11.09.2021 à 08:15
Malaurie Chokoualé Datou
par Malaurie Chokoualé | 8 min | 11/05/2014 1463 marches Les gens applaudissent autour de Michael. Il sent des formes le frôler, qui grimpent quatre à quatre. Il sert un peu plus fort le harnais de Roselle dans sa main. Ce sont des pompiers. Il tape sur une épaule qu’il sent passer non loin de lui,…
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Les gens applaudissent autour de Michael. Il sent des formes le frôler, qui grimpent quatre à quatre. Il sert un peu plus fort le harnais de Roselle dans sa main. Ce sont des pompiers. Il tape sur une épaule qu’il sent passer non loin de lui, un geste qu’il espère encourageant. Il ne sait pas où ils vont, mais ce ne peut être qu’en enfer. La file avance pas à pas, marche après marche. Michael sue à grosses gouttes sous son costume un peu trop large pour lui et ses cheveux éparses collent sur son crâne. Une insistante odeur de carburant flotte dans l’air du couloir surchauffé, brûlant les yeux des marcheurs. Alors qu’ils passent le 50e étage, un bruit effroyable les saisit tous. C’est le vol 175 d’United Airlines qui vient de percuter la tour Sud, mais ils ne l’apprendront que plus tard.
Roselle halète, cherchant elle aussi un peu d’air pour avancer. Étage après étage, sa respiration se fait plus rauque, difficile, la gorge abîmée par l’odeur du fuel et de la fumée. Son pelage jaune à l’origine, est terni par un mélange grisâtre de suie et de débris. Michael s’inquiète pour elle, creusant les rides qui barrent son front.
Roselle avec un autre chien
héros du 11 septembre 2001, Salty
Après 50 minutes de descente, ils atteignent enfin le hall de l’immeuble. Le sol est inondé à cause des nombreux tuyaux brisés. Roselle lape les flaques ici et là pour étancher sa soif dévorante. Il leur faut encore dix minutes pour sortir du bâtiment. « Courez, ne regardez pas en haut, ne regardez pas en arrière ! » crient des policiers à la foule qui défile devant eux. Soudain, leurs voix sont noyées par un bruit monstrueux. C’est la tour Nord qui s’effondre.
Autour de Michael, les gens hurlent et les pas battent encore plus rapidement le bitume. « À la bouche de métro ! » hurle quelqu’un. Tout le monde se met à courir. Roselle guide son maître à travers les débris, toujours devant lui dans cette course effrénée. Elle reste concentrée et balaie de son regard clair l’apocalypse qui les entoure. Ils atteignent le métro et y attendent l’accalmie. En sortant à l’air libre peu de temps après, la tour Sud a disparu du ciel de New York. La tour Nord, est toujours là, vaillante mais fumante. Une trentaine de minutes plus tard, elle part rejoindre sa jumelle, emportant dans sa chute 2 605 vies. Tout le monde est couvert de suie. Et dans ce paysage de désolation, Roselle et Michael avancent toujours ensemble.
Lorsqu’elle ne travaille pas, Roselle est allongée de tout son long sous le bureau de Michael. En ce tranquille matin du 11 septembre 2001, sa respiration laisse échapper un léger sifflement rassurant qui atteste de sa présence. Michael a su dès leur rencontre qu’ils seraient parfaitement assortis. La première fois qu’ils se sont rencontrés le 22 mai 1999, Roselle a traversé la pièce et lui a donné un coup de langue affectueux en guise d’alliance éternelle.
« Quand elle porte son harnais, elle devient moins agitée, plus concentrée »
Roselle est née le 12 mars 1998 dans l’unité de mise à bas de l’association Guide dogs for the blind, qui élève, entraîne et donne des chiens guides d’aveugles à ceux qui en font la demande. À huit semaines, ce chiot Labrador retriever jaune est amené dans une famille d’adoption à Santa Barbara qui l’élèvera pendant plusieurs mois. Elle est ensuite renvoyée chez Guide dogs for the blinds pour y compléter sa formation de chien guide d’aveugle. En novembre 1999, Roselle rencontre Michael et devient son cinquième chien guide.
Michael Hingson a eu son premier chien guide à l’âge de 14 ans, Squire. L’Américain est né à Palmdale, en Californie, en 1950. À cette époque, il existait une procédure médicale standard pour aider les nouveau-nés prématurés à respirer. Cette pratique consistait à placer le bébé dans un incubateur scellé de manière à lui fournir de l’oxygène pur jusqu’à ce qu’il soit prêt à respirer seul. Cette pratique a entraîné une épidémie de cécité chez des enfants prématurés. Entre 1941 et 1953, aux États-Unis, plus de 10 000 bébés prématurés sont devenus aveugles, comme c’est le cas du chanteur Stevie Wonder, ou de lui-même. Michael a toujours été encouragé par ses parents à être indépendant. Ils ne l’ont jamais traité différemment de son frère aîné de deux ans, Ellery.
Après Squire, Michael a été mis en binôme avec Holland, qui l’a guidé à travers ses années d’études supérieures, conclues par un master en physique. Il était également à ses côtés durant ses premières années d’emploi. Klondike a guidé Michael pendant une grande partie de sa vie professionnelle, avant d’être remplacé par Linnie, dont la carrière s’est brusquement terminée quand elle a contracté la maladie de Lyme. Fin 1999, c’est au tour de Roselle de guider Michael.
Roselle se révèle rapidement amusante, énergique et calme à la fois, comme la plupart des chiens guides. Joueuse quand elle le peut, mais travailleuse quand elle le doit. Le harnais, pour elle, est comme un uniforme. Lorsque Michael parle de sa vieille coéquipière, il ne tarit pas d’éloge à son sujet. « Quand elle porte son harnais, son comportement change », explique-t-il. « Elle devient moins agitée, plus concentrée, elle prend toujours son travail au sérieux. Elle exige que je fasse mon travail aussi. Et elle aime faire partie d’une équipe. »
Six mois après les attentats, Michael a laissé derrière lui 27 ans de carrière dans le domaine de la vente pour devenir le directeur des relations humaines de Guide dogs for the blinds. Toujours précédé par Roselle. Toute sa famille est repartie sur la côte Ouest, tirant un trait sur six ans de vie dans le New Jersey. En juin 2008, Michael a quitté Guide dogs pour créer le Michael Hingson Group afin de se consacrer essentiellement à sa carrière de conférencier et de conseiller les entreprises en matière de formation inclusive et de diversité. Il a également créé la Roselle’s Dream Foundation qui a pour objectif « d’aider la société en général et les aveugles en particulier à comprendre que la cécité ne doit pas empêcher qui que ce soit d’accomplir ce qu’il souhaite. » En 2009, rougissant légèrement de fierté, il est devenu l’ambassadeur national pour la campagne d’alphabétisation Braille, toujours accompagné de sa fidèle Roselle et de ses successeurs.
Avoir survécu aux attentats du 11 septembre 2001 a inévitablement rapproché Roselle et Michael. « Nos vies ont été menacées et évidemment notre relation en est ressortie plus forte », explique Michael. Depuis près de 17 ans, il parcourt le monde pour raconter inlassablement son histoire. Il vole de conférence en conférence, d’allocutions en discours d’inauguration, pour parler de confiance, de persévérance, de handicap et d’esprit d’équipe.
Le matin du 11 septembre 2011, Michael s’était rendu au World Trade Center pour une journée de formation. À cette époque, il était directeur régional des ventes pour une société qui fournit des systèmes de protection des données et de stockage réseau. Quand la tour Nord a été percutée, Michael s’est astreint à ne s’affoler sous aucun prétexte. En effet, il avait un atout que n’importe quel voyant n’avait pas : Roselle. La chienne était là, à ses côtés, toujours aussi calme. Sa tranquillité présageait d’une absence de danger immédiat et Michael a choisi de suivre son jugement et de ne pas céder à la panique. « Roselle et moi, nous sommes une équipe », s’est-il dit au moment d’empoigner le harnais et de descendre les 1463 marches jusqu’à la sortie.
Selon Michael, la confiance inconditionnelle d’un chien pour un humain n’existe pas. Un chien veut de l’amour, mais n’accordera pas nécessairement sa confiance. Pour qu’elle soit forte, il faut qu’elle se développe avec le temps et que le maître arrive à imposer des règles. « Les chiens aiment les règles », affirme Michael. « Ils ont besoin de savoir qui est le patron, qui est le leader. Ils respectent quelqu’un qui les guide, avec amour et confiance. » C’est précisément ce lien profond qui a sauvé Michael. Il n’a fait que se consolider, jusqu’au décès de Roselle en 2011.
Le 24 juin 2011, Roselle est emmenée chez son vétérinaire, qui soupçonne un ulcère à l’estomac. Son état empire rapidement. Le médecin et la famille Hingson décident douloureusement de mettre fin à ses souffrances. Roselle s’éteint deux jours plus tard, en héroïne nationale. Après sa mort, elle est élue « chien héros » de l’année 2011 par American Humane Society. Les interventions de Michael à la télévision, ses conférences et surtout les deux livres qu’il a écrits en son honneur n’y sont pas étrangers.
