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Chroniques de l'Anthropocène
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CHRONIQUES DE L'ANTHROPOCÈNE

Alain GRANJEAN

Transition écologique, économique et financière

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11.10.2023 à 17:52

Changement climatique : nos efforts sont-ils vains ?

Alain Grandjean

Les climatologues nous alertent sur le fait que les actions menées au niveau mondial (et en France également) sont très insuffisantes pour respecter les engagements pris à Paris, lors de la COP21 pour contenir  la hausse de la température mondiale bien au-dessous de 2°C par rapport à ce qu’elle était au milieu du XIX°siècle. Pour […]

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Texte intégral (2924 mots)

Les climatologues nous alertent sur le fait que les actions menées au niveau mondial (et en France également) sont très insuffisantes pour respecter les engagements pris à Paris, lors de la COP21 pour contenir  la hausse de la température mondiale bien au-dessous de 2°C par rapport à ce qu’elle était au milieu du XIX°siècle. Pour autant ces efforts sont-ils vains ? On pourrait le croire en pensant aux événements extrêmes qui se sont produits cet été, aux records de température battus une fois de plus, à la relance du charbon en Chine et de l’exploration pétrolière partout dans le monde ou aux atermoiements des dirigeants politiques. Nous allons voir que c’est faux : les efforts passés et présents infléchissent nos émissions de CO2 -par rapport à l’absence d’effort – même s’il est nécessaire de les amplifier drastiquement pour contenir la dérive climatique.

Prétendre l’inverse en confondant insuffisance d’efforts avec absence d’efforts est non seulement inexact mais dangereux. Prétendre que le changement climatique est soit un faux-problème, soit un problème que la technique va résoudre spontanément, soit un problème insoluble conduit dans les trois cas à ne rien faire. Le déni climato-sceptique (ou climatodénialiste[1]), le techno-optimisme (consistant à croire que la technologie va nous sauver[2]) et le catastrophisme sont les meilleurs alliés de l’inaction climatique.

Il est d’autant plus important de ne pas décourager l’action contre la dérive climatique que la bataille se durcit au moment où l’on « rentre dans le dur ». Il est clair que limiter le réchauffement du climat ne fera pas que des gagnants. Comme le fait remarquer le climatologue Michael Mann : « Les pollueurs se sont donc tournés vers d’autres tactiques et, ironiquement, l’une d’entre elles a été le pessimisme. S’ils peuvent nous convaincre qu’il est trop tard pour faire quoi que ce soit, alors pourquoi le faire ? » [3]

Insistons sur un point. Constater comme nous allons le faire que des actions ont été menées et qu’elles ont eu des effets de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) ne doit pas être assimilé à une de ces manœuvres « rassuristes» utilisées par les climatodénialistes qui visent à minimiser les impacts du changement climatiques, donc l’ampleur des changements à effectuer pour les réduire.

Mais comment savoir si nos efforts sont utiles ?

Cet article a été inspiré par la lecture du post de Loïc Giaccone : COPs et concentration de CO2 : la gouvernance climatique est-elle vraiment inutile ?, blog Climat & Anthropocène (2022). Il est paru sous une forme légèrement modifié dans le journal l’Opinion  Alain Grandjean: «Changement climatique: pourquoi nos efforts ne sont pas vains » (11/10/23)

1/ D’abord il est utile de se rappeler que nos efforts existent !

Citons quelques extraits du rapport annuel 2023 du Haut conseil pour le climat (p.161) :

« Plus de 3 145 lois climatiques sont en place au niveau mondial, comparé à 1 800 en 2020, tous les pays en ont au moins une. Les politiques publiques ont permis d’éviter d’émettre plusieurs milliards de tonnes de équivalent-CO2 par an[4] »

« Les États-Unis ont voté une loi sur la réduction de l’inflation (« Inflation Reduction Act » ; IRA) en août 2022 visant à soutenir la transition vers la neutralité carbone en injectant 370 Mrd$ (340 Mrd€) de fonds dans les 5-10 prochaines années vers l’innovation et la diffusion des technologies et infrastructures nécessaires à la transition, telles les énergies renouvelables, les batteries, l’hydrogène vert, le nucléaire, et la capture du carbone. Ces investissements, en plus de ceux soutenus par la loi sur les investissements pour les infrastructures et l’emploi, permettraient de réduire les émissions des États-Unis de 37-41 % en 2030 par rapport à leur niveau de 2005[5], pour un objectif de réduction de 50-52 %. »

« L’Union européenne (UE) a adopté la majeure partie des textes réglementaires du paquet « Fit for 55 » dans le cadre du Pacte vert Européen (…). »

En pratique, au sein de l’Union européenne la production d’électricité à base de charbon ne cesse de décroitre comme le montre le graphique suivant.

coal fired electricity generation world and europe

On peut prendre d’autres exemples. Celui du développement des pompes à chaleur dans les pays nordiques qui a contribué à une réduction des émissions de CO2 liées au chauffage dans les 30 dernières années de 72% en Finlande, 83% en Norvège et de 95% en Suède[6]. Si elles n’avaient pas été mises en place, il est certain que les émissions auraient été supérieures.

Les effets totaux des mesures prises ne sont pas faciles à estimer : il faut fabriquer un scénario dit « contrefactuel » qui « refait l’histoire ». Que ce serait-il passé en l’absence de mesures et toutes autres choses égales par ailleurs.

Voici ce que donne cet exercice de pensée fait par Eskander & Fankhauser (2020) qui ont calculé la réduction des émissions liée à la mise en place de politiques climatiques nationales entre 1999 et 2016, soit juste après la signature de l’accord de Paris. Leurs résultats indiquent une réduction, insuffisante bien sûr, mais tout de même significative, des émissions, de CO2.

Emissions de gaz à effet de serre avec et sans régulation

Source : Eskander & Fankhauser Reduction in greenhouse gas emissions from national climate legislation, Nature Climat Change (2020)

2/ Les baisses d’émissions se constatent dans certains pays et les émissions globales s’infléchissent.

Au moins 18 pays, dont la France, ont vu leurs émissions diminuer depuis au moins dix ans.[7]

Il n’y a pas de doute que si ces diminutions n’avaient pas eu lieu, les émissions seraient supérieures si on peut s’autoriser cette lapalissade.

Dans une récente tribune, l’économiste Antonin Pottier montre l’absurdité de l’argument selon lequel la France ne représentant que 1% des émissions de GES agir ne servirait à rien. Il écrit notamment : « La réduction des émissions des GES n’est pas une action tout ou rien, il n’y a pas des grosses actions utiles d’un côté et des petites actions inutiles de l’autre. Il y a surtout une série de petites réductions des émissions, qui chacune paraissent insignifiantes mais qui, additionnées les unes aux autres, finissent par atteindre l’objectif. »

On peut voir dans le graphique suivant, dû à Zeke Hausfather et Glen Peters que les émissions mondiales qui croissaient au rythme d’un scénario RCP 8.5 (le scénario « le plus réchauffant » parmi ceux qu’étudie le GIEC) en ont décroché depuis environ 2015. Dit autrement le scenario RCP 8.5 qui semblait être le scénario « tendanciel » au début des années 2010 ne l’est plus.

