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16.05.2024 à 00:02

Survivre à EACOP. Les femmes résistent face à l'exploitation pétrolière en Ouganda

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TotalEnergies cherche à justifier ses projets pétroliers en Ouganda en prétendant qu'ils aident la cause des femmes. Les premières concernées témoignent d'une réalité bien différente.

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Texte intégral (599 mots)

TotalEnergies cherche à justifier ses projets pétroliers en Ouganda en prétendant qu'ils aident la cause des femmes. Nous avons été poser la question aux premières concernées, qui témoignent d'une réalité bien différente.

Les projets de TotalEnergies avec le gouvernement ougandais et la compagnie chinoise CNOOC sont depuis plusieurs années sous le feu des critiques pour leur impact climatique mais aussi pour les atteintes aux droits des populations déplacées pour faire place à l'exploitation pétrolière.

Le nouveau rapport de l'Observatoire des multinationales, intitulé Survivre à EACOP. Les femmes résistent à l'exploitation pétrolière en Ouganda, explore un aspect encore négligé de l'impact des projets pétroliers ougandais et en particulier de l'oléoduc EACOP porté par TotalEnergies : les conséquences concrètes pour les femmes du processus de compensation et de relocalisation mené par le groupe français et ses partenaires .

Le rapport est basé sur une enquête de terrain menée à l'été 2023 en partenariat avec l'ONG ougandaise Tasha, et donne abondamment la parole aux premières concernées.

  • Il montre comment, très loin des prétentions affichées par TotalEnergies de lutter contre les discriminations, voire de contribuer à l'émancipation des femmes, les projets pétroliers ont eu pour conséquence concrète d'empirer leur situation de nombreuses manières :
  • Les femmes n'ont pas eu accès à la compensation qui leur était due parce que TotalEnergies s'est contenté de mesures formelles et superficielles, sur la base d'une vision réductrice de la place des femmes, et sans faire en sorte de les associer effectivement aux décisions.
  • Suite aux relocalisations, les femmes ont eu beaucoup plus de mal à assurer leurs rôles traditionnels comme l'alimentation de la famille, la collecte de l'eau et du petit bois et l'éducation des enfants, qui n'ont vraiment pas été pris en compte dans les politiques de compensation.
  • L'arrivée de grandes quantités de nouveaux travailleurs masculins et d'une force de maintien de l'ordre a créé un environnement plus dangereux pour les femmes, exposées à des violences et des abus sexuels.
  • Les femmes sont en première ligne pour contester les conditions de relocalisation, mais leurs plaintes et revendications sont ignorées.

TotalEnergies prétend avoir intégré les questions de genre dans leurs politiques RSE en Ouganda et affirme même que ses activités en Ouganda contribuent à réduire les inégalités de genre dans les communautés affectées. Le rapport Survivre à EACOP confronte ces prétentions paternalistes avec les expériences vécues des femmes affectées par ces développements. Dès lors que TotalEnergies refuse de voir les conséquences concrètes des projets pétroliers eux-mêmes sur la vie des femmes, les mesures mises en place par l'entreprise ne peuvent rester que superficielles, voire contre-productives.

07.05.2024 à 00:00

La santé, grande oubliée du plan de relance

Pauline Gensel

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Alors que la crise sanitaire avait mis en lumière les difficultés du monde hospitalier, un sous-investissement chronique et le manque d'attractivité des métiers du soin, le plan de relance de 2020 a largement délaissé le secteur de la santé. Trois ans plus tard, très peu des investissements prévus ont été effectivement réalisés.
La part du plan de relance dévolue au secteur de la santé n'était déjà pas très grande : 6 milliards d'euros pour le Ségur de la santé, auxquels s'ajoutent (…)

- Plan de relance : 100 milliards d'euros et une opportunité gâchée / , ,
Texte intégral (2187 mots)

Alors que la crise sanitaire avait mis en lumière les difficultés du monde hospitalier, un sous-investissement chronique et le manque d'attractivité des métiers du soin, le plan de relance de 2020 a largement délaissé le secteur de la santé. Trois ans plus tard, très peu des investissements prévus ont été effectivement réalisés.

