
30.11.2025 à 17:23
Moscou a sciemment démoli l’architecture diplomatique et sécuritaire de l’après-guerre froide. La mémoire de cette forfaiture devrait prévenir toute complaisance à l’égard des revendications russes.
<p>Cet article Armements nucléaires et conventionnels : la forfaiture historique de Moscou a été publié par desk russie.</p>
Alors qu’un « plan de paix », de facture russe, est l’objet de négociations entre les Américains, les Ukrainiens et leurs alliés européens, il importe de rappeler que la Russie ne respecte pas ses engagements internationaux, notamment dans le domaine des armements nucléaires et conventionnels. Moscou a sciemment démoli l’architecture diplomatique et sécuritaire de l’après-guerre froide, dans le cadre d’une « grande stratégie » visant à dominer l’Europe. La mémoire de cette forfaiture devrait prévenir toute complaisance à l’égard des revendications russes.
Certains persistent à croire que le Kremlin, une fois ses gains territoriaux en Ukraine empochés, pourrait constituer un partenaire fiable. Il faut donc garder à l’esprit le viol par la Russie du traité sur les FNI (Forces nucléaires intermédiaires) et du traité FCE (Forces conventionnelles en Europe), plusieurs années avant de passer aux actes en Géorgie puis en Ukraine.
Effet d’une « nouvelle détente » et signe annonciateur de l’implosion soviétique à venir, le traité sur les FNI, signé par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev, le 8 décembre 1987, décida le retrait et de l’interdiction de tous les missiles terrestres d’une portée allant de 500 à 5 500 kilomètres. Au total, 1 846 missiles soviétiques et 846 américains seront éliminés5. Ce traité inaugurait une série d’accords de désarmement, sur le plan nucléaire stratégique et dans le domaine des armes chimiques, complétés par un traité sur les forces conventionnelles en Europe (FCE) ainsi que par des mesures de confiance et de sécurité (MDCS), notamment le Document de Vienne. Annoncée par les États-Unis le 2 février 2019, la Russie lui emboîtant le pas, la sortie du traité relatif aux forces nucléaires intermédiaires (FNI) n’est pas un fait anodin. Cette « double décision » est révélatrice des enjeux stratégiques et géopolitiques auxquels les puissances occidentales sont confrontées. Dans cette affaire, Moscou entend faire porter le blâme aux Américains, même si ces derniers bénéficient du soutien de leurs alliés. En fait, les experts de ces questions estiment que Moscou violait bel et bien ce traité, nominalement mis en cause dès les années 2000 (les Français ont hésité avant de rallier la position américaine). Le missile incriminé par les Américains et leurs alliés est le « 9M729 » (le SSC-8 dans la nomenclature de l’OTAN), d’une portée très largement supérieure à 500 kilomètres (en retour, les Russes mettent en cause les systèmes anti-missiles de l’OTAN).
En vérité, ce problème date du premier mandat de Barack Obama. En 2010, le déploiement du système d’armes Iskander-M dans l’enclave Kaliningrad (ex-Königsberg), dont la portée excèderait les 500 kilomètres, posait déjà question. Le problème est officiellement soulevé en 2013, sans réponse des Russes. Il s’amplifie avec le déploiement du SCC-8 (un système basé sur la technologie du Kalibr naval), en 2016, près de la Caspienne et à l’est des monts Oural. Cette violation russe est une décision délibérée qui constitue une revanche sur le traité de 1987, mal reçu par la nomenklatura militaire soviétique et les « organes de sécurité » dont procède aujourd’hui la plus grande partie de la classe dirigeante russe6. Pourtant, les enjeux ne sont pas seulement d’ordre psycho-symbolique ou technico-industriel. Le déploiement de systèmes d’armes de cette portée constitue un péril pour les cibles de valeur politique et les infrastructures militaires des membres européens de l’OTAN. Le retrait russe du traité sur les FNI et le déploiement de SSC-8 ou de missiles de croisière Kalibr-M, constitue un défi majeur. Bien plus qu’à la fin des années 1970, l’Europe est placée sous la menace d’une ou plusieurs frappes sélectives : une stratégie de décapitation mise au service d’un projet géopolitique révisionniste (modification des frontières par la force et re-satellisation des pays voisins). Les Russes ont pris un temps d’avance sur cette catégorie d’armes et travaillent à la reconstitution du potentiel militaro-industriel d’antan.
