le caractère politique de l’UNRWA est dû au fait qu’elle matérialise la responsabilité de la communauté internationale à l’égard des réfugiés palestiniens, qui la considèrent comme la garante de leur droit au retour. Théoriquement, son mandat aurait pu prendre fin avec une résolution politique, comme celle qui était attendue des accords d’Oslo de 1993.
Après l’échec du processus d’Oslo, un retour au droit international ?
Pendant la période de négociations ouverte par la Déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie (Oslo I), plusieurs dossiers épineux – dont celui des réfugiés palestiniens – avaient été reportés à la phase dite du « statut final », ostensiblement afin de ne pas compromettre l’ensemble des discussions.
Pour les Palestiniens, l’horizon d’attente ouvert par ce dossier ne concernait pas seulement le retour des réfugiés, mais aussi la création d’un État palestinien aux côtés d’un État israélien dans les frontières de 1967. Après la création d’un tel État, l’Autorité palestinienne (AP) aurait repris les responsabilités de l’UNRWA dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Un plan de transfert des services était ainsi prévu par le « Programme pour la mise en œuvre de la paix » afin d’améliorer les conditions de vie dans les camps de réfugiés et d’assurer le développement économique des territoires palestiniens.
Cependant, l’échec du processus d’Oslo (résultant en grande partie de la poursuite de la colonisation illégale des territoires palestiniens par Israël) entraîne le retour de la prééminence du cadre juridique établi par les résolutions de l’ONU, comme l’a récemment rappelé la Cour Internationale de Justice (CIJ) dans une de ses décisions.
D’après cette dernière, le droit international prime sur les négociations y compris celles d’Oslo, et l’occupation israélienne des territoires occupés en 1967, déclarée illégale, doit prendre fin dans les 12 mois suivant la résolution du 18 septembre 2024 de l’Assemblée générale des Nations unies.
L’UNRWA constitue dès lors, par sa simple existence et par son action constante, un rappel permanent du droit international auquel Israël devrait se conformer. De sorte que son élimination permettrait à Tel-Aviv de mettre à distance le problème du droit au retour des réfugiés, absolument tabou du côté israélien.
Or les conséquences socio-économiques et politiques qu’entraînerait une disparition de l’agence onusienne sont particulièrement inquiétantes.
Quelles perspectives post-UNRWA ?
À la suite de l’occupation des territoires palestiniens en 1967, Israël a demandé à l’UNRWA de poursuivre ses services qu’elle s’est engagée à faciliter conformément à un échange de lettres datant du 14 juin 1967.
Les relations entre Israël et l’agence se sont ensuite dégradées à partir des années 1970. Tel-Aviv accusant l’UNRWA de participer à la radicalisation idéologique des Palestiniens par le biais de ses écoles et d’être une arène d’action pour les acteurs du Mouvement national palestinien.
Les tensions se sont aggravées après les attaques du 7 octobre 2023 par le Hamas, à l’issue desquels 19 des 13 000 employés de l’UNRWA à Gaza ont été accusés par Israël d’avoir participé aux attaques. En réaction et sans attendre qu’une [enquête] soit lancée, les États-Unis et plusieurs pays de l’Union européenne, dont l’Allemagne, la France et l’Italie, ont suspendu en janvier 2024, le versement de leurs financements à l’agence. Après une enquête menée par l’ancienne ministre française des Affaires étrangères Catherine Colonna, seuls les États-Unis et la Suisse ont poursuivi le gel des fonds.
Lors des 13 derniers mois, les instances de l’UNRWA à Gaza ont été visées par des frappes israéliennes, au détriment du droit humanitaire international : 190 écoles, centres de santé et de distribution ont été bombardés, et 563 déplacés abrités dans ses écoles ainsi que 226 employés de l’agence ont été tués.
Les camps de réfugiés dans la bande de Gaza et en Cisjordanie ont été ciblés par de multiples attaques. En mai dernier, le siège de l’UNRWA à Jérusalem-Est a été contraint à la fermeture après une tentative d’incendie. En octobre, le terrain du quartier de Sheikh Jarrah où se situe le siège a été confisqué, dans le cadre de l’expansion d’une colonie israélienne.
Dans la continuité de ces attaques, les dernières lois adoptées par la Knesset pour interdire les actions de l’UNRWA violent le droit international, sans proposer d’alternative pour venir en aide aux réfugiés palestiniens. Israël se contentant d’affirmer espérer que d’autres agences onusiennes et organisations internationales « non politisées et plus efficaces » prendront le relais.
