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18.11.2024 à 10:44
Quelle technologie de batterie pour les voitures électriques ? Un dilemme de souveraineté industrielle pour l’Europe
Lucas Miailhes, Doctorant en Science Politique/Relations Internationales, Institut catholique de Lille (ICL)
Texte intégral (2892 mots)
Les constructeurs européens envisagent de plus en plus d’opter pour la technologie de batterie lithium-fer-phosphate (LFP), très répandue en Chine, plutôt que la nickel-manganèse-cobalt (NMC) plus répandu en Europe. Un choix technologique important en termes de souveraineté industrielle et de dépendance économique aux producteurs de métaux… mais qui peut aussi les aider à vendre des véhicules électriques plus abordables.
Face à la demande croissante de véhicules électriques plus abordables, les constructeurs européens diversifient de plus en plus leur portefeuille de batteries. Ils commencent à intégrer la technologie LFP (pour lithium, fer, phosphate), un type de batteries lithium-ion qui domine actuellement le marché en Chine du fait de son coût moins élevé que les batteries NMC (pour nickel, manganèse, cobalt), plus fréquentes en Europe.
De quoi questionner la pérennité des investissements européens dans la production de batteries, qui ont jusqu’ici surtout concerné le NMC. Cela pose aussi la question d’une dépendance potentielle envers les fabricants asiatiques, avec des implications différentes en termes de métaux critiques.
Autrement dit, c’est un enjeu de souveraineté industrielle pour le secteur automobile du vieux continent, qui souligne la complexité d’un écosystème où différentes technologies coexistent pour répondre à la multiplicité des usages de la mobilité électrique. Il implique des choix politiques et industriels qui influenceront l’adoption du véhicule électrique et les dépendances futures de l’Europe.
L’état de l’industrie des batteries en Europe
Les batteries lithium-ion sont au cœur de la révolution des véhicules électriques. Elles sont l’élément stratégique essentiel des voitures électriques, dont elles constituent jusqu’à 40 % de leur poids. Leur fabrication nécessite un savoir-faire hautement spécialisé, des investissements importants en capital fixe et l’utilisation de matières premières critiques. Un véhicule électrique utilise environ 200 kg de ces matériaux, soit six fois plus qu’un véhicule à combustion interne.
Le secteur automobile a largement orienté les trajectoires prises par le développement technologique des batteries, notamment pour améliorer leur densité énergétique, leur capacité de charge rapide et leur sécurité d’usage, tout en abaissant les coûts.
Théoriquement, on peut utiliser toutes sortes d’éléments chimiques dans les batteries li-ion. Mais pour l’heure, le marché est dominé par deux technologies : les batteries NMC et LFP. La comparaison entre les batteries LFP et NMC révèle une équation complexe entre prix, accessibilité, sécurité, performance et autonomie.
En 2023, les batteries NMC (nickel, manganèse, cobalt) représentaient près de deux tiers du marché mondial, tandis que les batteries LFP (lithium, fer, phosphate) occupaient 27 % des parts de marché. En Europe, 55 % des véhicules électriques sont équipés de batteries NMC, 40 % utilisent des batteries NCA (nickel, cobalt, aluminium), et seulement 5 % sont dotés de batteries LFP.
De fait, les constructeurs européens ont jusqu’ici privilégié les batteries NMC et NCA pour leur grande autonomie, tandis que les batteries LFP étaient principalement utilisées par les constructeurs chinois. C’est principalement en raison des exigences des consommateurs en termes d’autonomie, de performance et de recharge rapide que l’Europe s’est jusqu’ici engagée dans la voie des batteries NMC à haute teneur en nickel.
Une diversification utile au marché européen
Il n’empêche, les batteries LFP se distinguent par leur coût plus faible, un facteur crucial dans le contexte actuel où le prix élevé des véhicules électriques constitue le principal frein à leur adoption massive.
Ce n’est pas tout : elles offrent également une meilleure sécurité, une durée de vie plus longue et acceptent mieux les charges complètes, ce qui les rend plus pratiques pour une utilisation quotidienne. Cependant, comparées aux batteries NMC, les batteries LFP présentent une densité énergétique inférieure, ce qui se traduit par une autonomie plus limitée à volume égal.
Les constructeurs automobiles européens l’ont bien compris et ont récemment annoncé des changements de stratégie significatifs. ACC (Automotive Cells Company), issue d’une joint venture entre Stellantis, Mercedes-Benz and TotalEnergies, a récemment suspendu la construction de ses gigafactories en Allemagne et en Italie, suite à un changement de sa stratégie d’approvisionnement pour y inclure des batteries LFP.
Tesla a également décidé d’équiper ses modèles Model 3 et la Model Y avec la batterie LFP dès 2021. Volkswagen, enfin, prévoit d’adopter la technologie LFP pour rendre ses voitures électriques plus abordables d’ici deux ans.
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Ces annonces ont suscité une certaine inquiétude pour la pérennité des investissements dans les batteries NMC, mais peuvent être vues comme une diversification de la part des constructeurs européens, pour répondre à une variété de besoins et de contraintes tout en limitant les risques économiques.
Cela leur permettra aussi de mieux s’adapter à la segmentation du marché :
les batteries LFP pourraient dominer le marché des véhicules électriques d’entrée et de milieu de gamme (véhicules destinés aux petits trajets urbains ou pour des applications nécessitant une autonomie relativement faible),
tandis que les NMC pourront se segmenter sur le segment haut de gamme (ou pour les applications nécessitant une plus grande autonomie, comme les véhicules longue distance).
Dilemme industriel et enjeu de souveraineté
Cette diversification, si elle peut rendre les voitures électriques plus abordables en réduisant le coût des batteries, ne va pas sans risque : elle oblige les constructeurs européens à se tourner vers les acteurs asiatiques.
Ampere, la filiale électrique de Renault, intègre déjà la technologie LFP dans sa stratégie de batteries en collaboration avec LG Energy Solutions (Corée du Sud) et CATL (Chine). Même chose pour Stellantis qui a signé un accord stratégique avec le chinois CATL en novembre 2023.