Sorti en 2012, Thunder Dog devient rapidement un best-seller. « Je voulais que les gens comprennent que quand quelque chose d’horrible leur arrive, ils peuvent aller de l’avant. Je voulais que les gens sachent ce qu’est un chien guide, ce qu’est un aveugle ou une personne avec des déficiences visuelles », expliquait-il à l’époque. Thunder Dog est une histoire de persévérance, de compréhension de soi et de confiance en ses propres capacités. Malgré sa peur du tonnerre, Roselle a pu guider son maître à travers 78 étages d’une tour frappée par la foudre. « C’est pour cela que l’éditeur a choisi ce titre, Thunder Dog. Elle était nerveuse bien sûre, mais quand j’ai eu besoin d’elle, elle a fait exactement ce que je voulais qu’elle fasse. »
Près de sept ans après son décès, Michael garde un souvenir ému de Roselle. À ses côtés aujourd’hui, un Labrador noir au regard placide, tout aussi calme que ses prédécesseurs. C’est Alamo, son huitième chien guide, avec qui il travaille depuis plusieurs mois, apparemment avec succès. Les techniques d’entraînements de l’association Guide dogs for the Blinds ont évolué. Les chiens que Michael reçoit sont de plus en plus réactifs et il admet de bon cœur qu’Alamo est peut-être le meilleur qu’il ait jamais eu. « Mais Roselle était tout ce que j’aurais pu attendre d’un chien guide. »
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01.09.2021 à 09:26
Servan Le Janne
par Servan Le Janne | 8 min | 17/10/2018 L’herbe folle pousse toujours là où l’attend le moins. En semant négligemment quelques graines il y a sept ans, les trois fondateurs de Mon petit gazon (abrégé MPG) étaient loin de se douter qu’ils récolteraient de tels fruits. Aujourd’hui, le jeu de « fantasy football » rythme le…
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L’herbe folle pousse toujours là où l’attend le moins. En semant négligemment quelques graines il y a sept ans, les trois fondateurs de Mon petit gazon (abrégé MPG) étaient loin de se douter qu’ils récolteraient de tels fruits. Aujourd’hui, le jeu de « fantasy football » rythme le week-end de centaines de milliers de fans français. Depuis la terrasse de leur bureau du IXe arrondissement de Paris et sa fausse pelouse, Martin Jaglin, Grégory Rota et Benjamin Fouquet reviennent sur leur épopée digne d’un Petit Poucet en Coupe de France.
Au début de l’aventure, en 2011, ces trois collègues d’une agence de marketing numérique ont voulu créer un jeu de fantasy football convivial. Leur espèce de Football Manager en ligne, simplifié mais néanmoins arrimé aux performances réelles, était personnel. Ils n’avaient pas le temps d’essayer d’en faire la promotion ou de le complexifier. C’est cette simplicité, conjuguée à une bonne dose de second degré, qui ont fait son succès.
À ceux qui ne connaissent pas encore MPG, Martin Jaglin explique que « chaque week-end, quelqu’un défie un ami dans le jeu virtuel et le bat si ses joueurs jouent bien dans le championnat de France réel ». Le trio se référait aux notes de L’Équipe pour juger leurs performances et aux matchs de la Ligue 1. Ce qui lui a valu des menaces de poursuite. Mais quand, fort de leur succès, ils ont cessé de n’être que des amateurs, pour devenir des promoteurs du football français, Martin, Grégory et Benjamin ont été adoubés par le quotidien et les instances. La réussite est totale.
Martin Jaglin : Au moment de lancer Mon petit gazon, en septembre 2011, je travaillais dans une société de marketing numérique qui marchait bien, 1000mercis. J’y suis arrivé en 2005, deux ans après Grégory et Benjamin. Rien ne nous poussait à chercher une autre activité. De toute manière, ce projet entre potes n’était pas voué à prendre une grande ampleur. L’univers de ce qu’on appelle le « football fantasy », alors bien plus développé en Angleterre qu’en France, ne nous était guère familier. Nous jouions ensemble à FIFA et PES quand un jour, nous avons découvert un jeu créé par des Lyonnais, Fantaleague, qui ressemblait à un Football Manager en ligne. Le côté interactif nous a séduits.
Gregory Rota : Les sites de football fantasy qui existaient ne nous emballaient pas vraiment. En fait, MPG a été conçu comme le jeu auquel nous voulions jouer, et nous avons eu la chance qu’il plaise. Nous étions loin de penser que ça deviendrait une entreprise.
Benjamin Fouquet : Il y avait non seulement une certaine alchimie, mais aussi une complémentarité entre nous trois. En jouant à Fantaleague, nous nous sommes dit que nous pourrions allier nos compétences pour l’améliorer. Fantaleague était un peu trop compliqué. Alors nous avons repris le site pour partir de zéro. Certains collègues se sont mis à jouer mais nous n’en parlions pas tellement au bureau. Ça restait une agence marketing. En revanche, le projet nous a rapprochés d’ami·e·s qui aiment le foot.
Gregory Rota : Martin a grandi à côté de Paris et supporte donc le PSG, tandis que Benjamin est Bordelais. J’ai beau être originaire de Vesoul, dans l’est de la France, mon cœur battait pour l’Olympique de Marseille. Dans les années 1990, c’était l’équipe qui faisait rêver tant par ses résultats que par la ferveur qu’elle drainait. À cette période-là, il y a eu un premier ordinateur chez moi. J’aimais déjà les jeux vidéo donc je me suis passionné pour le web. En parallèle de mes études en informatique, je jouais à FIFA, PES et Football Manager.
Benjamin Fouquet : Internet m’a toujours attiré mais, comme beaucoup d’étudiants, je n’avais aucune idée du métier que je voulais exercer. J’ai fait une école de commerce pour me spécialiser, au sein de laquelle je me suis naturellement dirigé vers les nouvelles technologies. Ensuite je suis monté à Paris pour travailler dans le marketing en ligne. Je lisais L’Équipe mais je n’étais pas non plus du genre à regarder les notes de chaque joueur après les matchs.
Martin Jaglin : Au départ, les notes des joueurs de MPG étaient celles de L’Équipe. Nous avions conçu un robot pour les récupérer sur le site du quotidien sportif. Quand elles ont été retirées d’Internet, nous avons dû les rentrer une par une à partir du journal papier, le dimanche soir et le lundi matin. Dès que le jeu a commencé à se faire un peu connaître, L’Équipe nous a envoyé une lettre en recommandé, menaçant de nous attaquer en justice car nous nous servions de leur propriété intellectuelle. Alors, nous avons dû développer notre propre algorithme.
Benjamin Fouquet : Ça a été un mal pour un bien car cela nous a permis de conserver notre indépendance. Avant ça, c’était vraiment archaïque, on entrait les dernières notes à 7 heures du matin le lundi. Nous nous sommes tournés vers une société qui fournissait des statistiques, Opta, et nous les avons entrées dans un algorithme. Grâce à lui, on avait le pied à l’étrier et on pouvait appliquer la technique à d’autres championnats.
Grégory Rota : À partir de 2015, le site a commencé à être pas mal fréquenté. Nous passions du temps à répondre à des e-mails et corriger les erreurs. En octobre, j’ai pris la décision de quitter mon poste pour m’occuper à plein temps de MPG. Je ne voulais pas regretter de passer à côté de cette aventure. Le site était encore assez laid donc nous avons lancé une campagne de crowdfunding en février 2016. Alors que nous espérions récolter 16 000 euros, les internautes nous en ont donné 40 000. Ça nous a permis de concevoir une application, et d’embaucher un graphiste et un technicien pour refondre le site. On l’a cassé pour tout refaire en trois mois.
Martin Jaglin : À mon tour, j’ai quitté 1000mercis pour consacrer tout mon temps à MPG en 2016. Les réunions se passaient d’abord dans la cuisine de l’un ou de l’autre, puis dans des espaces de co-working. Cela dit, je n’aime pas trop parler de start-up pour décrire MPG. Ça laisse l’impression qu’on émet des idées simplement pour récolter des fonds. Nous avons monté notre entreprise pas à pas, ce qui nous donnait l’impression de réaliser quelque chose de cool qui grandissait petit à petit. Il a bien fallu cinq ans pour qu’on lâche nos emplois.
Benjamin Fouquet : MPG a fonctionné parce qu’il avait un côté trublion par rapport aux jeux de fantasy football classiques. Alors que la plupart proposent de se mesurer à des milliers d’inconnus, nous avons voulu créer un environnement convivial dans lequel s’affrontent des amis. Ça permet de vibrer le week-end et de se chambrer le lundi. Et puis les participants se mettent à suivre les matchs de petites équipes pour savoir si leurs joueurs font de bonnes performances. Ça redore le blason de la Ligue 1.
« La LFP a compris que MPG était une bonne chose pour son image. »
Martin Jaglin : Pourtant, la Ligue de football professionnel (LFP), qui organise le championnat de France, a elle aussi voulu nous attaquer. En avril 2016, la discussion que nous avions avec elle par avocats a fuité dans la presse, ce qui a créé une sorte de mauvais buzz pour elle. Ses dirigeants ont donc fini par nous laisser faire. Le directeur général, Didier Quillot, croyait au projet. Lorsque son président Frédéric Thiriez a été remplacé, au mois de mai, cette position a été infléchie. Finalement, la LFP a compris que MPG était une bonne chose pour son image.
Grégory Rota : D’ailleurs, des vrais joueurs sont inscrits sur notre site. Je crois que le premier a été le défenseur du Stade Malherbe de Caen Emmanuel Imorou. Il y a aussi Nicolas Benezet, Valère Germain ou Umut Bozok. Nos utilisateurs ont en général entre 18 et 35 ans et viennent d’un milieu urbain. La LFP estime le nombre de fans de foot en France à 20 millions et nous pensons que trois ou quatre millions sont convertibles à MPG.
Benjamin Fouquet : À la base, MPG était surtout joué en Île-de-France. À Paris, j’ai commencé à voir des gens consulter l’application sur leur portable en 2016. C’était la preuve que ça rentrait dans les conversation et dans le quotidien. Les gens commençaient à en parler à la radio et sur Twitter. On nous a ensuite raconté un tas d’anecdotes de gens qui jouaient en famille ou qui concevaient de gros trophées. Il y a même une mère de famille qui, venant d’accoucher, jouait avec son mari pour garder le lien. Nous avons pénétré le foyer de A à Z.
