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10.09.2025 à 17:26

Échec du présidentialisme, retour au parlementarisme ?

Nicolas Rousselier, professeur d'histoire politique, Sciences Po
Depuis la dissolution de 2024, l’exécutif ne domine plus le Parlement. Un rééquilibrage entre ces deux pouvoirs, historiquement concurrents, est-il en cours ?
Texte intégral (2469 mots)

Après la chute des gouvernements Barnier et Bayrou, le nouveau premier ministre Sébastien Lecornu saura-t-il obtenir le soutien des parlementaires ? La domination de l’exécutif sur le législatif, en place depuis le début de la Ve République, semble désormais dépassée. Un rééquilibrage entre ces deux pouvoirs, historiquement concurrents, est-il en cours ?


Jamais les feux de l’actualité ne furent braqués à ce point sur le Parlement. L’épisode Bayrou en donne une illustration frappante : la chute de son gouvernement a placé l’exécutif en position de faiblesse et de renoncement face aux difficultés annoncées du débat budgétaire. À l’inverse, les députés, en refusant de voter la confiance, ont placé l’Assemblée nationale en position de force vis-à-vis du gouvernement. Celui-ci, pour la première fois (sous cette forme) depuis le début de la Ve République, était contraint à la démission. Le pouvoir exécutif, qui n’avait cessé de se renforcer et de se transformer depuis plus de soixante ans, trahissait ainsi une faiblesse inattendue.

Deux questions sont donc soulevées, l’une sur le caractère momentané ou profond de ce « trou d’air » que rencontre l’exécutif, l’autre sur la possible relance du parlementarisme.

Dès le Moyen Âge, le Parlement contre le prince

L’épisode s’inscrit dans la longue histoire du bras de fer qui a opposé l’exécutif et le législatif depuis plusieurs siècles. Philosophiquement et politiquement, l’opposition a placé la figure du prince – pour faire référence aux travaux de Harvey Mansfield – face à la forme prise par le Parlement depuis les XIIIe et XIVe siècles. L’histoire est ainsi beaucoup plus ancienne que celle de la démocratie moderne. La monarchie française avait été notamment marquée et affaiblie par des affrontements opposant le roi et le Parlement de Paris au cours du XVIIIe siècle. Pour le XIXe et le XXe siècle, l’ensemble de la modernité démocratique peut se définir comme un vaste aller-retour avec une première phase où la démocratie se définit comme la nécessité de contrôler et de circonscrire le plus possible le pouvoir exécutif, puis une seconde phase où la démocratie a progressivement accueilli un exécutif puissant, moderne et dominateur, tout en prenant le risque d’affaiblir le rôle des assemblées.

Cette lutte ancestrale a pris une allure particulièrement dramatique et prononcée dans le cas français. L’histoire politique française a ceci de particulier qu’elle a poussé beaucoup plus loin que les autres aussi bien la force du parlementarisme, dans un premier temps (IIIe puis IVe République), que la domination presque sans partage de l’exécutif, dans un deuxième temps (Ve République). Nous vivons dans ce deuxième temps depuis plus de soixante ans, une durée suffisante pour qu’un habitus se soit ancré dans les comportements des acteurs politiques comme dans les attentes des électeurs.

Historiquement, la domination de l’exécutif sur le législatif a donné à l’élection présidentielle une force d’attraction exceptionnelle puisque le corps électoral est invité à choisir un candidat qui, une fois élu, disposera de très larges pouvoirs pour mener à bien les réformes et les politiques annoncées lors de sa campagne électorale. Dans les faits, cette force du président était complétée par la victoire de son parti aux élections législatives (souvent avec des petits partis alliés et complémentaires). La cohabitation n’a pas modifié la domination de l’exécutif : la force du gouverner s’est alors concentrée sur le premier ministre qui disposait toujours d’un contrôle efficace du Parlement.

Par contraste avec cette « période heureuse » de la Ve République, la situation actuelle est donc très simple : ne disposant pas d’un fait majoritaire à l’Assemblée, l’exécutif se retrouve paralysé dans son pouvoir d’agir. Chaque premier ministre qui passe (Attal, Borne, Barnier, Bayrou, maintenant Lecornu) se retrouve encore un peu plus éloigné de toute légitimité électorale. Aussi la facilité avec laquelle le dispositif de la Ve République s’est démantelé sous nos yeux apparaît spectaculaire. Certes, en toute logique, l’ancien dispositif pourrait se reconstituer aussi vite qu’il a été brisé. Rien n’interdit de penser qu’une nouvelle élection présidentielle suivie de nouvelles élections législatives ne pourrait pas redonner au chef de l’État une assurance majoritaire. Rien n’interdit de penser, non plus, que de simples élections législatives intervenant après une dissolution pourraient conduire à un fait majoritaire au profit d’un seul parti ou d’un parti dominant qui rallierait à lui de petits partis satellitaires.

Tout ceci est possible et occupe visiblement l’esprit et l’espoir des acteurs politiques. Se replacer ainsi dans l’hypothèse du confort majoritaire sous-estime toutefois le caractère beaucoup plus profond des changements intervenus dans la période récente. La force de gouverner sous la Ve République reposait en effet sur un écosystème complexe dont il faut rappeler les deux principaux éléments.

Une domination de l’exécutif fondée sur l’expertise et sur le règne des partis

Tout d’abord, la domination de l’exécutif s’est jouée sur le terrain de l’expertise. Des organes de planification, de prospective et d’aides à la décision ont fleuri autour du gouvernement classique, surtout après 1945. Par comparaison, les assemblées parlementaires ont bénéficié d’une modernisation beaucoup plus limitée en termes de moyens. Elles ont développé la capacité d’évaluation des politiques publiques, mais ne disposent pas d’un organe public indépendant (ou suffisant) pour l’expertise du budget tel qu’il existe auprès du Congrès américain avec le Congressional Budget Office (CBO).