Déjà, environ la moitié des capacités de production de batteries situées sur le sol européen sont rattachées à des entreprises chinoises et sud-coréennes, une tendance qui pourrait s’aggraver avec les batteries LFP. En effet, 95 % des batteries LFP sont fabriqués en Chine avec des constructeurs comme BYD et CATL qui maîtrisent parfaitement les procédés de fabrication.
Ces partenariats ne sont pas un problème en soi. Ils peuvent même représenter une opportunité pour bénéficier de l’expertise technologique de ces acteurs, qui produisent des batteries de haute qualité et compétitives au plan économique.
Le vrai problème de dépendance européenne aux matières premières concerne en réalité le NMC.
En effet, les batteries LFP sont constituées de carbonate de lithium, tandis que les batteries NMC sont faites à partir d’hydroxyde de lithium, dont les chaînes d’approvisionnement sont distinctes. L’Europe importe 78 % du carbonate de lithium du Chili (plutôt que de Chine), et a même signé un accord en ce sens avec le Chili. Dans le même temps, les nouveaux projets d’extraction minière en France et en Europe devraient également permettre de renforcer les approvisionnements européens en lithium.
Le problème de dépendance concerne l’hydroxyde de lithium utilisé pour les batteries NMC. En effet, pour transformer le carbonate de lithium en hydroxyde de lithium, il faut le raffiner. Or, ce sont des acteurs chinois qui raffinent 62 % de la production mondiale de lithium. S’il existe un potentiel pour des projets de raffinage de lithium en Europe, les investissements dans ce maillon de la chaîne de valeur tardent à se matérialiser.
La fabrication des batteries NMC nécessite également du nickel et du cobalt, qui sont des matériaux identifiés comme critiques par la Commission européenne en partie de par le risque géopolitique de leur approvisionnement. Le cobalt est principalement extrait au Congo et raffiné par la Chine à 67 %.
Autrement dit, pour les constructeurs européens, miser davantage sur les batteries LFP permettrait aussi de limiter les risques de dépendances en matière d’approvisionnement en métaux critiques.
À lire aussi : Batteries lithium-ion : l’Europe peut-elle s’extraire de la dépendance chinoise ?
Mais cette diversification du portefeuille des constructeurs européens a des répercussions sur l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur des batteries en Europe, de leur fabrication à leur recyclage.
Les producteurs de matériaux pour batteries NMC comme Axens pourraient faire face à des difficultés de reconversion si le marché devait basculer de façon significative vers le LFP. Umicore, un acteur majeur dans la production de matériaux actifs de cathode, avait délibérément choisi de ne pas intégrer le LFP dans son portefeuille pour se concentrer sur les technologies NMC qu’elle maîtrise. Cela pourrait compromettre leur capacité à s’adapter rapidement à cette nouvelle demande.
Un recyclage des batteries moins rentable
Des questions industrielles se posent également au niveau du recyclage. Le recyclage des batteries usagées est essentiel pour réduire la dépendance à l’importation de matières premières et peut également renforcer la résilience européenne en cas de perturbations de la chaîne d’approvisionnement causées par des tensions géopolitiques.
Or, les matériaux utilisés dans la cathode déterminent l’attrait économique de leur recyclage. Étant donné que les batteries LFP ne contiennent ni cobalt ni nickel, les métaux les plus valorisables, elles remettent en question l’intérêt économique des efforts de recyclage.
Le recyclage des batteries LFP est ainsi beaucoup moins intéressant au plan économique que celui des batteries NMC, d’autant plus que les LFP contiennent environ 20 % de lithium en moins que les NMC.
C’est là tout le paradoxe : le développement des capacités de recyclage de batteries en Europe dépend de la stabilisation future des choix technologiques opérés par les fabricants de voitures électriques. Et ce choix technologique, loin d’être anodin, pose des questions de souveraineté industrielle.
Étant donné les capacités de recyclage européennes actuelles, les batteries NMC peuvent être plus facilement recyclées que les LFP. En effet, les techniques de recyclage dominantes en Europe, basées sur la pyrométallurgie, sont efficaces pour récupérer le nickel et le cobalt, mais moins adaptées pour le lithium.
Cela aurait pu changer au regard des projets qui avaient été annoncés par Orano et Eramet qui proposaient de développer l’hydrométallurgie efficace pour récupérer le lithium. Néanmoins, Eramet a récemment annoncé l’annulation de son projet de recyclage face au recul de la demande pour les véhicules électriques en Europe.
À lire aussi : Peut-on recycler les batteries des véhicules électriques ?
Résumons :
le NMC permet une autonomie accrue des véhicules, tout en étant plus coûteux, et entraîne une dépendance accrue à des pays tiers en termes de métaux critiques. Mais son recyclage est rentable, et la filière industrielle déjà là.
Le LFP, de son côté, permet une autonomie moindre, mais une meilleure longévité des batteries et moins de défaillances techniques, et permet de limiter la dépendance en métaux critiques. Ce sont toutefois les acteurs chinois qui en maîtrisent pour l’heure la chaîne de valeur, et son recyclage est moins rentable pour les acteurs européens, la filière européenne ne maîtrisant pour l’heure pas les procédés requis.
Dans ces conditions, les constructeurs européens ont-ils raison d’ouvrir prudemment la porte au LFP pour les voitures électriques ? La réponse à cette question tient du dilemme industriel, avec des arbitrages politiques et économiques forts à réaliser tout au long de la chaîne de valeur de la batterie, de la mine jusqu’au recyclage. Une chose est sûre, c’est le bon moment de se poser la question, alors que l’Europe se préoccupe de plus en plus de son approvisionnement en matières premières critiques, dans un contexte de relance minière.
Lucas Miailhes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
14.11.2024 à 17:23
Ces politiques climatiques que Trump ne pourra complètement défaire aux États-Unis
Gautam Jain, Senior Research Scholar in Financing the Energy Transition, Columbia University
Texte intégral (2098 mots)
Bien qu’il n’ait pas publié de programme en matière de climat, le cahier des charges de Trump la dernière fois qu’il était au pouvoir donne une idée claire de ce qui nous attend. Le futur président devrait sortir de l’accord de Paris et infléchir des décennies d’efforts en matière de diplomatie climatique, mais il n’aura pas entièrement les mains libres sur d’autres aspects de la politique intérieure.