Grégory Rota : L’application était initialement payante mais nous sommes revenus sur cette décision. Pour payer nos serveurs, nous avons commencé par mettre un peu de publicité. Ce sont en fait les options proposées – comme le mercato permanent ou les maillots personnalisés – qui nous ont permis de gagner de l’argent.
Martin Jaglin : En janvier 2018, nous avons levé un million d’euros auprès d’investisseurs privés comme l’ancien président du PSG Sébastien Bazin, le DJ Martin Solveig et une personne de la famille Amaury, actionnaire de L’Équipe. Nous avons depuis lancé un partenariat avec le quotidien sportif, ainsi qu’avec la LFP.
Benjamin Fouquet : De la même manière que nos interlocuteurs ne sont plus les mêmes depuis le départ de Frédéric Thiriez à la LFP, ils ont changé à L’Équipe. Les personnes en charge du numérique au sein du média ont fait comprendre à leurs collègues que MPG ne pouvait qu’inciter les fans de football à lire les articles. Désormais, on peut choisir entre les notes décernées par leurs journalistes ou celles de l’algorithme. La deuxième option est plus objective, mais il ne faut pas oublier qu’une frappe de 30 mètres qui termine sur la barre comptera toujours, dans ce cas de figure, comme un tir non cadré. Les joueurs de MPG trouvent ainsi un plus grand intérêt à regarder les matchs. Des collaborations ponctuelles avec Red Bull, Puma et Intersport ont aussi été lancées. Les visites commencent à être régulières et nombreuses.
Martin Jaglin : Pour le moment, les championnats français, anglais et espagnols sont sélectionnables sur MPG. Chaque année, on nous demande d’en proposer de nouveaux, ou de créer des versions équivalentes pour d’autres sports comme le rugby ou le basket. On se pose toujours la question, mais nous ne voulons pas ajouter une option pour ajouter une option.
Benjamin Fouquet : Notre objectif est pour le moment de personnaliser davantage l’expérience et de développer notre version espagnole pour trouver des joueurs de l’autre côté des Pyrénées. Environ 90 % de notre audience se trouve en France, mais on essaye d’activer des plateformes d’influence ailleurs.
Couverture : MPG by Ulyces.
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22.06.2021 à 00:30
Camille Hamet
par Camille Hamet | 7 min | 13/03/2018 Un vaccin contre le cancer « Un vaccin contre le cancer. » L’expression a été reprise en chœur par plusieurs médias à la publication, en janvier dernier, d’une étude menée par des chercheurs de l’université Stanford, en Californie. Elle laisse rêver au développement d’un vaccin préventif, capable d’empêcher le…
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L’espoir est à nouveau permis. Après avoir mis au point un vaccin contre le Covid-19 avec Pfizer, la société allemande de biotechnologie BioNTech développe à présent un vaccin contre le cancer. Et selon la scientifique et cofondatrice de l’entreprise Özlem Türeci, il pourrait être au point d’ici quelques années seulement. L’invention d’un tel vaccin est précisément la raison pour laquelle BioNTech a été fondé, révélait la chercheuse le 19 mars 2021. Et à l’instar du vaccin contre le Covid-19, les vaccins contre le cancer de BioNTech utiliseront les ARN messagers. Après des décennies de recherches et d’échecs, sera-t-on bientôt débarrassés du fléau du cancer ? On aimerait que ce soit aussi simple.
« Un vaccin contre le cancer. » L’expression a été reprise en chœur par plusieurs médias à la publication, en janvier 2018, d’une étude menée par des chercheurs de l’université Stanford, en Californie. Elle laisse rêver au développement d’un vaccin préventif, capable d’empêcher le développement de la maladie. Mais comme le rappelle l’Institut Curie, une telle approche n’est possible que si la survenue du cancer a pour origine une infection virale. Ainsi, « la systématisation de la vaccination contre l’hépatite B a largement contribué à prévenir les cancers du foie dans des régions du globe où le taux d’infection par le virus de l’hépatite B est important », et la vaccination contre le papillomavirus humain (HPV) « des jeunes filles entre 11 et 14 ans permettrait d’éviter 70 % des infections à l’origine de cancers » du col de l’utérus.
En France, seules 19 % des femmes sont vaccinées contre le HPV. Mais à l’autre bout du monde, en Australie, on vise les 100 % de vaccination grâce à un système de distribution gratuite aux adolescents âgés de 12 à 13 ans. Aux filles depuis 2007, et aux garçons depuis 2013. Celles et ceux qui se trouvent en dehors de cette tranche d’âge, mais qui ont moins de 19 ans, ont également droit à deux doses gratuites du vaccin. Résultat, le taux d’infection au HPV, qui se transmet notamment par voie sexuelle, a chuté de 22,7 % à 1,1 % entre 2005 et 2015 parmi les femmes âgées de 18 à 24 ans, selon un rapport publié dans le Journal of Infectious Diseases. À ce rythme-là, l’Australie pourrait bientôt devenir le premier pays du monde à éradiquer le cancer du col de l’utérus, d’après l’International Papillomavirus Society.
Contre les autres cancers, il n’est pas question de vaccination préventive, mais de vaccination thérapeutique. « Une situation très différente de celle de la vaccination préventive car l’intrus est déjà présent dans l’organisme et les défenses sont souvent débordées par la prolifération tumorale », précise l’immunologiste Vassili Soumelis. D’autant que, contrairement aux virus, les cellules cancéreuses sont produites par le corps lui-même. Le système immunitaire ne les perçoit pas comme une menace. Il s’agit donc en premier lieu de lui apprendre à reconnaître cette menace afin d’éradiquer les cellules cancéreuses, qui sont néanmoins capables d’envoyer des signaux pour contrer la réponse immunitaire. Le vaccin doit alors être associé à une méthode d’immunothérapie basée sur des checkpoint inhibitors, ou « inhibiteurs de points de contrôle », qui sont quant à eux capables de faire taire ces signaux.
Aux États-Unis, pas moins de 800 essais cliniques incluant des « inhibiteurs de points de contrôle » sont actuellement en cours, contre seulement 200 en 2015. « L’immunothérapie constitue indiscutablement une nouvelle arme de choix contre le cancer », souligne l’immunologiste Sebastian Amigorena. « Cette stratégie thérapeutique soulève beaucoup d’espoirs », poursuit-il. « Il est aujourd’hui possible de traiter des malades atteints de cancers très avancés. Donc chez des patients présentant des cancers moins avancés, les traitements devraient être encore plus efficaces. » Et si le chemin qu’il reste encore à parcourir peut sembler long, celui qui l’a déjà été l’est peut-être davantage.
En 1891, l’orthopédiste new-yorkais William Coley applique, pour la première fois, le principe de l’immunothérapie à la cancérologie. Il injecte alors un mélange de bouillon de bœuf et des streptocoques dans la tumeur d’un homme de 40 ans. Celui-ci est aussitôt pris de fièvre, de frissons et de vomissements. Mais un mois plus tard, la tumeur a considérablement diminué. William Coley reproduit donc l’expérience, sur un millier de patients et avec des degrés de succès extrêmement variables, avant que l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) n’y mette un terme définitif. Et que l’oncologie ne s’engage résolument sur la voie de la radiothérapie, puis de la chimiothérapie, et enfin de l’hormonothérapie.
Car tout au long du XXe siècle, l’immunothérapie suscite autant d’enthousiasme que de désillusions. Mais en 2001, l’immunologiste Robert Schreiber démontre que les souris immuno-incompétentes développent spontanément des cancers, établissant ainsi le fait que l’absence de système immunitaire favorise l’apparition de tumeurs. Comme l’écrit le cancérologue Wolf Hervé Fridman, « les avancées de la connaissance du système immunitaire avec la découverte des checkpoint inhibitors et des techniques de clonage moléculaire et cellulaire identifiant des antigènes spécifiques des tumeurs et la production de cellules T et d’anticorps spécifiques de ces antigènes ont fait le reste, permettant à l’immunothérapie de devenir le quatrième, et le plus prometteur, pilier du traitement des cancers ».
« Une fois réactivées, les cellules T parviennent à supprimer la tumeur. »
Si l’on considère les cellules T – ou lymphocytes T – comme les soldats de l’organisme, on peut dire qu’ils sont aujourd’hui sur-entraînés, et ce dans l’objectif d’éradiquer le cancer. En effet, dans le cadre des thérapies par cellules CAR-T (« cellules T porteuses d’un récepteur chimérique »), qui ont pour la première fois été approuvées par la FDA en août 2017 pour le traitement d’un cancer du sang particulièrement agressif, la leucémie aiguë lymphoblastique, ces cellules immunologiques sont prélevées sur le patient, puis modifiées génétiquement de manière à leur faire exprimer un récepteur artificiel, dit chimérique, qui cible les cellules cancéreuses, avant d’être réinjectées au patient. Le fait d’utiliser ses propres cellules permet notamment d’éviter les rejets de greffe.
Mais à en croire l’immunologiste Karin Tarte, « un nombre limité de patients répondent aux traitements utilisant des cellules CAR-T ». Et « si des taux exceptionnels de guérison sont atteints dans les leucémies aiguës lymphoblastiques, les guérisons sont moins nombreuses pour ce qui est des autres leucémies et des lymphomes ». Par ailleurs, ce type de traitements peut avoir de dangereux effets secondaires, tels qu’une forte fièvre, des troubles respiratoires, une baisse de tension ou encore des convulsions. Ils impliquent un long processus et ils sont extrêmement coûteux. Si une seule injection de cellules CAR-T suffit, cette injection est actuellement facturée entre 373 000 et 475 000 dollars aux États-Unis. D’où le caractère potentiellement révolutionnaire de l’étude publiée en janvier dernier par les chercheurs de l’université Stanford.
