07.05.2025 à 08:59
Allô « Résilience », nous avons un problème…
Francis Pisani
Texte intégral (1824 mots)
Bonjour,
Le mot « résilience » sonne bien. Un peu trop peut-être. Nous tendons à lui accorder plus de vertus qu’il n’en possède et l’usage abusif que nous en faisons risque de nous faire croire, quand nous l’adoptons, qu’il nous aide à bien poser un problème qu’en fait nous ne faisons que repousser sans nous donner une chance de bien l’aborder.
Quel problème ?
Le plus important peut-être de notre époque : comment faire face aux exigences de changements qui émergent et s’amoncellent. Comment ne pas seulement résister, voire même s’adapter à ce qui s’annonce, à ce qui nous arrive.
Une question trop souvent mal posée.
« Nous ne sommes pas arrivés là où nous sommes grâce à la notion de résilience » […], elle « étouffe les mécanismes de croissance et d'évolution » écrit l’économiste Nassim Nicholas Tayeb dans son livre Antifragile. Ce professeur à l’Université Polytechnique de New York est aussi l’auteur de la théorie du cygne noir qui traite des « événements imprévus à grandes conséquences et [de] leur rôle dominant dans l'histoire ». Exactement ce qui nous intéresse aujourd'hui.
Mais de quoi parlons-nous?

Résistance, résilience, adaptabilité
« La résilience est la capacité d’un système à revenir à son état initial après avoir été perturbé, » explique le site Géoconfluences (Ressources de géographie pour les enseignants). « De façon plus précise, l’UNISDR (United Nations International Strategy for Disaster Reduction) définit la résilience comme « la capacité d’un système, une communauté ou une société exposée aux risques, de résister, d’absorber, d’accueillir et de corriger les effets d’un danger (...), notamment par la préservation et la restauration de ses structures essentielles et de ses fonctions de base ».
Un progrès quand on se préoccupe de changement dans la mesure où ce terme se propose de dépasser les limites de la résistance qui cherche, par des travaux de correction, comme une digue, à s’opposer à l’aléa, tandis que la résilience vise à en réduire au maximum les effets. « La résistance prétend éliminer les risques en éliminant les aléas, la résilience admet que ce n’est pas possible; […] Elle reconnaît que le dommage n’est plus lié à une relation entre deux facteurs, comme entre aléa et vulnérabilité, mais à un ensemble de facteurs en interaction, à un système. »
L’intérêt principal de cette précision est, à mes yeux, d’introduire une dynamique, une évolution dans la façon de se préparer aux perturbations, aux menaces, aux bouleversements. Elle pose un début de gradation dans la stratégie envisageable au lieu d’enfermer dans une unique acception, d’autant moins utile qu’elle est utilisée à toutes les sauces.
Et maintenant que nous sommes lancés, nous n’avons aucune raison de nous arrêter là. Je parie que vous avez pensé à ce troisième terme fort utile: « adaptabilité ».
Nous sommes enfin à notre aise. Il s’agit tout simplement de la faculté de s’adapter ou, comme le propose le site Indeed (moteur pour l’offre et la recherche d’emplois), de la « compétence comportementale qui vous permet d'adopter et d'accepter des évolutions ou changements de façon rapide ».
Mais comment s’y retrouver avec ces trois notions : résistance, résilience, adaptabilité?
Pour m’en sortir j’ai demandé au chat de Mistral.ai de me simplifier tout cela. Voici sa réponse:
« En résumé, la résistance concerne la capacité à supporter des pressions sans changer, la résilience concerne la capacité à se remettre d'un choc, et l'adaptabilité concerne la capacité à changer et à s'ajuster à de nouvelles conditions. »
Content.e.?
Pas moi.
La dynamique est enclenchée mais ne s’arrête pas là. Nous sommes toujours dans la réaction.
Vers une théorie quantique de l’histoire ?
Ce qui manque?
L’anticipation d’un changement plus profond, d’une éventuelle mutation ou, mieux encore, d’une conception non-linéaire de l’histoire susceptible de se développer dans de multiples directions.
Bizarre? A première vue, bien sûr. Mais le temps est venu de prêter attention à ce qui se présente comme une « théorie quantique de l’histoire » proposée par le philosophe Slovène Slavoj ZIzek. Une approche qui s’appuie sur la physique la plus avancée et rejoint le taoïsme le plus ancien.
