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14.11.2024 à 17:23
Ces politiques climatiques que Trump ne pourra complètement défaire aux États-Unis
Gautam Jain, Senior Research Scholar in Financing the Energy Transition, Columbia University
Texte intégral (2098 mots)
Bien qu’il n’ait pas publié de programme en matière de climat, le cahier des charges de Trump la dernière fois qu’il était au pouvoir donne une idée claire de ce qui nous attend. Le futur président devrait sortir de l’accord de Paris et infléchir des décennies d’efforts en matière de diplomatie climatique, mais il n’aura pas entièrement les mains libres sur d’autres aspects de la politique intérieure.
Alors que les États-Unis se préparent à accueillir une nouvelle administration Trump, la politique climatique du pays est sans ambiguïté dans la ligne de mire du futur président.
Bien qu’il n’ait pas publié de programme officiel concernant ses futures mesures sur la question du climat, le cahier des charges de Donald Trump lors de son dernier passage dans le bureau ovale et ses fréquentes plaintes concernant les énergies propres donne un aperçu clair de ce qui nous attend. Malgré tout, le futur pourrait ne pas voir les mains aussi libres qu’il le voudrait.
Sortie de l’accord de Paris en vue
Moins de six mois après le début de son premier mandat, en 2017, Donald Trump annonçait le retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat – l’accord international de 2015 signé par la quasi-totalité des pays pour lutter contre la hausse des températures et les autres effets du changement climatique.
Cette fois-ci, un risque plus important, mais encore sous-estimé, est que Trump ne s’arrête pas à l’accord de Paris.
En plus de sortir à nouveau de l’accord de Paris, Trump pourrait essayer de provoquer le retrait des États-Unis de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Ce traité de 1992 est le fondement des négociations internationales sur le climat. Un retrait rendrait presque impossible, pour une future administration présidentielle américaine, de réintégrer la CCNUCC, car cela nécessiterait le consentement des deux tiers du Sénat.
Les répercussions d’une telle mesure se feraient sentir dans le monde entier. L’accord de Paris n’est pas juridiquement contraignant et repose sur la confiance mutuelle et le leadership. La position adoptée par la première économie mondiale influence donc ce que les autres pays sont prêts – ou non – à faire.
Elle confierait également à la Chine le rôle de leader mondial en matière de climat.
Les financements américains destinés à aider d’autres pays à développer les énergies propres et à s’adapter au changement climatique ont augmenté de manière significative au cours de l’administration Biden. Le premier plan américain de financement de la lutte contre le changement climatique prévoyait ainsi 11 milliards de dollars en 2024 pour aider les économies émergentes et en développement.
Les engagements de la U.S. International Development Finance Corporation ont grimpé à près de 14 milliards de dollars au cours des deux premières années de la présidence de Joe Biden, contre 12 milliards de dollars au cours des quatre années de la présidence de M. Trump. Le président sortant s’est également engagé à verser 3 milliards de dollars au Fonds vert pour le climat des Nations unies.
Sous la présidence de Trump, tous ces efforts seront probablement réduits à néant, une fois de plus.
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Rétropédaler sur les énergies propres ne sera pas si simple
Dans d’autres domaines, toutefois, Trump pourrait avoir moins de succès.
Il s’est beaucoup exprimé en faveur d’un recul des politiques de soutien aux énergies propres. Malgré tout, il lui sera plus difficile de revenir sur les investissements massifs réalisés par l’administration Biden dans les énergies propres, qui sont liés à des investissements indispensables dans les infrastructures et l’industrie manufacturière dans le cadre de la loi sur l’investissement dans les infrastructures et l’emploi et de la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act).
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En effet, ces deux lois ayant été adoptées par le Congrès, Donald Trump aura besoin d’une majorité dans les deux chambres pour les abroger.
Même si les républicains remportent un « trifecta » – en contrôlant les deux chambres du Congrès et la Maison Blanche – l’abrogation de ces lois serait un véritable défi.
Cela s’explique par le fait que les avantages de ces lois profitent largement aux États républicains. Les alliés de Donald Trump dans l’industrie pétrolière et gazière bénéficient également des crédits d’impôt prévus par la loi pour le piégeage du carbone, les biocarburants avancés et l’hydrogène.
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Bien que la loi sur la réduction de l’inflation ne puisse peut-être pas être abrogée, elle sera très certainement modifiée. Le crédit d’impôt accordé aux consommateurs qui achètent des véhicules électriques sera probablement supprimé, tout comme la réglementation de l’Agence américaine pour la protection de l’environnement (EPA) qui renforce les normes de pollution des gaz d’échappement. Tout cela rendrait les voitures électriques non rentables pour de nombreuses personnes.
Donald Trump pourrait également ralentir les travaux du Bureau du programme de prêts (Loan program office) du ministère de l’énergie, qui a contribué à stimuler plusieurs secteurs de l’énergie propre. Là encore, ce n’est pas une surprise – il l’a déjà fait lors de son premier mandat – mais l’impact serait plus important, étant donné que la capacité de prêt du bureau est passée depuis à plus de 200 milliards de dollars, grâce à la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act).
Jusqu’à présent, seul un quart du total a été distribué, il est donc urgent pour l’administration sortante d’accélérer le rythme avant les débuts de la nouvelle administration Trump en janvier.
« Drill, baby, drill » ?
Donald Trump parle également d’augmenter la production d’énergies fossiles. Il est presque certain qu’il prendra des mesures pour stimuler l’industrie en déréglementant et en permettant le forage pétrolier sur davantage de terres fédérales. Mais les perspectives d’une augmentation massive de la production de pétrole et de gaz semblent faibles.
Les États-Unis produisent déjà plus de pétrole brut que n’importe quel autre pays. Les compagnies pétrolières et gazières rachètent leurs actions et versent des dividendes aux actionnaires à un rythme record, ce qu’elles ne feraient pas si elles voyaient de meilleures opportunités d’investissement.