Ces chercheurs ont injecté des quantités infimes de deux agents immuno-stimulants dans les tumeurs solides de souris afin de réactiver les cellules T présentes dans ces tumeurs, c’est-à-dire les cellules T ayant déjà reconnu les cellules cancéreuses comme une menace. Le premier est un court morceau d’ADN, l’oligonucléotide CpG, qui amplifie l’expression d’un récepteur activateur sur les cellules T, OX40. Le second est un anticorps qui se lie à OX40. « Lorsque nous utilisons ces deux agents ensemble, nous constatons l’élimination des tumeurs dans tout le corps », affirme le principal auteur de l’étude, l’oncologue Ronald Levy. « Cette approche contourne le besoin d’identifier des cibles immunitaires spécifiques à une tumeur et ne nécessite pas une activation complète du système immunitaire, ou de personnalisation des cellules immunitaires d’un patient. »
Une fois réactivées, les cellules T parviennent à supprimer la tumeur dans laquelle elles se trouvent. Et elles ne s’arrêtent pas là. Elles partent ensuite à la recherche d’autres cellules cancéreuses de même nature dans le corps de la souris, qu’il s’agisse d’une autre tumeur ou de métastases. Sur les 90 souris atteintes d’un cancer du système lymphatique – le lymphome –, 87 ont complètement guéri et trois ont eu une récidive de la maladie, qui a pu être totalement éliminée par un second traitement. Les chercheurs de l’université Stanford ont en outre observé des résultats similaires chez les souris atteintes de cancers du sein, du côlon et de la peau. Plus étonnant encore, des souris génétiquement modifiées pour développer spontanément des cancers du sein ont bien répondu au traitement. Le traitement de la première tumeur a souvent empêché l’apparition de futures tumeurs et augmenté de manière significative la durée de vie des animaux.
« Je ne pense pas qu’il y ait une limite au type de tumeurs que nous pourrions potentiellement soigner, tant qu’il a été infiltré par le système immunitaire », précise Ronald Levy. Un optimisme d’autant plus réconfortant qu’il est exprimé par un véritable pionnier de l’immunothérapie des cancers. Ses recherches ont déjà mené à la mise au point du Rituximab, premier anticorps monoclonal homologué par la FDA pour le traitement de certaines leucémies et de certains lymphomes. Il se souvient parfaitement du jour où il a découvert qu’il était possible de générer des anticorps monoclonaux capables de reconnaître les cellules cancéreuses dans l’organisme et de les étiqueter en vue de leur destruction : « C’était le jour de Thanksgiving, 1976. J’ai développé un gel, j’ai vu le résultat et les deux décennies suivantes de ma vie étaient devant mes yeux. J’ai couru dans le couloir pour montrer quelqu’un, mais il n’y avait personne. »
En 1985, il crée un laboratoire, IDEC Pharmaceuticals, pour pouvoir commercialiser le traitement qui a découlé de cette découverte. Mais ce n’est qu’en 1997 que le Rituximab est finalement homologué. Aujourd’hui, environ 500 000 patients en bénéficient chaque année. « Il a été merveilleux d’assister à la transition d’un projet de laboratoire à un médicament sur ordonnance », témoigne Ronald Levy. Reste néanmoins à tester l’efficacité de son tout nouveau traitement sur les êtres humains. L’université Stanford est actuellement en train de recruter une quinzaine de patients atteints de lymphome pour débuter l’essai clinique. Elle ne précise pas la date de publication des premiers résultats, mais si l’histoire de la lutte contre le cancer nous apprend une chose, c’est bien qu’il faut être patient. Et confiant.
Couverture : Test en laboratoire. (Drew Hays/Unsplash)
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16.04.2021 à 03:00
Servan Le Janne
À Minneapolis, sur la 63e Avenue Nord, une Buick LaCrosse blanche est arrêtée sur le bas-côté. Trois policiers s’approchent de la voiture, l’un d’entre eux ouvre la portière et le conducteur sort les mains dans le dos. Alors qu’un des agents tente de le menotter, le jeune Afro-Américain se débat et parvient à regagner le […]
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À Minneapolis, sur la 63e Avenue Nord, une Buick LaCrosse blanche est arrêtée sur le bas-côté. Trois policiers s’approchent de la voiture, l’un d’entre eux ouvre la portière et le conducteur sort les mains dans le dos. Alors qu’un des agents tente de le menotter, le jeune Afro-Américain se débat et parvient à regagner le volant de sa voiture, aux côtés de sa petite amie. Il entend alors une voix féminine hurler « Taser ! Taser ! Taser ! ».
Ce 11 avril 2021, cela fait déjà plus de 15 ans que Kimberly Potter a intégré les forces de police de Minneapolis. Son expérience lui vaut d’ailleurs d’être accompagnée par un jeune agent qu’elle doit former. Alors quand Dante tente de s’échapper, elle ne doute pas une seconde. Elle tend la main vers son taser, le sort de sa gaine, vise le conducteur en fuite et tire. Mais la détonation est assourdissante. « Oh merde, je viens de lui tirer dessus ! » entend-on s’exclamer la policière de 48 ans. Dans la précipitation, elle a confondu son Taser et son arme à feu, blessant mortellement sa cible. Elle aura beau tenté de le ranimer, rien ne pourra ramener le jeune homme à la vie.
Le soir-même, des centaines de manifestants se sont rassemblés devant le poste de police de Brooklyn Center, et les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes pour disperser la foule. Craignant de nouvelles émeutes, le maire de la ville, Jacob Frey, a déclaré l’état d’urgence et instauré un couvre-feu dès le lendemain, demandant le soutien de la Garde nationale. Il faut dire que les tensions sont toujours aussi fortes entre policiers et noirs américains, surtout à Minneapolis, alors que suit son cours le procès de Derek Chauvin, le policier blanc accusé du meurtre de George l’an dernier.
À l’arrière d’une voiture de police, un homme est plaqué au sol, le visage écrasé contre le bitume par le genoux d’un agent de Minneapolis. « Je vais mourir », articule l’Afro-Américain avec peine entre deux râles. « Relaxe », répond le fonctionnaire en maintenant son emprise. Mais George Floyd n’arrive pas à respirer. Après avoir longuement imploré le policier de retirer son genou, ce lundi 25 mai 2020 sur Chicago Avenue South, le quadragénaire accusé d’avoir utilisé de faux documents est conduit à l’hôpital. Il meurt dans les minutes qui suivent.
Le lendemain, les quatre policiers impliqués dans son interpellation sont renvoyés et une enquête est ouverte par le FBI. Horrifiés par les images de cette agonie, filmée par des passants et caméras de surveillance, des internautes du monde entier réclament justice. Tandis que les policiers prétendent que George Floyd a résisté à son arrestation, de nouvelles vidéos semblent contredire cette affirmation en montrant l’homme rester calme pendant que les agents usent de la force contre lui.
Video shows what appears to be the start of the confrontation between #GeorgeFloyd and #Minneapolis #police officers. A restaurant's security footage shows cops taking him into custody, but the restaurant owner says it does not show Floyd resisting #Arrest pic.twitter.com/LjIerm6BaX
— Sn00pdad (@sn00pdad) May 27, 2020
Pour l’avocat de la famille de George Floyd, Benjamin Crump, ces quatre agents blancs ont montré un usage « abusif, excessif et inhumain de la force » face à un délit « non violent ». Il est temps de mettre fin au « profilage racial et à la minimisation des vies noires par la police », demande Crump, qui défend également la famille d’Ahmaud Arbery.
Lui aussi afro-américain, Arbery a été tué le 23 février 2020 sur une petite route de Brunswick, en Géorgie. Dans le lotissement de Satilla Shores, il cherchait à échapper à un homme lorsqu’il a été atteint par trois coups de feu. Il avait 25 ans et n’avait commis aucun délit. En le voyant s’approcher d’une maison en construction, deux riverains, Gregory et Travis McMichael, expliquent l’avoir pris pour un cambrioleur. Et le second lui a ôté la vie.
Entendus par la police, Gregory et Travis ont été relâchés après avoir plaidé la légitime défense. Il a fallu plus de deux mois, et la publication d’une vidéo tournée sur les lieux, mardi 5 mai, pour que la justice de Géorgie convoque un grand jury afin de déterminer si des charges doivent être retenues contre cet ancien policier et son fils. Dimanche 10 mai, à la faveur du retentissement médiatique de la vidéo, ils ont finalement été interpellés. Mais la police ne semblait pas pressée d’élucider cette affaire. Et ce n’est pas la première fois qu’elle bafoue les droits de minorités aux États-Unis.
Une petite tête dépasse du bureau. Kaia Rolle, 6 ans, est assise sous un néon carré aux airs de puits de lumière, dans une pièce aux murs beiges de l’école Lucious & Emma Nixon d’Orlando, en Floride. Elle jette un regard oblique vers les menottes tendues dans son dos. « Elles sont pour quoi ? » demande la jeune fille d’une voix fluette. « Elles sont pour toi », répond froidement un policier, alors que son collègue ouvre les bracelets métalliques.
« Garde tes mains tendues, OK, ne bouge pas chérie, ça ne va pas faire mal », ordonne ce dernier. « Non je ne veux pas les menottes », sanglote Kaia Rolle. Impuissante, l’élève se laisse guider à l’extérieur du bâtiment, les mains jointes et les joues humides. « La plus grande aventure c’est toi-même », dit une pancarte fixée près de la sortie. Une fois dehors, malgré ses supplications, elle est emmenée vers la voiture de police dans un concert de pleurs. Au commissariat, les forces de l’ordre prennent ses empreintes et la photographient.