La différence la plus significative avec l’époque de la « bataille des euromissiles » réside dans les ordres de grandeur, sur le plan des rapports de puissance. Ainsi la « double décision » américano-russe de sortir du traité sur les FNI ne peut être comprise sans prendre en compte la Grande Asie, du Levant au Moyen-Orient. On songe au programme balistique iranien, pourtant interdit par une résolution de l’ONU. À la mesure des ambitions de Téhéran au Moyen-Orient (le « Croissant chiite »), les missiles iraniens sont d’une portée de 2 000 kilomètres (voir par exemple le Khorramshahr) ; ils relèvent de la catégorie d’armes que Russes et Américains se sont interdites avec le traité de 1987. De surcroît, le régime irano-chiite poursuit un programme de missiles de croisière dont les événements des derniers mois ont souligné l’importance. Plus encore, les États-Unis redoutent la République populaire de Chine (RPC), qui n’est pas liée par le traité de 1987 : les quatre cinquièmes de son arsenal balistique, soit environ 2 000 missiles, ont une portée entre 500 et 5 500 kilomètres. Outre la dissuasion nucléaire, ces missiles servent à une stratégie anti-accès visant à verrouiller la « Méditerranée asiatique » (mers de Chine du Sud et de l’Est), c’est-à-dire en écarter les Américains en particulier, et les Occidentaux en général.
L’objectif de la RPC est de réduire à néant leurs alliances régionales et, au mépris du droit international, de s’approprier un espace maritime plus étendu encore que la mer Méditerranée (3,5 millions de km² contre 2,5 millions de km²) par lequel transite une grande part du commerce mondial. À cette stratégie anti-accès intégrée dans une politique d’intimidation, contre les États-Unis et leurs alliés régionaux, s’ajoute d’une quasi-alliance avec la Russie, cette dernière reproduisant en quelque sorte ce que l’Amiral Castex a nommé la « grande manœuvre de Gengis Khan » : s’assurer de ses appuis en Asie afin de combattre en Europe, là où Moscou entretient des griefs géopolitiques. Enfin, il importe de comprendre le sens historique et la portée globale de la « double décision » américano-russe : elle constitue une nouvelle étape dans la démolition de l’architecture de sécurité de l’après-guerre froide. Présentement, Moscou prétend prendre en otage une Europe géostratégiquement découplée des États-Unis.

Le Traité sur les Forces conventionnelles en Europe (FCE) est signé à Paris, le 19 novembre 1990, par les États membres de l’Alliance atlantique et ceux du Pacte de Varsovie, un peu plus d’un an avant que l’URSS ne se disloque (21 décembre 1991). Le traité FCE engage donc trente États. Selon les termes du préambule, l’objectif est de « remplacer l’affrontement militaire par un nouveau modèle de sécurité entre tous les États parties, fondé sur la coopération pacifique et, ainsi, de surmonter la division de l’Europe ». Pour ce faire, les États parties ont décidé d’ « établir un équilibre sûr et stable des forces armées conventionnelles en Europe à des niveaux plus bas que par le passé, à éliminer les disparités préjudiciables à la stabilité et à la sécurité, et à éliminer, de façon hautement prioritaire, la capacité de lancer une attaque par surprise ou d’entreprendre une action offensive de grande envergure en Europe ». La zone d’application du Traité FCE correspond à l’ensemble constitué par les territoires des États signataires situés en Europe, depuis l’océan Atlantique jusqu’aux monts Oural, et elle comprend les îles européennes des signataires. Le document stipule des plafonds dans la zone d’application ainsi que pour ses sous-ensembles géographiques7. Un régime d’inspection permet de contrôler le bon respect du Traité FCE par les États signataires. Ce système de sécurité met en œuvre un régime de transparence, d’inspection réciproque et d’ouverture militaire. Au total, le traité FCE est un élément fondamental dans la sécurité et la stabilité de l’Europe post-guerre froide.