D’autre part, la force de l’exécutif a été historiquement dépendante du rôle de partis politiques modernes. Depuis les années 1960 et 1970, des partis politiques comme le Parti socialiste ou les différents partis gaullistes ont eu les moyens de jouer leur rôle de producteurs doctrinaux et de fidélisation de leur électorat. Ils étaient des « machines » capables d’exercer « une pression collective su la pensée de chacun » pour reprendre Simone Weil. Dans les assemblées, ils ont pu construire d’une main de fer la pratique de discipline de vote, des consignes de groupes et de contrôle des déclarations à la presse. Le parti majoritaire, parfois associé à de petits partis satellites ou alliés, était à même d’assurer au gouvernement une majorité connue d’avance, prête à faire voter en temps voulu le budget de l’exécutif ou les projets de loi sans modification importante. Les partis privilégiaient la cohésion collective et la verticalité de l’obéissance plutôt que le rôle d’espace de discussion. La répétition des élections présidentielles comme la fréquence du dispositif majoritaire avaient ancré les partis dans le rôle d’entrepreneurs de programmes. L’ambition de leurs plates-formes électorales était en proportion de la « force de gouverner » attendue : ce fut longtemps un atout indéniable pour que l’offre politique rencontre de fortes aspirations sociales.

Ces deux piliers de la force de l’exécutif sont aujourd’hui remis en cause. L’État planificateur de tradition jacobine s’est fortement transformé depuis les années 1990 avec la multiplication des agences et les réformes successives de décentralisation. L’âge d’or des grands serviteurs de l’État, qui offraient à l’exécutif une aide homogène à la décision, est passé. Aujourd’hui, un gouvernement est confronté à la diversité et parfois la contradiction des avis que lui fournissent les organes experts. L’expertise n’est donc plus enfermée dans le seul silo de la haute administration classique. Elle est devenue un secteur concurrentiel où des entrepreneurs d’expertise multiplient les avis et les alertes au risque d’ajouter à la confusion plutôt que d’aider à la prise de décision. La question concerne aussi bien les think tanks que des forums internationaux, tels que le Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).

La « forme-parti » pour reprendre l’expression du politiste italien, Paol  Pombeni, a, elle aussi, profondément changé. L’appareil central a diminué en termes de moyens. Il n’est plus en mesure d’exercer le même contrôle sur les troupes et sur la mise en cohérence de l’ensemble. Au sein d’un même groupe parlementaire, certains membres jouent leur communication personnelle. L’affiliation par le haut étant en crise, il n’est pas étonnant de retrouver la même crise par le bas : les partis n’assurent plus de stabilité dans le lien entre leur offre politique et la demande sociale – leurs résultats d’un type d’élection à un autre sont devenus erratiques. Il est, par exemple, devenu impossible de savoir ce que représente réellement, à la fois politiquement et socialement, le Parti socialiste si l’on confronte le résultat de la dernière présidentielle (1,7 %) avec le score obtenu aux élections européennes (13 %). Comme le montrent les travaux de Rémi Lefebvre, les partis politiques ne réussissent plus à être des entrepreneurs stables d’identités qui fidélisent des sections de la société : une majorité politique est devenue introuvable parce qu’une majorité sociale est elle-même devenue impossible.

Au total, c’est toute la chaîne qui faisait la force de l’exécutif qui est démantelée, maillon par maillon. Un président n’est plus assuré de nommer un premier ministre qui sera à même de faire voter son programme électoral grâce à une majorité solide dans les assemblées.

Le parlementarisme a fonctionné sous la IIIᵉ et la IVᵉ République

Dans une telle situation, le Parlement retrouve une position centrale. Le retour à un vrai travail budgétaire ne serait d’ailleurs qu’un retour aux sources historiques des assemblées. Le « gouvernement parlementaire » avait su fonctionner de manière satisfaisante pendant la majeure partie de la IIIe République, y compris dans sa contribution essentielle à la victoire pendant la Première Guerre mondiale. Il a encore joué sa part dans la reconstruction du pays et l’établissement du modèle social sous la IVe République, de la Sécurité sociale jusqu’au salaire minimum. On commet donc une erreur quand on déclare la France « ingouvernable ». L’expression n’a de sens que si l’on réduit la notion de gouverner à la combinaison d’un exécutif dominant associé au fait majoritaire partisan.

L’art de la décision tel qu’il était pratiqué dans le « gouvernement parlementaire » conserve sa force d’inspiration : il a d’ailleurs été pratiqué dans la période récente pour certains parcours législatifs comme sur le droit à mourir. Il est donc loin d’avoir disparu. Des modifications du règlement de l’Assemblée nationale qui s’attaqueraient notamment à l’obstruction du débat par l’abus des amendements, pourraient accompagner le « reset » du parlementarisme. Transférer une part de l’expertise de l’exécutif vers le législatif aiderait aussi au redressement de la qualité du travail des commissions.


À lire aussi : Loi Duplomb, A69 : Comment le gouvernement Bayrou a contourné l’Assemblée nationale pour faire passer ses projets. La démocratie malmenée ?


Certes, rien ne dit que cela soit suffisant. Mais la situation actuelle démontre que la « combinaison magique » d’un président fort associé à un fait majoritaire et à un esprit partisan exacerbé a produit des résultats financiers, économiques et sociaux négatifs.

La Ve République avait d’abord apporté la stabilité du pouvoir, la force d’entraînement vers la modernisation du pays et le progrès social. Ce n’est plus le cas. La disparition du fait majoritaire, combinée au dévoilement du caractère abyssal de la dette, nous plonge dans la désillusion des vertus attribuées à la Ve République. Pour la première fois depuis la création de la Vᵉ République en 1958, il n’y a donc pas d’autre choix que de refaire Parlement.

The Conversation

Nicolas Rousselier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

09.09.2025 à 17:02

Why France’s government collapsed (again), and what Macron might do next

Frédéric Sawicki, professeur de science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
France’s Prime Minister François Bayrou has resigned after failing to win a confidence vote. What options might President Emmanuel Macron use to break a political deadlock?
Texte intégral (2491 mots)

French Prime Minister François Bayrou on Monday failed to win a confidence vote in parliament (194 votes in favour, 364 against) and has submitted his resignation to President Emmanuel Macron, who will have to appoint a new head of government or dissolve the National Assembly. How may the result of the vote be interpreted? What are the possible scenarios for a way out of the crisis? An interview with political scientist Frédéric Sawicki.


The Conversation: François Bayrou has resigned. What is your assessment of his actions and methods leading up to the vote?

Frédéric Sawicki: How can we understand such a fiasco? How can we understand this political suicide, which is a vote of confidence chosen by the prime minister when he does not have a majority?

