05.06.2025 à 16:42
Gwenaël Leblong-Masclet, Chaire Mers, Maritimités et Maritimisations du Monde (4M), Sciences Po Rennes
Romain Pasquier, Responsable de la Chaire Territoires et Mutations de l'Action Publique, Sciences Po Rennes
La 3ᵉ Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc 3) se tient à Nice à partir du 9 juin 2025. Elle met notamment en lumière un enjeu souvent sous-estimé : la place stratégique des collectivités territoriales dans la gouvernance maritime. Étude de cas à Lacanau en Aquitaine, au Parc naturel marin d’Iroise en Bretagne et au Parlement de la mer en Occitanie.
L’océan, théâtre des bouleversements de l’anthropocène, n’est pas une abstraction lointaine. Pour les territoires littoraux, il est une réalité concrète, quotidienne, faite de défis de submersion, d’érosion, d’aménagement, de développement portuaire ou encore d’adaptation des politiques touristiques. C’est depuis ces territoires que la préservation des océans peut – et doit – être repensée.
Dans un prochain article « Les politiques publiques locales au prisme de la maritimité » dans la revue Pouvoirs locaux, nous nous sommes demandé si, plutôt que de voir la mer comme un obstacle, nous la considérions comme un levier de transformation de l’action publique ?
Les élus locaux sont les premiers à affronter les conséquences visibles du changement climatique : tempêtes plus fréquentes, recul du trait de côte, érosion accélérée. La compétence de gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi), confiée aux intercommunalités, les placent en première ligne.
À Lacanau, des projets de désurbanisation volontaire ont été lancés pour anticiper le recul du littoral, en concertation avec les habitants et les acteurs économiques. Au programme : suppression des parkings littoraux, aménagement d’un pôle d’échange multimodal plus à l’intérieur des terres, repositionnement des missions de secours ou encore le déplacement de certains commerces situés sur le front de mer.
Ce processus implique des arbitrages difficiles entre maintiens des activités touristiques, relocalisation des infrastructures, préservation des écosystèmes et accompagnement des habitants concernés. La loi Climat et résilience de 2021 a introduit des outils juridiques pour anticiper ce recul. Leur mise en œuvre concrète reste à parfaire. Sans action locale forte et coordonnée, les effets du changement climatique sur le littoral risquent d’être incontrôlables et, surtout, d’être une nouvelle source d’inégalités humaines et territoriales.
Si l’océan couvre 70 % de la planète, son interface avec la terre – le littoral – est l’un des espaces les plus disputés et les plus fragiles. Y coexistent des usages parfois antagonistes : tourisme, conchyliculture, urbanisation, activités portuaires, pêche, énergies marines renouvelables (EMR)… Cette multiplicité appelle une gouvernance intégrée, à la fois verticale – de l’échelon local à l’échelon international – et horizontale – entre acteurs publics, privés et citoyens.
Elle implique de penser une gouvernance écosystémique des littoraux, s’appuyant sur :
Aux collectivités, mises en situation d’agir par la gestion intégrée des zones côtières ou par les documents stratégiques de façade, de savoir créer les espaces de négociation et de consensus entre ces acteurs.
Certaines collectivités ont déjà innové. En Bretagne, le Parc naturel marin d’Iroise a été conçu avec les pêcheurs locaux et les associations environnementales, permettant une cogestion efficace.
L’exemple de la Région Occitanie, avec son Parlement de la mer, lancé dès 2013, montre que les collectivités peuvent innover en matière de gouvernance maritime. Ce parlement régional fédère élus, professionnels, ONG et chercheurs pour co-construire une stratégie maritime partagée.
À Brest, la métropole a su capitaliser sur sa fonction portuaire et scientifique pour faire émerger une véritable « capitale des océans », mobilisant universités, centres de recherche, industriels et autorités portuaires autour d’une même ambition.
Acteurs traditionnellement davantage « terriens » que maritimes, les collectivités territoriales revendiquent aujourd’hui une place à la table des négociations sur les politiques océaniques.
À rebours d’une vision exclusivement étatique, les élus locaux portent une connaissance fine des dynamiques littorales, des conflits d’usages et des attentes citoyennes. Ces démarches incitent à penser la mer comme bien commun.
L’un des apports essentiels de la conférence Unoc 3 sera, du moins peut-on l’espérer, de rappeler que la protection des océans ne peut se faire sans la reconnaissance de l’ensemble des acteurs territoriaux.
Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !
La mobilisation des territoires insulaires, par exemple au sein de l’ONG Smilo, contribue à une reconnaissance du rôle des initiatives locales comme levier de changement. L’insularité est le « laboratoire » d’un développement durable et concerté des stratégies territoriales.
Le développement des aires marines protégées (AMP) en est une bonne illustration : leur efficacité dépend en grande partie de l’implication des communautés locales, des pêcheurs, des associations. À ce titre, intégrer les savoirs empiriques dans les politiques de gestion maritime n’est pas un luxe, mais une nécessité. Ainsi, le rahui polynésien – interdiction temporaire d’exploitation d’une zone pour permettre sa régénération – inspire désormais les pratiques de préservation de la ressource halieutique, bien au-delà du seul triangle polynésien.