Tel-Aviv préconise aussi l’intervention d’organismes privés, peu conformes aux principes de neutralité et d’indépendance, dans le cadre de « bulles humanitaires » gérées par des sociétés privées ou de « gated communities » qui s’apparenteraient, en réalité, à des camps d’internements.
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Ces derniers mois, les discours de nombreux gouvernements occidentaux sur les réfugiés palestiniens n’ont fait que renforcer l’assignation exclusivement humanitaire des problèmes politiques qui caractérisent leur situation.
Alors que la « crise humanitaire » est devenue une expression consensuelle pour décrire la situation catastrophique sévissant dans la bande de Gaza, les deux lois votées par la Knesset visent à éradiquer l’acteur principal capable de prendre en charge la réponse humanitaire.
Après la marginalisation de la question politique des droits des réfugiés palestiniens, nous observons donc une détérioration programmée de leurs conditions de vie avec un risque, à terme, d’annihiler leur existence même.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
06.11.2024 à 17:17
La victoire de Trump, une bonne nouvelle (paradoxale) pour les Européens ?
Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po
Texte intégral (1876 mots)
La victoire de Donald Trump pourrait représenter le coup de fouet dont les Européens ont besoin pour renforcer significativement leur unité et moins dépendre de l’éternel protecteur d’outre-Atlantique.
La victoire de Donald Trump II, qui est aussi celle du nationalisme et de l’isolationnisme, a plongé la majeure partie des leaders européens dans la consternation. Durant toute la campagne, c’était l’élection de Kamala Harris que les Européens avaient espérée, souhaitée et appelée de leurs vœux. Seuls les dirigeants eurosceptiques du Vieux continent, Viktor Orban en tête, ont salué l’élection du Républicain comme 47e président des États-Unis.
Le retour de Trump à la Maison Blanche, doublée de la prise par les Républicains du Sénat et de leur probable maintien en tant que premier parti à la Chambre des représentants, annonce la mise en œuvre, au cours des quatre prochaines années, d’un programme politique et diplomatique aux antipodes des objectifs européens en matière de climat, de coopération internationale et de liens transatlantiques.
Toutefois, éclairés par la présidence Trump I et instruits par les crises actuelles, les Européens ont les moyens d’exploiter les opportunités ouvertes par une présidence Trump II. À condition d’agir ensemble et vite ! Les Européens ne sont pas condamnés à subir. Ils peuvent faire du prochain mandat américain une chance pour leur autonomie stratégique. Sous certaines conditions.
Dans l’antichambre des peurs européennes
L’élection de Donald Trump peut assurément devenir un cauchemar pour les Européens. Au vu de son premier mandat et de ses déclarations durant la campagne, ils savent déjà que plusieurs objectifs transatlantiques communs ne résisteront pas à son retour au pouvoir.
Le lien transatlantique redeviendra sous peu un rapport de force transactionnel : pour Donald Trump, les grandes alliances historiques des États-Unis issues de la Seconde Guerre mondiale, en Europe et en Asie, sont à la fois des fardeaux et des leviers d’action pour extorquer des concessions économiques aux Européens. N’a-t-il pas constamment accusé le Japon, l’Allemagne et l’OTAN en général de profiter indûment de la police d’assurance géopolitique américaine ? Loin de renforcer les partenariats, il cherchera à inquiéter, à diviser et à provoquer les Européens, qu’il traitera en clients, et non en alliés. Et l’UE risque de voir se creuser des clivages internes importants entre ceux qui voudront se concilier les faveurs de Trump II et ceux qui voudront y résister au prix de pressions économiques et politiques brutales. Que les Européens s’en souviennent : Trump II n’aura plus d’alliés mais des obligés régulièrement intimidés.
Cela aura une conséquence directe sur ce qui cimente l’OTAN et l’UE à l’heure actuelle : le soutien économique, militaire et diplomatique à l’Ukraine. Le candidat Trump a été très clair sur ses intentions : couper les crédits à l’Ukraine (80 milliards de dollars depuis 2022), se positionner en médiateur avec la Russie et obtenir une paix fondée sur un troc consistant en l’abandon par l’Ukraine de ses territoires de l’Est du pays en contrepartie de la fin de l’invasion russe. Là encore, la culture du rapport de force cèdera la place à l’animation du réseau d’alliés. La sécurité et la sérénité des Européens seront beaucoup moins bien garanties par une présidence Trump II sur les flancs orientaux et méridionaux du continent. La présidence Trump II estimera ne pas avoir de responsabilités à assumer, mais seulement des intérêts à promouvoir.
