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02.09.2025 à 16:11
L’Égypte face à la guerre à Gaza : un délicat jeu d’équilibre
Texte intégral (3747 mots)
Depuis plusieurs années, l’Égypte – qui a récemment annoncé que le Hamas avait accepté une proposition de cessez-le-feu négociée au Caire – joue un rôle d’intermédiaire dans le conflit à Gaza. Seul pays arabe partageant une frontière avec l’enclave palestinienne, l’Égypte poursuit des objectifs stratégiques combinant enjeux sécuritaires et contraintes domestiques – des objectifs mis sous tension par la politique expansionniste d’Israël. Faute de solution diplomatique, la situation à Gaza pourrait avoir des conséquences imprévisibles pour le régime d’Abdel Fattah Al-Sissi, dont les options, face à son opinion publique, restent limitées pour éviter l’accusation d’indifférence et masquer son impuissance face à Tel-Aviv.
Le 18 août dernier, l’annonce d’un cessez-le-feu accepté par le Hamas, négocié au Caire sur les bases d’un plan des États-Unis, a mis en lumière le rôle de médiateur tenu par les autorités égyptiennes dans la guerre menée par Israël à Gaza.
Ce rôle demeure essentiel, même si l’action du Qatar a souvent été plus médiatisée, du fait de la proximité de l’émirat avec le Hamas.
Un rôle clé et historique de médiateur
Sans remonter à la création de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ni aux accords de paix égypto-israéliens de 1979, Le Caire est de longue date un acteur incontournable du conflit israélo-palestinien grâce à sa capacité de négociation entre Israël et les Palestiniens. L’Égypte de Hosni Moubarak (1981-2011) a joué un rôle majeur dans la plupart des accords conclus entre l’OLP et Israël après Oslo (1993) et a été active pour maintenir un canal de discussion avec Israël pendant la seconde Intifada (2000-2005).

Après la victoire du Hamas aux législatives palestiniennes de 2006 et la prise de Gaza en 2007 par ce dernier, l’Égypte intervient dans les négociations bilatérales aussi bien entre le Hamas et le Fatah qu’entre le Hamas et Israël, lors des conflits de 2008-2009, de 2012, de 2014 et de 2021, dont les victimes sont majoritairement des civils.
L’accession au pouvoir d’Abdel Fattah Al-Sissi en 2014, après le renversement du président Mohamed Morsi (2013), issu des Frères musulmans, suscite des tensions avec le Hamas, proche du mouvement islamiste. Des ajustements ont été nécessaires, mais les services de renseignement égyptiens ont maintenu une liaison discrète avec le Hamas et ont continué à exercer des missions de médiation avec Israël ou avec l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas.
Depuis le 7 octobre 2023, aux côtés du Qatar et des États-Unis (seul acteur à même de faire pression sur Israël), l’Égypte est à nouveau au cœur des négociations, que celles-ci se déroulent à Doha ou au Caire. Un premier accord sous le parrainage des trois États avait été trouvé en janvier 2025. Préalablement, en décembre 2024, l’Égypte avait négocié un accord entre le Fatah et le Hamas pour ériger une administration autonome à l’issue de la guerre.
Une ligne rouge face à l’expansionnisme israélien ?
Au cours des derniers jours, face à la politique expansionniste d’Israël, l’Égypte a multiplié les déclarations sur la situation de Gaza. Les autorités du Caire se sont dites favorables à la mise en place d’une force d’interposition internationale mandatée par l’ONU, tout en démentant la rumeur selon laquelle elles auraient proposé un transfert des armes du Hamas vers l’Égypte.
À Rafah (Égypte), dans une interview à CNN, le ministre des affaires étrangères Badr Abdelatty a réaffirmé le rejet d’un déplacement massif des Palestiniens, ce qu’il a qualifié de « ligne rouge ».
Plus tôt, le président Al-Sissi avait franchi un cap rhétorique en dénonçant une « guerre de famine et de génocide » et réitéré son refus de tout projet de déplacement. L’Égypte soutient par ailleurs la plainte sud-africaine devant la Cour internationale de justice pour violation de la Convention sur le génocide, sans rejoindre les parties prenantes.
Ces déclarations interviennent dans un double contexte de blocage des négociations et d’accélération des opérations israéliennes, avec, à la clé, des ambitions territoriales israéliennes qui pourraient signifier la fin de toute possibilité d’une solution à deux États et un déplacement massif de population en dehors de Palestine, en particulier vers l’Égypte.
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Le cessez-le-feu négocié au Caire par des médiateurs égyptiens et qatariens reprenait dans les grandes lignes le plan de l’envoyé spécial de Donald Trump, Steve Witkoff, et traduit donc une réelle avancée par rapport à la situation début juin, quand les États-Unis avaient refusé, conjointement avec Israël, la proposition formulée par le Hamas pour mettre en œuvre une trêve. Une avancée qui, pour autant, ne se traduit pas par un déblocage : une semaine plus tard, Israël n’a pas encore répondu à la proposition des négociateurs.
L’annonce du cessez-le-feu accepté par le Hamas intervient en outre alors que le cabinet de sécurité israélien a validé, le 8 août, un plan visant à prendre le contrôle de Gaza et que l’ONU, après plusieurs alertes, a déclaré l’état de famine dans la bande de Gaza. Les différentes déclarations égyptiennes font aussi écho à la vision d’un « Grand Israël » récemment mise en avant par Benyamin Nétanyahou et qui renvoie aux frontières bibliques d’Israël incluant des territoires actuellement jordaniens, libanais et syriens, ainsi qu’une partie du Sinaï.
L’idée de déplacer la population palestinienne en dehors de Gaza n’est pas nouvelle même si elle était plutôt marginale jusqu’à présent. Dernièrement, Nétanyahou a publiquement envisagé de délocaliser les Gazaouis dans les pays arabes ou en Afrique (des tractations en ce sens ont été évoquées plusieurs fois).
Le Sinaï, un enjeu sécuritaire clé pour l’Égypte
L’Égypte, qui partage avec l’enclave palestinienne une frontière de 14 kilomètres, le « couloir de Philadelphie », est également un acteur sécuritaire parce qu’elle joue un rôle clé, presque au sens propre, dans le blocus exercé par Israël sur la bande de Gaza (à la fois en ce qui concerne son maintien et/ou son allègement).
À cet égard, l’Égypte d’Abdel Fattah Al-Sissi n’est pas épargnée par les critiques qui dénoncent son inaction alors que, de l’autre côté de la frontière, la guerre menée par Israël s’apparente de plus en plus à une épuration ethnique, sinon à un génocide.
Les griefs sont nombreux et concernent notamment le blocage des ravitaillements au passage de Rafah en territoire palestinien, le traitement sécuritaire réservé aux réfugiés gazaouis – environ 100 000 Palestiniens ont trouvé refuge en Égypte depuis le début de la guerre, en payant des frais élevés à la compagnie Hala, qui s’est spécialisée dans la « coordination » du passage de Rafah – ou encore la gestion sécuritaire des manifestations pro-Gaza, au Caire comme dans le Sinaï.