La « direction » de l’histoire n’est pas déterminable. Elle peut avancer, reculer ou faire un pas de côté résume Nathan Gardels dans Noéma Magazine.
C’est, peut-être, cela que nous devons comprendre.
J’y reviens aussi vite que je peux.
Plus que jamais vos commentaires, suggestions et critiques sont les bienvenus.
02.04.2025 à 08:25
Tout casser, tout brûler, le « brokenism » pro Trump ≈069
Francis Pisani
Texte intégral (2057 mots)
Xi, Poutine et Trump ont en commun de vouloir «renverser la table», a déclaré Pierre Haski lors de sa récente intervention sur Hors Norme.
Image forte et d’autant plus belle que paradoxale.
Ils s’attaquent tous les trois à l’ordre international établi à l’issue de la deuxième guerre mondiale sous l’égide des US. On le savait du russe et du chinois dont on comprend facilement qu’ils s’en considèrent les victimes. La surprise tient au fait que Trump les rejoigne au motif que cet ordre ne lui convient plus.
Qu’il s’agisse de son besoin de simplicité, de sa sympathie pour les dirigeants autoritaires ou de son hypothétique espoir de séparer les deux autres, les tentatives d’explications les plus courantes me semblent insuffisantes.
Suivons le Klash des mots…

De quelle table parlons nous? Échecs, go, poker… ou golf?
Les médias anglo-saxons parlent plus volontiers de renverser l’échiquier «overturn the chessboard». Une image que Poutine peut comprendre mais pas Xi, formé au go, ni le maître de Mar-a-Lago qui ne brille qu’au golf…
Il a pourtant dit à Zelensky qu’il n’avait pas toutes les «cartes».
Songeait-il au poker? Possible pour un homme de sa génération et de son style. Mais toujours avec son pistolet sur la table.
Dialogue vraiment difficile qu’il pourrait croire régler en renversant cette dernière, quel que soit le jeu qui s’y joue.
Mais j’ai du mal à imaginer qu’il veuille vraiment «du passé, faire table rase», comme le promettait l’Internationale, cette rengaine que Xi et Putin chantonnent depuis leur plus tendre enfance et à laquelle tout indique qu’ils ont renoncé.
Du bluff tout ça? En partie, comme toujours, mais la référence à la brutalité est omniprésente dans le jeu de Trump, plus présente encore dans sa politique interne.
Politique intérieure
Il est courant pour les autocrates (et pas que) de mener des politiques apparemment contre productives, quand on les observe de l’étranger, mais sources de gains en politique intérieure, celle qui compte vraiment.
Or les sondages indiquent que 90% des Républicains sont contents des premières actions de leur président qui traite les autres par le mépris, la menace et parfois même la terreur sans la moindre envie de les séduire.
Début de piste?
J’en ai trouve une dans un débat organisé par le New York Times entre ses quatre chroniqueurs les plus conservateurs invités à répondre à la question : «Pourquoi tant de républicains apprécient-ils la direction que Trump donne au pays?»
On y trouve un peu de tout, l’immigration, le fossé grandissant entre parti démocrate et travailleurs, les méfaits du wokisme intolérant, la haine des élites ou le ressentiment généralisé.
Mais une explication se détache, formulée par David Brooks : «C'est l'idée que tout est cassé et qu'il faut tout brûler».
Brokenism
Il la prend dans un début de réflexion théorique formulée voici deux ans sur Tablet.com un «a Jewish magazine about the world» par sa directrice, la new yorkaise Alana Newhouse.
Sous le titre « Brokenism » («broken» veut dire cassé) , impossible à traduire, elle proposait une vision de la situation américaine selon laquelle « Le vrai débat aujourd'hui n'est pas entre la gauche et la droite. Il est entre ceux qui s'investissent dans nos institutions actuelles et ceux qui veulent en construire de nouvelles. »
En clair :
Les «brokenists», [celles et ceux qui se retrouvent dans cette approche] pensent que nos institutions actuelles, nos élites, notre vie intellectuelle et culturelle et la qualité des services dont beaucoup d'entre nous dépendent ont été vidées de leur substance. Pour eux, l'establishment américain, au lieu d'être une force de stabilité, est un enchevêtrement obèse et corrompu de pouvoirs fédéraux et d'entreprises qui menacent d'étouffer le pays tout entier.»