La part du plan de relance dévolue au secteur de la santé n'était déjà pas très grande : 6 milliards d'euros pour le Ségur de la santé, auxquels s'ajoutent quelques millions par ci par là dans des programmes budgétaires distincts. Un peu moins de 200 millions étaient ainsi prévus dans la mission budgétaire « Plan de relance » pour créer 16 000 places dans les instituts de formation des métiers du soin. S'y ajoutaient des investissements dans le cadre du 4e Programme d'investissements d'avenir (PIA4) dont le montant demeure inconnu. Peu d'investissements annoncés donc…. Et extrêmement peu d'argent investi après trois ans de déploiement.

Des enveloppes sous-calibrées

Du 25 mai au 10 juillet 2020, le Premier ministre Edouard Philippe, le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran et les représentants syndicaux et professionnels du monde de la santé se réunissent dans le cadre d'une grande consultation visant à répondre aux difficultés hospitalières révélées par la crise sanitaire. Quelques jours plus tard, les accords du « Ségur de la santé » sont signés. Le gouvernement s'y engage notamment à verser 8,2 milliards d'euros par an pour revaloriser les métiers des établissements de santé et des Ehpad et 19 milliards d'euros d'ici 2026 pour investir dans le système de santé, améliorer la prise en charge des patients et le quotidien des soignants (rénovations, ouvertures/réouvertures de lits, transition écologique). Sur ces 19 milliards, 6 seront finalement pris en charge par le plan de relance.

Ces financements sont censés répondre à trois objectifs distincts. La plus grosse enveloppe, de 2,5 milliards d'euros, est destinée au fonctionnement quotidien des services hospitaliers et à la transformation du système de santé, notamment pour des actions de rénovation, de construction et pour développer la médecine ambulatoire. Pour les établissements médico-sociaux, en particulier les Ehpad, 1,5 milliards doivent être investis pour des projets de rénovation, d'équipement et de création de places. Les 2 milliards restants doivent permettre d'encourager la numérisation des outils de santé, notamment avec le lancement en janvier 2022 de l'Espace numérique de santé (ENS). Ce dernier outil permet aux médecins d'accéder rapidement à l'historique médical de leurs patients, ce qui évite de prescrire des examens inutiles ou redondants et facilite les diagnostics. Ces fonds sont pris en charge par le plan de relance européen NextGenerationEU, dont les paiements peuvent s'échelonner jusqu'en 2026. En 2023, la France avait reçu un peu plus de 3,8 milliards de subventions européennes pour ce volet Ségur, qu'elle a directement reversés à la Sécurité sociale.

Rapportés aux 2,5 milliards de sous-investissement constatés entre 2009 et 2019, les 6 milliards d'investissement prévus dans le cadre du volet Ségur du plan de relance semblent bien faibles.

Le Ségur visait à compenser un sous-investissement chronique dans le secteur de la santé. En 2009, 6,7 milliards d'euros avaient été investis dans les hôpitaux publics, soit un taux d'investissement de 10,9 % par rapport aux recettes des établissements. Les dix années qui ont suivi, ce chiffre n'a cessé de diminuer, pour atteindre 3,8 milliards d'euros en 2019, soit 4,7 % des recettes, d'après les données de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). En cumulé sur 10 ans, cela représente plus de 20 milliards d'euros d'investissements non réalisés. Rapportés à ces chiffres, les 2,5 milliards d'investissement prévus pour l'hôpital dans le cadre du volet Ségur du plan de relance semblent bien faibles.

