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02.09.2025 à 06:00

Israël, allié de l'Azerbaïdjan contre l'Arménie

Tigrane Yégavian
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Tandis que les amis d'Israël s'alarment du sort des chrétiens d'Orient, un proche allié de Tel-Aviv a imposé son diktat à l'Arménie — le plus ancien pays chrétien du monde — en utilisant des armements israéliens. Bakou et Tel-Aviv sont engagés dans un partenariat géostratégique toujours plus approfondi, ancré dans une communion d'intérêts qui ne cesse de croître, aux dépens de l'Iran. Selon une enquête menée par le quotidien israélien Haaretz, basée sur des données aéronautiques (…)

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Texte intégral (3983 mots)

Tandis que les amis d'Israël s'alarment du sort des chrétiens d'Orient, un proche allié de Tel-Aviv a imposé son diktat à l'Arménie — le plus ancien pays chrétien du monde — en utilisant des armements israéliens. Bakou et Tel-Aviv sont engagés dans un partenariat géostratégique toujours plus approfondi, ancré dans une communion d'intérêts qui ne cesse de croître, aux dépens de l'Iran.

Selon une enquête menée par le quotidien israélien Haaretz, basée sur des données aéronautiques accessibles au public, au cours des sept dernières années, 92 vols de fret ont été effectués par un avion-cargo Iliouchine II-76 de la compagnie azerbaïdjanaise Silk Way Airlines. Tous ont atterri sur la base aérienne israélienne d'Ovda, au nord d'Eilat (sud du pays), le seul aéroport du pays d'où il est possible d'embarquer des explosifs. L'appareil était chargé en deux heures, puis redécollait pour regagner son terrain d'origine à Bakou, la capitale de l'Azerbaïdjan. Ces avions de transport — de Silk Way Airlines et d'autres compagnies — ont atterri à Ovda plus de 100 fois depuis la délivrance initiale du permis d'atterrir. À chaque fois que les vols vers Bakou se sont intensifiés — au milieu de 2016, fin 2020 et fin 2021 —, la guerre faisait rage dans le Haut-Karabagh/l'Artsakh1.

« Il y a de l'amour entre l'Azerbaïdjan et Israël », déclarait le président israélien Isaac Herzog, lors de sa visite à Bakou le 30 mai 2023. Une phrase qui illustre à l'envi le renforcement substantiel du partenariat stratégique israélo-azerbaïdjanais qui avait conduit le 31 mars de la même année à l'ouverture d'ambassades dans chacun des deux pays.

Pétrole contre armes

Principal fournisseur de pétrole d'Israël (40 % des importations totales), Bakou n'a jamais suspendu ses livraisons pendant les guerres israéliennes contre Gaza et le Liban après le 7 octobre 2023. Signe du développement accru de la coopération énergétique, la compagnie pétrolière publique azerbaïdjanaise (State Oil Company of Azerbaijan Republic, SOCAR) a récemment acquis pour 1,25 milliard de dollars (1,07 milliard d'euros) une participation de 10 % dans le champ gazier offshore israélien Tamar 2.

Tandis que l'Azerbaïdjan exporte en priorité du pétrole brut via le port turc de Ceyhan (sud-est du pays), sur la Méditerranée, pour un montant variant entre 800 millions et 1 milliard de dollars (entre 687 et 860 millions d'euros) par an, les exportations israéliennes demeurent largement composées d'armements, et le pays est devenu le premier pourvoyeur d'armes de l'Azerbaïdjan. De toutes les relations commerciales entre les deux États, celle des armes reste la plus opaque. Les contrats ne sont pas publiés, les montants exacts sont classifiés ou approximatifs, et les livraisons passent parfois par des sociétés-écrans ou tierces.

Israël fournit 70 % de ses importations d'armements en drones IAI Harop, Hermes 450 et 900 procurés par Elbit Systems, en systèmes de missiles balistiques tactiques LORA (Long-Range Artillery) pouvant frapper des cibles dans un rayon de 400 kilomètres, en systèmes d'artillerie à guidage de précision, sans oublier les équipements de surveillance électronique (radars, système anti-drone, renseignement électromagnétique). Autant d'armes qui furent massivement utilisées au cours de la guerre du Haut-Karabagh de 2020, conférant un indiscutable avantage à l'armée azerbaïdjanaise. Sans le matériel israélien et les livraisons de drones Bayraktar turcs, elle ne se serait pas assurée de la totale maîtrise du ciel.

