24.12.2025 à 10:38
Mr Mondialisation
Et si la transition écologique commençait autour d’une table, d’un jardin et d’un café partagé ? À Nogent-le-Rotrou, au cœur du parc naturel régional du Perche, existe la Maison partagée, un lieu vivant où se tissent solidarité, dignité et écologie du quotidien. Ici, cultiver, cuisiner et créer ensemble devient une manière simple et joyeuse de […]
The post Nogent-le-Rotrou : la transition écologique se cultive à la Maison partagée first appeared on Mr Mondialisation.À quelques minutes d’un grand quartier de logements sociaux, la cité des Gauchetières, un quartier de grands ensembles construit en 1955, aujourd’hui classé quartier prioritaire, se trouve la Maison partagée. La Maison partagée est un ancien espace de vie sociale de la ville de Nogent-le-Rotrou, mis à disposition de l’association ATD (Agir Tous pour la Dignité) Quart Monde.
Ateliers couture, musique, relaxation, poésie, écriture, théâtre, éducation populaire, cuisine, petit marché… Quotidiennement, depuis 2021, un ou plusieurs ateliers sont animés, la plupart du temps bénévolement, par des personnes dont certaines ont une longue histoire de précarité ou de pauvreté, parfois coanimés avec le syndicat de traitement des déchets, un atelier de menuiserie associatif, ou encore des producteurs locaux, etc.
Les usager·es de cette Maison partagée viennent parfois simplement pour boire un café, se remonter le moral, rencontrer d’autres… ou parce qu’il y fait plus chaud que chez elles l’hiver et plus frais l’été. Une magnifique cuisine y a été conçue et réalisée par les usagers eux-mêmes avec un artisan menuisier, afin d’en faire un bel espace où il y a plaisir à se retrouver pour cuisiner ensemble. À quelques centaines de mètres, en contrebas, se trouve un jardin collectif.
Et à partir du fait de cultiver, de cuisiner et de manger ensemble, sont abordés plein de sujets liés à l’alimentation : la santé, le lien avec la nature et l’écologie, le cadre de vie, l’accès aux droits essentiels, le fonctionnement des industries alimentaires, etc. En fait, l’écologie y est vécue simplement, sans forcément en parler avec de grands mots.
Oui, la « transition écologique » est possible dans les classes populaires et les autres, pourvu que soient soignées les conditions qui la permettent et pourvu que le « vivre ensemble » accompagne les transformations individuelles… et que tout cela permette d’imaginer des transformations plus globales dans la société. Cette transition peut même être joyeuse, en témoignent les moments de rires, de danses, de sourires qui transparaissent dans les tranches de vie tournées récemment à la Maison partagée.
« C’est une bulle de bienveillance, dit Marc. Quand on est dans un milieu comme ça, ça nous transforme ». Sabine raconte : « C’est un lieu de ressourcement ouvert à toutes et à tous, avec une attention particulière aux gens qui vivent ou qui ont vécu la précarité. » Chantal ajoute : « Dans ce qu’on fait dans le jardin partagé, il y a quelque chose de joyeux, les gens sont bien ».
Les secrets de cette « transition écologique » vécue ensemble ? Pas de recette miracle, mais des ingrédients parmi lesquels : être dans le « faire » (avec le droit à l’erreur) et le « vivre » plutôt que dans le « parler » et dans les approches « éducatives » ; travailler sur les trois niveaux de transformations souhaitées : le personnel, le collectif et le systémique ; accueil inconditionnel et sans étiquettes ; gouvernance transparente et horizontale ; participation de nombreux partenaires (institutionnels, associatifs, producteurs locaux…), avec la préoccupation permanente de la place des personnes les plus précaires ; l’importance des actions culturelles et de partage des savoirs.
La Maison partagée de Nogent-le-Rotrou a la chance de posséder cette dimension politique qu’ATD Quart Monde a revendiquée dès sa création en 1957. Cette association a donné naissance au Revenu minimum d’insertion (devenu Revenu de solidarité active), à la Couverture maladie universelle (devenue Complémentaire santé solidaire), aux Territoires zéro chômeur de longue durée, etc.

Quels changements systémiques la Maison partagée et d’autres lieux semblables vont-ils susciter dans les années qui viennent ? À l’heure où les enjeux écologiques divisent plus qu’ils ne rassemblent, ces lieux méritent d’être mieux connus et soutenus.
