Notes pour mes prochains livres ou mes prochains spectacles, fiches de lecture, de visionnage de films ou de séries et quelques exutoires, coups de gueule et coups de hache.
24.11.2024 à 10:20
Le Panopticum – Andreï Sobol (1922)
Tagrawla Ineqqiqi
Texte intégral (811 mots)
Un panoptique est un type d’architecture carcérale du XVIIIe siècle permettant à un seul gardien de surveiller toutes les cellules en même temps. En Russie, le mot est également utilisé pour désigner une sorte de cabinet de curiosités incluant des figures de cire, « un rassemblement de quelque chose d’incroyable, de terrible », d’après la linguiste russe Tatiana Efremova, et je dis ça parce que ce petit livre est tellement étrange qu’il a fallu que je cherche deux ou trois choses autour pour tenter de comprendre ce qu’il venait de se dérouler sous mes yeux. D’autant que la préface de cet ouvrage n’aborde pas le sens premier du panoptique, qui me semble pourtant fondamental.
Nous avons donc ici un récit d’à peine soixante pages, qui ne raconte pas vraiment une histoire, qui contient vingt-deux personnages dont sept en cire pas moins fondamentaux que les autres. Nous sommes juste après la révolution russe, tout le monde crève de faim et de froid, il y a des pénuries partout et un groupe d »anarchistes-égoïstes » squatte un Panopticum et rêve de déclencher l’étincelle de la prochaine révolution, celle qui n’est pas encore tout à fait terminée ne leur convenant guère puisqu’ils crèvent de faim. Le musée de cire s’avère également être un freak show, tant avec ses résidents de base que les nouveaux arrivants anarchistes. Les yeux sont globuleux, les membres difformes, ci un lilliputien, là une femme avec le cœur à droite : tous les êtres sauf ceux de cire sont des marginaux. Et nous, lecteurs, observons tout ça comme le gardien d’un panoptique.
Plus qu’une histoire, Sobol nous décrit une ambiance, celle de l’après révolution dans laquelle il avait placé beaucoup d’espoir, celle de la désillusion et de la dépression qui s’en suit. Ambiance de la République Soviétique en cours de formation, mais aussi l’état d’esprit de Sobol lui-même – qui se suicidera peu de temps après avoir écrit ce court ouvrage, ambiance disais-je.
Ce livre est une curiosité de son temps. L’époque soviétique a été bien malgré elle propice à une littérature qu’elle s’obstinait à censurer – où est-ce que la censure rend plus créatif ? Certaines œuvres de cette époque sont intemporelles. Pour ne citer que la plus grande d’entre-elles selon moi : qui que vous soyez, où que vous soyez, quel que soit votre niveau de connaissance de l’histoire soviétique, vous pouvez lire l’immense Maître et Marguerite et vous découvrirez un chef d’œuvre fantastique. Vous pourriez ignorer jusqu’à l’existence de Staline, ça ne vous empêcherait nullement de percevoir la dénonciation de la censure et de l’autocratie qu’on y trouve. Pour le Panopticum, ça me semble plus compliqué. Sans avoir au préalable une idée assez précise de ce qu’il se passait en Russie, y compris et surtout dans les enjeux intellectuels, juste après la révolution, je ne suis pas sûre qu’on puisse trouver un intérêt à cet ouvrage. C’est une curiosité de premier plan pour qui s’intéresse précisément à ce sujet, je ne suis pas certaine que je recommanderais ce livre en dehors de ce contexte. Même si c’est très bien écrit et immensément créatif.
22.11.2024 à 10:31
Captive State (2019)
Tagrawla Ineqqiqi
Texte intégral (597 mots)
Je pense que pour choisir les films, je vais regarder le box office et prendre ceux qui s’y sont cassés la gueule, ça a l’air d’être une méthode efficace. Ça a surtout l’air d’être là qu’on peut trouver de la SF bien foutue qui a quelque chose à dire, les antithèses de toutes ces productions creuses à base de super-héros.
Captive State, je l’ai choisi parce que John Goodman dans une production de science-fiction ça avait l’air assez bizarre pour m’intéresser. Et c’est comme ça que j’ai découvert que, mais oui mais oui, il y a encore des gens qui savent faire de la forme et du fond sans course poursuite intempestive ni fusillade sans fin. Mieux : il y a même encore des gens qui savent utiliser le support SF pour parler de toute autre chose. En l’occurrence ici de Résistance avec un grand R. Ce film est l’improbable remise à jour de L’Armée des ombres qui serait entrée en collision avec La Vie des autres et Alien. Oui, je sais, ça sonne bizarre, mais c’est vraiment ça et ça fonctionne parfaitement. C’est ce que je me suis dit en terminant le film, et je découvre sur la fiche Wiki dudit film que le réalisateur, Ruppert Wyatt, a effectivement reconnu avoir été très influencé par le chef d’œuvre de Melville.