Plus globalement, l’insularité, problématique récurrente dans les Outre-mer, implique de penser et d’accepter la différenciation des politiques publiques. Les élus d’Ouessant, de Mayotte ou des Marquises rappellent que les contraintes logistiques, la dépendance à la mer et la fragilité des écosystèmes appellent des réponses sur mesure, souvent loin des seuls standards gouvernementaux.
Observer les politiques locales depuis le large permet d’inverser le regard. Le littoral, espace de contact entre l’humain et le vivant, devient alors un laboratoire d’innovation démocratique, écologique et institutionnelle, où se dessinent des formes renouvelées de coopération et d’engagement. L’Unoc 3 offre une occasion décisive de rappeler que la transition maritime ne se fera pas sans les territoires.
Il est donc temps de reconnaître pleinement le rôle des élus locaux dans cette dynamique. Ils sont les chevilles ouvrières d’une action publique renouvelée, plus proche du terrain, plus attentive aux équilibres écosystémiques et plus sensible aux savoirs citoyens.
Parce que la mer est ici – sur les plages, dans les ports, dans les écoles et les projets municipaux –, elle engage la responsabilité de tous, à commencer par celles et ceux qui construisent au quotidien les politiques publiques locales.
Je suis DGA de Brest métropole.
Romain Pasquier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
05.06.2025 à 11:16
Romain Tramoy, PostDoc en environnement, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Jean-François Ghiglione, Directeur de recherche, Ecotoxicologue, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Marie-France Dignac, Directrice de recherches sur la biologie des sols, INRAE, Inrae
Alors qu’aujourd’hui, seuls 10 % des plastiques sont recyclés, les industriels présentent souvent le recyclage comme la solution idéale. Ce raisonnement élude pourtant un aspect important : la croissance de la production de plastiques se poursuit. Elle se nourrit de toujours plus de plastique vierge, quel que soit le taux de recyclage.
Le recyclage des plastiques est-il aussi efficace qu’on le vante ? En 2024, le procureur de Californie attaquait en justice le pétrolier ExxonMobil, épinglant sa communication quant au recyclage du plastique, jugée comme de nature à désinformer le public et les décideurs. Le ministère de la justice de Californie pointait notamment son « marketing astucieux qui promettait que le recyclage allait permettre de résoudre le problème de la quantité toujours croissante de déchets plastiques produits par ExxonMobil ».
Ce procès inédit rappelle, alors que débute, ce 9 juin, la Conférence des Nations unies sur les océans (Unoc), que le recyclage des plastiques ne tient pas toutes les promesses faites par les entreprises et gestionnaires de déchets. De fait, 90 % du plastique produit annuellement n’est pas recyclé.
Le risque serait qu’une communication trop optimiste retarde la prise de conscience des consommateurs qui se conforment au geste de tri attendu. Les dangers des plastiques sont pourtant multiples. Ces derniers ont des impacts sur l’environnement et la santé humaine tout au long de leur vie, qu’ils finissent dans les océans et dans les sols du fait du ruissellement des eaux.
Des particules et substances polluantes sont libérées dans l’environnement à toutes les étapes de la chaîne de valeur des plastiques : lors de l’extraction du pétrole, de la production des plastiques, de leur utilisation et de leur gestion (ou non) après usage. Cela revêt des aspects variés : usure des peintures, des textiles, des plastiques agricoles, des filets de pêche…
À lire aussi : Pourquoi les déchets plastiques ne se dégradent-ils jamais vraiment ?
Les infrastructures de collecte, de tri et de recyclage des plastiques nécessitent des dépenses d’investissement et de fonctionnement importants, parfois pour des gisements insuffisants ou des coûts pour les matériaux recyclés supérieurs à ceux du plastique vierge produit à partir de pétrole.
Au-delà de cet enjeu d’attractivité économique du plastique recyclé, le recyclage est aussi limité par les propriétés intrinsèques des matériaux plastiques. À mesure que se multiplient les cycles de recyclage, la matière première recyclée voit ses qualités se dégrader. Cela affecte les propriétés finales des plastiques recyclés et en limite les débouchés. En effet, il faut réaliser un tri plus poussé en amont, puis ajouter de plus en plus de matières premières vierges et d’additifs pour y remédier et préserver les caractéristiques souhaitées du plastique produit.
Les plastiques produits et mis sur le marché ont donc des propriétés de recyclabilité inégales. À l’heure actuelle, seuls les plastiques faisant partie de la famille des thermoplastiques sont vraiment recyclables. Les plastiques thermodurcissables et les élastomères sont beaucoup plus difficiles à refondre en fin de vie.
Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ».
Même pour les thermoplastiques, la présence d’additifs chimiques (tels que des plastifiants, stabilisants, colorants ou retardateurs de flamme…) limite la part des plastiques pouvant être dirigés vers la voie du recyclage.