Alors que les États-Unis se préparent à accueillir une nouvelle administration Trump, la politique climatique du pays est sans ambiguïté dans la ligne de mire du futur président.
Bien qu’il n’ait pas publié de programme officiel concernant ses futures mesures sur la question du climat, le cahier des charges de Donald Trump lors de son dernier passage dans le bureau ovale et ses fréquentes plaintes concernant les énergies propres donne un aperçu clair de ce qui nous attend. Malgré tout, le futur pourrait ne pas voir les mains aussi libres qu’il le voudrait.
Sortie de l’accord de Paris en vue
Moins de six mois après le début de son premier mandat, en 2017, Donald Trump annonçait le retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat – l’accord international de 2015 signé par la quasi-totalité des pays pour lutter contre la hausse des températures et les autres effets du changement climatique.
Cette fois-ci, un risque plus important, mais encore sous-estimé, est que Trump ne s’arrête pas à l’accord de Paris.
En plus de sortir à nouveau de l’accord de Paris, Trump pourrait essayer de provoquer le retrait des États-Unis de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Ce traité de 1992 est le fondement des négociations internationales sur le climat. Un retrait rendrait presque impossible, pour une future administration présidentielle américaine, de réintégrer la CCNUCC, car cela nécessiterait le consentement des deux tiers du Sénat.
Les répercussions d’une telle mesure se feraient sentir dans le monde entier. L’accord de Paris n’est pas juridiquement contraignant et repose sur la confiance mutuelle et le leadership. La position adoptée par la première économie mondiale influence donc ce que les autres pays sont prêts – ou non – à faire.
Elle confierait également à la Chine le rôle de leader mondial en matière de climat.
Les financements américains destinés à aider d’autres pays à développer les énergies propres et à s’adapter au changement climatique ont augmenté de manière significative au cours de l’administration Biden. Le premier plan américain de financement de la lutte contre le changement climatique prévoyait ainsi 11 milliards de dollars en 2024 pour aider les économies émergentes et en développement.
Les engagements de la U.S. International Development Finance Corporation ont grimpé à près de 14 milliards de dollars au cours des deux premières années de la présidence de Joe Biden, contre 12 milliards de dollars au cours des quatre années de la présidence de M. Trump. Le président sortant s’est également engagé à verser 3 milliards de dollars au Fonds vert pour le climat des Nations unies.
Sous la présidence de Trump, tous ces efforts seront probablement réduits à néant, une fois de plus.
À lire aussi : La réélection de Donald Trump : quelles implications pour les politiques climatiques ?
Rétropédaler sur les énergies propres ne sera pas si simple
Dans d’autres domaines, toutefois, Trump pourrait avoir moins de succès.
Il s’est beaucoup exprimé en faveur d’un recul des politiques de soutien aux énergies propres. Malgré tout, il lui sera plus difficile de revenir sur les investissements massifs réalisés par l’administration Biden dans les énergies propres, qui sont liés à des investissements indispensables dans les infrastructures et l’industrie manufacturière dans le cadre de la loi sur l’investissement dans les infrastructures et l’emploi et de la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act).
À lire aussi : Présidentielle américaine : que retenir du bilan environnemental de Joe Biden ?
En effet, ces deux lois ayant été adoptées par le Congrès, Donald Trump aura besoin d’une majorité dans les deux chambres pour les abroger.
Même si les républicains remportent un « trifecta » – en contrôlant les deux chambres du Congrès et la Maison Blanche – l’abrogation de ces lois serait un véritable défi.
Cela s’explique par le fait que les avantages de ces lois profitent largement aux États républicains. Les alliés de Donald Trump dans l’industrie pétrolière et gazière bénéficient également des crédits d’impôt prévus par la loi pour le piégeage du carbone, les biocarburants avancés et l’hydrogène.
À lire aussi : Trump et Harris : une convergence inattendue sur les énergies fossiles ?
Bien que la loi sur la réduction de l’inflation ne puisse peut-être pas être abrogée, elle sera très certainement modifiée. Le crédit d’impôt accordé aux consommateurs qui achètent des véhicules électriques sera probablement supprimé, tout comme la réglementation de l’Agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA) qui renforce les normes de pollution des gaz d’échappement. Tout cela rendrait les voitures électriques non rentables pour de nombreuses personnes.
Donald Trump pourrait également ralentir les travaux du Bureau du programme de prêts (Loan program office) du ministère de l’énergie, qui a contribué à stimuler plusieurs secteurs de l’énergie propre. Là encore, ce n’est pas une surprise – il l’a déjà fait lors de son premier mandat – mais l’impact serait plus important, étant donné que la capacité de prêt du bureau est passée depuis à plus de 200 milliards de dollars, grâce à la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act).
Jusqu’à présent, seul un quart du total a été distribué, il est donc urgent pour l’administration sortante d’accélérer le rythme avant les débuts de la nouvelle administration Trump en janvier.
« Drill, baby, drill » ?
Donald Trump parle également d’augmenter la production d’énergies fossiles. Il est presque certain qu’il prendra des mesures pour stimuler l’industrie en déréglementant et en permettant le forage pétrolier sur davantage de terres fédérales. Mais les perspectives d’une augmentation massive de la production de pétrole et de gaz semblent faibles.
Les États-Unis produisent déjà plus de pétrole brut que n’importe quel autre pays. Les compagnies pétrolières et gazières rachètent leurs actions et versent des dividendes aux actionnaires à un rythme record, ce qu’elles ne feraient pas si elles voyaient de meilleures opportunités d’investissement.
L’état des marchés suggère aussi une baisse du prix du pétrole, qui pourrait être aggravée par un ralentissement de la demande. En effet, si Trump met à exécution sa menace d’imposer des droits de douane sur toutes les importations, il pourrait provoquer des désordres au plan économique.
Il tentera probablement de revenir sur les politiques climatiques liées à la réduction des énergies fossiles, principales sources des émissions de gaz à effet de serre et du réchauffement planétaire, comme il l’a fait avec des dizaines de mesures au cours de son premier mandat.