L’état des marchés suggère aussi une baisse du prix du pétrole, qui pourrait être aggravée par un ralentissement de la demande. En effet, si Trump met à exécution sa menace d’imposer des droits de douane sur toutes les importations, il pourrait provoquer des désordres au plan économique.
Il tentera probablement de revenir sur les politiques climatiques liées à la réduction des énergies fossiles, principales sources des émissions de gaz à effet de serre et du réchauffement planétaire, comme il l’a fait avec des dizaines de mesures au cours de son premier mandat.
Cela inclut l’élimination d’une taxe fédérale récente sur les émissions de méthane de certaines installations. Il s’agit de la première tentative du gouvernement américain d’imposer une redevance ou une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre. Le méthane est le principal composant du gaz naturel et un puissant gaz à effet de serre.
Donald Trump a également promis de soutenir l’approbation de nouveaux terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL), que l’administration Biden avait tenté de suspendre et qu’elle s’efforce toujours de ralentir.
Les marchés ont leur mot à dire en ce qui concerne l’énergie propre
L’énergie nucléaire est l’une des sources d’énergie propre que Trump est susceptible de vouloir soutenir.
En dépit de ses critiques à l’égard de l’énergie éolienne et solaire, les investissements dans les énergies renouvelables continueront probablement d’augmenter en raison de la dynamique du marché, en particulier avec les projets éoliens terrestres et solaires à grande échelle qui deviennent plus rentables que le charbon ou le gaz.
Malgré tout, un retrait des États-Unis de l’accord de Paris, avec l’incertitude réglementaire et politique que l’on peut attendre d’un nouveau mandat Trump ralentiront probablement le rythme des investissements. L’impact inflationniste attendu de ses politiques économiques est susceptible d’annuler les avantages de la baisse du coût du capital qui devait se traduire par une baisse des taux d’intérêt par les banques centrales cette année. Or, c’est un résultat que la planète en plein réchauffement ne peut pas se permettre.
Gautam Jain ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
14.11.2024 à 11:36
Faut-il manger flexitarien au nom du climat ?
Tom Bry-Chevalier, Doctorant en économie de l'environnement - Viande cultivée et protéines alternatives, Université de Lorraine
Texte intégral (3056 mots)
La végétalisation de l’alimentation est l’un des principaux leviers pour réduire son empreinte carbone au niveau individuel. Le flexitarisme, qui n’exclut pas la consommation occasionnelle de viande ou autres produits animaux, peut sembler un bon compromis. Que disent les chiffres ?
À l’heure où les préoccupations environnementales occupent une place croissante dans notre quotidien, de nombreuses personnes cherchent des moyens concrets pour réduire leur empreinte écologique. Or, la végétalisation de l’alimentation est l’un des leviers les plus efficaces au niveau individuel pour diminuer son empreinte carbone.
Il n’est donc pas surprenant de constater que près d’un quart des Français déclarent réduire volontairement leur consommation de viande et suivre un régime « flexitarien », contraction de « flexible » et de « végétarien ».
Derrière ce nouveau régime alimentaire, une idée simple : profiter des avantages de l’alimentation végétarienne, tout en continuant à consommer des produits d’origine animale, mais avec davantage de modération.
Mais le flexitarisme tient-il réellement ses promesses sur le plan environnemental ? S’agit-il d’une option intéressante pour préserver la planète ? On fait le point.
Quelle définition pour le flexitarisme ?
L’évaluation de l’impact environnemental du flexitarisme se heurte à un premier problème : sa définition. En effet, même dans la littérature scientifique, il n’existe, à ce jour, pas de définition consensuelle du flexitarisme, dont la compréhension peut être très différente d’une personne à l’autre.
Certaines personnes se disant flexitariennes consomment ainsi de la viande une fois par semaine, quand d’autres en consomment une fois par jour. Ainsi, sur les 24 % des Français déclarés flexitariens, 7 % consomment de la viande encore tous les jours, 12 % plusieurs fois par semaine, et 5 % seulement sont des consommateurs occasionnels.
Ce flou et l’hétérogénéité des pratiques font du flexitarisme un concept difficile à saisir. Au point que même Interbev, le lobby de la viande bovine, a tenté de se l’approprier avec sa campagne « naturellement flexitariens ».
Au-delà de la question de la fréquence à laquelle on mange de la viande, certaines approches du flexitarisme mettent aussi l’accent sur le type de viande consommée. On considère souvent qu’il faut cibler en premier lieu la viande rouge, qui émet le plus de gaz à effet de serre et qui nécessite le plus de terres. Cependant, là encore, il n’existe pas de préconisations précises. Ainsi à quantité égale de viande consommée, certains régimes flexitariens pourraient avoir un impact bien plus lourd pour l’environnement que d’autres.
L’autre problème, c’est de savoir si l’on peut se fier aux pratiques et régimes alimentaires déclarés par les individus eux-mêmes. Il existe par exemple un biais de désirabilité sociale, qui fait que pour se présenter sous un jour favorable aux yeux de ses interlocuteurs, on pourra par exemple minimiser ses consommations de viande ou/et de poisson.
À propos du végétarisme – qui est pourtant clairement défini comme une alimentation excluant la consommation de chair animale** – une enquête de 2021 de l’IFOP pour FranceAgriMer notait que près de la moitié des personnes rapportant avoir un régime sans viande déclarent consommer occasionnellement de la viande ou du poisson. Dans la mesure où cette enquête observait que près de 30 % des flexitariens autodéclarés consommaient de la viande quotidiennement, le même problème est donc à craindre à propos du flexitarisme.
L’enquête observait néanmoins que les flexitariens consomment globalement moins de types de viande différents. Ils consomment ainsi moins de veau, de mouton et d’agneau que les omnivores – à l’exception notable de la volaille, qu’ils consomment dans les mêmes proportions.