En cela, il n'est pas exagéré d'avancer que la guerre de 2020 s'est avérée une victoire militaire et géostratégique double : azerbaïdjanaise et israélienne. Les services de renseignement israéliens ont pu ainsi se déployer sur le tronçon de frontière avec l'Iran jusque-là contrôlé par les forces de défense arméniennes du Haut-Karabagh — la frontière avec l'Iran cumulant 750 kilomètres. Cela a donné à Tel-Aviv l'occasion d'y installer sur de larges portions des bases de renseignement et d'observation avancée. Ces installations servent à intercepter des communications militaires ennemies, à surveiller les mouvements de troupes et les infrastructures nucléaires. De nouveaux bâtiments aéroportuaires ont également été construits à la suite de la reconquête partielle du Haut-Karabagh en novembre 2020 et du nettoyage ethnique qui a suivi en septembre 20232. Ils permettent l'infiltration des agents du Mossad et le soutien des opérations clandestines en territoire iranien, ce qui s'est vérifié durant la guerre des douze jours contre l'Iran. On l'aura compris, l'Azerbaïdjan pourrait, en cas de nouveau conflit direct entre Israël et l'Iran, servir de base logistique ou de voie de repli pour des chasseurs-bombardiers israéliens.

Un commerce bilatéral en plein essor

En 2023, l'ouverture de l'ambassade d'Azerbaïdjan en Israël a été suivie de forums économiques bilatéraux visant à diversifier les échanges au-delà du pétrole et de la défense. Ils avaient également pour objectif d'attirer des investissements israéliens dans les zones reconquises du Karabagh, ainsi que de développer une coopération dans les domaines de la sécurité alimentaire, du climat, de l'énergie solaire et de l'innovation. Pour compenser le déséquilibre de la balance commerciale, les deux pays ont augmenté leurs échanges. Sur la période 2022-2024, le commerce bilatéral a oscillé entre 1,2 et 1,7 milliard de dollars (entre 1 et 1,4 milliard d'euros) par an.

La crise alimentaire mondiale liée au conflit russo-ukrainien a conduit Israël à se tourner à nouveau vers son partenaire caucasien pour éviter le risque d'insécurité alimentaire. En effet, Israël connait une dépendance accrue aux importations de blé. Il n'en a produit que 116 691 tonnes en 2020, alors que le pays en consommait 1 900 000 tonnes la même année.

L'Azerbaïdjan, lui, a récolté 1 818 665 tonnes de blé en 2020. Une quantité non négligeable, mais insuffisante pour se lancer dans l'exportation, car le pays n'est toujours pas autosuffisant en termes d'alimentation — il ne se couvrait qu'à hauteur de 60 % en 2022. Il n'empêche que Bakou ambitionne de récolter assez de blé pour satisfaire la demande intérieure et dégager des surplus pour l'export.

Pour faire avancer ce projet, Israël a annoncé en 2022 son intention de fournir à l'Azerbaïdjan des technologies agricoles avancées en matière d'irrigation, de stockage et d'optimisation des cultures, en particulier pour le blé, avec l'objectif que, dès 2025, Israël puisse acheter une partie de la production. Par ailleurs, des médias israéliens ont fait état en avril 2025 du lancement des premières exportations agricoles d'Israël vers l'Azerbaïdjan.

Israël fournit également des systèmes d'irrigation de précision utilisés dans les zones rurales azerbaïdjanaises qui souffrent d'un stress hydrique croissant provoqué par le réchauffement climatique, la salinisation et la pollution des sols.

Grand jeu géopolitique

N'en déplaise aux chrétiens évangéliques étatsuniens et aux catholiques identitaires européens, fervents partisans du sionisme dans sa version suprémaciste, le facteur religieux ne joue qu'un rôle marginal dans ce grand jeu géopolitique qui se redessine sous nos yeux. L'Azerbaïdjan est certes un pays à majorité chiite : environ 65 à 75 % de la population appartient au courant du chiisme duodécimain (aussi appelé chiisme imâmite comme en Iran), contre 25 à 35 % de sunnites de rite hanafite.