Cela inclut l’élimination d’une taxe fédérale récente sur les émissions de méthane de certaines installations. Il s’agit de la première tentative du gouvernement américain d’imposer une redevance ou une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre. Le méthane est le principal composant du gaz naturel et un puissant gaz à effet de serre.
Donald Trump a également promis de soutenir l’approbation de nouveaux terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL), que l’administration Biden avait tenté de suspendre et qu’elle s’efforce toujours de ralentir.
Les marchés ont leur mot à dire en ce qui concerne l’énergie propre
L’énergie nucléaire est l’une des sources d’énergie propre que Trump est susceptible de vouloir soutenir.
En dépit de ses critiques à l’égard de l’énergie éolienne et solaire, les investissements dans les énergies renouvelables continueront probablement d’augmenter en raison de la dynamique du marché, en particulier avec les projets éoliens terrestres et solaires à grande échelle qui deviennent plus rentables que le charbon ou le gaz.
Malgré tout, un retrait des États-Unis de l’accord de Paris, avec l’incertitude réglementaire et politique que l’on peut attendre d’un nouveau mandat Trump ralentiront probablement le rythme des investissements. L’impact inflationniste attendu de ses politiques économiques est susceptible d’annuler les avantages de la baisse du coût du capital qui devait se traduire par une baisse des taux d’intérêt par les banques centrales cette année. Or, c’est un résultat que la planète en plein réchauffement ne peut pas se permettre.
Gautam Jain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
14.11.2024 à 11:36
Faut-il manger flexitarien au nom du climat ?
Tom Bry-Chevalier, Doctorant en économie de l'environnement - Viande cultivée et protéines alternatives, Université de Lorraine
Texte intégral (3056 mots)
La végétalisation de l’alimentation est l’un des principaux leviers pour réduire son empreinte carbone au niveau individuel. Le flexitarisme, qui n’exclut pas la consommation occasionnelle de viande ou autres produits animaux, peut sembler un bon compromis. Que disent les chiffres ?
À l’heure où les préoccupations environnementales occupent une place croissante dans notre quotidien, de nombreuses personnes cherchent des moyens concrets pour réduire leur empreinte écologique. Or, la végétalisation de l’alimentation est l’un des leviers les plus efficaces au niveau individuel pour diminuer son empreinte carbone.
Il n’est donc pas surprenant de constater que près d’un quart des Français déclarent réduire volontairement leur consommation de viande et suivre un régime « flexitarien », contraction de « flexible » et de « végétarien ».
Derrière ce nouveau régime alimentaire, une idée simple : profiter des avantages de l’alimentation végétarienne, tout en continuant à consommer des produits d’origine animale, mais avec davantage de modération.
Mais le flexitarisme tient-il réellement ses promesses sur le plan environnemental ? S’agit-il d’une option intéressante pour préserver la planète ? On fait le point.
Quelle définition pour le flexitarisme ?
L’évaluation de l’impact environnemental du flexitarisme se heurte à un premier problème : sa définition. En effet, même dans la littérature scientifique, il n’existe, à ce jour, pas de définition consensuelle du flexitarisme, dont la compréhension peut être très différente d’une personne à l’autre.
Certaines personnes se disant flexitariennes consomment ainsi de la viande une fois par semaine, quand d’autres en consomment une fois par jour. Ainsi, sur les 24 % des Français déclarés flexitariens, 7 % consomment de la viande encore tous les jours, 12 % plusieurs fois par semaine, et 5 % seulement sont des consommateurs occasionnels.
Ce flou et l’hétérogénéité des pratiques font du flexitarisme un concept difficile à saisir. Au point que même Interbev, le lobby de la viande bovine, a tenté de se l’approprier avec sa campagne « naturellement flexitariens ».
Au-delà de la question de la fréquence à laquelle on mange de la viande, certaines approches du flexitarisme mettent aussi l’accent sur le type de viande consommée. On considère souvent qu’il faut cibler en premier lieu la viande rouge, qui émet le plus de gaz à effet de serre et qui nécessite le plus de terres. Cependant, là encore, il n’existe pas de préconisations précises. Ainsi à quantité égale de viande consommée, certains régimes flexitariens pourraient avoir un impact bien plus lourd pour l’environnement que d’autres.
L’autre problème, c’est de savoir si l’on peut se fier aux pratiques et régimes alimentaires déclarés par les individus eux-mêmes. Il existe par exemple un biais de désirabilité sociale, qui fait que pour se présenter sous un jour favorable aux yeux de ses interlocuteurs, on pourra par exemple minimiser ses consommations de viande ou/et de poisson.
À propos du végétarisme – qui est pourtant clairement défini comme une alimentation excluant la consommation de chair animale** – une enquête de 2021 de l’IFOP pour FranceAgriMer notait que près de la moitié des personnes rapportant avoir un régime sans viande déclarent consommer occasionnellement de la viande ou du poisson. Dans la mesure où cette enquête observait que près de 30 % des flexitariens autodéclarés consommaient de la viande quotidiennement, le même problème est donc à craindre à propos du flexitarisme.
L’enquête observait néanmoins que les flexitariens consomment globalement moins de types de viande différents. Ils consomment ainsi moins de veau, de mouton et d’agneau que les omnivores – à l’exception notable de la volaille, qu’ils consomment dans les mêmes proportions.
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La consommation de viande par tête tend à stagner depuis une dizaine d’années en France. À ce titre, il serait peut-être ambitieux de voir dans l’augmentation du nombre de flexitariens déclarés l’expression d’une révolution dans le régime alimentaire des Français, plutôt qu’une pratiques de consommation déjà relativement standard à laquelle on aurait simplement donné un nouveau nom.
L’empreinte environnementale du flexitarisme
Ces difficultés sémantiques n’ont pas empêché un certain nombre d’études de s’intéresser à l’impact environnemental de régimes pouvant s’apparenter au flexitarisme, souvent en prenant le parti d’expliciter la quantité et le type de viande consommés.