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La consommation de viande par tête tend à stagner depuis une dizaine d’années en France. À ce titre, il serait peut-être ambitieux de voir dans l’augmentation du nombre de flexitariens déclarés l’expression d’une révolution dans le régime alimentaire des Français, plutôt qu’une pratiques de consommation déjà relativement standard à laquelle on aurait simplement donné un nouveau nom.
L’empreinte environnementale du flexitarisme
Ces difficultés sémantiques n’ont pas empêché un certain nombre d’études de s’intéresser à l’impact environnemental de régimes pouvant s’apparenter au flexitarisme, souvent en prenant le parti d’expliciter la quantité et le type de viande consommés.
Ainsi dans le rapport spécial du GIEC de 2019, plusieurs régimes de type flexitarien (régime végane, plusieurs gradations de flexitarisme, régime à base de poisson) ont été comparés au végétarisme et au véganisme.
Il en ressort que l’alimentation végane est celle permettant de réduire le plus les émissions de gaz à effet de serre, suivie de l’alimentation végétarienne, puis d’un régime flexitarien (ici défini comme n’incluant qu’une seule portion de viande par semaine). Celui-ci présente toutefois un potentiel intéressant pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Juste derrière, on retrouve un régime dit « bon pour la santé (healthy diet) », basé sur les recommandations alimentaires mondiales, moins riches en viande rouge. Il permet lui aussi une réduction remarquable des émissions de gaz à effet de serre.
Enfin, les régimes méditerranéens, pescétariens et « frugal et juste (fair and frugal) », également assimilables à des régimes flexitariens, favorisent également une réduction modérée des émissions de gaz à effet de serre par rapport à une alimentation très carnée. Une alimentation remplaçant 75 % des viandes et produits laitiers de ruminants par d’autres viandes (catégorie « carnivore soucieux du climat (climate carnivore) ») permet d’atteindre des réductions d’un ordre de grandeur similaire, soulignant le poids exceptionnel de la viande rouge.
D’autres études (par exemple en 2014 et en 2023) aboutissent à des résultats similaires pour ce qui est des émissions de gaz à effet de serre, tout en prenant également en compte des questions connexes : demande de terres agricoles, consommation d’eau, eutrophisation ou encore impact sur la biodiversité.
Les études scientifiques sont donc claires : plus une alimentation est végétalisée, moins son empreinte environnementale est élevée. De la même façon, plus un régime flexitarien limite les apports en viande, notamment bovine, plus son impact sur l’environnement s’en verra réduit.
À noter que les produits laitiers sont également une source importante d’émissions de gaz à effet de serre, expliquant la différence non négligeable d’émissions entre une alimentation végane et une alimentation végétarienne. En conséquence, il peut également s’agir, de la même façon que la réduction des apports de viande bovine, d’un levier pertinent de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre d’un régime flexitarien.
L’environnement est-il gagnant si davantage de personnes s’alimentent selon un régime flexitarien ? La réponse est oui, du moins si celui-ci s’accompagne d’une réduction significative des apports en viande. Cependant, il faut noter qu’aucune étude ne suggère que le flexitarisme soit préférable au véganisme sur le plan environnemental : ses bénéfices restent largement corrélés avec le degré de végétalisation de l’alimentation.
Gaz à effet de serre ou bien-être animal ? Le dilemme de l’omnivore
Et si l’empreinte carbone de l’alimentation n’était pas la seule variable qu’il conviendrait de prendre en compte ? La priorité généralement admise du flexitarisme est de réduire la consommation de viande bovine, qui à elle seule permet une réduction non négligeable des émissions de gaz à effet de serre et de l’usage des terres. Mais cette emphase sur la réduction de viande bovine peut se faire au détriment du bien-être animal, dans ce que l’on pourrait nommer le « dilemme de l’omnivore ».
Bien que la viande rouge soit celle qui a le plus fort impact environnemental, c’est également celle qui génère le moins de souffrance animale par kilogramme de viande. Non seulement parce qu’une vache est un animal bien plus gros qu’un poulet, produisant donc plus de viande par individu abattu, mais aussi parce qu’elles sont moins souvent issues d’élevages intensifs.
Or, on observe en France depuis quelques années une tendance à la réduction de la viande de bœuf au profit de la viande de poulet, notamment en raison de motivations liées à la santé et l’environnement. Les personnes tentées par une alimentation flexitarienne peuvent donc se retrouver face à un arbitrage difficile à opérer entre éthique et environnement.
Le flexitarisme n’a donc rien de révolutionnaire, mais il peut donc constituer un outil utile dans la stratégie de réduction globale de la consommation de viande. Le tout est de garder en tête qu’au niveau individuel, l’alimentation végétale reste préférable.
Tom Bry-Chevalier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
13.11.2024 à 17:13
Comment l’Azerbaïdjan utilise la COP29 pour se donner le beau rôle sur la scène internationale
Brian Brivati, Visiting Professor of Human Rights and Life writing, Kingston University
Texte intégral (2304 mots)
À la COP29, l’Azerbaïdjan se positionne sur la scène internationale comme en faveur de la paix. Mais ce serait avoir la mémoire un peu courte, notamment en ce qui concerne le conflit qui oppose le pays avec l’Arménie dans le Haut-Karabakh.
L’Azerbaïdjan accueille cette édition du sommet mondial de l’ONU sur le climat, la COP29, qui se déroule ce mois de novembre 2024. Avec deux problèmes majeurs : aucune discussion sur l’élimination progressive des combustibles fossiles n’est à l’ordre du jour, et la participation de la société civile au sommet est exclue.
Ce n’est pas une surprise. L’Azerbaïdjan a récemment augmenté sa production de pétrole et de gaz, et vise à diversifier son économie en développant l’exploitation minière.