La Maison partagée a bénéficié de subventions du Conseil régional et d’une fondation en 2021-2025. En 2026, elle peut continuer de compter sur ses nombreux bénévoles, mais recherche aussi de nouveaux moyens financiers pour envisager l’embauche d’un·e salarié·e à temps partiel pour assurer la coordination du projet et les liens avec les partenaires locaux et de nouveaux chantiers partagés ainsi que des évènements ouverts à toutes et tous : ateliers de création artistique, projections de films, spectacles, fabrication de pain au four à bois, ateliers autour de la santé, cours de musique ouverts à tous·tes.
Pour contribuer à l’incroyable dynamique de vie partagée démarrée il y a quatre ans à Nogent-le-Rotrou, un crowdfunding est actuellement en cours sur Hello Asso. La Maison partagée étant une association d’intérêt général, les dons peuvent donner lieu à une réduction fiscale si vous êtes imposable.

Par contacter la Maison partagée par mail : lamaisonpartagee@protonmail.com ; Pour la suivre sur les réseaux sociaux :
– Les usagers de la Maison partagée
Photo de couverture : La serre installée en 2022. Source : Labo de l’ESS.
The post Nogent-le-Rotrou : la transition écologique se cultive à la Maison partagée first appeared on Mr Mondialisation.23.12.2025 à 05:00
Elena Meilune
Alors que le génocide à Gaza se poursuit et que la guerre en Ukraine redessine les rapports de force en Europe, la désinformation est devenue un pilier central de la légitimation des projets colonialistes. Qu’ont en commun Israël et la Russie dans leur manière de manipuler l’opinion publique et de remodeler le réel à leur […]
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Depuis une dizaine d’années, les opérations d’influence numérique ont muté en un véritable champ de bataille géopolitique, où États, entreprises privées et mercenaires de l’information se disputent l’attention publique. Des usines à trolls russes aux sociétés israéliennes spécialisées dans la manipulation politique, un écosystème industrialisé, opaque et transnational s’est imposé. Ses effets sont visibles partout : fragmentation du débat, polarisation extrême, brouillage systématique de la réalité.
En Russie comme en Israël, la réécriture de l’histoire sert une finalité impérialiste : déshumaniser les victimes, délégitimer toute résistance et assimiler les opposants à des figures menaçantes afin de justifier l’usage massif de la violence d’État.
En Russie, cela passe par la criminalisation de tout discours critique sur les crimes de guerre, la réhabilitation officielle d’un récit nationaliste glorifié, et l’usage systématique de l’accusation de « nazisme » contre l’Ukraine pour légitimer l’invasion. En Israël, cela se traduit par la négation de massacres de civils, la production de récits sécuritaires présentant toute résistance palestinienne comme un « danger existentiel » et l’effacement historique de la Nakba dans les discours institutionnels.
Du côté de la Russie, toute critique de la guerre d’agression est dénoncée comme un soutien aux « nazis ukrainiens », un levier rhétorique destiné à étouffer la dissidence et à neutraliser toute opposition démocratique. Pour ce qui est d’Israël, les dénonciations de l’occupation et des massacres sont assimilés à de l’antisémitisme, dans le but de rendre politiquement suspecte toute dénonciation de la violence coloniale.
Si les contextes historiques ne sont pas les mêmes, la fonction politique de ces accusations est très similaire : elles visent à neutraliser moralement les violences, à verrouiller l’espace du dicible et à empêcher toute remise en cause des rapports de domination.
De nombreuses enquêtes indépendantes mettent en lumière une mécanique récurrente : bots, faux comptes, influenceurs rémunérés et firmes de désinformation travaillent main dans la main pour amplifier des narratifs politiques, étouffer les voix dissidentes et saturer l’espace d’expression public. Ces dispositifs exploitent les failles structurelles des plateformes tout en alimentant un marché global de la manipulation, devenu une industrie lucrative.
Comprendre ces mécanismes est indispensable pour saisir comment s’installent aujourd’hui les nouvelles formes de propagande d’État et de domination politique.
L’Internet Research Agency (IRA), fondée en 2013 à Saint-Pétersbourg et dirigée par l’oligarque Evgueni Prigojine (opérant dans une proximité fonctionnelle avec le Kremlin) est l’un des appareils de manipulation numérique les mieux documentés à travers le monde.