Ainsi dans le rapport spécial du GIEC de 2019, plusieurs régimes de type flexitarien (régime végane, plusieurs gradations de flexitarisme, régime à base de poisson) ont été comparés au végétarisme et au véganisme.
Il en ressort que l’alimentation végane est celle permettant de réduire le plus les émissions de gaz à effet de serre, suivie de l’alimentation végétarienne, puis d’un régime flexitarien (ici défini comme n’incluant qu’une seule portion de viande par semaine). Celui-ci présente toutefois un potentiel intéressant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Juste derrière, on retrouve un régime dit « bon pour la santé (healthy diet) », basé sur les recommandations alimentaires mondiales, moins riches en viande rouge. Il permet lui aussi une réduction remarquable des émissions de gaz à effet de serre.
Enfin, les régimes méditerranéens, pescétariens et « frugal et juste (fair and frugal) », également assimilables à des régimes flexitariens, favorisent également une réduction modérée des émissions de gaz à effet de serre par rapport à une alimentation très carnée. Une alimentation remplaçant 75 % des viandes et produits laitiers de ruminants par d’autres viandes (catégorie « carnivore soucieux du climat (climate carnivore) ») permet d’atteindre des réductions d’un ordre de grandeur similaire, soulignant le poids exceptionnel de la viande rouge.
D’autres études (par exemple en 2014 et en 2023) aboutissent à des résultats similaires pour ce qui est des émissions de gaz à effet de serre, tout en prenant également en compte des questions connexes : demande de terres agricoles, consommation d’eau, eutrophisation ou encore impact sur la biodiversité.
Les études scientifiques sont donc claires : plus une alimentation est végétalisée, moins son empreinte environnementale est élevée. De la même façon, plus un régime flexitarien limite les apports en viande, notamment bovine, plus son impact sur l’environnement s’en verra réduit.
À noter que les produits laitiers sont également une source importante d’émissions de gaz à effet de serre, expliquant la différence non négligeable d’émissions entre une alimentation végane et une alimentation végétarienne. En conséquence, il peut également s’agir, de la même façon que la réduction des apports de viande bovine, d’un levier pertinent de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre d’un régime flexitarien.
L’environnement est-il gagnant si davantage de personnes s’alimentent selon un régime flexitarien ? La réponse est oui, du moins si celui-ci s’accompagne d’une réduction significative des apports en viande. Cependant, il faut noter qu’aucune étude ne suggère que le flexitarisme soit préférable au véganisme sur le plan environnemental : ses bénéfices restent largement corrélés avec le degré de végétalisation de l’alimentation.
Gaz à effet de serre ou bien-être animal ? Le dilemme de l’omnivore
Et si l’empreinte carbone de l’alimentation n’était pas la seule variable qu’il conviendrait de prendre en compte ? La priorité généralement admise du flexitarisme est de réduire la consommation de viande bovine, qui à elle seule permet une réduction non négligeable des émissions de gaz à effet de serre et de l’usage des terres. Mais cette emphase sur la réduction de viande bovine peut se faire au détriment du bien-être animal, dans ce que l’on pourrait nommer le « dilemme de l’omnivore ».
Bien que la viande rouge soit celle qui a le plus fort impact environnemental, c’est également celle qui génère le moins de souffrance animale par kilogramme de viande. Non seulement parce qu’une vache est un animal bien plus gros qu’un poulet, produisant donc plus de viande par individu abattu, mais aussi parce qu’elles sont moins souvent issues d’élevages intensifs.
Or, on observe en France depuis quelques années une tendance à la réduction de la viande de bœuf au profit de la viande de poulet, notamment en raison de motivations liées à la santé et l’environnement. Les personnes tentées par une alimentation flexitarienne peuvent donc se retrouver face à un arbitrage difficile à opérer entre éthique et environnement.
Le flexitarisme n’a donc rien de révolutionnaire, mais il peut donc constituer un outil utile dans la stratégie de réduction globale de la consommation de viande. Le tout est de garder en tête qu’au niveau individuel, l’alimentation végétale reste préférable.
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13.11.2024 à 17:13
Comment l’Azerbaïdjan utilise la COP29 pour se donner le beau rôle sur la scène internationale
Brian Brivati, Visiting Professor of Human Rights and Life writing, Kingston University
Texte intégral (2304 mots)
À la COP29, l’Azerbaïdjan se positionne sur la scène internationale comme en faveur de la paix. Mais ce serait avoir la mémoire un peu courte, notamment en ce qui concerne le conflit qui oppose le pays avec l’Arménie dans le Haut-Karabakh.
L’Azerbaïdjan accueille cette édition du sommet mondial de l’ONU sur le climat, la COP29, qui se déroule ce mois de novembre 2024. Avec deux problèmes majeurs : aucune discussion sur l’élimination progressive des combustibles fossiles n’est à l’ordre du jour, et la participation de la société civile au sommet est exclue.
Ce n’est pas une surprise. L’Azerbaïdjan a récemment augmenté sa production de pétrole et de gaz, et vise à diversifier son économie en développant l’exploitation minière.
Au lieu de cela, le pays a appelé à une trêve mondiale qui coïnciderait avec la conférence. Dans une lettre ouverte du 21 septembre, le président de la COP29, Mukhtar Babayev, écrivait :
« [La Cop29] est une chance unique de combler les fossés et de trouver des voies vers une paix durable… La dévastation des écosystèmes et la pollution causée par les conflits aggravent le changement climatique et sapent nos efforts pour sauvegarder la planète ».
L’Azerbaïdjan se positionne ainsi comme un artisan de la paix. Ce qui contraste fortement avec le bilan du pays en matière d’agressions militaires, de violations des droits de l’homme ou même de violations du droit international, qui l’ont amené à faire face à des allégations de génocide.
Autrement dit, l’Azerbaïdjan utilise à la fois la COP29 pour « écoblanchir » (greenwashing) et « pacifier » son image sur la scène internationale, en dépit de ses ambitions territoriales expansionnistes.