«Les brokenists viennent de tous les horizons de l'échiquier politique. Ils ne sont pas d'accord entre eux sur les types de programmes, d'institutions et de cultures qu'ils souhaitent voir prévaloir en Amérique. Ce sur quoi ils s'accordent - et c’est plus important que tout le reste - c'est que ce qui fonctionnait auparavant ne fonctionne plus pour un nombre suffisant de personnes.»
Pour illustrer son propos elle les oppose aux «statu-quoïstes», parmi lesquels elle range aussi bien Alexandria Ocasio-Cortez, la jeune star latina et démocrate, que les Républicains opposés à Trump, comme Liz Cheney. Elon Musk et le célèbre investisseur Marc Andreessen sont des brokenists (que Deepl n’hésite pas à traduire par « cassandres »… formé à partir du mot « casser », ironie de la traduction automatique). Elle leur associe un peu vite Bernie Sanders qui ne me semble appartenir à aucun de ses deux groupes, lui qui n’a jamais confondu droite et gauche.
Je limite ici la nécessaire approche critique de la vision proposée. Il suffit, ici, d’enregistrer qu’elle existe.
« Tout casser pour que… »
Brutal. Limpide. Excellent pour la comm et manifestement simpliste, le terme « brokenism » appelle à la main mise sur la société américaine de la poignée de milliardaires réunis dans le bureau ovale. Comme me l’a fait remarquer l’ami Jacques Rosselin, il masque bien leur entreprise de destruction de l’État et tout ce qui est « bien commun ». Mais on les voit mal s’en prendre au système lui-même, l’hyper-capitalisme d'aujourd'hui.
Le terme rappelle, en fait, le doux Guépard de Lampedusa.
La violence en plus.
En passant de « tout changer pour que rien ne change » à « tout casser »… avec la même intention, il fait ressortir ce qui menace de devenir la caractéristique du régime Trump : la violence.
Symbolisée par la tronçonneuse de Musk, nous pouvons comprendre qu’elle détruise beaucoup tout en doutant qu’elle serve à trancher la branche sur laquelle ces messieurs sont - ou se croient? - bien assis.
Renverser la table autour de laquelle ils devraient causer sans scier la branche sur laquelle ils posent leurs fesses… n’est-ce pas là le défi des trumpists jouant aux brokenists?…
PS-Ce post est également publié sur Aquarius.news
20.03.2025 à 17:59
Guerre à « guerre » ≈068
Francis Pisani
Texte intégral (1723 mots)
Bonjour,
Un peu de nouveauté…
J’ajoute, à partir d’aujourd’hui, une rubrique consacrée à la guerre des mots et des idées : « Parlons Klash ».
Outre Myriades, elle apparaît aussi sur le nouveau site Aquarius.news nouveau media dédié à l’innovation civile au service de la défense et de la protection des citoyens. Une entreprise résolument européenne.
Voici comment je l’y présente:
Bonjour et bienvenue sur un champ de bataille où on perd, parfois, la vie et, trop souvent, la tête : la guerre des mots.
Mais attention : « Abandonnez toute certitude, vous qui entrez ici ».
On ne se baigne jamais deux fois dans le même mot. A nous d’en explorer la plexité (j’y reviendrai), les connexions, les réseaux de sens qu’anciens et nouveaux peuvent ouvrir, de s’y balader, d’en titiller les confins.
En bref, il faut se battre avec les mots, contre, pour et sans eux (ça arrive même aux clavitifs).
Parlons Klash!
« Guerre » ne veut plus rien dire
Chez nous, en Ukraine, la guerre est là.
A Varsovie, Berlin, Stockholm ou Chisinau, le mot est sur bien des bouches et dans bien des têtes. Elle guette, elle est proche, présente même.
Mais le mot n’a plus de sens. L’utiliser ne fait qu’augmenter la confusion, le brouillard qui l’accompagne toujours dirait-on en anglais (fog of war).
Le mot - pas sa réalité - ne veut plus rien dire.
Larousse le définit comme une « Lutte armée entre États »… « considérée comme un phénomène historique et social (s'oppose à paix) » précise Le Robert.
Ceux qui la font, Poutine, Netanyahou et plein d'autres, se gardent bien d’utiliser le terme qui les obligerait à respecter les règles du droit international.