La cohésion de l’Occident sera également entamée dans les institutions internationales issues de la Seconde Guerre mondiale. Trump II continuera à afficher ses affinités avec des leaders en rupture avec l’Europe : Vladimir Poutine, Recep Tayyip Erdogan, Benyamin Nétanyahou, etc. Ce sera la fin du front uni à l’ONU sur l’Iran, sur la Corée du Nord ou encore sur le climat. Comme durant la première présidence Trump. Et les Européens risquent de se retrouver isolés, à mener des combats d’arrière-garde afin de préserver ce qui reste des mécanismes de coopération internationaux contestés par le Sud Global dans ses différents forums (G20, BRICS, OCS, etc.).
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Quant au volet commercial, il sera marqué par la hausse des droits de douane à la fois pour le partenaire rival chinois et pour l’allié européen : Donald Trump les placera sur un pied d’égalité en raison du déficit commercial massif envers l’un et envers l’autre.
Les risques inhérents à une présidence Trump II sont massifs et immédiats pour les Européens : désinformation, intimidation, désunion, isolement et insécurité aux frontières seront le pain quotidien des prochaines années pour les Européens. Ces dangers sont, en outre, accentués par l’affaiblissement des leaders de grands pays tels que la France et l’Allemagne – qui avaient endigué le premier tsunami trumpien. La résignation est-elle pour autant de mise ?
Ne pas manquer une occasion historique
En géopolitique comme en économie, une crise peut devenir une opportunité, à condition de la prévoir, de l’anticiper, de la préparer et de la traiter. C’est ce que vient de faire le premier ministre polonais Donald Tusk en qualifiant la victoire de Donald Trump d’oraison funèbre de la « sous-traitance géopolitique ».
Le choc de Trump II peut être paradoxalement salutaire pour les Européens. Mais cette potentielle thérapie de choc ne peut réussir que sous certaines conditions très difficiles à remplir. Que les Européens oublient un instant leurs craintes justifiées et leur déception amère !
Pour exploiter la crise géopolitique que provoque dès maintenant l’élection du candidat ouvertement nationaliste du MAGA, les Européens doivent s’imposer une discipline de fer en matière de coordination sur les principaux dossiers sécuritaires (Ukraine, Israël), économiques (IA, énergie, tarifs douaniers) et diplomatiques (sanctions, dialogue avec le Sud, organisations multilatérales).
La moindre faille dans cette coordination serait funeste car exploitée en même temps par Washington, Moscou et Pékin. Les mécanismes de coordination existent, même s’ils sont lents. Les leaders sont en place malgré leurs talons d’Achille, qu’il s’agisse de Mark Rutte à l’OTAN ou d’Ursula von der Leyen à l’UE… Cet atout est renforcé par le décalage des calendriers électoraux : l’UE est en phase de lancement de sa nouvelle mandature alors que la nouvelle administration Trump ne prendra ses fonctions qu’en janvier. Les Européens disposent de quelques semaines pour prendre position à l’avance sur tous les sujets de dissensus.
L’autre atout des Européens tient au contenu de leurs intérêts. En Ukraine, à eux de prendre le relais de l’aide américaine notamment militaire et de proposer rapidement un plan de cessez-le-feu et de négociation qui prendra de court la présidence Trump et coupera court aux plans de paix, très favorables à Moscou, avancés par le Sud Global. Dans les rapports avec la Chine, à eux de proposer une autre voie que la guerre tarifaire annoncée par Trump. Tenir un cap ferme mais moins belliqueux que Washington sera finalement aisé avec Pékin : l’UE n’est que le partenaire, pas le rival de la RPC.
Sur les rapports avec le Sud Global, les Européens doivent jouer la carte de la différence : ne pas hésiter à proposer une option alternative aux États-Unis, oser les concurrencer au Moyen-Orient par un bras de fer avec Israël, appeler une fois encore à une maîtrise par la négociation du programme nucléaire iranien, etc. La crédibilité des Européens dans le Sud sera objectivement favorisée par le discrédit que les États-Unis risquent fort de subir dans ces régions sous Trump II.
Enfin, face à une administration américaine sans complexe pour intimider ses partenaires européens, il faudra identifier des points sur lesquels ne pas céder : sur la gestion des données, sur l’IA, sur la diversification des sources d’énergie.
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Aujourd’hui, avec une coordination renforcée et un agenda européen bien identifié, les Européens sont capables non seulement de résister mais aussi d’en imposer à une administration Trump II.