Pour Laurence Hartmann, maître de conférence au Conservatoire national des arts et métiers en économie de la santé, ce sous-investissement est étroitement lié à l'introduction en 2004 de la tarification à l'activité. Avec ce mode de financement, les établissements de santé reçoivent un paiement de l'Assurance maladie pour chacune des prestations fournies, en fonction d'une grille tarifaire établie par type de pathologie. Tous ces versements doivent respecter l'Ondam (l'objectif national de dépenses d'assurance maladie) voté chaque année par le Parlement et qui fixe un montant à ne pas dépasser. « La tarification à l'activité, telle qu'elle a été mise en place, répondait à une logique totalement budgétaire et déconnectée de la réalité hospitalière, analyse Laurence Hartmann. Les tarifs n'étaient pas fixés en cohérence avec les coûts réels et ils ont été baissés par la suite pour respecter l'enveloppe de l'Ondam. Les directeurs d'hôpitaux se sont retrouvés avec des déficits budgétaires chroniques, qu'ils ont essayé de combler en traitant plus de patients, en recherchant plus de productivité… et en réduisant leurs investissements. Ce qui a conduit à la dégradation hospitalière que l'on connaît aujourd'hui. » Pour l'économiste de la santé, les investissements prévus dans le cadre du plan de relance sont essentiels, mais leurs effets risquent d'être limités si la tarification à l'activité n'est pas rénovée, notamment pour prendre en compte la qualité des soins et fixer des tarifs plus cohérents.

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Du côté des Ehpad, la situation est tout aussi problématique. En mars 2019, le rapport « Grand âge et autonomie » remis par le président du Haut Conseil du financement de la protection sociale de l'époque, Dominique Libault, alertait sur la vétusté du parc immobilier des Ehpad. Un quart de l'offre n'avait pas connu de rénovation depuis plus de 25 ans, ce qui représentait un besoin d'investissement de 15 milliards d'euros sur dix ans. Là encore, les 1,5 milliards prévus dans le plan de relance jusqu'en 2024 paraissent sous-calibrés.

Retards dans les investissements

Au 31 mars 2023, près de 1700 établissements de santé avaient reçu au moins un versement au titre de la dotation « investissements du quotidien », pour un total de 395 millions d'euros, contre 1,5 milliard prévu. D'après le projet de loi de finances de la Sécurité sociale pour 2024, les investissements courants ont augmenté de 13 % en volume en 2021 et le taux de vétusté des équipements s'est infléchi pour la première fois depuis 2013. En ce qui concerne les investissements dits « structurants », supérieurs à 20 millions d'euros, aucune information sur les montants investis n'est disponible.

Le comité d'évaluation du plan de relance ne s'est pas spécifiquement penché sur les investissements dans la santé.

Un peu plus de 3000 places ont été construites ou rénovées dans les Ehpad à fin 2022, d'après le document d'exécution budgétaire relatif à cette année. On ne connaît cependant pas le montant investi pour cette mesure. Le plan de relance s'était fixé une cible de 36 000 places d'ici 2026, un objectif finalement rabaissé à 32 200 lors d'une réunion du conseil « affaires économiques et financières » de la Commission européenne, le 14 juillet 2023, « pour prendre en compte les réalités économiques nouvelles depuis l'adoption du plan initial en 2021 », entre autres « le contexte inflationniste lié au conflit russo-ukrainien » et « la désorganisation de la chaîne de production ».

Le comité d'évaluation du plan de relance ne s'est pas spécifiquement penché sur les investissements dans la santé. Contacté, il nous a indiqué qu'il n'avait pas reçu de données précises concernant les montants dépensés dans le cadre du Ségur, mais nous a précisé que les investissements avaient pris du retard et que les projets n'avaient quasi pas été déployés.

Des dépenses disséminées

Pour faire face à la pénurie de médecins et de professionnels de santé, le programme budgétaire « Plan de relance » prévoyait de consacrer 183 millions d'euros pour créer 16 000 places supplémentaires dans les formations sanitaires et sociales. Avec 152 millions d'euros d'investissements réalisés, ces places ont bel et bien été créées, d'après les statistiques de la Drees. En 2020, environ 135 000 places étaient financées dans les formations en santé, 53 000 dans celles du social. Elles étaient respectivement 150 000 et 55 000 en 2022, soit 18 000 places supplémentaires financées au total. Mais la même année, plus de 4000 étudiants dans les formations du social interrompaient leur cursus, et 13 600 dans le secteur de la santé.