Rappelons que l’Égypte a administré Gaza de 1948 à 1967, avant que la bande tombe sous contrôle israélien. Depuis, la posture du Caire vis-à-vis de Gaza a toujours été profondément influencée par la situation au Sinaï, grande zone désertique où se trouve la frontière entre l’Égypte et Gaza.
Occupé par Israël en 1967 à l’issue de la guerre des Six-Jours (en même temps, donc, que la bande de Gaza), le Sinaï a été récupéré par l’Égypte en 1982. Territoire sous-développé et sous-doté en infrastructures, le Sinaï est, depuis des décennies, une zone de trafics entre l’Égypte, Israël et Gaza.
Après 2011, un mouvement djihadiste local, rallié en 2014 à l’État islamique, y a prospéré, avant d’être progressivement endigué par l’armée égyptienne au terme d’une « sale guerre » qui a fait plusieurs milliers de victimes (plus de 3 200 morts parmi les forces de sécurité, le nombre de victimes civiles n’étant pas connu). Sissi a proclamé la victoire en 2023, les opérations ayant pris fin entre 2019 et 2020.
Pour Le Caire, la gestion de Gaza est avant tout sécuritaire. Il s’agit de contenir les trafics, d’empêcher l’infiltration de groupes armés plus radicaux que le Hamas, dont le plus actif est le Djihad islamique, et d’éviter un afflux de réfugiés palestiniens, du fait de son incapacité logistique à organiser un tel accueil. Au-delà de la question logistique, les dirigeants égyptiens redoutent une situation qui se transformerait en état de fait. Ils ont à l’esprit les précédents libanais et jordanien, où l’installation de réfugiés palestiniens a débouché sur les événements de Septembre noir au royaume hachémite et sur la guerre civile au Pays du cèdre.
Cette position est ancienne&. En 2008 déjà, l’entrée par la force de milliers de Palestiniens dans le Sinaï avait été perçue comme une transgression de la souveraineté nationale, dont la répétition est à éviter « à tout prix ».
Pour autant, l’Égypte se défend de participer au blocus ou d’être inactive face au drame vécu par les Palestiniens. Le président Sissi a apporté lui-même une réponse à ces reproches, rappelant que c’est Israël qui a bombardé à plusieurs reprises le passage de Rafah et qui contrôle le côté palestinien de Rafah.
Israël, qui s’est retiré de Gaza en 2005, a repris le contrôle du couloir de Philadelphie en mai 2024. Les médias égyptiens, reprenant les éléments de langage du gouvernement, mettent en avant les convois humanitaires envoyés depuis l’Égypte : plus de 45 000 camions, soit 70 % de l’aide humanitaire, auraient ainsi ravitaillé Gaza depuis octobre 2023 (sachant que le passage ne peut se faire qu’avec l’accord d’Israël et à ses conditions en termes de sécurité).
Entre contraintes externes et pressions internes
Sur la question palestinienne, l’Égypte défend l’établissement d’un État palestinien dans le cadre d’une solution à deux États. Il s’agit d’un positionnement historique, défini par Anouar El-Sadate dans son discours à la Knesset en novembre 1978.
Il se traduit par des actions diplomatiques mais, depuis 2008, chaque guerre israélienne à Gaza met en lumière la portée limitée de l’engagement égyptien. Or, pour Sissi, cet engagement comporte des contraintes domestiques. La situation désespérée des Gazaouis trouve un large écho en Égypte comme dans toute la région et suscite un fort sentiment de solidarité.
Ici aussi, le gouvernement égyptien est pris dans ses contradictions. Pour bon nombre d’Égyptiens, le Hamas n’est pas tant un mouvement terroriste qu’un mouvement de résistance à Israël : d’ailleurs, même Le Caire ne l’a pas classé comme organisation terroriste, contrairement aux Frères musulmans égyptiens.
D’un côté, les autorités égyptiennes répriment toute manifestation qu’elles n’organisent pas elles-mêmes et qui pourrait remettre en cause le régime. Une méfiance à l’égard de la rue qui renvoie à l’importance des mobilisations de soutien aux Palestiniens dans la trajectoire militante qui a conduit à la révolution de 2011. D’un autre côté, le président et le gouvernement doivent prendre en compte la sensibilité de l’opinion publique et montrer qu’ils ne sont pas impuissants. À cet égard, accepter le déplacement des Palestiniens dans le Sinaï ferait d’eux des complices aux yeux des Égyptiens.
Quoi qu’il en soit, le rôle de l’Égypte paraît difficilement pouvoir aller au-delà d’une aide humanitaire et des négociations diplomatiques. La paix avec Israël demeure un pilier de la politique étrangère égyptienne. Le Caire ne mettra pas en danger sa relation bilatérale avec Israël au point de menacer d’entrer en conflit armé avec ce dernier.
Pas uniquement pour des raisons économiques, ou parce qu’une partie des approvisionnements en gaz de l’Égypte dépend d’Israël – même si ceux-ci peuvent représenter un levier. Sur beaucoup d’aspects, l’alliance avec Israël est cruciale pour Sissi : au-delà du soutien qu’a pu lui apporter Nétanyahou en plaidant sa cause à Washington après le putsch contre Morsi (2013), l’État hébreu est un partenaire économique, mais également un partenaire sécuritaire pour lutter contre les groupes djihadistes encore présents dans le Sinaï. Si des lignes rouges sont énoncées, aucune réelle menace n’a été proférée.
Pour autant, des rumeurs émanant de sources gouvernementales avaient circulé en février 2024 : elles évoquaient la menace d’une suspension du traité de paix en cas d’invasion israélienne de Rafah. Las, les troupes israéliennes occupent la zone frontalière depuis le mois de mai 2024 sans que l’Égypte n’ait réagi autrement que verbalement. Il semble en particulier exclu que l’armée égyptienne puisse être mobilisée pour s’interposer en dehors d’un cadre onusien et sans l’accord d’Israël.
La diplomatie pour ne paraître ni indifférent ni impuissant ?
On comprendra, dès lors, que les déclarations récentes de l’Égypte s’inscrivent dans une politique de long terme et n’indiquent pas un changement de ligne. La politique expansionniste d’Israël met en tension les objectifs stratégiques de l’Égypte : l’établissement d’un État palestinien dans le cadre d’une solution à deux États, la préservation de la souveraineté de l’Égypte dans le Sinaï et de sa sécurité, et, enfin, l’adhésion de l’opinion publique égyptienne.
Alors qu’Israël a répondu à l’annonce du Caire par la mobilisation de 60 000 réservistes pour exécuter son projet d’occupation de Gaza, la question de la soutenabilité de la posture d’équilibriste se pose et expose Le Caire à la réalité. Seul, le régime de Sissi ne peut rien contre Israël.