A l’inverse, ce même graphique montre également, comme dit en introduction, que nous sommes loin d’être sur une trajectoire 1,5°-2° RCP 2.6).

Image trajectoire des émissions selon différents scenarios

Source : Zeke Hausfather & Glen P. Peters, Emissions – the ‘business as usual’ story is misleading, Nature (2020)

3/ Les projections montrent que la croissance des concentrations de CO2 peut ralentir grâce à nos efforts.

Jusqu’ ici nous n’avons parlé que des émissions de gaz à effet de serre, or le vrai juge de paix ce sont les concentrations atmosphériques de gaz à effet de serre : c’est de leur évolution que dépend le changement climatique.

Cette concentration[8] ne cesse de croitre et, pire encore, elle s’accélère[9] ce qui pourrait donner à penser que nos efforts ont été inutiles.

Une telle conclusion repose sur une double erreur :

  • d’une part si on ne les avait pas faits, il est clair que la concentration serait plus élevée. La concentration de CO2 continue à augmenter tant que nos émissions mondiales nettes sont positives ; même si elles baissaient rapidement, la concentration continuerait donc à augmenter.
  • d’autre part, les émissions mondiales sont en ce moment de l’ordre de 40 milliards de tonnes de CO2 alors que la quantité de CO2 dans l’atmosphère est de 3200 milliards de tonnes : réduire en un an ces émissions de quelques milliards de tonnes, ce qui est difficile, ne se voit quasiment pas sur la concentration de CO2.

On peut illustrer ce phénomène en mettant côte à côte deux courbes de projection élaborées par Richard Betts et al  qui permettent de visualiser comment s’infléchirait la concentration deCO2 dans un scénario 1, 5° C qui suppose une baisse drastique des émissions :

 

Evolution des émissions de CO2 nécessaire pour limiter le réchauffement à +1,5°C

Evolution de la concentration atmosphérique de CO2 nécessaire pour limiter le réchauffement à +1,5°C

Source : How the Keeling Curve will need to bend to limit global warming to 1.5C, Prof Richard Betts et Al. Carbon Brief (2022)

La concentration actuelle de CO2 n’est pas un bon « juge de paix », c’est la concentration future qui le sera.

Conclusion

La lutte contre le changement climatique est un défi immense. Nous ne sommes pas allés assez vite et nous allons devoir nous organiser face à un changement que nous ne pouvons plus éviter. Mais il est faux et dangereux d’affirmer que nous n’avons pas agi ou que ces actions ont été inutiles. De nombreuses actions ont été menées par les entreprises, les gouvernements, les citoyens qui se matérialisent dans les données et projections chiffrées disponibles. A l’inverse, leur insuffisance est bien documentée. Nous devons passer à la vitesse supérieure et modifier en profondeur nos modes de production et de consommation. Mais les progrès réalisés doivent nous encourager : l’action paie.

Alain Grandjean

Notes

[1] Le scepticisme est plutôt une vertu fréquente dans le monde scientifique qui consiste à être circonspect et à ne pas croire sans examen critique une affirmation. Le changement climatique en cours et sa cause (les émissions anthropiques de GES) ont fait l’objet de ces examens critiques pendant des décennies d’un travail acharné de la communauté scientifique concernée. Ne pas le reconnaître n’est pas faire preuve de scepticisme mais de déni de réalité….
[2] La technique a sa part dans la résolution du problème (via l’efficacité énergétique, les PAC, les batteries, les EnR, les moyens de locomotion électriques, etc.) mais d’une part les choix techniques doivent être faits avec discernement et d’autre part ils ne suffiront pas : les plus aisés des habitants de cette planète devront faire preuve de sobriété. Pour en savoir plus sur les raisons pour lesquelles croire que la technologie va nous sauver est une illusion voir les articles suivants sur la plateforme The Other Economy : « La technologie va nous sauver ! » ; La révolution numérique serait l’alliée de la transition écologique ; La croissance verte fondée sur le progrès et l’innovation technique serait la voie de la transition écologique
[3] Extrait issu de l’article « Nous ne sommes pas encore condamnés » : le climatologue Michael Mann parle de notre dernière chance de sauver la civilisation humaine (2023). Michael Mann est un célèbre climatologue, luttant contre le fatalisme. Il vient de sortir le livre Our Fragile Moment. How Lessons from Earth’s Past Can Help Us Survive the Climate Crisis, PublicAffairs (2023). Voir la vidéo de présentation du livre sur Youtube (4,5 mn).
[4] Eskander, S.M.S.U., Fankhauser, S. (2020) « Reduction in greenhouse gas emissions from national climate legislation »; voir aussi le site Climate laws
[5] Jenkins et al. (2023) Preview: Final REPEAT Project Findings on the Emissions Impacts of the Inflation Reduction Act and Infrastructure Investment and Jobs Act
[6] How heat pumps became a Nordic success story, Jan Rosenow, Carbon Brief (2023). A noter que les pompes à chaleur ne peuvent déployer leur plein potentiel que dans des bâtiments correctement isolés.
[7] Voir Drivers of declining CO2 emissions in 18 developed economies Corinne Le Quéré et al. Nature climate change. VOL 9 | MARCH 2019 | 213–217.
[8] Le groupe 1 du GIEC, indique que le niveau de la concentration de CO2 est le plus élevé depuis 2 millions d’années.
[9] Elle est passée de 1ppm par an dans les années 1960 à 1,5 ppm dans les années 1980, à 2ppm dans les années 2000 puis à 2,5 dans les années 2010.

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25.08.2023 à 17:31

La rémunération du capital dans les entreprises de l’Économie sociale et solidaire.

Alain Grandjean

L’économie sociale et solidaire (ESS)[1] rassemble les entreprises organisées sous forme de coopératives, banques et sociétés d’assurances mutualistes[2], mutuelles, associations ou fondations, et les sociétés commerciales qui remplissent un certain nombre de critères fixés dans la loi[3] qui cherchent à concilier activité économique et utilité sociale. D’après l’observatoire national de l’ESS, elle représenterait près de […]

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Texte intégral (3278 mots)

L’économie sociale et solidaire (ESS)[1] rassemble les entreprises organisées sous forme de coopératives, banques et sociétés d’assurances mutualistes[2], mutuelles, associations ou fondations, et les sociétés commerciales qui remplissent un certain nombre de critères fixés dans la loi[3] qui cherchent à concilier activité économique et utilité sociale. D’après l’observatoire national de l’ESS, elle représenterait près de 165 000 unités légales employeuses (principalement des associations), 2,4 millions de salariés, soit 10,5% de l’emploi salarié en France (et 14% de l’emploi salarié privé) et 12 millions de bénévoles. Le ministère de l’économie indique quant à lui que l’ESS contribuerait au PIB à hauteur de 10 %[4]. Les trois piliers partagés des formes de l’ESS sont la gouvernance participative ou démocratique, la poursuite d’un projet d’utilité sociale et une lucrativité encadrée (limitée ou interdite). Dans cet article, nous nous penchons plus spécifiquement sur ce troisième pilier : en quoi consiste cette lucrativité encadrée ?