Les étudiants sont éprouvés par leurs stages, par la réalité du quotidien, ils sont parfois livrés à eux mêmes, ce qui conduit à une qualité de vie très dégradée. Sans parler des salaires, qui ne sont pas du tout attractifs.

« Le taux d'abandon dans ces formations a grandement augmenté, entre 15 à 20 % des étudiants interrompent leurs études aujourd'hui, relève Laurence Hartmann. Alors que les métiers de la santé sont les plus demandés sur Parcoursup, nous n'arrivons pas à former le personnel prévu en termes d'ouverture de places. Les étudiants sont éprouvés par leurs stages, par la réalité du quotidien, ils sont parfois livrés à eux mêmes, ce qui conduit à une qualité de vie très dégradée. Sans parler des salaires, qui ne sont pas du tout attractifs. » D'après le dernier panorama de la santé de l'OCDE, la rémunération des infirmiers en France en 2021 se situe au niveau du salaire moyen du pays. Au Chili, au Costa Rica et au Mexique, en tête du classement, la rémunération des infirmiers est au moins 70 % supérieure au salaire moyen. La France se situe à la 29e place sur 35 dans ce classement.

La santé est également présente au sein du 4e Programme d'investissement d'avenir (PIA4) en tant que « secteur stratégique », avec les technologies numériques, la culture, l'éducation, ou encore les capacités industrielles. Le PIA4 est censé encourager les innovations dans ces différents domaines, en soutenant des entreprises, des laboratoires et des collectivités. Pour la santé, il a pour objectif d'accélérer le développement de marchés clés tels que la bioproduction ou la santé digitale.

Problème : on ne sait ni quels sont les montants initialement prévus pour chacun de ces domaines, ni ce qui a été effectivement dépensé. « France relance constitue une réelle opportunité, reconnaît Frédéric Bizard, économiste de la santé et président-fondateur d'Institut Santé, un centre de recherche dédié à la refondation du système de santé français. Est-ce qu'on est en train de la saisir de la bonne façon ? J'aimerais disposer d'éléments pour le dire. Ces milliards d'argent public constituent les graines de l'investissement, mais ils ne seront pas suffisants pour amorcer une transition globale, écologique, numérique, épidémiologique et démographique. Aujourd'hui, il n'y a encore aucune stratégie de santé, et aucun pilote dans l'avion. »

À la crise majeure du secteur de la santé, le plan de relance n'apporte que des réponses parcellaires et limitées. La réponse structurelle et valable sur le temps long, elle, se fait toujours attendre.

Pauline Gensel

07.05.2024 à 00:00

France relance : un plan opaque, un bilan impossible

Pauline Gensel

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Le plan de relance post-Covid a mobilisé 72,8 milliards d'euros en date de novembre 2023. Difficile d'y voir clair dans cet enchevêtrement de mesures et de programmes, alors que les données disponibles demeurent parcellaires et que la France refuse de communiquer sur les bénéficiaires effectifs.
Le 14 juillet 2020, face à Léa Salamé et Gilles Bouleau, Emmanuel Macron évoquait pour la première fois le plan de relance post-Covid : 100 milliards d'euros pour « faire la relance industrielle, (…)

- Plan de relance : 100 milliards d'euros et une opportunité gâchée / , , , ,
Texte intégral (3398 mots)

Le plan de relance post-Covid a mobilisé 72,8 milliards d'euros en date de novembre 2023. Difficile d'y voir clair dans cet enchevêtrement de mesures et de programmes, alors que les données disponibles demeurent parcellaires et que la France refuse de communiquer sur les bénéficiaires effectifs.

Le 14 juillet 2020, face à Léa Salamé et Gilles Bouleau, Emmanuel Macron évoquait pour la première fois le plan de relance post-Covid : 100 milliards d'euros pour « faire la relance industrielle, écologique, locale, culturelle et éducative » et « bâtir un pays différent d'ici à 10 ans », d'après les mots du président de la République. À l'opposé de ce qui s'était fait selon lui pendant 30 ans, « parce qu'on était dans les divisions, parce qu'on était peut-être dans des politiques qui souvent étaient trop lentes, dont on ne percevait pas les résultats », Emmanuel Macron voulait donner « un monde à voir ». À l'Observatoire des multinationales, nous avons tenté de le « voir », ce fameux monde donné par le plan de relance. Et face à une myriade de dispositifs dispatchés dans des programmes budgétaires différents et pour lesquels les données manquent, nous avons bien bataillé.