Le Traité FCE entre en vigueur le 17 juillet 1992, après la résolution des problèmes soulevés par la répartition des quotas d’armement entre les États successeurs de l’URSS (Accord de Tachkent, 15 mai 1992). Très vite, la dégradation de la situation en Tchétchénie et dans l’ensemble du Caucase pose des problèmes d’application. Le régime des quotas concernant les flancs ampute les capacités d’intervention militaire russes dans la région, l’article 5 du traité limitant à 1 300 chars, 1 380 véhicules de combat et 1 680 pièces d’artillerie les matériels déployés dans la zone géographique qui correspond aux districts militaires de Saint-Pétersbourg et du Caucase. Le 15 mai 1997, un arrangement avec les États-Unis permet de réduire, géographiquement parlant, la zone des flancs et de relever le plafond des armements qui pourraient y être déployés. Le traité est ensuite révisé à Istanbul, en novembre 1999, afin de prendre en compte les évolutions intervenues depuis la dislocation de l’URSS8. Au cours de la période précédant l’entrée des pays d’Europe centrale et orientale dans l’OTAN (2004), la Russie invoque le Traité FCE pour tenter de bloquer l’adhésion des États baltes. Lors de la première réunion du Conseil OTAN-Russie (COR) le 19 juillet 2002, Moscou demande ainsi que les États baltes signent le Traité FCE, la Russie cherchant à éviter le déploiement de « forces militaires étrangères » et de moyens de l’OTAN sur les territoires baltes. Par la suite, la « Conférence extraordinaire » de Vienne, du 11 au 15 juin 2007, voit les pays de l’OTAN poser la question du retrait des militaires russes de la province séparatiste d’Abkhazie (Géorgie) et de celle de Transnistrie (Moldavie), avant ratification dudit traité9. Quant à la Russie, elle exige une renégociation d’ensemble qui inclurait les États baltes et la fin des restrictions sur les mouvements militaires russes, « sur les flancs » des anciens blocs.
Le 14 juillet 2007, Vladimir Poutine signe un décret qui suspend la participation de la Russie au Traité FCE. Concrètement, celle-ci ne s’estime plus tenue de donner des informations sur le niveau et le mouvement de ses troupes, ni d’autoriser l’inspection de ses installations. La suspension est effective à compter du 12 décembre de la même année. Par la suite, les négociations visant à trouver un terrain d’entente entre Russes et Occidentaux échouent, malgré le « reset » américano-russe et la proposition par l’OTAN d’un « nouveau cadre » ( « A NATO proposal to Develop a 21st Century Framework for Strengthening Conventional Arms Control and Transparency in Europe », mai 2010). Le fait témoigne alors de la profonde dégradation des relations Est-Ouest et de la fracture qui menace le continent européen. En 2015, la Russie suspend sa participation au « Groupe consultatif commun » (GCC), l’organe chargé des questions relatives au Traité FCE qui se réunit à Vienne, signifiant son retrait définitif du traité FCE. L’organisation par la Russie et le Bélarus de grandes manœuvres aux frontières de la Pologne et des États baltes en septembre 2017 ( « Zapad-2017 »), appelle l’attention sur la caducité du traité FCE et le non-respect du Document de Vienne (1990, modifié en 2011), un texte relatif aux mesures de confiance et de sécurité (MDCS).

Signé en 1990, le Document de Vienne est le texte qui sert de base aux discussions entre les hauts représentants des 56 États participants de l’OSCE (Organisation et de sécurité en Europe) pour communiquer des informations sur leurs forces armées, leur organisation militaire, leurs effectifs, systèmes d’armes et équipements d’importance majeure. Les pays échangent également des informations sur leur planification militaire et leurs budgets de défense. Il s’inscrit dans le prolongement des mesures de confiance et de sécurité négociées parallèlement aux discussions sur les forces conventionnelles10. L’accord politiquement contraignant dispose l’échange et la vérification d’informations sur les forces armées et les activités militaires. Le Document de Vienne requiert des États parties qu’ils échangent chaque année des informations au sujet de leurs forces militaires, comme les plans et budgets de déploiement, qu’ils notifient préalablement les activités militaires de grande ampleur, qu’ils acceptent un maximum de trois inspections annuelles de leurs sites militaires et qu’ils invitent les autres États à observer certaines activités. Il incite également les États à permettre aux journalistes de tous les États participants de couvrir les activités. Le Document de Vienne est mis à jour (1992, 1994, 1999, 2011) afin de prendre en compte les besoins des États membres de l’OSCE. La dernière version introduit un chapitre sur les mesures régionales qui fournit un cadre pour les activités de vérification bilatérales. L’organisation par la Russie et le Bélarus des manœuvres « Zapad », en septembre 2017, et les questions soulevées par les effectifs réellement engagés dans ces manœuvres (au-delà de 13 000 hommes, la présence d’observateurs étrangers est requise) appelle l’attention sur le fait que le Document de Vienne n’est plus respecté11.