1. Comment sont rémunérés les apporteurs de capital d’une société capitaliste « normale » ?

Le terme capital a des sens différents selon le contexte où il est employé[5]. Nous nous intéressons ici au capital au sens comptable du terme : c’est-à-dire les ressources de l’entreprise apportées par les investisseurs se matérialisant sous la forme d’action.

Lors de la création d’une entreprise, les fondateurs apportent des ressources (le plus souvent sous forme monétaire mais cela peut aussi consister en biens ou en nature) : c’est le capital social de l’entreprise. Celui-ci est ensuite divisé en titres financiers (les actions) et chaque apporteur de capital (actionnaire, ou associé, ou sociétaire) en reçoit un nombre fonction de son apport initial. Ces actions peuvent ensuite être vendues (soit sur un marché si la société est cotée en bourse, soit à d’autres investisseurs).

Au cours de la vie de la société, ses dirigeants peuvent demander aux actionnaires initiaux de réinvestir ou alors faire appel à de nouveaux investisseurs : de nouvelles actions sont alors créées.

Les apporteurs de capitaux peuvent se rémunérer de deux façons différentes :

  • Si l’entreprise fait des bénéfices, les actionnaires réunis en assemblée générale peuvent décider de se reverser tout ou partie de ces montants sous forme de dividendes.
  • Les actions peuvent prendre de la valeur (parce que l’entreprise a de bons résultats financiers, parce qu’elle est dans un secteur porteur, parce que les marchés sont globalement orientés à la hausse) et donc générer une plus-value pour les actionnaires s’ils décident de les vendre (que ce soit sur une bourse pour les entreprises cotées, ou dans le cadre d’accords bilatéraux pour les entreprises non cotées).

2. Que signifie la lucrativité limitée d’une structure de l’ESS ?

Ce terme recouvre deux significations :

D’une part, les bénéfices (ou excédents) éventuels d’une structure de l’ESS doivent être prioritairement réinvestis dans la structure elle-même[6] (et consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de son activité) et/ou partagés avec les salariés. Les réserves obligatoires constituées, impartageables, ne peuvent pas être distribuées. Pour les sociétés, la distribution de dividendes[7] est soit accessoire soit interdite. En cas de liquidation (ou, le cas échéant, de dissolution), l’ensemble du « boni de liquidation[8] » doit être redistribué à une autre structure de l’économie sociale et solidaire.

D’autre part, les apporteurs de fonds propres (que ce soit lors de la création ou au cours de la vie d’une structure de l’ESS) ne peuvent espérer un accroissement de la valeur de ces fonds ; ils ne peuvent donc s’enrichir du fait de ces apports. C’est évident dans le cas des associations et des fondations qui n’émettent pas de parts sociales et ne sont la propriété de personnes, les fonds apportés étant l’équivalent de dons[9]. Pour les mutuelles (qui sont des sociétés de personnes) l’apport se fait via des cotisations ; les mutuelles sont incessibles (c’est pour cela qu’on assiste essentiellement à des fusions dans ce secteur). Il est donc impossible de récupérer les fonds. Enfin, dans les coopératives[10] les banques et assurances mutualistes et les sociétés commerciales, l’apport de fonds se fait en contrepartie de parts sociales ou d’actions qui peuvent être revendues dans des conditions définies et très généralement sans pouvoir faire l’objet de plus-value.

Tableau récapitulatif des modalités d’encadrement de la lucrativité selon les types de structures

 

Versement des excédents éventuels

Cessibilité des parts sociales (ou assimilées) 

Revalorisation des parts sociales (ou assimilées)

Coopératives en règle générale

Rémunération des parts sociales possible, n’excédant pas le taux de rendement des obligations privées fixé annuellement par l’État (TMO) majoré de 2 points et après mise en réserve obligatoire d’au moins 15 % du résultat. Possibilité de « ristournes » [11] coopératives.

Oui si agrément [12]  

Cession à la valeur d’achat en général avec des exceptions [13]

SCIC

57,5% minimum aux réserves « impartageables »

Solde peut être versé aux actionnaires (avec un plafond et en respectant la règle ci-avant)

Cf ci-dessus

non

SCOP

-Part travail (= ristourne) minimum de 25% (en pratique 40 à 45%)

-Part entreprise minimum de 16% (en pratique 40 à 45%)

-Le solde peut être versé aux actionnaires

Cf ci-dessus

non

Associations/Fondations

Les bénéfices quand il y en a sont intégralement mis en réserve

La cession de fonds à une association ou une fondation ne donne pas lieu à l’émission d’actions ou de parts sociales. Cependant un droit de reprise des fonds peut être prévu.

NA

Banques mutualistes

Excédents financiers majoritairement mis en réserve. Rémunération plafonnée au taux moyen de rendement des obligations des sociétés privées (TMO) majoré de deux points.[14]

oui

Remboursement au prix initial

Sociétés d’assurance mutualiste

Excédents financiers majoritairement mis en réserve. Peuvent être redistribués aux sociétaires sous forme de ristournes ou de réductions de primes d’assurance.

Oui

Remboursement au prix initial

Les mutuelles[15]

Les excédents sont entièrement réinvestis.

NA

NA

 

Quelles sont les conséquences de cette lucrativité limitée ?

Dans tous les cas, les structures de l’ESS ne peuvent pas conduire à l’accumulation du capital de leurs fondateurs et successeurs. En général, elles ne rémunèrent pas le capital apporté et ne garantissent pas le maintien de sa valeur : en effet, le rachat au nominal (c’est-à-dire au prix initial), quand il est possible, ne compense pas la perte liée à l’inflation. Un calcul élémentaire montre ainsi qu’a priori l’apport de capital se fait à pertes[16]. En revanche, dans le cas des coopératives, les gains liés à la position de coopérateur peuvent surcompenser dans certains cas ces pertes en capital.

Cette contrainte a une contrepartie positive en cela qu’elle permet une forme de sécurisation et de pérennisation des structures de l’ESS qui sont protégées des cessions et autres restructurations liées aux opérations « capitalistiques » (c’est-à-dire ayant pour objet principale de dégager de la valeur pour les actionnaires ou propriétaires de parts sociales).