By refusing to engage in negotiations since his nomination that could have led to some kind of governing agreement, particularly with the Socialist Party, Bayrou has deprived himself of any chance of political survival. This is a paradox for this Christian democrat who, throughout his political career, has constantly called for the right-left divide to be overcome. Remember that, to this end, in 2002 he refused to join the UMP, then France’s largest centre-right party (which was later rebranded Les Républicains or LR), and called for a vote for Socialist and former president François Hollande in 2012 and a search for compromise.

His leadership as prime minister has also been marked by a series of failures and blunders that have only served to widen the gap with the left, starting with the disastrous handling of the revelations concerning Bétharram, an episode during which Bayrou struggled to clarify his role but, above all, showed little compassion for the victims, appearing to be a man from another era. (Editor’s note: a French parliamentary inquiry found that students at Notre-Dame de Bétharram school had been victims of “physical and sexual violence”, including during a period when Bayrou, some of whose children had attended the school, served as French education minister in the 1990s.) Previously, in January, there was a total omission of climate and environmental issues in his general policy statement, followed by the use of the expression submersion migratoire (“migrant flooding”), two strong signals sent to the right and the far right. If these political forces could applaud the adoption of the Duplomb law in unison with the National Federation of Farmers’ Unions (FNSEA), the Socialist Party and the large French trade union CFDT could only note that they had been duped after the failure of the “conclave” on pensions last June.

Finally, after humiliating the left in this way, the prime minister delivered the coup de grâce by announcing a €44 billion austerity plan, mainly borne by employees and pensioners, with the grotesque measure of eliminating two public holidays, which has definitively alienated the National Rally (Rassemblement National or RN), the far-right party with 120 members in the National Assembly.


À lire aussi : French national debt under presidents Chirac, Sarkozy, Hollande and Macron: a look at the numbers


Beyond Bayrou himself, what are the structural causes of this failure?

F. S.: We must look at Bayrou’s individual responsibility in context, despite his blunders.

The primary reason for this failure lies in the president’s decision to disregard the new balance of power within the National Assembly elected in July 2024. This, it should be remembered, should have led to the appointment of a prime minister from the New Popular Front, even if this government failed and the president then appointed another prime minister. Instead, Emmanuel Macron chose to rely on the Les Républicains (LR) group and its 48 MPs, who had been in opposition until then, by appointing Michel Barnier. In December, Macron did not even pretend to acknowledge his defeat by appointing Bayrou, who, with the MoDem group (36 MPs), has been part of his majority since 2017.

To have had any chance of succeeding, Bayrou and Barnier would have needed to broaden their support beyond their parties and the central bloc. If France were a “classic” parliamentary democracy, there would surely have been extensive negotiations between the parties willing to participate in the government. These negotiations would undoubtedly have taken several weeks, but they would have ensured a degree of stability around a few compromise measures. By appointing a prime minister of his choosing, interfering in the composition of the government and leaving it to them to cobble together a balancing strategy (one move to the left, two or three moves to the right and to the far right), Macron condemned it to failure.

Much criticism has been levelled at the political parties’ lack of a culture of compromise. Is this lack also a reason for this failure?

F. S.: Indeed, but it is less the culture than our institutions that do not encourage actors to act responsibly. The presidential election is always seen as the decisive moment for setting a new course for the next five years. As a result, agreeing to compromises has meant risking being “burned” at the next presidential election. This explains, for example, the attitude of LR in 2022, when it refused to join the majority even though Macron’s programme was largely in line with its own.

Hyper-“presidentialisation” prevents compromise. The freedom given to the president to appoint the prime minister without fully taking into account the results of the vote, as well as the president’s intrusion into government policy even when disavowed by the ballot box, illustrate the perversion of our institutions. They guarantee Macron’s total irresponsibility. Even if voices are beginning to be heard calling for his resignation or impeachment, nothing obliges him to act. The flip side of this irresponsibility is that it creates equally irresponsible parties: they pass the buck back to the president, it’s up to him to find the answers, and see you at the next presidential election!

Finally, the two-round majority voting system for electing MPs does not encourage parties to seek compromise either. On the one hand, the moderate left must join forces with the radical left in order to win seats, while on the other, the right is facing increasing competition from the far right in many constituencies.

What solutions could break this deadlock?

F. S.: I advocate for a proportional voting system that would make political parties and parliamentarians more accountable. Our excessively presidential system and the two-round majority vote not only fail to provide adequate representation of the diversity of political ideas and social interests, but they also no longer produce clear majorities. There are sociological, political and ideological divisions that fracture the country far beyond the old left-right divide. Bipolarisation is not about to happen again, and this is true for many countries today.

Today, these various divisions are not properly reflected in the National Assembly because French citizens are often forced to vote to eliminate one party or another. Proportional representation, on the other hand, encourages people to vote for the programme they feel closest to. It prevents any single party from governing alone and makes it easier for politicians to negotiate policy directions.

But will reforming the legislative election system be enough? Isn’t one of the challenges also to reduce the power of the president?

F. S.: Indeed, there are undoubtedly other projects to be undertaken. Some believe that we should return to a single seven-year term for the president. Others think that the president should no longer have the power to appoint the prime minister, making a vote of confidence by the National Assembly mandatory, as was the case in France’s Third and Fourth Republics. Others would like to develop shared-initiative referendums or citizen-initiated referendums. All of this will have to be discussed during the next presidential election, but in the immediate term, in order to put the Fifth Republic back on a more democratic track and break the current deadlock, proportional representation seems to me to be the first reform to consider. Political scientist Bastien François has proposed a referendum on proportional representation followed by a dissolution that would allow a new assembly to be elected. This reform could also be seen as a bargaining chip in negotiations to form a future government between the centre and the left.

What options are available to Macron today?

F. S.: Macron can now dissolve the Assembly, but this would be a risky move: it would cause his camp to lose votes. Furthermore, in a volatile social climate – with the Bloquons tout movement – dissolution could amplify the vote against the president.

Second scenario: Macron continues along the same lines, hoping that a prime minister from his camp will push the budget through using Article 49.3, even if it means dissolving parliament afterwards. But the National Rally no longer seems willing to play the neutrality game, and the Socialists are unlikely to be any more lenient. This choice would therefore amount to taking a step back in order to take a bigger leap, and would most likely lead to a new vote of no confidence in a few weeks’ time, depriving France of a budget.