Ses activités – révélées par des médias et confirmées par l’acte d’inculpation Mueller (2018) concernant l’ingérence russe visant à aider Donald Trump lors de l’élection américaine de 2016 – montrent une structure industrielle mobilisant plusieurs centaines d’employé·es, faux médias, réseaux sociaux et infiltration de débats étrangers. L’IRA incarne la professionnalisation des anciennes « mesures actives » soviétiques à l’ère des plateformes sociales.

Les travaux du DFRLab (institut de recherche sur la désinformation et les violations des droits de l’homme) démontrent que l’IRA combinait faux comptes, ciblage politique, trolls humains organisés en équipes, amplification automatique et fabrication de récits identitaires ou conspirationnistes.
L’objectif documenté n’était pas tant de convaincre que de désorienter : créer du doute, polariser, affaiblir la confiance dans les institutions, et soutenir les intérêts géopolitiques russes – de l’annexion de la Crimée à l’invasion de l’Ukraine. Le DFRLab a notamment documenté la production systématique de faux articles, de vidéos manipulées et de milliers de posts visant à justifier l’agression russe, dénigrer l’Ukraine ou saper le soutien occidental.
Malgré la dissolution de l’IRA en 2023, d’autres structures poursuivent aujourd’hui le déploiement massif de cette machine de manipulation. Les méthodes restent identiques : multiplication de faux médias, exploitation des fractures sociales, diffusion de narratifs pro-Kremlin et saturation de l’espace public pour entraver la compréhension des faits.
L’opération Secondary Infektion désigne une opération de désinformation russe active de 2014 à 2020, attribuée à un réseau russe encore non identifié, qui constitue l’une des campagnes de désinformation les plus vastes jamais documentées. Elle a permis de diffuser des milliers de faux contenus – articles inventés, documents falsifiés, fuites manipulées – dans au moins 7 langues et sur plus de 300 plateformes, des réseaux sociaux majeurs aux blogs marginaux. Sa particularité : l’usage systématique de comptes jetables, créés pour une seule publication puis abandonnés, rendant son attribution particulièrement complexe.
Les narratifs récurrents visaient avant tout l’Ukraine, mais aussi l’Union européenne, l’OTAN et les États-Unis, tout en attaquant journalistes, opposant·es et critiques du Kremlin. Les chercheur·euses ont également identifié des contenus racistes, notamment islamophobes, destinés à attiser les tensions internes en Europe. L’objectif stratégique était constant : désorganiser les sociétés démocratiques, fracturer les solidarités internationales et miner la confiance dans les institutions – au service des intérêts géopolitiques du Kremlin.
Contrairement à la Russie, Israël ne dispose pas d’une usine étatique de désinformation comparable à l’IRA mais les enquêtes publiées depuis plusieurs années ont révélé un écosystème privé très structuré, composé d’entreprises de cyber-influence, de consultants politiques et d’anciens officiers issus des unités de renseignement. Ces acteurs, opérant pour des clients étrangers comme pour des sphères proches du pouvoir israélien, constituent une véritable industrie de la manipulation numérique.
L’enquête internationale Story Killers (2023) expose Team Jorge – société spécialisée dans la désinformation sur les réseaux sociaux – dirigée par l’ex-agent Tal Hanan, qui proposait : des milliers de faux comptes automatisés (AIMS) comme outil de manipulation massif, des interventions clandestines dans plus de 30 élections, des campagnes de désinformation et de harcèlement ciblé contre opposants et journalistes. Ces opérations démontrent l’existence d’un savoir-faire israélien exporté, capable d’influencer des processus démocratiques étrangers à grande échelle.
Depuis 2020, plusieurs investigations documentent des campagnes coordonnées opérant depuis Israël pour défendre l’armée, attaquer ONG et journalistes, et saturer l’espace critique : réseaux de faux comptes et campagnes de harcèlement visant journalistes palestiniens et israéliens critiques, groupes structurés diffusant des narratifs pro-armée pendant les opérations militaires, opérations ciblées contre des ONG telles qu’Amnesty et HRW après leurs rapports sur l’apartheid.
Ces réseaux ne relèvent pas officiellement de l’État mais agissent de manière coordonnée avec les intérêts politiques du gouvernement, notamment lors des crises militaires. Des enquêtes ont mis en lumière une frontière poreuse entre secteur privé, anciens militaires et pouvoir politique. Une porosité qui facilite l’externalisation de la guerre informationnelle à des acteurs privés, créant une zone d’impunité opérationnelle.