Visuellement c’est très chouette : plutôt que d’étaler des moyens démesurés – le budget est ridicule en comparaison des prods actuelles – ça fait au mieux avec les moyens disponibles et c’est tout à fait convaincant. Le rythme est bien géré de bout en bout, la photographie colle parfaitement au propos avec même quelques plans particulièrement ingénieux, la musique m’a donné envie de chercher la BO, ce que je ne fais à peu près jamais : visiblement quelqu’un s’est souvenu que Chicago a été un des berceaux de la techno et a su en faire quelque chose.
A l’ère de la fascisation du monde en général et des États-Unis en particulier, je trouve à la fois très saine l’existence de ce film et tout à fait flippant que les critiques et spectateurs soient complètement passés à côté. D’autant que comme dans tout bon film de SF qui se respecte, les vilaines bébêtes de l’espace sont une métaphore : celles de ce film pillent les ressources naturelles et disposent du pouvoir politique et policier. Ça ne vous rappelle pas vaguement un truc ?
Non, franchement, laissez tomber les critiques pro, si vous aimez la SF, allez-y, vous ne serez pas déçus.
21.11.2024 à 14:08
Blizzard of Souls – Film letton
Tagrawla Ineqqiqi
Texte intégral (619 mots)
Blizzard of souls en anglais, Dvēseļu putenis en letton, ce qui signifie Blizzard des âmes, mais parce qu’en France, on a un talent rare pour être à côté, le titre français est Tireur d’élite alors que ça n’est pas du tout l’histoire d’un tireur d’élite, est un film de guerre letton de 2019 et pour ma part, c’est la première fois que je vois un film letton.
Avec cette adaptation d’un roman très autobiographique de Aleksandrs Grīns, on va suivre le jeune Arturs qui, à peine âgé de 17 ans, s’engage en 1915 dans l’armée du Tsar pour combattre celle du Kaiser après qu’un soldat allemand a tué sa mère. Rien de follement original, certes, mais un traitement letton de la Première Guerre Mondiale, des tranchées à l’arrivée de Lénine, ça, ça l’est vu de chez nous. Ça m’a beaucoup rappelé l’excellent roman Le Don paisible : l’histoire est très proche, ce qui est historiquement très logique, même si les deux récits ne se déroulent pas dans la même zone géographique de ce qui est alors en train de devenir l’URSS. Ici, ces événements historiques se déroulent à la hauteur d’un très jeune homme. On n’atteint pas l’insoutenabilité de Requiem pour un massacre, ce qui rend ce film beaucoup plus facile d’accès. La photographie, très belle, tranche étrangement avec l’horreur de ce qu’elle montre, et si dans l’ensemble Blizzard des âmes (je me refuse à utiliser le titre français qui est un non-sens) n’est pas un chef d’œuvre, ça reste un bon film de guerre, ambitieux, avec un personnage attachant, un regard sur l’histoire qu’on aurait aimé plus fouillé mais c’est au moins une bonne entrée en matière pour qui voudrait ensuite aller plus loin et ça m’a donné envie de me pencher plus sérieusement sur la littérature et le cinéma letton ce qui est déjà pas si mal.
Outre le fait que c’est la première fois que je vois un film letton, c’est aussi la première fois que je vois le nom de tous les figurants- et il y en a beaucoup ! – au générique. A noter que le film n’est pas tourné en prise de son directe, ce qui peut être un peu perturbant pendant le premier quart d’heure, puis on s’y habitue sans problème.
Je recommande donc aux curieux de jeter un coup d’œil à ce film, et aussi une oreille, le letton n’étant pas une langue qu’on entend souvent.
19.11.2024 à 11:30
Revue de presse #1
Tagrawla Ineqqiqi
Texte intégral (1028 mots)
Reprise par le Monde et le Courrier Internationale, l’information a d’abord paru dans la presse algérienne. Saâda Arbane, jeune femme algérienne vivant à Oran, a eu pour psychiatre l’épouse de Kamel Daoud, dont le dernier roman reprend beaucoup trop d’éléments de sa vie pour que ça puisse être fortuit : « les cicatrices sur son cou, l’appareil respiratoire fixé à sa gorge, les tatouages sur son corps, la tentative d’avortement, le salon de beauté, le lycée Lotfi, la nature de sa relation avec sa mère, l’opération qu’elle devait subir en France et la pension qu’elle reçoit. »
Aucun écrit ne sort de nulle part : l’imagination s’appuie toujours sur un minimum de réel et en soi, ça n’est pas un problème. Mais il y a tout de même une grosse différence entre remanier le réel et s’appuyer sur un récit fait dans le cadre d’une thérapie. On a là une rupture de confiance très grave, surtout dans un pays où appeler la guerre civile une guerre civile est interdit, et où il est dès lors extrêmement compliqué pour les victimes d’envisager de se confier.
Bien évidemment, le pouvoir algérien n’est que trop heureux de pouvoir taper sur Daoud – dans des termes assez lamentables d’ailleurs. Mais peut-on vraiment défendre quelqu’un qui use d’un procédé aussi abject ? On espère en tout cas que son épouse ne trouvera plus de patient.