En attendant Trump
Pour les Européens, la période de transition jusqu’au 20 janvier 2025 sera un test de cohésion, de rapidité et de sang froid. Durant ces deux mois, l’administration Biden passera le relais à l’administration Trump. Et, pendant ce temps, le candidat devenu président élu sans être président au sens plein multipliera les prises de position d’autant plus tonitruantes qu’elles ne seront pas traduites dans la réalité.
Aux Européens de le prendre de vitesse et de se positionner sur l’Ukraine, le Moyen-Orient, le commerce international et les organisations multilatérales avant et par différence avec lui. Ne perdons pas de temps : l’élection de Donald Trump peut précipiter la maturité européenne.
Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
06.11.2024 à 06:44
États-Unis : « … and justice for all », vraiment ?
Anne E. Deysine, Professeur émérite juriste et américaniste, spécialiste des États-Unis, questions politiques, sociales et juridiques (Cour suprême), Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
Texte intégral (2134 mots)
Quels que soient les résultats définitifs des élections américaines (au pluriel, car les élections au Sénat et à la Chambre sont tout aussi importantes que la présidentielle), la coloration idéologique des juridictions fédérales et de la Cour suprême – dont six des neuf juges nommés à vie actuellement en poste sont des conservateurs – en constitue un enjeu central et insuffisamment souligné.
Dans son dernier ouvrage, « Les juges contre l’Amérique. La capture de la Cour suprême par la droite radicale », qui vient de paraître aux Presses universitaires de Paris Nanterre, l’américaniste et juriste Anne Deysine décrypte les efforts déployés depuis les années 1980 par la droite radicale en vue d’accroître son emprise sur le pays. Des efforts en bonne partie couronnés de succès à présent que la Cour suprême penche très nettement à droite, notamment parce que Donald Trump a pu, durant sa présidence, y nommer trois juges – Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett – qui avaient été préselectionnés par le puissant lobby ultraconservateur Federalist Society, dirigé par Leonard Leo, un juriste peu connu du grand public avant 2016. Extraits.
La galaxie Leo
Parmi les nombreux groupes ad hoc qui constituent « la galaxie Leo », le plus important, la Federalist Society, est un groupe 501(c) (selon la nomenclature du Code des impôts) à but non lucratif qui, à ce titre, jouit d’un régime fiscal favorable. Mais ces groupes peuvent se coordonner avec d’autres groupes, les 501(c), ouvertement impliqués en politique.
Ainsi, deux des bras armés de Leo, le Judicial Crisis Network (JCN) et le Judicial Education Network (JEN), sont financés par des dons anonymes de plusieurs millions de dollars chaque année dont l’origine, toujours dissimulée, est liée aux financeurs de Leo. Ils ont dépensé 7 millions de dollars pour bloquer la candidature à la Cour suprême en 2016 de Merrick Garland, le candidat pourtant très modéré proposé par le président Obama après le décès du juge [conservateur] Scalia.
Ces mêmes groupes ont ensuite dépensé plus de 10 millions de dollars pour soutenir la candidature de Neil Gorsuch, nommé par Trump dès son entrée en fonction en janvier 2017. En 2021, JCN, devenu le Concord Fund, a dépensé plusieurs millions de dollars pour discréditer la candidate à la Cour suprême, Ketanji Brown Jackson, première juge afro-américaine, nommée par le président Biden pour succéder au juge Breyer qui avait été poussé à la démission.
[…]
Les organismes et groupes de la galaxie Leo sont nombreux et ont pour première caractéristique de porter des noms le plus souvent trompeurs ou qui suggèrent l’inverse de la réalité.
Ainsi, le projet pour des élections honnêtes (Honest Elections Project), ou le réseau pour l’intégrité électorale (Restoring Integrity and Trust in Elections) ont pour objectif affiché de restaurer l’intégrité et la confiance dans les élections alors qu’ils cherchent en réalité à instiller le doute et la méfiance sur les élections et le processus électoral. Ils ont notamment diffusé de fausses informations sur la fraude électorale dans l’élection de 2020, démenties par les études dont celle du Brennan Center. Quant au groupement Students for Fair Admission (Étudiants pour des procédures d’admission justes) créé par Edward Blum, il lutte activement contre toute prise en compte de facteurs raciaux pour l’entrée à l’université et est à l’origine de plusieurs contentieux dans lesquels il a obtenu gain de cause.