Ces difficultés de recyclage des plastiques ne sont pas anodines, car ces derniers menacent la santé humaine et environnementale. On dénombre environ 16 000 substances chimiques dans les plastiques, dont un quart est considéré comme toxique pour l’environnement ou la santé humaine. Le risque d’accumulation de substances toxiques augmente avec le recyclage en raison de la dégradation ou de la recombinaison des substances chimiques et de contaminations croisées qui surviennent au cours de l’utilisation, du stockage, du tri et du transport des plastiques.
À lire aussi : Pourquoi le « recyclage bashing » est une erreur
Une fois que les déchets plastiques ont été transformés en paillettes ou granulés, deux possibilités de réintégration des résines recyclées émergent, en fonction de la qualité des polymères et des contaminants présents.
La première option est le recyclage dit en « boucle fermée ». Les matières recyclées sont mélangées avec des matières vierges afin de pouvoir retrouver leur utilisation d’origine.
La deuxième option est le recyclage en « boucle ouverte » (downcycling ou décyclage en français). Il concerne les résines recyclées de mauvaise qualité, car issues d’un mélange de plastiques différents. Pour les réintégrer dans une chaîne de production de plastique, il faut alors viser des applications moins exigeantes en termes de qualité.
La proportion des résines plastiques recyclées dirigées vers le recyclage en boucle fermée demeure très limitée. C’est, par exemple, le cas des bouteilles d’eau en plastique PET (polytéréphtalate d’éthylène) clair. Presque tous les autres matériaux plastiques suivent la voie du « décyclage ».
Reste une troisième voie, celle de la « valorisation énergétique », directe (en valorisant l’énergie dégagée lors de l’incinération) ou indirecte (en produisant des carburants à partir de plastiques). Elle est abusivement qualifiée de recyclage, alors qu’elle n’implique pas de refabrication de matière.
À lire aussi : Traité mondial contre la pollution plastique : en coulisses, le regard des scientifiques français présents
Ces infrastructures nécessitent des investissements importants pour voir le jour, qui sont souvent justifiés par l’argument selon lequel le recyclage des plastiques permettrait la diminution des besoins de plastique vierge. Mais est-ce vraiment le cas ?
Commençons par un scénario construit à partir de la tendance actuelle, où la production de plastique intègre environ 10 % de plastiques recyclés pour 90 % de résines vierges. En appliquant un taux de recyclage constant (10 %) depuis la création des premières usines de recyclage en 1973 (ce qui constitue une hypothèse haute, puisque la proportion de 10 % de plastiques recyclés a été atteinte plus tardivement), on observe que la pente de la courbe de production de plastique vierge (courbe grise) reste très proche de la courbe historique (trait noir plein) et des projections futures (tirets noirs).
Considérons maintenant un scénario où 55 % des déchets plastiques seraient recyclés à horizon 2030, ce qui est défendu par le Pacte vert pour les emballages plastiques de l’Union européenne – et qui constitue un objectif peu réaliste à l’échelle mondiale. Selon cette hypothèse, l’augmentation de la production de plastique vierge est certes retardée d’environ vingt ans par rapport aux tendances historiques, mais son évolution se poursuit toujours de façon quasi-exponentielle.
Même un scénario à 90 % de plastique recyclé – ce qui est utopique – ne ferait gagner que soixante-dix ans sur la production de plastique vierge et ne changerait rien au fait que celle-ci continue à augmenter.
Le scénario le plus ambitieux, proposé par le Rwanda et le Pérou dans le cadre des négociations du traité international sur la pollution plastique, préconise une baisse de 40 % de la production de plastique vierge en 2040 par rapport à l’année de référence 2025. Même dans ce cas, la production de plastique en 2040 correspondra toujours à celle de 2010.
Aucune de ces trajectoires ne change donc le problème de fond. À savoir, le fait que la production mondiale de plastique vierge a été multipliée par deux au cours des quinze dernières années et que cette tendance se poursuit, alors qu’elle avait été anticipée dès le rapport Meadows en 1972, au travers la croissance de la production industrielle et de son corollaire, la pollution.
Dans tous les cas, le recyclage des plastiques n’a qu’une incidence mineure sur la production de plastique vierge. D’autant plus que ces chiffres sont surestimés : ils considèrent que les plastiques produits et consommés deviennent des déchets rendus disponibles au recyclage dans leur année de production, sans tenir compte du stock de plastiques restés en usage. Ceci n’est généralement vrai que pour les emballages, soit environ 40 % de la production de plastiques.
Il y a pourtant urgence, car la pollution plastique contribue au dépassement d’au moins six des neuf limites planétaires.
Cet article a été co-écrit avec Henri Bourgeois-Costa (Fondation Tara Océans).
Romain Tramoy a reçu des financements exclusivement publiques, notamment du ministère de la transition écologique, du GIP Seine aval ou encore de l'ANR dans le cadre d'une Chaire de Professeur Junior.
Jean-François Ghiglione a reçu des financements de l'ANR-PLASTIMAR (ANR--23-CE34-0011)
Marie-France Dignac a reçu des financements publics de l'ADEME et de l'ANR.