Mais le régime de Bakou reste farouchement attaché à une forme de laïcité héritée de l'ère soviétique et qui est perçue d'un mauvais œil par le grand frère turc. En effet, depuis les années 2000, le Parti de la justice et du développement (AKP), le parti de l'actuel président turc Recep Tayyip Erdoğan, mène une offensive contre la laïcité kémaliste dans ses propres frontières.

Par ailleurs, il existe en Iran une population d'ethnie azérie dont le chiffre oscille entre 15 à 20 millions de personnes, regroupées dans les provinces septentrionales de l'Azerbaïdjan iranien ; soit quasiment le double de la population de la république d'Azerbaïdjan (autour de 10 millions d'habitants). Bakou craint et combat le prosélytisme chiite venu d'Iran tandis que Téhéran redoute l'irrédentisme panazéri qu'il perçoit comme un projet panturquiste d'encerclement.

Si l'Iran avait soutenu le droit de Bakou à recouvrir son intégrité territoriale lors du conflit de 2020 contre les Arméniens du Haut-Karabagh, à présent il s'oppose farouchement au projet d'établir un corridor extraterritorial dans le sud de l'Arménie pour opérer une jonction avec son enclave du Nakhitchevan qui dispose d'une étroite frontière avec la Turquie.

D'où le soutien diplomatique constant accordé par Téhéran à la petite Arménie exsangue et enclavée. Un soutien sans commune mesure à celui accordé par Israël à l'Azerbaïdjan, étant donné que les relations arméno-iraniennes n'impliquent pas d'aide militaire. En 2021, puis en 2022, l'Iran avait organisé des manœuvres militaires importantes près de la frontière azerbaïdjanaise, avec des messages explicites adressés à Bakou. Mais depuis les frappes israéliennes menées contre son territoire (2024-2025), Téhéran peine à maintenir le même degré de dissuasion, faisant craindre le pire à l'Arménie, dont le lâchage du protecteur russe en 2022 et 2023 bouleverse totalement son architecture de sécurité.

Appel à rejoindre les accords d'Abraham

Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, une campagne s'est intensifiée, tant aux États-Unis qu'en Israël, pour intégrer l'Azerbaïdjan aux accords d'Abraham. Le Centre Begin-Sadat, influent think tank israélien, estime que Bakou serait un ajout idéal à ce club. Selon lui, « le “modèle azerbaïdjanais” de relations avec Israël peut servir de précédent pour d'autres pays à majorité musulmane » et non arabes « qui souhaitent adhérer aux accords d'Abraham ».3 Plusieurs rabbins influents, menés par le fondateur du Centre Simon-Wiesenthal de Los Angeles, Marvin Hier, et le principal rabbin des Émirats arabes unis, Eli Abadie (qui se trouve être un proche collaborateur de Jared Kushner, gendre de Donald Trump, lui-même déterminant dans l'élaboration des accords d'Abraham), ont également adressé une lettre au président américain, relayée par le Wall Street Journal et Forbes, pour promouvoir l'inclusion de Bakou dans ces accords.

Le véritable objectif de l'adhésion de l'Azerbaïdjan aux accords d'Abraham semble être d'intégrer les États-Unis à l'alliance bilatérale entre Tel-Aviv et Bakou. Le cabinet du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a d'ailleurs annoncé qu'Israël cherchait à « établir des bases solides pour une collaboration trilatérale » avec les États-Unis et l'Azerbaïdjan. Dans une tribune publiée le 14 mars 2025 dans le Wall Street Journal, deux analystes conservateurs, Seth Cropsey et Joseph Epstein, ont expliqué qu'une telle alliance permettrait d'accroître significativement la pression sur la frontière nord de l'Iran4. Cela pourrait aussi encourager Bakou à adopter une position plus hostile à l'égard de l'Iran.

Placer l'Azerbaïdjan à l'avant-garde de la coalition anti-iranienne vise également à galvaniser l'importante population azérie d'Iran. Les néoconservateurs américains et leurs think tanks radicaux, comme la Fondation pour la défense des démocraties et l'Institut Hudson, ainsi que leurs homologues israéliens, plaident depuis longtemps pour encourager les minorités ethniques et religieuses iraniennes, y compris les Azéris, à se soulever contre le régime de Téhéran.

