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ENQUÊTES ÉCOSOPHIQUES

Emmanuel PONT

▸ les 10 dernières parutions

09.01.2022 à 17:43

Gestion des connaissances

Emmanuel Pont

Texte intégral (2717 mots)

Gestion des connaissances V0.2

Cet article est évolutif, je continuerai à le mettre à jour au fil de mes réflexions

Je viens de finir la rédaction de mon premier livre : faut-il arrêter de faire des enfants pour sauver la planète ? C’est le moment parfait pour m’interroger sur mes méthodes et outils de gestion de l’information/connaissances, et prendre un peu de recul sur ce que je veux en faire.

Les limites au cerveau

Pour ce livre j’ai lu (au moins en diagonale poussée) plus de 800 publications scientifiques, une cinquantaine de livres et quelques centaines d’articles grand public.

Pour certaines sources (principalement les articles grand public) j’ai noté manuellement liens et commentaires dans des tableaux.

J’ai aussi gardé mes notes, liens et citations non retenus dans des fichiers textes nommés selon le plan (2Mo de txt), pas vraiment triés ou explicités à l’intérieur de chaque fichier. Il y a dedans quantité de réflexions intéressantes qui n’avaient pas leur place dans le livre et qui n’existent nulle part de trouvable, par exemple pourquoi j’ai retenu une source plutôt qu’une autre.

Tant que c’est encore frais j’aimerais réorganiser tout ça en une base de connaissances sur la question que je pourrai tenir à jour et continuer à creuser pour moi-même, éventuellement faire une seconde édition à l’avenir, ou continuer dans la recherche. Je veux en particulier prendre en compte les nombreuses précisions, corrections et nouvelles perspectives qui seront forcément nécessaires. Le sujet étant très vaste, il s’agit en fait de couvrir la majorité de la crise écologique et de ses aspects, ce que je fais déjà très imparfaitement dans un wiki que je ne trouve pas pratique du tout (j’avoue avoir honte de ces catégories atroces, mais c’est vraiment pénible à maintenir).

Plus largement, je lis trop de choses mais je ne les retiens et ne les exploite pas assez. J’ai aussi des difficultés à gérer ma “pipeline” d’informations, la majorité arrivant de manière désordonnée par les réseaux sociaux. Aujourd’hui j’ai tendance à accumuler des onglets de navigateur repliés (Tree Style Tab) quand je vois passer un contenu qui me semble intéressant pour un sujet que j’ai envie de creuser un jour. J’en ai une cinquantaine, ce n’est pas très pratique

Je fais pareil pour mes sujets de blog passés et mes brouillons. Je trouve vraiment le glisser-déplacer pratique pour classer les choses, probablement mes restes de dextérité de gamer et le luxe des deux écrans.

En contrepartie de ce chaos, les réseaux sociaux apportent un contexte extrêmement intéressant et très complémentaire aux recherches d’information classiques : liens avec l’actualité ou d’autres problématiques, prises de positions publiques, discussions … C’est aussi un moyen irremplaçable de découvrir de nouveaux sujets ou de nouveaux angles, ainsi que de limiter certains biais des moteurs de recherche.

Cher Père Noël, j’ai été très sage …

Alors, à quoi ressembleraient outil et processus parfaits pour répondre à tous ces usages ? En voici les grandes lignes ainsi que mes questions en cours.

Entrée

Pour mon livre j’ai utilisé à peu près pour moitié des sources et réflexions déjà notées depuis les 3 ans que je réfléchis sur la question et pour moitié des résultats de recherches spécifiques pendant les 6 mois de rédaction à proprement parler. A l’entrée du système, arrivent de manière éparse ou organisée :

  • des sources électroniques à lire ou déjà lues
  • des sources non électroniques
  • des réflexions liées directement aux sources
  • des réflexions diverses (la majorité viennent “au mauvais moment”, en faisant un lien avec un sujet éloigné)

Pour la suite, tous ces éléments seront regroupés sous le terme de “note” qui est le plus courant dans les outils de gestion des connaissances. En pratique, l’un ou l’autre peut se limiter à une ligne dans une note plus large, ou au contraire être considéré comme un élément indépendant. Ce niveau de détail variera sans doute selon les sources et leur degré d’analyse.

Cette phase d’entrée doit permettre à la fois de classer un minimum les notes pour les retrouver plus tard quand elles seront utiles, mais aussi garder en mémoire ce que j’ai lu. Il faut se retenir de tout enregistrer, ça ne doit pas se transformer en antisèche de Questions pour un champion. J’avais commencé à écrire “en Wikipédia alternatif”, mais en fait écrire et maintenir sa propre page Wikipédia sur un sujet est un très bon moyen de l’apprendre et de le structurer. Il faut juste garder un périmètre raisonnable.

Se pose ainsi ce qu’on peut appeler le dilemme de la friction : il en faut pour limiter les notes, mais elle doit porter sur des choses utiles pour la mémoire et la compréhension (classement, synthèse, liens …) plutôt que cliquer sur des boutons éditer/valider et attendre des chargements de page (mon expérience des wiki).

Fonctionnalités :

  • (indispensable) plugin navigateur pour sauvegarder facilement une page et importer toutes les méta-données possibles
  • (indispensable) fluidité et ergonomie
  • (préférable) sauvegarde du contenu complet ou des fichiers liés
  • (préférable) aide au dédoublonnement
  • (préférable) raccourci navigateur (par ex alt + click) pour enregistrer un lien dans l’outil au lieu de l’ouvrir dans le navigateur ou glisser-déplacer
  • (préférable) import simple de sources non électroniques, en particulier livres

Je précise à la suite les deux grandes fonctionnalités pour l’entrée : le classement et l’annotation.

Classement

A quel point faut-il tout classer ? Il existe des débats sans fin sur la question, certains recommandant de ne rien classer et d’utiliser uniquement les outils de recherche. J’aurais tendance à penser que classer aide beaucoup à retenir et analyser (et doit donc être fait à chaud), qu’il faut ainsi un juste milieu qui dépendra de l’objectif et de la quantité de données. La finesse du classement doit varier, je veux par exemple être très précis sur “population et environnement” (d’autant plus facile et valable que je connais bien le domaine) mais je peux avoir un classement beaucoup plus grossier sur d’autres sujets.

Quel système de classement ? Ici aussi débats sans fin. Je suis conscient de la clarté des hiérarchies simples mais mon créneau est justement les sujets transdisciplinaires. Par exemple l’économie du climat devrait se retrouver sous les arborescences du climat, de l’économie, de la philosophie et de la politique. On peut soit utiliser des liens entre notes ou des systèmes de tags hiérarchiques (qui me semblent le plus naturel).

Enfin, il faut un indicateur simple de statut : non lu > lu > annoté.

Fonctionnalités :

  • (indispensable) classement dans le plugin
  • (préférable) gestion de taxonomie avec notamment synonymes
  • (préférable) classement automatique par auteur / participant
  • (à voir ?) classement complexe, liens, tags hiérarchiques

Annotations / surlignage

Tout comme le classement, annoter ou surligner aide beaucoup à retenir. Je ne sais pas à quel point c’est indispensable que cela reste sur la source plutôt que par exemple copier/coller ses impression et passages marquants à côté dans un commentaire. Le travail de contextualisation au-delà du texte n’est-il pas plus utile pour retenir et analyser plus tard ? Là où ce serait particulièrement utile serait pour les livres où j’annote généralement sur papier. Ce serait assez rapide de transcrire les notes et surlignages … mais uniquement si je trouve une version électronique du livre.

Fonctionnalités :

  • (préférable) commentaires et annotations directement dans le plugin
  • (préférable) HTML et PDF
  • (à voir ?) découpage des articles par morceaux (par exemple, mon article démographie et climat couvre une multitude de sujets différents)
  • (à voir ?) annotations et surlignage du texte
  • (à voir ?) remontée automatique des annotations et passages surlignés

Maintenance

Le système doit être évolutif, aider par exemple à réaliser que si 100 notes ont le même classement il faut créer des sous-classements et permettre de le faire simplement. De même, voir quelles réflexions sont à jour et lesquelles sont à revoir, reclasser ou jeter. Dans l’idéal je dirais que chaque regroupement de réflexions doit être revu et nettoyé à la louche une fois par an.

Fonctionnalités :

  • (indispensable) recherche par taille, date de mise à jour ou revue, peut éventuellement passer par des tags
  • (indispensable) gestion d’un statut “deprecated” qui se propage (aussi d’un warning pour les mauvais arguments, corrections, retraits)
  • (préférable) vision des ressources “feuilles mortes” qui ne sont plus utilisées, à supprimer ou archiver

Analyse

La phase d’analyse doit permettre de retrouver facilement les informations sur un sujet ou une question ainsi que tout ce qui pourrait aller autour pour éclairer la réflexion. J’insiste sur l’importance des liens entre idées et sujets pour apporter des réponses originales, mais je ne sais pas encore la meilleure manière pour les matérialiser (ni même si c’est indispensable de tous les noter). Ces liens peuvent être automatiquement identifiés, ressortir du moteur de recherche ou avoir été notés préalablement.

Fonctionnalités :

  • (indispensable) recherche dans les contenus
  • (préférable) recherche dans les fichiers
  • (à voir ?) liens entre notes
  • (à voir ?) liens automatiques, par exemple citations

Projet

Enfin, une étape intermédiaire peut être nécessaire avant la rédaction, en particulier pour des projets complexes comme un livre ou un post de blog poussé : distinguer quelles notes ont été examinées, retenues ou mises de côté et pour quelles raisons. C’est en particulier utile pour mon mode d’écriture très “vulgarisation scientifique” où la majorité des sources et réflexions ne se retrouvent pas dans le résultat final et où une nouvelle source peut remettre en cause le travail précédent.

Je vois cela comme une table de correspondance, une version enrichie d’une note ou un tag, à voir lequel serait le plus pratique. Dans l’idéal je noterai sur chaque sujet (par ex sous-chapitre de livre) quelles sources ont été retenues et lesquelles pas retenues, et je pourrai faire des requêtes auxquelles j’ajouterai le critère “pas lié à tel sujet”.

Rédaction

Enfin, la rédaction prend ces éléments et en fait une histoire. Je ne pense pas qu’il faille utiliser le système de gestion des connaissances pour cela, il suffit de piocher dedans, potentiellement en passant par un format de rédaction intermédiaire.

Google Docs a été irréprochable comme outil de rédaction du livre, rien à changer en la matière (j’ai juste fait des scripts pour automatiquement sauvegarder les fichiers et calculer le nombre de caractères par fichier/partie/sous-partie).

Partage

Je n’ai pas vraiment besoin de partager ma cuisine ou de collaborer dessus, s’il faut publier je le fais à la fin sous forme d’article.

La foire aux outils

Bon, aucun outil ne fera exactement tout cela, donc je suis prêt à transiger selon ce qui est disponible. Si besoin, je suis prêt à utiliser plusieurs outils et des plugins/IFTT/Zapier pour le lien, je suis aussi prêt à payer. Je ne suis pas prêt à changer de Firefox comme navigateur principal. Je cherche aussi des outils ayant un minimum pignon sur rue, en particulier si le format de données est propriétaire (à éviter si possible). Pas d’objection à taper en code simple si c’est pratique (mais de mon expérience on perd pas mal de mémorisation et d’analyse par rapport à du WYSIWYG, peut-être que je n’y suis pas encore assez habitué).

La bonne nouvelle, c’est qu’il existe de nombreux outils sur le sujet. Je m’étais posé la question plusieurs fois dans ma vie et avais conclu à chaque fois qu’on n’avait pas encore vraiment dépassé le wiki. Une pléthore de nouveaux outils a fleuri ces dernières années ! Voici les principaux outils que j’ai commencé à examiner :

Zotero

  • Excellent import des méta-données par le plugin navigateur, en particulier sur les articles scientifiques mais pas seulement. Le plugin permet juste de mettre dans l’arbre et d’ajouter des tags, j’aimerais plus (ou pouvoir y accéder en un clic)
  • Copie page / import pdf automatique, index sur le texte intégral
  • Ergonomie pas terrible, notes, tags (non hiérarchiques) et liens pas très pratiques mais existent
  • Beaucoup de plugins

Notion

  • Excellente ergonomie, très pratique pour organiser et maintenir (si je voulais seulement mettre en forme mes notes de livre ou rendre mon wiki plus pratique ce serait probablement mon choix)
  • Pas de tags hiérarchiques, peut-on utiliser embed ou sync pour lier en transverse ?
  • Je reste troublé par la hiérarchie liée aux notes
  • Beaucoup de plugins et outils

Memex

  • Excellent plugin (Firefox+Chrome) qui permet en un raccourci clavier de sauvegarder, tagger, annoter, surligner (fonctionnera aussi sur les PDF). De loin ce que j’ai trouvé de plus pratique
  • Tags mais non hiérarchiques, pas pratiques à gérer à plat (par ex pas possible de rechercher “a/b”)
  • Export manuel personnalisable
  • Très nombreux bugs
  • Qq limites, par ex identification par le titre de la page (inutilisable sur Facebook), pas de sauvegarde des pages

Autres à voir :

  • Roam Research
  • Obsidian
  • Dendron

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01.09.2021 à 17:51

Faut-il parler de “grand remplacement” ?

Emmanuel Pont

Texte intégral (3240 mots)

Faut-il parler de “grand remplacement” ?

C’est un sujet qui fâche mais qui arrive régulièrement sur la table quand on parle population ou immigration. Que recouvre-t-il, et faut-il en parler ? Est-on forcément victime de la loi de Brandolini, en devant dépenser beaucoup plus d’effort pour y répondre qu’il n’en faut pour mentionner cette idée simple et tentante ? Voici ma contribution de citoyen, avec pour objectif d’aller au-delà du fact-checking.

Le “grand remplacement” est la théorie selon laquelle la population française “de souche” serait progressivement remplacée par des immigrés et leurs enfants, principalement du Maghreb et d’Afrique, ou par des musulmans. Elle est généralement expliquée par une volonté des “élites mondialisées” de métisser la population pour mieux la contrôler. Ce sujet brûlant “obsèderait” même Emmanuel Macron. Alors, est-ce vraiment le cas ? Un instant ! Le problème du “grand remplacement” : ce n’est pas un fait neutre dont on peut se contenter de débattre objectivement, c’est d’abord une idéologie dont il faut comprendre les tenants et aboutissants avant de regarder les chiffres.

L’idéologie derrière le concept

Revenons au début du raisonnement : pourquoi faudrait-il s’inquiéter de la composition de la population française ? Qui sont les “bons”, qui sont les “mauvais”, quand sont-“ils” “trop” ? Qui décide ? Dans notre démocratie ce sont tous les Français qui décident, et l’intérêt de la France c’est l’intérêt de tous les Français. Pas de certains Français, ou la vision du monde qu’ont certains Français. C’est précisément ce que suppose implicitement le “grand remplacement” : une remise en cause profonde du “contrat social” de la nation, redéfini en fonction d’une certaine origine, couleur de peau ou religion. Cette remise en question est systématique : le “bon français” n’est pas défini par son respect des lois, mais à partir de caractéristiques d’origine, biologiques ou de religion qui n’ont en soi rien de critiquable … exactement ce qu’on appelle de la discrimination. Notons aussi qu’elle ne porte pas uniquement sur les accueils et naturalisations futurs, mais sur des gens déjà présents, la majorité étant français !

Est-ce une idéologie raciste ? Ses tenants jouent à inclure ou non telle ou telle couleur, religion ou individu selon des critères variables, mais quand on insiste ils arrivent toujours à “il suffit de regarder dans la rue” … Le flou de la théorie (qui n’est donc pas une théorie au sens scientifique) est indissociable de l’impossible définition de l’intégration ou du “français de souche”. Il y aura toujours des différences, plus ou moins visibles, sur lesquelles surfer pour attiser la peur de l’autre. Il n’y a pas si longtemps le même discours portait sur des immigrés européens, blancs et catholiques.

Il y a dans le “grand remplacement” un fantasme d’inversion du rapport de force courant dans les théories du complot. Rappelons que les “remplaçants” ne sont pas favorisés socialement, et sont victimes de discriminations systématiques. Selon le défenseur des droits :

la prévalence des discriminations fondées sur l’origine qui affectent la vie de millions d’individus, met en cause leurs droits les plus fondamentaux, ainsi que la cohésion sociale

La théorie du “grand remplacement” couvre opportunément ces faits avec le fantasme que dans un futur flou et lointain ils pourraient devenir majoritaires, prendre le pouvoir on ne sait comment (un régime d’apartheid peut très bien être minoritaire), et imposer on ne sait quelles décisions qui seraient nuisibles au reste de la population. Par exemple au lieu de s’inquiéter de la faible représentation des musulmans en politique, Robert Ménard préfère voir l’élection d’un maire musulman à Londres comme un signe inquiétant. Le pire est évidemment le concept d’invasion ou de “contre-colonisation” qui sous-entend que des gens dans leur immense majorité pacifiques, venus pour étudier, travailler et trouver une vie meilleure, devraient faire preuve de la même violence et mettre en place le même système d’oppression que l’ont fait les Européens !