Cependant, cela signifie également que ces structures ne peuvent attirer de manière massive l’épargne des ménages ; elles ne rémunèrent ni le risque, ni la privation de l’usage de l’argent placé (et la préférence pour le présent de la plupart des épargnants), ni le coût d’opportunité (le gain lié aux options alternatives). Elles peuvent uniquement offrir des rendements limités pour les sociétaires[17] les coopérateurs[18]. Ces structures  relèvent donc fondamentalement d’une forme de capital très patient[19],de dons et des subventions à même d’assumer une partie des risques.

Notons que ce constat ne veut pas dire que ces structures ne soient pas capables d’investissements ni de développement, comme le montre par exemple le cas des sociétés d’assurance mutualistes ou de certaines coopératives agricoles. En plus des apporteurs de fonds propres, elles peuvent être financés[20] par autofinancement, par emprunts, dons ou subventions.

Mais ce développement ne sera simplement pas au profit des apporteurs de capitaux. Les principes régissant le partage de la valeur dans l’ESS semblent privilégier d’une part la qualité d’usager sur celle d’apporteur de capitaux (avec notamment la « double qualité » des sociétaires ou coopérateurs qui sont à la fois apporteurs de capitaux et usagers) et d’autre part la continuité de la structure sur l’enrichissement de l’apporteur de capitaux.

La logique de l’ESS, au plan financier, est donc bien orthogonale à celle des sociétés capitalistes.

Ce n’est pas le cas du deuxième pilier (utilité sociale) qu’on peut trouver dans les entreprises à mission ou à impact positif et pour le premier (la gouvernance) cela peut se discuter : les gouvernances « capitalistes » peuvent être plus ou moins participatives (à défaut d’être démocratiques) et celles de l’ESS peuvent être en pratique moins démocratiques qu’elles ne devraient l’être en théorie.

Alain Grandjean

Notes

[1] La loi relative à l’économie sociale et solidaire de 2014 a renouvelé le cadre juridique de l’ESS.
[2] Les banques et sociétés d’assurance mutualistes sont soumises au régulateur (l’ACPR) qui impose des règles spécifiques et en assure le contrôle.
[3] Ces conditions sont fixées dans l’article 1 de la loi relative à l’économie sociale et solidaire de 2014. Il peut s’agir par exemple des entreprises adaptées (AE), des services d’aides par le travail ESAT, des structures d’insertion par l’activité économique(SIAE) et des structures bénéficiant de l’agrément ESUS (entreprise solidaire à utilité sociale).
[4] Ce chiffre est cependant assez largement contesté d’une part car il ne repose sur aucune source et d’autre part car comme le PIB lui-même il ne tient absolument pas compte des contributions que les 12 millions de bénévoles apportent à l’économie.
[5] Pour en savoir sur les différentes significations du mot capital voir la fiche dédiée sur la plateforme The Other Economy.
[6] La loi de 2014 sur l’ESS (art. 1) a posé la limite suivante à la redistribution de bénéfices pour les sociétés commerciales : au moins 50 % des bénéfices (après imputation des pertes antérieures) doit alimenter le report bénéficiaire et les réserves obligatoires.
[7] A noter que dans tous les cas, les entreprises de l’ESS ne peuvent ni amortir leur capital ni procéder à une réduction de celui-ci non motivée par des pertes, sauf si cela assure la continuité de l’activité. On sait que la réduction du capital est pour les entreprises capitalistes une manière déguisée de distribuer des dividendes.
[8] Un boni de liquidation est un paiement effectué aux actionnaires lorsqu’une entreprise liquide ses actifs. Une fois les dettes remboursées, les recettes sont ainsi partagées par les actionnaires. Autrement dit, il s’agit de la somme distribuée aux actionnaires à la fin du processus de liquidation.
[9] Un droit de reprise des fonds apportés peut cependant être prévu.
[10] Le cas des coopératives est le plus diversifié. Il existe trois types de coopératives : coopératives d’entrepreneurs (agricoles, artisans, transports, commerçants, etc.), d’usagers (banques, consommateurs, etc.), de salariés (Scop, Scic).
[11] Une « ristourne» est un montant qui est affecté aux coopérateurs (ou aux sociétaires pour les assurances mutualistes) si les « excédents » sont suffisants ; cette ristourne ne dépend pas du montant du capital apporté mais est fonction de l’usage des services de la coopérative par les coopérateurs.
[12] Une clause d’agrément dans les statuts, obligatoire pour les coopératives, signifie que la cession à des tiers non associés n’est possible qu’avec l’accord des associés.
[13] Voir l’article La cession de parts sociales dans les sociétés coopératives : oui, mais à quel prix ? Trinity avocats (2015)
[14] Voir l’article Les parts sociales des banques mutualistes sur le site La finance pour tous
[15] Voir le site de la mutualité française
[16] Le calcul est fait dans l’article L’évaluation financière des coopératives modernes, Revue Française de Gestion, Patrick Sentis (2014), pour le cas des coopératives, mais il est instantanément généralisable
[17] Les sociétés mutualistes ont le droit d’émettre des « certificats mutualistes » dénués de droits de vote, qui peuvent offrir une rémunération limitée mais pas de perspectives de plus-values.
[18] La loi de modernisation des coopératives du 13 juillet 1992 autorise les coopératives à émettre différentes catégories de parts sociales :
– des parts ordinaires, comportant ou non le droit à un intérêt ;
-des parts à avantages particuliers (intérêt plus élevé que les parts ordinaires, remboursement prioritaire, imputation réduite en cas de pertes). Elles sont librement négociables entre associés mais les restrictions sur leur cession interdisent de les qualifier de valeurs mobilières ;
-des parts à intérêt prioritaire (à droit de vote suspendu), dont la souscription est réservée aux associés non usagers ou même à des tiers non associés, garantissant un intérêt statutaire prioritaire.
Elles peuvent également émettre, mais uniquement si elles ont la forme de société anonyme, des titres de capital dits certificats coopératifs d’investissement, qui sont les seuls titres de capital des coopératives reconnus par la loi comme des valeurs mobilières.
[19] Voir la thèse de Kristina Rasolonoromalaza, Recherche sur le droit du financement des entreprises sociales et solidaires. 2018
[20] Voir l’article Financements dédiés aux projets de l’Économie sociale et solidaire (ESS) sur le site BPI France

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25.07.2023 à 18:01

Faut-il sortir du capitalisme pour sauver la planète?