Au départ, le plan semble plutôt simple. Un chiffre rond, 100 milliards d'euros. Deux objectifs : assurer la relance de l'activité et transformer l'économie. Trois volets, dotés d'environ 30 milliards d'euros chacun : Écologie, Compétitivité, Cohésion. Cela se complique dès que l'on essaie de creuser plus loin, notamment d'un point de vue budgétaire. Il existe bien un document spécifique, la « Mission plan de relance », qui a pour but d'isoler les crédits alloués au programme et de ne pas créer de confusion avec le budget courant de l'État. Mais il ne comptabilise qu'environ 40 milliards sur les 100 prévus. Les 60 milliards restants se répartissent entre le 4e Programme d'investissements d'avenir ou PIA4 (11 milliards d'euros), la baisse des impôts de production (20 milliards), les administrations de Sécurité sociale (9 milliards, entre l'Unédic, la Caisse nationale d'allocations familiales et les investissements publics dans le cadre du Ségur de la Santé), la Banque des territoires (3 milliards), Bpifrance (2 milliards), et d'« autres vecteurs budgétaires » (19 milliards). Il n'existe aucune liste exhaustive, actualisée et partagée qui rassemblerait l'ensemble des mesures du plan de relance et leur exécution. Difficile donc d'avoir une vision d'ensemble.

Il n'existe aucune liste exhaustive, actualisée et partagée qui rassemblerait l'ensemble des mesures du plan de relance et leur exécution.

Même au sein de chacun des volets budgétaires, la confusion règne. Dans le Programme d'investissement d'avenir, doté de 20 milliards d'euros au total, les 11 milliards venus du plan de relance rassemblent des investissements en recherche et développement, en soutien aux universités, écoles, organismes de recherche et de transfert de technologies, dans des « secteurs d'avenir stratégiques » (cybersécurité, technologies quantiques, biotechnologies, secteur culturel), ainsi que des innovations en faveur de la transition écologique. Mais depuis 2022, ces 11 milliards s'inscrivent également dans les 54 milliards de France 2030, le plan d'investissement dédié à l'innovation lancé en octobre 2021 (lire France 2030 : 34 milliards d'euros pour qui et pour quoi ?. Cette triple labellisation - France relance, PIA4, France 2030 - apporte encore plus de flou : impossible d'identifier précisément les financements issus de chacun des programmes. L'objectif de développer une filière hydrogène compétitive, l'une des priorités du PIA4 et de France Relance, est ainsi repris dans France 2030, sans que l'on sache quels montants ont déjà été dépensés et continuent d'être assurés par le plan de relance, et quels financements viennent directement de France 2030.

Transferts opaques

Les crédits du plan de relance se mélangent parfois aussi avec ceux du budget courant de l'État, malgré la volonté affichée de distinguer les deux dans des programmes budgétaires distincts. Un même dispositif peut être en partie pris en charge par France Relance, en partie par le budget ordinaire, sans que l'on sache précisément qui dépense quoi. C'est notamment le cas pour l'aide à l'apprentissage, rehaussée dans le cadre du plan de relance : alors que les employeurs touchaient auparavant 4125 euros la première année, puis 2000 la deuxième, ils perçoivent 5000 euros par an en 2021 et 2022 s'ils embauchent un apprenti mineur, 8000 s'il est majeur. Au départ, le plan de relance devait financer seulement la différence, le budget classique prenant en charge le financement de base. Mais la distinction s'est révélée impossible à gérer d'un point de vue budgétaire. La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle a donc décidé de comptabiliser l'ensemble des dépenses pour l'aide à l'apprentissage sur le budget du plan de relance. Résultat : une explosion des crédits dépensés sur ce volet en 2021 et 2022. Alors que les projets de loi de finances prévoyaient un peu moins de 4 milliards d'euros de crédits pour la mesure dans le cadre de la relance, 8,2 milliards d'euros ont été comptabilisés. Or, une grande partie de ces dépenses aurait dû s'inscrire dans le budget général.