Qui la déclare - George Bush contre la terreur et Macron contre la COVID - s’en prend à des problèmes que la guerre ne saurait résoudre et qu’on ne peut considérer comme réglés. « Une guerre peut prendre fin lorsqu'il y a reddition et capitulation de l'État vaincu » explique le site officiel Vie Publique.
L’Ukraine et la Russie sont donc bien « en guerre », même si l’agresseur ne le reconnaît pas. Destructions et victimes sont là pour en porter l’horrible témoignage. Mais l’invasion russe reste, officiellement, une « opération spéciale ».
Interrogez votre IA ou votre moteur de recherche préféré et vous verrez qu’à part trois conflits non conclus par des traités de paix, le monde ne connaît pas de guerre officielle en ce moment. Et pourtant, le nombre de conflits armés en cours s’élève à près de 60 pour le Peace Research Institute d’Oslo, à 110 selon la Geneva Academy.
Une piste : « conflagration »
Le Figaro nous donne une belle et courte histoire de la vie française du mot « conflagration ».
Désignant au départ - en 1690 - un « incendie de ville, le terme s’applique aujourd’hui à un « Conflit international de grande envergure ».
L’évolution s’explique par l’origine latine du terme. « Flagrare » veut dire brûler. Accompagné du préfixe con (ensemble) il indique plusieurs éléments brûlant ensemble.
Et c’est là que, pour moi, con-flagration prend toute sa force.
« Guerre » a l’énorme défaut d’être strictement binaire. Il y a, ou il n’y a pas, on est, ou on n’est pas en « guerre ». Or il s’agit toujours de dynamiques complexes dont on espère rendre compte en les disant « hybrides » ce qui ne fait guère avancer le schmilblick (un autre terme sur lequel je pourrais revenir…).
Reste l’adjectif. On peut dire d’une situation et, avec encore plus de pertinence, d’une dynamique, qu’elle est « conflagrationnelle ».
Qui se refuse à dire que l’Europe est déjà en « guerre » aura du mal à nier qu’elle vit une situation « conflagrationnelle ».
Ça suffit pour se préparer, pour se mettre au travail comme Aquarius.news nous y invite.
Maintenant.
Pauvre Tolstoï
Mais, implacable logique, le mot « paix » auquel on aspire dans toute situation « conflagrationnelle » est aussi peu utilisable et, peut-être, encore plus mensonger que « guerre ». Pauvre Tolstoï !
Diplomates et politiciens s’en gargarisent.
Dès qu’ils brandissent le terme nous savons qu’ils se et nous trompent.
Shooté aux réalités alternatives Trump la promet. Moquette.
Je vois mal une figure responsable promettant de « déflagrer » la zone entre la Russie et l’Europe, mais aussi le Moyen Orient, les mers de la Chine du sud, le Myanmar, le Soudan etc.
Peu vraisemblable… mais que ce serait bon d’entendre parler Klash…
Allez vite y faire un tour sur Aquarius.news et... abonnez-vous.
02.03.2025 à 09:46
Dire NON! comme Zelensky ≈067
Francis Pisani
Texte intégral (1110 mots)
Bonjour,
Difficile de s’y retrouver dans cette actualité secouée par une stratégie trumpienne fondée sur la la menace, le chantage, la peur qu’elles suscitent, sa gueule irascible, ses mensonges assassins.
Piégés par la confusion, minés par des années d’impuissance face à ce monde que nous voyons se détruire sans trouver comment l’améliorer, nous avons, à des degrés variables, tendance à nous réfugier dans le déni, la recherche d’un refuge loin de toute hypothèse nucléaire, ou la déprime.
Arrêtons.
Point n’est besoin d’avoir une réponse claire, de savoir quoi faire et avec qui.
Commençons par dire : NON! pour inverser la dynamique.
Comme l’a fait Zelensky dans le bureau ovale, au coeur de la Maison Blanche, à la face de Trump, au nez de Vance l’idéologue provocateur d’un président déstabilisé par la fermeté de son interlocuteur ukrainien qu’il pensait manipuler comme une marionnette.
Quel courage. Quel force. Et quelle intelligence.
Sa marge de manoeuvre étant proche de zéro il a joué la carte de la dignité contre celle du mépris.
En disant simplement NON!.
Position morale qui ne règle pas tout, mais bon début dont nous avions le plus grand besoin.
Commençons par dire : NON!
NON! est le premier mot de toute rébellion comme de toute innovation.