En ce jeudi 19 septembre 2019, la police a été appelée par l’établissement afin de prendre en charge une écolière qui avait donné des coups de pieds à trois membres du personnel. Mais quand Dennis Turner a passé les menottes à Kaia Rolle, certains employés lui ont dit que ce n’était pas nécessaire. « J’ai arrêté 6 000 personnes en 28 ans, beaucoup de gens », s’est contenté de plastronner l’agent. « La plus jeune avait 7 ans. Elle a 8 ans non ? » Deux ans de moins, lui a-t-on répondu. « Elle a 6 ans ? Alors elle a battu le record. »
Sa grand-mère, Meralyn Kirkland, a reçu un appel de l’école lui annonçant l’arrestation. « Aucune petite fille de 6 ans ne devrait avoir à raconter qu’on lui a mis les menottes, qu’on l’a placée à l’arrière d’une voiture de police et qu’elle a été amenée dans un centre pour jeunes délinquants pour prendre ses empreintes et des photos », juge-t-elle. Si aucun âge minimum n’existe pour les interpellations en Floride, la police d’Orlando recommande à ses agents de ne pas se servir de menottes pour des enfants de moins de 12 ans. Lundi 23 septembre, elle a d’ailleurs décidé de limoger Dennis Turner, qui avait emmené au poste un autre enfant de six ans le même jour.
« Ce qui est arrivé à ces enfants n’est pas juste de la faute d’un mauvais policier », juge Arwa Mahdawi, éditorialiste du Guardian basée à New York. « C’est la faute d’un système pourri. Ces dernières décennies, les écoles américaines, et notamment ses écoles privées, sont devenues des zones militarisées, où patrouillent de plus en plus d’agents en armes. » En novembre dernier, une école de Pennsylvanie a appelé le 911 parce qu’une fille de six ans, atteinte du syndrome de Down, avait pointé un enseignant en mimant un pistolet avec ses doigts. La direction a même indiqué vouloir réunir une équipe d’évaluation des menaces – une réaction passablement disproportionnée, selon la mère de l’élève, Maggie Gaines.
Pire, des policiers de Fresno, en Californie, n’ont pas hésité à mettre les menottes à un adolescent autiste en pleine crise d’épilepsie vendredi 31 janvier 2020. Lourdes Ponce avait appelé les secours en entendant son fils de 16 ans pris de convulsions dans les toilettes d’un fast-food. Au lieu de l’aider, deux agents ont procédé à son arrestation, toute honte bue. « Mon fils ne faisait de mal à personne, il faisait simplement une crise », s’est indignée Lourdes Ponce. Dans les minutes qui ont suivi, une ambulance a heureusement pu s’occuper de lui.
En avril 2019, une vidéo obtenue par BuzzFeed montrait des membres des forces de l’ordre traîner une adolescente de 16 ans dans les escaliers d’un lycée de Chicago, dans l’Illinois, avant de la frapper et de l’immobiliser avec un Taser. Malgré les critiques qui pleuvent sur eux depuis des années, les gardiens de la paix américains continuent de commettre bavure sur bavure, quand ils ne tuent pas carrément des innocents. Ce phénomène dramatique n’est ni restreint aux écoles, ni à certaines régions du pays. C’est toute une institution qui, à force d’abus, transforme la violence légitime dont elle est censée être dépositaire en violence illégitime. Comme le dit Arwa Mahdawi, il y a quelque chose de pourri au cœur de la police américaine.
Quand le nom de Dennis Turner est sorti dans la presse, les équipe du Orlando Sentinel, un quotidien de la ville de Floride, ont fouillé leurs archives pour retrouver sa trace. Et ils n’ont pas eu à chercher trop loin. Engagé en 1995, ce policier avait été arrêté pour avoir frappé son fils de 7 ans lorsqu’il était revenu de l’école avec de mauvaises notes en 1998. Il avait alors écopé d’une suspension. « Ça ne doit pas vous arrêter d’imposer une discipline à vos enfants », avait-il déclaré à cette occasion, alors que le garçon avait des bleus sur le torse et les bras. Turner avait aussi été sermonné par ses supérieurs en 2015 pour avoir donné cinq coups de Taser à un suspect, dont deux au moment où il était au sol. À l’époque, la Ville d’Orlando avait dû engager 940 000 dollars de frais de justice pour des abus policiers.
Afro-américain comme Kaia Rolle, Dennis Turner est peut-être avant tout le produit d’une société violente. En 2018, des citoyens américains ont commis 16 214 meurtres, soit 2 000 de plus qu’en 2014. Ils ont aussi perpétré 41 tueries de masse en 2019, le nombre le plus élevé jamais dénombré. Sachant qu’un Américain sur quatre est sujet à des troubles psychologiques une fois dans sa vie, à en croire la National Alliance on Mental Illness, l’existence de 270 à 357 millions d’armes à feu sur le territoire n’est pas pour apaiser ceux qui s’occupent de la sécurité. Mais ces chiffres n’expliquent pas l’agressivité de trop nombreux agents à l’égard d’individus aussi inoffensifs que des enfants de six ans. La police est aussi gangrenée par le racisme et trop sûre de ses méthodes brutales.
*
En Alabama, le mouvement des droits civiques est traumatisé par l’impunité réservée par la police au Ku Klux Klan (KKK). Le 14 mai 1961, des membres de ce groupuscule suprémaciste blanc ont attaqué le bus des Freedom Riders qui étaient venus défendre les droits des minorités dans le village d’Anniston. Les pneus du véhicule ont été crevés, les fenêtres brisées et l’intérieur incendié sans que les forces de l’ordre, postées à quelques mètres, ne daignent bouger d’une semelle.
Trente ans plus tard, alors que le Civil Rights Act a interdit les discriminations et que le Ku Klux Klan a reculé, un groupe d’officiers de la police de Los Angeles est accusé d’avoir terrorisé les minorités en vandalisent leurs maisons, en les torturant voire en les tuant. Membres d’un groupe néo-nazi baptisé Lyndwood Vikings, certains écopent de lourde peines et le Los Angeles Sheriff’s Department est condamné à une amende de 9 millions de dollars.
Dans un rapport de FBI rédigé en 2006, des agents du contre-terrorisme préviennent que des suprémacistes blancs ont passé des décennies à tenter « d’infiltrer la police ». Le document sera révélé en 2017 par The Intercept. Entre-temps, en 2012, un policier de Little Rock, dans l’Arkansas, tue un adolescent afro-américain. Il avait participé à une réunion du KKK, tout comme un agent de Holton, dans le Michigan, renvoyé cette année-là. Il faut dire qu’à en croire une étude universitaire de 2014, les enfants noirs sont généralement vus comme « moins innocents » que les blancs aux États-Unis. Ils sont d’ailleurs punis plus souvent dès l’école, d’après un document du ministère de l’Éducation. Sans surprise, les adultes afro-américains ont trois fois plus de chances de finir en prison, selon les chiffres du Violence Policy Center.
Une enquête du Guardian détermine en 2015 que les Noirs-Américains ont neuf fois plus de chances d’être tués par un détenteur de l’autorité que les autres. En attestent les morts de Michael Brown à Ferguson, dans le Missouri, de Freddie Gray à Baltimore, dans le Maryland, de Tamir Rica à Cleveland, dans l’Ohio, et d’Eric Garner à New York, tous abattus pas un policier en dépit de l’absence de danger qu’ils représentaient. Si les forces de police sont particulièrement décentralisées aux États-Unis, avec quelque 750 000 agents locaux et 120 000 agents fédéraux, ces drames ne se déroulent pas forcément à l’endroit où l’on pourrait s’y attendre, à savoir dans le sud du pays, où le racisme est plus ancré et les armes plus disponibles.
Le problème est donc à la fois local et national : une culture de la violence infuse dans les différentes strates de la police américaine et trouve à s’exprimer dans des contextes particuliers, avec d’autant plus d’aise que certains dirigeants semblent s’en accommoder. En 2018, l’ancien procureur général Jeff Sessions a signé un mémorandum pour réduire la capacité du ministère de la Justice à enquêter sur les divisions locales de police, y compris les 14 qui avaient accepté une supervision sous le mandat de Barack Obama. « Les méfaits de quelques individus ne doivent pas remettre en cause le travail légitime et honorable de policiers et d’agences qui préservent la sécurité des Américains », avait-il justifié. Quand il était sénateur de l’Alabama, ce proche de Donald Trump avait déclaré, sur le ton de la blague, que les membres du KKK étaient pour lui des gens « OK », jusqu’à ce qu’il « apprenne qu’ils fument du cannabis ».
Couverture : Justin Snyder
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29.03.2021 à 00:25
Nicolas Prouillac
Au rythme des tablas, des dizaines de milliers de paysans s’avance aux abords de Delhi. Les barrières installées par les forces de l’ordre pour empêcher la population de se joindre à eux sont balayées comme des fétus de paille, et la foule enfle à mesure que la journée avance. Ce 17 mars 2021, les leaders […]
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Au rythme des tablas, des dizaines de milliers de paysans s’avance aux abords de Delhi. Les barrières installées par les forces de l’ordre pour empêcher la population de se joindre à eux sont balayées comme des fétus de paille, et la foule enfle à mesure que la journée avance. Ce 17 mars 2021, les leaders du Samyukta Kisan Morcha, le front paysan uni, ont lancé un nouvel appel à la grève générale dans le pays. Mais plus que ça, c’est un message aux citoyens du monde entier que le Dr Swaiman Singh, une des figures du mouvement, a délivré. « Où que vous soyez dans le monde, il faut défendre vos agriculteurs, il faut défendre votre nation », a déclaré le médecin.
Bien décidé à s’opposer à la réforme agricole menée par le gouvernement, cela fait maintenant près de quatre mois que les paysans de tout le pays se sont regroupés autour de la capitale pour faire entendre leurs voix. « Quand je suis arrivé, j’ai vu que les gens dormaient sur les routes », raconte Taranpreet Singh, qui a participé aux manifestations de décembre. Ce jeune diplômé en finance a décidé de rejoindre le mouvement pour voir l’histoire s’écrire de ses propres yeux.
https://twitter.com/indianproud12/status/1375501807682785283
Depuis le début des contestations, les agriculteurs ont eu le temps de s’organiser et de construire de véritables campements de plusieurs milliers de personnes, aux abords des points de passage vers Delhi. Des centaines de cuisines communautaires ont vu le jour, qui distribuent régulièrement des repas gratuits aux manifestants, même s’il n’y en a pas assez pour tous. Des hôpitaux de fortune ont été installés, où des médecins volontaires s’occupent de soigner ceux dans le besoin. Certains agriculteurs considèrent même ces villes improvisées comme de véritables « Républiques Autonomes ».