Alors, quelles sont les conséquences concrètes de la diffusion d’un discours de stigmatisation, de peur et de violence ? Ses tenants se réclament évidemment de la non-violence, mais Renaud Camus et Eric Zemmour ont été condamnés pour provocation à la haine ou à la violence, alors que le “grand remplacement” est devenu la grande motivation du terrorisme d’extrême-droite : Anders Breivik, Brenton Tarrant, Robert Bowers, John Earnest, Patrick Crusius le citent. Il inspire aussi fortement la “tribune de généraux” dans Valeurs Actuelles qui a fait le buzz récemment, agitant la peur de la guerre civile et du délitement de la France .

Pour toutes ces raisons, l’idéologie du “grand remplacement” est assez toxique pour que Marine Le Pen ait choisi de s’en distancer (même si certains discours du RN s’en approchent encore).

Tout cela, les médias, les intellectuels et politiques qui le diffusent le savent très bien. Ils ont choisi de surfer sur cette idéologie toxique en toute connaissance de cause. Si la guerre des civilisations laisse dubitatif, celle de l’agenda médiatique fait rage. Ils savent aussi très bien pourquoi cela marche, en quoi ce genre de discours en appelle aux instincts profonds de “peur de l’autre”. 48% des français sont en accord avec la phrase suivante :

l’immigration est un projet politique de remplacement d’une civilisation par une autre organisé délibérément par nos élites politiques, intellectuelles et médiatiques et auquel il convient de mettre fin en renvoyant ces populations d’où elles viennent

Ce pourcentage permet de répondre à une question importante : faut-il éviter de parler du “grand remplacement” pour ne pas populariser une idéologie toxique? Même si le sondage ne dit pas si les gens la connaissent explicitement c’est probablement trop tard, elle est déjà acceptable par le grand public. Avec la candidature Zemmour 2022 qui s’annonce, ce sera un thème inévitable des prochains mois.

Le piège, c’est de débattre avec eux sur le “fond” de cette idée comme si elle ne posait aucun problème. Tout comme on ne débat pas sans grandes précautions, par exemple, du QI selon les “races” ou de la réalité de la Shoah, car la pente glissante vers une idéologie nauséabonde derrière est trop évidente. L’autre problème c’est de reprendre un terme aussi connoté et avec un historique aussi lourd, qui sera inévitablement lié à cette idéologie pour le lecteur, même inconsciemment, en plus d’être ouvertement hostile pour les immigrés et leurs descendants. Ainsi pour la suite de cet article j’ai choisi de ne plus utiliser ce terme, et je vous invite à faire de même.

Les chiffres

Passons rapidement sur l’ONU, le complot des élites, etc. Évidemment rien de tout cela n’est étayé, et leurs maigres sources reposent sur des contre-sens ou des manipulations.

La question intéressante est la part actuelle et future d’immigrés et de leurs enfants en France. Au delà de l’insuffisant (et glissant) “il n’y a qu’à regarder”, que sait-on vraiment en l’absence de statistiques ethniques ? On dispose d’informations fiables par le recensement : la nationalité et le pays de naissance des résidents français.

Est considérée “immigrée” une personne habitant en France, née étrangère à l’étranger. L’INSEE produit régulièrement des statistiques sur les étrangers et immigrés, dont voici la dernière mouture :

On dispose aussi de données sur les enfants d’immigrés, estimées à partir de l’enquête emploi et du recensement, ici historisés par Michèle Tribalat :

Notons que plus de la moitié de ces “enfants d’immigrés” n’ont qu’un seul parent immigré, on assiste donc plutôt à un mélange de populations. La proportion de naissances concernées continue lentement à augmenter : en 2019, 17% des nouveaux-nés ont leurs deux parents nés à l’étranger, 15% un seul.

Enfin il n’existe pas de statistiques récentes sur les petits-enfants, en attente de l’enquête TeO2 en 2022. En 2015 il a été estimé que près de 10% des français avaient au moins un grand-parent immigré.

Quels facteurs expliquent cette croissance ? Pour les immigrés, la France en accueille autour de 300 000 par an, en légère augmentation. Parmi ces admissions : 90 000 pour motif familial, 90 000 étudiants, 70 000 pour motif économique et passeport talent, 33 000 pour l’asile. S’y ajoutent les immigrés clandestins et s’y retranchent autour de 60 000 départs annuels d’immigrés.

Pour leurs enfants, les immigrés ont un taux de fécondité plus élevé que la moyenne (2,6 enfants par femme contre 1,9 en moyenne), qui baisse au même rythme que le reste de la population. C’est en partie un artefact du mode de calcul de l’indicateur conjoncturel de fécondité, le calcul de descendance finale réduit l’écart de moitié. Quant aux enfants d’immigrés, ils ont une fécondité très proche de la moyenne.

Ces chiffres vont-ils continuer à augmenter ? Pour les immigrés, cela dépendra de la politique migratoire. On peut faire un calcul d’ordre de grandeur si l’on continue à un rythme de 200 000 arrivées nettes chaque année. Ces personnes entrées sont très légèrement plus jeunes que l’ensemble de la population. Avec une moyenne d’âge de 40 ans, cela leur fait 40 ans d’espérance de vie, et donc un total maximal de 8M. On n’en est donc pas si loin. Pour les enfants, les chiffres devraient aussi continuer à augmenter, ne serait-ce qu’à la suite du pourcentage de naissances (32%, qui devrait aussi légèrement augmenter si l’accueil d’immigrés se poursuit au même rythme).

Et l’Islam ? Ici aussi on peut passer des heures à discuter des nuances du concept, entre pratique religieuse et identité culturelle, et des manières de le compter. En fonction des orientations, les estimations vont entre 4% et 12% de la population française. Le chiffre le plus faible correspond aux pratiquants, le plus élevé regroupe très largement les immigrés de pays de tradition musulmane et leur descendants. Comme les autres religions, l’Islam est en perte de vitesse parmi les présents … phénomène qui coexiste avec certaines pratiques plus visibles.

Alors, que penser de ces chiffres ? Ils sont à la fois non négligeables et loin du fantasme d’un remplacement rapide et massif. Surtout, on voit à quel point ils offrent une pente glissante, car les analyser plus finement implique de les détailler en catégories qui seront inévitablement interprétées comme bonnes ou mauvaises : part de mixité, pays/continent d’origine, niveau d’étude, âge, naturalisation future, natalité … Comme tout bon mensonge, le sujet de cet article est construit sur une “part de vérité”, à l’appréciation forcément subjective. Pour ma part j’y vois plutôt un “petit métissage”, qui est effectivement plus rapide et surtout plus visible que les évolutions précédentes de la population française.

Le débat sur les chiffres

Cette marge d’interprétation des chiffres donne envie de s’engouffrer dans le débat, mais il y a plusieurs pièges à éviter.

Nous avons déjà évoqué le premier : on peut parler des heures de ces chiffres, on ne fait que diffuser cette idéologie toxique si l’on ne rappelle pas clairement et régulièrement ses présupposés. On risque aussi de mettre sur le même plan des statistiques solides et des élucubrations, en essayant d’aller chercher la “part de vérité” derrière des affirmations comme “il n’y a qu’à regarder dans la rue” ou “c’est d’abord qualitatif”. C’est malheureusement un effet secondaire du fact-checking. Et c’est évidemment le piège dans lequel poussent tous ses champions, qui rejettent toute critique sur leur idéologie comme une “approche partiale de certains médias”. De toute façon ils ne sont pas particulièrement intéressés par les chiffres, ils prétendent qu’ils sont cachés, ou les déclarent “évidemment trafiqués” quand ils ne vont pas dans leur sens. Dans ces conditions il n’y a pas de débat avec eux, juste des occasions de leur donner de la visibilité.

Un autre piège consiste à vouloir contextualiser les chiffres et minimiser le nombre d’immigrés en introduisant des distinctions interprétables comme bonnes ou mauvaises. Je me suis par exemple bien gardé de dire plus haut que seule la moitié des immigrés vient d’Afrique et du Maghreb. Pour beaucoup un sous-entendu sera évident : que ceux-ci seraient “problématiques”. Un peu moins de la moitié vient de l’UE : les “bons” ? Sur quelle base faudrait-il faire la différence ? Une excellente illustration du dilemme des statistiques ethniques. Ici aussi on peut discuter pendant des heures des nuances de l’immigration, des facteurs plus ou moins mesurables de l’intégration ou alors de parts d’ascendance qu’il faut avoir pour être “de souche”.

Autre distinction glissante : le niveau local. Il est très facile de surfer sur le sentiment “il n’y a qu’à regarder dans la rue” en peignant des statistiques locales soigneusement sélectionnées comme une invasion, alors qu’il s’agit principalement de ségrégation.

Il est facile de vouloir rejeter tous les chiffres en bloc. J’avoue que j’ai parfois été surpris par le flou et la partialité de certains chiffres avancés pour réfuter la théorie.

Enfin le cadrage de ce débat éloigne facilement de questions plus importantes. L’idéologie associée soutient que la différence cause inévitablement des problèmes. En pratique, c’est beaucoup plus compliqué. Comme le dit Gérard Noiriel :

Le chercheur se fait piéger quand il accepte de répondre à des questions sur l’immigration, alors qu’il s’agit de problèmes sociaux. La question fondamentale, pour ces gens qui sont français pour la plupart, c’est la marginalisation sociale et la ghettoïsation.

Conclusion

La complexité du débat est symptomatique de la division et des sentiments confus des français sur l’immigration :

Mon bilan :

  • Le “grand remplacement” est une idéologie toxique qui joue sur ces sentiments pour attiser la peur et la haine et diviser les français. Cette raison est suffisante pour éviter le terme.
  • Les chiffres ne ne révèlent qu’un petit métissage, qui n’implique aucune fatalité pour la société.
  • Interpréter ces chiffres est un exercice particulièrement glissant, qui ne peut être mené qu’en remettant constamment en question les présupposés toxiques.

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27.05.2021 à 17:07

Population and climate change

Emmanuel Pont

Texte intégral (14385 mots)

Do we have to reduce global population to “save the planet”? Many people say that limiting population size is a priority for environmental sustainability, several organizations have even been created to support this goal, and the debate regularly flares up in the ecologically-minded community. According to some studies, having a child is the worst thing one can do for the climate, by far. As a “green” individual, should one give up on having children, and feel guilty about the ones already born? How can we shed light on the subject and get closer to a rational answer? In this article we will investigate the links between climate¹ and population² ³.

Note : I have since written, in French, a book on the question, developing the reasonings in this article and bringing new perspectives :

Contents

What is the state of the world’s population today?

From a first glance at the data it might look as though the world’s population is increasing faster and faster, like an exponential curve. Yet this is an optical illusion - or more often a misleading presentation. The growth rate of the world’s population has been steadily decreasing since 1970. UN projections estimate a stabilisation of the population around 2100 :

The population increases or decreases due to the difference between mortality and natality, measured by death and birth rates. It is stabilising because all countries (without exception so far) go through a process known as the “demographic transition”. Birth rates start high as a result of a cultural norm that ensures population stability in a world with high mortality. As living standards, hygiene and medical advances improve, mortality begins to fall. Birth rates follow suit with a delay, resulting in a rapid population increase.

Since there is unanimous political and philosophical agreement on the decline in mortality, the room for manoeuvre that everyone is looking at is the birth rate. Its best indicator is the fertility rate (to be exact, the total fertility rate):

Fertility rate = average number of children per woman of childbearing age

As part of the demographic transition, fertility gradually declines to a rate such that births compensate for deaths, thus ensuring population stability. This rate, known as the “sub-replacement fertility”, is around 2.1 children per woman in developed countries, 2.3 on average in the world, and in some places rises as high as 3.4: it depends on the distribution of the population between men and women, and on mortality before childbearing age. Today most countries have a fertility rate below 2.1, so that their population would decline in the long term if it were not supplemented by migration.

A number of large countries are at the end of their demographic transition with a fertility close to 2.1. For example India reached 2.28 in 2018, probably already sub-replacement because of infant mortality and gender imbalance. Moreover, India has a population of more than one billion, breaking it down by state it appears that it is not homogeneous: half of the states (totaling half the population) are below 2.1. We will also come back later to the difference between rural and urban populations. On the other hand, reaching 2.1 does not mean that the population will stabilise immediately: recent generations that were born during periods of higher birth rates will also have children, who will not be “cancelled out” by the deaths of the less numerous older generations. Stabilisation is much slower. This is called “population momentum”. That’s why the Chinese population is still growing slowly despite a very low fertility rate of 1.6 children per woman.

There are still two major groups of countries that are at an earlier stage of their demographic transition, shown in green on the map: intertropical Africa and the less developed Middle Eastern countries (mainly Iraq, Yemen, Afghanistan, Pakistan). It should be remembered that this also corresponds to a much higher mortality rate, particularly infant mortality, than in the richer countries. Most of these countries in transition have a steadily declining fertility rate, as can be seen from the history of the 8 most populated countries above 2.1 … except for rare setbacks such as the economic crisis in Egypt:

The demographic transition is caused by many elements: economic development, health, education (mainly of girls), women’s workforce participation, social norms, incentives and prohibitions, contraception, pensions, health system… It is difficult to separate these different factors, and their relative importance seems to vary greatly from one country to another. I was able to find all sorts of different estimates and special cases. In any case, their combination is important, distributing contraceptives is not enough to start the demographic transition.

Can the demographic transition “reverse” in the event of a crisis, as we have seen in Egypt? When looking at a sample of countries in difficult situations, they all remain on a sharply declining slope; only Iraq and Zimbabwe have experienced a temporary fertility plateau. Looking back over 40 years there are only a few temporary increases (Somalia, Yemen, Congo, Haiti). I confess that I was very surprised to find no abrupt break: wars or famines have no significant effect on fertility, in either direction.

What can we expect for future population growth?

The United Nations regularly produce influential projections. Latest projections were published in June 2019:

The novelty of this report is that fertility seems to remain durably and significantly below 2.1 in developed countries, moving towards a smooth population decline. The United Nations now estimate a convergence of fertility rates towards 1.9, whereas previous versions aimed at 2.1.

However, beware of the trap! The scenarios generally presented as “high” and “low”, the blue dashed lines, are in fact constructed by an arbitrary fertility difference of plus or minus 0.5 children compared to the average scenario. This is interesting for analyzing the sensitivity of other variables to fertility, but makes little practical sense: such a large variation everywhere in the world is extremely unlikely, as it would double the evolution in the median scenario. It should then be used with precaution, as we shall see later. The high and low scenarios that are most relevant for a general analysis are the small red dotted lines (95% confidence interval).

How are these projections calculated? By extending the evolution of fertility, mortality and migration rates by country. Demographers calculate “all things being equal”: they do not have a crystal ball and cannot predict the rest of the world’s evolution (politics, wars, famines, crises, etc). This is the best one can do and remain rigorous, but this poses a particularly embarrassing problem in the context of ecology: we cannot think at the same time that the world will suffer major ecological crises in the near future and that the population will continue to evolve as if nothing had happened. Some estimate that a world with 4°C warming may not be able to support more than 4 billion people. This is probably a pessimistic view, but it puts the projections of 11 billion people in 2100 into perspective. Take Niger, for example, the country with the highest fertility in the world (7 children per woman), with 20 million inhabitants today. It is also one of the poorest countries in the world, 90% desert, which regularly suffers from famines affecting the majority of the population. Who really believes that with desertification, lack of water, and political instability in the region, the country will be able to multiply its population by 8 to reach 160 million inhabitants in 2100, i.e. one and a half times the current density of France? In the case of Niger, even the projection of 60 million in 2050 looks unlikely. This is not true for all countries, in particular a certain number of African countries can accommodate a much higher population, but it is necessary to consider each local context.

So, are UN demographers idiots? Absolutely not, they are doing their job as demographers, which is to estimate population changes based on current demographic trends. This is why we talk about projections and not forecasts, and the distinction is important. The ̶i̶d̶i̶o̶t̶s̶ reckless ones are those who take up these figures in the public debate without any hindsight. Projections are not totally useless either, as we have to know roughly where we are going.

In this article I will confine myself to projections for 2050, which are close enough to remain reasonable. It is also an important deadline for climate change: to limit warming to 1.5°C we will have to be carbon neutral by that date, regardless of the number of inhabitants. Miraculously, this objective is beginning to gain unanimous support in the political and economic world. It is against this objective that we will be able to measure the relative weight of demographics for the climate.

I will not focus on projections for 2100: the world will have deeply changed anyway, either through a transition to a more sustainable society, or forced by ecological disasters, in which case we will be facing much more serious problems than overpopulation. What threatens us in 2100 is the depletion of most resources, a warming of at least 4°C, a violent drop in agricultural productivity and a large part of the planet uninhabitable. Whether we like it or not, we will be very far from “all things being equal”. Finally, most ecological systems, especially climate, have a high degree of inertia: by 2100 it will be too late to avoid these disasters, so we must act now. The other problem for 2100 is that we may not have much fossil fuel left to burn!

In fact, even on demography there are ongoing debates: the demographic transition is much faster in cities than in the countryside, and the world is urbanizing faster than expected (which is not really good news for the environment). These projections would see the world’s population peak in 2050 rather than 2100, between 8 and 9 billion. I don’t have an opinion on this, and it doesn’t significantly change the figure in 2050.