Certains ont qualifié ça de jeu de Bonneteau, dans la mesure où l'on prend d'un côté pour dépenser d'un autre.

À l'inverse, d'autres crédits prévus pour la relance ont été basculés vers les missions ordinaires du budget de l'État, pour des programmes liés à l'aménagement du territoire, à l'emploi, à la recherche dans le domaine de l'énergie et des mobilités durables, à la conduite des politiques de l'intérieur, à l'agriculture ou, plus étonnant encore… à la police et à la gendarmerie nationale, pour financer des opérations de construction décidées avant la crise sanitaire ou encore pour l'habillement et les équipements individuels de la police nationale – y compris pour le maintien de l'ordre. « Certains ont qualifié ça de jeu de Bonneteau [jeu d'argent consistant à retrouver une carte parmi trois, ou une balle sous trois gobelets, ndlr], dans la mesure où l'on prend d'un côté pour dépenser d'un autre, explique Nadine Levratto, économiste et directrice de recherche au CNRS à l'unité de sciences économiques « EconomiX ». Le plan d'urgence sanitaire avait déjà fonctionné sur ces bases, la direction du budget est assez coutumière de la réallocation de fonds existants au sein d'enveloppes avec de nouveaux intitulés. »

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Les transferts ont également eu lieu au sein même du programme budgétaire du plan de relance, entre les différentes mesures. La hausse des dépenses pour l'aide à l'apprentissage a ainsi été en partie financée par des prélèvements sur l'activité partielle de longue durée, la rémunération des stagiaires adultes de la formation professionnelle, la formation des salariés en activité partielle… Des redéploiements de crédits insuffisamment documentés d'après un rapport de la Cour des comptes sur la mission budgétaire du plan de relance de 2022 : « Faute d'indicateurs de suivi et d'impact adaptés, il n'est pas établi que les redéploiements ainsi effectués aient bénéficié aux mesures ayant l'impact économique ou social le plus élevé […] Ces choix de gestion doivent pouvoir être précisément retracés et expliqués, au vu des masses budgétaires en jeu et du changement de nature des mesures financées par le plan qui résulte de ces redéploiements. » La Cour ajoute que sans ces éléments, toute analyse du plan de relance ne peut être qu'incomplète.

Relance ou recyclage budgétaire ?

Si le plan de relance comporte des mesures nouvelles, comme l'aide au développement de la filière hydrogène, les fonds pour la transformation des friches urbaines et industrielles ou les aides à l'embauche des jeunes, il a surtout permis de consolider des dispositifs déjà existants ou de lancer des projets qui étaient déjà dans les tuyaux avant la crise sanitaire. C'est ce que pointait du doigt la commission des finances du Sénat en novembre 2020, par le biais de son rapporteur Jean-François Husson : « Si le rapporteur spécial ne peut que partager le souci de lutte contre le « décrochage » scolaire, il juge néanmoins opportuniste l'intégration dans le champ de la mission « Plan de relance » de la traduction budgétaire d'une obligation législative posée antérieurement et s'inscrivant dans le cadre d'une stratégie pluriannuelle et interministérielle déjà existante. »

La lutte contre le décrochage scolaire, avec le dispositif « promo-16-18 : la route des possibles », s'inscrit en effet dans la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté présentée par le président de la République... en 2018. Parmi les autres mesures reprises dans le plan de relance, MaPrimeRénov', qui avait été lancée le 1er janvier 2020 et qui ne concernait alors que les ménages les plus modestes. Elle a été étendue à cette occasion aux revenus supérieurs, aux copropriétés et aux propriétaires bailleurs.

Des subventions versées au Commissariat à l'énergie atomique et au Centre national d'études spatiales pour la recherche duale (civile et militaire) habituellement prises en charge par le ministère des Armées ont été basculés en totalité vers la mission relance.