S’il est peu probable que le président égyptien prenne le risque de s’opposer militairement, il semble alors condamné à paraître indifférent ou impuissant. Une humiliation sur le dossier gazaoui pourrait coûter cher en interne à l’autocrate et avoir des conséquences dramatiques pour la région. Ne reste alors à l’Égypte que la voie diplomatique pour sortir de l’ornière. D’abord négocier un cessez-le-feu et ensuite parvenir à une issue alternative à l’occupation israélienne de Gaza. Cette dernière pourrait nécessiter un retour de l’Égypte dans la bande de Gaza. Mais l’Égypte est-elle vraiment prête à prendre sa part dans une solution à Gaza au-delà des négociations diplomatiques ?

Baudouin Long ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
01.09.2025 à 15:53
États-Unis : comment le nationalisme blanc cherche à imposer ses idées à travers la Cour suprême
Texte intégral (2583 mots)
Le trumpisme n’est pas monolithique. En son sein, diverses mouvances s’affrontent. La plus extrémiste, celle du nationalisme blanc, aspire à faire inscrire sa vision ouvertement raciste dans la jurisprudence par la Cour suprême.
Porté par l’essor du trumpisme, le nationalisme blanc (qui englobe le suprémacisme et le séparatisme) cherche à capitaliser sur la radicalisation du Parti républicain (Grand Old Party, GOP) pour éroder les fondements de la tradition démocratique aux États-Unis.
L’objectif est, à travers la mise en œuvre d’une stratégie d’influence, de guider pas à pas une droite devenue illibérale vers un ordre autoritaire explicitement racial. Pour y parvenir, les leaders revendiqués de la mouvance, tels que les auteurs et éditeurs Jared Taylor et Greg Johnson, cherchent à pénétrer plus avant l’administration Trump. À travers leur présence en ligne, ils commentent l’actualité et les actes officiels, et déterminent les attentes d’une audience, comprise entre 100 000 et 500 000 internautes, qui s’affirme de plus en plus au sein du GOP. La ligne de mire est qu’à l’horizon 2026-2028 un républicain de premier plan puisse affirmer sans états d’âme que les races sont une « réalité biologique » qui nécessite le rejet de la démocratie pour sauver « la civilisation blanche » – et qu’il soit porté non pas malgré, mais grâce à ces idées.
Cet effort de long terme s’appuie notamment sur la Cour suprême qui, pour les tenants de l’extrémisme blanc, constitue à la fois un outil de calibration, permettant d’évaluer jusqu’où il est possible de pousser les revendications sans provoquer de rejet massif, et un verrou institutionnel destiné à pérenniser d’éventuels acquis politiques.
Les nominations effectuées par Donald Trump entre 2017 et 2020 ont fait basculer la Cour dans une majorité de conservateurs radicaux. Pourtant, les auteurs de premier plan du camp nationaliste blanc estiment que les décisions prises par la Cour depuis 2020 sont « largement inefficaces et sans avenir » : elles ne leur auraient pas fourni le levier tactique escompté et révéleraient que la trajectoire idéologique de la droite reste inaboutie.
Or dans le même temps, d’autres composantes de la droite trumpiste, à commencer par le nationalisme chrétien, se félicitent de l’action de la Cour. Les neuf juges de la juridiction suprême se retrouvent sous l’effet des influences croisées et souvent opposées de ces deux groupes, qui sont loin d’être d’accord sur tout…
L’ambiguïté tactique du conservatisme chrétien
Durant son premier mandat, en nommant successivement Neil Gorsuch (2017), Brett Kavanaugh (2018) puis Amy Coney Barrett (2020), Donald Trump concrétise l’un des engagements phares de sa campagne présidentielle de 2016 : ancrer une majorité conservatrice durable au sein de la Cour suprême.
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Ce basculement (six juges conservateurs contre trois progressistes) est immédiatement salué par les organisations évangéliques et catholiques comme l’aboutissement d’un combat entamé dans les années 1980. Le renversement de la jurisprudence, ancrée depuis 1973 dans l’arrêt Roe v. Wade, par la décision Dobbs v. Jackson, du 24 juin 2022, consacre la victoire d’une droite chrétienne qui prétend que remettre aux législatures d’État la responsabilité de décider du caractère légal ou non de l’avortement marque l’avènement d’une « culture de la vie ».
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En revanche, dans la sphère nationaliste blanche, la décision Dobbs v. Jackson suscite des réactions teintées de réserve, voire de défiance. Pour des figures influentes comme Greg Johnson et Gregory Hood l’avortement constituerait un instrument eugéniste dont l’accès ne devrait pas être entravé. Les données statistiques confortent leur argumentation : en 2022, le taux d’avortement chez les femmes afro-américaines était 4,3 fois supérieur à celui des femmes blanches. Dès lors, pour les adeptes de la théorie du « grand remplacement », la légalité de l’avortement apparaît comme un moyen de régulation démographique des minorités raciales.
Si le christianisme politique et l’ethnonationalisme partagent une généalogie commune, documentée notamment par l’historien Leonard Zeskind, leur proximité s’est longtemps cantonnée aux marges paléoconservatrices de la droite américaine, notamment autour de la revue Chronicles et de l’héritage de Pat Buchanan.
Aujourd’hui, les groupes nationalistes blancs tendent à se distancier d’une religion chrétienne perçue comme sémitique et imprégnée d’un universalisme jugé incompatible avec le racialisme. Certains segments suprémacistes réinvestissent un paganisme identitaire pour élaborer des mythes européens de filiation et de pureté, voire explorent des références à l’ésotérisme nazi.
À rebours, le conservatisme chrétien, lui, poursuit une entreprise de moralisation des enjeux sociétaux, tout en cherchant à élargir sa base électorale, y compris auprès de certaines minorités, sous la bannière de la coalition MAGA.
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Au-delà de ces divergences idéologiques, une convergence tactique émerge dans un contexte de polarisation structurelle. Ce qui fédère ces courants ne relève pas d’une vision du monde partagée, mais d’une opposition commune aux libertés individuelles et au progressisme sociétal, caricaturé sous le terme péjoratif de « wokisme ».
Dans cette « guerre culturelle » portée par la droite radicale, le conservatisme juridique de la Cour suprême constitue une ressource permettant de légitimer une conception de la société fondée sur des identités fixes, hiérarchisées et essentialisées. La décision Dobbs v. Jackson ne représente donc pas une décision isolée, mais bien une étape métapolitique, un précédent mobilisable perçu par les nationalistes blancs comme un modèle d’activisme institutionnel reproductible.
L’opposition au nationalisme « color-blind »
À mesure que s’effritent les garde-fous libéraux aux États-Unis, les courants de la droite pro-Trump apparaissent de plus en plus fragmentés sur la question du sens même de leur projet national. Cette fracture s’est cristallisée à la suite de l’arrêt Students for Fair Admissions v. Harvard, du 29 juin 2023, par lequel la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelles les politiques d’admission dans les universités explicitement fondées sur la race.
L’arrêt consacre une lecture dite « color blind » de l’égalité, souvent associée à la maxime formulée par John Roberts en 2007 : « Éliminer la discrimination raciale signifie l’éliminer dans son intégralité. » Or, ainsi que l’a montré le sociologue Eduardo Bonilla-Silva, les approches qui prétendent ignorer les origines ethniques ne font souvent que perpétuer des inégalités structurelles héritées.