Galilée n’a pas commencé par affirmer : « Et pourtant elle tourne ». Tout a commencé quand il s’est convaincu du fait que, NON! le soleil ne tourne pas autour de la terre.
Les colons de Boston on dit NON!, en 1773, aux impôts exigés par le roi d’Angleterre, avant de participer, trois ans plus tard, à la déclaration d’indépendance des États-Unis.
De Gaulle a dit NON! au renoncement de Pétain avant d’organiser la participation des Français à leur libération.
Steve Jobs a dit NON! aux ordinateurs tristes et compliqués avant de lancer le Mac.
C’est en disant haut, fort et publiquement NON! que les femmes ont fait reculer le harcèlement sexuel.
etc., etc., etc.
Paradoxalement, dire NON! c’est prendre position contre le nihilisme, au sens où Nietzsche l’entend, c’est affirmer ses valeurs, s’affirmer face à l’impuissance.
Deux précautions malgré tout :
Tous les « NON! » n’ont pas le même sens… Le fait de protester, de refuser, de s’opposer m’est généralement sympathique. Mais il faut faire attention à ceux qui dévient le terme, pour protester contre les vaccinations par exemple.
Dire NON! ne suffit jamais. Il faut agir après, proposer, dialoguer… Sur de meilleures bases quand on a d’abord fait état de sa capacité et de sa volonté de refuser l’inacceptable.
Le NON! de Zelensky l’a-t-il affaibli ?
Certains analystes estiment que le président ukrainien est tombé dans un piège, qu’il n’a plus d’alternative et qu’il est maintenant condamné. En gros, qu’il a commis une erreur.
Le dialogue entre Trump et Poutine lui avait fermé toutes les portes.
Zelensky a pris des risques pour son pays et pour sa vie.
Mais son NON! a donné une chance aux dirigeants européens de se ressaisir plus vite qu'ils n'auraient souhaités.
Il nous a donné l’exemple.
Que pouvons-nous en apprendre ?
Adopter une position morale dans une situation critique peut sembler inutile.
C’est pourtant ce dont nous avons le plus besoin, ce qu’aucun autre dirigeant ne nous propose.
Tant de choses nous heurtent. Le sentiment d’impuissance nous bride. Qu’il s’agisse de la lutte contre la crise climatique, des attaques au Kärcher contre la biodiversité, de la protection sociale, de la fin du mois, de l’éducation des enfants ou de la réglementation des grandes fortunes ou de la BigTech.
Et nous avons tendance à repousser l’action faute de savoir quoi faire, ou d’y croire.
Commençons par un tout petit mot qui sort des tripes, que nous ne sommes pas seul.e.s à hurler et qui commence à nous engager.
Commençons par dire NON! à tout ce qui nous écoeure, nous dégoûte, nous scandalise, nous menace.
Et mettons nous à l’oeuvre.
Merci Monsieur le Président de l’Ukraine.
21.02.2025 à 12:37
Président, et si vous alliez à Pékin lundi ? ≈066
Francis Pisani
Texte intégral (2108 mots)
URGENT
Monsieur le Président,
Si vous voulez être écouté, ça n’est pas à Washington qu’il faut aller lundi, mais à Beijing.
Reprenant une formule chère aux innovateurs et aux startups que vous aimez je vous dis : « Et si… » vous aviez l’audace de renverser la table à votre tour ?
L’hypothèse : Si vous voulez qu’Europe et Ukraine figurent à la table des négociations Trump-Poutine, qu’elles aient une chance de participer aux décisions concernant leur futur, rendez visite à Xi (il trouvera sûrement un créneau dans son agenda).
Pourquoi ?
Parce que vous n’êtes pas assez fort pour faire bouger Trump en le suivant. Vous n’y gagnerez que mépris ;
Parce qu’il vous respectera si vous lui donnez la preuve que vous avez compris sa vision stratégique ;
Parce que vous pouvez négocier avec Xi sur des bases d’intérêts mutuels bien compris et donc en tirer quelque chose et marquer l’opinion mondiale avec un geste fort.
Détourner le chaos avec une poignée de main… Quoi de plus élégant ?
Songez à celle de Nixon et Mao en 1972. Et si la tête de ce président là ne vous reviens pas, pensez à l’impact de Kissinger sur son époque.
Ne regardez pas le doigt qui cache la lune
« Le deal pour les nuls », selon Trump, consiste à frapper fort, dérouter ses interlocuteurs, avant de se mettre à table.