Figurent aussi dans le plan de relance de nombreuses mesures qui auraient dû s'inscrire dans les budgets traditionnels des ministères. Un plan de lutte contre les captures accidentelles de cétacés, la création de places supplémentaires pour les néo-bacheliers, l'achat de drones de surveillance maritime ou de 12 nouveaux hélicoptères pour la gendarmerie nationale et pour la sécurité civile… Difficile de saisir le lien entre ces dispositifs et la reprise de l'activité économique. Citons également les subventions versées au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et au Centre national d'études spatiales (CNES) pour la recherche duale (civile et militaire), habituellement pris en charge par le ministère des Armées, qui ont été basculés en totalité vers la mission relance. Résultat : 290 millions d'euros en moins dans le budget courant, parce que pris en charge par le plan de relance.

Ces petites manipulations semblent être passés entre les mailles des différentes instances chargées d'évaluer la mise en œuvre du plan. En plus du comité de pilotage et du secrétariat général au plan de relance, un comité d'évaluation, sous l'autorité du Premier ministre, a été chargé de réaliser une étude indépendante de l'impact socio-économique et environnemental de France Relance à partir de 2021. Il a rendu son rapport final en janvier 2024, dans lequel il conclut que le plan de relance est responsable d' « une partie du dynamisme de l'emploi depuis 2020 » et d' « effets favorables » concernant la réduction des émissions de CO2. « Nous avons tenté de voir s'il y avait des blocages dans les canaux de financement, car avant de savoir si la pelouse a bien été arrosée, il faut savoir si le tuyau était bouché ou non, indique Xavier Timbeau, directeur de l'OFCE qui a travaillé sur le volet macroéconomique du rapport. Et nous avons observé qu'il n'y avait pas de blocage majeur dans le processus de transmission. »

Un suivi lacunaire

Autre instance d'évaluation : le secrétariat général au plan de relance, qui gère notamment le suivi de l'avancement des mesures, en partie rendu public via le « tableau de bord » de la relance. L'outil présente des informations sur la progression d'une trentaine de dispositifs « afin de garantir une transparence sur la mise en œuvre de France Relance », d'après son site internet. Une transparence qui se limite donc à 25 mesures. Pour les autres, les données sont conservées dans l'outil « Pilote relance » du secrétariat général et ne sont pas accessibles au public. Qui plus est, tous les dispositifs n'ont pas forcément de cible établie et certains objectifs semblent mal calibrés, trop ou pas assez ambitieux. Pour la prime exceptionnelle à l'apprentissage, le gouvernement avait fixé une cible de 388 900 contrats conclus au 31 décembre 2023. En novembre 2021, plus d'un million de contrats avaient déjà été enregistrés.

Trois ans après le lancement du plan, il n'existe toujours aucune centralisation des données et des dépenses des opérateurs de l'État.

D'un point de vue budgétaire, les données concernant les sommes dépensées par l'État dans le cadre du plan sont elles aussi très limitées. Car les crédits marqués comme « dépensés » ne renseignent pas sur le réel financement des mesures. Bien souvent, l'argent est versé à des opérateurs de l'État, organismes publics ou collectivités territoriales, qui gèrent la mise en œuvre de certaines mesures et attribuent ensuite les fonds aux bénéficiaires finaux – entreprises, ménages, associations… Dans ses deux rapports sur l'exécution budgétaire de la mission plan de relance, en 2021 et 2022, la Cour des comptes recommandait donc de mettre en place un dispositif de suivi des crédits et de leur utilisation sur le terrain. Sans succès. Un travail de reporting a bien été amorcé par la Direction générale des finances publiques à partir d'avril 2021, mais il y a été mis fin en septembre 2022, « du fait de son caractère chronophage et de son absence déclarée d'impact sur le pilotage des crédits de la mission », d'après le rapport de la Cour des comptes de 2022. Trois ans après le lancement du plan, il n'existe donc toujours aucune centralisation des données et des dépenses des opérateurs de l'État.