Les nationalistes blancs retournent cet argument et, dans un commentaire immédiat de l’arrêt, le site Counter-Currents affirme que « le nationalisme civique n’a pas d’avenir » et qu’« aucune somme d’argent versée à la Federalist Society n’y changera rien ». Autrement dit, la Federalist Society, créée en 1982 pour contrer la « domination libérale », devenue aujourd’hui un puissant réseau de juristes conservateurs (incluant les six membres « conservateurs » de la Cour suprême) serait dans l’erreur : la seule adhésion à des principes constitutionnels abstraits ne permettrait pas de fédérer une nation que les nationalistes blancs perçoivent comme un agrégat instable de tribus rivales. De fait, les racialistes anticipent qu’un marché scolaire prétendument neutre renforcerait surtout l’avance des candidats d’origine asiatique, plus performants sur les Scholastic Assessment Tests (SAT) que leurs « concurrents ».
Cette opposition interne s’intensifie encore davantage lorsqu’on passe du débat universitaire aux enjeux économiques. Fin 2024, Elon Musk plaide pour un système méritocratique permettant de relancer l’innovation américaine. Il défend nommément l’augmentation significative des quotas de visas H-1B, permettant l’arrivée massive de talents indiens et chinois dans le secteur technologique.
Face au technocrate, l’aile nativiste America First, de Steve Bannon à Nick Fuentes, dénonce un levier de substitution de main-d’œuvre et un risque de déplacement démographique.
Sur les réseaux sociaux, la polémique prend une dimension plus théorique. Elle expose deux visions concurrentes au sein même de la droite dure américaine : d’un côté, un paradigme économique axé sur la compétitivité entrepreneuriale et la performance technologique ; de l’autre, un paradigme identitaire fondé sur une définition essentialiste des États-Unis.
L’objectif des nationalistes blancs est clair : il s’agit d’imposer, dans la définition même de l’intérêt national, la question du « qui » avant celle du « quoi ». Pour ce faire, ses acteurs cherchent à discréditer les branches civiques et économiques de la droite, accusées d’être implicitement « anti-blanches », afin de se présenter comme les uniques gardiens de la nation.
Pour que la rhétorique devienne une réalité politique, depuis le printemps 2025, les références à l’affaire Trump v. CASA se multiplient. En effet, l’arrêt rendu par la Cour suprême dans cette affaire, le 27 juin 2025, semble accréditer l’idée d’une remise en cause du droit du sol (jus soli), prélude à une citoyenneté définie par le droit du sang (jus sanguinis).
Le peuple dans le texte
La lutte contre l’immigration demeure la pierre angulaire du mouvement MAGA. Avec sa promesse de réduire drastiquement les arrivées et de réaliser des expulsions massives, Donald Trump répond à des inquiétudes économiques et sécuritaires. Sous ces arguments transparaît une crainte profonde de dépossession, qui se décline en deux registres indissociables : un registre raciste qui désigne comme menaçantes des populations perçues comme étrangères ; et un registre populiste, qui accuse une élite cosmopolite d’orchestrer le « grand remplacement » du « vrai peuple ».
C’est précisément cette notion de « vrai peuple » que le nationalisme blanc s’efforce de redéfinir, cherchant à faire glisser l’identité MAGA, d’abord « américaine », vers une identité avant tout (ou exclusivement) « blanche ».
Plutôt que d’attaquer frontalement, ses idéologues investissent un symbole fondateur : la Constitution et son célèbre « We the People ». En s’appuyant sur des références historiques comme le Naturalization Act de 1790, ils soutiennent que les Pères fondateurs avaient réservé la citoyenneté aux seuls hommes blancs libres, et rejettent les amendements constitutionnels qui ont suivi la guerre de Sécession et accordent aux anciens esclaves le même droit à une procédure juste qu’aux Blancs. Que la naissance des États-Unis ait reposé sur des hiérarchies raciales est un constat partagé par de nombreux historiens ; mais les nationalistes blancs, eux, s’appuient sur ce constat pour indiquer que la Cour suprême doit prendre ses décisions à cette aune et ne pas tenir compte des évolutions civiques ultérieures.
Ce discours, porté notamment par des groupes comme American Renaissance et son think tank, la New Century Foundation, ne relève pas seulement de la provocation argumentaire, mais bien de l’hypothèse tactique d’une implantation durable dans les institutions judiciaires. En occupant les prétoires plutôt qu’en manifestant dans la rue, l’orientation de long terme consiste à former un réseau influent de juges, avocats et procureurs acquis à une vision raciale de la société. Ce militantisme judiciaire vise, paradoxalement, à affaiblir la branche judiciaire au profit d’un exécutif tout-puissant.
En définitive, le nationalisme blanc ne se contente pas d’un rôle de commentateur. L’enjeu consiste à influencer les décisions de la Cour suprême afin de devenir le centre de gravité de la droite pro-Trump et de remodeler le visage des États-Unis, sans compromis.

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
01.09.2025 à 15:52
Drones et robots tueurs dans la guerre : soldat ou algorithme, qui décidera de la vie et de la mort demain ?
Texte intégral (2420 mots)
Il est impossible de purement et simplement ignorer la propagation sans cesse plus rapide des armes létales autonomes et de l’intelligence artificielle sur les théâtres de guerre ; mais il serait éminemment dangereux de confier la prise de décision à la technologie seule.
La guerre des machines est déjà en cours. Ces dernières années, le recours massif aux drones et à l’intelligence artificielle (IA) a transformé le champ de bataille et la nature des opérations. L’autonomie accélère la détection et la délivrance du feu. La refuser, c’est rendre les armes. L’envisager sans garde-fous, c’est percevoir la guerre dénuée de toute éthique.
La France est une puissance moyenne qui ne peut se permettre de prendre du retard technologique. Mais la France est également une grande démocratie qui se veut exemplaire : elle ne peut faire n’importe quoi avec l’avènement de ces nouvelles armes. Elle doit instaurer la primauté humaine sur le code informatique, assumer un couple homme-machine où l’impact militaire demeure, mais où l’humain reste responsable.
Les drones, l’IA, les robots tueurs sont déjà là. Le front en Ukraine est saturé de drones et de logiciels qui trient des images. Déjà, des prototypes sont capables de détecter, de poursuivre et de frapper presque sans intervention humaine. Où la France se place-t-elle dans cette rapide évolution, et que doit-elle décider aujourd’hui pour rester dans la course sans nier ses valeurs ?
Ce qui a déjà changé
Le drone est devenu l’outil d’artillerie du pauvre. Il est l’instrument de reconnaissance de la petite unité et l’engin de précision du dernier mètre. Avec les milliers de drones dans le ciel, l’œil est partout, l’angle mort se réduit. La surprise se joue en secondes.