Ses injures contre Zelensky n’en sont que la manifestation la plus récente, la plus ridicule si elle n’était des plus dangereuses quand on sait la façon dont Poutine règle leur sort à tous ceux qui le gênent un peu trop dès qu’ils sont moins protégés.
Comme les ingénieurs du chaos qui misent sur l’émotion pour masquer la vérité, ou comme les pickpockets qui vous bousculent d’un côté pendant qu’un acolyte vous vole de l’autre Trump vous (nous) choque pour s’assurer que nous n’aborderez que trop tard la seule question qui compte pour lui : l’affrontement Chine-États-Unis.
L’émotion est à son maximum. Nous ne pensons qu’au scandale et à la Russie oubliant ainsi qu’elle n’est qu’une puissance de deuxième ordre au niveau planétaire, malgré son arsenal nucléaire. Question qui pourrait être vite réglée dans les mois qui viennent par un nouvel accord entre Washington et Moscou.
En clair, et dans un premier temps, Trump est disposé à faire tous les cadeaux que Poutine lui demande… mais pas seulement parce que l’homme lui est sympathique, ni même parce qu’il est intéressé par les métaux stratégiques.
Tout cela est vrai, mais pas déterminant.
« Et si… » l’offre véritable de Trump à Poutine était de le sortir du piège géostratégique dans lequel il s’est lui-même jeté en envahissant l’Ukraine sans prévoir qu’elle résisterait.
« Et si… » dans ce billard à trois bandes, Trump cherchait à séparer la Russie de la Chine ?
Eurasie + Afrique : un Yalta gargantuesque… à 2
Maintenant que ses visions impériales pour le continent américain et le Groenland sont claires, Trump pourrait bien négocier le sort du reste de la planète : l’Europe, l’Asie et même l’Afrique. Aucune raison de se limiter si tout le monde marche et que Poutine est complice… pour de bonnes raisons.
Revenons à la surprise ukrainienne en février 2022 quand l’armée russe a échoué devant Kiev.
Le maître du Kremlin n’a rien trouvé mieux que de proposer son indéfectible amitié à Xi en échange d’une aide économique et militaire. Il livrait tout son front Est à son plus sérieux adversaire géopolitique. Car, comme le remarque l’ancien diplomate singapourien Kishore Mahbubani le 18 février dans la revue Foreign Affairs : « Quel est le principal rival stratégique de la Russie, l'UE ou la Chine ? Avec qui a-t-elle la plus longue frontière ? Et avec qui sa puissance relative a-t-elle tant changé ? Les Russes sont des réalistes géopolitiques de premier ordre. Ils savent que ni les troupes de Napoléon ni les chars d'Hitler n'avanceront à nouveau jusqu'à Moscou. » A fortiori, vous me l’accorderez, celles et ceux de l’Union Européenne.
Mais il ne s’agit pas que de l’Eurasie puisque l’ultime affrontement est planétaire. Pourquoi pas inclure l’Afrique pendant qu’on est à table. Maintenant que la France est hors jeu militairement, soutenir Poutine lui permettrait de faire intervenir une puissance expérimentée à moindre frais. Une coopération ne saurait être exclue. Et Poutine pourrait ainsi préserver l’accès aux richesses minières ouvert par l’ancien groupe Wagner.
Tout est dans la poignée de main
Que discuter avec Xi ?
Mahbubani conseille à l’Europe de pousser la Chine à participer au développement de l’Afrique afin de réduire les migrations qui lui posent problème. Pas une mauvaise idée venant d’un expert… Vous pourriez juste ajouter que l’expérience française suggère de ne pas être trop gourmand.
Appuyez vous sur la confirmation du soutien chinois aux accords de Paris abandonnés par Trump. Nos préoccupations sont assez proches en matière d’environnement et de crise climatique. Nos intérêts aussi.
Quant à l’intelligence artificielle, les perspectives sont immenses. Pékin a signé l’accord conclu au sommet que vous venez d’organiser. Coopérer pour le développement d’IA plus frugales (pensez au Chat de Mistral ou à DeepSeek ) que celles conçues à Silicon Valley intéresserait la pus grande part de l’humanité.
Mais n’allez pas trop loin. Je vous dis pourquoi dans une seconde.