Au lieu de cela, le pays a appelé à une trêve mondiale qui coïnciderait avec la conférence. Dans une lettre ouverte du 21 septembre, le président de la COP29, Mukhtar Babayev, écrivait :
« [La Cop29] est une chance unique de combler les fossés et de trouver des voies vers une paix durable… La dévastation des écosystèmes et la pollution causée par les conflits aggravent le changement climatique et sapent nos efforts pour sauvegarder la planète ».
L’Azerbaïdjan se positionne ainsi comme un artisan de la paix. Ce qui contraste fortement avec le bilan du pays en matière d’agressions militaires, de violations des droits de l’homme ou même de violations du droit international, qui l’ont amené à faire face à des allégations de génocide.
Autrement dit, l’Azerbaïdjan utilise à la fois la COP29 pour « écoblanchir » (greenwashing) et « pacifier » son image sur la scène internationale, en dépit de ses ambitions territoriales expansionnistes.
Les offensives de l’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh
En septembre 2020, l’Azerbaïdjan a lancé une guerre de six semaines dans le Haut-Karabakh, une région frontalière revendiquée à la fois par l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui a fait plus de 7 000 victimes. L’Azerbaïdjan a ainsi pu récupérer la plupart des territoires qu’il avait perdus lors des conflits précédents. Un cessez-le-feu a finalement été négocié par la Russie, mais les tensions ont persisté.
En 2023, l’Azerbaïdjan a lancé une nouvelle opération militaire et repris rapidement le contrôle du reste de la région. L’offensive a forcé plus de 100 000 Arméniens de souche à fuir. Le Haut-Karabakh, qui avait déclaré son indépendance vis-à-vis de l’Azerbaïdjan en 1991, a été officiellement dissous) en janvier 2024. Une enquête récente a montré que de nombreuses maisons de la région ont été pillées depuis.
Deux juristes internationaux, Juan Ernesto Mendez et Luis Moreno Ocampo, ont conclu que les campagnes militaires menées par l’Azerbaïdjan en 2020 et 2023 dans le Haut-Karabakh constituaient un génocide.
Juan Ernesto Mendez a souligné que la stratégie de l’Azerbaïdjan consistait à infliger des « dommages corporels ou mentaux graves » aux Arméniens. Luis Moreno Ocampo a insisté sur le recours à la famine, au refus d’aide médicale et aux déplacements forcés. Il a comparé les tactiques de l’Azerbaïdjan au génocide arménien pendant la Première Guerre mondiale et à l’Holocauste.
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Les forces azerbaïdjanaises auraient systématiquement recouru aux violences sexuelles contre les Arméniens pendant le conflit du Haut-Karabakh, faisant circuler des messages encourageant le viol et le meurtre de femmes arméniennes. Les organisations de défense des droits humains ont également fourni des témoignages poignants sur les violences physiques et psychologiques subies par des centaines d’otages arméniens toujours détenus.
De nombreux éléments du conflit ne sont toujours pas résolus. En position de faiblesse militaire, le premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, a proposé un traité de paix en mai 2024. Cela impliquait de céder aux principales demandes de l’Azerbaïdjan, notamment que le Haut-Karabakh soit reconnu comme faisant partie de l’Azerbaïdjan.
Malgré ces concessions faites par l’Arménie, l’Azerbaïdjan a refusé de s’engager dans des pourparlers pour la paix. Au lieu de cela, il a formulé une série de nouvelles demandes, dont notamment des modifications de la constitution arménienne.
L’Azerbaïdjan joue également un rôle dans d’autres conflits autour du globe. Deux jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, Moscou et Bakou ont signé un accord qui, selon le président azerbaïdjanais Ilham Aliev, « porte nos relations au niveau d’une alliance ». L’alliance russo-azerbaïdjanaise a fait de l’Azerbaïdjan un canal essentiel pour contourner les sanctions occidentales.
Les exportations de pétrole russe vers l’Azerbaïdjan ont quadruplé après l’invasion, permettant à l’Azerbaïdjan de répondre à ses besoins énergétiques nationaux et d’exporter le reste. En fait, le commerce général de l’Azerbaïdjan avec la Russie a augmenté de 17,5 % en 2023, atteignant 4,3 milliards de dollars américains (4,1 milliards d’euros).
Au-delà des tentatives de « peacewashing » (pour tenter de faire oublier son implication militaire dans plusieurs conflits) de l’Azerbaïdjan, le fait que le pays accueille la COP29 est aussi un cas clair de « greenwashing » (écoblanchiment). L’Azerbaïdjan dépend de la production d’énergies fossiles et ne s’est pas engagé à éliminer progressivement le pétrole et le gaz.
Certes, le pays tente d’attirer les investissements étrangers dans les énergies renouvelables afin de diversifier son économie. BP a signé un accord avec l’Azerbaïdjan en 2021 pour construire une centrale solaire à Jabrayil, près du Haut-Karabakh. D’autres investisseurs internationaux, dont des entreprises des Émirats arabes unis, participent également à des projets solaires dans la région de Bakou.
Mais la véritable source de diversification économique est l’exploitation minière, une industrie qui appartient en grande partie à la famille d’Ilham Aliev. Les immenses ressources minières du Haut-Karabakh, qui comprennent de l’or, de l’argent et du cuivre, sont exploitées depuis que l’Azerbaïdjan a repris le contrôle de la région en 2020.
Réprimer les opposants au régime
Le régime azerbaïdjanais est une dictature arbitraire. Caucasus Heritage Watch, un programme de recherche américain qui surveille le patrimoine culturel en danger dans le Caucase du Sud, a documenté la destruction de milliers de sites du patrimoine chrétien dans tout l’Azerbaïdjan. La communauté LGBTQ+ fait également l’objet d’une discrimination systématique.