04.06.2025 à 16:34
Marion Fourquez, Research scientist, Mediterranean Institute of Oceanography (MIO) (IRD, AMU, CNRS), Institut de recherche pour le développement (IRD)
Aider les océans à capturer davantage de CO2 en y déversant du fer pour stimuler la croissance du phytoplancton : cette approche relevant de la « bio-ingénierie » du climat est vantée par plusieurs start-ups. Elle est pourtant risquée, car les incertitudes autour des mécanismes naturels à l’œuvre sont nombreuses.
Alors que les concentrations de CO2 dans l’atmosphère atteignent des niveaux inédits, les stratégies de capture du carbone se multiplient. Parmi elles, les approches dites « océaniques » gagnent en popularité.
Séduisantes, elles misent sur un argument de choc : elles pourraient stocker le carbone pour un dixième du coût de la capture directe du CO₂ dans l’air, méthode gourmande en énergie et dont la technologie est aujourd’hui mise en doute.
L’une de ces approches, testée depuis les années 1990, mais récemment remise en avant par des start-ups, consiste à fertiliser les océans avec du fer pour stimuler la photosynthèse du phytoplancton. Mais, derrière cette idée alléchante, que cache réellement la fertilisation de l’océan par le fer (Ocean Iron Fertilization en anglais, ou OIF) ?
Comme les plantes terrestres, le phytoplancton – ces microalgues qui dérivent à la surface des océans – réalise la photosynthèse : il capte du dioxyde de carbone (CO2) et libère du dioxygène (O2), produisant à lui seul près de 50 % de celui que nous respirons.
Mais son rôle ne s’arrête pas là. Une fois mort ou consommé, le phytoplancton transporte une partie de ce carbone vers les profondeurs océaniques sous forme de particules connues sous le nom de « neige marine ».
Ce phénomène, appelé « pompe biologique », permet chaque année de transférer environ 10 milliards de tonnes (gigatonnes) de carbone vers les fonds marins. Des travaux ont montré que ce mécanisme, à lui seul, a permis de stocker environ 1 300 gigatonnes de carbone dans l’océan sur une période de cent vingt-sept ans, contribuant ainsi à maintenir les niveaux de CO2 atmosphérique plus bas qu’ils ne le seraient en l’absence de ce mécanisme.
Sans cette pompe biologique, notre atmosphère contiendrait 200 à 400 ppm de CO2 en plus, et notre planète serait globalement a minima 3 °C plus chaude.
Pour suivre au plus près les questions environnementales, retrouvez chaque jeudi notre newsletter thématique « Ici la Terre ».
Mais, pour fonctionner, cette pompe a besoin de nutriments, et notamment d’un micronutriment essentiel : le fer. Il existe de multiples sources de fer pour les océans. Le ruissellement des fleuves, l’érosion des marges continentales ou les sources hydrothermales sont autant de processus contribuant à l’apport de fer aux eaux océaniques. Les apports atmosphériques sont aussi une source importante de fer pour l’océan du large. Les poussières, transportées par les vents et principalement en provenance des grands déserts, en fournissent la principale source.
À la fin des années 1980, l’océanographe américain John Martin a proposé ce qu’on appelle l’« hypothèse du fer ». À savoir, dans certaines régions océaniques, riches en macronutriments (nitrates, phosphates), la croissance du phytoplancton serait freinée par un manque de fer. Il suffirait donc d’y parsemer le métal pour déclencher un « bloom » de phytoplancton, captant ainsi davantage de CO2.
Les régions carencées en fer, appelées HNLC (High Nutrient, Low Chlorophyll), couvrent un tiers des océans mondiaux, dont l’océan Austral, véritable « géant endormi » de la séquestration carbone.
Des expérimentations scientifiques à petite échelle ont montré qu’une tonne de fer pouvait permettre de capturer de 30 000 à 110 000 tonnes de CO2. À l’échelle planétaire, une étude de 2023 a estimé que l’ajout d’un million à deux millions de tonnes de fer par an dans les océans pourrait permettre de capter jusqu’à 45 milliards de tonnes de CO2 d’ici 2100. De quoi faire rêver les promoteurs de la géo-ingénierie.
Mais, au-delà des incertitudes scientifiques, les risques écologiques sont bien réels. Une fertilisation massive pourrait altérer les réseaux trophiques (terme qui désigne l’ensemble des chaînes alimentaires d’un milieu donné), appauvrir la biodiversité, provoquer des zones mortes ou encore des proliférations d’algues toxiques. Une modélisation récente indique que l’OIF pourrait entraîner une diminution de 5 % de la biomasse halieutique (c’est-à-dire liée à la pêche) tropicale, en plus des 15 % déjà attendus d’ici la fin du siècle du fait du changement climatique.
C’est pourquoi l’OIF a été interdite à des fins commerciales en 2013, dans le cadre du protocole de Londres sur la pollution marine.
À lire aussi : Éliminer le CO₂ grâce au puits de carbone océanique, une bonne idée ?
Pourtant, certaines entreprises cherchent à relancer la machine, appâtées par la promesse de crédits carbone à faible coût.
À l’inverse de ces initiatives privées, les chercheurs plaident pour une évaluation rigoureuse des risques environnementaux et une gouvernance internationale claire avant toute expérimentation à grande échelle.