On imagine bien qu’un pays qui a interdit le patron de l’ONU de séjour sur son sol et qui n’a jamais respecté la moindre résolution va immédiatement se plier à cette injonction à respecter des sites historiques. On se souvient de l’émotion internationale suscitée par la destruction de Palmyre par d’autres intégristes pour continuer à mesurer l’ampleur de l’impunité dont bénéficie le pays qu’on ne peut pas critiquer.
« Un débat au Parlement »
Non, en fait, rien.
19.11.2024 à 09:28
La Faille de Jørn Riel (2000)
Tagrawla Ineqqiqi
Texte intégral (651 mots)
Si vous n’avez jamais lu Jørn Riel, je ne peux que vous conseiller de commencer par le début de son œuvre et de vous précipiter d’abord sur La Vierge froide et autres racontars : c’est beaucoup plus amusant et autant commencer par le versant amusant de l’auteur.
Si vous le connaissez déjà, en voyant son nom vous avez immédiatement pensé froid polaire, traineaux et trappeurs. Remballez vous fourrures et laissez vos kamiks, optez plutôt pour un étui pénien ou une ceinture de fibres selon votre équipement personnel : l’auteur danois nous embarque cette fois dans la jungle de Nouvelle-Guinée, chez ceux que les blancs ont appelé les Papous.
En nous narrant l’histoire de Lalu, jeune femme métisse élevée loin des blancs qui se prennent pour de gens civilisés mais qui va se retrouver dans une petite ville, c’est bien de colonialisme et de choc culturel que Riel va nous parler. Et nous sommes très loin des ses amusants racontars. C’est un petit livre qui se lit très vite, mais je reste épatée de tout ce qu’il peut nous raconter le plus simplement du monde en si peu de pages. Sans réaliser une ethnographie complète, il nous donne suffisamment d’éléments pour qu’on puisse aborder les cultures de ces peuples, des multiples langues et des très nombreux tabous qu’on rencontre sur l’île. Et surtout, il parvient à éviter les principaux écueils de ce type de récits : il ne sombre absolument pas dans le mythe raciste du « bon sauvage », il ne romantise pas, il regarde en face ce que ces sociétés natives peuvent aussi avoir de problématique – sans surprise : la place des femmes est épouvantable – mais il ne les regarde pas non plus comme des sauvages sans culture, barbares, comme des êtres qu’il faudrait civiliser parce que certains pratiquent le cannibalisme rituel. Après tout, ceux qui prétendent les civiliser ne ritualisent pas moins un cannibalisme mal assumé tous les dimanches matins, ça n’est qu’un élément de culture parmi d’autres.
Au fond, Riel nous parle de la fin d’un monde, ce que les colonialismes – la Nouvelle-Guinée a été colonisée deux fois, d’abord par les Hollandais puis par les Indonésiens – n’ont pas détruit, le tourisme finira de s’en charger. La Faille n’est donc pas un de ces recueils de Riel qu’on (re)lit pour rire un bon coup, c’est une histoire profondément triste, profondément belle, mais ça reste une œuvre de Jørn Riel et comme telle, le besoin fondamental de liberté reste le thème sous-jacent à tout le reste.
16.11.2024 à 11:22
Réseaux sociaux impraticables
Tagrawla Ineqqiqi
- Persos A à L
- Mona CHOLLET
- Anna COLIN-LEBEDEV
- Julien DEVAUREIX
- Cory DOCTOROW
- EDUC.POP.FR
- Marc ENDEWELD
- Michel GOYA
- Hubert GUILLAUD
- Gérard FILOCHE
- Alain GRANDJEAN
- Hacking-Social
- Samuel HAYAT
- Dana HILLIOT
- François HOUSTE
- Tagrawla INEQQIQI
- Infiltrés (les)
- Clément JEANNEAU
- Paul JORION
- Michel LEPESANT
- Frédéric LORDON
- Blogs persos du Diplo
- LePartisan.info
- Persos M à Z
- Henri MALER
- Christophe MASUTTI
- Romain MIELCAREK
- Richard MONVOISIN
- Corinne MOREL-DARLEUX
- Fabrice NICOLINO
- Timothée PARRIQUE
- Emmanuel PONT
- VisionsCarto
- Yannis YOULOUNTAS
- Michaël ZEMMOUR
- Numérique
- Binaire [Blogs Le Monde]
- Christophe DESCHAMPS
- Louis DERRAC
- Olivier ERTZSCHEID
- Olivier EZRATY
- Framablog
- Francis PISANI
- Pixel de Tracking
- Irénée RÉGNAULD
- Nicolas VIVANT
- Collectifs
- Arguments
- Bondy Blog
- Dérivation
- Dissidences
- Mr Mondialisation
- Palim Psao
- Paris-Luttes.info
- ROJAVA Info
- Créatifs / Art / Fiction
- Nicole ESTEROLLE
- Julien HERVIEUX
- Alessandro PIGNOCCHI
- XKCD