On peut également mentionner la Fondation juridique pour l’intérêt public (Public Interest Legal Foundation ou PILF) qui, contrairement à son nom ronflant, travaille à faire adopter des restrictions sur le droit de vote et à procéder à des radiations d’électeurs destinées à affecter de façon disproportionnée les membres des minorités qui ont tendance à voter pour les Démocrates. Ou encore l’Institut Claremont pour la jurisprudence constitutionnelle (Claremont Institute Center for Constitutional Jurisprudence) et le célébre groupe ALEC (American Legislative Exchange Council ou Conseil américain pour les projets législatifs) créé par les milliardaires frères Koch (qui possèdent, entre autres, la chaîne d’hypermarchés Walmart).
ALEC produit des projets de loi clés en main que les législatures des États n’ont plus qu’à adopter, aussi bien pour limiter le rôle des syndicats que pour saper le droit de vote. Il ne faut pas oublier dans cette liste le groupe Citizens United, à l’origine de l’action en justice qui a permis la dérégulation des financements électoraux en 2010.
Tous ces groupes partagent des locaux communs, les mêmes boîtes postales et les mêmes cabinets d’avocats. Leurs fonds proviennent des mêmes financeurs qui leur font passer les sommes nécessaires pour organiser leur stratégie juridictionnelle et « monter » les affaires. Ce sont eux qui mettent en musique la composante judiciaire de la stratégie tous azimuts de la droite.
Le volet juridictionnel
En matière de nominations, la Federalist Society participe de près à la sélection des futurs juges et orchestre des campagnes de publicité pour ou contre les candidats ; mais ce n’est que le premier volet de sa stratégie. Leo et d’autres comme Edward Blum (à la tête de Students For Fair Admissions qui combat tout dispositif préférentiel – Affirmative Action), David Bossie (groupe Citizens United) ainsi qu’une constellation de groupes jouent depuis vingt ans un rôle tout aussi essentiel mais moins visible et moins connu.
Ils sont très actifs en sous-main pour susciter et soutenir les contentieux adéquats afin de faire cheminer des affaires jusqu’à la Cour suprême pour tenter d’obtenir un revirement de jurisprudence, la dégradation de certains droits ou le renforcement de certains autres comme le port d’armes ou la liberté religieuse. Un moyen complémentaire consiste à noyer la juridiction suprême sous une avalanche de pétitions amicus curiae coordonnées et financées par la galaxie Leo.
La réussite de ces stratégies se lit dans les chiffres : plus de 80 décisions de la Cour Roberts [du nom du conservateur John Roberts, président de la Cour suprême – Chief Justice – depuis 2005] sont partisanes et ont, à partir de 2006, été rendues à cinq voix, celles des « Républicains » contre quatre, celles des progressistes, avant l’arrivée d’Amy Coney Barrett en 2020. Elles éliminent toute contrainte en matière de financement des élections (Citizens United v. FEC) et sur les donations anonymes (AFPF v. Bonta) tandis que d’autres affaiblissent les contre-pouvoirs, notamment ceux des syndicats (Janus v. AFSCME) ou des agences à pouvoir réglementaire (Seila Law v.CFPB et West Va. v. EPA) ; ou renforcent le port d’armes (devenu « droit individuel » dans District of Columbia v. Heller en 2008).
Avec la super majorité de droite, la Cour a pu invalider en 2023 les mécanismes d’Affirmative Action visant à la diversité à l’université (Students for Fair Admissions v. Harvard et Students for Fair Admissions v. North Carolina).
Les opérations permettant de restreindre certains droits et d’affaiblir l’État-providence ont continué durant la session 2023-2024.
Les stratégies juridictionnelles : mode d’emploi
Dans un fonctionnement normal de la justice, un plaignant saisit la justice pour obtenir gain de cause. Mais la droite a perverti le système et chaque étape est instrumentalisée.
Pour les groupes de la galaxie Leo, la première étape est l’identification d’un contentieux posant les bonnes questions de droit, quitte à les susciter. Puis il s’agit de trouver des requérants possibles qui, le plus souvent, n’auraient pas pensé à aller en justice et qui sont des instruments « écran » ou des cobayes en vue d’un objectif précis, faire évoluer le droit dans le sens souhaité par la droite radicale.
Le demandeur idéal sera, selon les cas, un État, un individu (M. Janus), un comté (Shelby), une fédération d’entreprises (NFIB pour la loi ACA et l’obligation de vaccination) ou un groupe (New York State Rifle ; Pistol Association pour l’affaire de port d’armes dans l’État de New York). Et lorsque le premier plaignant ne convient pas ou se retire, il suffit d’en trouver un autre.