How are greenhouse gas emissions distributed?

All greenhouse gas emissions must be taken into account. In rich countries we burn a lot of fossil fuels (CO2 emissions), but in some poor countries it is nitrous oxide from fertilisers and especially methane from livestock that make up the majority of emissions:

However, methane is short-lived in the atmosphere and comparing it with CO2 cannot always be summarized in a Global Warming Potential number. Unless stated otherwise, I have made the calculations based on total greenhouse gas emissions, but the graphs are only about local CO2 emissions. It can be seen that these vary very strongly between countries, and in a way that is more or less proportional to GDP per capita:

A similar result is obtained with the Ecological Footprint, an indicator that aggregates several measures of pollution, with slightly less variation between rich and poor.

Let’s forget for a moment about borders and focus on real people. This has not been studied everywhere, but the results in Canada, Germany, Hungary and globally indicate that the same proportional relationship between income and consumption-based ecological footprint applies well at the individual level. When counted on a per capita basis, the richest 10% of the world’s inhabitants are responsible for as many emissions as the poorest 90%. More specifically, the graph of emissions plotted against income flattens out at a certain level, with the wealthy having higher emissions overall, but less as a proportion of their income:

These numbers are useful to put into perspective fallacious arguments such as “degrowth will prevent poor countries from developing”: today it is the “rich” (which include, on a global scale, the average European or American person) who are by far the most responsible when counting emissions from consumption. It is also one of the great difficulties of the ecology of small individual gestures, income remains by far the best predictor of the ecological footprint. Ecological awareness or most (not all) individual actions have only a minor impact today. On the other hand, the individualisation of the calculation of emissions or the ecological footprint also has its limits: a large part depends on an economic and political system over which the individual has only very limited power, especially large companies and energy. And beware of using it to depoliticise the issue.

Now let’s move on to CO2 emissions as a function of fertility:

As might be expected, most of the countries with the highest emissions, both in absolute terms and per capita, are rich countries that have already completed their demographic transition. If we divide them into three groups, calculating the total greenhouse gas emissions:

  • Post-demographic transition countries (fertility ≤ 2.1): 74% of global emissions (including China 27% and the United States 13%)
  • Countries coming to the end of the demographic transition (fertility ≤ 3.4): 19% of global emissions (including India 7%, Indonesia 2%, Mexico 1.6%, Saudi Arabia 1.5%, South Africa 1.2%), which will soon move to the previous group (I have arbitrarily chosen 3.4, which is the highest sub-replacement fertility threshold)
  • Countries in transition (fertility > 3.4): 3.5% (including Pakistan 0.8%, Nigeria 0.6%, Iraq 0.5%). Intertropical Africa accounts for only 2% of global emissions, one third of which is in Nigeria. Counting only CO2, we go from 3.5% to 2% of total global CO2 emissions.

To put these figures into perspective, air travel accounts for around 5% of humanity’s emissions (counting all the effects and not just the kerosene), whereas 80% of humans have never taken a plane. The emissions of poor countries with high population growth are negligible today compared to those from rich countries. The same is true for the history of past emissions, those that have already warmed the climate and continue to transform it today: the vast majority have been emitted by developed countries.

It is essential to break numbers down so as not to draw the wrong conclusion. We often read arguments such as “Between 1990 and 2014, CO2 emissions in the world grew by 58%, but only by 15% per capita. So population growth accounted for about three-quarters of the increase.” This is numerically true, but it is a complete misunderstanding or more likely a manipulation: this calculation mixes the increase in emissions in some countries with the increase in population in others. The classic problem of too broad averages: “when Bill Gates walks into a bar, on average all the customers are billionaires”. The illusion disappears as soon as you break it down a bit more finely, for example as I did above (it is a bit less inaccurate on past emissions, where the population may have increased strongly even if the fertility rate is low today).

The IPCC does not do any better, calculating globally (WGIII 1.3.1) the factors of evolution of emissions, and highlights this result by including it in the synthesis report:

This is all the more regrettable as the authors insist just afterwards (WGIII 1.3.1 p129, but not in the synthesis) on the limits of the global analysis and the important local differences, while the rest of the report (notably WGIII 5) proposes much finer breakdowns. I would like to see the result of the calculation by country, then summed up on a global scale. Here is the IPCC one by major region, where we can already see a significant drop in the population factor:

Asia should be broken down even further: between 2000 and 2015, 60% of the global increase in emissions was in China. Chinese emissions increased by 151%, population by only 9%.

It is better to be very careful with the concept of “world population”, which mixes extremely different situations. Even at the country level it is often questionable. For example in India a poor rural family with a high birth rate will be mixed with an urban middle class family which consumes more and more but with a fertility rate below the European average.

How to reduce emissions?

We have just seen that it is very delicate to measure the “share of responsibility” of the population on emissions, so we cannot be satisfied with simplistic reasoning such as “population is a problem, so we must reduce it”. Yes, the world’s population exploded in the 20th century, that’s a fact and we can’t change the past. The relevant question is: today (rather than 50 years ago), what can be done and for what result? Applicable measures must be defined and evaluated.

Let’s start with the obvious: if there were half as many of us, all other things being equal, humanity would emit half as much greenhouse gases, and produce half as much pollution overall. This line of reasoning is so common that it could be the plot of a mainstream film. But common sense can be misleading. The rebound effect may be very large, it may be a world where everyone goes to Ibiza for a weekend, while emissions per person in the US are twice the average in Europe, for a very similar standard of living. At the current rate of emissions growth, we would quickly reach the same level. It is doubtful that humanity will be able to act before it hits the wall. It would be enough to “eliminate” the richest 10% to achieve the same result on emissions, as we saw earlier. And of course, you can’t just wipe out human beings with the stroke of a pen. We must ask ourselves what are realistic and ethical ways to act on demography and emissions.

How can we go further and link emissions and population numerically? We will start with a simple equation, the Kaya identity, which breaks down emissions by individuals :

Emissions = number of people x emissions per person

It is an identity, it is necessarily true, but that doesn’t necessarily make it relevant either. You could, for example, break it down by tomato production numbers, and it would be just as true but irrelevant. On population and climate, if Qatar is at the top of the emissions per capita ranking, it is not because of the decadent lifestyle of its inhabitants (85% of whom are precarious immigrants from poor countries), but because of its large gas industry.

An obvious conclusion from this equation is that reducing population by 10% and emissions per person by 10% have the same overall effect (this is actually an approximation, the variables are not independent). So we can use it to compare measures, putting aside the ethical complications of comparing a life and a trip to Bali on their respective carbon footprints.

So, how useful would reducing the population be for the climate? To find out, we need to simulate finely the respective evolutions of population and emissions per person. I have only found one recent study (2010) answering the question: “Global demographic trends and future carbon emissions”. This is the study that is quoted everywhere on the subject, but often to the 2nd or 3rd degree.

This study uses the IIASA emissions scenarios, a complex economic model, and the difference between the UN’s high and medium demographic scenarios. However, it only takes into account CO2 and not all greenhouse gases, which underestimates the share of countries with high birth rates (2% instead of 3.5%). After calculations, the result of the study is a 16% difference in emissions in 2050 in a “business as usual” scenario:

What exactly does this result tell us, why does China have so much weight, and sub-Saharan Africa so little? Remember the UN high scenario, the one that is achieved by increasing the overall fertility rate by 0.5. This scenario does not correspond directly to any plausible projection or applicable policy, but does have a much greater effect in countries with low birth rates and high emissions, such as China, than in those with high birth rates and low emissions. This study therefore says absolutely nothing about the demographic transition or the real scope for reducing emissions by acting on the population, contrary to what the summary suggests: “we show that slowing population growth could provide 16–29% of the emissions reductions suggested to be necessary by 2050 to avoid dangerous climate change”. This should be understood to mean “if fertility falls by 0.5 worldwide”, which is therefore purely theoretical. No one is proposing to lower fertility in China by 0.5, when it is only 1.6 children per woman today, and this would have absolutely nothing to do with the demographic transition. This may be obvious to specialists of the field, but not to the rest of the world.

Unfortunately, this is the original source of this call by thousands of scientists to, among other measures, limit population. Here is the chain of quotes:

This should not be seen as a conspiracy or an evil plan by Brian O’Neill, but rather as a game of “Chinese whispers” that increasingly over-interprets a limited initial scientific result. Ironically, the mainstream article has the worst headline but is more accurate in substance, calling for a general population reduction without mentioning the demographic transition. The declaration, which does not explicitly mention it either, refers to means of action that are exactly those of the demographic transition. The most misleading article in this chain is probably the one in Science, which goes to great lengths not to use the term “demographic transition” even though it only describes countries with high fertility, and acts as if these countries would contribute to the calculated reduction of emissions (the author is the same and should know this from his previous result). Yet this article acknowledges, without going further, that per capita emissions are low where conventional demographic measures can lower the birth rate. There is another missed opportunity in the 2012 paper, which notes that some measures on demographic transition would result in a decline in fertility close to the 0.5 variation of the UN scenarios. So why not repeat the 2010 calculation and apply it only to relevant countries ? I will do it very roughly (the data table is no longer available, so I had to measure pixels on the graph and extrapolate Africa): it would be around a 1% reduction in total emissions by 2050. It is not zero, but it probably doesn’t deserve to be a top priority action¹⁰.

Drawdown is equally bad on the subject: it similarly takes the difference between the high and medium scenarios (while acknowledging this construction as arbitrary on the site). It then splits the effect between family planning and girls’ education in half (even though there are many more factors in the demographic transition). The total comes second in the “list of solutions”, feeding the illusion that the demographic transition is a priority climate issue. No, fertility in rich countries, which are the main emitters, will not be reduced by 0.5 by increasing girls’ education and family planning

We have previously calculated that the countries in demographic transition account for around 3.5% of total global emissions. The IIASA scenarios used in the previous study project strong economic growth for these countries, but without catching up at all with the developed countries, which also continue to grow. The figures are not broken down by country, but Africa as a whole rises from 6% of global CO2 emissions (including 1% for inter-tropical Africa, the region with the highest birth rate today) to 8% in 2050. Whatever the room for maneuver on the demographic transition, the difference in terms of emissions will be small. However much we may fear that our unsustainable standard of living will catch up with that of less developed countries, it is far too slow today, and probably in the near future. This is the main explanation for its slow demographic transition: intertropical Africa is not developing fast enough.

Should poor countries be helped to accelerate their demographic transition?

We have just seen that the demographic transition of “poor countries” is in fact a very secondary problem for greenhouse gas emissions. Not necessarily uninteresting though, because this meagre result can be achieved very effectively, for example it would only take $6 billion per year to make contraception widely available throughout the world, for about 20 million fewer births each year. If we estimate the result at 1% reduction in emissions in 2050, as calculated previously, this is probably one of the most effective measures available. Unfortunately there are very few low hanging fruits of this order.

However, the main climatic fact for these countries is that they will also be the most vulnerable to global warming, and a higher population will amplify the difficulties. This is particularly the case in the Sahel, which is already suffering from the combination of global warming and population pressure.

Population remains a critical factor when the problem is extended to the environment as a whole, including water, soil, deforestation, biodiversity, waste, etc. In particular, there are smaller gaps between “rich” and “poor” in these areas than for emissions¹¹ :

Although it has been calculated that Africa is on average much less dense than Europe, if the deserts are removed, the density of inhabited areas is not so far off, and human expansion will be to the detriment of local natural areas, particularly forests. Many countries in the process of demographic transition already lack water and food production and are rapidly degrading their ecosystems:

Poorer countries must therefore be helped to achieve their demographic transition, but first and foremost for their own sake and that of their environment, not to reduce global warming. This avoids the neo-colonialist overtones of the infamous “we must first limit births in poor countries rather than review our lifestyle”¹². This is all the more interesting because in these countries the reduction in population growth should also result in economic growth, unlike most ecological measures in rich countries.

Is it necessary to control the population in rich countries?

We have seen that rich countries are responsible for the vast majority of greenhouse gas emissions, so reducing their population there would have a significant effect, especially if the reduction affects rich individuals. The great difficulty is to know how, for what political acceptability, what result, and what timeline.

For countries at the beginning of the demographic transition, the main policies are known, but they are unanimously accepted and already applied in the majority of cases (within the limits of the often limited resources of states). It is possible to extend them but there will be no miracle: development takes time. A few rare short-term measures can be effective but not sufficient, for example in Africa 1/4 of women want contraception but do not have access to it. Authoritarian limitation of the number of children has only been adopted by two countries in the world, China and Vietnam. The debate is still open on the real effectiveness of the one-child policy in China, as fertility had mainly decreased before.

For countries at the end of the transition or after, the vast majority, it is much more complicated: measures that are both consensual and effective have been exhausted. The level of education is already high, women are fairly well integrated in the labour market, pensions are assured, and contraception is widely available… Moreover, fertility rates are still falling in most of these countries, often well below the sub-replacement threshold. The only ways to further reduce fertility would be through cultural changes and authoritarian measures. The former are very slow and unevenly distributed, with the latest measurement of the desire for children in the US above 2.5 children per couple. The latter seem very far from being politically acceptable today¹³. The demographic transition has been very fast in some countries (e.g. Iran) but it seems much easier to convince people to go from 6 to 2 children than from 2 to 1 or 0.

What would be the effect of limiting births, whether it happens voluntarily or authoritatively? I have only found a calculation at the global level, which is not really helpful because of the wide variety of situations. One can quickly calculate an order of magnitude, here for France which is a good example for rich countries with a 1.9 fertility rate. The number of children per family is available on the INSEE website (you have to extrapolate the details for families with 4 or more children). Banning children above 2 would mean reducing the total number of children in families by 13%. This figure is falling rapidly, the previous census gave 15%, so I estimate that this would be equivalent to a drop in births of around 10% today. This low figure is not surprising, with an average fertility rate of 1.9 there are not that many children above 2. All that remains is to compare this scenario on the INED simulator (in free simulation mode) with the one without modification.

Result: -5% of population in 2050. This does not take us very far, and again the calculation has been broad. As the fertility rate keeps falling, the number of children over 2 will continue to decrease too, and we have forgotten all the annoying details such as twins and other multiple births, separated or reconstituted families, or children of rape, an explosive subject in the United Kingdom, which has reduced benefits over 2 children.

What about the benefit cuts promoted by some associations? It will be less than 5% in any case. The British government has not given an estimate of the expected effects on demographics, but cites a study on the large increase in benefits in 1999. It measures an increase in fertility of 15%, but only for the poorest 20% of the population, which means an increase in the total fertility rate of 3%. By simulating an equivalent reduction, we arrive at an order of magnitude of 2% less population in 2050.

To achieve a significant effect we need to move to a one-child policy, bearing in mind that it would probably be extremely unpopular. In this case we arrive at a population reduction of about 19% in 2050, but welcome to a world without youth¹⁴ :

And just out of curiosity, what would happen if everyone gave up having children? A 36% reduction in population by 2050.

In short, I strongly doubt the political possibility of significantly and rapidly reducing the population by acting on the birth rate in France, and more generally in rich countries that have completed their demographic transition.

The other “possibility” remains a sharp increase in mortality from war, famine and disease, which nobody wants. Let us remember that these events are not simply a “numerical reduction” of the population, but profoundly destroy society. This is what is likely to happen in Africa, which remains the most fragile continent economically, politically and ecologically.

Beware, if we apply the result of these calculations directly to the Kaya equation, we are acting as if all individuals had the same carbon footprint, whereas in practice it varies greatly by income and age, and is much lower for children and young people in particular:

Our estimated figures therefore clearly overestimate the reduction in emissions, because by 2050 it is mainly children that would have been avoided.

So, what concrete measures can be taken to reduce emissions?

We are going to calculate them in France to try to reach the objective of carbon neutrality in 2050, which requires dividing our total emissions by about 7 (the French government’s objective is between 6 and 8). We arrive at the easy-to-remember figure of one tonne of CO2 equivalent per inhabitant per year, which is the level today of Bangladesh or Madagascar¹⁵. Dividing by 7 in 30 years is to reduce by a little more than 6% per year, and still we do not count imports, which increase the average French person’s carbon footprint by 50% (i.e. a division by 12 to reach carbon neutrality).

Should we look later than 2050, when demographic measures will have more effect¹⁶? There is no “scientific truth” on the matter but I think not, for several reasons:

  • The environment does not wait, it is already deteriorating very quickly, with a significant inertia and risks of runaway change
  • The further we get into the future, the more uncertain the world’s evolution becomes, and the more likely it is that disasters will occur and fundamentally change the equation
  • The further we get into the future, the more we suffer from the negative effects of radical demographic measures, such as a predominantly elderly population
  • The further we get into the future, the less fossil fuel will be left to burn anyway

As we have seen, there will be no consensual measure on demography, and unpopular policies such as degressive benefits or even the two-child limit will have a small effect (-5% in 2050). Even the most radical measure, banning children entirely, reduces the French population by only 36% in 2050. I don’t see how we can do more without killing people, and we would still have to divide individual emissions by 4.5 (-78%) after this measure if we consider (generously) that it reduces emissions by that much. Let’s face it: the vast majority of the effort must be directed at per capita emissions, regardless of population growth, even if humanity gives up children tomorrow. And to divide these emissions by 4, 7 or 12, there are no miracle: small improvements are far from being enough, profound changes in our way of life, our economic system and our culture are needed. Remember that one tonne of CO2 per person per year is the number for Bangladesh or Madagascar.