Alain Grandjean

La capacité de destruction des écosystèmes et de déstabilisation des régulations naturelles par l’humanité est née avec la révolution thermo-industrielle et s’est accrue dans un monde largement capitaliste. Si l’Union internationale des sciences géologiques statue sur la création d’une nouvelle époque géologique, l’anthropocène, sa date de démarrage se situera probablement autour de 1950, date du […]

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Texte intégral (3776 mots)

La capacité de destruction des écosystèmes et de déstabilisation des régulations naturelles par l’humanité est née avec la révolution thermo-industrielle et s’est accrue dans un monde largement capitaliste. Si l’Union internationale des sciences géologiques statue sur la création d’une nouvelle époque géologique, l’anthropocène, sa date de démarrage se situera probablement autour de 1950, date du début de la « grande accélération »[1]. Andréas Malm propose de nommer cette période capitalocène et non anthropocène pour bien marquer l’idée que ce ne serait pas notre espèce biologique qui serait en cause, mais un système socio-économique spécifique : le capitalisme. Coïncidence temporelle n’est pas causalité et le débat sur la ou les causes de la destruction en cours du vivant n’est pas clos. De mon côté, je pense que l’émergence de l’anthropocène est liée à une révolution de nature anthropologique qui s’est produite au XVII° s. en même temps que la révolution scientifique moderne : c’est le basculement de l’Occident vers l’adoption de valeurs de transgression des limites (j’appelle cela la « culture no limit » ) qui se généralisent à toutes les civilisations[2]. Le capitalisme n’aurait pas émergé sans cette révolution culturelle, et il l’a entretenue. Il est clair aussi que sa puissance et son efficacité, liées à celle de la démarche scientifique, ont une responsabilité majeure dans la crise actuelle. Peut-on faire la part des choses ? Peut-on répondre à la question posée dans le titre de ce billet, et en conséquence se poser les bonnes questions, celles relatives aux mesures essentielles à prendre maintenant pour sortir de la crise écologique et sociale ? Il ne s’agit pas ici d’imaginer un système économique idéal dans l’abstrait, sans rapport avec l’urgence de la situation mais bien d’identifier les leviers à mobiliser et les actions à amplifier et accélérer.

1. Qu’est-ce que le capitalisme ?

Le terme capitalisme est associé à de nombreux affects (il peut être repoussoir ou l’objet d’idolâtrie) et il n’est pas facile à définir. Mais il est important de tenter une définition pour discerner au mieux ce qu’il faut changer aujourd’hui.

Le capitalisme est un système socio-économique dans lequel une partie (généralement majoritaire mais cette part peut varier fortement) des moyens de production est la propriété de « sociétés » à capitaux financiers majoritairement privés[3] qui en attendent rémunération (à plus ou moins long terme).

Ce système repose d’une part sur l’organisation (par la puissance publique, dont le rôle est essentiel dans la formation des institutions nécessaires au fonctionnement du capitalisme) de marchés, d’institutions garantissant le droit de la propriété et de ses limites, et d’autre part sur toute une série d’innovations juridiques, comptables et financières qui se sont produites depuis le XI°s[4]

Le pouvoir de décision dans les entreprises à capitaux privés est réparti entre les représentants de ces capitaux (qui veillent en priorité à leur propre intérêt, celui de valoriser et d’accumuler du capital) et ceux des autres parties prenantes (dont les employés) selon des modalités variables[5] dans le temps et l’espace. Notons que si l’accumulation du capital est pour les actionnaires un moteur évident, cela ne veut pas dire que cette accumulation se fasse fatalement au détriment de la nature et des autres agents économiques : en particulier on pourrait conditionner les bénéfices réalisés à la juste prise en compte des effets sur le « capital naturel » et le « capital social ». C’est ce que tentent de faire les comptabilités en multiples capitaux[6].

Le bon fonctionnement du capitalisme implique de clarifier, préciser et limiter les prises de risque, les responsabilités, les rétributions et les sanctions (civiles ou pénales) associées, des parties prenantes au projet concerné dont celles des actionnaires. On peut s’étonner d’ailleurs que la responsabilité des actionnaires soit limitée[7] dans les Sociétés Anonymes. Elle pourrait ne pas l’être, notamment au regard des effets de l’activité des dites sociétés sur les parties prenantes et la nature, et suite à la prise de conscience qui a conduit par exemple à la notion et au droit européen en matière de devoir de vigilance).

Le capitalisme permet de séparer[8] les apports en capital (financier) et en travail et de rémunérer de manière spécifique ces apporteurs ; la question de la juste répartition entre ces rémunérations dépend de rapports de force et aussi de décisions publiques (en termes de droits du travail, des sociétés et des affaires, de limitations des périmètres d’agissements des entreprises (lois anti-concentration, réglementations spécifiques à de nombreuses activités, limitations au commerce international, fiscalité, etc.).

Pour conclure cette tentative de définition, insistons sur deux constats.

1/ Le capitalisme ne peut se passer de la puissance publique qui non seulement en est un régulateur mais surtout le rend possible ;

2/ Le capitalisme a pris de nombreuses formes en fonction du poids relatif de la puissance publique et des entreprises privées, et de la financiarisation de l’économie.

2. Quels sont les apports/vertus du capitalisme ?

Le capitalisme a plusieurs vertus :

1/ Il permet d’organiser de manière assez précise, variée et évolutive (au gré des attentes sociales et individuelles) à la fois les rapports de pouvoir (et les désirs / besoins de pouvoir comme…de soumission) et d’argent au sein de collectifs petits ou grands grâce à des outils juridiques solides ; dès lors, il peut mobiliser des capitaux de manière massive ;

2/ Il permet d’aligner des intérêts (ceux des diverses parties prenantes à l’entreprise) notamment grâce à une comptabilité universellement définie -et évolutive – et un droit sophistiqué, adaptée à cet objectif ;

Ces deux premières « vertus » rendent le capitalisme très efficace (au sens d’aptitude à atteindre des objectifs en limitant les moyens humains et financiers).

3/ Il permet par la focalisation des entreprises sur leur raison sociale de produire des biens et services adaptés aux attentes variées de leurs clients et de leurs désirs, versatiles et évolutifs ;

4/ En tant que système d’ensemble, il permet la cohabitation d’entreprises à capitaux et d’entreprises de personnes comme celles de l’Économie Sociale et Solidaire, et de modèles de gouvernance multiples;

5/ Il permet de mobiliser l’épargne disponible vers des projets qui ont besoin de capitaux et, si besoin est, de créer des financements nouveaux (par les prêts bancaires et la création monétaire);

6/ Il permet l’innovation, la capitalisation de savoir-faire et les progrès individuels et collectifs, ce qui correspond à une attente fondamentale de l’être humain ;

7/ Il rend possible (mais pas nécessaire comme le montre le cas de la Chine) la séparation des pouvoirs économiques et politiques, conditions nécessaires à la liberté de chacun.

3. Quels sont les impacts négatifs du capitalisme dans sa forme actuelle?

Le capitalisme, dans sa forme actuelle (mondialisée et financiarisée), génère des impacts négatifs, d’autant plus importants que c’est un système efficace[9], et qui peuvent devenir catastrophiques voire conduire à son effondrement si des correctifs puissants ne sont pas mis en place rapidement:

1/ Il exerce une pression excessive, et potentiellement létale, sur les écosystèmes et l’ensemble des régulations naturelles ;

2/ Il contribue à la croissance des inégalités entre les humains (qu’elles soient de revenu, de patrimoine, de genre, de géographie, liées à l’origine familiale et patrimoniale, etc.) ;

3/ Il contribue à la « privatisation du monde » et à transformer le temps et les biens communs en marchandises ;

4/ Il a conduit à des concentrations excessives dans de nombreux secteurs (énergie, numérique, médicament, agro-alimentaire etc.). La domination exercée par quelques très grosses entreprises dans des secteurs vitaux ou stratégique met en risque la démocratie et rend très difficiles la mise en œuvre de régulations (environnementales et sociales) assez fortes ;

5/ Il contribue à faire de l’argent la valeur suprême, ce qui a des effets culturels délétères profonds et dévalorise la gratuité, le don, l’amour et les rapports humains fraternels « désintéressés » ;

6/ Il est aveugle au long terme (tragédie des horizons).