Derrière les chiffres prometteurs souvent avancés sur la fertilisation en fer des océans se cachent des incertitudes majeures. Un point crucial tient à la nature même du fer utilisé. En effet, toutes les formes de fer ne sont pas assimilées de manière égale par le phytoplancton : sa biodisponibilité dépend fortement de sa composition chimique et de sa provenance.
Une étude que j’ai menée dans les eaux de l’océan Austral, publiée en 2023 dans la revue Science Advances, a montré que le fer libéré par la fonte glaciaire est jusqu’à 100 fois plus biodisponible pour le phytoplancton que celui apporté par les poussières atmosphériques.
En d’autres termes, deux régions présentant des concentrations similaires en fer dissous dans l'eau – mais de biodisponibilité différente – peuvent avoir des réponses biologiques très contrastées. Cette variabilité rend hasardeuse toute projection simpliste, en particulier lorsqu’il s’agit de fertilisation artificielle à grande échelle.
Dans cet article, nous avons souligné que cette complexité contraste fortement avec la manière dont certaines approches de bio-ingénierie présentent l’ensemencement en fer, décrit comme une solution simple et efficace de séquestration du carbone. Cette mise en garde a été relayée également par le CNRS.
À cela s’ajoute un autre facteur souvent négligé : le phytoplancton n’est pas le seul organisme à consommer du fer. Il entre directement en compétition avec les bactéries marines, qui ont besoin de fer pour respirer, relâchant à leur tour du CO2. Si ce dernier remonte en surface, il peut alors retourner dans l’atmosphère. Et dans ce cas, la balance n’est pas forcément positive : il n’y a pas forcément de gain net en matière de stockage de carbone.
D’autres recherches montrent aussi que modifier les communautés de phytoplancton, comme le ferait une fertilisation artificielle, pourrait altérer les chaînes alimentaires marines. En effet, en changeant la composition du phytoplancton, on modifie l’alimentation du zooplancton, et donc le devenir du carbone dans l’océan.
Avant de pouvoir prédire l’efficacité réelle de ces technologies, il est essentiel de mieux comprendre ces dynamiques écologiques et de développer des outils de suivi robustes.
Face aux incertitudes que soulèvent les projets de fertilisation artificielle, certains processus naturels méritent d’être mieux compris. C’est notamment le cas des apports de fer issus de la fonte des glaciers.
Les régions polaires se réchauffent bien plus rapidement que le reste de la planète – de quatre à sept fois plus vite que la moyenne mondiale. Cette fonte accélérée des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique entraîne le déversement dans l’océan de 370 milliards de tonnes d’eau douce par an, chargée en fer.
Libéré en quantité croissante sous l’effet du réchauffement climatique, ce fer pourrait, dans certaines conditions, stimuler localement la productivité marine et activer la pompe biologique de manière naturelle. Mais les mécanismes en jeu restent encore mal compris, tout comme l’ampleur réelle du stockage de carbone associé.
Pour approfondir cette question, une campagne océanographique est prévue courant 2026 en mer de Ross, en Antarctique. Elle mobilisera le voilier Persévérance, une goélette polaire de 42 mètres conçue pour les expéditions scientifiques dans les environnements extrêmes.
Cette mission, menée en collaboration avec le laboratoire de Takuvik (CNRS/Université Laval/Sorbonne Université), visera à étudier in situ les interactions entre les apports de fer glaciaire et la dynamique du phytoplancton, afin de mieux comprendre le rôle potentiel de ces processus naturels dans la séquestration du carbone.
Aujourd’hui, l’océan absorbe environ 30 % de nos émissions de CO2. Il le fait naturellement, via deux « pompes » complémentaires : la pompe physique (dissolution des gaz dans les eaux froides, brassage vertical) et la pompe biologique. Bien que la pompe physique reste dominante, la capacité de la pompe biologique à s’adapter aux changements climatiques est l’un des grands enjeux scientifiques actuels.
C’est aussi un sujet qui attire, à juste titre, l’attention des acteurs économiques de la décarbonation. S’il est tentant de chercher dans l’océan des solutions rapides et peu coûteuses au dérèglement climatique, nous devons rester prudents. L’océan est un formidable régulateur du climat, mais ce n’est pas un puits sans fond.
Marion Fourquez a été financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS, bourses PP00P2_138955 et PP00P2_166197), ainsi que par le programme de recherche et d’innovation Horizon 2020 de l’Union européenne (convention de subvention no 894264, projet BULLE). Cette étude a bénéficié du soutien du Projet 16 de l’expédition de circumnavigation en Antarctique (ACE) sous l’égide de l’Institut Polaire Suisse (SPI), avec le soutien financier de la Fondation ACE et de Ferring Pharmaceuticals.
03.06.2025 à 16:27
Mathieu Ughetti, Illustrateur, vulgarisateur scientifique, Université Paris-Saclay
Franck Courchamp, Directeur de recherche CNRS, Université Paris-Saclay
La crise climatique n’avance pas seule : elle est indissociable de la crise de la biodiversité. Découvrez en exclusivité, chaque mercredi, les 10 épisodes de la BD concoctée par Mathieu Ughetti et Franck Courchamp. Dans l’épisode 6, on s’intéresse aux limites planétaires.