Trop souvent négligées ou relativisées, les entorses russes aux accords et traités négociés à la fin de la guerre froide étaient autant d’avertissements quant aux événements à venir. Loin de constituer des points aberrants sur une courbe bien orientée, ces entorses manifestaient la volonté de remettre en cause le cadre juridique et institutionnel posé après la fin du communisme et la dislocation de l’URSS, avant de le faire voler en éclats (nous y sommes). En somme, ces accords et traités étaient perçus en Russie comme une sorte d’armistice provisoire, reflet d’un rapport des forces qu’il fallait modifier avant de repartir à l’assaut. Un parallèle peut être fait avec la paix de Brest-Litovsk, signé le 3 mars 1918 avec les empires centraux (Allemagne et Autriche-Hongrie). Lénine avait alors présenté ce traité comme une pause tactique). À l’évidence, il fallait relier la deuxième guerre de Tchétchénie (1999), celle de Géorgie (2008), puis l’ouverture de la guerre d’Ukraine (2014).
Alors que Moscou met en œuvre une diplomatie coercitive pour imposer à l’Ukraine ses conditions de paix, les dirigeants occidentaux, les Européens en premier lieu, doivent être conscients de la duplicité russe. Au-delà des pertes territoriales qu’il faudrait reconnaître, ce « plan de paix » prévoit pour l’Ukraine un certain nombre de mesures militaires limitatives (effectifs et systèmes d’armes, interdiction d’une présence militaire étrangère et de toute aide extérieure), alors que la Russie n’en respecte aucune. La montée en puissance de son système militaro-industriel, favorisée par l’hypothétique levée des sanctions internationales, lui permettrait à terme d’établir un rapport de forces de trois ou quatre contre un, préalable à une nouvelle poussée vers l’ouest. Au vrai, le Kremlin conduit une « grande stratégie » qui mobilise différents vecteurs de puissance et vise à dominer l’Europe. Si l’Ukraine n’était plus son rempart, elle serait transformée en tremplin vers l’ouest.
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30.11.2025 à 17:23
Hommage au peintre et poète décédé le 23 novembre, et qui a porté, sa vie durant, le drapeau de l’avant-garde artistique russe et juive.
<p>Cet article Mikhaïl Grobman, un Zarathoustra israélien a été publié par desk russie.</p>
L’artiste franco-israélo-ukrainien Samuel Ackerman rend hommage à son ami Mikhaïl Grobman (21 septembre 1939 – 23 novembre 2025), peintre et poète israélien d’origine russe. En 1965, Grobman a osé exposer à la Maison des artistes de Moscou des œuvres novatrices sur des thèmes juifs, un événement presque incroyable pour l’époque. En 1971, il a été parmi les premiers Juifs soviétiques ayant émigré en Israël. Ackerman, qui a été co-fondateur du groupe artistique Léviathan avec Grobman et un peintre israélien Avraham Ofek, partage ici des souvenirs personnels et explique l’art de Grobman, en se concentrant sur la décennie où leurs échanges furent intenses, entre 1973 et 1984. Une page importante dans l’histoire de l’émigration soviétique.
Il est difficile de parler au passé de Mikhaïl Grobman, un ami proche, un grand artiste, dont toute la volonté créatrice visait la transformation de l’art juif-israélien. J’ai fait la connaissance de Grobman en 1973 après la guerre du Kippour, à Jérusalem, dans le quartier de Bakka où il vivait dans un immeuble récent.