Ainsi dans l’affaire Janus concernant les droits des syndicats à collecter certaines contributions auprès des non-syndiqués, le premier requérant, un gouverneur républicain, n’est pas parvenu à établir le préjudice subi (une des conditions requises) et donc son intérêt à agir (standing). Les groupes sortirent donc de leur chapeau un certain M. Janus, aide-soignant à domicile, qui devint la figure de proue et le porte parole de cette affaire devenue emblématique. Il a été récompensé par une sinécure au sein d’une fondation amie et est maintenant Senior Fellow au Liberty Justice Center qui bénéficie du soutien financier de la galaxie Koch, qui avait elle-même intenté l’action devant la Cour suprême. […]
Les attaques contre le droit de vote
La décision Shelby de 2013 invalide les dispositions anti-discriminations de la loi sur le droit de vote de 1965. Malgré la résistance des quatre juges progressistes et l’opinion dissidente rédigée par la juge Ginsburg, lue par elle devant ses collègues et le public, le droit de vote n’est plus protégé. Les conséquences ne se sont pas fait attendre : les législatures des États dirigées par les Républicains se sont engouffrées dans la brèche.
Ainsi depuis 2014, dans plusieurs États, les Républicains ont adopté ou tenté de mettre en place toutes les dispositions possibles d’entrave au vote (voter suppression) de manière ouvertement discriminatoire : exigence d’une pièce d’identité spéciale, fermeture de bureaux de vote dans les quartiers habités par les minorités, limitation du nombre de jours de vote anticipé, et ainsi de suite. Ils ont continué avec 399 textes restrictifs du droit de vote déposés en 2022 (chiffres du Brennan Center).
Depuis la défaite de Donald Trump en 2020 et son refus de reconnaître la victoire de Joe Biden, divers mécanismes visant à permettre aux trumpistes de voler l’élection (election subversion) ont aussi été adoptés pour placer des partisans là où des personnels (élus ou administratifs) indépendants ont pu et su résister aux pressions en 2020, comme Brad Raffensperger, secrétaire en charge des élections en Géorgie, qui avait refusé de « trouver » les 11 780 voix demandées par Trump lors d’un appel téléphonique qui a été enregistré.
Raffensperger a remporté l’élection primaire et a été réélu à son poste mais beaucoup d’autres, confrontés à un adversaire pro-Trump niant les résultats, ont perdu ; les nouveaux élus trumpistes à ces postes feront ce qui leur est demandé et non ce que requiert la Constitution.
Anne E. Deysine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
04.11.2024 à 17:21
Radiographie des sept États pivots au cœur de l’élection américaine
Mario Del Pero, Professeur d’histoire internationale, Sciences Po
Texte intégral (2611 mots)
Cette année, sans surprise, la présidentielle américaine se jouera une fois de plus sur le vote des fameux « swing states ». Kamala Harris et Donald Trump consacrent tous leurs efforts à convaincre les électeurs indécis de ces quelques États pivots. Alors que la course est particulièrement serrée, les questions économiques constituent le principal facteur pouvant faire basculer les votes d’un camp à l’autre.
Le système d’élection du président des États-Unis n’est qu’un des nombreux anachronismes d’une démocratie obsolète et en déclin.
Suivant un suffrage universel indirect, les États désignent au total 538 grands électeurs qui composent le collège électoral chargé d’élire le président. Le nombre de grands électeurs est équivalent à la somme des sénateurs et des représentants de chaque État, plus trois représentants du district de Columbia. Il s’agit souvent de sympathisants, élus locaux ou lobbyistes choisis par les partis pour leur fidélité.
Afin d’élire leurs représentants au collège électoral, quarante-huit des cinquante États adoptent le système du « winner-takes-all » (« le gagnant rafle la mise ») : le candidat qui remporte le vote populaire obtient tous les grands électeurs de l’État. Deux États, le Nebraska et le Maine, utilisent un modèle différent appliquant une part de proportionnelle : deux grands électeurs sont attribués au vainqueur de l’État, tandis que le reste – trois grands électeurs pour le Nebraska et deux pour le Maine – est distribué en fonction des résultats aux élections dans les circonscriptions électorales. Par exemple, dans un Nebraska majoritairement républicain, un grand électeur peut être attribué aux Démocrates.
Or, les dysfonctionnements de ce système sont nombreux.