Absence de transparence

Impossible donc de savoir qui a le plus profité de France Relance ni de connaître les montants effectivement versés. Même le comité d'évaluation du plan de relance n'a pas eu accès à ses données. « Le degré de concentration des aides aurait pu être un renseignement important pour nous, pour en connaître l'efficacité, remarque Aurélien Saussay, professeur assistant d'économie de l'environnement au Grantham Research Institute de la London School of Economics. Par exemple, pour savoir s'il est plus optimal, en terme d'emploi, de donner de l'argent à des grosses ou des petites entreprises. Mais pour l'instant, ces données sont restées à Bercy. Et nous ne pouvons évaluer que ce que l'on observe. »

Pourtant, un amendement du Parlement européen de février 2023 oblige les pays membres à publier la liste des 100 premiers bénéficiaires finaux de leurs plans de relance respectifs, en open data. Un rapport de la Commission européenne sur la mise en œuvre du plan européen publié en septembre 2023 notait que 11 pays ne s'étaient toujours pas exécutés, parmi lesquels la France. Deux mois plus tard, le député (PS) Dominique Potier dépose une question écrite sur ce sujet, interrogeant le ministre de l'Économie Bruno Le Maire sur « les mesures qu'envisage de prendre le Gouvernement pour se mettre en conformité avec les obligations de transparence liées au plan de relance européen ». « Je voulais savoir quels étaient les critères d'attribution des crédits relance et qui en avait bénéficié, s'il s'agissait d'entreprises en très bonne santé ou au contraire qui avaient besoin d'être confortées. Connaître aussi l'efficacité de ces dépenses par rapport aux objectifs du plan : la reconsolidation économique et la transition écologique. Mais je n'ai pas eu de réponse. » Contacté, le ministère de l'Économie ne nous a pas répondu non plus.

On a aujourd'hui plus de connaissances sur les 500 euros de subvention versés à l'association de pétanque d'une commune que des milliers, millions ou milliards d'euros qui sont versés aux entreprises.

La France a finalement rempli son obligation de transparence en décembre 2023 mais avec une liste pour le moins opaque. Elle répertorie principalement les opérateurs de l'État ou les collectivités qui ont reçu de l'argent du plan de relance, autrement dit les intermédiaires qui reversent ensuite les crédits à des bénéficiaires finaux. Les trois premiers acteurs sur la liste sont ainsi l'Agence de services et de paiement (plus de 15 milliards d'euros versés), Bpifrance (près d'1,8 milliard) et l'Agence nationale de l'habitat (environ 1,4 milliard). Contactés pour obtenir plus d'informations sur les organismes à qui ils ont reversé ces crédits, ils n'ont pas répondu à nos sollicitations. « On ne sait pas trop si c'est de l'incompétence ou de la malhonnêteté, je penche plutôt pour la première option, ironise Kevin Gernier, chargé de plaidoyer pour Transparency International France, qui a travaillé sur la transparence du plan de relance. La réalité, c'est que l'État français n'a même pas les moyens en interne de savoir où va son argent tellement il est démembré en de multiples opérateurs. Les collectivités territoriales font beaucoup mieux : on a aujourd'hui plus de connaissances sur les 500 euros de subvention versés à l'association de pétanque d'une commune que des milliers, millions ou milliards d'euros qui sont versés aux entreprises. »

Elles semblent loin, les annonces du président de la République qui s'exprimait lors du sommet des chefs d'État membres du partenariat pour un gouvernement ouvert, une initiative internationale qui promeut la transparence de l'action publique. Le 24 septembre 2020, il y revenait à propos du plan de relance qu'il avait annoncé deux mois auparavant et affichait sa volonté de « reconstruire mieux », de concevoir « une meilleure version de la démocratie : plus ouverte, plus inclusive, avec les citoyens au centre ». Et il appelait les chefs d'État à s'engager dans leurs plans de relance respectifs : « Nous devons [...] veiller à ce que tous les plans de relance soient disponibles en open data, permettant aux citoyens de suivre le cheminement de l'argent, ainsi que d'empêcher l'inefficacité et même la corruption. Et je pense que c'est absolument essentiel. »

Pauline Gensel

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