Il faut dire que le mouvement repose sur un système de démocratie directe, les Panchayats, issus du mouvement pour l’indépendance d’après la Seconde Guerre mondiale. Ces structures municipales sont élues, et des assemblées générales populaires (Gram Sabha) dictent leur orientation. Les Mahapanchayats sont quant à eux d’énormes assemblées populaires de plusieurs dizaines de milliers de participants. Elles regroupent des centaines de villages, et tous les élus des Panchayats s’y mêlent à la population. C’est dans ces meetings de masse que les têtes de proue du soulèvement paysan annoncent les grandes décisions. Les agriculteurs sont ainsi bien établis et ne comptent donc pas rentrer chez eux, même à l’approche de la saison des récoltes.
Un certain nombre d’entre eux ont même donné leur vie pour la cause. Selon le front paysan uni, il y a eu 300 décès au cours des derniers mois. Alors que certains sont morts dans des accidents ou se sont suicidés, d’autres ont succombé aux intempéries ou de causes naturelles telles que des crises cardiaques. Ils leur ont d’ailleurs rendu hommage à travers le hashtag #300DeathAtProtest (300 morts aux manifestations) lors de la journée du 18 mars. Mais ces pertes ne sont rien en comparaison des 10 281 suicides de paysans indiens en 2019…
Elles ont au contraire raffermi la détermination des protestataires, dont les rangs ne cessent de grossir. Outre les paysans, qui représentent la moitié de la population active du pays, de nombreuses classes de la société se sont aussi jointes aux marches et blocages. Au total, ce sont plus de 250 millions d’Indiens qui ont déjà participé aux contestations à travers le pays, faisant du mouvement la plus grande manifestation de l’histoire de l’humanité.
https://twitter.com/saahilmenghani/status/1375090643517628416
Tout l’enjeu de ce mouvement de contestation a été exposé lors de la 46e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, le 26 février. À cette occasion, Darshan Pal, le chef de file du front paysan uni, et le représentant indien permanent aux Nation unies Indra Mani Pandey, ont tous deux pu donner leur vision pour l’avenir du pays. « Le gouvernement indien s’est fixé comme objectif de doubler le revenu des agriculteurs d’ici 2024. Cela profitera particulièrement aux petits agriculteurs et offrira plus de choix à ceux qui optent pour eux », a affirmé le représentant du pouvoir indien.
De son côté, le leader de la révolte paysanne a rappelé que l’Inde avait signé la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans en décembre 2018. « Les quelques États où des politiques similaires ont été introduites ont vu les agriculteurs sombrer dans la pauvreté et perdre leurs terres », a témoigné Darshan Pal. Et le pouvoir indien semble encore imperméable aux revendications populaires.
Du côté des paysans, la rage ne faiblit pas. « Nous appellerons tous les travailleurs du pays à faire [les récoltes] avec nous afin de pouvoir continuer à nous battre, ou alors nous les brûlerons », a déclaré un des leaders du mouvement paysan. Il faut dire que beaucoup d’entre eux considèrent qu’ils n’ont plus rien à perdre depuis la mise en place de la réforme agraire. En septembre 2020, le parlement a adopté une loi autorisant les agriculteurs à vendre leur production aux acheteurs de leur choix, plutôt que de se tourner exclusivement vers les « mandis », les marchés contrôlés par l’État.
Ces marchés, qui assuraient un prix de soutien minimal (PSM) pour certaines denrées, avaient été créés dans les années 1950 pour protéger les agriculteurs contre les situations d’abus. Ces prix, fixés au niveau national, permettaient aux paysans indiens de revendre leur production tout en ayant l’assurance d’en tirer une valeur minimale. C’est grâce à ce soutien que de nombreux petits agriculteurs parvenaient encore à nourrir leur famille. « Il faut comprendre que la majorité des fermiers ont une surface plus petite que celle d’un terrain de football », précise Jasleen Kaur, étudiante en sciences politiques à Mumbai. Cependant, ce système existait sans aucune loi pour le garantir, et c’était justement cette décision qu’espéraient voir arriver les producteurs.
Huge farmers rally in Rajasthan, #FarmersProtest is pan India pic.twitter.com/ABJ0FAb47K
— Zora Singh (@global_voice11) March 27, 2021
L’autre point de discorde majeur vient d’une seconde loi prévue dans la réforme gouvernementale. « S’il y a un différend entre un agriculteur et une entreprise, l’agriculteur ne peut plus saisir un tribunal civil », explique la jeune femme. Une part conséquente de la population se retrouve donc privée d’une partie de ses droits. En effet, l’agriculture est l’emploi exercée par 55 % de la population active, soit près de 265 millions de travailleurs indiens. D’après les derniers chiffres du ministère français de l’Agriculture, plus de 600 millions d’Indiens dépendent directement ou indirectement de ce secteur. « Je ne comprends pas ce qu’il se passe », soupire Taranpreet. « Vous ne pouvez pas nier la justice dans un pays démocratique », déplore le jeune militant.
Il semble ainsi que les lois votées en septembre favorisent nettement les grandes entreprises aux dépens des travailleurs locaux. « L’implication de multinationales indiennes, capables de fournir d’importants investissements ciblés pour le stockage ou la réfrigération, conduirait très probablement aussi à ce qu’elles acquièrent localement des positions monopolistiques, autrement dit le pouvoir de contrôler les prix », confirme Bruno Dorin, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). C’est pourquoi les agriculteurs préfèrent rester défendre leurs droits, et leur unique source de revenus.
Malgré la non-violence prônée par les fermiers, le Jour de la République, une des trois fêtes nationales, avait vu des violences se produire entre les manifestants et les forces de l’ordre. L’occasion rêvée pour le gouvernement de dépeindre les agriculteurs en émeutiers complotistes. En ce jour censé représenter « la suprématie du peuple », des dizaines de milliers d’agriculteurs s’étaient retrouvés pour marcher dans la capitale indienne.
Certains manifestants ont atteint le centre de Delhi et vandalisé des biens publics. D’autres ont atteint le Fort Rouge, symbole de l’indépendance de l’Inde, et ont hissé le Nishan Sahib (un drapeau religieux sikh) ainsi que les drapeaux des syndicats d’agriculteurs au-dessus des remparts. La réponse de la police a provoqué la mort d’un homme, suite à une chute de son tracteur, et de nombreux blessés. Plus de 300 policiers ont également été blessés dans les violences, certains manifestants utilisant des matraques et des armes tranchantes. On a alors cru à la fin du mouvement de révolte avec le départ de plusieurs syndicats et la perte de nombreux soutiens condamnant la violence.
https://twitter.com/saahilmenghani/status/1374751349557006342
Il n’en est rien mais depuis ce jour, l’attitude du gouvernement s’est considérablement durcie. De nombreuses arrestations ont suivi les heurts et Internet a été coupé aux frontières de la capitale. Devant le Parlement, Narendra Modi n’a même plus hésité à parler de « parasites », multipliant les mesures contre ses opposants. « Si quelqu’un se positionne du côté des fermiers, (le gouvernement] tente alors de lui faire peur », confie Taranpreet. C’est d’ailleurs pour éviter des poursuites judiciaires pour conspiration qu’il ne souhaite pas révéler son poste actuel. Ces pressions de la part du gouvernement ont aussi été constatées par Michelle Bachelet, Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme.
« Les accusations de sédition contre des journalistes et des militants pour avoir rapporté ou commenté les manifestations et les tentatives de restreindre la liberté d’expression sur les réseaux sociaux sont des dérogations troublantes aux principes essentiels des droits de l’homme », s’est-elle inquiétée. Une prise de parti qui n’a pas plu au représentant du pouvoir indien. « L’objectivité et l’impartialité doivent être les caractéristiques de toute évaluation des droits de l’homme. Nous sommes désolés de voir que la mise à jour orale du Haut Commissaire fait défaut dans les deux », s’est offensé Indra Mani Pande.
Les réformes entamées par le Premier ministre Narendra Modi et le BJP, le parti nationaliste hindou, s’étendent bien au-delà du milieu agricole. Sa volonté de libéraliser l’économie impacte une grande partie de la société indienne. Le 15 mars dernier, les dix plus importantes confédérations syndicales du pays, en commun avec le soulèvement paysan, ont mené une journée de lutte contre les privatisations en bloquant les gares, en soutien aux cheminots.
Le lendemain, c’était au tour du personnel des banques publiques de lancer une grève nationale, suivis par les assurances publiques et enfin les travailleurs de l’énergie. En quelques jours, ce sont donc des dizaines de milliers de nouveaux manifestants qui ont rejoint la révolte paysanne. Et depuis le 23 mars, de nouvelles mobilisations générales voient le jour dans tout le pays. En réaction, le gouvernement a coupé Internet et l’arrivée en eau potable aux abords des différents campements de manifestants, dans le but de les faire plier. La police a également érigé des barricades supplémentaires, surmontées de barbelés en accordéon, et des centaines d’agent supplémentaires ont été déployés.
https://twitter.com/NavJammu/status/1374172823598424068
La bataille fait aussi rage en ligne. Dans une lettre envoyée à Facebook, WhatsApp et Twitter, le gouvernement indien menace les réseaux sociaux de s’en prendre à leurs employés. Ces derniers risquent la prison si leurs employeurs ne se conforment pas aux lois du pays. Pourtant, les plateformes sont toujours réticentes à l’idée de fournir des informations au gouvernement indien.