L’Héritage du dodo, c’est une bande dessinée pour tout comprendre à la crise du climat et de la biodiversité. Chaque semaine, on explore la santé des écosystèmes, on parle du réchauffement climatique mais aussi de déforestation, de pollution, de surexploitation… On y découvre à quel point nous autres humains sommes dépendants de la biodiversité, et pourquoi il est important de la préserver. On s’émerveille devant la résilience de la nature et les bonnes nouvelles que nous offrent les baleines, les bisons, les loutres…
On décortique les raisons profondes qui empêchent les sociétés humaines d’agir en faveur de l’environnement. On décrypte les stratégies de désinformation et de manipulation mises au point par les industriels et les climatosceptiques. Le tout avec humour et légèreté, mais sans culpabilisation, ni naïveté. En n’oubliant pas de citer les motifs d’espoir et les succès de l’écologie, car il y en a !
Retrouvez ici le sixième épisode de la série !
Ou rattrapez les épisodes précédents :
Épisode 1
Épisode 2
Épisode 3
Épisode 4
Épisode 5
Du lundi au vendredi + le dimanche, recevez gratuitement les analyses et décryptages de nos experts pour un autre regard sur l’actualité. Abonnez-vous dès aujourd’hui !
Rendez-vous la semaine prochaine pour l’épisode 6 !
Pour ne pas le rater, laissez-nous votre adresse mail
Ou abonnez-vous à L’Héritage du dodo sur :
Une BD de Franck Courchamp & Mathieu Ughetti
Qui sommes-nous ?
Republication des planches sur support papier interdite sans l’accord des auteurs
Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur X @AXAResearchFund.
Cette BD a pu voir le jour grâce au soutien de l’Université Paris Saclay, La Diagonale Paris-Saclay et la Fondation Ginkgo.
Mathieu Ughetti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
03.06.2025 à 12:44
Kevin Parthenay, Professeur des Universités en science politique, membre de l'Institut Universitaire de France (IUF), Université de Tours
Rafael Mesquita, Professeur Associé à l’Université Fédérale du Pernambuco, Brésil
À la veille de la 3e Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc 3), où en est la gouvernance marine ? Se pencher sur l’histoire de la diplomatie des océans permet de mieux comprendre la nature des enjeux actuels : Nice doit être l’occasion de consolider un nouveau droit international des océans.
Le 9 juin 2025, la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc) s’ouvrira à Nice (Alpes-Maritimes). Il s’agit de la troisième conférence du nom, après celle de New York en 2017 puis de Lisbonne en 2022. Organisée conjointement par la France et par le Costa Rica, elle rassemblera 150 États et près de 30 000 personnes autour de la « gestion durable de l’océan ».
Ce qui est présenté comme un moment fort pour les océans s’inscrit en réalité dans un changement de dynamique profond de la gouvernance marine, qui a été lancé il y a déjà plusieurs décennies. Jadis pensée pour protéger les intérêts marins des États, la gouvernance des océans doit désormais tenir compte des enjeux climatiques et environnementaux des océans.
Ce « moment politique » et médiatique ne devra ni occulter ni se substituer à la véritable urgence, qui est d’aboutir à des évolutions du droit international qui s’applique aux océans. Sans quoi, le sommet risque de n’être qu’un nouveau théâtre de belles déclarations vaines.
Pour comprendre ce qui se joue, il convient de débuter par une courte rétrospective historique de la gouvernance marine.
Participez au webinaire The Conversation France / Normandie pour la Paix, jeudi 19 juin à 18h : « Environnement et sécurité : quelle place pour l’Europe sur la scène mondiale ? » - Inscription gratuite ici
La gouvernance des océans a radicalement changé au cours des dernières décennies. Auparavant centrée sur les intérêts des États et reposant sur un droit international consolidé dans les années 1980, elle a évolué, depuis la fin de la guerre froide, vers une approche multilatérale qui mêle un large spectre d’acteurs (organisations internationales, ONG, entreprises, etc.).
Cette gouvernance est progressivement passée d’un système d’obligations concernant les différents espaces marins et leur régime de souveraineté associé (mers territoriales, zones économiques exclusives (ZEE) ou encore haute mer) à un système prenant en compte la « santé des océans », où il s’agit de les gérer dans une optique de développement durable.
Pour mieux comprendre ce qui se joue à Nice, il faut comprendre comment s’est opérée cette bascule. Les années 1990 ont été le théâtre de nombreuses déclarations, sommets et autres objectifs globaux. Leur efficacité, comme on le verra plus bas, s’est toutefois montrée limitée. Ceci explique pourquoi on observe aujourd’hui un retour vers une approche davantage fondée sur le droit international, comme en témoignent par exemple les négociations autour du traité international sur la pollution du plastique.
À lire aussi : Traité mondial contre la pollution plastique : en coulisses, le regard des scientifiques français présents
L’émergence du droit de la mer remonte à la Conférence de La Haye en 1930. Aujourd’hui, c’est essentiellement autour de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982 que la gouvernance marine s’est progressivement structurée.