There is no “scientific truth” about the ease of implementing this or that measure either, but I will let you judge by comparing my estimates for France (which are probably overestimated) with the measures proposed by the Shift Project for Europe, which I have recalculated in relation to total emissions²² :

Today it seems to me that it is politically easier to close down coal-fired power plants than to introduce the one-child rule, which looks very far from being acceptable. A total ban on children will probably never be acceptable. Population control has often been a channel for oppression and human rights abuse. The only measure implemented in rich countries, the suppression of benefits above 2 children, is already extremely unpopular even though it is not coercive. Convincing people seems to be very slow.

Are the measures to achieve carbon neutrality so harsh that they would take us back to the Middle Ages, which might lead to a preference for limiting children to mitigate it? Probably not. It should increase a number of costs and require huge investments in low carbon technology (notably energy and transport), but even low energy scenarios can offer a decent standard a living. There has been little reduction in emissions today, but if you broaden it to the ecological footprint, there are already “sustainable” countries with a high human development index. The stars of these rankings are unexpected countries like Costa Rica or Cuba:

What to do as an individual in a rich country?

On a personal level, should you give up children to reduce your carbon footprint? You may have heard of the carbon legacy without knowing its name, for example in the following articles:

Want to fight climate change? Have fewer children
Scientists Say Having Fewer Kids Is Our Best Bet To Reduce Climate Change
More than 11,000 scientists have declared a ‘climate emergency.’ One of the best things we can do, they say, is have fewer children.

Here is the associated graphic:

Having a child seems by far the worst thing you can do for the climate, with a whopping 58t CO2. This figure is taken from a particularly popular scientific publication from 2017. Moreover, when reading the study faq, it appears that the figure was divided by life expectancy, and corresponds to a single parent. So one child accounts in total for about 10,000t of CO2, 1000 years of emissions with an annual average of 10t! How was this gigantic figure calculated? It comes from another study, dating from 2008, whose reasoning we will present and analyze here.

The authors have chosen to consider that an individual is “responsible” for half of the emissions of his child (estimated over his lifetime), 1/4 of his grandchild, 1/8 of the next generation, 1/16, 1/32 … If each has two children:

These emissions are added up to the end of time, based on estimated changes in fertility rates and greenhouse gas emissions. The total is called the “carbon legacy”, and corresponds to the share of future emissions for which the parent is “responsible”.

This principle already poses several fundamental questions:

  • Responsibility is a vague concept that can be interpreted in many ways. Are we responsible for everything we can prevent? For all the causal chains in which we participate, regardless of time, proximity or intention? Do we have to count the number several times (all my generations of ancestors would each be 100% responsible for my emissions) or share the responsibility? If so, according to what formula? The article does not even mention these questions and chooses an extreme consequentialist formula without a single ethical consideration. This is all the more dubious as the “common sense” distribution is to consider that one is primarily responsible for one’s children’s emissions during their childhood only, and that afterwards they are responsible for both their own emissions and their choice to have children. No, my parents are not “responsible” for the carbon footprint of my holiday in Bali.
  • The responsibility for global warming is even more complex. How can it be shared between consumers, citizens, politicians, companies and cultures? Here again, there is no indisputable answer.
  • Summing them does not make the possible future emissions of my possible great-grandchildren contribute to global warming today. For our goal of carbon neutrality in 2050 they do not count either. This calculation is both long-term and purely theoretical. It is then extremely dubious to compare it with the usual carbon footprint, as shown on the graph above. These are calculated by life-cycle analysis and measure emissions that are actually taking place today or are expected to take place in the short term, and which therefore have an actual effect on current climate change.
  • We need to model the population and emissions until the end of time to calculate the total. Of course, no one knows these figures and it is already very difficult to predict what will happen in the near future. This is all the more critical as the calculation method gives as much importance to the distant future as to today (the figures are not discounted).

You may have realized that in the diagram above each generation has a total of one person’s emissions. If your descendants continue to reproduce and keep the population constant, we add up one lifetime of emissions for each generation until the end of humanity … To avoid obtaining an infinite or ridiculously large total (until the sun becomes too hot? The end of atoms?), which would not be very credible, it is necessary either that the emissions become zero, or that humanity progressively dies out.

The authors chose an assumption from one of the UN’s demographic models: fertility will converge to 1.85 children per woman in all countries in 2050, and they consider that it will remain at this level until the end of time. Of course this figure is only a hypothesis for short-term projections, and makes no sense in the long term, for which no one has a crystal ball. This rate also has the advantage of decreasing the population with each generation and thus obtaining a finite result … i.e. the extinction of humanity. Who can really believe that in the year 3000 humanity will gradually die out for lack of children?

For per capita emissions they evaluate three scenarios:

  • steady reduction of emissions to 0.5t of CO2 per person per year in 2100, stable thereafter (reasonable order of magnitude for the objectives taken since with the Paris agreement, but this would correspond to climate neutrality, so zero net emissions)
  • constant emissions until the end of time (impossible for geological reasons (even in the short term), incoherent with our political objectives, and a scenario that ends quickly and very badly because of global warming)
  • a steady and infinite increase in emissions, on the current slope (even less imaginable for the same reasons)

Only the first scenario seems possible (and desirable). However, it is the second scenario, the constant emissions until the end of time, that is highlighted and presented in the summary as the “medium scenario”.

The result of the calculation for the countries studied is as follows:

The scale is logarithmic and the figure per woman, to divide by two to get the result per parent. The horizontal bar in the middle is the “constant emissions” scenario, i.e. 18,882 tonnes of CO2 per child in the US. For comparison, the average American’s carbon footprint is around 19t per year. The decreasing emissions scenario results in 1,124t, 17 times less. The 2017 study we mentioned sooner seems to take the average from a selection of rich countries, giving around 10,000t of CO2 per child.

Let us summarize: the principle of the calculation suffers from fundamental flaws and its assumptions are absurd estimates of population and emissions until the end of time. All this gives us the gigantic result of 18,882t, which has absolutely nothing to do with the life-cycle analysis figures we usually see. They should not be compared, especially in articles for the general public, as the original study on the carbon impact of lifestyle choices does. In short, it is best to forget about this carbon legacy calculation, which has no practical value and should never have emerged as such from the research world. I confess to being dismayed that this bogus figure seems to be the main inspiration for a number of people who give up on children.

Moreover, there is no such thing as the “average child”. If I feed my children steaks and take them on a plane every weekend, “their” impact will be much higher than if I transition as a family to a more sustainable lifestyle. A parent is directly responsible for the ecological impact of his or her children for about 20 years, and for a good part of his or her habits and values thereafter.

What would be the carbon footprint of the first 20 years of a child born tomorrow, assuming the same distribution of emissions by age as today and considering that emissions will decrease by 6% per year (which is obviously not the case globally today, but is not too far from the reach of a motivated parent)? Around 51t, compared to 18,882t in the initial study. So the infamous 58t would be reduced to 0.3t (which is obviously indicative only, there will be no scientific truth about the concept of responsibility, nor a crystal ball for future trajectories). Bonus: it will also concern only short term emissions, so it will be much more valid to compare with life-cycle analysis. Here is my corrected graph for the French presentation of the study:

What about other countries?

We looked at “poor” and “rich” countries, as a shorthand for countries in the process of demographic transition (fertility > 3.4, 2% of global emissions) and those that have completed their transition (fertility ≤ 2.1, 80% of global emissions). What about all the others, does it change the situation? In particular India, for 7% of global emissions? When we look at it in more detail, there is in fact an urban (“rich”) India which concentrates the majority of emissions but with a low fertility rate, and a rural (“poor”) India with few emissions and a higher fertility rate:

So our somewhat simplistic dichotomy still applies in this case. I have not found such precise recent data for the other large countries concerned, but it is likely that similar situations will arise. In any case, there is no large country with both high fertility (where measures for demographic transition will be effective) and high emissions per capita (where population reduction will have a significant effect on global emissions).

What about migrations?

Do we increase emissions by “transforming” an inhabitant of a poor, low-polluting country into an inhabitant of a rich, more polluting country? The question has a bad reputation because it is mainly the far right that is concerned about it (but not only). I have not found any study on the subject and many figures are missing, but a number of elements can enlighten us.

Already, only 1/3 of migrants leave a poor country for a rich one, partly because migrating far away is expensive. No figures are available on the standard of living, but a third of migrants in rich countries have a high level of education, a third a low level. A migrant can also be rich in his or her country of origin (above average emissions) and poor in the country of arrival (below average). Today, in all developed countries the total number of migrants present is increasing at a rate of 2 million per year, without deducting emigrants. Again, this is small in relation to their population (over 1 billion, or less than 0.2% per year). All these indications suggest that the problem is marginal today, and are consistent with the conclusions of demographers about the low importance of “migration from poverty to wealth”. The figures are even clearer for refugees, the vast majority of whom go to neighbouring countries.

“What about the future?” you might ask, with its hundreds of millions of climate refugees? Maybe (more likely they will stay in the same country or go to neighbouring countries) … unless the rich countries do what they should do anyway: significantly reduce their emissions per person! In that case the difference in emissions will be much smaller, or even zero. Let’s repeat one last time that carbon neutrality in 2050 corresponds to the per capita emissions (one tonne of CO2 equivalent) of Bangladesh, a likely future source of many climate refugees. The Bengali who emigrates to the future carbon neutral Europe does not increase his emissions. Let us also remember that the richest 10% are responsible for 50% of global warming and therefore have a moral responsibility to welcome the victims of their emissions, in particular the poorest, who are both the least responsible and those who suffer the most.

Is there a maximum sustainable population?

Estimates can be found ranging from 1 to 1,000 billion depending on the assumptions, which are very forward-looking and therefore difficult to assess. In his seminal study of these estimates, demographer Joel Cohen notes that none of the authors bother to detail the standard of living this would entail, the technology, the political system, the values, and all the other criteria necessary for this sizing. He concludes that none of these authors is serious about answering the question, but prefers instead to put forward their political preferences. The thoughts on an ‘optimal population’ are even more questionable.

The concept of ‘carrying capacity’, frequently used in ecology, has little meaning for humans. Humankind is aware of the mechanisms involved, and has considerable latitude in determining what it produces and consumes. It is possible to feed 10 billion people healthily and sustainably with current technology. It won’t be easy, it will require a major transformation of most of the world’s agriculture, a significant reduction in meat consumption, waste and fossil fuel use, but it can be done. Carrying capacity is mostly a political issue. The studies cited even seem to take into account the first expected effects of the current environmental degradation on agricultural yields, but obviously the more we continue to destroy it the more difficult it becomes (as said before, we must act quickly).

We can probably go much higher with more effort. This is not necessarily a happy prospect, but it puts this very theoretical question into perspective. In practice, the questions of distribution within humanity and the trajectory to reach a sustainable situation are much more relevant. The world is already very unequal and “the American way of life is not negotiable”.

Conclusion

When most people mention population and the environment, they imply that “if those good people in Africa or India could stay in poverty and stop multiplying, we could continue to pollute as if nothing had happened”. At least that is what most of the illustrations on the subject suggest, as you may have seen if you have followed the many links in this article. We have proved how wrong this sentiment is.

The vast majority of humanity’s ecological burden comes from rich countries with low fertility, so population change in poor countries will not make much difference, even if they themselves have to gain by accelerating their transition. In any case, population has too much inertia to be changed strongly and quickly enough to make a difference: the urgency is 2050. We have calculated that the main room for manoeuvre will only be in the lifestyle and economic system, which will have to change profoundly anyway. As an individual, having children is not neutral, but it can be a limited ecological burden if they live in a sustainable way.

I hope that this article will help to eliminate the many misunderstandings that one regularly reads on the subject. Numbers sometimes “lie”, numerically correct calculations can present the opposite of reality, especially averages which group very different situations together. Even “science” can be misleading, we have come across several scientific publications whose abstract, without being strictly speaking false, masks important limits of the conclusions. Unfortunately these conclusions have been repeated and amplified in the public debate. It is necessary to look into the details of the articles, which are usually behind paywalls, and which requires an in-depth knowledge of the subject and a lot of time¹⁹, and not to limit oneself to the sources that support one’s opinion. As for mainstream publications, I inflicted on myself a number of anti-natalist articles and books during my research: not a single one asks about realistic ways to reduce the population in rich countries, nor about the relative weight of this reduction in relation to climate goals…

Note that I have never denied the climatic interest of having fewer children, which is not negligible … if one is prepared at least to introduce one-child policies in rich countries. I just put it into strong perspective in comparison with the current situation, reasonable ethical limits, and my estimation of the political feasibility of such measures. I also did not answer directly the trick questions “is population a problem” or “are we too many?”, because they are not very rigorous and lead down an attractive but extremely slippery slope: it could be enough to reduce the population (“the others”) sufficiently to be able to maintain our standard of living as if nothing had happened. It is obvious that we are “too much” if we consider our way of life and economic system as non-negotiable, but the right question is rather “how, from the current situation and remaining within an ethical framework, can we arrive at an ecologically sustainable situation for humanity?” I don’t think that the world of 1 billion people where we have killed 7 billion (because there is no other way to reduce the population quickly) is better than the world of 8 or 10 billion people tightening their belts, but this is an ethical position and everyone is free not to share it.

My feeling is that the debate on demography is distracting many from the glaring injustice of global warming: countries with high birth rates are also the ones who will suffer the most while their responsibility is minimal. It makes it easy to forget the real issues: how to reduce our ecological footprint and how to share the ecological capacity of our planet fairly among all its inhabitants. Worse, it makes us forget our collective failure to act and leaves us hoping for a “cut the others” solution that would spare us any sacrifice of our comfort or standard of living. We know where this is going, and it does not end well. The similarity to the most compelling scenarios of ecological and social collapse is disturbing.

Finally, ecology is not only a technical issue, it is also a political dilemma of intergenerational solidarity²⁰: how much are we willing to sacrifice our standard of living today to avoid a very likely catastrophe for young and future generations? In this context, having children can be a good motivation for this sacrifice²¹, no matter how many. Our children are one of the few ways to have hope, to really project ourselves in the long term, to wish and build a better world. We can be irresponsible or resigned for ourselves, but we have no right to be so for our children.

Thanks to Jacques Véron, Director of Research in Demography at INED and author of the Démographie et Ecologie reference book, for his review of the article.

If you speak French I gave a long interview on the subject (1h40), which brings some clarifications and further perspectives compared to the article. You can find it on https://www.youtube.com/watch?v=ku0t12EfuIc

Notes

1] Why limit ourselves to the climate? Several reasons:

  • The article is already far too long, I actually started out broader but it was going in all directions
  • Climate change is the most easily measurable and comparable element in the ecological crisis we are experiencing
  • Global warming is an existential risk in itself
  • Climate is a global issue, whereas most pollution is local and therefore much simpler politically
  • Many pollutions are comparatively easier problems to solve, e.g. the drop in biodiversity is mostly linked to agriculture. Climate is more cross-cutting and calls into question most of our economic system
  • Many pollutions are correlated to the first order with greenhouse gas emissions
  • In aggregate measures, emissions are the most important element (e.g. half of the ecological footprint)

2] I will not go into the history of the subject, everything has already been written. We will try to analyze it on its own merits rather than its history (which usually begins, depending on the author’s opinion, with “Malthus was already warning of the risk …” or “reactionaries like Malthus and Ehrlich were always wrong”). Arguments about the risks of population are not true or false in absolute terms, they can only be judged in relation to a demographic and ecological context. I did not use the term Malthusian, which is too connoted and highly debatable: Malthus was not really a Malthusian in the current sense!

3] This article is the second version, revised in May 2020, and slightly revised in April 2021. The original version, published in French in July 2019, is available on archive.org.

4] Why is it more relevant to look at the growth rate than the number? Because biologically children are born of parents, rather than “delivered” in total quantity. Also because extending the evolution of the growth rate gives a better view of the future than extending the number of humans added (slightly decreasing in recent years), which has not always been true (the growth rate peaked in the 1960s). This is the case today because humanity is globally at the end of its demographic transition.

5] This calculation of the scenarios is now clearly visible on the graph, but in previous versions you had to dig through the 300 pages of methodology to see it. It may be obvious to specialists in the field, but it is clearly not to the majority of non-demographers who have written about it.

6] You may also have come across his brother IPAT. If you speak French I have since written in more detail about the interests and limitations of these equations.

7] Studies on this issue actually find very variable figures depending on the country, the context, or the direction of the variation. Many of these results are cited here.

8] The “business as usual” scenario continues the current increase in emissions. The percentage changes are similar with an emission reduction scenario.

9] I do not think that writing for the general public is a good argument to avoid it. One cannot discuss demography without knowing the broad outlines of the demographic transition, any more than one can discuss global warming without knowing the greenhouse effect.