Les offensives de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh
En septembre 2020, l’Azerbaïdjan a lancé une guerre de six semaines dans le Haut-Karabakh, une région frontalière revendiquée à la fois par l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui a fait plus de 7 000 victimes. L’Azerbaïdjan a ainsi pu récupérer la plupart des territoires qu’il avait perdus lors des conflits précédents. Un cessez-le-feu a finalement été négocié par la Russie, mais les tensions ont persisté.
En 2023, l’Azerbaïdjan a lancé une nouvelle opération militaire et repris rapidement le contrôle du reste de la région. L’offensive a forcé plus de 100 000 Arméniens de souche à fuir. Le Haut-Karabakh, qui avait déclaré son indépendance vis-à-vis de l’Azerbaïdjan en 1991, a été officiellement dissous) en janvier 2024. Une enquête récente a montré que de nombreuses maisons de la région ont été pillées depuis.
Deux juristes internationaux, Juan Ernesto Mendez et Luis Moreno Ocampo, ont conclu que les campagnes militaires menées par l’Azerbaïdjan en 2020 et 2023 dans le Haut-Karabakh constituaient un génocide.
Juan Ernesto Mendez a souligné que la stratégie de l’Azerbaïdjan consistait à infliger des « dommages corporels ou mentaux graves » aux Arméniens. Luis Moreno Ocampo a insisté sur le recours à la famine, au refus d’aide médicale et aux déplacements forcés. Il a comparé les tactiques de l’Azerbaïdjan au génocide arménien pendant la Première Guerre mondiale et à l’Holocauste.
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Les forces azerbaïdjanaises auraient systématiquement recouru aux violences sexuelles contre les Arméniens pendant le conflit du Haut-Karabakh, faisant circuler des messages encourageant le viol et le meurtre de femmes arméniennes. Les organisations de défense des droits humains ont également fourni des témoignages poignants sur les violences physiques et psychologiques subies par des centaines d’otages arméniens toujours détenus.
De nombreux éléments du conflit ne sont toujours pas résolus. En position de faiblesse militaire, le premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, a proposé un traité de paix en mai 2024. Cela impliquait de céder aux principales demandes de l’Azerbaïdjan, notamment que le Haut-Karabakh soit reconnu comme faisant partie de l’Azerbaïdjan.
Malgré ces concessions faites par l’Arménie, l’Azerbaïdjan a refusé de s’engager dans des pourparlers pour la paix. Au lieu de cela, il a formulé une série de nouvelles demandes, dont notamment des modifications de la constitution arménienne.
L’Azerbaïdjan joue également un rôle dans d’autres conflits autour du globe. Deux jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, Moscou et Bakou ont signé un accord qui, selon le président azerbaïdjanais Ilham Aliev, « porte nos relations au niveau d’une alliance ». L’alliance russo-azerbaïdjanaise a fait de l’Azerbaïdjan un canal essentiel pour contourner les sanctions occidentales.
Les exportations de pétrole russe vers l’Azerbaïdjan ont quadruplé après l’invasion, permettant à l’Azerbaïdjan de répondre à ses besoins énergétiques nationaux et d’exporter le reste. En fait, le commerce général de l’Azerbaïdjan avec la Russie a augmenté de 17,5 % en 2023, atteignant 4,3 milliards de dollars américains (4,1 milliards d’euros).
Au-delà des tentatives de « peacewashing » (pour tenter de faire oublier son implication militaire dans plusieurs conflits) de l’Azerbaïdjan, le fait que le pays accueille la COP29 est aussi un cas clair de « greenwashing » (écoblanchiment). L’Azerbaïdjan dépend de la production d’énergies fossiles et ne s’est pas engagé à éliminer progressivement le pétrole et le gaz.
Certes, le pays tente d’attirer les investissements étrangers dans les énergies renouvelables afin de diversifier son économie. BP a signé un accord avec l’Azerbaïdjan en 2021 pour construire une centrale solaire à Jabrayil, près du Haut-Karabakh. D’autres investisseurs internationaux, dont des entreprises des Émirats arabes unis, participent également à des projets solaires dans la région de Bakou.
Mais la véritable source de diversification économique est l’exploitation minière, une industrie qui appartient en grande partie à la famille d’Ilham Aliev. Les immenses ressources minières du Haut-Karabakh, qui comprennent de l’or, de l’argent et du cuivre, sont exploitées depuis que l’Azerbaïdjan a repris le contrôle de la région en 2020.
Réprimer les opposants au régime
Le régime azerbaïdjanais est une dictature arbitraire. Caucasus Heritage Watch, un programme de recherche américain qui surveille le patrimoine culturel en danger dans le Caucase du Sud, a documenté la destruction de milliers de sites du patrimoine chrétien dans tout l’Azerbaïdjan. La communauté LGBTQ+ fait également l’objet d’une discrimination systématique.
La dissidence intérieure a été réprimée avant même la tenue de la COP29, de nombreux militants et opposants politiques ayant été arrêtés ou harcelés. Des manifestations en faveur de l’environnement, notamment une manifestation en 2023 contre la construction d’un barrage destiné à permettre l’exploitation minière dans l’ouest du pays, ont été violemment réprimées.
Des personnalités de premier plan, dont le Dr Gubad Ibadoghlu, éminent militant anticorruption et chercheur invité à la London School of Economics, ont été arrêtées. Au moins 25 journalistes et militants sont également détenus pour des motifs politiques.
Les médias critiques à l’égard du régime, tels que Abzas Media, Toplum TV et Kanal 13, ont également fait l’objet de pressions intenses ou ont été fermés. Les journalistes indépendants et les militants de la société civile ont tout bonnement été exclus de la COP29.
La « diplomatie du caviar » menée par l’Azerbaïdjan est la raison pour laquelle vous n’avez peut-être jamais entendu parler de tout cela. Cette stratégie consiste à courtiser les journalistes et les fonctionnaires occidentaux. Grâce à leur aide tacite, l’Azerbaïdjan a pu se mettre à l’abri de tout contrôle et attirer les investissements européens dans ses infrastructures.
Ilham Aliev n’a cessé de répéter que la capitale de l’Arménie, Erevan, est une « ville azerbaïdjanaise ». Cela reflète une stratégie plus large de révisionnisme historique et de négation du génocide, visant à récupérer des territoires sur la base des frontières présoviétiques.