Je résume :
Si vous faites ce que tout le monde attend de vous, ni l’Ukraine, ni l’Europe n’obtiendront quoi que ce soit de Trump qui ne joue pas, en fait, le match auquel il fait semblant de ne pas vous inviter (sic).
Surprenez le, Poutine et tout le monde, en demandant à votre pilote de commencer par Beijing. Cet impensable bien pensé vous mettra dans une position, enfin, de surprise et de force. A lui d’être déconcerté.
Vous hésitez, Monsieur le Président ? C’est compliqué ?
Pas tant que ça.
Pensez « image » plus encore que « substance ».
Serrez-lui la main… devant les caméras (vous savez faire) !
PS - Aux lectrices et lecteurs de Myriades : J’espère que ma note à Macron vous a fait sourire… et dites moi - dites « nous » - si vous pensez que l’idée mérite réflexion. Ajoutez vos conseils pendant que nous y sommes…
17.02.2025 à 11:24
Souveraineté m’a tuer ≈065
Francis Pisani
Texte intégral (2961 mots)
Bonjour,
Je commence cette chronique avec un petit sourire jouissif. Elle me permet en effet de m’en prendre « en même temps » à Marine Le Pen et à Jean-Luc Mélenchon tout en égratignant Monsieur Macron soi-même.
De quoi s’agit-il ?
Du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle (IA) qui vient de se dérouler à Paris.
Mais pas sous l’angle de la tension (trop souvent binaire) entre l’innovation sans frein et contrôle politique voir sociétal. Sous l’angle de ceux qui en font une question de « souveraineté ».
Commençons par deux citations tirées de tribunes écrites par les deux leaders politiques évoqués plus haut et publiées le même jour (8 février) par Le Figaro.
« Le cœur des questions posées est dans la souveraineté sur les données et les usages qui en sont fait. »
« Avec une ambition politique forte, fière et souveraine, la France saura être à la hauteur du défi de l’IA. »
Je vous laisse deviner de qui chacune provient…
C’était clairement l’un des thèmes au coeur des discussions, notamment à propos de défense comme le montre Marion Moreau sur Hors Normes.
Mais le coeur de mes préoccupations dans ce post est le mot lui-même. Qu’on l’utilise encore me choque.
Un terme choquant et dangereux
Adjectif, le terme « souverain » désigne, selon le Robert online, celui ou celle « qui est au-dessus des autres, dont le pouvoir n'est limité par celui d'aucun autre » alors que le nom désigne un « Chef d'État monarchique ». C’est encore le cas deux siècles et demi après que la Révolution de 1789 a « tranché » la question du Roi de France, et transféré la notion au peuple alors menacé par d’autres suzerains européens.
C’est pourtant clair. « Souveraineté » semble être apparue sous la plume de Jean Bodin dans un livre publié en 1576 (il y a quatre siècles et demi) pour poser les fondements de la monarchie absolue.
Notion abstraite, elle est souvent invoquée pour commettre des crimes concrets, un concept Janus dans lequel Dr Jekyll se fait, une fois de plus, phagocyter par Mister Hyde.
C’est le cas quand l’Europe, ou la Chine, ferment leurs frontières pour se protéger de l’immigration ou de la Covid sans discuter des torts créés, quand Poutine l’invoque pour envahir l'Ukraine en prétendant qu'elle menace la Russie, quand Maduro (il n’est pas le seul) refuse tout observateur international pour mieux voler des élections. Et Trump ne fait pas mieux quand il lance des déportations massives et enferme des immigrés sans papiers dans son ancienne geôle pour terroristes. Il fait pire quand il menace d’étendre la « souveraineté » des États-Unis, au Canada, à Panama ou au Groenland.
On peut même,en dire, comme l’a écrit Yves Lacoste à propos de la géographie, qu’elle Sert, d’abord, à faire la guerre, qu’elle relève d’un discours idéologique masquant l'importance politique de toute réflexion sur l'espace. Ville ? Région ? Pays ? Qui veut se faire une idée des dynamiques en jeu doit ajouter à la prise en compte des « frontières » les flux qui transitent sur les routes, voies ferrées, lignes maritimes, pipelines et câbles sous-marins, entre autres.
Mais, quoique j’en rage, le terme est là. Il est ressenti comme essentiel par beaucoup, qui se sentent menacés par ce qui reste de globalisation comme par ces technologies numériques conquérantes dominées par de grandes puissances qui ne nous veulent pas que du bien.