L’artillerie classique est, certes, toujours efficace. Mais la rupture que constituent les drones est d’abord logicielle : des algorithmes identifient une silhouette humaine ou celle d’un véhicule et accélèrent le temps entre la détection et la frappe. C’est précisément là où l’humain fatigue, là où chaque seconde compte et que la valeur ajoutée de l’autonomie s’affirme.
Pourquoi l’autonomie change tout
Il est nécessaire de distinguer l’idéal du réel. Dans la première configuration, l’humain décide alors que, dans la deuxième, l’humain commence à déléguer des éléments de son jugement à, par exemple, une alerte automatique ou à une trajectoire optimale.
Concrètement, il est d’usage de parler de trois régimes différents :
- l’humain dans la boucle ;
- l’humain sur la boucle ;
- et l’humain hors de la boucle.
Le premier cas est très simple : l’humain décide. Dans le deuxième cas, l’humain surveille et, éventuellement, interrompt. Dans le troisième cas, la machine est préprogrammée et décide seule.
Ce n’est pas qu’une affaire de choix, car, à très haute vitesse (défense antidrones, interception de missiles ou encore combat collaboratif aérien complexe), la présence humaine tend à s’effacer, puisque l’action se joue en secondes ou en dizaines de secondes. Le réalisme et l’efficacité de l’action imposent dès lors de penser que refuser toute autonomie revient à accepter d’être lent et, donc, inopérant. En revanche, accepter une autonomie totale, c’est-à-dire rejeter tout garde-fou, c’est faire entrer de l’incertitude, voire de l’erreur, dans le fonctionnement d’une action létale.
La responsabilité stratégique et éthique d’un pays démocratique se joue entre ces deux pôles.
Le dilemme des puissances moyennes
La France est, du point de vue militaire, une puissance moyenne, mais de très haute technologie. Elle est souveraine dans la grande majorité de ses équipements, mais ne dispose pas d’un budget illimité, ce qui l’oblige à arbitrer.
Dans ce contexte, se priver d’autonomie revient à prendre le risque d’un retard capacitaire face à des régimes autocratiques à l’éthique inexistante ; s’y jeter sans doctrine, c’est s’exposer à une bavure ou à une action involontaire menant à une escalade risquant d’éroder la confiance de la société dans sa propre armée.
Atouts et angles morts français
La France dispose d’une armée moderne et aguerrie en raison de sa participation à de nombreuses missions extérieures. Sa chaîne hiérarchique est saine car elle responsabilise les différents niveaux (contrairement à l’armée russe par exemple). Son industrie sait intégrer des systèmes complexes. En outre, elle dispose d’une grande expertise de la guerre électronique et en cybersécurité. Ces différentes caractéristiques sont des fondements solides pour développer une autonomie maîtrisée.
En revanche, les défauts de l’industrie française sont connus. Son industrie et les militaires privilégient des solutions lourdes et chères. En bonne logique ; les cycles d’acquisition sont longs en raison des innovations. Enfin, une certaine difficulté à passer du démonstrateur à la série peut être constatée.
Tout cela rend difficile la réponse à un besoin massif et urgent du déploiement de drones et de systèmes antidrones, qui combinent détection, brouillage, leurre et neutralisation, du niveau section jusqu’au niveau opératif (sur l’ensemble d’un front).
Ce que la France devrait décider maintenant
L’industrie doit ancrer la primauté nouvelle dès la conception de l’arme ou du système d’armes. Cet objectif doit incorporer certains impératifs : chaque boucle létale (processus de décision et d’action qui conduit à neutraliser ou à tuer une cible) doit avoir un responsable humain identifiable.
En outre, des garde-fous techniques doivent être mis en place. Des « kill-switch » (« boutons d’arrêt d’urgence ») physiques doivent être installés dans les systèmes. Des seuils reparamétrables doivent être prévus : par exemple, si un radar ou une IA détecte une cible, il est nécessaire de définir un seuil de confiance (par exemple de 95 %) avant de la classer comme ennemie. Des limitations géographiques et temporelles codées doivent être prévues. Par exemple, un drone armé ne peut jamais franchir les coordonnées GPS d’un espace aérien civil ou bien une munition autonome se désactive automatiquement au bout de trente minutes si elle n’a pas trouvé de cible.
Un autre point important est que la décision doit être traçable. Il est nécessaire de posséder des journaux de mission permettant de déterminer qui a fait quoi, quand et sur quelle base sensorielle (radars, imagerie, etc.). Une telle traçabilité permet de définir la chaîne de responsabilité. Elle permet également d’apprendre de ses erreurs.
La formation des personnels est aussi importante que la qualité des matériels. Les militaires doivent être formés, préparés à l’ambiguïté. Les opérateurs et décisionnaires doivent être en mesure de comprendre le fonctionnement et les limites des algorithmes, savoir lire un score de confiance. Ils doivent être en mesure de reconnaître une dérive de capteur et, par conséquent, de décider quand reprendre la main. Paradoxalement, l’autonomie exige des humains mieux formés, pas moins.
Sur le plan capacitaire, la France doit apprendre le « low-cost », ce qui implique de disposer d’essaims et de munitions rôdeuses en nombre. Pour ce faire, le pays doit savoir intégrer dans sa base industrielle de défense aussi bien les grandes entreprises traditionnelles que des start-ups innovantes pour plus de productions locales et réactives. Il ne s’agit pas de remplacer les systèmes lourds, mais bien de les compléter afin de pouvoir saturer le champ de bataille.
Le pays, qui a délaissé la capacité antiaérienne, doit bâtir une défense antidrones, chargée de la courte portée et ayant les capacités de détecter, d’identifier, de brouiller, de leurrer, de durcir les postes de commandement (c’est-à-dire leur apporter une protection plus efficace, en les enterrant, par exemple) et protéger les convois. Ces capacités doivent être intégrées dans l’entraînement au quotidien.
Ce qu’il faut éviter
Un piège peut être une forme de surenchère normative stérile. Il est nécessaire de tenir bon sur les principes sans être naïf dans un monde de plus en plus agressif. Si la France dit explicitement « Jamais de robots tueurs autonomes », cela n’empêchera pas d’autres pays d’en utiliser ; mais dire « Toujours oui à ces technologies » serait incompatible avec les principes moraux proclamés par Paris.
Un cadre clair, ajusté par l’expérience, doit donc être inventé.
La dépendance logicielle et, donc, l’absence de souveraineté numérique sont très dangereuses. Il est indispensable de ne pas acheter de briques IA sans véritablement connaître leurs biais, sans savoir ce que l’algorithme a pris en compte. Un effort financier continu doit être entrepris pour développer nos propres outils.
Enfin, il faut éviter d’oublier le facteur humain. Il serait tentant de soulager la chaîne décisionnelle par l’automatisation. Ce serait la priver de l’intelligence de situation propre aux humains et de leur intuition difficilement codable. La doctrine doit accepter de ralentir provisoirement l’action sur le champ de bataille pour laisser la place au jugement.