Le capitalisme au service des machines : un fait historique mais pas une fatalité.

Le capitalisme a permis l’allocation du capital financier (issu de l’épargne et du crédit) au capital physique (les machines, les bâtiments, les infrastructures) ; la révolution thermo industrielle et le développement de l’économie depuis trois siècles ont nécessité et continuent à nécessiter des investissements considérables dans l’extraction et la transformation des énergies fossiles, leur transformation, les infrastructures, les usines de production et leurs équipements, les moyens de transport des marchandises et des personnes etc. Le capitalisme permet de financer ces investissements de manière efficace.

Le pouvoir dominant des apporteurs de capitaux sur les entreprises, les a conduit à privilégier l’accumulation du capital physique et réduire la part des salaires dans  la valeur ajoutée ce qui a permis des gains de productivité extraordinaires : les machines ont remplacé la main d’œuvre ou plus exactement lui ont permis à la fois d’être infiniment plus performante et un peu moins enchaînée au travail, du moins dans une large partie du monde. En même temps, la nécessité faite aux entreprises de vendre leurs produits à une clientèle solvable contraint les actionnaires à verser des salaires suffisants pour écouler ces produits mis en quantité phénoménale sur le marché par les machines et leurs assistants salariés.

Cette ambivalence du capitalisme est un facteur clef de l’explication de son rôle dans la destruction de la nature, opérée essentiellement par nos machines qui sont sales et gourmandes en ressources énergétiques et naturelles et leurs produits dont la consommation génère également pollutions et destructions de ressources naturelles.

Pour autant ce puissant mécanisme peut être mis au service de la planète : il peut financer les « capitaux physiques » (l’ensemble des équipements et dispositifs matériels) permettant la réparation des dégâts actuels et la capacité à produire sobre, propre et bas carbone. Il peut également financer les actifs incorporels permettant les indispensables transformations massives de la culture de consommation sans limite qui a été créée ex nihilo en quelques décennies.

Cette mutation ne se fera pas spontanément par les seules forces de marché mais elle peut s’envisager pour autant que les règles du jeu édictées par la puissance publique soient adaptées à cette fin.

 

4. Peut-on mettre le capitalisme au service de la planète ?

1/ Des investissements considérables sont à réaliser rapidement pour :

  • rendre propres nos équipements, infrastructures et bâtiments (sans doute des centaines de milliards de tonnes cumulées);
  • en détruire proprement certains et financer les pertes économiques associées ;
  • nettoyer la planète (retirer le plastique des océans, dépolluer les sols…) quand c’est encore possible ‘ ;
  • construire des équipements, infrastructures et bâtiments d’une part propres, sobres et bas-carbone et, d’autre part, adaptés au changement climatique à venir ;
  • transformer profondément notre modèle agricole ainsi que la gestion des forêts ;
  • rendre désirable une consommation sobre et bas-carbone (ce qui supposera des centaines de milliards d’euros de publicité[10]), outre le fait qu’il faudra également encadrer fortement la consommation qui ne peut que baisser pour les plus riches d’entre nous au niveau planétaire (les classes moyennes française étant donc incluses dans ce nous[11]) si l’on veut respecter les limites planétaires.

Il faut donc pouvoir mobiliser des capitaux considérables, ce qui est l’un des premiers atouts du capitalisme, comme indiqué plus haut. Cela ne veut pas dire qu’il ne faille pas aussi recourir à la puissance publique ni à la force de frappe de la banque centrale et des banques publiques. Mais cela veut dire qu’il serait contre-productif de se passer des savoir-faire accumulés par les acteurs privés et de leur argent pour contribuer financièrement à cette « révolution ».

2/ Il n’y a pas de raison intrinsèque au capitalisme tel que défini pour qu’il ne puisse pas être transformé pour produire propre, sobre et bas-carbone.

Les leviers pour y arriver sont bien identifiés[12]. Il n’y a pas de raison pour que le capitalisme repose inéluctablement sur la croissance des flux matériels[13] et qu’il ne puisse pas au contraire, faciliter et stimuler leur décroissance. Mais bien sûr cela suppose une action publique forte et déterminée, comme par exemple une réelle planification écologique; cela ne peut provenir spontanément des forces du marché ni d’une action simplement incitative de l’État.

3/ Il n’y a pas non plus de raison pour que ce système ne puisse pas être beaucoup plus juste.

D’une part, les inégalités sociales ont été extrêmement fortes avant le capitalisme (elles ne sont donc pas dues à ce système) ; d’autre part elles ont beaucoup varié et varient beaucoup d’une forme à une autre du capitalisme. Enfin, les leviers sont connus (politique des revenus, fiscalité  des revenus / patrimoine / succession, services publics de qualité etc.). Mais bien sûr, cela suppose également une action publique forte et déterminée, s’opposant à des forces du marché faisant spontanément croitre les inégalités.

A l’inverse, que veut dire concrètement sortir du capitalisme ? Et quelles sont les étapes et le calendrier pour y arriver ?

Conclusion

Aujourd’hui, la priorité de tous nos efforts doit être d’identifier les leviers les plus efficaces pour sortir de la crise majeure actuelle. Ce billet a tenté de montrer que la sortie du capitalisme n’est en rien un préalable et qu’il est sans doute plus utile de tenter de mettre le capitalisme – tel que défini ici – au service de la planète et de la réduction des inégalités sociales. Cela n’est pas contradictoire avec l’expérimentation de modèles nouveaux. Et cela ne veut pas dire qu’il faille conserver la forme qu’a prise le capitalisme dans les dernières décennies, bien au contraire. De nombreuses réformes sont à mener qui doivent conduire à des évolutions en profondeur des rapports. Mais ne nous trompons pas de combat. Le temps nous est compté.