Ces ambitions territoriales sont remises à plus tard tant que se déroule la COP29. Mais la conférence pourrait bien être le prélude à une reprise de la guerre dans le Caucase du Sud.
Brian Brivati ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
13.11.2024 à 17:09
Comment mobiliser les émotions pour inciter à agir en faveur du climat ?
Emmanuel Petit, Professeur de sciences économiques, Université de Bordeaux
Damien Bazin, Maître de Conférences HDR en Sciences Economiques, Université Côte d’Azur
Jérôme Ballet, Maître de conférences en sciences économiques et éthique, Université de Bordeaux
Nathalie Lazaric, Directrice de recherche CNRS Transition Ecologique et Résilience Organisationnelle, Université Côte d’Azur
Texte intégral (2824 mots)
On parle souvent des émotions que génère la crise climatique comme l’éco-anxiété, l’éco-colère… Mais quelles émotions peuvent permettre de lutter contre l’inaction climatique ?
Face aux défis inédits présentés par la crise climatique actuelle et future, nous avons pu voir de nouvelles émotions émerger. On parle beaucoup d’une « éco-anxiété », de l’« éco-colère » ou encore de la « honte de prendre l’avion ». Les émotions sont-elles symptomatiques de notre impuissance ou peuvent-elles être mobilisables pour combattre la crise climatique et environnementale, comme peut le laisser penser l’étymologie même du mot émotion, du latin motio, action de mouvoir ?
En tant que vecteur du changement des comportements, l’émotion joue un rôle à trois niveaux : celui de la communication, de l’éducation et de la transformation au service de l’action.
Communiquer en tablant sur les émotions
On a longtemps cru que pour mobiliser les populations, il suffisait de les informer à partir des données sur l’évolution effective, anticipée ou probable du réchauffement climatique, comme les fameux deux degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, que l’accord de Paris s’est engagé à ne pas dépasser. On sait aujourd’hui que cela n’est pas suffisant pour promouvoir activement des comportements adaptés à la crise écologique. Il semble ainsi que c’est davantage l’expérience sensible que font les populations du dérèglement climatique qui génère des modifications comportementales plutôt que des campagnes relayant les informations issues des rapports du GIEC.
C’est une donnée que les climatologues eux-mêmes ont intégré depuis longtemps. Ils s’appuient désormais sur la multiplication récente des évènements climatiques extrêmes (canicules, fonte des glaces, montée des eaux, sécheresse, tempêtes, etc.) pour favoriser la prise de conscience par les populations de l’urgence à modifier la trajectoire actuelle de nos sociétés. La science de l’attribution est née de ce constat. Une étude précisera par exemple que le changement climatique a rendu la sécheresse agricole subie par l’Amazonie en 2023 environ trente fois plus probable. Ou alors que la vague de froid qui a touché la Scandinavie début janvier 2024 (-44,6 °C à Vittangi, en Suède) est un événement « cinq fois moins probable » et qu’il aurait été « plus froid de 4 °C » que le précédent record.
Contrairement à ce qui se passait il y a encore quelques années, la saillance de ces évènements extrêmes rend la crise climatique plus concrète, moins lointaine (dans l’espace et le temps) et plus probable. Relayés par les médias, ces évènements suscitent des émotions qui modifient les croyances et poussent potentiellement à l’action. La fréquence des évènements climatiques auxquels nous assistons est en ce sens, paradoxalement, porteuse d’espoir.
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La communication auprès du public demeure cependant indispensable. Des travaux s’interrogent ainsi aujourd’hui sur la façon de relayer l’information autour du changement climatique en mobilisant l’émotion de façon efficace. Nombreux sont ceux qui mettent en évidence l’intérêt qu’il y aurait à communiquer autour du changement climatique à partir de ses effets sur la santé. On peut y déceler une façon de contourner la fatigue climatique (une forme de lassitude ou de découragement induite par une forte exposition médiatique aux nouvelles négatives sur le climat), alors que l’insouciance climatique (ou son déni) continue de toucher en France environ 37 % de la population. Cela permet de dépasser le rempart des doutes en faisant pencher la balance vers l’intérêt personnel dès lors que la santé est en jeu.
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Éduquer par les émotions au changement climatique
Communiquer est une chose. Éduquer en est assurément une autre. L’éducation au changement climatique est un enjeu central pour penser la transition écologique. Dans de nombreux pays, dans le cadre du cursus scolaire (au collège ou au lycée) des programmes spécifiques ont été mis en place visant à enseigner aux élèves la réalité et la portée du changement climatique. Mais, cela est-il efficace ? Faut-il tenir compte des émotions ?
Il y a encore une dizaine d’années, les recherches effectuées sur l’éducation au changement climatique soulignaient la nécessité de mettre l’accent sur le contenu de l’information (les faits bruts et l’analyse des processus physiques en jeu). Des études plus récentes ont cependant mis en lumière le rôle de l’émotion dans le processus même d’apprentissage autour de cette question. Celle-ci révèle la difficulté de dissocier les mécanismes cognitifs de l’apprentissage des facteurs affectifs.
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L’étude de 2021 des chercheurs en géographie Charlotte Jones et Aidan Davison effectuée à partir d’entretiens auprès de jeunes australiens âgés de 18 à 24 ans est intéressante de ce point de vue. Les auteurs rapportent qu’une large majorité des jeunes expriment un fort désir d’agir en réponse à l’information qui leur a été communiquée au cours de leur scolarité sur la crise du climat. Cependant, ils font aussi le constat que l’école ne leur fournit aucune possibilité de changer les choses et d’agir, ce qui peut provoquer une colère, susceptible d’être dirigée elle-même contre les enseignants. Nombreux sont ceux indiquant que l’enseignement de la crise climatique devrait être réformé et contribuer à produire une expérience plus active (et non passive) augmentant les capacités de chacun et les capacités collectives à répondre à l’enjeu environnemental. Un jeune suggère ainsi qu’il faudrait « apprendre [aux enfants] à écrire des lettres aux dirigeants politiques ».