Third scenario: Macron gives Olivier Faure, the leader of the Socialist Party, or a left-wing prime minister a chance. It seems to me that this would be the only rational decision to avoid dissolution. The Socialists could push through a few left-wing reforms such as the Zucman tax on ultra-rich individuals, measures that take into account the hardship of retirement, and even measures in favour of hospitals and education, which are widely supported by the French. This would undoubtedly be difficult for Macron to swallow, but he can always hope that the Constitutional Council will prohibit the Zucman tax or that the hard-left party La France insoumise (LFI or France Unbowed), will torpedo the Socialist Party. He could also try to divide the Socialists by proposing a former member of their party, such as Bernard Cazeneuve, for prime minister, but the Socialists seem more united today than they were last December – when the Barnier government collapsed and Bayrou was picked to replace him – and are likely to reject this manoeuvre.

If there is a dissolution, is the National Rally getting closer and closer to power?

F. S.: One might think that the main victims of a dissolution would be the MPs from the presidential camp. For the moment, the left seems to be holding its own in the polls. The National Rally is also holding steady, with around a third of the vote. The question is, what will the parties do? Will Les Républicains definitively shift toward an alliance with the National Rally? Will the left go into these elections united (as in 2022 and 2024), or divided? Will some voters, disappointed with Macronism, turn to the Socialists, who are ultimately considered more responsible and reasonable? It is difficult to predict the current balance of power, as measured by polls, in a context of a two-round majority election and with so many uncertainties.


Interview by David Bornstein.


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The Conversation

Frédéric Sawicki ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

09.09.2025 à 16:48

« Bloquons tout », « grève générale » : quel rôle politique les grèves ont-elles joué en France depuis la fin du XIXe siècle ?

Stéphane Sirot, Professeur d'histoire politique et sociale du XXème siècle, CY Cergy Paris Université
Le mouvement « Bloquons tout » vise à paralyser le pays. Jean-Luc Mélenchon appelle à la « grève générale ». Retour sur l'histoire de la grève et des blocages depuis la fin du XIXe siècle.
Texte intégral (2146 mots)

Alors que le mouvement « Bloquons tout » appelle à paralyser le pays le 10 septembre, Jean-Luc Mélenchon appelle à la « grève générale ». Ce concept a joué un rôle majeur dans la rhétorique révolutionnaire du début du XXe siècle aux années 1970. Quel rôle ont joué les grèves dans l’histoire syndicale et politique française ? Quel sens leur donner aujourd’hui ?


Si le recours à la grève n’est pas d’un usage spectaculairement plus marqué en France qu’ailleurs en Europe occidentale, la place qui lui a été attribuée dans l’histoire du mouvement ouvrier français n’en est pas moins singulière. Tout au moins dans la double acception que lui a donné un temps le champ syndical : pratique privilégiée pour améliorer le quotidien, elle est en outre au cœur de l’utopie syndicaliste révolutionnaire. Donc, du dépassement du capitalisme.

Au fil du temps, la centralité de la grève dans les rapports sociaux s’est solidement installée, mais sa fonction utopique a vacillé. À la charnière des XXe-XXIe siècles, à l’instar des formes d’expression de la lutte des classes dont elle est l’une des quintessences, la pratique conflictuelle a même été nettement dévalorisée.

La grève ou le dérèglement de l’ordre dominant par les travailleurs eux-mêmes

Outre sa dimension d’outil de défense des conditions d’existence et d’offensive pour des droits nouveaux, la grève est est une forme primitive d’agglomération du monde ouvrier, dont la montée en puissance précède puis accompagne le développement du syndicalisme.

Lorsque le droit de se regrouper dans des syndicats est accordé en 1884, les conflits du travail, dépénalisés en 1864, ont déjà bien entamé leur processus d’installation au cœur des relations industrielles. Autrement dit, l’action précède l’organisation. Souvent même, tout au long du XIXe siècle, elle la fonde : des syndicats naissent à la faveur d’une confrontation sociale, certains disparaissent rapidement une fois la grève terminée, d’autres perdurent.

Puis lorsque naît la CGT à Limoges en 1895, elle ne tarde pas à se doter d’un corpus de valeurs assis sur l’« autonomie ouvrière » et l’« action directe ». Par ses propres luttes, indépendamment des structures partisanes et des institutions, la classe ouvrière est censée préparer la « double besogne » définie par le fait syndical, soit tout à la fois le combat revendicatif prosaïque du moment et la perspective utopique d’un renversement du capitalisme. Une telle approche octroie à la grève un rôle central et tend à la parer de toutes les vertus.

Elle est envisagée comme une école de la solidarité, par l’entraide matérielle qu’elle induit souvent ou par son processus d’extension interprofessionnelle. Elle est en outre une école de la lutte de la lutte des classes, un « épisode de guerre sociale », comme a pu l’écrire l’un des dirigeants de la CGT d’avant 1914.

C’est la raison pour laquelle, quoi qu’il advienne :

« ses résultats ne peuvent être que favorables à la classe ouvrière au point de vue moral, il y a accroissement de la combativité prolétarienne… ». Et si elle est victorieuse, elle est une forme de reprise collective sur le capitalisme, car elle produit « une diminution des privilèges de la classe exploiteuse… »

Enfin, pensent les syndicalistes révolutionnaires, la grève dans sa version généralisée offre aux ouvriers l’arme qui leur permettra d’atteindre le Graal : la disparition définitive du capitalisme. C’est ce que soutient le seul ouvrage qui, dans le champ militant, décrit par le menu ce processus d’appropriation des moyens de production par les travailleurs eux-mêmes, sous l’égide de leurs syndicats qui entreprennent ensuite d’organiser les lendemains qui chantent.

Cette grève générale à forte intensité politique n’est jamais advenue et n’a jamais donné lieu à un changement radical de société. Mais une telle utopie n’était pas forcément à but prémonitoire. Sa fonction était aussi, et peut-être surtout, de prémunir le mouvement ouvrier contre les sirènes de la cogestion et de l’accompagnement du système en place, projet formé pour lui, dès les dernières décennies du XIXe siècle, par les élites républicaines. Accessoirement, le maintien d’un cap révolutionnaire apparaît propice à nourrir une « grande peur » de l’ordre dominant qui, pour se rassurer, se sent ainsi acculé à faire des concessions.