La dissidence intérieure a été réprimée avant même la tenue de la COP29, de nombreux militants et opposants politiques ayant été arrêtés ou harcelés. Des manifestations en faveur de l’environnement, notamment une manifestation en 2023 contre la construction d’un barrage destiné à permettre l’exploitation minière dans l’ouest du pays, ont été violemment réprimées.
Des personnalités de premier plan, dont le Dr Gubad Ibadoghlu, éminent militant anticorruption et chercheur invité à la London School of Economics, ont été arrêtées. Au moins 25 journalistes et militants sont également détenus pour des motifs politiques.
Les médias critiques à l’égard du régime, tels que Abzas Media, Toplum TV et Kanal 13, ont également fait l’objet de pressions intenses ou ont été fermés. Les journalistes indépendants et les militants de la société civile ont tout bonnement été exclus de la COP29.
La « diplomatie du caviar » menée par l’Azerbaïdjan est la raison pour laquelle vous n’avez peut-être jamais entendu parler de tout cela. Cette stratégie consiste à courtiser les journalistes et les fonctionnaires occidentaux. Grâce à leur aide tacite, l’Azerbaïdjan a pu se mettre à l’abri de tout contrôle et attirer les investissements européens dans ses infrastructures.
Ilham Aliev n’a cessé de répéter que la capitale de l’Arménie, Erevan, est une « ville azerbaïdjanaise ». Cela reflète une stratégie plus large de révisionnisme historique et de négation du génocide, visant à récupérer des territoires sur la base des frontières présoviétiques.
Ces ambitions territoriales sont remises à plus tard tant que se déroule la COP29. Mais la conférence pourrait bien être le prélude à une reprise de la guerre dans le Caucase du Sud.
Brian Brivati ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
13.11.2024 à 17:09
Comment mobiliser les émotions pour inciter à agir en faveur du climat ?
Emmanuel Petit, Professeur de sciences économiques, Université de Bordeaux
Damien Bazin, Maître de Conférences HDR en Sciences Economiques, Université Côte d’Azur
Jérôme Ballet, Maître de conférences en sciences économiques et éthique, Université de Bordeaux
Nathalie Lazaric, Directrice de recherche CNRS Transition Ecologique et Résilience Organisationnelle, Université Côte d’Azur
Texte intégral (2824 mots)
On parle souvent des émotions que génère la crise climatique comme l’éco-anxiété, l’éco-colère… Mais quelles émotions peuvent permettre de lutter contre l’inaction climatique ?
Face aux défis inédits présentés par la crise climatique actuelle et future, nous avons pu voir de nouvelles émotions émerger. On parle beaucoup d’une « éco-anxiété », de l’« éco-colère » ou encore de la « honte de prendre l’avion ». Les émotions sont-elles symptomatiques de notre impuissance ou peuvent-elles être mobilisables pour combattre la crise climatique et environnementale, comme peut le laisser penser l’étymologie même du mot émotion, du latin motio, action de mouvoir ?
En tant que vecteur du changement des comportements, l’émotion joue un rôle à trois niveaux : celui de la communication, de l’éducation et de la transformation au service de l’action.
Communiquer en tablant sur les émotions
On a longtemps cru que pour mobiliser les populations, il suffisait de les informer à partir des données sur l’évolution effective, anticipée ou probable du réchauffement climatique, comme les fameux deux degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels, que l’accord de Paris s’est engagé à ne pas dépasser. On sait aujourd’hui que cela n’est pas suffisant pour promouvoir activement des comportements adaptés à la crise écologique. Il semble ainsi que c’est davantage l’expérience sensible que font les populations du dérèglement climatique qui génère des modifications comportementales plutôt que des campagnes relayant les informations issues des rapports du GIEC.
C’est une donnée que les climatologues eux-mêmes ont intégré depuis longtemps. Ils s’appuient désormais sur la multiplication récente des évènements climatiques extrêmes (canicules, fonte des glaces, montée des eaux, sécheresse, tempêtes, etc.) pour favoriser la prise de conscience par les populations de l’urgence à modifier la trajectoire actuelle de nos sociétés. La science de l’attribution est née de ce constat. Une étude précisera par exemple que le changement climatique a rendu la sécheresse agricole subie par l’Amazonie en 2023 environ trente fois plus probable. Ou alors que la vague de froid qui a touché la Scandinavie début janvier 2024 (-44,6 °C à Vittangi, en Suède) est un événement « cinq fois moins probable » et qu’il aurait été « plus froid de 4 °C » que le précédent record.
Contrairement à ce qui se passait il y a encore quelques années, la saillance de ces évènements extrêmes rend la crise climatique plus concrète, moins lointaine (dans l’espace et le temps) et plus probable. Relayés par les médias, ces évènements suscitent des émotions qui modifient les croyances et poussent potentiellement à l’action. La fréquence des évènements climatiques auxquels nous assistons est en ce sens, paradoxalement, porteuse d’espoir.
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La communication auprès du public demeure cependant indispensable. Des travaux s’interrogent ainsi aujourd’hui sur la façon de relayer l’information autour du changement climatique en mobilisant l’émotion de façon efficace. Nombreux sont ceux qui mettent en évidence l’intérêt qu’il y aurait à communiquer autour du changement climatique à partir de ses effets sur la santé. On peut y déceler une façon de contourner la fatigue climatique (une forme de lassitude ou de découragement induite par une forte exposition médiatique aux nouvelles négatives sur le climat), alors que l’insouciance climatique (ou son déni) continue de toucher en France environ 37 % de la population. Cela permet de dépasser le rempart des doutes en faisant pencher la balance vers l’intérêt personnel dès lors que la santé est en jeu.
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Éduquer par les émotions au changement climatique
Communiquer est une chose. Éduquer en est assurément une autre. L’éducation au changement climatique est un enjeu central pour penser la transition écologique. Dans de nombreux pays, dans le cadre du cursus scolaire (au collège ou au lycée) des programmes spécifiques ont été mis en place visant à enseigner aux élèves la réalité et la portée du changement climatique. Mais, cela est-il efficace ? Faut-il tenir compte des émotions ?