Cependant, un obstacle empêche la pleine réalisation de ce projet : l'article 907 de la loi sur le soutien à la liberté (Freedom Support Act). Promulgué par le Congrès américain en 1992 dans le contexte de la première guerre du Haut-Karabagh (février 1988 — mai 1994) à la demande des groupes de pression américano-arméniens, il interdit l'aide et les ventes d'armes étatsuniennes à l'Azerbaïdjan. Les soutiens israéliens et étatsuniens de l'Azerbaïdjan affirment que l'annonce d'un « accord de paix » imminent entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan constitue une bonne raison d'abroger l'article 907.

Certes, après la signature le 8 août 2025 d'une déclaration commune entre l'Arménie, l'Azerbaïdjan et les États-Unis lors d'un sommet à Washington, le président arménien Nikol Pachinian a reconnu une « paix désormais établie », dans un discours diffusé le 18 août, assumant, au nom du pragmatisme, les concessions territoriales unilatérales faites à Bakou. Mais le texte de l'accord ne mentionne pas les sujets qui fâchent entre les deux pays voisins, Bakou ne cessant de modifier les règles du jeu, multipliant les conditions et les revendications.

Plus inquiétant encore : la partie azerbaïdjanaise a intensifié ses messages selon lesquels l'Arménie préparerait activement « une guerre de vengeance ». Les affirmations sans preuve de Bakou semblent d'autant plus défier le bon sens que l'équilibre des forces dans la région suggère fortement qu'Erevan n'est pas en mesure de défier militairement un Azerbaïdjan soutenu par la Turquie et Israël. Cette stratégie pourrait s'expliquer par une volonté de maximiser sa domination actuelle pour exiger de nouvelles concessions territoriales d'Erevan, et ensuite imputer à l'Arménie la responsabilité de l'échec des pourparlers de paix.

Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev revendique en effet depuis longtemps le Siounik, province méridionale de l'Arménie, comme terre ancestrale azérie, et s'est engagé à la « récupérer ». Cette demande n'est toutefois pas abordée dans le projet d'accord de paix actuel.

Carte du Haut-Karabakh, montrant limites et zones de conflit entre Arménie et Azerbaïdjan.

Reconnaissance de la Palestine

En réponse à la politique pro-azerbaïdjanaise de Tel-Aviv, l'Arménie a reconnu l'État de Palestine en juin 2025. Vu d'Erevan, Israël demeure insensible au discours de la promotion de la démocratie dans un espace proche-oriental rongé par l'autoritarisme. Israël n'avait jusque-là pas reconnu la réalité génocidaire de l'extermination des Arméniens de l'Empire ottoman. Une frange extrémiste s'appuie sur l'unicité absolue du génocide juif, pour qui toute reconnaissance du génocide de 1915 diluerait la gravité des crimes nazis, tandis que le pouvoir israélien s'en sert cyniquement comme une carte agitée à chaque regain de tension avec la Turquie, soutien du Hamas.

Mais le 26 août 2025, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a reconnu pour la première fois le génocide des Arméniens. Cela s'est passé au cours d'un échange diffusé dans le podcast PBD, animé par le journaliste étatsunien d'origine assyrienne Patrick Bet-David. Interrogé sur le fait qu'Israël n'avait jamais officiellement reconnu l'extermination des Arméniens, ainsi que les massacres des Assyriens et des Grecs pontiques, Nétanyahou a répondu : « En fait, je pense que nous l'avons fait, car je crois que la Knesset a voté une résolution en ce sens. Mais si vous me demandez personnellement, oui, je le fais. » Ce propos n'équivaut toutefois pas à une reconnaissance officielle par Tel-Aviv, le parlement n'ayant pas à ce jour voté une loi ni une résolution attestant du caractère génocidaire de l'extermination des Arméniens pendant la Première Guerre mondiale.