Au cours de cette soirée mémorable, dans un salon rempli d’intellectuels et artistes russophones récemment arrivés, j’ai été fortement impressionné par les tableaux accrochés aux murs et par l’auteur lui-même, qui, muni d’un long pointeur, commentait avec assurance les images qu’il avait créées. Je me suis senti immédiatement proche de son langage de la bi-dimensionnalité, en harmonie avec les mots écrits sur les tableaux, qui ensemble génèrent des allégories d’images bibliques. Ce soir-là, Micha incarnait pour moi l’image d’un poète-chanteur du Woodstock de Jérusalem. Vers minuit, à la demande des gens qui souhaitaient voir les œuvres des artistes non conformistes de sa collection, Micha a lui-même sorti d’un grand dossier, sans laisser personne toucher aux feuilles sacrées, les gouaches de Yakovlev, Kropivnitsky, Yankilevsky, Steinberg et d’autres. Ce fut ma première rencontre avec l’art russe indépendant et les œuvres de Micha accrochées au mur, qui m’ont laissé une impression saisissante, comme L’atelier rouge de Matisse. Tard dans la nuit, alors que je partais, Micha m’a dit : « Viens quand tu veux et apporte tes œuvres. »
Trois semaines plus tard, j’étais de nouveau chez Grobman avec un portfolio contenant mes œuvres sur papier. Micha a tout regardé attentivement et m’a dit : « Les œuvres doivent être signées. Et il faut rapidement dépasser le lyrisme abstrait et comprendre la nouvelle réalité israélienne. » À cette époque, tous les artistes de Jérusalem connaissaient Grobman. Deux ans après son arrivée en Israël, grâce à son charisme et son énergie inépuisable, il était devenu une partie intégrante de la vie artistique d’Israël. La maison de Micha et de sa femme Ira était le centre de rencontres intenses entre les artistes nouvellement arrivés et les créateurs locaux. Micha était l’organisateur de nombreuses expositions, l’auteur de critiques dans les journaux et les magazines. Bien avant la parution de Deux siècles ensemble : 1795-1995, il a notamment écrit un article sur Soljenitsyne et les Juifs dans le journal Jerusalem Post.

Je considérais Grobman comme un Zarathoustra israélien, prêchant contre les formes illusionnistes de l’art, pour la création d’un art nouveau et libre, fondé sur l’expérience existentielle de la tradition juive. En 1975, Grobman a commencé à publier le journal Léviathan, écrit en calligraphie en russe, avec des reproductions d’artistes d’avant-garde, des notes sur la vie artistique en Israël et ses premiers projets théoriques, précurseurs du groupe d’avant-garde Léviathan.
Il convient de rappeler que Micha a aidé beaucoup d’artistes, y compris moi-même, à organiser leurs premières expositions. Grâce à lui, j’ai reçu une commande pour créer une grande mosaïque dans une nouvelle école à Jérusalem. Micha était un collectionneur infatigable, non seulement de personnalités marquantes, mais aussi de livres, de tableaux et de documents rares.
Sa maison à Jérusalem était toujours ouverte à des centaines de personnes intéressées par l’art russe libre, les conversations et les discussions, et qui appréciaient l’humour vif de Micha et l’accueil toujours chaleureux de sa femme.

Mais ma mémoire revient à nouveau aux images artistiques de Grobman. Dès ses premières œuvres de la période moscovite, l’axe central y est constitué de créatures dotées de rythmes particuliers, qui commentent le cosmos biblique, la foi dans le retour à la terre de l’Alliance. Un choix extraordinaire, hardi, dans un pays plongé dans la période de l’antisémitisme noir après la guerre des Six Jours (1967).
Grobman a été l’un des premiers, dans son article sur Malevitch, à définir le suprématisme comme une tendance à la réévaluation permanente avant le crépuscule de l’art. Malevitch comme un prophète biblique annonçant une nouvelle sortie du déluge de la matérialité.
Micha a été passionné par l’espace créatif réel : le désert, la mer, le mont Hermon, où seront réalisées des actions novatrices. En 1976, le premier manifeste du groupe Léviathan, rédigé par Grobman, puis discuté et signé par moi-même et le célèbre artiste israélien d’origine bulgare Avraham Ofek, a été publié. Le manifeste a suscité de nombreuses réactions.

La création du groupe Léviathan a marqué le début d’un mouvement artistique analogue à celui des artistes de La Ruche de l’École de Paris. Il s’agissait d’une tentative de faire renaître à Jérusalem le paradigme de La Ruche s’appuyant sur le folklore et le mysticisme juifs ancrés dans le sol d’Israël.
Le vocabulaire artistique de Grobman se caractérise par des formes acérées entourant des corps cosmiques, des taureaux gravides, des yeux voyants des fleurs de la terre renaissante. L’auteur lui-même était une nouvelle rose sauvage qui transperçait les housses de nouvelles modes importées en Israël par d’habiles fonctionnaires vivant dans leurs bulles muséales.