Il y a encore une dizaine d’années, les recherches effectuées sur l’éducation au changement climatique soulignaient la nécessité de mettre l’accent sur le contenu de l’information (les faits bruts et l’analyse des processus physiques en jeu). Des études plus récentes ont cependant mis en lumière le rôle de l’émotion dans le processus même d’apprentissage autour de cette question. Celle-ci révèle la difficulté de dissocier les mécanismes cognitifs de l’apprentissage des facteurs affectifs.
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L’étude de 2021 des chercheurs en géographie Charlotte Jones et Aidan Davison effectuée à partir d’entretiens auprès de jeunes australiens âgés de 18 à 24 ans est intéressante de ce point de vue. Les auteurs rapportent qu’une large majorité des jeunes expriment un fort désir d’agir en réponse à l’information qui leur a été communiquée au cours de leur scolarité sur la crise du climat. Cependant, ils font aussi le constat que l’école ne leur fournit aucune possibilité de changer les choses et d’agir, ce qui peut provoquer une colère, susceptible d’être dirigée elle-même contre les enseignants. Nombreux sont ceux indiquant que l’enseignement de la crise climatique devrait être réformé et contribuer à produire une expérience plus active (et non passive) augmentant les capacités de chacun et les capacités collectives à répondre à l’enjeu environnemental. Un jeune suggère ainsi qu’il faudrait « apprendre [aux enfants] à écrire des lettres aux dirigeants politiques ».
De plus, comme le révèlent les propos de plusieurs d’entre eux, l’enseignement ne semble pas favoriser l’expression émotionnelle des jeunes et peut même tendre à la décourager, ce qui est un frein à l’action. Dans certains pays, comme le Canada, la Finlande, les Pays-Bas et la Suède, des approches éducatives alternatives ont été mises en œuvre pour limiter cet effet en étant attentif au bien-être et au ressenti émotionnel des jeunes lorsque la crise climatique est évoquée en classe.
Intégrer les émotions dans l’apprentissage autour de la question de la crise climatique, communiquer en pensant à la façon de mobiliser les émotions du public, permet d’espérer forger des attitudes plus respectueuses de l’environnement.
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Transformer les émotions en moteur d’action
Éduquer permet de fournir des outils, de canaliser les émotions et de créer des actions qui incarnent du sens au niveau individuel et collectif. On peut ainsi agir sur les émotions positives, notamment la fierté d’agir et obtenir des résultats positifs dans un domaine précis (déchets, énergie ou autres). Les défis énergétiques lancés aux ménages sur la réduction de leur consommation d’énergie permettent par exemple d’apprendre sur la sobriété et les moyens d’y parvenir. Les outils comportementaux utilisés (nudges ou boosts) se servent du ressort des émotions pour apprendre à changer les habitudes énergétiques pour aller vers plus de sobriété.
Sur la Principauté Monaco, un défi a été lancé en 2019 aux ménages volontaires pour réduire leur consommation, soit de 15 % ou de 25 %. Les volontaires sont allés au-delà des objectifs fixés et ont en moyenne réduit leur consommation de 23 % pour le groupe avec un objectif initial de 25 % et de 27 % pour ceux qui avaient un objectif plus modeste de 15 %. Ces résultats étonnants pointent un paradoxe : si on met la barre trop haut, on risque de décourager les citoyens mais si on la met plus bas, on peut les amener à se surpasser à condition bien sûr que la pression ne soit pas trop forte et que les individus soient accompagnés dans cette démarche. Si les expériences portant sur les réductions de la consommation énergétique sont pour la plupart motivées par une volonté de gains financiers, ce ne fut pas le cas dans cette recherche, incluant une population de catégories sociales aisées, qu’il fallait conduire vers plus de sobriété en mobilisant des émotions positives avec l’aide d’outils adaptés (conseils et humour notamment).
Une des raisons du succès de cette expérience tient aussi à la politique de communication préparée par la Principauté pour atteindre l’objectif de réduction de 50 % des gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) et à la mobilisation de la population, notamment les plus jeunes autour de valeurs environnementales avec la mise en place d’un programme d’éducation « Green is the new glam ». L’objectif est de véhiculer des émotions positives autour de cette transition énergétique pour l’ensemble de la population monégasque.
Si la démarche monégasque laisse de nombreux observateurs circonspects et critiques, force est de constater que la politique de la Principauté, bien rodée, est une condition nécessaire pour que les émotions restent canalisées et servent de moteur d’action. En effet, dans un climat social difficile avec une tension sur la hausse du revenu des ménages, comme en France (l’augmentation des revenus des ménages français par tête sur la période de 1990 à 2016 a été de 29 % contre 43 % en moyenne en Europe), les priorités individuelles ne sont pas toujours favorables à des efforts supplémentaires en matière environnementale.
Si les émotions représentent un potentiel levier d’actions des individus, elles ne doivent pas rester cantonnées à ce seul niveau. Les individus ne sont qu’un des leviers d’actions parmi d’autres existants au sein des organisations publiques et privées (les entreprises). La colère des citoyens, la multiplication des litiges environnementaux ainsi que la pression des actionnaires, peuvent obliger les compagnies pétrolières à réagir. Ainsi, certains actionnaires des entreprises les plus émettrices de gaz à effet de serre (GES) ont élevé le ton en 2017 pour qu’ExxonMobil ait le devoir d’informer ses actionnaires et le public de la manière dont il prend en compte le climat dans sa stratégie. En 2021, un tribunal néerlandais a ainsi condamné Shell à réduire de 45 % ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à fin 2030, donnant raison à une coalition d’ONG et de particuliers.