Sur le plan bilatéral arméno-israélien, il n'y a toujours pas d'ambassade d'Israël à Erevan, son représentant diplomatique résidant à Tbilissi, capitale de la Géorgie. Par ailleurs, les relations entre le gouvernement d'extrême droite israélien et la petite communauté chrétienne de Palestine sont extrêmement tendues à mesure que cette dernière s'oppose à la politique de judaïsation du quartier arménien de Jérusalem menée par des promoteurs immobiliers juifs israéliens. Et l'on ne compte plus les actes de racisme anti-arabes, qui visent aussi bien chrétiens que musulmans, en Cisjordanie, œuvre de colons fanatiques.

Parallèlement, il existe en Israël une partie non négligeable de la communauté juive issue de l'Azerbaïdjan post-soviétique qui, épaulée par Bakou, pilote des actions de lobbying redoutables dans les médias de droite et dans l'opinion publique israélienne. Elle organise notamment des voyages de rabbins en Azerbaïdjan, « terre de tolérance » où vivrait en toute sérénité une communauté juive ancestrale, qualifiant les Arméniens d'« antisémites ».

Une réalité géopolitique que les amis d'Israël dans la diaspora, souvent en bons termes avec les communautés arméniennes, tentent de masquer derrière le paravent confortable de la realpolitik. Face à cette montée des confessionnalismes, quelques voix en Israël rappellent à leurs dirigeants ce devoir moral, à l'instar de l'historien Israël Charny (1931-2024), pionnier dans l'étude des génocides, et Yaïr Auron, auteur d'un ouvrage de référence sur Israël et le génocide arménien5. Mais la solidarité des naufragés de l'Histoire demeure à ce jour subordonnée à la froide réalité des rapports de forces géopolitiques.

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1Nom que les Arméniens donnent à la République du Haut-Karabagh.

2NDLR. La population du Haut-Karabakh était estimée à 120 000 personnes, majoritairement arménienne. Cette majorité prédominante a été derrière la création de la république d'Artsakh, un État séparatiste établi en 1991. Après la prise de contrôle du territoire par les troupes azerbaïdjanaises le 19 septembre 2023, et la signature du cessez-le-feu le lendemain, 100 000 personnes ont quitté l'enclave montagneuse, soit la quasi-totalité de sa population.

3Vladimir (Ze'ev) Khanin et Alexander Grinberg, «  Why Azerbaijan Perfectly Fits Into the Abraham Accords Framework : Clarifications  », Centre Begin-Sadat, 15 mars 2025.

4Seth Cropsey et Joseph Epstein, «  Azerbaijan Is Israel's New Friend in the Muslim World  », Wall Street Journal, 14 mars 2025.

5Yaïr Auron, Israël et le génocide arménien, Éditions Sigest, 2017

01.09.2025 à 06:00

Gaza. Le retour du Hamas à la tactique de la guérilla

Leïla Seurat
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Malgré la poursuite des bombardements sur Gaza, les lourdes pertes et l'assassinat de nombre de ses dirigeants, le Hamas a réussi à reconstituer ses forces. L'adaptation de ses tactiques à un combat urbain que l'organisation maîtrise rend difficile pour les troupes israéliennes l'occupation de la bande, malgré leur nette supériorité militaire. Le 18 août 2025, le Hamas a accepté une nouvelle proposition de cessez-le-feu à Gaza. L'accord soumis par l'Égypte et le Qatar reprenait largement (…)

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Malgré la poursuite des bombardements sur Gaza, les lourdes pertes et l'assassinat de nombre de ses dirigeants, le Hamas a réussi à reconstituer ses forces. L'adaptation de ses tactiques à un combat urbain que l'organisation maîtrise rend difficile pour les troupes israéliennes l'occupation de la bande, malgré leur nette supériorité militaire.

Le 18 août 2025, le Hamas a accepté une nouvelle proposition de cessez-le-feu à Gaza. L'accord soumis par l'Égypte et le Qatar reprenait largement les propositions antérieures des États-Unis — qu'Israël avait d'abord soutenues, sans les approuver. Il prévoyait la libération de dix des 20 otages israéliens encore en vie, en échange d'une trêve de 60 jours. Contrairement aux propositions précédentes, le Hamas n'a demandé aucune modification du document et l'a accepté en quelques heures. Jusqu'à présent, Israël n'a pas donné suite à cette offre.