Les opposant plient mais ne rompent pas les rang, et leur détermination parvient à toucher de plus en plus de monde. Le succès des plateformes mises en place par les agriculteurs pour diffuser leurs actions au grand public témoigne ainsi de cet engouement collectif : la chaîne YouTube dédiée, Kisan Ekta Morcha, a par exemple dépassé le million d’abonnés en un mois.
La fracture entre la ligne directrice du gouvernement indien et la volonté populaire ne cesse ainsi de s’accentuer à mesure que les semaines passent. Cette situation fait écho au dernier rapport sur la démocratie de l’institut suédois Varieties of Democracy, publié le jeudi 11 mars. L’Inde y est désormais classée dans la catégorie des « autocraties électorales », un système qui a l’apparence des régimes démocratiques, mais sape la neutralité des contre-pouvoirs et transforme les opposants en ennemis de la nation.
Depuis l’accession au poste de Premier ministre du nationaliste hindou Modi, l’institut indépendant note une détérioration des libertés et estime qu’il s’agit d’ « un des changements les plus spectaculaires parmi tous les pays du monde au cours des dix dernières années ». La plus grande démocratie du monde pourrait n’être ainsi plus que l’ombre d’elle-même, mais le peuple indien n’a pas abandonné pour autant ses envies de liberté et de respect.
https://twitter.com/Vikas_Tweets/status/1376030911544717315
La bataille qui se déroule actuellement dans les rues se poursuivra vraisemblablement dans les urnes. En effet, du 27 mars au 2 mai se déroulent les élections législatives pour cinq États du pays, le Bengale, le Tamil Nadu, le Kerala, Pondichéry et l’Assam. Au total, plus de 220 millions de citoyens sont appelés aux urnes. « Ce sont les fermiers qui ont mis Modi au pouvoir en 2014, et qui l’y ont maintenu en 2019, ils peuvent tout aussi bien le faire tomber », explique Shareen.
Ces élections s’annoncent comme un baromètre politique en Inde. Le Kerala et le Bengale sont en effet tous deux dirigés par des coalitions de gauche opposées au gouvernement, et le Tamil Nadu par un parti régional. De plus, ces trois États ont un poids économique et démographique très important. Si un front uni parvient à se former face à l’Alliance démocratique nationale, à laquelle appartient le BJP de Modi, le Premier ministre pourrait perdre en influence pour la première fois depuis son arrivée au pouvoir.
Du point de vue des nationalistes et des castes supérieures, la tendance est à la libéralisation des différents secteurs de l’économie et à la privatisation. Mais c’est exactement l’inverse que souhaitent les contestataires. « Nous ne croyons pas à la main du marché privé », s’est emporté Ruldu Singh Mansa, président du Syndicat des fermiers du Pendjab. « On nous a déjà fait le coup pour la privatisation des transports, des hôpitaux, des écoles. On finit toujours par payer plus cher. » Pour l’opposition et les fermiers, les priorités ne sont pas les mêmes. « La raison pour laquelle on se rassemble, c’est qu’on essaie d’unir la nation, d’unir le monde », a déclaré le Dr Swaiman Singh dans son appel.
En parlant de ceux morts pour leurs idées, il a aussi rappelé ce qu’ils cherchaient à accomplir. « Leur rêve était, pour nous, de passer au-dessus des religions et des castes », a-t-il rappelé, mais aussi « d’avoir un pays où l’éducation est respectée, où les soins sont accessibles à tous, qu’importe la quantité d’argent qu’ils gagnent ». Entre dérive autocratique du pouvoir et volonté d’égalité du peuple, 2021 sera donc une âpre bataille pour l’avenir d’un sixième de la population humaine.
Couverture : Kisan Ekta Morcha/Twitter
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15.03.2021 à 00:35
Le 25 février dernier s’ouvrait une vente historique pour la société de vente aux enchères britannique Christie’s. Après 255 ans d’existence, la maison proposait pour la première fois la vente d’une œuvre d’art 100 % numérique, baptisée les « Les 5000 premiers jours ». Composée par l’artiste américain Mike Winkelmann, aussi connu sous le nom […]
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Le 25 février dernier s’ouvrait une vente historique pour la société de vente aux enchères britannique Christie’s. Après 255 ans d’existence, la maison proposait pour la première fois la vente d’une œuvre d’art 100 % numérique, baptisée les « Les 5000 premiers jours ». Composée par l’artiste américain Mike Winkelmann, aussi connu sous le nom de Beeple, cette mosaïque est une compilation des œuvres que l’artiste a produites chaque jour depuis 13 ans. Le spectacle, qui touchait à sa fin le jeudi 11 mars, a été à la hauteur de l’événement.
Le dernier jour d’enchères a vu le prix de l’œuvre s’envoler, pour finalement atteindre la somme hallucinante de 69 millions de dollars. Cet exploit place l’auteur de l’œuvre « parmi les trois artistes vivants les plus cotés », selon Christie’s. L’emballage final a même poussé plusieurs millions de visiteurs à rejoindre le site de l’institution pour assister à l’événement en direct.
Quelques jours auparavant, c’est la chanteuse Grimes qui avait vendu plusieurs courtes vidéos artistiques accompagnées de musiques originales. Si certaines œuvres étaient disponibles en plusieurs centaines d’exemplaires, une autre n’était disponible que pour un seul acheteur. Baptisée « Death of the Old », le clip vidéo de 56 secondes s’est vendu à près de 389 000 dollars. L’heureux acheteur est donc officiellement l’unique propriétaire de la nouvelle création, bien que celle-ci soit accessible à tous sur Internet. Au total, la vente de la collection « WarNymph », qu’elle a créée en collaboration avec son frère, Marc Boucher, aura rapporté à la Canadienne de 32 ans le joli pactole de six millions de dollars.
Image de « Death of the Old »
Dans le même temps, le tout premier message posté sur Twitter a lui aussi été mis aux enchères par son auteur, Jack Dorsey, le créateur du réseau social à l’oiseau bleu. Et s’il faudra attendre la clôture de la vente le 21 mars pour avoir le prix final, la meilleure offre est déjà de 2,5 millions de dollars, une somme que l’entrepreneur compte reverser à des associations caritatives. Et ce ne sont pas les seuls objets numériques que s’arrachent les collectionneurs récemment. Chris Torres, l’artiste derrière Nyan Cat, a remasterisé l’animation originale du meme et l’a vendue pour 560 000 dollars au cours du mois de février…
Le point commun entre ces différents succès : ils sont tous basés sur une technologie qui assure l’authentification et la traçabilité de l’œuvre, tout en empêchant sa reproduction. Ce système, appelé NFT, bouleverse le monde de l’art numérique depuis quelques mois maintenant. « Je considère cela comme le prochain chapitre de l’histoire de l’art », a déclaré Beeple, car il « existe maintenant un moyen de collectionner de l’art numérique ». À l’image des autres secteurs, l’art a donc aussi accéléré sa transformation numérique, nous donnant un aperçu de ce que pourrait être le futur de ce marché si particulier.
La fascination d’une partie du monde de l’art pour les NFT remonte au moins à une poignée d’années. Dès 2018, l’artiste américain Kevin Abosch travaillait à donner corps à cette la technologie de la blockchain pour donner un sens et une valeur à ses œuvres. Cette quête l’avait alors conduit à utiliser ce certificat d’authenticité numérique appelé « jeton non-fongible », ou NFT en abrégé, pour donner naissance au « crypto-art ». Dans sa forme la plus simple, une œuvre d’art NFT est composée de deux choses. Tout d’abord, une œuvre d’art, généralement numérique, mais aussi parfois physique. Deuxièmement, un jeton numérique représentant l’œuvre, également créé par l’artiste. Ce jeton est un actif unique stocké sur une blockchain, le type de registre qui sécurise les cryptomonnaies comme le bitcoin.
En d’autres termes, il s’agit d’une capsule numérique qui contient l’œuvre originale ainsi que toutes les informations y étant associées, permettant une authentification et une traçabilité parfaites. « Ce faisant, les NFT ont créé une nouvelle voie pour le marché de l’art numérique », résume Beverly Bueninck, responsable des relations publiques chez Christie’s France.
Mais dans le cas de Kevin Abosch, sa démarche allait encore plus loin. En effet, les œuvres qu’il a produites à l’époque étaient uniquement composées du jeton NFT, sans être connectées à des supports externes, donc sans existence concrète en dehors de la blockchain. « On pourrait dire qu’ils étaient “purs”, car le NFT lui-même était l’art », explique l’artiste avec du recul. « Pour moi, le NFT était un proxy pour distiller de la valeur émotionnelle. »
Si le concept peut paraître abstrait, il a aussi pour but d’amener les gens à réfléchir à la manière dont la technologie blockchain peut être appliquée au monde de l’art. « Les NFT sont particulièrement adaptés aux artistes qui travaillent numériquement, ils fournissent une méthode pour prouver à la fois l’authenticité et la propriété. » Et s’il tient à souligner une certaine artificialité dans la tentative de donner de la rareté à un objet numérique, il n’en résulte pas moins l’outil ultime pour les artistes numériques qui cherchent à valoriser leur art.
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Kevin Abosch, 2020
Le marché des NFT est d’ailleurs en pleine expansion. Il couvre de nombreux domaines et peut englober toute une gamme de produits, allant de stickers aux cartes de sport à collectionner, en passant par les personnages de jeux vidéo et l’immobilier virtuel. Fin 2017, le lancement du jeu CryptoKitties avait été le premier succès de ce nouveau système de vente, provoquant même la congestion du réseau Ethereum, sur lequel il était basé. Le but était simple : il fallait collectionner des stickers de chats, et les associer pour créer de nouveaux modèles plus rares. Le succès avait été tel qu’une pièce exclusive s’était vendue pour 170 000 dollars.