D’une part, le poids d’un vote varie considérablement d’un État à l’autre. En effet, chaque État élit, en plus de ses représentants (dont le nombre est proportionnel à sa population) deux sénateurs – et cela, indépendamment de sa population. C’est ainsi que le Wyoming, qui compte 580 000 habitants, envoie au collège électoral trois grands électeurs (car il dispose de deux sénateurs et d’un représentant), soit environ 1 pour 193 000 habitants ; tandis que la Californie, État le plus peuplé du pays avec plus de 39 millions d’habitants, en envoie 54, soit 1 pour 722 000 habitants. Dès lors, le vote d’un habitant du Wyoming pèse près de quatre fois plus que celui d’un Californien.
D’autre part, il est tout à fait possible de largement remporter le vote populaire et de ne pas être élu président, comme cela s’est produit pour les candidats démocrates Al Gore en 2000 et Hillary Clinton en 2016. C’est pour cette raison que ce qui sera scruté au premier chef lors de la longue soirée électorale qui s’annonce, c’est la situation dans chacun de ces États pivots qui vont faire basculer la victoire dans un camp ou dans un autre…
Rôle décisif des fameux « swing states »
Tous les observateurs s’accordent à penser que la plupart des 50 États sont largement acquis soit à Kamala Harris, soit à Donald Trump. Ces États-là demeurent donc en marge de la campagne électorale. L’essentiel se joue dans les « swing states » – et c’est naturellement là que les deux candidats concentrent leurs efforts et ressources.
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Lors de ces élections, sept « swing states » sont au centre de l’attention générale :
Trois dans le Midwest : le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie.
Deux dans le Sud : la Géorgie et la Caroline du Nord.
Deux dans le Sud-Ouest : l’Arizona et le Nevada.
Les chercheurs se demandent depuis longtemps pourquoi certains États sont plus contestables que d’autres – en d’autres termes, pourquoi certains deviennent des « swing states » et d’autres non. Différents paramètres sont étudiés : les facteurs socio-économiques, le niveau d’éducation, l’histoire, la tradition, la densité et la concentration de la population.
La réponse reste toutefois insaisissable, rendant toute prévision difficile. Par exemple, il y a seulement huit ans, peu de personnes auraient imaginé que des États tels que l’Ohio et la Floride perdraient leur statut d’État clé. À l’inverse, la Géorgie, l’Arizona et la Caroline du Nord, longtemps fermement acquis aux Républicains, le sont devenus.
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Le défi pour les candidats est donc immense. Ils doivent élaborer un message à la fois local et national, en répondant aux attentes spécifiques de ces États clés sans aliéner l’ensemble de l’électorat.
Caractéristiques communes des sept « swing states » de 2024
Les sept « swing states » de 2024 partagent certaines caractéristiques générales. Ils reflètent en grande partie la polarisation politique et idéologique nationale. Leurs populations, à l’exception de celle du Nevada (en queue de classement), affichent des niveaux d’éducation (diplômes secondaires et universitaires) proches de la moyenne nationale.
Ils se caractérisent également par la densité et la concentration de leur population. S’y côtoient de grandes agglomérations métropolitaines, des banlieues proches, des zones intermédiaires entre banlieues et régions rurales (ce qu’on appelle les zones exurbaines) et, enfin, des zones rurales dans le Midwest et le Sud, ou des régions désertiques et montagneuses dans l’Arizona et le Nevada.
Les cas de ces deux derniers États sont particulièrement frappants. En Arizona, plus de 60 % de la population est concentrée dans le comté de Maricopa, l’un des quinze que compte l’État, et où se trouve Phoenix. Au Nevada, qui compte quinze comtés, près de 75 % de la population vit dans le seul comté de Clark, où se situe Las Vegas. À noter cependant que ce clivage se retrouve à des degrés divers dans les cinq autres « swing states ».
Par ailleurs, la combinaison, dans ces États, de nouvelles implantations industrielles, d’un niveau élevé d’immigration et d’une disponibilité limitée de terrains résidentiels exerce une pression considérable sur le marché immobilier, entraînant une flambée des prix et une hausse de l’endettement des ménages pour couvrir les loyers et les hypothèques. En Arizona et au Nevada, par exemple, les familles consacrent en moyenne près de 40 % de leurs revenus au remboursement de prêts hypothécaires, soit presque le double de la moyenne nationale.
La crise du logement est ainsi devenue un enjeu central de la campagne électorale : Kamala Harris promet la construction de 3 millions de nouveaux logements et de généreuses subventions pour les primo-accédants, tandis que Donald Trump, avec une de ses hyperboles typiques, garantit que le problème sera résolu par l’expulsion de millions d’immigrés « illégaux » et la libération des logements qu’ils occupent.