Responsabilité et droit : la vraie ligne rouge
Une machine, bien paramétrée, peut paradoxalement mieux respecter qu’un humain le droit des conflits armés qui repose sur quelques principes simples. Durant un conflit, il est nécessaire de distinguer (ne pas frapper les civils), d’agir dans le cadre de la proportionnalité, c’est-à-dire de ne pas causer de dommages excessifs (ce qui est très difficile à mettre en œuvre) ; et d’appliquer la précaution (faire tout ce qui est raisonnable pour éviter l’erreur).
Si une machine peut aider à appliquer ces principes, elle ne peut, seule, assumer la responsabilité de se tromper.
Comment correctement appliquer ces principes ? Réponse : c’est le commandement qui s’assure que les paramétrages et les règles ont été convenablement définis, testés, validés.
Société et politique : ne pas mentir au pays
La guerre est par nature une activité terrible, destructrice des âmes et des chairs. Affirmer que le recours généralisé à l’IA permettrait de rendre la guerre « propre » serait une imposture intellectuelle et morale.
L’autonomie est ambiguë. Si elle peut réduire certaines erreurs humaines inhérentes au combat (la fatigue, le stress, la confusion, l’indécision), elle en introduit d’autres :
- le biais : une IA entraînée avec des images de chars soviétiques dans le désert peut se tromper si elle rencontre un blindé moderne en forêt) ;
- les capteurs trompés : des feux de camp peuvent tromper une caméra infrarouge qui les prendra pour des signatures humaines ou de véhicules
- la confusion. Exemple historique : en 1983, l’officier soviétique Stanislav Petrov a refusé de croire son système d’alerte qui détectait à tort une attaque nucléaire américaine contre l’URSS. Une IA autonome aurait appliqué son programme et donc déclenché le feu nucléaire soviétique contre le territoire des États-Unis…
Coder nos valeurs
Notre pays doit faire concilier agilité et vitesse au combat, et conscience humaine. Cela suppose de coder nos valeurs dans les systèmes (garde-fous, traçabilité, réversibilité), de procéder à des essais dans le maximum de situation (temps, météo, nombres différents d’acteurs, etc.), d’enseigner ce que l’on pourrait appeler « l’humilité algorithmique », du sergent au général.
Alors, demandions-nous, qui décidera de la vie et de la mort ? La réponse d’un pays démocratique, comme le nôtre, doit être nuancée. Certes, la machine étend le champ du possible, mais l’humain doit garder la main sur le sens et sur la responsabilité. L’autonomie ne doit pas chasser l’humain. La guerre moderne impose la rapidité de l’attaque et de la réplique. À notre doctrine d’éviter de faire de cet impératif un désert éthique.

Laurent Vilaine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
01.09.2025 à 15:49
Corée du Nord : comment la logistique déjoue les obstacles
Texte intégral (2052 mots)
Comment la Corée du Nord fait-elle pour mettre à la disposition de toute sa population les biens dont elle a besoin ? Plongée dans la logistique façon Pyongyang, où le train joue un rôle essentiel.
La Corée du Nord nous apparaît le plus souvent comme une terre de secrets, avec sa dynastie de dictateurs dont on ignore presque tout, et ses frontières hermétiques qui la coupent du monde, même si des signaux à bas bruit d’un changement progressif sont identifiables. Le mystère est au moins aussi grand concernant sa logistique, parce qu’il faut bien qu’une logistique opère, comme dans n’importe quel pays, pour couvrir les besoins.
Comment les marchandises circulent-elles à travers le pays malgré la sévérité des sanctions et, donc, des contraintes imposées à la Corée du Nord ? La créativité assure en fait le bon fonctionnement d’une dictature singulière, et son exploration révèle une ingéniosité déconcertante, sachant que les chaînes logistiques n’y ressemblent à aucune autre.
L’importance du réseau ferré
En lieu et place de centres de distribution high-tech, de matériels de manutention automatisés et d’un dense réseau autoroutier, on se trouve en présence de routes de montagne sinueuses et mal entretenues, et de chemins de fer vieillissants. La majorité du réseau de 6 300 kilomètres date d’avant 1925, mais sa volumétrie est finalement comparable à celle de la France, qui dispose de 28 000 kilomètres pour une superficie quatre fois supérieure.
Chaque expédition de biens de première nécessité se présente de fait comme un casse-tête stratégique, à la recherche d’un équilibre constant entre l’utilisation au plus juste de ressources rares et le respect absolu de priorités géopolitiques. Explorer la logistique nord-coréenne est en effet autant une question technique que politique, pour une dictature soumise, comme omentionné plus haut, à des sanctions internationales très sévères.
À lire aussi : Vie économique, relations familiales, normes sociales… comment les femmes changent la Corée du Nord
Tragédies ferroviaires
Le réseau ferroviaire constitue l’épine dorsale de la logistique intérieure. Les trains transportent tout : du charbon, des denrées alimentaires mais aussi des équipements industriels, reliant fermes, usines et bases militaires. Mais la vétusté endémique des infrastructures et les coupures d’électricité rendent toute planification chaotique, sans parler de possibles drames. En décembre 2023, un train à alimentation électrique a subi une chute brutale de tension, et le déraillement consécutif a causé la mort de plus de 400 personnes, mettant en lumière la fragilité structurelle du réseau ferroviaire.
Autre exemple tragique : un soldat est mort de faim à bord d’un train bloqué plusieurs jours, sans vivres ni assistance. Cet épisode dramatique, digne d’un mauvais polar, illustre la dépendance au rail, qui peut devenir un piège mortel, sachant que l’État donne toujours la priorité aux expéditions officielles, détournant trains et marchandises à destination de civils pour satisfaire prioritairement des besoins militaires, ce qui ne fut pas le cas en l’espèce pour le malheureux soldat.
Plus surprenant, les préférences de la dynastie régnante influencent directement les décisions logistiques. Des témoignages de transfuges rapportent que Kim Il-Sung et Kim Jong-il privilégiaient certaines régions selon leurs projets ou leurs caprices du moment, orientant ainsi directement la topographie des flux de transport, sans oublier que le train restait le moyen de transport le plus sécurisé à leurs yeux. Dans un tel contexte, les planificateurs aux ordres doivent bricoler des solutions adaptées. Lorsqu’une pénurie surgit, notamment pour les denrées alimentaires, ils réorganisent les chargements et les expéditions ou réacheminent en urgence les livraisons pour faire face aux exigences liées à la défense du territoire.
Une succession de mini-crises
L’acheminement de denrées alimentaires est effectivement l’un des points sensibles de la logistique nord-coréenne. La production agricole fluctue fortement selon les conditions climatiques, tandis que les pénuries d’énergie paralysent souvent la circulation des marchandises. Les camions sont rares, en étant réservés à la nomenklatura locale. Dans certaines régions, des responsables logistiques munis de bons prioritaires d’enlèvement se livrent à une “chasse aux vivres”. Par exemple, à Sinuiju et Uiju, ils écument fermes et entrepôts pour récupérer fruits, légumes et produits essentiels, souvent au détriment des locaux. Penser chaque acheminement ressemble alors à la résolution d’une succession de mini-crises.