Le groupe Léviathan a choisi le désert de Judée comme lieu pour de nouvelles prophéties plastiques. Sur la roche sableuse, Grobman faisait figurer des anges aux ailes de rosée. Avraham Ofek projetait des rayons de soleil sur le sable à l’aide de miroirs, dans une œuvre intitulée Les actions de Jacob, en allusion à ce célèbre personnage biblique. Quant à moi, lors de cette première action de Léviathan, j’ai déployé un rouleau bleu de 40 mètres de long comme un flot irriguant de graines célestes.
De 1973 à 1984, nous avons eu de nombreuses rencontres et discussions sur le destin de l’artiste et la question permanente de savoir ce qu’est une véritable innovation dans le monde contemporain.
Aujourd’hui, on peut affirmer avec certitude que Grobman était un innovateur, un artiste brillant et original. L’exposition de Léviathan au musée d’Israël à Jérusalem, programmée pour août 2026, est la preuve de la vivacité et de l’importance des idées et de l’œuvre de Grobman, ainsi que de notre apport collectif à l’art israélien. Ma gratitude éternelle pour ce temps que nous avons passé ensemble à Jérusalem.
<p>Cet article Mikhaïl Grobman, un Zarathoustra israélien a été publié par desk russie.</p>
30.11.2025 à 17:23
Écrivez-nous, on est toujours heureux de dialoguer avec vous !
<p>Cet article Courrier des lecteurs a été publié par desk russie.</p>
Bonjour à tous et à toutes,
Nous avons reçu plusieurs courriers intéressants, auxquels je me fais une joie de répondre. Y.M.-L. nous écrit :
« Tout d’abord, bravo et merci pour tout ce que vous faites !
Votre travail d’information nous a vraiment ouvert les yeux en nous incitant à suivre certaines de vos conférences et à lire plusieurs livres qui nous ont beaucoup éclairés, en particulier les ouvrages de Galia Ackerman et ceux de Constantin Sigov. (J’ai tout récemment offert Le courage de l’Ukraine à un ami mais j’ai eu un peu de mal à le trouver à la FNAC, il semble qu’il soit pratiquement épuisé, une nouvelle édition est-elle prévue ?)
Nous vous suivons depuis 3 ans, et je trouve votre nouveau site Internet remarquable, en particulier la galerie de vos auteurs, très précieuse avec la courte biographie qui accompagne chaque vignette.
Je viens d’installer un don de soutien mensualisé à À l’Est de Brest-Litovsk sur le site de HelloAsso. […] Merci pour votre travail d’information encore plus crucial dans la période particulièrement critique que nous traversons. »
Merci, cher ami, pour cette lettre et votre appréciation de notre travail. Pour le livre de Sigov que vous mentionnez, sachez qu’on peut le commander sur plusieurs plateformes. Désormais, la vie d’un livre en librairie est courte, mais il reste dans le stock de plusieurs librairies en ligne.
Nous vous remercions de tout cœur pour votre don. C’est grâce aux gens comme vous que nous pouvons continuer à nous battre contre le régime de Poutine, contre la guerre hybride menée par la Russie en France, et pour une Ukraine souveraine et libre.
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Notre lecteur M.D.P. propose que les dirigeants des pays opposés au régime de M. Poutine cessent de parler de la Russie et des Russes. À son avis, il s’agit d’une grossière erreur de communication qui joue en faveur de Poutine. Et il explique : « Il faut parler du régime dictatorial, guerrier, de V. Poutine, qui mène une guerre dont n’a pas voulu le peuple russe, qui paie par des morts, par des difficultés de la vie quotidienne, en raison des sanctions internationales justifiées au nom de la paix.