L’Unoc 3 en est le prolongement direct. En effet, les réflexions sur la gestion durable des océans découlent des limites de ce texte fondateur, souvent présenté comme la « Constitution des mers ».
Adoptée en décembre 1982 lors de la Convention de Montego Bay (Jamaïque), la CNUDM est entrée en vigueur en novembre 1994, à l’issue d’un long processus de négociations internationales qui a permis à 60 États de ratifier le texte. Les discussions portaient au départ sur les intérêts des pays en développement, en particulier des pays côtiers, dans un contexte de crise du multilatéralisme, une dimension que les États-Unis sont parvenus à infléchir, et cela sans avoir jamais ratifié la Convention. Celle-ci constitue depuis un pilier central de la gouvernance marine.
Elle a créé des institutions nouvelles, comme l’Autorité des fonds marins (International Seabed Authority), dont le rôle est d’encadrer l’exploitation des ressources minérales des fonds marins dans les zones au-delà des juridictions nationales. La CNUDM est à l’origine de la quasi-totalité de la jurisprudence internationale sur la question.
Elle a délimité les espaces maritimes et encadré leur exploitation, mais de nouveaux enjeux sont rapidement apparus. D’abord du fait des onze années de latence entre son adoption et sa mise en œuvre, délai qui a eu pour effet de vider la Convention de beaucoup de sa substance. L’obsolescence du texte tient également aux nouveaux enjeux liés à l’usage des mers, en particulier les progrès technologiques liés à la pêche et à l’exploitation des fonds marins.
Le début des années 1990 a marqué un tournant dans l’ordre juridique maritime traditionnel. La gestion des mers et des océans a pu être inscrite dans une perspective environnementale, sous l’impulsion de grandes conférences et déclarations internationale telles que la déclaration de Rio (1992), la Déclaration du millénaire (2005) et le Sommet Rio+20 (2012). Il en a résulté l’Agenda 2030 et les Objectifs du développement durable (ODD), 17 objectifs visant à protéger la planète (l’objectif 14 concerne directement l’océan) et la population mondiale à l’horizon 2030.
À lire aussi : Un pacte mondial pour l’environnement, pour quoi faire ?
La Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement (CNUED) à Rio de Janeiro (Brésil) en 1992 a inauguré l’ère du « développement durable ». Elle a permis de faire le lien entre les questions environnementales et maritimes, notamment grâce aux découvertes scientifiques réalisées dans la décennie précédente.
Entre 2008 et 2015, les questions environnementales ont pris une place plus importante, avec l’adoption régulière de résolutions portant l’environnement et sur le climat.
Depuis 2015, deux thèmes sont devenus récurrents dans l’agenda international : la biodiversité et l’utilisation durable des océans (ODD 14). Dans ce contexte, les enjeux liés aux océans intègrent désormais leur acidification, la pollution plastique et le déclin de la biodiversité marine.
La résolution de l’Assemblée générale des Nations unies sur les océans et le droit de la mer (Oceans and the Law of the Seas, OLOS) est particulièrement utile pour comprendre cette évolution. Rédigée chaque année depuis 1984, elle couvre tous les aspects du régime maritime des Nations unies et permet de refléter les nouveaux enjeux et préoccupations.
Certains termes environnementaux étaient au départ absents du texte, mais sont devenus plus visibles depuis les années 2000.
Mais cette évolution se reflète aussi dans le choix des mots.
Tandis que les résolutions OLOS des années 1984 à 1995 étaient surtout orientées vers la mise en œuvre du traité et l’exploitation économique des ressources marines, celles des années plus récentes se caractérisent par l’usage de termes liés à la durabilité, aux écosystèmes et aux enjeux maritimes.
La prise de conscience des enjeux liés aux océans et de leur lien avec le climat a progressivement fait des océans une « dernière frontière » (final frontier) planétaire en termes de connaissances.
La nature des acteurs impliqués dans les questions océaniques a également changé. D’un monopole détenu par le droit international et par les praticiens du droit, l’extension de l’agenda océanique a bénéficié d’une orientation plus « environnementaliste » portée par les communautés scientifiques et les ONG écologistes.
L’efficacité de la gouvernance marine, jusqu’ici surtout fondée sur des mesures déclaratives non contraignantes (à l’image des ODD), reste toutefois limitée. Aujourd’hui semble ainsi s’être amorcé un nouveau cycle de consolidation juridique vers un « nouveau droit des océans ».
Son enjeu est de compléter le droit international de la mer à travers, par exemple :
l’adoption de l’accord sur la conservation et sur l’usage de la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales (mieux connu sous le nom d’accord BBNJ) visant à protéger les ressources marines dans la haute mer ;
la négociation d’un traité sur la pollution (marine) par les plastiques, en chantier, qui n’est pas encore achevée ;
l’accord sur la subvention des pêches adopté à l’OMC pour préserver les stocks de poissons (mais qui peine encore à être pleinement respecté) ;
ou encore l’adoption d’un Code minier par l’Autorité des fonds marins, destiné à encadrer l’exploitation minière des fonds marins.