La grève, de l’éden de la lutte des classes au purgatoire du « dialogue social »

Alors que la Première Guerre mondiale donne le coup de grâce au syndicalisme révolutionnaire, deux grandes approches de la grève prédominent au cours des années de scission de la CGT (1922-1935). Pour la confédération de Léon Jouhaux, la suspension de la production est pour l’essentiel et sans s’en priver, un ultime recours ne devant être actionné que si la négociation est infructueuse. Pour la CGTU, proche du PCF, elle peut être une arme allant au-delà de la seule satisfaction des revendications économiques.

Selon les syndicalistes communistes :

« dans son développement, la grève devient inévitablement une lutte politique mettant aux prises les ouvriers et la trinité : patronale, gouvernementale et réformiste, démontrant la nécessité d’une lutte impitoyable débordant le cadre corporatif ».

Pour autant, dans le discours et l’imaginaire du syndicalisme, la grève n’est plus de la même manière qu’auparavant une pratique susceptible d’œuvrer au principe d’« autonomie ouvrière » ou de provoquer l’accouchement d’une nouvelle société. Elle a perdu sa dimension utopique.

Son usage n’en demeure pas moins alors une arme majeure. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le syndicalisme et le monde ouvrier ne sont pas encore pleinement intégrés aux sociétés occidentales ; le processus est certes en route, mais non encore abouti. Bien que se banalisant peu à peu, la négociation collective a du mal à trouver sa place. Les organisations de travailleurs doivent donc s’appuyer sur une culture de lutte, seule ou presque à même de permettre une amélioration du quotidien et de perturber momentanément le système d’exploitation capitaliste.

Par la suite, et jusque dans les années 1960-1970, la grève demeure très présente dans les pratiques syndicales, pour des motifs qui diffèrent là encore sensiblement de ceux des périodes précédentes. Dans le cadre du « compromis fordiste » (l’échange gains de productivité contre pouvoir d’achat) et de l’institutionnalisation du syndicalisme, elle devient avant tout un moyen de gérer les dérèglements du système, de favoriser un partage un peu moins inéquitable des richesses, dans une logique de régulation conflictuelle des rapports sociaux. L’acte de cessation du travail se ritualise, comme l’illustre la pratique exponentielle des journées d’action.

De surcroît, dans le cadre des États sociaux bâtis au cours des Trente glorieuses, la France et le monde occidental connaissent une phase de réformes de progrès qui, en apparence, ne résultent pas systématiquement et à tout moment d’un rapport de force déclaré. Il est permis de penser qu’à terme, cette situation porte en elle une partie des racines de l’essoufflement de la légitimité de la pratique gréviste. Dès lors qu’une amélioration des conditions d’existence paraît devenir possible sous l’action du champ politique ou par des compromis décidés avec les syndicats dans le cadre d’un « dialogue social » appelé à prospérer, une évolution susceptible d’ériger la grève au rang de nuisance ou d’accident à éviter est prête à s’enclencher.

C’est alors que les organisations de salariés et leurs pratiques sont confrontées, entre autres, aux effets de la conjoncture (ralentissement de la croissance, désindustrialisation, précarisation du travail, individualisation des salaires, contre-réformes sociales disloquant les États sociaux, etc.), à la montée en puissance du libéralisme, dont l’un des desseins est de paralyser l’action syndicale, ou encore aux changements de société post-68 (montée de l’individualisme, déclin des grandes utopies politiques, des idéologies, etc.).

Il faut ajouter à cette liste des causes endogènes, celles fabriquées par le syndicalisme lui-même, parmi lesquelles sa distanciation vis-à-vis du champ politique et de son rôle en matière, son impuissance à fabriquer de l’espoir et de l’utopie, ainsi que les contradictions soulevées par son essence de contre-pouvoir institutionnel, tiraillé entre une obligation d’opposition et une profonde inclusion dans la société.

Délégitimation de l’action gréviste

Dans ce contexte, le mouvement syndical du tournant des XXᵉ-XXIᵉ siècles semble s’être significativement replié sur une stratégie de survie. Celle-ci paraît consister à sauver sa légitimité, si nécessaire en s’éloignant de la mise en action du salariat et, au final, en délaissant la manière de penser la rupture avec l’ordre capitaliste.

Depuis trente ou quarante ans, les unes après les autres et à des degrés divers, les grandes confédérations se sont en outre engagées dans une voie nourrissant un doute, voire une forme de délégitimation rhétorique de l’action gréviste.

On peut citer la fameuse phrase du dirigeant de la CFDT, Edmond Maire, comme archétype de la démarche de dévalorisation du rapport de force :

« […] La vieille mythologie selon laquelle l’action syndicale, c’est seulement la grève, cette mythologie a vécu. Le syndicalisme doit l’abandonner. »

Pourtant, le syndicalisme de « dialogue social » sans rapport de force n’a jamais davantage porté ses fruits que celui de confrontation, loin s’en faut. Dans notre pays, les grandes phases historiques de conquêtes sociales majeures résultent de mobilisations syndicales et populaires. Le Front populaire, la Libération, mai-juin 1968 en sont d’éclatantes démonstrations. A contrario, depuis les années 1980, caractérisées par le développement des processus de négociation collective décentralisés et voulus à froid, la restriction du domaine des droits sociaux progresse continûment. Sauf, exceptionnellement, comme en novembre-décembre 1995, lorsqu’un mouvement social déterminé, en l’espèce bloquant et reconductible, parvient à se déployer tout en suscitant des débats de société à même d’établir la jonction entre le contenu des revendications professionnelles et les choix de société qu’elles permettent de mettre au jour.

Au long de son histoire, c’est à la fois par le projet politique utopique dont il était l’initiateur ou le vecteur et par la pratique gréviste dont il faisait un paradigme majeur de son action que le syndicalisme a rassemblé et s’est érigé en force sociale crainte d’un ordre dominant qui, aujourd’hui comme hier, ne concède quasiment jamais rien sans se sentir menacé.


Cet article est extrait de L’autre voie pour l’humanité. Cent intellectuels s’engagent pour un post-capitalisme, ouvrage sous la direction d’André Prone, Paris, Delga, 2018.