Alain grandjean

Notes

[1] Voir Colin N. Waters et al (2023), Response to Merritts et al. (2023): The Anthropocene is complex. Defining it is not Earth-Science Reviews et la définition de la Grande Accélération sur Wikipedia
[2] Dont la caractéristique commune avant cette révolution est précisément la mise en place de régulations, morales ou physiques, éventuellement féroces pour que les humains dans leur quasi-totalité limitent leurs désirs à leurs possibilités et les acceptent, la seule exception étant bien sûr les dominants eux-mêmes (on devine le faste dans le quel devaient vivre les pharaons, et la misère qu’ils imposaient au peuple, pour ne prendre qu’un exemple).
[3] Dans les sociétés capitalistes  contemporaines peuvent cohabiter des entreprise publiques, « mixtes » (à capitaux publics et privés) et des entreprises de l’ESS (Economie sociale et solidaire).
[4] Voir la fiche « Le capitalisme face aux limites planétaires » chapitre 3 C.
[5] Pour ne prendre qu’un exemple la codétermination – qui consiste en la participation, au sein du conseil d’administration ou de surveillance, de représentants désignés par les salariés- se fait selon des modalités très variables en Europe. Voir Christophe Clerc (2018) La codétermination : un modèle européen ?, Revue d’économie financière.
[6] Voir le module comptabilité de la plate-forme The Other Economy.
[7] Cette limitation, qui est apparue plutôt récemment dans l’histoire économique, a sans aucun doute été un facteur de dynamisme du capitalisme car elle facilite considérablement la prise de risque entrepreneuriale. Sur l’histoire de cette limitation voir Guillaume Vuillemey (2020), La responsabilité des actionnaire doit-elle toujours être limitée ?, Opinons & débats – Institut Louis Bachelier.
[8] La possibilité de cette séparation est essentielle et son intérêt souvent mal compris. Certains projets ont des besoins de capitaux considérables (qu’on pense aux infrastructures, aux usines, ou à la recherche de nouveaux médicaments) qui excèdent largement la capacité de financement des collaborateurs qui s’y engagent. Par ailleurs, dans le cadre d’une bonne gestion de risques il est utile pour chacun de pouvoir ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier de sorte que les revenus du travail, l’épargne et la constitution d’une retraite ne soient pas dépendantes de la même entreprise (le scandale ENRON…est illustratif de ce propos).
[9] La Chine communiste comme la Russie n’étaient pas tendres avec la nature ; mais la capacité de nuisance environnementale de la Chine, depuis qu’elle a adopté un capitalisme d’État, est sans commune mesure avec celle qu’elle avait quand elle était communiste.
[10] Les produits et services qui permettent à leurs consommateurs/ utilisateurs d’être sobres doivent être connus d’eux. Si la publicité a été mise au service du consumérisme et du « toujours plus », ce n’est pas une fatalité. Mais la mettre au service de la construction d’un monde propre, sobre et bas-carbone ne se fera ni facilement, ni spontanément et passera par une régulation bien plus ferme qu’aujourd’hui.
[11] Voir notre tribune parue dans le Monde : Compter sur les riches pour diminuer nos émissions de gaz à effet de serre ne suffira pas (21/09/22).
[12] C’est l’un des objets de la plateforme The Other Economy.
[13] L’idée selon laquelle le capitalisme repose intrinsèquement sur la croissance se discute ; ce système a résisté aux récessions, aux dépressions et aux guerres. Il est encore plus discutable de postuler qu’il repose sur la croissance des flux de matières. Le PIB peut croitre si la valeur des biens et services (donc les rémunérations des parties prenantes) croit ce qui peut provenir d’effets de qualité ou de rareté.

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03.07.2023 à 15:40

Pour éviter un crime écologique de masse – Claude Henry

Alain Grandjean

Comment expliquer que les institutions et les bénéficiaires d’un ordre millénaire, cet Ancien Régime qui a duré jusqu’en 1789, n’aient pas étouffé la marche à la Révolution? Dans le Livre III de L’Ancien Régime et la Révolution, Alexis de Tocqueville décrit et analyse le fourmillement de visions nouvelles et d’initiatives hardies, apparues en France dans […]

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Texte intégral (1927 mots)

Comment expliquer que les institutions et les bénéficiaires d’un ordre millénaire, cet Ancien Régime qui a duré jusqu’en 1789, n’aient pas étouffé la marche à la Révolution? Dans le Livre III de L’Ancien Régime et la Révolution, Alexis de Tocqueville décrit et analyse le fourmillement de visions nouvelles et d’initiatives hardies, apparues en France dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, convergeant vers le renversement de l’ordre ancien et l’émergence, douloureuse, d’un monde nouveau. Visions et initiatives, aussi diverses et imaginatives que l’étaient celles du XVIIIème siècle, foisonnent aujourd’hui sur le chemin d’une transition écologique et économique vers un monde plus durable. Convergeront-elles à temps, et s’imposeront-elles face à l’ordre actuel, plus ancré encore et beaucoup plus puissant que l’était l’Ancien Régime ? C’est tout l’objet du livre Pour éviter un crime écologique de masse, (Editions Odile Jacob, 2023).

Prêts pour le transition écologique et économique

S’il est évident que certaines applications de la science constituent une des principales causes des maux dont nous souffrons, il est évident aussi que la méthode et la connaissance scientifiques sont cruciales pour comprendre ces maux et – dans des conditions politiques, sociales et économiques appropriées – engendrer des instruments qui aident à les surmonter. Les moyens scientifiques, techniques et organisationnels, ainsi que des structures économiques et sociales innovantes, sont dès à présent ou seront prochainement disponibles au service de l’indispensable transition; c’est dans une certaine mesure une surprise, en tout cas encourageante.

Nous en présentons dans ce livre (chapitres 1 et 4) un large éventail, qui atteste d’une capacité remarquable à inventer et innover sur des fronts très divers. Qu’il s’agisse de transformer les rayons du soleil, le souffle du vent ou la balle du riz en électricité, ou de substituer des pompes à chaleur aux climatiseurs traditionnels, qui aggravent le dérèglement climatique; de pratiquer une agriculture qui travaille avec la nature et non contre elle, de multiplier par six à huit le rendement d’une culture par goutte d’eau d’irrigation en l’apportant à la plante juste où il faut quand il faut ; d’extraire de plantes cultivées sur des terres abandonnées des plastiques recyclables et biodégradables ; d’enrôler mangroves, marais, parcs à huitres ou à moules aux défenses des côtes à la mer ; de s’associer à l’ordre naturel des rivières et des forêts et de les protéger notamment en leur conférant une personnalité juridique ; de coopérer et partager dans le cadre d’institutions traditionnelles ou nouvelles, de manière à concilier impératifs écologiques et sociaux. Dans chacune de ces avancées s’incarne la même alliance entre ressources offertes par la planète et ingénuité humaine, alliance dont on a trop longtemps sous-estimé, ou voulu ignorer, le potentiel.