De plus, comme le révèlent les propos de plusieurs d’entre eux, l’enseignement ne semble pas favoriser l’expression émotionnelle des jeunes et peut même tendre à la décourager, ce qui est un frein à l’action. Dans certains pays, comme le Canada, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède, des approches éducatives alternatives ont été mises en œuvre pour limiter cet effet en étant attentif au bien-être et au ressenti émotionnel des jeunes lorsque la crise climatique est évoquée en classe.
Intégrer les émotions dans l’apprentissage autour de la question de la crise climatique, communiquer en pensant à la façon de mobiliser les émotions du public, permet d’espérer forger des attitudes plus respectueuses de l’environnement.
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Transformer les émotions en moteur d’action
Éduquer permet de fournir des outils, de canaliser les émotions et de créer des actions qui incarnent du sens au niveau individuel et collectif. On peut ainsi agir sur les émotions positives, notamment la fierté d’agir et obtenir des résultats positifs dans un domaine précis (déchets, énergie ou autres). Les défis énergétiques lancés aux ménages sur la réduction de leur consommation d’énergie permettent par exemple d’apprendre sur la sobriété et les moyens d’y parvenir. Les outils comportementaux utilisés (nudges ou boosts) se servent du ressort des émotions pour apprendre à changer les habitudes énergétiques pour aller vers plus de sobriété.
Sur la Principauté Monaco, un défi a été lancé en 2019 aux ménages volontaires pour réduire leur consommation, soit de 15 % ou de 25 %. Les volontaires sont allés au-delà des objectifs fixés et ont en moyenne réduit leur consommation de 23 % pour le groupe avec un objectif initial de 25 % et de 27 % pour ceux qui avaient un objectif plus modeste de 15 %. Ces résultats étonnants pointent un paradoxe : si on met la barre trop haut, on risque de décourager les citoyens mais si on la met plus bas, on peut les amener à se surpasser à condition bien sûr que la pression ne soit pas trop forte et que les individus soient accompagnés dans cette démarche. Si les expériences portant sur les réductions de la consommation énergétique sont pour la plupart motivées par une volonté de gains financiers, ce ne fut pas le cas dans cette recherche, incluant une population de catégories sociales aisées, qu’il fallait conduire vers plus de sobriété en mobilisant des émotions positives avec l’aide d’outils adaptés (conseils et humour notamment).
Une des raisons du succès de cette expérience tient aussi à la politique de communication préparée par la Principauté pour atteindre l’objectif de réduction de 50 % des gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) et à la mobilisation de la population, notamment les plus jeunes autour de valeurs environnementales avec la mise en place d’un programme d’éducation « Green is the new glam ». L’objectif est de véhiculer des émotions positives autour de cette transition énergétique pour l’ensemble de la population monégasque.
Si la démarche monégasque laisse de nombreux observateurs circonspects et critiques, force est de constater que la politique de la Principauté, bien rodée, est une condition nécessaire pour que les émotions restent canalisées et servent de moteur d’action. En effet, dans un climat social difficile avec une tension sur la hausse du revenu des ménages, comme en France (l’augmentation des revenus des ménages français par tête sur la période de 1990 à 2016 a été de 29 % contre 43 % en moyenne en Europe), les priorités individuelles ne sont pas toujours favorables à des efforts supplémentaires en matière environnementale.
Si les émotions représentent un potentiel levier d’actions des individus, elles ne doivent pas rester cantonnées à ce seul niveau. Les individus ne sont qu’un des leviers d’actions parmi d’autres existants au sein des organisations publiques et privées (les entreprises). La colère des citoyens, la multiplication des litiges environnementaux ainsi que la pression des actionnaires, peuvent obliger les compagnies pétrolières à réagir. Ainsi, certains actionnaires des entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre (GES) ont élevé le ton en 2017 pour qu’ExxonMobil ait le devoir d’informer ses actionnaires et le public de la manière dont il prend en compte le climat dans sa stratégie. En 2021, un tribunal néerlandais a ainsi condamné Shell à réduire de 45 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à fin 2030, donnant raison à une coalition d’ONG et de particuliers.
Enfin, onze petits actionnaires de TOTAL en 2020 ont réussi à faire modifier les statuts de la firme en y intégrant des objectifs de décarbonation. Ces actions couronnées de succès, révèlent aussi que l’indignation peut faire bouger les lignes et que les moteurs de l’action ne doivent pas porter sur les seules épaules citoyennes.
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Le rôle des pouvoirs publics est aussi crucial pour veiller à ne pas aggraver les inégalités environnementales et pour mieux comprendre les limites et leviers de l’action individuelle. Les différentes émeutes récentes des agriculteurs, mais aussi celles des gilets jaunes indiquent que lorsque les changements sont complexes et difficiles à mettre en place, la perception de l’injustice sociale et le manque d’accompagnement des acteurs peuvent générer de véritables colères face aux actions à mettre en œuvre qui n’ont pas été anticipées et préparées. Ainsi, les émotions individuelles (comme la colère) ne sont pas toujours un gage d’actions positives pour le changement climatique lorsqu’elles sont perçues comme une injustice environnementale (comme dans le cas de la taxe carbone en 2018 qui touchait de nombreux ménages ruraux pour lesquels cette nouvelle taxe érodait leur revenu) ou une difficulté supplémentaire vis-à-vis d’un métier subissant déjà de plein fouet les contraintes du changement climatique.
C’est la raison pour laquelle les décideurs publics doivent canaliser ces émotions par l’éducation et la mise en place de mesures d’adaptation et de compensation perçues comme justes et équitables et réalisées pour le bien commun. Procurer du sens aux décisions prises et appréhender les différents verrous individuels, collectifs et institutionnels est un prérequis pour éviter que les émotions se transforment en résistance et rébellion face au changement climatique. Le défi et la colère des agriculteurs à l’encontre du plan Ecophyto et à la fin de la hausse de la taxe sur le gazole non routier pour le secteur, montrent que l’action publique doit questionner l’adéquation de ces mesures pour que les émotions climatiques puissent à nouveau se transformer en espoir et que les mutations nécessaires puissent être mises en œuvre.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.