Les dirigeants opposés à la guerre de V. Poutine, doivent enfoncer un coin entre le peuple et les dirigeants, pour atténuer le soutien passif, faire changer les mentalités, favoriser l’expression par des modes divers de la non adhésion et du refus… »
Je pense, cher Monsieur, que vous prenez vos nobles souhaits pour des réalités. La majorité écrasante des Russes soutient les actions des militaires russes en Ukraine, comme en témoigne le récent sondage du Centre Levada, proclamé « agent étranger » par le pouvoir russe. Voyez cette statistique : 77 % des personnes interrogées sont pour la guerre, et seulement 15 % y sont opposées. On peut nuancer en expliquant qu’il s’agit d’un massif bourrage de crâne, mais la réalité est là. Et selon d’autres sondages, officiels ceux-là, l’immense majorité des Russes soutient toujours le président Poutine et lui fait confiance : « Selon les données du Centre panrusse d’étude de l’opinion publique, 79,2 % des personnes interrogées ont déclaré faire confiance au président. Le Fond Opinion publique indique que 77 % des citoyens approuvent l’activité professionnelle de Vladimir Poutine à son poste, tandis que le nombre de Russes qui lui font confiance a augmenté pour atteindre 76 %. Les deux organisations soulignent l’augmentation de ces indicateurs par rapport à l’étude précédente. » On voit que les chiffres de soutien à Poutine et ceux de soutien à la guerre contre l’Ukraine coïncident. Certes, la qualité des sondages dans un pays où toutes les libertés sont bafouées est problématique, mais souvenez-vous de l’enthousiasme non feint de la majorité des Russes après l’occupation de la Crimée. C’est ça, la matrice impériale que nous dénonçons souvent dans nos écrits.
Bien naturellement, on doit soutenir ceux qui s’opposent à cette guerre, et dans ce sens, votre proposition est intéressante. Vous écrivez : « Il faut que de son côté l’opposition fasse l’apprentissage de la démocratie, du dialogue, des compromis visant à construire une alternative vers laquelle progressivement se tourner. Il faut une union d’entrepreneurs, de savants, de jeunes, de Russes de tous les milieux à l’étranger pour construire un comité national (100 ou 150 personnes implantées dans divers pays) puis un gouvernement provisoire capable d’offrir une alternative crédible car soutenue largement. Il faut, pour les Russes, les Ukrainiens et le monde, esquisser un après-Poutine possible. »
Ce que vous proposez est en train de se réaliser. Début octobre, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a décidé de créer une plateforme de dialogue entre l’Assemblée et les forces démocratiques russes en exil. La composition de cette plateforme reste à déterminer sur la base d’une série de critères, il s’agirait notamment de « personnes reconnues pour leurs hautes qualités morales » qui, entre autres conditions, partagent toutes les valeurs du Conseil de l’Europe, reconnaissent sans condition la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine et œuvrent en faveur d’un « changement de régime » en Russie. Nous verrons qui va finalement participer à cette plateforme, car l’opposition actuelle a dans ses rangs des gens très divers dont des personnes très dignes, mais aussi certains qui ont été, dans un passé encore récent, des soutiens du régime poutinien ou qui évitent de s’exprimer en faveur de la victoire ukrainienne et de la défaite russe. Par ailleurs, l’expérience montre que les émigrés n’ont jamais joui d’un grand prestige en Russie. C’est pour cette raison qu’Alexeï Navalny avait préféré rentrer dans son pays, sachant qu’il risquait sa liberté, et même sa vie. En sera-t-il autrement cette fois ? Ces gens qui n’ont pas été élus par le peuple sauront-ils le représenter ? Seul l’avenir nous le dira.
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Enfin, notre abonné A.B. écrit : « Je viens de lire l’article SkyShield, je trouve cette proposition intéressante et bien pensée. Pour la faire progresser dans l’esprit de nos dirigeants et de nos stratèges militaires, ne faudrait-il pas lancer une initiative de soutien en ligne ? »
En fait, cette initiative existe depuis trois mois, et vous pouvez signer cette pétition en ligne. Dans ce texte intitulé « Sauvons les civils des drones russes, fermons le ciel au-dessus de l’Ukraine », des élus, anciens généraux et experts aéronautiques français appellent Emmanuel Macron à protéger les civils en mettant en place un bouclier dans le ciel ukrainien pour intercepter les drones russes. Les signataires demandent la mise en place de l’opération « SkyShield », qui repose sur le déploiement d’équipements directement en Ukraine, comme des radars ou des systèmes d’interception. La récente soirée à Paris que vous pouvez visionner ici a été en quelque sorte un point d’orgue de la campagne pour la création de SkyShield, qui est soutenue par de grandes personnalités venant de plusieurs pays européens. L’équipe de SkyShield nous informe que la semaine prochaine, elle compte avancer sur le plan diplomatique et politique pour faire adopter cette initiative au plus haut niveau de l’État. Espérons que ce sera pour bientôt !
Écrivez-nous, chers amis et chères amies ! Vos courriers sont importants !
<p>Cet article Courrier des lecteurs a été publié par desk russie.</p>