La manipulation de l’information n’est plus l’apanage des États : elle constitue désormais un marché globalisé, alimenté par des sociétés privées opérant en Europe, aux États-Unis, en Afrique ou en Inde. De nombreuses enquêtes ont révélé l’existence d’un véritable secteur international de mercenaires numériques, proposant faux comptes, ingérence électorale, sabotage d’opposants et campagnes d’astroturfing à des gouvernements, partis politiques ou entreprises.
De nombreuses investigations montrent que ces dispositifs servent très fréquemment – et de manière structurelle – les forces politiques d’extrême-droite, qui sont les principales bénéficiaires des narratifs polarisants qui s’accordent parfaitement avec les logiques de viralité algorithmique. Ces opérations contribuent ainsi à amplifier massivement leur visibilité, à désorganiser les contre-pouvoirs et à consolider leur implantation politique.
Cette prolifération illustre la transformation de la guerre de l’information en industrie capitaliste lucrative, où les services de manipulation – autrefois clandestins – s’achètent désormais comme n’importe quelle prestation. Les entreprises qui contrôlent les plateformes ont construit un modèle économique fondé sur la maximisation du temps d’écran, ce qui rend structurellement la polarisation rentable. La financiarisation de l’attention et l’absence de régulation internationale permettent à ces acteurs privés de fonctionner à grande échelle, avec une opacité quasi totale.
Dans cet environnement dérégulé, la désinformation n’est plus une anomalie : elle devient une conséquence logique du marché, structurée par des incitations économiques qui valorisent le choc, la polarisation et la production industrielle du mensonge.
Les campagnes de manipulation numérique reposent en grande partie sur des bots, programmes capables de publier, liker ou relayer du contenu à grande vitesse. Leur fonction n’est pas d’argumenter mais d’amplifier artificiellement un narratif : gonfler un hashtag, imposer un « spam narratif », ou simuler un soutien populaire (astroturfing).
Ces bots se repèrent souvent par des signatures mécaniques : rythme de publication identique, absence d’interactions authentiques, répétition des mêmes messages, profils incomplets, photos génériques ou dupliquées. Leur puissance réside dans la quantité : quelques milliers de comptes automatisés suffisent à donner une illusion de consensus.
Dans de nombreux pays, y compris la Russie, des travailleurs de clic sont engagés pour incarner la propagande. Structurés en équipes, avec des rotations et des quotas, ils diffusent, répliquent, incitent, assaillent et maintiennent des discussions factices. Ils ont un rôle primordial : fournir à la machine une texture humaine, plus plausible que des robots.
Ces trolls, qui sont souvent dans une situation précaire, étudiants ou employés mal rémunérés, ou encore personnes partageant des idéologies similaires, ont tendance à suivre les scénarios narratifs proposés par leurs superviseurs. Ce modèle est bien documenté par les enquêtes sur l’Internet Research Agency, par l’investigation Story Killers, et par les analyses du DFRLab.
Un segment croissant du marché de la manipulation repose sur des micro-tâches achetées sur des plateformes de travail à la demande comme Fiverr, Upwork ou Clickworker : likes, commentaires, avis, participation artificielle à un débat. Plusieurs enquêtes ont montré que ces tâches, rémunérées quelques centimes, sont massivement utilisées pour gonfler artificiellement la visibilité de narratifs politiques. Cette externalisation discrète permet d’acheter de la « participation politique » comme un service, brouillant encore davantage la frontière entre interactions humaines authentiques et opérations orchestrées.
Une portion de l’efficacité de ces opérations découle du fait que des personnes lambda finissent par embrasser les récits élaborés par les dispositifs de propagande, dans un contexte de défiance profonde dans lequel elles se déploient. Dans de nombreux pays, les gouvernements ont accumulé mensonges, dénis, déclarations contradictoires et gestion opaque des crises – autant de pratiques qui ont sapé la légitimité des institutions aux yeux d’une grande partie de la population.
Cette crise de confiance a donné naissance à un terrain d’autant plus vulnérable aux récits simplistes, manichéens ou conspirationnistes. Quand les institutions mentent, d’autres voix – même fallacieuses – deviennent plus crédibles.
Sur ce terrain fragile et incertain, les mécanismes psychologiques jouent un rôle indéniable : biais de confirmation, besoin d’appartenance à un groupe, épuisement cognitif face au flux d’informations contradictoires. Certaines personnes finissent par adopter pleinement les narratifs diffusés par les campagnes d’influence, jusqu’à devenir des relais zélés de récits mensongers qu’ils ne distinguent plus de la réalité.