10] How is this different from the usual fallacious argument that “France only accounts for 1% of emissions and is therefore not a priority”? France is 1% of the world’s population, the countries in demographic transition 25%. In any case, France will have to tighten its belt like everyone else. The 1% reduction per demographic transition is a specific measure that is not particularly expensive or complex, and is therefore interesting.

11] All data is per person per year. List of sources:
- Emissions Database for Global Atmospheric Research
-
The Footprint Network- Quantifying Biodiversity Losses Due to Human Consumption: A Global-Scale Footprint Analysis. Harry C. Wilting, Aafke M. Schipper, Michel Bakkenes, Johan R. Meijer, and Mark A. J. Huijbregts. Environmental Science & Technology 2017 51 (6), 3298–3306-
- The water footprint of humanity. Arjen Y. Hoekstra and Mesfin M. Mekonnen. PNASFebruary28, 2012 109 (9) 3232–3237 (Why does Niger consume so much water? Hot country and low productivity agriculture! This is not always the case in other poor countries. Probably the same reason with livestock for high methane emissions per person).

12] Many “anti-natalists” complain that there is a taboo on the subject. I see several possible reasons for this:

  • their ease in questioning the reproductive freedom of others
  • The lightness of their thinking (even in the world of research), which is naturally exploited by racist currents. More rigorous reasoning leaves much less to be interpreted. The approach has similarities with some common racist tropes: when faced with a complex problem, find ‘obvious’ culprits in others and stop at this simplistic reasoning to avoid questioning oneself too much

Many public figures in ecology have expressed their amusement that at every conference someone asks the question and insists on the “taboo”. For my part, I think it’s primarily a question of pedagogy: as long as a complicated subject is not understood as a whole, it is considered obscure, and therefore potentially taboo. Hence this article.

13] I have not found any polls on the question of the acceptance of an authoritarian limit on the number of children for ecological reasons, but most people seem (few sources) to be very attached to the freedom of reproduction. They also seem to want a few more children in rich countries than they have on average, and this number seems stable. On the other hand, there is a variable majority in countries that have completed their transition to limiting population growth by international treaties, i.e. in the others.

14] which is not really a problem for the dependency ratio, as the decrease in the number of children mostly compensates for the ageing

15] Tropical countries that do not need heating, which in France today emits on average one tonne of CO2 per person per year.

16] One way to keep the calculation rigorous without considering only the year 2050 would be to calculate the cumulative emissions of both ecological and demographic policy scenarios against carbon budgets, but this is much more complex. The shared socieoeconomic pathways do this partially, but by mixing demography with many other variables.

17] This is less true for the rest of Europe, where the fertility rate is much lower, at 1.6.

19] The articles we have seen have limitations in general reasoning that are simply detectable, but the technical details are only accessible to specialists, which I am not. It is impossible to critically read most of the scientific literature without already knowing the subject very well. The limitations of articles are also often mentioned in the body of the article by the authors, but the full text and its notes must be read carefully.

20] This last paragraph has been the subject of much debate and questionable interpretation. Obviously, it does not mean “have as many children as you can”. I think that even if this is not the main focus of the article, the political question (why do something for the environment and how to get there) is just as important as the technical question, and is inseparable from it. “There are too many of us, so stop having children” is technically true (all else being equal it reduces emissions) but highly questionable politically. It is a video game or dictatorship solution, unwelcome and probably counterproductive in a democratic world full of real human beings who want to choose their own path to a sustainable world.

21] This hypothesis (“legacy motivation”) is debated in the research world and only partially measured. In particular, it is proven false in the short term: parents have more practical concerns in the early years, that slightly increase their environmental impact. The first few paragraphs of “Does having children increase environmental concern?” summarize the field well, or this twitter thread. The motivational effect is positive but slight on parents who are already ecologically inclined. I do not think we should overstate the significance of these results, which are only in the short term, in a world where that has only begun to decarbonize. I am waiting for longer term studies, and I keep this appeal as a conclusion, which remains an effective way to raise ecological awareness.

22] A similar comparison can be made for used space, the first factor in biodiversity loss (the second being global warming). There are 150Mkm² of land, about 38% is used for agriculture, 2% for other human activities, and 60% is mainly wild. Making humanity vegetarian would reduce the use of agricultural land by around 75%, freeing up 30% of the total area. Now how much would we have to reduce the population to achieve the same result, keeping the same ratio of agricultural land? Also by 3/4. I’ll leave you to ponder the relative difficulties and speeds of changing humanity’s diet from killing 6 billion people, or changing the birthrate hard enough and long enough for the population to decrease by the same amount (same calculation as for the climate).

To be continued

  • Calculate more precisely the possible emissions reductions in countries by accelerating the demographic transition
  • Propose a century-scale warming model where emissions are limited by available fossil fuels, and their use is regulated by demand and environmental policies. An additional child would both be an incitation to drill more, proportionally to his fossil fuel use, and also a possible political influence.
  • Calculate rigorously the population decline in France according to demographic measures
  • Calculate carbon budgets under different emissions scenarios and demographic measures
  • Find more sources and surveys on the desire for children and ecological renunciation. Can cultural change in this area be rapid enough to have a significant effect?
  • Long-term measures of the legacy motivation

Population and climate change was originally published in Enquêtes écosophiques on Medium, where people are continuing the conversation by highlighting and responding to this story.

05.04.2021 à 19:25

Des dangers de l’équation de Kaya / IPAT

Emmanuel Pont

Texte intégral (1798 mots)

Grands classiques de la vulgarisation des problèmes environnementaux, vous avez probablement déjà croisé ces équations de la forme :

pollution = population * pollution par personne
pollution = population * PIB par personne * pollution par PIB
pollution = population * PIB par personne * énergie par PIB * pollution par énergie

Ces équations , connues sous le nom d’équation de Kaya ou IPAT (Impact = Population * Affluence * Technologie) sont des identités mathématiques (et donc pas exactement des équations), elles sont par définition toujours justes.

Donc rien de plus vrai, n’est-ce pas ? Pas de chance, c’est un peu plus compliqué, et on ne peut pas toujours leur donner autant d’importance qu’on voudrait. Dans cet article je présenterai trois grandes limites à l’utilisation de ces équations, que pour clarté nous regrouperons sous le terme “équation de Kaya”, en les appliquant aux émissions de gaz à effet de serre.

1 L’effet moyenne

La première limite évidente est qu’on y regroupe facilement des situations très différentes. Le paradoxe de Bill Gates :

Quand Bill Gates entre dans un bar, en moyenne tous les clients sont milliardaires

C’est exactement ce qui se passe avec l’équation de Kaya à l’échelle mondiale, où Bill Gates et un réfugié du Darfour comptent tous les deux pour un dans la population alors que leurs émissions ridiculement disproportionnées sont regroupées dans la même moyenne d’émissions par habitant.

L’équation reste vraie à toutes les échelles. Plus elle regroupe des situations différentes et moins les moyennes obtenues auront de sens. Prudence donc face à l’équation de Kaya sur l’ensemble de l’humanité, rien n’empêche de décomposer plus finement.

2 Le choix des variables

Pourquoi choisir la population, le PIB ou l’énergie ? L’équation serait tout aussi vraie avec n’importe quelles variables. Je vous présente donc l’exemple par l’absurde, l’équation de Kaya-tomate :

émissions mondiales = production mondiale de tomates * émissions par tomate

Rien de plus vrai, n’est-ce pas ? Cela reste une identité. En plus la production mondiale de tomates est plutôt bien corrélée avec les émissions.

Ah oui, la production de tomates n’est sans doute pas “responsable” de la pollution du monde, mais ne sont pas non plus dans Kaya un certain nombre de responsables évidents du problème, par exemple :

  • nos dirigeants politiques, adeptes des beaux discours sur l’environnement mais qui ont toujours d’autres priorités quand il faut choisir
  • nos dirigeants économiques, très largement guidés par le profit à court terme
  • nos influenceurs, figures d’une culture consumériste, qui sillonnent le monde en affichant un mode de vie insoutenable à l’échelle de l’humanité

L’équation de Kaya ne présente qu’une vision partielle du monde, et tout comme Kaya-tomate sa validité mathématique ne garantit pas sa pertinence. Cette équation serait prétendument comptable, apolitique, mais pas du tout ! C’est une présentation qui met en avant certains facteurs, les plus facilement quantifiables, et en cache d’autres, plus politiques. Ce qui, évidemment, les arrange bien.

Tout en restant dans le cadre de l’équation, le niveau de détail utilisé oriente aussi la discussion. On considère très naturellement que les émissions par personne représentent la consommation, le mode de vie. Ce n’est pourtant qu’un ratio calculé à l’instant t, sans aucune réalité physique (contrairement à la population ou les émissions), et politiquement discutable. En effet la majorité des émissions dépend de choix politiques ou économiques sur lesquels l’individu n’a qu’un pouvoir très limité. Cette équation est ainsi souvent mise en avant pour appuyer un discours centré sur la responsabilité individuelle. Encore un choix politique ! Réintroduire l’intensité énergétique et l’intensité carbone aide à le relativiser. En plus cette variable ne distingue pas les différents types de consommation, ce qui serait la première étape pour réfléchir à une réduction.

3 L’effet rebond

On aime souvent utiliser l’équation de Kaya pour modéliser l’avenir. Problème : les variables ne sont pas indépendantes ! Par exemple l’augmentation du PIB/habitant est un facteur important de la transition démographique, ou l’augmentation de l’efficacité énergétique se traduit par une consommation plus importante. Une étude récente estime qu’à l’échelle globale cet effet rebond annule plus de la moitié des gains d’efficacité ! Encore une fois, l’effet rebond n’est pas un phénomène mathématique abstrait, c’est le résultat concret d’un certain système économique et d’une certaine culture.

On considère souvent que réduire la population diminuera d’autant les émissions de gaz à effet de serre et autres pollutions. C’est très douteux : à court terme ce peut être un monde où tout le monde ira en week-end à Ibiza, à long terme nous sommes de toute façon contraints par les combustibles fossiles disponibles. On ne s’en rend pas compte à cause de la simplicité apparente de l’équation, mais quand on fait ainsi évoluer ses facteurs on a en fait créé un modèle !

C’est peut-être une approximation raisonnable à moyen terme dans des pays riches pas trop inégalitaires, où les émissions sont principalement tirées par la consommation, mais c’est à justifier plus finement. La recherche donne des résultats très différents sur l’effet rebond de la population, en fonction de la période, du pays, du sens de l’évolution, ou de la méthode de calcul utilisée. Difficile d’en tirer un chiffre clair et universel sur la sensibilité des émissions par rapport aux différents facteurs.

4 Où en est la recherche ?

Les critiques de ces équations ne sont pas nouvelles dans le monde dans la recherche.

Donella Meadows raconte en 1995 (traduit ici) sa colère face à une conférence critiquant l’usage d’IPAT …

As I listened to this argument, I got mad. IPAT was the lens through which I saw the environmental situation. It’s neat and simple. I didn’t want to see any other way.

… critiques qu’elle finit par accepter ! Son texte reste aujourd’hui un des plus puissants sur les limites de cette équation et je le recommande au lecteur qui aurait encore des doutes.

Dès 2000 le GIEC présente aussi ces limites dans ses rapports :

The four terms on the right-hand side of equation should be considered neither as fundamental driving forces in themselves, nor as generally independent from each other.
Global analysis is often not instructive and even misleading, because of the great heterogeneity among populations with respect to GHG emissions.

Si Kaya et IPAT sont toujours utilisées dans le monde de la recherche, c’est généralement de manière limitée pour analyser les trajectoires passées, ou en introduisent des termes pour les interactions entre facteurs. De Sherbinin et al. 2007 présentent les limites de l’analyse pour le facteur population. Hwang et al. 2020 proposent une analyse récente des limites statistiques de cette décomposition, et des coefficients de dépendance entre les différents facteurs. Aujourd’hui ce sont principalement des approches plus complexes comme ImPACT, STIRPAT ou DEA qui sont utilisées. Elles permettent d’éclaircir statistiquement les interactions entre facteurs, mais ne résolvent pas les questions de périmètre ou de choix des variables, pour lesquelles il faut rester prudent.

5 Conclusion

Il doit y avoir un “effet équation” qui endort l’esprit critique, comme l’effet Powerpoint. Une équation peut être mathématiquement exacte mais ne présenter qu’une version très partielle et même fallacieuse de “la vérité”. C’est évident dit comme cela, mais en même temps très difficile à garder à l’esprit pour l’ingénieur que je suis, habitué à faire confiance aux équations !

On peut néanmoins trouver un certain nombre d’intérêts, tant qu’on reste prudent :

  • Suivre les évolutions de facteurs d’émissions
  • Estimer des ordres de grandeurs d’objectifs, par exemple les émissions pour atteindre la neutralité carbone (ce qui ne dit rien sur leur répartition)
  • Observer les équations à un niveau assez fin pour limiter les différences entre individus
  • Rester conscient qu’on ne voit ainsi qu’un seul angle du problème, parmi beaucoup d’autres !

Merci pour les précisions à Greg de Temmerman, Beranger Six, Loïc Giaconne.


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24.02.2021 à 18:47

Économie du climat : où en est-on depuis Nordhaus ?

Emmanuel Pont

Texte intégral (12111 mots)

Économie du climat : où en est-on depuis Nordhaus ?

La plupart des gens connaissent l’économie du climat par son représentant le plus célèbre : William Nordhaus, prix Nobel d’économie en 2018. Ses résultats ont pourtant été très critiqués, et il fait souvent figure d’épouvantail dans le monde de l’écologie. Alors, a-t-il vraiment calculé que le “réchauffement climatique optimal” est de 4°C ? Que doit-on retenir aujourd’hui de ses travaux ?

Dans un article précédent j’avais présenté et critiqué le livre grand public d’un des plus célèbres économistes français spécialistes du sujet, Christian Gollier. Pour aller plus loin, nous faisons ici un point sur l’état de la recherche avec Nicolas Taconet, chercheur en économie du climat. Ce texte est accessible à n’importe qui disposant juste de bases sur le réchauffement climatique, aucune compétence préalable en économie n’est requise.

Pourquoi s’intéresser à l’économie du climat ? Pourquoi en parle-t-on autant ? Derrière ce sujet technique se cachent les grands enjeux politiques du réchauffement climatique : à quel point veut-on faire des efforts aujourd’hui pour éviter des effets catastrophiques plus tard ? Que faire en priorité pour réduire les émissions sans trop grever le reste de l’économie ? A quelle vitesse ? Loin d’être uniquement une discipline académique théorique, l’économie du climat aura un rôle de plus en plus important à jouer dans les choix de société sur le climat.

Dans cet article nous allons revenir sur les apports de Nordhaus à la discipline, les nombreuses questions qu’ils posent depuis le début, et la situation de la recherche aujourd’hui. Cette vue n’est évidemment pas exhaustive : Nordhaus n’est qu’un des chercheurs de l’économie de climat, qui n’est qu’une partie de l’économie de l’environnement¹. Même sur le sujet, on peut compter 1700 articles scientifiques publiés en 2020 qui mentionnent le coût social du carbone ! Cet article devrait néanmoins permettre de mieux comprendre les intérêts et les limites des travaux de Nordhaus, et comment la discipline a progressé en y répondant.

Si vous êtes peu intéressé par les résultats détaillés de la discipline mais beaucoup plus par leurs implications politiques, vous pouvez passer directement au chapitre “Alors, pourquoi ces controverses ?”.

DICE et autres modèles

Le principe de l’analyse coûts-bénéfices

Pourquoi entend-on autant parler de Nordhaus, et pourquoi a-t-il reçu le prix Nobel ? C’est le précurseur de l’analyse coûts-bénéfices pour le climat, le premier à avoir appliqué cette méthode à la question du réchauffement climatique alors que le sujet était encore peu populaire dans les années 70.

L’analyse coûts-bénéfices offre un cadre général pour évaluer les effets positifs et négatifs de projets ou de politiques publiques. Il s’agit ici de comparer les coûts causés par le réchauffement climatique et les coûts pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. On s’affranchit donc d’une “cible climatique” qui aurait été déterminée par ailleurs (par exemple celle de l’accord de Paris) et on cherche le niveau “optimal” de réduction d’émissions sans a priori.

On peut aussi voir le sujet d’une autre manière : si on souhaite appliquer le principe du “pollueur-payeur”, il faut être en mesure de déterminer les dommages causés par les émissions pour les taxer aujourd’hui au prix correspondant. Comme on veut compter des dommages à venir, cela nécessite une représentation dynamique du système économie-climat et de son évolution future. Ces modèles permettent de calculer notamment une “valeur sociale du carbone”, qui va donner une valeur monétaire aux émissions évitées ou, à l’inverse, engendrées, dont on se sert notamment pour évaluer les projets de lois ou les investissements publics. On l’appelle aussi “valeur tutélaire du carbone” ou “valeur de l’action pour le climat”.

Des modèles intégrés coût-bénéfices

Pour y répondre on regroupe dans le même modèle des effets croisés entre climat et économie :

  • L’économie (production de biens et services, transports, agriculture …) émet des gaz à effet de serre
  • Ces émissions alimentent le réchauffement climatique.
  • Le changement climatique a des impacts économique
  • Les émissions peuvent être réduites au moyen de politiques climatiques qui auront un coût (notamment en mettant un “prix” sur ces émissions).