The Conversation

Stéphane Sirot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

08.09.2025 à 19:10

« Le suicide politique de François Bayrou est le produit d’un régime politique à bout de souffle »

Frédéric Sawicki, professeur de science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
François Bayrou n’a pas obtenu la confiance des députés et va remettre sa démission au président de la République. Comment interpréter ce nouvel échec ? Quelles options pour sortir de l’impasse ?
Texte intégral (2261 mots)

Le premier ministre François Bayrou n’a pas obtenu la confiance des députés (194 voix pour, 364 voix contre) et va remettre sa démission au président de la République Emmanuel Macron. Ce dernier devra choisir un nouveau chef de gouvernement ou avoir recours à une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale. Comment interpréter la chute du gouvernement Bayrou ? Quels scénarios pour une sortie de crise ? Entretien avec le politiste Frédéric Sawicki.


The Conversation : François Bayrou vient de démissionner. Quel bilan tirez-vous de son action et de sa méthode ?

Frédéric Sawicki : Comment comprendre un tel fiasco ? Comment comprendre ce suicide politique qu’est ce vote de confiance choisi par le premier ministre alors qu’il ne dispose pas de majorité ?

En refusant de s’engager depuis sa nomination dans une négociation ayant pu déboucher sur une espèce de contrat de gouvernement, notamment avec le Parti socialiste (PS), François Bayrou s’est privé de toute possibilité de survie politique. C’est là un paradoxe pour ce démocrate-chrétien qui, tout au long de sa carrière politique, n’a cessé d’appeler au dépassement du clivage droite-gauche (rappelons qu’il avait, à ce titre, refusé de rejoindre l’UMP en 2002 et appelé à voter François Hollande et à la recherche de compromis en 2012.

Sa gouvernance a, en outre, été marquée par une succession d’échecs et de maladresses qui n’ont pu que creuser la distance avec la gauche, à commencer par la désastreuse gestion des révélations concernant Bétharram, épisode au cours duquel François Bayrou a peiné à clarifier son rôle, mais surtout où il n’a guère montré de compassion pour les victimes, apparaissant comme un homme d’un autre temps. Auparavant, en janvier, il y a eu l’impasse totale faite sur les enjeux climatiques et environnementaux dans sa déclaration de politique générale, suivie par l’utilisation de l’expression « submersion migratoire », deux lourds signaux envoyés à la droite et à l’extrême droite. Si celles-ci pouvaient applaudir des deux mains à l’unisson de la FNSEA l’adoption de la loi Duplomb, le PS et la CFDT ne pouvaient que constater, de l’autre côté, s’être fait rouler dans la farine après l’échec du « conclave » sur les retraites en juin dernier.

Enfin, après avoir ainsi humilié la gauche, le premier ministre a porté le coup de grâce en annonçant un plan d’économies de 44 milliards d’euros, supporté pour l’essentiel par les salariés et par les retraités, avec cette mesure ubuesque concernant la suppression deux jours fériés qui lui a définitivement aliéné le Rassemblement national (RN).

Au-delà de la personne de François Bayrou, quelles sont les causes structurelles de cet échec ?

F. S. : Il faut relativiser la responsabilité individuelle de François Bayrou, malgré ses bévues.

La première raison de cet échec réside dans le choix du président de la République de ne pas tenir compte du nouveau rapport de forces au sein de l’Assemblée nationale élue en juillet 2024. Celui-ci, rappelons-le, aurait dû conduire à la nomination d’un premier ministre du Nouveau Front populaire (NFP) quitte à ce que ce gouvernement échoue et que le président nomme alors un autre premier ministre. Au lieu de cela, Emmanuel Macron a choisi de s’appuyer sur le groupe LR et ses 49 députés, jusqu’ici dans l’opposition, en nommant Michel Barnier. En décembre, il n’a même plus fait semblant de prendre acte de sa défaite en nommant François Bayrou qui, avec le groupe MoDem (36 députés), fait partie de sa majorité depuis 2017.

Pour réussir, Bayrou ou Barnier étaient condamnés à élargir leurs soutiens au-delà de leurs partis et du bloc central. Si la France était dans une démocratie parlementaire « classique », on en serait sûrement passé par une grande négociation entre les partis prêts à participer au gouvernement. Cette négociation aurait sans doute pris plusieurs semaines, mais elle aurait permis une certaine stabilité autour de quelques mesures de compromis. En nommant un premier ministre à sa guise, en interférant dans la composition du gouvernement et en leur laissant le soin de bricoler une stratégie de balancier (un coup à gauche, deux ou trois coups à droite et à l’extrême droite), Emmanuel Macron a condamné celui-ci à l’échec.

On a beaucoup critiqué l’absence de culture du compromis des partis politiques. Est-ce également une raison de cet échec ?

F. S. : En effet, mais c’est moins la culture que nos institutions qui ne poussent pas les acteurs à se montrer responsables. L’élection présidentielle est toujours pensée comme le moment décisif permettant d’engager une nouvelle orientation pour cinq ans. Du coup, accepter de passer des compromis, revenait à risquer de « se griller » pour l’élection présidentielle suivante. C’est ce qui explique, par exemple, l’attitude de LR en 2022, qui refuse de rejoindre la majorité alors même que le programme d’Emmanuel Macron est largement convergent avec le sien.

L’hyperprésidentialisation empêche le compromis. La liberté laissée au président de nommer le premier ministre sans tenir pleinement compte du résultat du vote et son intrusion dans la politique du gouvernement même désavoué par les urnes illustrent la perversion de nos institutions. Elles garantissent l’irresponsabilité totale d’Emmanuel Macron. Même si des voix commencent à se faire entendre pour appeler à sa démission ou à sa destitution, rien ne l’y oblige. Le revers de la médaille de cette irresponsabilité est qu’elle crée des partis tout aussi irresponsables : ces derniers renvoient la balle au président – à lui de se débrouiller pour trouver des réponses, et rendez-vous à la prochaine élection présidentielle !

Enfin, le mode d’élection des députés au scrutin majoritaire à deux tours n’incite pas non plus les partis à trouver des compromis. D’un côté, la gauche modérée doit s’associer à la gauche radicale pour avoir des députés, de l’autre, la droite est concurrencée de plus en plus par l’extrême droite dans de nombreuses circonscriptions.