Enfin, onze petits actionnaires de TOTAL en 2020 ont réussi à faire modifier les statuts de la firme en y intégrant des objectifs de décarbonation. Ces actions couronnées de succès, révèlent aussi que l’indignation peut faire bouger les lignes et que les moteurs de l’action ne doivent pas porter sur les seules épaules citoyennes.
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Le rôle des pouvoirs publics est aussi crucial pour veiller à ne pas aggraver les inégalités environnementales et pour mieux comprendre les limites et leviers de l’action individuelle. Les différentes émeutes récentes des agriculteurs, mais aussi celles des gilets jaunes indiquent que lorsque les changements sont complexes et difficiles à mettre en place, la perception de l’injustice sociale et le manque d’accompagnement des acteurs peuvent générer de véritables colères face aux actions à mettre en œuvre qui n’ont pas été anticipées et préparées. Ainsi, les émotions individuelles (comme la colère) ne sont pas toujours un gage d’actions positives pour le changement climatique lorsqu’elles sont perçues comme une injustice environnementale (comme dans le cas de la taxe carbone en 2018 qui touchait de nombreux ménages ruraux pour lesquels cette nouvelle taxe érodait leur revenu) ou une difficulté supplémentaire vis-à-vis d’un métier subissant déjà de plein fouet les contraintes du changement climatique.
C’est la raison pour laquelle les décideurs publics doivent canaliser ces émotions par l’éducation et la mise en place de mesures d’adaptation et de compensation perçues comme justes et équitables et réalisées pour le bien commun. Procurer du sens aux décisions prises et appréhender les différents verrous individuels, collectifs et institutionnels est un prérequis pour éviter que les émotions se transforment en résistance et rébellion face au changement climatique. Le défi et la colère des agriculteurs à l’encontre du plan Ecophyto et à la fin de la hausse de la taxe sur le gazole non routier pour le secteur, montrent que l’action publique doit questionner l’adéquation de ces mesures pour que les émotions climatiques puissent à nouveau se transformer en espoir et que les mutations nécessaires puissent être mises en œuvre.
Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
12.11.2024 à 17:35
Les oursins comme bioindicateurs de la pollution marine
Ouafa El Idrissi, Enseignant chercheur en biologie et écologie marine, Université de Corse Pascal-Paoli
Sonia Ternengo, Maître de conférences HDR en biologie et écologie marine, Université de Corse Pascal-Paoli
Texte intégral (2162 mots)
Les oursins se révèlent être de précieux bioindicateurs pour suivre la contamination des environnements marins par les éléments traces (longtemps appelés métaux lourds). Un exemple en Corse, lieu privilégié d’étude des écosystèmes côtiers, à proximité d’une mine fermée depuis plus de 50 ans.
Interfaces fragiles entre les milieux terrestres et marins, les écosystèmes côtiers sont soumis à une pression croissante due aux activités anthropiques. L’expansion des secteurs industriel, agricole et urbain entraîne l’introduction d’une quantité considérable de produits chimiques dans ces écosystèmes.
Ces substances présentent souvent des propriétés toxiques susceptibles de causer des dommages multiples à l’échelle des organismes, des populations et des écosystèmes, menaçant non seulement la biodiversité marine mais aussi les services écosystémiques qu’ils fournissent.
Les éléments traces : une menace invisible
Les éléments traces, autrefois appelés métaux lourds, font partie des contaminants les plus répandus dans l’écosystème marin. En raison de leur toxicité, leur persistance et leur capacité à s’accumuler dans les organismes marins, ces derniers sont considérés comme de sérieux polluants dans l’environnement marin.
Bien que naturellement présents dans l’environnement à faible concentration, les éléments traces peuvent rester en solution, s’adsorber sur des particules sédimentaires, précipiter au fond ou encore s’accumuler et connaître « une bioamplification » dans les chaînes alimentaires atteignant ainsi des niveaux toxiques. Une surveillance constante de leur présence et leur concentration est donc essentielle face à ces menaces.
Le cas de l’oursin violet comme bioindicateur de contamination
Afin d’évaluer les niveaux de contaminants dans l’écosystème, des organismes peuvent être utilisés comme bioindicateurs. Ces organismes ont la capacité d’accumuler des polluants dans leurs tissus permettant ainsi d’évaluer la qualité de leur environnement.
De par sa large distribution, son abondance dans les écosystèmes côtiers, sa facilité de collecte, sa longévité, sa relative sédentarité et sa bonne tolérance aux polluants, l’oursin violet Paracentrotus lividus (décrit par Lamarck en 1816) est un organisme reconnu pour son rôle de bioindicateur.
L’utilisation de biomarqueurs représente également une approche clé dans la biosurveillance marine permettant d’évaluer les liens entre l’exposition aux polluants environnementaux et leurs impacts sur les individus et les populations. Les effets des polluants dans les écosystèmes marins peuvent être mesurés à travers des paramètres biochimiques.
De nombreuses études suggèrent que l’exposition à divers éléments traces est susceptible d’entraîner des dommages irréversibles chez les organismes marins via la production de molécules oxydantes. Dans ce contexte, il est essentiel d’évaluer, au sein de ces organismes, les activités d’enzymes antioxydantes qui jouent un rôle clé dans la défense contre le stress oxydant. Les teneurs de certains marqueurs d’oxydation dans les tissus des organismes constituent également des indicateurs précieux pour évaluer l’intensité du stress oxydant.
La Corse, un site d’étude privilégié
En raison de ses côtes fortement peuplées, la mer Méditerranée est soumise à de nombreuses pressions anthropiques. Située au nord-ouest de ce bassin, la Corse constitue un site d’étude privilégié pour les écosystèmes côtiers. Ses eaux, souvent considérées comme peu affectées par des sources anthropiques majeures, permettent d’identifier plus facilement les sources de contamination.