Ce phénomène se renforce dans les contextes de précarité, où le ressentiment social devient un vecteur d’adhésion aux récits simplistes proposés par les propagandistes. Ces derniers exploitent cette brèche, s’autoproclamant comme des « contre-pouvoirs », ce qui renforce l’identification de celles et ceux qui rejettent légitimement les pouvoirs en place, et consolide la persuasion.
Les narratifs standardisés produits par ces opérations – relativisation de crimes de guerre, mise en accusation systématique des médias indépendants, inversion accusatoire, recyclage de tropes complotistes – sont répétés quasi à l’identique par ces relais humains.
Une fois convaincus, ces individus multiplient eux-mêmes la diffusion massive, le harcèlement politique et la reproduction spontanée des méthodes de trolls rémunérés. C’est par ce phénomène d’auto-propagation que la désinformation finit par dépasser largement le périmètre des opérations initiales et transforme durablement l’espace public en champ fragmenté.
Le principal objectif des opérations de manipulation n’est pas de convaincre mais de désorienter. Le but est de saturer l’espace public de récits contradictoires, de semer le doute et d’épuiser l’attention. Une confusion structurée qui entraîne une dépolitisation diffuse : les luttes sociales se fragmentent, les solidarités s’érodent et les colères se dispersent au lieu de s’organiser.
Dans ce brouillard, les discours racistes, misogynes, islamophobes et colonialistes prolifèrent allègrement, d’autant plus que les algorithmes privilégient les contenus polarisants et émotionnels, renforçant la visibilité de ces narratifs.
Cette dynamique profite avant tout aux pouvoirs autoritaires, qui exploitent la confusion pour délégitimer toute opposition. Leur but est d’affaiblir les contre-pouvoirs et justifier un durcissement sécuritaire. Les médias indépendants, déjà fragiles économiquement, se retrouvent marginalisés dans un environnement où la vérification factuelle n’a presque plus de poids face au flux manipulé qui crée un espace où la vérité n’est plus qu’optionnelle.
La résistance à ces manipulations de masse passe avant tout par un soutien aux médias indépendants qui enquêtent sur les opérations de désinformation et produisent des preuves vérifiables. Dans un environnement saturé de propagande, leur travail constitue l’un des rares contre-pouvoirs capables de dévoiler les responsabilités politiques et économiques qui nourrissent ces campagnes.
La création d’espaces numériques auto-organisés, solidaires, féministes, antiracistes et antifascistes permet aussi de réinventer des formes d’expression collective échappant à la logique marchande. Et parce qu’aucune transformation durable n’est possible sans autonomie critique, une éducation populaire aux techniques de manipulation – accessible et émancipatrice – devient un outil central d’autodéfense.
Car la propagande numérique n’est pas une fatalité : elle prospère sur des choix politiques, sur l’opacité des plateformes et la marchandisation de l’attention. Reconstruire un Internet réellement démocratique, c’est lutter pour un espace public fondé sur la justice, la vérité et la dignité humaine – et refuser de laisser la manipulation définir notre horizon collectif.
– Elena Meilune
Photo de couverture : Andrea Piacquadio. Pexels
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Mr Mondialisation
C’est la période des fêtes de fin d’année, et de multiples repas de famille s’organisent. À cette occasion, il peut arriver qu’un florilège de propos réactionnaires rythme le cours des retrouvailles. Mr Mondialisation vous offre cinq arguments pour les contrecarrer. En 2022, Mr Mondialisation expliquait déjà comment répondre à des discours climatosceptiques, pro-chasse, sexistes, anti-végane et anti-écolo. […]
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En 2022, Mr Mondialisation expliquait déjà comment répondre à des discours climatosceptiques, pro-chasse, sexistes, anti-végane et anti-écolo. Trois ans plus tard, voici une nouvelle salve de sujets, avec cette fois-ci : l’immigration, le passéisme, la liberté d’expression, les « assistés » et le Rassemblement National.
Véritable lubie de l’extrême droite, l’immigration et l’islam reviennent inévitablement sur la table, comme s’ils étaient coupables de tous les maux du pays. L’étranger volerait les emplois (tout en refusant de travailler pour toucher les aides…), serait responsable de la délinquance et voudrait imposer sa religion.
Or, il est factuellement faux de dire que la France est submergée par l’immigration. Depuis 2017, l’immigration est stable et équivaut à environ 25 à 30 personnes en plus par an pour 10 000 habitants. Cela représente une moyenne de moins de six résidents supplémentaire par commune française.