Aujourd’hui, même des marques telles que Nike, Louis Vuitton ou la NBA ont déjà créé leurs propres gammes de NFT. La ligue américaine de basket a même mis en ligne le site NBA Top Shot pour permettre aux utilisateurs d’acheter et de vendre des clips vidéo des plus belles actions de jeu. Celui d’un dunk spectaculaire de LeBron James s’est récemment vendu pour plus de 200 000 dollars. Au total, le marché des NFT a d’ailleurs explosé de 200 % en 2020 pour atteindre 250 millions de dollars, selon l’atelier BNP Paribas.
Le marché du crypto-art s’est lui aussi développé au cours de l’année passée. Ainsi, en l’espace de 12 mois, les ventes cumulées des principales plateformes de NFT ont avoisiné les 20 millions de dollars. Cet engouement pousse certains artistes à sauter le pas, comme le Suédois Criss Bellini, qui voit les NFT prendre une part importante dans le monde le l’art numérique. « En Europe c’est plutôt récent, mais aux États-Unis c’est déjà plus accepté. Les gens ne savent juste pas encore ce que c’est », explique-t-il. « Mais d’ici cinq ans les NFT représenteront la majorité de l’art numérique. »
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Et quand il s’agit de trouver le bon modèle économique pour valoriser son art, l’artiste anonyme est un expert. S’il n’a lancé sa carrière sur Instagram qu’en janvier 2020, Criss Bellini a déjà imposé son nom parmi les personnalités artistiques les plus influentes de la plateforme. Ses œuvres, des peintures numériques mixant art traditionnel et pop culture contemporaine, lui ont déjà rapporté son premier million en un an. Mais son succès à lui est lié à une autre mutation du marché de l’art, qui a vu les artistes prendre de plus en plus d’indépendance dans la promotion de leur travail.
Derrière son masque cagoule, qui représente pour lui « le reflet le plus fidèle de ce que nous sommes », Criss Bellini a su allier l’élégance de l’art traditionnel à la décadence de la modernité. Il s’inspire notamment de peintures anciennes, qu’il recrée à son image, et leur donne un nouveau sens. Il peint ses œuvres numériquement, avant de les imprimer sur des supports qu’il veut digne de musées. Mais pour conserver un sentiment d’exclusivité, seules 250 pièces par œuvre sont créées. Lorsqu’un design est épuisé, il disparaît pour toujours.
S’il a eu l’idée de procéder ainsi, c’est qu’il s’est rendu compte d’un manque de choix dans le marché de l’art. « Soit je trouvais des posters vraiment bon marché comme tout le monde en a, soit des peintures qui coûtent super cher et pour lesquelles je n’avais pas les moyens », se rappelle l’artiste suédois. Au moment de se lancer, il a donc décidé de se passer d’intermédiaire et d’ouvrir sa propre galerie d’art en ligne, utilisant principalement Instagram, mais aussi les autres réseaux sociaux, comme vitrine de son travail.
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C’est ainsi qu’il est parvenu à atteindre une nouvelle clientèle qui n’aurait jamais investi d’argent dans une toile. « Les gens qui ne savent même pas ce qu’est l’art, qui n’ont jamais acheté d’art, peuvent acheter mes œuvres », affirme Criss Bellini. Il n’y a qu’à voir l’intérêt que celles-ci ont reçu de la part d’influenceurs du monde entier pour comprendre que le peintre anonyme a visé juste. Instagram et son milliard d’utilisateurs actifs mensuels a donc été l’eldorado pour l’artiste suédois. « Tout le monde a Instagram », confirme-t-il. « Donc il est plus facile de montrer qui tu es et ton travail, de toucher davantage de gens. » Il faut dire que la plateforme a tout prévu pour être la plus grande galerie d’art au monde. Depuis son lancement en 2010, elle est une source abyssale d’inspiration et de diffusion pour tous. Et la tendance ne va qu’en s’accélérant, avec de plus en plus de millennials qui achètent des œuvres d’art en ligne, selon un rapport d’Hixos.
En passant directement par les réseaux sociaux, les artistes laissent donc de côté les galeries d’art traditionnelles au profit d’une plus grande indépendance dans leur communication. « Avant, on dépendait totalement des galeries qui exposaient notre travail, et de tout leur système marketing », confie le peintre français Yannick Fournié. Mais la réelle évolution est due à de simples raisons pratiques. « Une galerie a toujours une vingtaine d’artistes avec lesquels elle tourne donc elle ne peut pas garantir à tous une régularité dans la visibilité », explique-t-il, ce qui poussé nombre d’entre eux à prendre leur indépendance.
Avec sa fonctionnalité marchande, Instagram a même offert la possibilité aux créateurs de se passer d’autres plateformes et de vendre directement leurs œuvres à travers leur compte. Mais l’option manque d’authenticité pour Yannick Fournié, qui a opté pour une autre solution. « Je veux pouvoir continuer à proposer un univers », justifie le peintre. Il préfère donc sponsoriser ses publications pour rediriger son audience vers son site. Le numérique se retrouve en conséquence intégré à l’art à tous les niveaux. À tel point que même l’appellation d’art numérique semble perdre son sens.
« L’art numérique, ça ne veut plus rien dire, puisque aujourd’hui tout est numérique », soutient Justine Emard. « Même les peintres travaillent à partir de photos qu’ils ont prises sur leur smartphones. » Après être passée par une école d’art, où elle a pu apprendre à travailler l’image, la Française utilise différents médiums, qui vont de la photographie à la réalité virtuelle, pour délivrer son message. « Je m’intéresse aux liens entre la technologie et nos existences », confie l’artiste. Une de ses créations, baptisée Soul Shift (échange d’âmes), est un film illustrant une interaction entre deux robots humanoïdes générée par une intelligence artificielle.
L’artiste prête également énormément d’attention à la représentation de ses œuvres, à leur format, à l’immersion qu’elle peut procurer au spectateur. Cette physicalité de son travail qu’elle essaie de faire passer semble pourtant à l’opposé de sa nature numérique. Mais ses œuvres sont pensées pour être diffusées dans un espace concret, et chacune d’entre elles a été réalisée en choisissant le médium à travers lequel elle serait la plus impactante. « Pour moi, si on présente des œuvres en ligne, cela doit faire sens avec l’œuvre elle-même », affirme Justine Emard. Et quant à la possibilité d’utiliser un jour les NFT pour une de ses créations, elle ne l’exclut pas.
« C’est une nouvelle façon d’acquérir des œuvres, mais aussi de s’interroger sur le monde qui nous entoure, sur le capitalisme, sur le fait de vouloir posséder. Donc si un jour je fais une œuvre en NFT, ce sera en rapport à ça », songe-t-elle. Au-delà de l’origine de l’œuvre, que ce soit un dessin réalisé sur une tablette ou une reconstitution 3D d’une statue, son travail souligne donc l’impact du moyen de diffusion sur la relation du spectateur avec elle.
De ce point de vue, la réalité virtuelle a révolutionné la conception même des créations, en offrant un nouvel espace illimité pour les artistes du monde entier. Peindre une œuvre virtuelle en trois dimensions, puis la parcourir, la traverser et l’observer sous tous les angles devient alors possible. La technologie permet aussi de jouer sur les perceptions du spectateur, de lui faire vivre des expériences toujours plus immersives. C’est le cas de « The Life », une performance de 19 minutes de l’artiste Marina Abramović, présentée en réalité mixte en 2019.
Les participants, qui avaient enfilé une paire de lunettes IRM, voyaient s’animer un véritable double numérique de la performeuse, devant les murs réels de la galerie et les autres visiteurs en toile de fond. L’évènement, d’après l’artiste, avait pour but de questionner l’immortalité, en proposant une version numérique et donc immortelle de l’artiste. « Cent ans après le moment où quiconque connaissant Marina soit décédé, il y aura des gens qui la verront entrer dans la pièce et ressentiront ce sentiment de connexion, d’expérience humaine », avait ajouté Todd Eckert, le fondateur de Tin Drum, l’équipe de production de réalité mixte derrière le projet.
Si l’immortalité de l’œuvre n’est pas assez, qu’en est-il de celle de l’artiste ? Car si la capacité à inventer, à créer, a toujours été considérée comme l’apanage de l’être humain, nous ne sommes désormais plus les seuls artistes reconnus sur la planète. En effet, un tableau produit par une intelligence artificielle a été vendu en 2018 pour la somme de 432 500 dollars. Il fait partie d’un groupe de portraits de la famille fictive Belamy créé par Obvious, un collectif parisien composé de Hugo Caselles-Dupré, Pierre Fautrel et Gauthier Vernier.
« Les 5000 premiers jours » de Beeple
Ils s’efforcent d’explorer l’interface entre l’art et l’intelligence artificielle, en apprenant à leur algorithme à repérer les différences entre les œuvres produites par les humains et les autres. S’il n’est plus capable de différencier son travail d’une création humaine, alors les créateurs considèrent le tableau comme un original. Mais si le programme arrive à imiter la créativité humaine, il est difficile de considérer qu’il y a une intention, un sens derrière cette production.
Il devient cependant clair que les frontières du monde de l’art se brouillent, que ce soit dans l’appréciation même de ce que l’on considère comme de l’art : une carte à jouer, une paire de chaussure virtuelle ou un jeton NFT, ou dans la façon que l’on a de catégoriser les différents types d’arts. Mais cela n’empêche pas le marché de l’art de gagner en popularité chaque année, et d’intéresser de nouveaux acheteurs de différents horizons. Et avec l’intérêt grandissant vient l’opportunité pour de nouveaux artistes de se lancer, et peut-être d’inventer les outils de demain pour créer ou de consommer de nouvelles formes d’art.
Couverture : GU$$I GANG de Criss Bellini
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