Quelles solutions permettraient de sortir de cette impasse ?

F. S. : Je plaide pour un scrutin proportionnel qui permettrait de rendre les partis politiques et les parlementaires plus responsables. Notre régime excessivement présidentialisé et le scrutin majoritaire à deux tours non seulement ne permettent pas une bonne représentation de la diversité des idées politiques et des intérêts sociaux, mais ils ne permettent plus aujourd’hui de déboucher sur des majorités claires. Il existe des divisions sociologiques, politiques et idéologiques qui fracturent le pays bien au-delà de l’ancien clivage droite-gauche. La bipolarisation n’est pas près de se reproduire, c’est d’ailleurs un constat qui vaut pour de très nombreux pays aujourd’hui.

Aujourd’hui, ces divisions ne sont pas correctement reflétées au sein de l’Assemblée, car les Français sont souvent contraints de voter pour éliminer tel ou tel parti. Le scrutin proportionnel incite au contraire à voter pour le programme dont on est le plus proche. Il empêche qu’un seul parti ne gouverne et amène plus facilement les responsables politiques à négocier des orientations programmatiques.


À lire aussi : Notre démocratie est-elle minée par l’élection du président de la République au suffrage universel ?


Mais une réforme du scrutin législatif sera-t-elle suffisante ? L’un des enjeux n’est-il pas également de réduire le pouvoir du président de la République ?

F. S. : Effectivement, il existe sans doute d’autres chantiers à entreprendre. Certains considèrent qu’il faut revenir à un mandat unique de sept ans pour le président, d’autres qu’il faudrait lui retirer le pouvoir de nomination du premier ministre en rendant obligatoire le vote de confiance de l’Assemblée nationale, comme c’était le cas pour la IIIe et la IVe République. D’autres souhaitent développer les référendums d’initiative partagée ou les référendums d’initiative citoyenne. Tout cela devra être discuté lors de la prochaine élection présidentielle, mais, dans l’immédiat, pour remettre la Ve République sur des rails plus démocratiques et sortir de l’impasse actuelle, la proportionnelle me semble être la première réforme à envisager. Le politiste Bastien François propose un référendum sur la proportionnelle, puis une dissolution qui permettrait d’élire une nouvelle assemblée. On peut aussi envisager cette réforme comme un élément de négociation pour construire un futur gouvernement entre le centre et la gauche.

Quelles solutions s’offrent à Emmanuel Macron aujourd’hui ?

F. S. : Emmanuel Macron peut désormais dissoudre l’Assemblée, mais ce choix serait risqué : il ferait perdre des voix à son camp. Par ailleurs, dans un contexte social inflammable – avec le mouvement « Bloquons tout » – une dissolution peut amplifier le vote de rejet du président.

Seconde hypothèse : Emmanuel Macron poursuit dans la même logique en espérant qu’un premier ministre de son camp fasse passer le budget au « 49.3 ». quitte à dissoudre ensuite. Mais le Rassemblement national ne semble plus prêt à jouer le jeu de la neutralité et les socialistes ne devraient pas être plus cléments. Ce choix reviendrait donc à reculer pour mieux sauter et l’on arriverait très probablement à une nouvelle censure dans quelques semaines et à priver la France de budget.

Troisième hypothèse : Emmanuel Macron donne sa chance à Olivier Faure ou à un premier ministre de gauche. Il peut ainsi penser réussir à lever l’hypothèque socialiste comme on disait sous la Troisième. Il me semble qu’il s’agirait de la seule décision rationnelle pour éviter une dissolution. Les socialistes pourraient faire passer quelques réformes de gauche comme la taxe Zucman, des mesures prenant en compte la pénibilité en matière de retraite, voire des mesures en faveur de l’hôpital et l’éducation, qui sont largement soutenues par les Français. Ce serait sans doute difficile à avaler pour Macron, mais ce dernier peut toujours espérer que le Conseil constitutionnel censure la taxe Zucman ou que LFI torpille le PS. Il peut aussi essayer de diviser les socialistes en proposant un ancien du PS comme Bernard Cazeneuve, mais les socialistes semblent aujourd’hui plus unis qu’en décembre dernier et risquent de refuser cette manœuvre.

Si dissolution il y a, le Rassemblement national est-il de plus en plus proche du pouvoir ?

F. S. : On peut penser que les principales victimes d’une dissolution seront les députés du camp présidentiel. La gauche, pour l’instant, semble se maintenir dans les sondages. Le RN également, autour d’un tiers des votes. La question, c’est que vont faire les partis ? Est-ce que LR va définitivement basculer vers une alliance avec le RN ? La gauche partira-t-elle unie (comme en 2022 et en 2024) à ces élections ou divisée ? Est-ce qu’une partie des électeurs, déçus du macronisme, vont se tourner vers les socialistes, finalement jugés plus responsables et raisonnables ? Il est difficile de prédire les rapports de forces actuels, tels que les mesurent les sondages, dans un contexte d’élection majoritaire à deux tours et avec autant d’incertitudes.


Propos recueillis par David Bornstein.

The Conversation

Frédéric Sawicki ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

08.09.2025 à 17:20

The history of strikes in France

Stéphane Sirot, Professeur d'histoire politique et sociale du XXème siècle, CY Cergy Paris Université
Thursday, 18 September is a day of national strike action in France. What role have strikes played in French history? What meaning do they have today?
Texte intégral (2026 mots)

While strikes do not occur more often in France than elsewhere in Western Europe, their place in the history of the French labor movement is nonetheless unique. For trade unions, strikes were once a preferred means of improving everyday life, and also at the heart of their revolutionary utopia. In other words, they were aimed at the overcoming of capitalism.

Over time, strikes have become firmly established as a central feature of social relations in France, but their utopian function has faltered. At the turn of the 20th and 21st centuries, like other expressions of class struggle, it has even been significantly devalued.

The disruption of the prevailing order by the workers

In addition to its role as a tool for defending living conditions and fighting for new rights, strikes are a primitive form of agglomeration of the working class, whose rise in power precedes and then accompanies the development of trade unionism.