A partir de ce modèle on peut alors regarder ce qui se passe dans différentes trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre, et réfléchir à la désirabilité de ces scénarios.

Le modèle proposé par Nordhaus s’appelle DICE, disponible en ligne (notamment en version Excel). C’est le premier modèle de ce type, mais il y en eu de nombreuses versions, et de nombreux modèles alternatifs proposés par d’autres économistes. DICE lui-même ne donne qu’un cadre général, et laisse une liberté très importante d’adaptation. Le modèle a été largement mis à jour au fil des années, intégrant une partie des critiques qui lui ont été apportées, et Nordhaus a toujours fait l’effort de le rendre le plus ouvert et accessible possible. Pour plus de détails sur le fonctionnement du modèle vous pouvez visionner la dernière vidéo d’Heu?reka

Qu’est-ce qu’un modèle?

Avant de poursuivre il est utile de préciser ce qu’est et n’est pas un modèle, ce concept étant sujet à de multiples incompréhensions. Un modèle est par construction une vision simplifiée de la réalité. C’est ce qui fait son intérêt : la complexité du monde rend impossible toute représentation exacte, le simplifier permet de dégager des tendances significatives. Plus un modèle est complexe, plus il permettra de prendre en compte des phénomènes différents, mais aussi plus il sera difficile à comprendre et vérifier, et plus il reposera sur un nombre important de choix de ses auteurs. DICE est par construction un modèle simple mais évolutif, et c’est une raison importante de son succès.

Différents modèles font différents choix sur la manière dont leur sujet est représenté et, même avec le même modèle, les hypothèses peuvent fortement varier. On le verra avec DICE tout au long de cet article, de nombreux développements ont permis de mieux prendre en compte certains aspects initialement peu présents (risque, inégalités, technologie, géo-ingénierie …). Un modèle ne produit pas de “prévision”au sens fort : ce ne sont pas tant les résultats en eux-mêmes qui comptent, que comprendre à quel point les variations sur la méthode et les hypothèses changent les résultats, et quelles données ou raisons ont motivé ces choix.

Parmi les autres modèles d’analyse coûts-bénéfices les plus populaires on peut citer :

  • RICE qui détaille DICE en plusieurs régions, développé par Nordhaus
  • FUND qui descend au niveau des régions, secteurs économiques, types de dégâts climatiques et différents gaz à effet de serre
  • PAGE qui propose une autre décomposition selon les mêmes axes

Le bien-être social comme indicateur cible ?

La démarche de l’analyse coûts-bénéfices cherche à évaluer l’ensemble des effets positifs et négatifs pour la société de différentes actions, afin d’identifier celles qu’il est désirable de mettre en place. Pour pouvoir agréger et comparer des actions aux conséquences diverses, on les ramène à un même indicateur. Le plus souvent, on cherche à évaluer les effets à l’aune du “bien-être” qu’elles apportent aux individus (consommation, santé, …).

Dans le modèle DICE, l’ensemble de ces effets est évalué via la consommation des individus, elle-même dérivée du PIB. Ainsi, à la fois les réductions d’émissions et les dommages du changement climatique se traduisent par des réductions de consommation. Cela ne signifie pas que d’autres aspects du bien-être sont ignorés, mais on leur donne une valeur monétaire. C’est en agrégeant les effets sur la consommation des différents agents (de toutes les générations) qu’on peut déterminer la valeur sociale du carbone et la trajectoire qui permet d’optimiser les coûts et les bénéfices. Nous allons étudier à la suite les nombreuses questions que pose cette représentation.

Le calcul des coûts de réduction des émissions

Le coût de décarbonation commence généralement de manière très concrète, en calculant avec des ingénieurs combien coûterait un changement permettant de baisser les émissions, et quel serait son effet. Ce changement peut porter sur l’efficacité énergétique (faire pareil avec moins d’énergie) ou sur la décarbonation (changement de source d’énergie ou de processus). On en déduit le coût à la tonne de CO2 évitée (marginal abatement cost en anglais), qui est l’indicateur principal du domaine².

La combinaison de ces résultats donne des courbes comme celle bien connue de McKinsey, publiée en 2007³ :

On trouve désormais des études beaucoup plus fines par secteur et pays (par exemple l’agriculture en France) ou l’étude précise des gaz à effet de serre hors CO2. On a aussi une bien meilleure visibilité qu’en 2007 sur les coûts et bénéfices réels de la plupart de ces interventions.

Gillingham & Stock 2018 présente une synthèse de la recherche récente (il compile les résultats de 50 articles), ainsi que des grands enjeux du domaine.

On peut y trouver trois résultats particulièrement intéressants :

  • Pour une même politique de réduction il peut y avoir des variations très importantes de coûts en fonction du contexte, de la maturité, de la méthode pour la mettre en oeuvre (il ne s’agit pas exactement d’incertitude)
  • D’autres facteurs peuvent influencer la décision, au-delà du seul coût. Ils expliquent en partie les “coûts négatifs” qu’on observe ici ou dans la courbe de McKinsey. Ces coûts sont en fait une énigme pour l’économiste : s’il est rentable d’isoler sa maison, pourquoi les gens ne l’ont-ils pas déjà fait d’eux-mêmes ? Parfois certains coûts n’ont pas été prévus, parfois aussi on assiste à des phénomènes complexes comme l’effet rebond (généralement limité selon Gillingham et al.2015 qui propose une synthèse des études sur la question). L’économiste essaye de bien prendre en compte tous les aspects, et la mise en œuvre réelle de ces mesures a permis de réviser nombre de ces coûts négatifs. Cette question, baptisée “energy efficiency paradox”, fait couler beaucoup d’encre et ne semble pas encore entièrement résolue.
  • Les coûts estimés sont très élevés, notamment pour la plupart des interventions ayant un potentiel important ! Les auteurs recommandent de bien faire la différence entre les types de coûts. La majorité des études portent sur les coûts dits “statiques” des investissements aujourd’hui. Le plus important est pourtant le coût “dynamique” à long terme. Quatre grands facteurs peuvent faire une différence très importante entre les deux : progrès technologique, économies d’échelle, effets de réseau, dépendance au chemin. Par exemple, un résultat intéressant de Vogt-Schilb et al. 2018 est le risque d’investir aujourd’hui dans des technologies “de transition” rentables à court terme comme le gaz, mais qui verrouilleront une trajectoire de décarbonation plus chère à long terme. Le calcul dynamique peut aussi faire augmenter les coûts, par exemple pour un système électrique majoritairement renouvelable. La difficulté est que cette perspective fait beaucoup augmenter l’incertitude par rapport aux coûts statiques.

Les modèles intégrés comme DICE estiment alors une trajectoire de coûts croissant de réduction des émissions, calibrée sur des coûts principalement statiques. On peut trouver dans Grubb et al. 2021 une revue des limites de ce calcul et des premières évolutions visant à mieux prendre en compte les aspects dynamiques. Les auteurs y proposent aussi une évolution de DICE prenant en compte la dépendance au chemin, qui change fortement le résultat.

Le calcul des dommages du réchauffement

Pour chiffrer les impacts économiques des émissions de gaz à effet de serre, il faut pouvoir comprendre d’abord la réponse du système climatique aux émissions, puis les impacts du réchauffement sur les économies et la société. On peut trouver une synthèse des enjeux de ce calcul dans Diaz & Moore 2017, chacun assorti de plusieurs références d’études qui les abordent. Nous allons revenir ici sur les principaux et sur les avancées par rapport aux premiers modèles.

Modéliser la réponse du système climatique

Le climat réagit en réponse aux émissions de gaz à effet de serre : les économistes calibrent des modèles simplifiés sur les prévisions des modèles climatiques. La version initiale de DICE négligeait par exemple la dynamique du CO2 dans les océans et surestimait l’inertie climatique. Dietz et al. 2020 présente une synthèse des limites et des avancées sur la question et évalue les effets importants de cette modélisation sur le résultat final.

Traduire les impacts physiques en impacts économiques

Ensuite vient la partie la plus difficile de ce type d’exercice. Certains sont relativement faciles à quantifier, d’autres sont très incertains ou difficilement commensurables.

Par exemple, on peut estimer les pertes de rendement agricole, qui ont des effets sur les revenus des agriculteurs ou les prix de l’alimentation. De même, on peut quantifier la valeur des infrastructures menacées par la montée des eaux.

Pour quantifier ces impacts, il existe différentes méthodes:

  • La méthode énumérative est la plus ancienne et la plus courante : lister tous les impacts puis les monétariser. Parmi les résultats récents, un calcul par région et secteur économique ou une modélisation des rendements agricoles. Néanmoins, elles excluent les potentielles interactions entre différents impacts du changement climatique. Ces modèles ne partent pas forcément de “marchés théoriques parfaits” où les acteurs s’adaptent instantanément et de manière optimale ; généralement plus le modèle porte sur un secteur précis et plus il sera proche de la réalité.
  • Les modèles dits d’“équilibre général” prennent en compte les interactions entre les impacts dans différents secteurs et régions. Ces effets peuvent atténuer les impacts, du fait de potentielles substitutions: par exemple, si tel pays ne peut plus produire un bien donné, un autre peut en partie prendre le relai. D’autres effets d’interaction peuvent au contraire amplifier les impacts: par exemple, les besoins accrus en eau dans le domaine agricole peuvent contraindre les ressources hydrauliques utilisées pour la production électrique, ou une utilisation pour le refroidissement des centrales thermiques. Un modèle récent de ce type conclut à des coûts très élevés au-delà de 2°C.
  • La méthode statistique consiste à extrapoler à partir de données climatiques passées ou de différences de productivité entre pays les pertes de PIB futures, par exemple Burke et al. 2015. Cette approche est très discutée car de nombreux effets du réchauffement ne sont pas visibles aujourd’hui.

Au-delà de ces impacts pour une année ou une température donnée, la croissance à long terme peut également être affectée.

En revanche, il est beaucoup plus difficile de chiffrer les impacts “non-marchands.”Comment chiffrer les conséquences économiques du blanchissement des coraux? Comment prendre en compte les pertes de biodiversité ou de services écosystémiques, sachant qu’ils participent aux économies de multiples façons (production, fonctions récréatives, valeur culturelle, voir par exemple le rapport de l’IPBES). Bastien-Olvera & Moore 2020 propose des pistes pour inclure ces valeurs d’usage dans les modèles climatiques, ainsi que la valeur qu’on peut donner à la nature pour elle-même au-delà de bénéfices identifiés pour l’économie. Un autre exemple d’impact non-marchand important porte sur les impacts sur la santé: la mortalité ou la morbidité, par exemple du fait de vagues de chaleur, ou du déplacement de maladies. Pour prendre en compte ces effets, il est nécessaire de les traduire en termes monétaires, par exemple via une valeur statistique de la vie.

Encore plus incertain, il est très difficile d’estimer les dégâts de second ordre : déplacements, guerres, instabilités … En particulier cette question se heurte à des obstacles fondamentaux :

Aujourd’hui ces effets possibles ne sont donc pas pris en compte dans les calculs de dommages.

Des sondages d’experts permettent de compléter les résultats numériques avec le “sentiment” des spécialistes du sujet pour prendre en compte l’ensemble des dégâts. Howard & Sylvan 2015 est volontairement très accessible aux non-spécialistes et nous utiliserons ses résultats pour illustrer la diversité des opinions parmi les économistes du climat. Les auteurs ont interrogé 1103 scientifiques ayant publié en économie du climat et reçu 365 réponses. Cette étude donne donc une bonne vision indicative des avis de la communauté des économistes du climat, et nous y reviendrons plusieurs fois.

Des méta-analyses permettent de regrouper ces résultats : la référence récente est Howard & Sterner 2017, qui inclut 26 estimations tirées de 20 études différentes.

Valeurs des dommages

Pour toutes les raisons citées il existe une grande incertitude sur les dommages estimés. Voici par exemple la perte équivalente de PIB estimée pour un réchauffement de 3°C :

Certains s’étonnent de la faiblesse de ces valeurs, mais pour un économiste c’est beaucoup : peu d’événements ont un effet aussi important sur l’économie et le bien-être. Par exemple une perte de 3% du PIB c’est le coût national estimé du tsunami et du tremblement de terre de 2011 au Japon (incluant l’accident nucléaire de Fukushima). C’est la catastrophe naturelle la plus chère de l’histoire, alors qu’elle a touché une zone réduite dans un pays riche. En “équivalent dommages du réchauffement” ce serait donc comme si cela arrivait en même proportion dans tous les pays, chaque année, pour l’éternité …

Les résultats de Howard & Sylvan 2015 permettent de mesurer la grande diversité des avis sur la question des dommages (qui inclut l’ensemble des effets et pas seulement les dégâts directs) :

Des fonctions de dommages calibrées sur les évaluations d’impacts

A partir de ces évaluations d’impacts, DICE et les autres modèles de ce type ont recours à ce qu’on appelle une “fonction de dommage” pour pouvoir étudier les impacts dans différents scénarios de réchauffement climatique. Elle synthétise en termes monétaires les coûts du changement climatique en pourcentage du PIB. Attention, ce n’est pas parce qu’elle est calculée en PIB que c’est le seul facteur pris en compte. Cela ne veut pas non plus forcément dire que le PIB diminuerait vraiment de cette valeur, mais plutôt que les dommages seraient équivalents à une perte monétaire de cet ordre de grandeur.

Comme la plupart des études sur les impacts du réchauffement climatique étudient des situations de réchauffement “modéré” (+2–3°C) il faut extrapoler pour estimer les valeurs de réchauffement plus élevés. Elles sont donc particulièrement spéculatives.

Ces éléments conduisent les chercheurs à considérer une diversité de fonctions de dommage, avec des coûts plus ou moins élevés et augmentant de façon plus ou moins rapide avec le réchauffement. Voici par exemples les résultats de trois modèles comparés :

La prise en compte des risques

Les climatologues sont bien familiers de l’incertitude qui porte sur la sensibilité climatique, c’est-à-dire la température à laquelle la Terre va se stabiliser du fait d’un doublement de la concentration en CO2. L’intervalle de confiance du GIEC (66%), s’étale entre 1.5°C et 4.5°C. De même, l’incertitude sur les impacts économiques à 2°C se révèle importante (et c’est encore plus le cas pour des niveaux de réchauffement élevés).

Dès lors, la question du niveau de réduction des émissions doit considérer non pas seulement le “scénario moyen,” mais également l’étendue des possibles, y compris les scénarios extrêmes. Par exemple, s’il y a une chance sur 100 de se diriger vers une “planète étuve” majoritairement inhabitable par l’Homme et irréversible, on devrait être prêt à réduire drastiquement les émissions, même si les dommages “moyens” sont limités. Weitzman avance même en 2009 que, dans le cas du changement climatique, la distribution des sensibilités climatiques possibles étant très déséquilibrée, les outils traditionnels pourraient se retrouver inopérants. En effet ils pondèrent le coût par la probabilité : si les coûts possibles croissent plus vite que leur probabilité ne diminue, on se retrouve avec des valeurs infinies et le calcul n’a plus aucun sens.

Ces questions d’intégration des risques font l’objet de recherches actives et incluent notamment de potentiels effets de seuil (ou “tipping points”, voir par exemple Lemoine and Traeger 2016) et des impacts catastrophiques (Dietz 2011). Il existe de nombreuses méthodes pour gérer le risque et “compter” les catastrophes (par exemple Millner 2013). Savoir celle qui est la plus adaptée dans le cas du réchauffement climatique reste une question ouverte.

Le sondage de Howard & Sylvan 2015 nous donne sur la question une variété d’avis encore plus grande que pour les dommages moyens :

De nombreux auteurs considèrent qu’on se trouve, dans le cas du changement climatique, face à une situation d’incertitude radicale : c’est-à-dire une incertitude qui n’est pas probabilisable et qui ne risque pas de se dissiper avec le temps. Ceci n’empêche pas de faire des calculs, mais il faut garder cette incertitude à l’esprit pour les interpréter. On trouvera des pistes de réponses avec des méthodes comme le “robust decision-making” qui s’éloignent du cadre de réflexion habituel de l’économie.

L’inégalité entre individus

Enfin, un enjeu essentiel est de prendre en compte les inégalités entre individus et leurs interactions avec le climat de manière explicite. On sait notamment que les impacts du changement climatique portent davantage sur les plus pauvres et le réchauffement climatique pourrait faire basculer des millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté, du fait d’impacts sur l’agriculture, la santé ou à la suite d’événements extrêmes.

Cela a une importance pour l’analyse coûts-bénéfices, car on va donner plus de poids aux effets négatifs lorsqu’ils portent sur les plus pauvres. En philosophie politique on appelle ce cadre utilitariste : une même augmentation du revenu ou de l’état de santé donne lieu à une augmentation du bien-être plus importante chez un individu pauvre que chez un individu riche. Par exemple, avec des valeurs communément utilisées, donner un euro au Bangladais moyen se traduit par une augmentation d’utilité globale environ 35 fois plus grande que donner cet euro à un Français moyen⁴ !