Changement de tactique

De nombreux observateurs ont interprété cette approbation immédiate par la partie palestinienne comme une marque de faiblesse, voire de désespoir. Selon cette lecture, au terme de près de deux années de bombardements et de siège incessants menés par Israël sur Gaza, l'assassinat des principaux dirigeants du Hamas et les attaques massives contre ses alliés dans la région, y compris l'Iran et le Hezbollah, le Hamas aurait désormais très peu de cartes en main.

Néanmoins, l'acceptation rapide de l'accord pourrait être autant une manœuvre stratégique qu'un signal de détresse. Certes, l'organisation politique du Hamas a subi de lourdes pertes et son autorité sur Gaza en ruines est fragile. Pourtant, malgré la destruction croissante, ses combattants sont demeurés actifs. Depuis le printemps 2025, ils ont intensifié les attaques contre les forces israéliennes à travers la bande, y compris une offensive de grande ampleur contre une base israélienne le 20 août, ainsi que d'autres opérations en juin et juillet ayant tué plusieurs soldats israéliens. Dans le même temps, ils ont accru leur coordination avec d'autres groupes armés à Gaza et renforcé leurs rangs, alors que la famine s'est généralisée au sein de la population.

Espoirs déçus

La résilience du Hamas repose sur une évolution de son approche de la guerre, qui a encore relevé les enjeux. Elle pourrait transformer la nouvelle campagne israélienne visant à s'emparer de Gaza-ville en un désastre militaire autant qu'humanitaire.

Pour comprendre la stratégie de survie du Hamas, il est nécessaire de retracer la mutation de ses objectifs. Lorsqu'elle a ordonné ses attaques du 7 octobre, la direction du Hamas à Gaza pensait que l'opération entraînerait rapidement ses alliés régionaux dans la guerre et provoquerait un soulèvement généralisé des Palestiniens, voire du public arabe. En somme, elle s'attendait à une répétition en plus grand de mai 2021, lorsque la confiscation par Israël de maisons palestiniennes à Jérusalem-Est avait déclenché une réponse collective sans précédent : soulèvements en Cisjordanie et dans des villes israéliennes, tirs de roquettes du Hezbollah et d'autres alliés depuis le Liban et la Syrie et barrage massif de roquettes par le Hamas depuis Gaza. Le 7 octobre devait reproduire cette « union des fronts », mais à une échelle bien plus large.

Au terme de près de 700 jours de guerre, ces objectifs sont déçus. À la suite de l'attaque unilatérale du Hamas depuis Gaza, les Palestiniens d'Israël ne se sont guère mobilisés, tandis que ceux de Cisjordanie ont été soumis à une répression israélienne intense. La plupart des alliés régionaux du Hamas sont restés en retrait. Le Hezbollah, malgré son arsenal puissant au Sud-Liban, a cherché à contenir plutôt qu'à élargir le conflit ; puis, en septembre 2024, il a été décapité par l'« opération bipeurs » israélienne. En décembre 2024, [la chute du régime de Bachar Al-Assad a coupé des routes d'approvisionnement militaires cruciales.

L'effondrement de ces fronts extérieurs s'est ajouté aux difficultés rencontrées à Gaza. Après la rupture du cessez-le-feu en mars 2025, Israël a d'abord concentré ses efforts sur les bombardements aériens, limitant les incursions terrestres. L'absence de combats urbains a empêché le Hamas de prendre l'initiative, le réduisant souvent au rôle de spectateur impuissant face aux massacres. Entre-temps, Israël a réoccupé une grande partie de la bande. Associée au blocus total de l'aide imposé en mars 2025, cette nouvelle offensive israélienne a aggravé la détresse de la population.

Réévaluation tactique

Les forces du Hamas ont alors changé d'approche. Le 20 avril 2025, un petit groupe de combattants a organisé une embuscade depuis un tunnel à Beit Hanoun, dans le nord de Gaza, dans une « zone tampon » contrôlée par Israël. Utilisant des lance-roquettes et des bombes artisanales, ils ont renversé un véhicule militaire israélien, tué un soldat et blessé plusieurs autres. Depuis, des groupes similaires ont multiplié ces actions à travers la bande. Le 24 juin, les Brigades Al-Qassam, la branche armée du Hamas, ont tué sept soldats israéliens à Khan Younès, dans le sud de l'enclave. Le 7 juillet, encore à Beit Hanoun, ils ont attaqué un convoi de chars à quelques mètres de la frontière, tuant cinq soldats et en blessant quatorze. Le 15 juillet, à Jabaliya, toujours dans le nord, trois autres soldats ont été tués dans une embuscade visant une équipe d'ingénieurs israéliens. Le 22 juillet, à Deir El-Balah, une opération a ciblé un convoi militaire et un char de combat Merkava.