Pour y faire face, les habitants s’appuient sur des réseaux locaux d’entraide et le travail collectif. Malgré ces défis, le pays réussit à maintenir des chaînes logistiques minimales pour ses villes et, surtout, pour ses différentes bases militaires. Ici, l’efficacité se mesure moins en référence à la vélocité des flux de biens de première nécessité que la capacité d’assurer la survie des populations et, par-dessus tout, du régime. Des itinéraires détournés, des transports nocturnes ou encore le recours à une main-d’œuvre étrangère pour pallier les défaillances logistiques témoignent d’un véritable jeu d’équilibriste, indispensable au maintien d’une dictature soumise à un isolement extrême dès lors qu’elle est devenue la neuvième puissance nucléaire de la planète.
Contournements discrets
Depuis son premier essai d’une bombe au plutonium en octobre 2006, les sanctions internationales ont poussé la Corée du Nord à développer des stratégies logistiques sophistiquées de contournement. Les frontières avec la Chine et la Russie, notamment le fleuve Tumen, servent de points de passage pour des échanges informels. Des commerçants nord-coréens, symboles d’une nouvelle classe moyenne d’entrepreneurs, les exploitent pour faire entrer des biens essentiels tels que le carburant, les médicaments et des composants technologiques, souvent via des routes maritimes non officielles. Ces activités logistiques sont rendues possibles grâce à la coopération tacite entre les autorités locales et les réseaux de contrebande.
Lesdits réseaux sont organisés et coordonnés le plus souvent par des entités liées à l’État, telles que le fameux « Bureau 39 », chargé des activités économiques illicites. Ils utilisent des navires sous pavillons de complaisance pour transporter des marchandises entre la Corée du Nord et la Chine, contournant ainsi les sanctions internationales de manière discrète puisque sont masquées l’origine et la destination réelles des cargaisons, tout en brouillant les pistes pour les autorités de contrôle.
À cela s’ajoute le fait que des diplomates nord-coréens ont été impliqués dans des activités de contrebande d’armes, utilisant leur statut pour faciliter le déroulement des opérations logistiques.
En mai 2024, AsiaPress, agence de presse japonaise travaillant avec un réseau clandestin de journalistes nord-coréens pour documenter la vie quotidienne et l’économie souterraine du pays, a révélé comment le ministère nord-coréen de la sécurité d’État (MSS) orchestre un contournement au poste frontalier du District 21, face à Hyesan. L’agence précise que, chaque jour, des camions chinois chargés de biens essentiels traversent la frontière sous l’œil vigilant des autorités nord-coréennes, un agent du MSS posté tous les 20 mètres pour superviser l’opération ! Ces flux sont initiés par le Bureau 39, qui tire profit de l’économie parallèle pour renflouer les caisses du régime, finalement grâce à une logistique soutenant un trafic autant secret que stratégique.
Une résilience jusqu’à l’invraisemblable
En fin de compte, l’élément clé à retenir de la logistique nord-coréenne est sans doute sa remarquable résilience sur le long terme. Des voies ferrées sans âge aux sentiers de montagne dérobés utilisés dans les trafics de contrebande, chaque expédition raconte une histoire de survie et d’ingéniosité. Un constat pas réellement surprenant car même dans les pays les plus isolés, et mis au ban diplomatique et économique, une logistique ad hoc s’avère indispensable à la circulation des biens et au fonctionnement d’une société.
Chaque déplacement prend ici la forme d’un défi permanent, comme si la Corée du Nord jouait une partie de poker sans fin contre la pénurie. La logistique n’y est pas celle de l’efficacité managériale au sens occidental du terme, mais d’une survie faite de bricolages, de détournements et de multiples astuces. Un sac de riz transporté à vélo, un wagon surchargé cahotant à 25 km/h à travers les campagnes, ou un esquif improvisé franchissant un fleuve le démontre jour après jour. Finalement, déjouer les obstacles est l’objectif principal d’une logistique nord-coréenne, pas comme les autres.
Des liens officiels avec la Russie
La résilience se renforce d’ailleurs au fil des semaines puisqu’à mesure que la guerre en Ukraine s’enlise, une partie de la logistique nord-coréenne bascule vers des échanges de plus en plus formels et nombreux avec le voisin russe. Ainsi, les livraisons d’armes destinées à la Russie, documentées par plusieurs sources, relèvent la présence d’une logistique organisée, puissante et totalement assumée, qui participe au fait de sortir la Corée du Nord de son isolement.
De même, la récente reprise de vols commerciaux entre Moscou et Pyongyang par la compagnie russe Nordwind symbolise le glissement vers une institutionnalisation incontestable des canaux officiels. En d’autres termes, la logistique nord-coréenne se révèle capable non seulement d’improviser dans l’ombre, mais aussi de se formaliser lorsque l’opportunité se présente. Une plasticité qui conforte le régime et, à ce titre, n’est certainement pas sans danger pour la sécurité à long terme de la planète.

Gilles Paché ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
31.08.2025 à 14:53
Macron, Merz et Tusk à Chisinau : quand la souveraineté de la Moldavie devient un enjeu européen
Texte intégral (1887 mots)
Les dirigeants de la France, de l’Allemagne et de la Pologne viennent de participer à Chisinau à la fête de l’indépendance de la Moldavie, aux côtés de la présidente pro-européenne Maia Sandu, alors que se profilent des élections législatives très disputées où le parti de Sandu, au pouvoir, sera confronté à une opposition pro-russe désireuse d’imposer au pays un chemin inverse à celui emprunté au cours de ces dernières années, qui l’ont vu obtenir le statut de candidat à l’adhésion à l’UE.
Pour la première fois depuis son indépendance en 1991, la Moldavie a accueilli, à l’occasion de sa fête nationale du 27 août 2025, les trois dirigeants européens du triangle de Weimar : Emmanuel Macron, Friedrich Merz et Donald Tusk. Cette venue remarquée ne manque pas d’être analysée comme un soutien à la trajectoire européenne du pays, mais aussi à la présidente Maia Sandu et à son parti, le Parti Action et Solidarité (PAS). À un mois des élections législatives du 28 septembre prochain, si cette marque de soutien s’avère bienvenue pour le parti au pouvoir, elle n’en comporte pas moins le risque d’attiser la polarisation politique.
En effet, la présence des leaders français, allemand et polonais lors de cette fête nationale est survenue à un moment hautement stratégique quand, plus que jamais, la Moldavie – pays de 2,6 millions d’habitants et seulement 33 000 kilomètres carrés situé entre la Roumanie et l’Ukraine, et dont une partie de près de 4 000 kilomètres carrés, la Transnistrie, est sous lourde influence de Moscou depuis plus de trente ans – oscille entre l’influence géopolitique de l’UE et celle de la Russie.