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Afin d’obtenir des informations sur la qualité environnementale des eaux marines autour de l’île et d’identifier les zones de contamination locale, des prélèvements ont été réalisés. Ces travaux avaient pour objectif de suivre la dynamique spatio-temporelle de 22 éléments traces dans des oursins prélevés sur le littoral corse et d’estimer les effets de cette contamination sur le stress oxydant de P. lividus.
Des indices de pollution, calculés à partir de données issues de la littérature, ont permis de comparer les niveaux de contamination de la Corse à ceux d’autres régions méditerranéennes, comme l’Algérie, la Grèce, l’Italie et l’Espagne. Bien qu’il existe quelques cas de contamination élevée en Corse, les niveaux demeurent faibles en raison de la faible pression anthropique dans la région.
Des éléments traces présents naturellement ou liés aux activités humaines
La plupart des contaminations significatives qui ont été relevées sont attribuées à des sources localisées ou à des caractéristiques spécifiques des sites étudiés. Ainsi, de fortes teneurs en cobalt, chrome et nickel ont été mesurées dans les organes reproducteurs (les gonades) d’oursins à proximité de l’ancienne mine d’amiante à Canari en Haute-Corse. Ces niveaux résultent de déblais non traités rejetés en mer pendant la période d’activité de la mine d’amiante entre 1948 et 1965.
Malgré la fermeture de la mine depuis plus de 50 ans, le procédé utilisé pour récolter des résidus miniers le long du littoral ainsi que la composition géologique du sous-sol (constitué de roches dénommées serpentinites naturellement riches en éléments traces) contribuent encore à la dispersion de ces éléments dans l’environnement marin.
L’évaluation de la qualité des écosystèmes nécessite donc une bonne connaissance du contexte géochimique naturel afin de distinguer les éléments traces naturellement présents dans l’environnement de ceux résultant des activités anthropiques. Cet exemple illustre également comment les activités humaines, même anciennes, peuvent encore avoir un impact sur les écosystèmes.
Le calcul d’un indicateur appelé « Trace Element Pollution Index » – basé sur les concentrations en éléments traces dans les gonades et les tubes digestifs de l’oursin – a permis de déterminer un gradient de contamination avec des teneurs plus élevées au sud de l’ancienne mine d’amiante. Ce phénomène résulte de la migration des déchets miniers vers le Sud, entraînés par la houle et les courants marins dominants.
Cette observation souligne le rôle du milieu marin dans la diffusion et la distribution des contaminants dans l’environnement. Par conséquent, les éléments traces peuvent être largement diffusés à partir des sites sources rendant leur surveillance plus complexe.
Plusieurs études suggèrent que l’exposition à la contamination par les éléments traces peut induire une cascade d’événements qui stimulent des activités d’enzymes antioxydantes chez les oursins.
Dans le cadre de notre recherche, les activités spécifiques les plus élevées des enzymes antioxydantes ont été observées dans la zone sud de l’ancienne mine d’amiante, là où justement la contamination est la plus importante. Toutefois, aucune différence significative entre les sites n’a été mise en évidence. Ces données suggèrent que le système enzymatique antioxydant de P. lividus a protégé son organisme de manière efficace contre les dommages oxydants.
Intégrer aussi les caractéristiques de l’eau (température, acidité, oxygène, etc.)
La contamination en éléments traces varie selon les saisons, avec des concentrations généralement plus élevées en automne et en hiver et plus faibles en été. Cette variation s’explique par des changements physiologiques chez l’oursin. Lors de la production des cellules sexuelles ou gamètes (spermatozoïdes et ovocytes), un phénomène de dilution des concentrations en éléments traces est constaté dans les organes reproducteurs tandis qu’en dehors de cette période la concentration augmente.
Par ailleurs, certains éléments sont essentiels et leur concentration élevée durant la production des cellules sexuelles est considérée comme normale. C’est notamment le cas du zinc étroitement lié au processus de maturation des ovocytes ou cellules sexuelles féminines (l’ovogenèse) et dont les niveaux sont particulièrement élevés chez les femelles.
En conséquence, pour une utilisation optimale des oursins en tant que bioindicateurs, il est crucial de considérer divers facteurs dits « biotiques » et « abiotiques ». Les facteurs biotiques incluent la reproduction et le sexe des oursins qui influencent les concentrations d’éléments traces dans les gonades. Les facteurs abiotiques tels que la température de l’eau, le pH, la teneur en oxygène et la salinité influencent la biodisponibilité des polluants et la capacité des oursins à les accumuler.
Prendre également en compte d’autres bioindicateurs comme les moules et les algues
Par ailleurs, nos résultats ont démontré que les macroalgues et les tubes digestifs d’oursins bioaccumulent plus d’éléments traces que les gonades ce qui les rend particulièrement utiles pour identifier les contaminations locales. Le tube digestif des oursins, en particulier, pourrait être un outil plus précis pour les études écotoxicologiques car il présente généralement des concentrations d’éléments traces plus élevées et est moins affecté par les facteurs liés à la reproduction.
Ainsi, bien que les oursins soient d’excellents bioindicateurs, une approche intégrée avec d’autres organismes tels que des bivalves (les moules notamment) ou macroalgues permet d’obtenir une vision plus globale de la contamination dans les écosystèmes côtiers.
Ces recherches sont cruciales pour comprendre les pressions anthropiques exercées sur les écosystèmes marins et développer des stratégies de gestion environnementale efficaces visant à préserver la biodiversité ainsi que les services écosystémiques essentiels fournis par ces milieux.
Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 4 au 14 octobre 2024), et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition porte sur la thématique « océan de savoirs ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site Fetedelascience.fr.
Ouafa El Idrissi a bénéficié de la bourse de la Fondation de la Mer, un financement dans le cadre du programme MISTRALS (Mediterranean Integrated STudies at Regional And Local Scales).
Sonia Ternengo a reçu un financement dans le cadre du programme MISTRALS (Mediterranean Integrated STudies at Regional And Local Scales).