Ces attaques se sont intensifiées et ont gagné en audace. Mi-août, alors que l'armée israélienne reprenait ses incursions dans les zones résidentielles, les opérations du Hamas se multipliaient à l'est de Gaza-ville, notamment dans les quartiers de Tuffah, Zaytoun et Chajaya. Le 20 août, 18 combattants ont mené une attaque coordonnée contre un campement militaire israélien à Khan Younès, utilisant des roquettes et des mitrailleuses à courte portée — une opération d'ampleur, possiblement destinée à capturer des soldats, qui a exigé une préparation et une coordination considérables.

Ces actions s'inscrivent dans une réévaluation tactique du Hamas, qui cherche à transformer les objectifs élargis d'Israël en autant d'opportunités. Malgré la supériorité militaire écrasante de l'État israélien, l'organisation mise sur la guerre asymétrique et la détermination de ses combattants. Alors qu'Israël réduisait ses incursions urbaines, elle a commencé à cibler les soldats dans les « zones tampons ».

Comme l'ont reconnu des responsables israéliens, le Hamas a reconstitué ses forces, même dans des secteurs que l'armée pensait avoir « nettoyé ». Aujourd'hui, alors qu'Israël cherche à s'emparer de larges portions de Gaza-ville, il doit affronter une guérilla urbaine dans un terrain connu par cœur du Hamas. Ces tactiques pourraient être particulièrement efficaces dans le labyrinthe des ruines de Gaza-ville, où le Hamas dispose encore d'un vaste réseau et où Israël avait jusqu'ici évité des incursions majeures.

Une autre forme de puissance

En dépit de l'isolement extérieur et de la pression croissante, les combattants du Hamas ont fait preuve d'une étonnante capacité de résistance. La faculté du mouvement à renouveler ses effectifs est une caractéristique ancienne : il a toujours réussi à garder un ancrage fort dans la société palestinienne malgré de lourdes pertes. La guerre actuelle ne fait pas exception. La mort de dirigeants majeurs — Yahya Sinouar, chef du Hamas à Gaza et cerveau des attaques du 7 octobre ; Mohammed Deif, chef militaire ; et Marwan Issa, son adjoint — n'a eu que peu d'impact visible sur sa capacité opérationnelle.

Le nombre exact de combattants reste flou. Mi 2024, Israël affirmait que 17 000 militants avaient été tués depuis octobre 2023, dont « la moitié de la direction » militaire. Mais en mai 2025, des sources israéliennes reprises dans une base de données révélée par The Guardian et le magazine en ligne +972 reconnaissaient seulement la mort de 8 900 combattants (du Hamas et du Jihad islamique) nommément identifiés. Des services américains estimaient même que le Hamas avait pu recruter jusqu'à 15 000 nouveaux combattants depuis le début de la guerre. Si ces chiffres sont corrects, plus de 80 % des 53 000 morts recensés en mai 2025 depuis octobre 2023 sont donc des civils1.

Paradoxalement, l'escalade israélienne nourrit la résilience du Hamas. Le désespoir croissant des civils de Gaza a provoqué des protestations anti-Hamas, notamment après le blocus total de l'aide en mars. L'organisation palestinienne a tantôt toléré ces manifestations, tantôt les a réprimées. Mais Israël a aussi cherché à exacerber les divisions en armant une milice anti-Hamas à Rafah dirigée par Yasser Abou Shabab, un trafiquant notoire évadé de prison et qui a des liens avec le Fatah. Selon l'ONU, cette milice détourne des convois d'aide, alimentant l'idée que le Hamas volerait la nourriture — une stratégie de division qui vise à préparer le « jour d'après » à Gaza.