Une fête nationale sous haute tension géopolitique
Près de 100 000 personnes se sont rassemblées à Chisinau pour écouter les discours des trois dirigeants européens, tous unis dans leur condamnation des multiples ingérences de Moscou visant à discréditer Maïa Sandu et à faire perdre les prochaines élections au PAS, le Kremlin soutenant une coalition dénommée Bloc électoral patriotique.
La fête s’est ainsi transformée en meeting diplomatique, à l’heure où les incertitudes du front ukrainien sont nombreuses, et entretenues par la désinformation russe. Un exemple parmi d’autres : ce rassemblement s’est tenu le jour même de la propagation d’une fausse rumeur concernant l’envoi de 700 volontaires moldaves pour aller combattre en Ukraine, apparue dans un obscur journal turc et largement amplifiée par les réseaux russes (presse, Facebook, Telegram). De quoi apporter de l’eau au moulin d’une opposition qui accuse régulièrement, et avec véhémence, Maia Sandu, laquelle affiche volontiers son soutien à Kiev, de vouloir entraîner la Moldavie dans la guerre.
Cette journée aura souligné combien le clivage géopolitique, aux côtés des enjeux économiques (étatistes contre libéraux) et culturels (places respectives de la langue nationale et des langues minoritaires), sans que ces clivages ne se recoupent totalement, est fondamental depuis l’indépendance. Cette polarisation est si marquée qu’on a parfois qualifié les formations politiques moldaves de « partis géopolitiques ».
Lors de la campagne présidentielle de 2020, qui s’était soldée par sa première élection, avant sa réélection en 2024, Maia Sandu avait pourtant exprimé sa volonté de sortir de ce clivage politique pour se concentrer sur les réformes internes ; mais, depuis, l’approche a été complètement renversée. La présidente affirme désormais que si les partis pro-russes l’emportent à l’occasion de la prochaine élection législative, « nous perdrons la chance d’adhérer à l’UE d’ici 2030. Il existe un grand risque que la Moldavie se retrouve dans une position où elle peut être utilisée par Moscou contre l’Ukraine, ce qui créera de graves menaces pour la sécurité et la vie de nos citoyens ».
Guerre en Ukraine, paix en Alaska : un scrutin moldave sous influence globale
La guerre en Ukraine a constitué un véritable accélérateur de l’histoire pour l’intégration européenne de la Moldavie.
Dès les premiers jours du conflit, l’accueil massif de réfugiés ukrainiens a lié le destin des deux anciennes Républiques soviétiques. La détermination de l’équipe au pouvoir à Chisinau a alors permis à la Moldavie d’obtenir le statut de candidat officiel en juin 2022, chose qui aurait été jugée improbable en janvier 2022, au tout début de la présidence française de l’Union européenne.
L’ouverture des négociations en décembre 2023 a constitué une nouvelle étape cruciale de ce chemin, qui devrait amener la Moldavie à devenir un État membre à l’horizon de cinq ans. Pour l’équipe Sandu, les conditions de cette intégration passent par le soutien à l’Ukraine, le respect des sanctions contre la Russie décidées par l’UE, ainsi que par l’appel à une paix durable avec de solides garanties de sécurité pour l’Ukraine. En cela, elle n’a pas changé de ligne de conduite en dépit des vicissitudes.
Toutefois, derrière le pari de la continuité du soutien occidental à l’Ukraine, de nouvelles incertitudes émergent pour le pouvoir moldave avec les négociations entre Trump et Poutine, qui ont pris un tournant spectaculaire en Alaska le 15 août dernier, redessinant les perspectives régionales. Alors que Joe Biden citait la Moldavie en exemple de démocratisation, le pays a au contraire fait l’objet de critiques de la part de Donald Trump qui a affirmé, au moment de justifier la fermeture d’USAID, que l’Agence y avait dépensé de l’argent en vain.
L’opposition moldave pro-russe, elle, voit dans la ligne de Donald Trump une perspective prometteuse. Sur sa chaîne Telegram, l’ancien président et figure de l’opposition Igor Dodon (2016-2020) a ainsi déclaré à propos de la rencontre alaskienne qu’elle était « un événement historique et un exemple de responsabilité politique et de maturité des dirigeants des deux principales puissances mondiales. » À cette occasion, l’opposition ne manque pas non plus d’essayer de recentrer le débat sur les enjeux internes, marqués par un bilan socio-économique jugé bien en deçà des avancées en matière de politique étrangère.
L’Europe comme rempart, la Moldavie comme test
La visite du « trio de Weimar » ne se limite pas à un appui électoral de courte vue au PAS, mais incarne la volonté de stabiliser une région où se joue une partie de l’avenir de l’Europe.
En 2009, l’Union européenne avait mis en place une politique dite de Partenariat oriental, à destination des pays situés entre elle et la Russie. Un rapide état des lieux des six pays concernés permet de faire ressortir la singularité de la Moldavie : la Biélorussie est désormais un État sous emprise politique de la Russie ; l’Ukraine est en guerre ; la Géorgie a vu son gouvernement, contre les souhaits de son opinion publique, se détourner de l’intégration européenne ; enfin, l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui se sont affrontés militairement à plusieurs reprises ces dernières années, viennent d’accepter une médiation américaine, fragilisant le rôle des Européens au Caucase du Sud.
Dans ce contexte, la Moldavie devient la vitrine des bénéfices de l’intégration européenne pour la région, tant en matière de sécurité que de développement. Avec une opinion publique très majoritairement hostile à une intégration à l’OTAN (la Moldavie étant constitutionnellement neutre) mais souhaitant néanmoins intégrer l’UE (le référendum pour inscrire dans la Constitution l’ambition européenne de la Moldavie d’octobre 2024 ayant été approuvé à une courte majorité de 50,4 %), les dirigeants moldaves se concentrent sur la mise en avant des apports européens en termes d’infrastructures, d’éducation ou de santé.
Le PAS mise sur l’argument européen pour mobiliser ses électeurs, soulignant qu’une alternance politique risquerait de compromettre la confiance des partenaires européens et de freiner le processus d’intégration à l’UE. Selon le ministre des affaires étrangères Mihai Popsoi, les élections législatives du 28 septembre seront décisives pour le pays et s’accompagneront inévitablement d’une grande polarisation. Les autorités s’attachent désormais à renforcer les institutions démocratiques et à lutter contre les ingérences extérieures, espérant ainsi préserver la stabilité et la souveraineté du pays.
En définitive, le scrutin de septembre est bien plus qu’un vote national : il constitue un test de résilience démocratique pour toute la région. Le paradoxe est saisissant : la fête d’indépendance est célébrée alors que la Moldavie se trouve déchirée entre des influences extérieures opposées. Mais ce paradoxe révèle une vérité plus profonde : la Moldavie est devenue un pivot stratégique incontournable. Dans ce nouveau contexte géopolitique, la souveraineté moldave ne se mesure plus à son isolement, mais à sa capacité à choisir ses alliances et à résister aux pressions extérieures. De fait, l’enjeu dépasse désormais largement les frontières de ce petit État : c’est la crédibilité même du projet d’élargissement européen qui se joue dans les urnes moldaves.

Florent Parmentier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.