Les réponses inégales de ces États face aux transformations des systèmes productifs
Outre ces similarités, les « swing states » de 2024 présentent des caractéristiques socio-économiques distinctes qu’il convient de souligner.
S’ils présentent chacun des particularités, les États clés – à l’exception de l’Arizona – connaissent une reprise économique lente après le choc du Covid-19, ainsi qu’une réponse différée – en termes d’emploi et de croissance – aux vastes plans d’investissements publics et de subventions mis en place par l’administration Biden. La Pennsylvanie et le Wisconsin illustrent bien cette situation : dans ces deux États, 40 % de la population vit dans des comtés où, début 2023, le PIB n’avait pas encore retrouvé son niveau de 2019, tandis que la moyenne nationale atteignait 20 %.
Durant la période de la pandémie et son après-coup, l’Arizona est le seul État clé à avoir connu une forte croissance économique. Le PIB par habitant a augmenté de 13 % entre 2019 et 2023, soit plus du double de la moyenne nationale. Cette dynamique est liée à une croissance régionale plus large, observable également dans le Texas voisin, alimentée par les services avancés notamment dans l’informatique, la finance et la biomédecine, le boom de la logistique, et des processus de délocalisation interne qui ont poussé certaines grandes industries à transférer une partie de leur production vers des régions offrant une législation plus favorable, une main-d’œuvre bon marché (en partie grâce à l’immigration) et des syndicats faibles ou inexistants.
Le Nevada a également profité de ces dynamiques, bien que les effets positifs sur la croissance et l’emploi aient été atténués par l’impact sévère du Covid sur son secteur primaire, le tourisme.
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Quant aux trois États du Midwest, ils constituent des exemples emblématiques d’un pays frappé par les processus interdépendants de délocalisation, de désindustrialisation et de mondialisation. Si certaines régions ont réussi à renouveler leur secteur économique, à l’instar de celle de la ville de Pittsburgh, en Pennsylvanie – ancien grand centre sidérurgique devenu un hub de secteurs dynamiques comme la recherche médicale, la finance et les communications –, d’autres peinent toujours à se relever.
Dans certaines villes historiques, la population a été divisée par deux ou plus en quelques décennies – les habitants cherchant à fuir une économie locale en berne. Par exemple, la ville de Detroit, qui a vu naître l’industrie automobile, est passée de 1,5 million d’habitants dans les années 1970 à un peu plus de 600 000 aujourd’hui. En Pennsylvanie, une partie de la population fonde désormais ses espoirs sur l’industrie extractive du gaz naturel, bien que celle-ci soit controversée en raison des techniques utilisées (telles que le fracking) et de son impact environnemental.
La Caroline du Nord et la Géorgie se distinguent également par des caractéristiques spécifiques. En Géorgie, la région métropolitaine d’Atlanta continue de croître et s’impose comme un centre de services et d’affaires pleinement intégré aux processus de mondialisation, abritant des entreprises historiques telles que Delta, Coca-Cola, CNN, Home Depot et UPS, ainsi que des acteurs plus récents dans les secteurs de la finance, des communications et des batteries pour véhicules électriques.
En Caroline du Nord, l’État a beaucoup investi dans le développement du « triangle de la recherche » – un pôle regroupant trois grandes universités de recherche (Duke, UNC et NC State) et incubateur de nombreuses innovations de haute technologie – qui a transformé le profil socio-démographique de l’État en attirant des travailleurs qualifiés et éduqués, rendant l’État plus compétitif pour les démocrates. Bien qu’entre 1964 et 2020, Barack Obama a été le seul Démocrate à remporter la Caroline du Nord en 2008.
La plus grande agglomération de l’État, Charlotte, a vu sa population passer de moins de 1 million à près de 2,5 millions d’habitants en moins de vingt ans. Entre 2019 et 2023, la performance économique de la Caroline du Nord a été positive et supérieure à la moyenne nationale. Cette croissance reste toutefois inégale, avec un pourcentage élevé de comtés qui ne bénéficient pas de cette prospérité et où Donald Trump reste très populaire.
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Les matrices socio-économiques ne sont qu’un des facteurs expliquant les choix électoraux. L’avortement et les droits reproductifs, l’immigration, l’environnement, les minorités ethniques comme l’électorat arabo-américain dans le Michigan – ou la politique étrangère joueront également un rôle déterminant. Cependant, les sondages montrent que, cette année encore, les questions économiques restent le facteur principal influençant les décisions des électeurs.
Mario Del Pero ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.