Parmi ces accords, le BBNJ constitue probablement le plus ambitieux. Le processus de négociation, qui a débuté de manière informelle en 2004, visait à combler les lacunes de la CNUDM et à le compléter par un instrument sur la biodiversité marine en haute mer (c’est-à-dire, dans les zones situées au-delà des juridictions nationales).
L’accord fait écho à deux préoccupations majeures pour les États : la souveraineté et la répartition équitable des ressources.
Adopté en 2023, cet accord historique doit encore être ratifié par la plupart des États. À ce jour, seuls 29 États ont ratifié ce traité (dont la France, en février 2025, ndlr) alors que 60 sont nécessaires pour son entrée en vigueur.
Le processus BBNJ se situe donc à la croisée des chemins. Par conséquent, la priorité aujourd’hui n’est pas de prendre de nouveaux engagements ou de perdre du temps dans des déclarations alambiquées de haut niveau.
La quête effrénée de minéraux critiques, dans le contexte de la rivalité sino-américaine, a par exemple encouragé Donald Trump à signer en avril 2025 un décret présidentiel permettant l’exploitation minière du sol marin. Or, cette décision défie les règles établies par l’Autorité des fonds marins sur ces ressources en haute mer.
À l’heure où l’unilatéralisme des États-Unis mène une politique du fait accompli, cette troisième Conférence mondiale sur les océans (Unoc 3) doit surtout consolider les obligations existantes concernant la protection et la durabilité des océans, dans le cadre du multilatéralisme.
Kevin Parthenay est membre de l'Institut Universitaire de France (IUF).
Rafael Mesquita ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
03.06.2025 à 08:20
Service Environnement, The Conversation France
La réglementation française a évolué concernant la réutilisation des eaux de pluie et des eaux grises à des fins d’usage non potable, domestique et non domestique. L’enjeu de ces textes, nous expliquent Julie Mendret (université de Montpellier) et Thomas Harmand (Aix-Marseille Université) : valoriser ces eaux « non conventionnelles » pour économiser et limiter la pression sur les ressources en eau.
L’eau de pluie est précieuse, tant au plan écologique qu’économique : jardins, chasses d’eau, lavage des voitures… Jusqu’à peu, leur réutilisation était strictement encadrée par un arrêté de 2008, qui n’autorisait leur usage que dans plusieurs cas très précis (évacuation des excrétas, lavage des sols ou encore arrosage des espaces verts à certaines conditions).
Ce cadre juridique a évolué en 2023 et 2024 : les usages non domestiques de l’eau de pluie sont désormais autorisés, et un nouveau cadre réglementaire s’applique à ses usages domestiques. Par exemple, il est maintenant permis de laver son linge, d’arroser des jardins potagers ou de laver son véhicule à son domicile. Il faut toutefois en passer par une déclaration en mairie – et pour une déclaration supplémentaire au préfet pour le lavage du linge ou l’alimentation des fontaines décoratives non destinées à la consommation humaine. Dans ce cas, les eaux de pluie utilisées doivent aussi atteindre des objectifs de qualité précis.
Autre nouveauté législative : il est désormais possible d’utiliser ces eaux dans les établissements de santé, thermaux ou encore scolaires, dans les mêmes conditions de déclaration que précédemment.
Au-delà des eaux de pluie, les nouveaux textes de loi autorisent aussi la réutilisation des eaux grises (qui proviennent des éviers, lavabos, douches, baignoires et machines à laver et ne contiennent pas de matières fécales, ou encore qui proviennent des piscines à usage collectif). Les conditions sont toutefois plus strictes que pour les eaux de pluie : la procédure minimale est ici une déclaration préfectorale.
Les usages sont théoriquement plus limités : au niveau domestique, il s’agit de l’alimentation des fontaines décoratives non destinées à la consommation humaine, de l’évacuation des excrétas, du nettoyage des surfaces extérieures, ainsi que de l’arrosage des espaces verts à l’échelle du bâtiment. Le lavage du linge, le nettoyage des sols en intérieur et l’arrosage des jardins potagers font toutefois l’objet d’une procédure dérogatoire, et peuvent être autorisés à titre expérimental. L’évaluation de ces expérimentations aura lieu en 2035, et leur généralisation éventuelle sera décidée en conséquence.
Pour les établissements recevant du public sensible, la procédure est encore plus stricte pour la réutilisation des eaux grises ou de piscines, où il faut obtenir une autorisation.
Les contraintes de surveillance diffèrent également. Pour les usages soumis à des exigences de qualité, un suivi sanitaire est requis. Il est à effectuer jusqu’à six fois par an. On le devine, il sera plus difficile de mettre en œuvre ce type de valorisation dans ces établissements.
Ces textes représentent malgré tout une avancée : les sources d’eaux non conventionnelles sont désormais identifiées par la réglementation, et peuvent être intégrées à la gestion de l’eau.
Cet article a été édité par le service Environnement de The Conversation à partir de la version longue écrite par Julie Mendret (Maître de conférences, HDR, Université de Montpellier) et Thomas Harmand (Doctorant en droit de l'eau, Aix-Marseille Université).