Le piège est dans le mot lui-même : souverain « dont le pouvoir n’est limité par celui d’aucun autre. »
Et si on pouvait s’en éloigner, s’en passer ? Accepter enfin qu’il n’en est pas, qu’il n’en a jamais été ainsi…
Changer de métaphore
Moins chatouilleux sur l’origine du terme, de nombreux auteurs posent le problème depuis quelques dizaines d’année déjà, le philosophe allemand Jurgen Habermas comme le diplomate américain Richard Haas et plein d’autres. Leurs principales positions se déploient autour de trois axes :
Remise en question de l’importance des États-nations aujourd’hui menacés par la puissance croissante des méga-corporations de l’hyper capitalisme;
Interdépendance accrue du fait du rôle croissant des échanges en tous genres.
Multiplication des instances internationales plus ou moins contraignantes.
J’y ajouterais volontiers le rôle croissant joué par la société civile, mais la référence reste le contrôle, ou pas, exercé par des États à l’intérieur de murs.
« Le temps de la souveraineté absolue et de la souveraineté exclusive... est révolu ; la réalité n'a jamais correspondu à sa théorie » avait prévenu, en 1992, Boutros Boutros-Ghali, alors secrétaire général de l’ONU.
Peut-être pourrions nous essayer d’autres métaphores inspirées des espaces où l’on cause :
La table ronde (du conseil de sécurité);
La grande salle (de l’assemblée générale);
La hiérarchie est aussi problématique qu’évidente mais, ce qui compte c’est d’y exister, d’y participer. On gagne plus en étant à la table du dialogue et de l’éventuelle coopération qu’en fermant ses frontières.
L’organisation doit, certes, être modifiée pour en étendre la validité. Tout le contraire de ce que fait Trump en semant, à dessein, le chaos planétaire - ne s’amuse-t-il pas à dire qu’il est « cinglé » ? - pour mieux imposer son idéologie de puissance que nous pouvons commencer à décrypter… autour du même terme.
Le souverainiste
Sans affirmer qu’il s’agit de filiation, nous pouvons détecter trois « coïncidences » entre les actions du président américain et des courants de pensée connus.
Ce qu'il dit et fait colle avec la théorie de Carl Schmitt, philosophe nazi. Selon lui « La distinction spécifique à laquelle les actions et les motivations politiques peuvent être réduites est celle entre ami et ennemi ». Simple : au lieu de causer on cogne.
Ça s’insère dans une conception qualifiée de « souverainiste » - nous voici de retour à notre point de départ - des relations internationales. Elle consiste à refuser « tout enchevêtrement de règles ou de normes d'autrui qui pourrait limiter l'autonomie absolue d'un État à agir unilatéralement dans son propre intérêt » explique Nathan Gardels dans le magazine Noéma.
La notion va de pair avec le mercantilisme, théorie économique classique. Si vous êtes comme moi le mot nous dit quelque chose mais rien de précis. Je suis donc allé vérifier.
Il s’agit - la citation prise dans Wikipedia est irrésistible - d’un « courant de la pensée économique contemporain de la colonisation du Nouveau Monde et du triomphe de la monarchie absolue, depuis le XVIe siècle jusqu'au milieu du XVIIIe siècle en Europe ». Elle conduira l’Espagne à l’anémie après la défaite de son « invincible Armada ».
La référence fera sourire celles et ceux qui ont lu mon billet 2034, roman réveil, dans lequel la prochaine conflagration commence par un affrontement maritime.
Nous n’en sommes pas encore là. Mais la logique « souverainiste » de Trump est clairement à l’oeuvre quand il menace d’écarter Ukraine et Europe de la table des négociations les concernant.
Un vrai défi si l’on songe, remarque Gardels dans Noéma, que « L'Union européenne sera la plus désavantagée dans ce nouveau voisinage mondial difficile puisqu'elle est fondée sur la dé-souverainisation de l'État-nation et qu'elle est jusqu'à présent incapable de devenir une puissance significative à l'échelle continentale ».
Rien de lui interdit de le re-devenir, sans renoncer aux leçons qu’elle a su tirer de sa propre histoire, pour s’imposer à la table de toute négociation dont son futur dépend.
Mais quel examen de conscience, quel travail à faire, quels dialogues à engager entre partenaires, et pas que !
Plutôt stimulants il me semble…
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