Mais il existe également d’autres approches, comme le prioritarisme, qui donnent un poids encore plus important aux personnes les moins bien loties et vont donc recommander des réductions d’émissions plus importantes.

L’utilitarisme est le cadre le plus utilisé dans les modèles d’économie du climat, mais l’échelle considérée va être cruciale. Le modèle DICE représente l’économie et le climat à l’échelle globale : il ne modélise qu’un agent et se limite donc aux inégalités entre les générations. Nordhaus a néanmoins développé une version régionale de son modèle : RICE, et il existe d’autres modèles considérant une dizaine de régions (FUND, PAGE), qui permettent de préciser les différences de pertes. Plus récemment, quelques études ont cherché à désagréger encore le calcul pour mieux prendre en compte les inégalités au sein des régions : soit à l’échelle des pays, soit en prenant en compte des déciles de revenus à l’intérieur des régions . Dennig et al. 2015 montre ainsi que les hypothèses sur la distribution régressive des dommages peuvent faire passer des trajectoires conduisant à un réchauffement optimal de +3.5°C (calibration de RICE par Nordhaus, qui est utilitariste mais uniquement entre régions) à moins de 2°C. L’effet est donc très important !

Néanmoins, ce mode de calcul ajoute également beaucoup de complexité et de questions: quelles hypothèses faire sur la distribution des coûts de l’atténuation, sur la participation des différentes entités à l’effort de réduction? Comment calibrer de manière satisfaisante des coûts et des impacts à des échelles plus fines, alors qu’on a déjà du mal à trouver des données pour produire des estimations à l’échelle globale? Quelles hypothèses retenir pour l’évolution des inégalités futures au sein des régions? Il s’agit d’un axe de recherche important.

Le taux d’actualisation et l’inégalité entre générations

La recherche de la conciliation entre coûts présents et bénéfices futurs suppose de donner un poids au bien-être des générations futures. Cela peut surprendre, mais c’est en fait une des définitions du développement durable :

“un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs”

En analyse coûts-bénéfices on fait classiquement appel à un “taux d’actualisation” qui permet de ramener des valeurs futures dans le présent. Cet aspect est l’un des plus discutés des modèles intégrés, puisqu’il influe considérablement sur les résultats : de petites différences de taux peuvent avoir un effet gigantesque au bout de plusieurs décennies. Ainsi, si le taux d’actualisation est de 3% par an, une perte de 100€ dans 50 ans est équivalente à une perte de 22€ aujourd’hui. A 4% c’est 13€. Aux Etats-Unis, l’administration Trump a choisi de considérer un taux de 7% pour évaluer les dégâts futurs du réchauffement climatique. On serait à 3€ avec le même calcul ! Plus le taux est fort, moins on donne d’importance aux générations futures.

La controverse autour du taux d’actualisation a été médiatisée par le rapport Stern, dont l’auteur argumente en faveur d’un faible taux d’actualisation, en opposition aux hypothèses de Nordhaus.

Il existe différentes approches pour choisir le taux d’actualisation et, d’une manière générale, le poids à accorder aux générations futures. On peut distinguer l’approche “normative” et la “descriptive”. Nordhaus préconise en effet un taux d’actualisation plus élevé parce qu’il pense qu’il faut se fonder sur les comportements que l’on observe dans la réalité, sans jugement moral sur ces préférences (approche descriptive ou positive). La plupart des individus sont “impatients”: ils préfèrent avoir 1$ aujourd’hui plutôt que demain. A ce titre, les comportements en matière d’épargne traduisent la façon dont les individus valorisent le présent par rapport à l’avenir. Il calibre donc son modèle de manière à pouvoir reproduire les taux d’intérêts sur les marchés, mais il existe d’autres méthodes pour observer les préférences des individus (enquêtes déclaratives, comportements sur d’autres types de marchés faisant appel à des arbitrages au cours du temps…). Un argument théorique en faveur de cette approche tient à ce qu’on appelle le “coût d’opportunité” : le rendement des investissements dans l’atténuation doit être au moins celui du marché, sinon il serait préférable de placer l’argent, et le dépenser avec les intérêts dans l’atténuation à la période suivante.

A l’inverse, Stern prône une approche “normative” : on doit évaluer les coûts et les bénéfices en fonction de critères éthiques et moraux, notamment vis-à-vis des générations futures. Il existe un champ d’étude important qui s’intéresse à la façon de traduire les principes de “soutenabilité” en outils utilisables par exemple pour évaluer le bien-être dans différentes trajectoires économiques (voir Fleurbaey 2015).

Dans les deux cas, les individus ont des préférences extrêmement diverses (diversité des comportements, diversité des valeurs morales), donc il est important d’explorer comment différents critères de décisions ou différentes calibrations changent les résultats.

Le sondage de Howard & Sylvan 2015 fait ici aussi ressortir une très grande diversité d’avis sur les taux d’actualisation, qui peuvent être constants ou décroissants, et choisis selon les taux de marché ou par des critères éthiques :

Dans le même sondage, si on choisit un taux constant, la majorité préfère des taux faibles, signifiant un fort poids à donner au bien-être des générations futures :

Dans un article de 2018, Drupp et al. conduisent un sondage sur les taux et étudient les différentes manières d’agréger la variété des réponses. Ils concluent à un taux de 2%, acceptable pour 75% des répondants. C’est beaucoup moins que le 4% utilisé par Nordhaus dans sa dernière version de DICE, ou recommandé par Christian Gollier dans Le climat après la fin du mois.

Une publication récente qui met à jour les résultats de DICE : “Climate economics support for the UN climate targets

Cet article reprend les principales limites de DICE que nous avons évoquées ici, et propose de le mettre à jour avec :

  • Un meilleur modèle climatique, qui réduit le “réchauffement optimal” de 0,5°C
  • La fonction de dommages de Howard & Sterner 2017 (-6,7% de PIB pour 3°C de réchauffement) sans changer sa forme (pas de prise en compte du risque). Ceci réduit l’optimal de 0,8°C
  • Le taux d’actualisation de Drupp et al. 2018, qui réduit encore l’optimal entre 0,5°C et 1,1°C (selon la manière dont les avis différents sont pris en compte)

Ces trois changements combinés permettent d’estimer un “réchauffement optimal” compris entre 1,7°C et 2°C. L’article propose plusieurs autres modifications plus mineures, qui réduisent encore un peu le résultat.

L’article conclut que, contrairement aux résultats de Nordhaus, l’objectif de l’accord de Paris de limiter le réchauffement bien en dessous de 2°C est entièrement compatible avec une analyse coûts-bénéfices fondée sur les résultats les plus récents de l’économie du climat⁵.

Alors, pourquoi ces controverses ?

Si la communauté de l’économie du climat a déjà pris en compte et largement fait évoluer ses modèles, pourquoi toutes ces controverses autour de Nordhaus ?

Nordhaus et le prix Nobel

L’attribution du prix Nobel est un excellent exemple de la frontière délicate entre science et politique sur ce sujet. Dans sa présentation scientifique, le comité Nobel indique clairement que Nordhaus est récompensé pour ses apports méthodologiques à la modélisation économique du réchauffement et pour avoir mis le sujet sur le devant de la scène. Lors de sa présentation au public Nordhaus a choisi de présenter aussi ses propres résultats de calcul et ses préconisations politiques, dont le fameux chiffre “4°C comme niveau de réchauffement optimal”, qu’on retrouve ainsi dans son support :

Comme nous l’avons vu, ce chiffre de 4°C ne représente pas vraiment l’état actuel de la recherche sur le sujet, ni le “consensus” des économistes. Ce consensus n’existe pas, les avis sont très différents, mais dans Howard & Sylvan 2015 la majorité penche pour une valeur sociale du carbone supérieure au résultat de Nordhaus (autour de 37$/tCO2)⁶ :

Revenons à Nordhaus. Lorsqu’on cherche dans le texte de sa présentation, on découvre qu’il insiste surtout sur les incertitudes et limites du modèle, et cite d’autres études plutôt que se contenter de ses propres résultats. A l’oral il indique aussi qu’il y a de nombreux modèles différents, et qu’ils sont des représentations très simplifiées de la réalité. Sur les dommages il insiste sur le risque, mentionne Howard & Sterner 2017 et présente surtout les limites du calcul :

Impacts have been carefully studied in reports of the IPCC as well as by private scholars. The best evidence is that impacts of climate change will be non-linear and cumulative. Early studies (EPA 1989) of the economics of different sectors indicated that the first 1 or 2°C of warming are unlikely to have major disruptive effects on agriculture and most other economic sectors, particularly if warming is gradual and farmers and other participants can adapt their technologies. More recent evidence, for example in the 2018 IPCC report on 1.5°C (IPCC 2014, 2018), suggests that even 2°C warming can be highly disruptive to human and particularly natural systems.
In the DICE model, the concept of damages includes non-market as well as market, and it has a correction for an insurance premium for high-consequence, low-probability events. In the 2016 model, damages are estimated to be 2% of output at a 3°C global warming and 8% of output with 6°C warming. But other summaries are all over the map. A recent meta-analysis by Howard and Sterner (2017) finds high estimates, with their preferred damage estimate being approximately 3½ times the damages underlying the DICE model.
Even the concept of damages is contentious. One line of criticism is that they ignore catastrophic damages, which is wrong. Another line is that they do not include the possibility of “fat tails,” which is more complicated because there is at this point no serious evidence of the presence of fat tails for the damage distribution.
A deeper critique is that damage functions monetize all human and non-human activities, which is correct. People might not object to monetizing the losses of wheat that are replaced by soybeans, or houses damaged by hurricanes. But they have firmer grounds for moral objections when studies put a price on human health impairments or monetize the submergence of entire island cultures. The economists’ response is usually that we attempt to put all costs and benefits in a common metric so that we can balance the losses in one area with losses in others. We should be attentive to imputing appropriate prices, but it is better to include some values on health damages than to omit them from the analysis. As Keynes is reputed to have said, it is better to be vaguely right than precisely wrong.

Pour les taux il conclue que le débat reste ouvert :

I will not reprise the debate on discounting here. It is just as unsettled as it was when first raised three decades ago. Instead, I will present the results of modeling with alternative rates on the social cost of carbon.

Il reconnaît enfin que le résultat final est controversé, et ne mentionne pas à l’oral le 4°C du graphique, se contentant de “plus de 3°C” :

Another finding, much more controversial, is that the cost-benefit optimum rises to over 3°C in 2100 — much higher than the international policy targets. Even with the much more pessimistic alternative damage function, the temperature path rises to 3°C in 2100.

Enfin il insiste aussi sur les incertitudes et l’importance de l’objectif pour le coût social du carbone :

Estimates of the SCC differ across models and vintages (see Nordhaus 2014, 2017). Table 1 shows calculations for the most recent published version of the DICE model, DICE-2016R3. The optimal carbon price is estimated to be $36/ton CO2 in the standard model. However, the SCC varies greatly depending upon the policy target. For both damage functions and less ambitious temperature targets, the SCC is in the $43–$108 per ton range for 2020. For targets of 2°C and below with short averaging periods, the SCC is in the $158–$279 per ton range for 2020.
Studies indicate that the SCC is highly uncertain. The MUP study (Gillingham et al. 2018) and Nordhaus 2018 indicate that the one-sigma uncertainty for the SCC is roughly as large as the median value. The SCC is so uncertain because of the cascading uncertainties from economic growth, emissions intensities, and damage functions.

Nordhaus ne revient plus sur ce concept de “réchauffement optimal” dans la suite de l’exposé, qui est consacrée à l’insuffisance des politiques actuelles et aux propositions de l’auteur pour y remédier.

Alors, Nordhaus a-t-il “mis de l’eau dans son vin” quant à ses idées de réchauffement optimal ? Nous n’avons pas étudié l’ensemble de ses prises de position auprès du grand public depuis le début, mais ses interviews depuis son prix Nobel sont toutes dans la même veine que son discours : elles mettent en avant l’urgence d’agir sans mentionner l’inquiétude de “trop en faire”. On y voit aussi qu’il est très lucide sur les obstacles politiques aux mesures les plus mises en avant comme les taxes carbone.

On assiste peut-être à l’un des pièges de la communication scientifique : lorsque Nordhaus publie des articles scientifiques sur les trajectoires de réchauffement, il s’adresse à des spécialistes qui connaissent le contexte et seront capables de juger de la portée de ce résultat. Il est risqué de reprendre directement le résumé d’une publication dans le débat public sans travail d’appréciation et de contextualisation. On voit ainsi que lorsqu’il s’adresse au grand public, Nordhaus ne fait pas du tout la même interprétation de ses propres travaux que des gens comme Bjorn Lomborg !

Pourquoi Nordhaus n’a-t-il pas plus profondément mis à jour ses résultats ? DICE n’a pas vocation à prendre en compte tous les résultats de toutes les études, d’autant plus vu leur nombre considérable. Ceux qui l’ont été ont néanmoins nettement augmenté les résultats. Nordhaus n’a pas mis à jour ses calculs depuis 2016 (il a désormais 79 ans).

La critique de Steve Keen

L’article le plus fréquemment cité parmi les écologistes est celui de Steve Keen, économiste australien hétérodoxe : The appallingly bad neoclassical economics of climate change

L’auteur y revient rapidement sur l’histoire de l’économie du climat et ses critiques, qu’il estime marginales et ignorées par les auteurs principaux. Son principal reproche porte sur le calcul énumératif ou statistique des fonctions de dommage, leur extrapolation, ou la prise en compte des points de bascule. Cette critique est plutôt juste sur le fond mais, comme nous l’avons vu, elle n’est pas nouvelle et les limites de ce calcul semblent partagées même par Nordhaus. On trouve de nombreuses sources sur ces questions : sur le calcul de la fonction de dommage dans Diaz & Moore 2017, une méta-analyse des résultats dans Howard & Sterner 2017, des sondages d’experts dans Howard & Sylvan 2015 ou Pindyck 2019, et des réflexions sur la méthode dans Oppenheimer et al. 2016. Aucune n’est citée par Keen alors qu’elles ont été largement reprises. Cet article peint un tableau d’économistes malhonnêtes et malveillants qui laisse perplexe, alors qu’il ignore à la fois tous les résultats récents de la discipline et la prudence des stars comme Nordhaus ou Stern lorsqu’ils s’adressent au grand public. Comme preuve de leur influence néfaste, il se contente de citer trois paragraphes du rapport du GIEC de 2014. Cela nous amène à la question qui fâche :

Alors, quelle est l’influence politique de l’économie du climat ?

Quel est le poids politique de ces modèles, et notamment quelle responsabilité dans l’inaction climatique qu’on ne peut que constater ? Faut-il penser, comme Antonin Pottier, que les économistes “réchauffent la planète” ? Difficile d’arrêter une “réponse scientifique” à cette question, mais on peut apporter quelques éléments.

Comment ces résultats sont-ils présentés dans les rapports du GIEC ?

Concernant les dégâts économiques, le résumé aux décideurs du dernier rapport ne donne que des éléments limités, au milieu de la présentation des autres impacts :

L’augmentation de la température provoquera une accélération des pertes économiques (éléments limités, degré de cohérence élevé), mais les incidences économiques mondiales du changement climatique sont actuellement difficiles à estimer. En ce qui concerne la pauvreté, les incidences du changement climatique devraient ralentir la croissance économique, entraver les efforts de lutte contre la pauvreté, continuer d’éroder la sécurité alimentaire, entretenir les pièges existants de la pauvreté et en créer de nouveaux, ce dernier effet étant particulièrement marqué dans les zones urbaines et dans les «points chauds
de la faim» (degré de confiance moyen). Les dimensions internationales telles que le commerce et les relations entre les États sont aussi importantes pour comprendre les risques que le changement climatique pose à l’échelle régionale. {2.3.2}

Le rapport de synthèse ne chiffre que les dommages à 2,5°C (entre 0,2% et 2% du PIB), pour éviter l’effet des extrapolations, et insiste sur les incertitudes. Il faut aller dans la synthèse du groupe 2 pour trouver les citations de Keen, qui sont entourées d’avertissements sur les limites du calcul, et au milieu de centaines de pages sur l’ensemble des conséquences du réchauffement.

Sur le processus de décision le GIEC insiste dans le résumé aux décideurs sur la multiplicité des critères à prendre en compte :

Il est possible de prendre des décisions avisées pour limiter les changements climatiques et leurs effets en appliquant une vaste gamme d’outils d’analyse pour l’évaluation des risques et des avantages probables, qui prennent en compte la gouvernance, les questions d’éthique, l’équité, les jugements de valeur, les évaluations économiques et la diversité des perceptions et des réactions face aux risques et à l’incertitude. {3.1}

Le rapport détaillé ne propose pas non plus de coût social unique du carbone, mais présente un tableau avec les résultats des différentes études sur la question, détaillés par taux d’actualisation. Il est difficile d’accuser le GIEC de donner trop de poids à ces chiffres et d’escamoter leurs importantes limites et incertitudes. Et jusqu’ici on n’a vu personne tirer les citations du GIEC de leur contexte pour promouvoir l’inaction.

Quel effet direct sur les politiques publiques ?