Affrontés à des obstacles et des adversaires formidables

Avec une telle palette d’instruments, on devrait arriver à assurer la transition, à condition cependant de pouvoir et vouloir les mobiliser rapidement à l’échelle planétaire. Ceci est loin d’être acquis : d’une part, nous sommes confronté à des obstacles et des adversaires formidables, d’autre part les conditions de la vie sur la terre ont subi de terribles dégradations au long des cinquante dernières années, au cours desquelles la Terre a plus souffert aux mains des hommes que pendant toute  l’histoire antérieure de l’humanité. Aujourd’hui, l’eau douce indispensable à la vie se raréfie dangereusement – pour un quart de l’humanité elle est même devenue presque inaccessible – les sols fertiles s’épuisent, l’extinction d’un grand nombre d’espèces végétales ou animales est en cours, enfin le climat qui a si bien servi l’humanité se retourne contre elle du fait même d’activités humaines. Nous contribuons tous à ce processus de dégradation ; nous avons donc tous quelque chose à faire pour y remédier. Mais nous n’avons pas tous les mêmes impacts, ni donc les mêmes responsabilités, et pas non plus les mêmes moyens.

Tous les animaux sont égaux, mais certains sont plus égaux que les autres, observe George Orwell dans La ferme des animaux. A l’assaut de la planète, il y a des cochons – ce sont eux qui ont pris le pouvoir à la ferme – considérablement plus égaux que les autres : les entreprises qui produisent et distribuent les combustibles fossiles, et dans une moindre mesure d’autres ressources minérales ; les entreprises de la chimie, particulièrement à travers la domination qu’elles exercent sur l’agriculture industrielle ; et toutes celles qui exploitent intensivement les organismes vivants, particulièrement dans les forêts et les mers (chapitres 2 et 3). Directement ou indirectement, arrogantes et cyniques, elles tuent la vie ; c’est d’ailleurs une des principales sources de leurs profits.

Nous avons les instruments pour assurer la base matérielle de la transition. Nous travaillons à construire les institutions pour permettre la mise en œuvre et la diffusion de ces instruments. Nous rendons progressivement nos comportements plus conformes à la logique et à l’esprit de la transition (Chapitre 5). Mais tout ceci est vain si nous ne parvenons pas à maîtriser le rouleau compresseur qui écrase toute vie sur terre.

Rouleau compresseur ? Jugez-en.

Les entreprises produisant et distribuant les combustibles fossiles possèdent des réserves, enfouies dans le sol mais bien identifiées, de charbon, de pétrole ou de gaz, dont la combustion provoquerait des émissions de CO2 sept fois supérieures à 400 milliards de tonnes. Or 400 milliards de tonnes, c’est la quantité totale qu’on peut encore injecter dans l’atmosphère sans, espère-t-on, faire monter la température moyenne de la terre de plus de 1,5°C au-dessus du niveau d’avant la révolution industrielle. La science nous avertit qu’au-delà de ce seuil les désagréments que nous connaissons depuis quelques années – vagues de chaleur, périodes prolongées de sécheresse, inondations et tempêtes hors de proportion avec celles d’un passé encore récent, apparitions et diffusion de pathogènes dangereux – se transformeraient en bouleversements tels qu’ils rendraient la vie impossible sur des territoires progressivement de plus en plus étendus.

La transition comme révolution

Dans ces conditions, il paraîtrait raisonnable de ne pas, pour le moins, chercher à augmenter encore des réserves, qui ne seraient que très partiellement utilisées si on veut éviter une catastrophe climatique.

Ce n’est pas ainsi que les entreprises concernées voient les choses. Depuis l’Accord de Paris sur le Climat en décembre 2015, elles n’ont pas, comme espéré par les signataires, freiné, elles ont accéléré. Au cours des années 2016 à 2019, elles ont financé – avec leurs profits, des subventions publiques et des participations et prêts bancaires – plus de 1200 milliards de dollars d’investissements dans la recherche et l’exploitation de gisements nouveaux. D’après ce que l’on connait de leurs projets pour la décennie actuelle, elles s’apprêtent à investir davantage encore. D’autres investissements, n’impliquant pas les combustibles fossiles mais provoquant des destructions massives de plantes, d’animaux et d’écosystèmes, c’est-à-dire de biodiversité, sont financés par les grandes banques mondiales et d’autres institutions financières pour des montants encore plus importants.

Entreprises, banques et autres institutions financières, mais aussi autorités publiques complices, forment un syndicat du crime de masse écologique. Sur ces plans la transition sera nécessairement une révolution prenant le contrôle des entreprises impliquées et réorientant l’action publique en matière de fiscalité et de régulation, en particulier financière

Qu’espérer ? L’humanité est conduite par de vieux mâles que leurs préjugés, leurs intérêts et leur mépris des autres font détester la perspective même d’une transition. Tant pis pour l’avenir des jeunes, dont dans ces conditions seule la mobilisation et l’action en masse peuvent encore changer le cours des choses. S’ils amorcent un mouvement assez puissant, alors ils entraîneront nombre de leurs aînés, qu’il auront libérés de leur complexe d’impuissance.

Claude Henry

Pour éviter un crime écologique de masse, Editions Odile Jacob, avril 2023.

TABLE DES MATIERES

Chapitre 1 : Introduction : Un pas dans la bonne ou la mauvaise direction

  1. Vers le salut
  2. Vers l’abîme
  3. Schizophrénies

Chapitre 2 : Tuer ses amis ou s’en faire des ennemis

  1. Glaciers, châteaux d’eau à sec
  2. Forêts, pompes inversées
  3. Océans, la vengeance de Poseidon
  4. Insectes, serviteurs congédiés
  5. La grande désarticulation des interactions naturelles

Chapitre 3 : Capitalisme de pillage, de mensonge et de manipulation

  1. Modèles de bonnes affaires fossiles
  2. Agriculture industrielle: une moisson d’effets externes délétères
  3. Falsification et mystification
  4. Filières d’influence et de domination
  5. Couper la musique et arrêter la danse

Chapitre 4 : Un puzzle d’innovations à assembler

  1. Energie et transport: approches multiples
  2. Villes en transition
  3. Aménagement de l’espace: complémentarité entre nature et science
  4. Exorciser la malédiction des plastiques
  5. Métamorphoses de la viande
  6. L’eau en dernier ressort

Chapitre 5 : Croyez ce que vous savez

  1. Témoigner
  2. Transmettre
  3. Participer
  4. Plaider

Chapitre 6 : La transition est une révolution

  1. Mise en faillite pour dommages majeurs à la planète et l’humanité
  2. Choix de consommation pour une planète habitable
  3. Marchés financiers et régulation bancaire
  4. Réhabiliter l’agriculture: esprit et méthodes de l’agroécologie
  5. Covid/Climat: éviter la récidive de l’indifférence au sort des pays pauvres
  6. Te Awa Tupua: faire de la Nature une personne pour cesser de la massacrer
  7. Nature et démocratie: du Rajasthan au bassin de la Loire.

Chapitre 7 : Desserrer l’étreinte du temps

  1. Géoingéniérie: efficacité rapide en apparence mais roulette planétaire
  2. Extraire du carbone de l’air
  3. Avancées technologiques en capture et stockage du CO2.

Quelques mots avant de baisser le rideau

Références bibliographiques

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Anna COLIN-LEBEDEV
Julien DEVAUREIX
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