When the right to form unions was granted in 1884, labor disputes, which had been decriminalized in 1864, were already well on their way to becoming a central feature of industrial relations. In other words, action preceded organization. Often, throughout the 19th century, action even laid the foundation for organization: unions were formed in the wake of social unrest, with some disappearing quickly once a strike was over, and others continuing to exist.

When la Confédération Générale du Travail (General Trade Confederation), known as the CGT, was founded in central France in 1895, it quickly adopted a set of values based on “worker autonomy” and “direct action”. Through its own struggles, independent of partisan structures and institutions, the working class was supposed to prepare for the “dual task”, defined by the trade union movement, of the prosaic struggle for immediate demands and the utopian prospect of overthrowing capitalism. This approach gives strikes a central role and tends to endow them with all kinds of virtues.

Strikes are seen as an education in solidarity, through the material mutual aid they often generate or through their interprofessional reach. They are also an education in class struggle, an “episode of social warfare”, as one of the pre-1914 leaders of the CGT wrote. This is why, whatever happens, “its results can only be favorable to the working class from a moral point of view, [because] there is an increase in proletarian militancy”. And if a strike is victorious, it is a form of collective recovery from capitalism, because it produces “a reduction in the privileges of the exploiting class”.

Finally, revolutionary trade unionists believe that a general strike provides workers with the weapon that will enable them to achieve the Holy Grail: the definitive demise of capitalism. This is the argument put forward in Comment nous ferons la Révolution (How We Will Bring About the Revolution) the only work in the activist field that describes in detail the process of appropriation of the means of production by the workers themselves, under the aegis of their unions, which then set about organizing a bright future.

A politically charged general strike in France never occurred and, thus, never led to radical social change. But such a utopia was not necessarily intended to be prophetic. Its function was also, and perhaps above all, to protect the labor movement from the siren calls of co-management of and support for the existing system, a project conceived in the last decades of the 19th century by the republican elites. In addition, maintaining a revolutionary course seems conducive to fuelling a “great fear” in the dominant order, which, to reassure itself, feels compelled to make concessions.

From the paradise of class struggle to the purgatory of ‘social dialogue’

While the first world war dealt the final blow to revolutionary trade unionism, two main approaches to strikes prevailed during the years of a split in the CGT (1922-1935). For the confederation of Léon Jouhaux, a socialist who was awarded a Nobel peace prize in 1951, the suspension of production was essentially a last resort to be used only if negotiations failed. For the CGTU, which was close to the French Communist Party (PCF), it could be a weapon that went beyond the mere satisfaction of economic demands. According to communist trade unionists, “as it develops, the strike inevitably becomes a political struggle pitting workers against the trinity of employers, government and reformists, demonstrating the need for a ruthless struggle that goes beyond the corporate framework”.

However, in trade union discourse and imagination, striking is no longer seen as a practice capable of promoting the principle of “worker autonomy” or bringing about the birth of a new society. It has lost its utopian dimension.

Nevertheless, a strike remains a major weapon. Until the second world war, trade unionism and the working class were not yet fully integrated into Western societies; the process was certainly under way, but not yet complete. Although gradually becoming more commonplace, collective bargaining struggled to find its place. Workers’ organizations therefore had to rely on a culture of struggle, which was almost the only means of improving daily life and temporarily disrupting the capitalist system of exploitation.

Subsequently, and until the 1960s and 1970s, strikes remained a very common feature of union practices, albeit for reasons that differed significantly from those of previous periods. Within the framework of the “Fordist compromise” (the exchange of productivity gains for purchasing power) and the institutionalization of trade unionism, strikes became primarily a means of managing systemic disruptions and promoting a slightly less inequitable distribution of wealth, in a logic of conflictual regulation of social relations. The act of stopping work became ritualized, as illustrated by the exponential increase in the number of days of action.

Furthermore, within the framework of the welfare states built up during the post-war economic boom, France and the Western world undergo a phase of progressive reforms which, on the surface, do not appear to be the result of a systematic and constant power struggle. It is reasonable to assume that, in the long term, this situation is partly responsible for the decline in the legitimacy of strike action. As soon as an improvement in living conditions appears possible through political action or through compromises agreed with the unions in the context of a “social dialogue” that is set to prosper, a shift is likely to occur that will relegate strikes to the status of a nuisance or an accident to be avoided.

It was then that employee organizations and their practices were confronted with, among other things, the effects of the economic climate (slowing growth, deindustrialization, job insecurity, individualization of wages, counterreforms dismantling the welfare state, etc.), the rise of liberalism – one of whose aims is to paralyze union action – and post-1968 changes in society (rise of individualism, decline of grand political utopias, etc.).

To this list of endogenous causes, it must be added those created by trade unionism itself. These include its distancing from the political arena and its role in this area; its inability to generate hope; and the contradictions raised by its nature as an institutional counterweight, torn between an obligation to oppose and a deep-rooted inclusion in society.

Delegitimization of strike action

In this context, the trade union movement at the turn of the 20th and 21st centuries seems to have significantly retreated to a strategy of survival. This appears to consist of saving its legitimacy, if necessary by distancing itself from the mobilization of workers and, ultimately, by abandoning the idea of breaking with the capitalist order.

For the past 30 or 40 years, one after another and to varying degrees, the major labor confederations have also embarked on a path that has fuelled doubt. There has even been rhetorical delegitimization of strike action. In 1985, Edmond Maire, then leader of the French Democratic Confederation of Labour (la Confédération française démocratique du travail or CFDT), said: “[…] the old myth that says union action is only about strikes is a thing of the past. Trade unions must abandon it.”

However, trade unionism based on “social dialogue” without leverage has never been as successful as that based on confrontation. In France, the major historical phases of significant social gains have resulted from trade union and popular mobilization. The Popular Front in the 1930s, liberation (la Libération) from German occupation in the 1940s, and May-June 1968 are striking examples.

Conversely, since the 1980s, characterized by the development of decentralized collective bargaining processes, the restriction of social rights has been steadily progressing. Except in November-December 1995, when a determined social movement, in this case a bloquant (blocking) and renewable one, managed to spread while sparking debates that were able to establish a link between professional demands and the societal choices they brought to light.

Throughout its history, trade unionism has rallied support and established itself as a social force feared by the ruling order, which, today as in the past, rarely concedes anything without feeling threatened. This has been achieved both through the utopian political project that it promoted, and through strike action, which it made a major paradigm.


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