Cependant, cette approche a aussi renforcé la résistance populaire : de nombreux Gazaouis perçoivent désormais la guerre comme une entreprise d'extermination. L'impopularité de la milice d'Abou Shabab est telle que sa propre famille a demandé sa mort. Dans le même temps, de jeunes Palestiniens non formés rejoignent de plus en plus les Brigades Al-Qassam pour mener des actions de guérilla. Malgré les bombardements et la fragmentation du territoire, la capacité d'action armée n'est pas éradiquée.

Un autre atout essentiel du Hamas reste son réseau de tunnels. Même après des mois de bombardements et l'usage de technologies avancées, Israël n'a pas réussi à détruire cet « État souterrain », qui permet de cacher des otages, de protéger les combattants et de lancer des attaques. Cette incapacité est la marque de l'asymétrie du conflit : d'un côté, des systèmes d'armement sophistiqués et coûteux, de l'autre, des roquettes artisanales et des tunnels.

Isolé, mais pas seul

Bien que le Hamas ait espéré un soutien régional après le 7 octobre, son organisation à Gaza a toujours agi de manière autonome. Le groupe n'a pas partagé les détails de l'attaque avec ses alliés de l'« axe de résistance » et en a été manifestement le seul instigateur. En compensation, il a resserré ses liens avec d'autres factions à Gaza, notamment le Jihad islamique avec lequel il collabore depuis longtemps. Leur salle des opérations communes, créée en 2006, coordonne désormais une douzaine d'organisations palestiniennes.

Récemment, des fissures sont néanmoins apparues dans cette coalition : certaines factions ont demandé au Hamas de mettre fin à la guerre et critiqué sa lenteur à accepter un cessez-le-feu — ce qui pourrait expliquer l'acceptation immédiate de la proposition du 18 août 2025. Mais la détermination à continuer le combat reste partagée : pour les Brigades Al-Qassam, seule la pression militaire pourra forcer le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à accepter un cessez-le-feu durable.

Israël entre le Hamas et l'enclume

Après deux ans de guerre, les forces et faiblesses du Hamas sont presque l'inverse de celles d'Israël. Celui-ci dispose d'immenses ressources militaires, mais peine à mobiliser assez de troupes pour son invasion de Gaza-ville ; le Hamas, malgré des pertes massives, continue de recruter. Tandis qu'il intensifie ses opérations, Israël perd davantage de soldats au sol et rencontre des difficultés à faire venir ses réservistes.

La proposition de cessez-le-feu du 18 août n'était pas nouvelle. Inspirée d'un plan antérieur de l'émissaire étatsunien Steve Witkoff, elle prévoyait un retrait total des troupes israéliennes et permettait à Israël de reprendre la guerre au terme de deux mois de halte. Le Hamas avait déjà accepté des versions similaires auparavant. Nétanyahou, cependant, aborde ces propositions non comme des négociations, mais comme un moyen d'obtenir par la politique ce qu'Israël n'a pu obtenir par la force. Fin août, il a exigé un accord « tout ou rien » que les médiateurs jugent irréalisable.

Nétanyahou tente désormais de pousser l'armée à entrer dans les tunnels de Gaza-ville, malgré l'opposition des responsables militaires qui estiment qu'une telle opération prendrait plus d'un an et serait extrêmement dangereuse. Faute d'avoir atteint ses objectifs contre le Hamas, Israël a intensifié ses attaques au Liban, en Syrie, au Yémen et même contre l'Iran, pour détourner l'attention de son échec à Gaza. Ainsi se creuse un gouffre entre l'image de la guerre que le gouvernement israélien veut projeter et la réalité sur le terrain.

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Traduit de l'anglais par Laurent Bonnefoy et reproduit avec l'autorisation de Foreign Affairs.

Cet article a été initialement publié le 26 août 2025 sous le titre « The New Hamas Insurgency. How the Embattled Group Is Drawing Israel Further Into an Unwinnable War ».
© 2025 Foreign Affairs


1Yuval Abraham, «  Israeli army database suggests at least 83% of Gaza dead were civilians  », +972 Magazine, 21 août 2025.

01.09.2025 à 06:00

Au rythme où les journalistes sont tués à Gaza par l'armée israélienne, il n'y aura bientôt plus personne pour vous informer.

Avaaz, Reporters sans frontières
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Texte intégral (2805 mots)
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