Une application directe de ces résultats consisterait à mettre en place une taxe carbone sur les émissions à la hauteur de la valeur sociale des dommages engendrés par ces émissions. En pratique, aujourd’hui même le prix proposé par Nordhaus, qu’on peut juger trop faible, est nettement au-dessus du prix appliqué dans de nombreux pays (zéro, voire négatif dans tous les pays qui subventionnent les énergies fossiles).

L’autre application directe des résultats de la recherche sur l’analyse coût-bénéfices concerne l’établissement d’une valeur tutélaire du carbone, utilisée lorsqu’on évalue les projets d’investissements publics. Sous l’administration Obama, un groupe d’experts a ainsi produit un rapport s’appuyant sur les résultats des trois principaux modèles (DICE, PAGE, FUND). L’administration Trump a modifié les éléments du calcul (notamment l’actualisation) pour réduire cette valeur tutélaire du carbone. Aujourd’hui c’est John Kerry qui invoque ces résultats pour justifier l’ambition de la nouvelle administration. C’est surtout aux Etats-Unis que ces approches sont utilisées en pratique pour fixer la valeur tutélaire du carbone. En France, par exemple, c’est une autre approche, qui est utilisée. Nous y reviendrons.

Concernant Nordhaus en personne⁷, Aldy & Stavins 2020 proposent une typologie des l’influence qu’il a pu avoir sur les politiques climatiques, sans vraiment la quantifier :

  • Participation personnelle à plusieurs comités entre 1977 et 2013
  • Utilisation des modèles, notamment calcul du coût social du carbone aux US
  • Participation indirecte au débat public, qu’ils considèrent à la fois la plus commune et la plus subtile : définition et mise en avant de l’analyse coûts-bénéfices, influence sur la recherche, mise en avant de la taxe carbone

On peut trouver des chiffres sur Google Trends : on ne parlait pas beaucoup de Nordhaus avant son prix Nobel, et on en parle très peu depuis aussi. Les gens qui cherchent son nom cherchent principalement son manuel d’économie avec Samuelson. Sa popularité est très faible face à des économistes célèbres comme Friedman ou Keynes, ou certains vivants comme Piketty ou Krugman. Le rapport Stern (qui fait un certain nombre de choix très différents) a eu trois fois plus de recherches que le prix Nobel de Nordhaus.

Ces résultats sont-ils instrumentalisés par les climatosceptiques ?

Jusqu’ici le discours du doute a très majoritairement porté sur la réalité du réchauffement climatique et de ses effets, ce qui l’a naturellement opposé aux économistes du climat, dont c’est l’objet d’étude principal. Nordhaus a d’ailleurs répondu publiquement aux climatosceptiques en 2012. On peut néanmoins s’inquiéter que ce discours porte de plus en plus sur la rentabilité de l’action climatique, alors que le réchauffement est de moins en moins contestable. C’est d’autant plus facile ici que, par définition, les modèles d’analyse coûts-bénéfices reposent sur des scénarios futurs et des choix éthiques qui ne seront jamais indiscutables. Ils auront toujours aussi une portée politique, car il ne s’agit de rien de moins que de déterminer le bien-être de l’ensemble de l’humanité sur plusieurs siècles.

Peut-on voir des signes récents de cette instrumentalisation ? Oui, par exemple le Heartland Institute, Wattsupwithat, ou Lomborg dans le Wall Street Journal qui reprennent certains résultats de Nordhaus pour promouvoir l’inaction. Ce discours semble pour l’instant très minoritaire par rapport à la couverture extrêmement large du réchauffement climatique et la richesse du débat public autour de ses enjeux politiques.

Le chercheur peut-il y faire quelque chose ? Oui, et nous avons vu que Nordhaus en est un bon exemple : il fait très attention de contextualiser ses résultats et préciser leur portée quand il s’adresse au grand public. Il ne donne pas non plus trop de place aux débats techniques de l’intérieur de la discipline, pour insister surtout sur les enjeux généraux pour la société autour de deux grands messages : le réchauffement est un vrai danger, il faut agir vite et fort. Nordhaus ne mâche d’ailleurs pas ses mots face à certaines reprises de ses recherches :

The piece completely misrepresented my work. My work has long taken the view that policies to slow global warming would have net economic benefits, in the trillion of dollars of present value. […] I can only assume they [are] either completely ignorant of the economics on the issue or are willfully misstating my findings.

Alors, comment faut-il décider ?

Tout le monde s’accorde à dire que ces méthodes sont imparfaites, à la fois car c’est inhérent à l’exercice, mais aussi parce que les méthodes et évaluations proposées ne sont pas toujours convaincantes. Nous l’avons longuement abordé dans cet article, les premières critiques ont au moins 20 ans, et on trouvera des synthèses récentes de ces limites et de leurs conséquences pour la décision par exemple dans Pezzey 2018, Pindyck 2017 ou le rapport de l’académie nationale des sciences américaine de 2017.

On pourrait proposer plusieurs courants parmi les économistes sur cette question:

  • Certains pensent que malgré ces incertitudes on devrait utiliser ce type d’approches pour fixer le coût social du carbone et les taxes carbone avec des paramètres “raisonnables”. C’est le cas par exemple de Nordhaus ou Gollier. Cette approche n’empêche pas certains de vérifier que le résultat est cohérent avec une cible définie par ailleurs.
  • D’autres considèrent que même s’il y a beaucoup d’incertitudes, on peut quand même utiliser ces modèles pour identifier des points de consensus ou non, par exemple Weyant 2017 . Notons que Nordhaus le fait aussi dans sa présentation Nobel :
Here are some of the major findings from virtually all IAMs.
• One major finding of integrated assessment models is that policies to slow emissions should be introduced as soon as possible.
• A second finding is uniformity of price — that the most effective policies are ones that equalize the incremental or marginal costs of reducing emissions. Equivalently, in a market context, that means that the carbon prices should be equalized in every sector and in every country.
• Effective policies should have the highest possible participation; that is, the maximum number of countries and sectors should be on board as soon as possible. Free-riding should be discouraged.
•Finally, an effective policy is one that ramps up over time — both to give people time to adapt to a high-carbon-price world and to tighten the screws increasingly on carbon emissions.
  • Certain jugent que ces outils sont trop simplistes ou imparfaits pour guider les décisions sur l’atténuation mais qu’on peut utiliser d’autres approches économiques pour identifier les trajectoires de réduction des émissions au moindre coût (avec un objectif déterminé par ailleurs, par exemple atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050), par exemple Heal 2017, Kaufman et al. 2020 ou le rapport Stern Stiglitz 2017. Cette approche permet de réduire l’horizon temporel, abandonner les incertitudes sur les dommages et modéliser plus finement l’économie, et donc d’obtenir des résultats plus réalistes que les modèles d’analyse coûts-bénéfices. On peut trouver une bonne présentation de ce type de modèles sur Carbon Brief. C’est la manière dont le prix du carbone est calculé, par exemple, au Royaume-Uni et en France, où le résultat le plus récent est celui du rapport Quinet 2. Notons que les résultats de coût social du carbone de ces modèles sont proches de calculs récents de coûts-bénéfices comme Hansel et al. 2020 !
  • Enfin, comme nous l’avions évoqué, il existe de nombreuses approches en théorie de la décision qui donnent des pistes pour dépasser la simple analyse coûts-bénéfices dans des situations d’incertitude complexes. Certaines études d’économistes proposent des réflexions sur des alternatives pour la question climatique, comme van den Bergh 2004 ou Doukas & Nikas 2020.

Sur l’ensemble des économistes Howard & Sylvan 2015 vérifient néanmoins un fort consensus pour une action envers le climat :

Conclusion

Dans ce long article, nous avons proposé une revue (loin d’être exhaustive) des résultats récents de l’économie du climat. S’il n’y a pas vraiment de consensus, ces résultats ont fortement évolué, et la discipline a su progresser en répondant à ses critiques. Il est temps de laisser de côté les controverses sur les anciens résultats de Nordhaus, qu’on aime beaucoup attaquer dans le monde de l’écologie. D’une part, celui-ci a su présenter au grand public une image nuancée de ses résultats, dont on surestime probablement l’influence. D’autre part, la discipline a largement avancé sans lui : les résultats récents sont à la fois beaucoup plus bas, rejoignant en cela les objectifs de l’accord de Paris, et souvent construits sur une philosophie du coût/efficacité très éloignée.

Il y a aujourd’hui un débat intense autour de la mise à jour du coût social du carbone par l’administration Biden aux Etats-Unis, qui est une excellente illustration de l’importance de ce domaine de recherche : il s’est traduit par de nombreuses prises de positions publiques sur la méthode, les hypothèses, et la philosophie qui se cachent derrière ce chiffre.

Merci pour leur relecture à Bonpote, Greg De Temmerman, Arnaud Perigord et tous nos relecteurs !

[1] Pour illustrer cette diversité, parmi les très nombreuses publications récentes en économie de l’environnement, on peut trouver :

[2] Qui dit indicateur dit réflexions sur son intérêt et ses limites, comme Kesicki 2011, Kesicki & Strachan 2016 ou Huang et al. 2016. Notons aussi que cette approche ne compte généralement pas les mesures de sobriété, qui ne sont pas à proprement parler des coûts.

[3] Ce graphique estime les coûts pour 2030. Dix ans après sa publication les auteurs constatent qu’ils ont largement surestimé les coûts des renouvelables et du gaz, mais aussi sous-estimé ceux du nucléaire ou de la capture du carbone.

[4] élasticité de l’utilité marginale de 1.5, PIB / habitant 10 fois supérieur

[5] D’autres articles récents arrivent à des conclusions similaires avec des raisonnements différents, comme Dietz et Stern 2015 ou Glanemann et al. 2020.

[6] Howard et Sylvan ont aussi réalisé un sondage en 2020 qui donne des résultats beaucoup plus élevés. Pour 2035 le coût social du carbone obtenu est entre 454$ et 1557$, avec une moyenne à 680$. C’est trois fois le résultat de leur étude de 2015 ou des résultats de Hansel et al., qui en sont proches ! Notons aussi que le résultat mis en avant est désormais par plage, ce qui donne une meilleure mesure de l’incertitude. Comment l’interpréter, les économistes ont-ils changé radicalement leurs évaluations en 5 ans ? Prudence : la différence provient non pas des avis sur les dommages ou les taux d’actualisation, qui n’ont que peu évolué, mais principalement de méthodes différentes pour prendre en compte la diversité des réponses et comptabiliser le risque catastrophique

[7] Au-delà de Nordhaus, de nombreux économistes ont participé au débat public sur les politiques climatiques. Nous ne rentrons pas plus en détail ici sur leurs prises de position : à la fois ce sont des actions de nature politique, mais qui peuvent aussi relever de positions complexes nettement plus nuancées que leurs participations au débat public, dont il faudrait analyser les bases scientifiques. Parmi eux Tol (qui a largement critiqué le GIEC et la cible des deux degrés), Gollier (dont Emmanuel a critiqué le livre grand public), ou Stern (qui a dans son rapport fait des choix d’ordre éthique loin de ce que la majorité des économistes auraient recommandé à l’époque).


Économie du climat : où en est-on depuis Nordhaus ? was originally published in Enquêtes écosophiques on Medium, where people are continuing the conversation by highlighting and responding to this story.

29.12.2020 à 13:50

Notes de lecture : une planète trop peuplée ? par Ian Angus et Simon Butler

Emmanuel Pont

Texte intégral (1364 mots)

Notes de lecture : une planète trop peuplée ? par Ian Angus et Simon Butler

J’ai notamment écrit mon article sur la démographie et le climat après avoir été déçu par les livres sur le sujet, qu’ils soient argumentativement indigents ou qu’ils évitent les questions qui fâchent. C’est donc avec grand plaisir que j’ai découvert la recommandation de Loic Giaccone d’un livre enfin à la hauteur.

Une planète trop peuplée ?” a été écrit en 2011 par Ian Angus et Simon Butler. Les auteurs sont journalistes et activistes, respectivement canadien et australien. Ce sont deux vieux routards de l’écologie, qui ont beaucoup écrit par ailleurs et qu’on peut rattacher au courant écosocialiste.

Si j’en fais une note, c’est que ce livre m’a laissé un sentiment très contrasté : il regorge d’informations et de réflexions passionnantes tout en étant régulièrement doctrinaire et peu rigoureux.

Déjà si vous n’êtes pas écosocialiste, marxiste, anticapitaliste, ou proche idéologiquement, vous jetterez probablement assez vite le livre par la fenêtre tant il considère comme présupposées des idées et valeurs qui, en pratique, ne sont pas si partagées. Si vous l’êtes, vous adhérez probablement déjà aux principales conclusions du livre !

D’autre part si vous êtes persuadés de l’importance de la démographie ou sans avis arrêté sur la question, et que le point précédent ne vous a pas fait fuir, ne comptez pas sur ce livre pour vous convaincre par ses arguments. Le raisonnement sur les effets des évolutions de population sur la pollution future, qui occupe la grande majorité de mon article, est expédié en 4 pages peu après la moitié du livre, et le reste est éparpillé au fil des chapitres. Il suit ainsi une structure militante :

  1. Annoncer ses conclusions
  2. Nommer et décrire l’ennemi : les “populationnistes”
  3. Expliquer rapidement pourquoi c’est l’ennemi et comment on arrive aux conclusions initiales

Ne comptez donc pas sur ce livre pour :

  • des chapitres qui répondent vraiment à la question de leur intitulé
  • des “démonstrations” au sens logique : les réflexions sont pour la plupart de simples affirmations et on croule sous les amalgames et généralisations à peine illustrés par un exemple
  • des raisonnements numériques pour appréhender les ordres de grandeur en jeu (limités à quelques citations ponctuelles sur certains sujets qui, par ailleurs, commencent à dater, le livre ayant été écrit en 2011)
  • des références scientifiques : la grande majorité des “références” sont des citations de penseurs écosocialistes ou marxistes
  • une présentation équilibrée du contexte historique, qui est très parcellaire et soigneusement sélectionnée. On frôle dangereusement le conspirationnisme tout au long du chapitre sur l’histoire du contrôle de la population

Ce fut très difficile pour moi d’oublier ces défauts : j’ai une philosophie exactement inverse pour mes articles, j’essaye de me rapprocher de la démarche scientifique en explicitant le plus possible mes sources, raisonnements et choix. En particulier, reprocher aux populationnistes leurs conclusions hâtives (à raison) est beaucoup moins convaincant quand on s’y adonne aussi volontiers. La plupart des pages de mon livre ressemblent donc à ceci :

Ce second problème est évidemment lié au premier : nul besoin d’être rigoureux quand on ne s’adresse vraiment qu’aux gens qui sont déjà d’accord. Les auteurs écrivent probablement comme ils en ont l’habitude dans leurs articles, pour des revues écosocialistes visant un public très engagé.

J’ai envisagé d’analyser de manière détaillée les arguments du livre comme je l’ai fait, par exemple, pour Gollier, mais c’est en fait beaucoup trop long si on veut bien le faire, pour un public très réduit (les gens qui ont lu le livre). Je regrette un peu de ne pas l’avoir entrepris pour The Divide de Jason Hickel, qui m’a laissé exactement la même impression.

Il reste néanmoins une abondance de réflexions passionnantes pour quiconque s’intéresse au sujet :

  • une lecture très pertinente de Malthus comme défenseur d’un certain ordre social inégalitaire, et qui n’est absolument pas malthusien au sens actuel du terme
  • l’analyse de l’histoire récente du populationnisme, notamment les tentatives de prise de contrôle de certains mouvements écologistes aux US
  • l’histoire douloureuse du contrôle des populations, qui s’est toujours traduite par une oppression envers certaines populations ou classes sociales
  • les liens politiques forts entre courants populationnistes et courants anti-migrants, discours mis en avant notamment pour diviser les mouvements écologistes
  • les implications politiques cachées des concepts courants comme la capacité de charge
  • les limites des équations comme Kaya/IPAT, qui escamotent tous les problèmes systémiques autour de l’écologie, en particulier l’importance du pouvoir économique et politique par rapport à la consommation individuelle

Globalement c’est une repolitisation bienvenue d’un sujet complexe, où des choix de société s’imposant principalement aux plus pauvres sont présentés à tort comme des évidences scientifiques par les “populationnistes”. Le livre analyse très pertinemment les présupposés de ces raisonnements et les conséquences politiques de ces choix. Je nuancerais un peu leur conclusion : le contrôle démographique a toujours été et est encore en grande majorité un outil de contrôle social, caché derrière de bonnes intentions fourvoyées.

Bilan : sur le plan politique c’est effectivement le meilleur livre que j’ai lu sur la question de la démographie et de l’environnement. En revanche, en termes de communication, je pense que c’est une occasion manquée fort regrettable : ce livre est illisible pour 90% du public, et il ne convaincra personne alors que tout le matériau était là.

La bonne nouvelle : ce livre m’a donné assez de pistes et a assez fait progresser ma réflexion sur le sujet pour que je puisse enfin enrichir la partie politique de mon article sur la démographie, qui était jusqu’ici très légère. Ce sera pour la prochaine version de l’article. Et, peut-être, un livre un peu plus tard !


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