Et contrairement à certaines croyances, l’immigration rapporte de l’argent. Se fier à des rumeurs, c’est tout sauf scientifique. Aussi, une situation particulière n’est pas la réalité du pays. Toutes les études démographiques réfutent d’ailleurs la théorie raciste et complotiste du « grand remplacement ».
Deux articles pour approfondir :
– Musulmans, boucs émissaires de la « République »
– Sortir de la haine : 5 préjugés infondés sur l’immigration
Qui n’a jamais entendu quelqu’un affirmer que « tout allait mieux avant », que ce soit sur l’école, le travail, la sécurité ou les relations sociales ? Cet argument revient de génération en génération, souvent sans jamais préciser quand était ce fameux « avant », ni pour qui il était réellement meilleur.
Le « c’était mieux avant » repose à la fois sur un biais de mémoire bien documenté et sur une nostalgie d’un ordre social ancien, dans lequel certaines catégories dominaient davantage qu’aujourd’hui.
D’un côté, les sciences cognitives ont mis en évidence ce que les psychologues appellent la rosy retrospection (biais de rétrospection positive) : nous avons tendance à mieux nous souvenir des aspects positifs du passé que des négatifs, tandis que le présent est perçu à travers ses difficultés immédiates. Ce mécanisme est largement étudié en psychologie (notamment par Daniel Kahneman et Endel Tulving) et explique pourquoi chaque génération a le sentiment que « son époque » était plus simple ou plus agréable.
Mais réduire cet argument à un simple biais psychologique serait insuffisant. Car lorsque certaines personnes disent que « c’était mieux avant », elles regrettent souvent un rapport de domination aujourd’hui remis en question. Dans le passé, de nombreux groupes — femmes, personnes racisées, classes populaires, personnes LGBTQIA+ — disposaient de moins de droits, moins de visibilité et moins de moyens de contestation. Ce qui est vécu comme un « déclin » par certains correspond en réalité à une perte de privilèges : davantage d’égalité, de droits et de voix pour celles et ceux qui en étaient privés.
Autrement dit, si « avant » semblait plus confortable, c’est souvent parce que l’ordre social profitait davantage à une minorité, au détriment du reste de la société. Le progrès social n’est ni linéaire ni parfait, mais il a permis des avancées majeures en matière de droits, de santé, d’éducation et de libertés individuelles — avancées que le discours passéiste tend à invisibiliser.
Un article pour approfondir : C’était mieux avant ? Décryptage d’un mythe
Lorsque quelqu’un osera reprendre une personne qui profère des propos discriminants, l’inévitable « on peut plus rien dire » reviendra immanquablement sur le devant de la scène. Ainsi, en se cachant derrière la liberté d’expression, chacun serait libre de faire ce qu’il souhaite.
L’idée selon laquelle « on ne peut plus rien dire » est souvent utilisée comme une formule passe-partout pour justifier des propos blessants ou discriminatoires. En réalité, la liberté d’expression n’est pas un droit absolu : elle connaît des limites prévues par la loi lorsqu’elle porte atteinte à la dignité d’autrui ou incite à la haine.
En droit français, la liberté d’expression est consacrée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et protégée par la Convention européenne des droits de l’homme, mais cet exercice comporte aussi des devoirs et des responsabilités ; des restrictions sont jugées nécessaires pour protéger d’autres droits fondamentaux et l’ordre public.
Concrètement, les propos racistes, xénophobes, antisémites ou discriminatoires ne sont pas considérés comme de simples opinions protégées, mais peuvent constituer des délits. La loi française — notamment la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse — punit la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, l’injure et la diffamation à caractère raciste ou discriminatoire, ainsi que d’autres infractions connexes lorsqu’ils sont exprimés publiquement.
La jurisprudence française montre que ces limites à la liberté d’expression sont appliquées en tenant compte de leur caractère proportionné, conformément à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui autorise des restrictions « nécessaires dans une société démocratique ».
Un article pour approfondir : Non, chacun ne fait pas « bien ce qu’il veut »
Certains sondages et médias le proclament, le Rassemblement National serait bientôt au pouvoir présidentiel. Les réacs s’en réjouissent car selon eux « Jordan Bardella ou Marine Le Pen régleront très vite les problèmes de la France ».
Si le caractère raciste et discriminatoire du Rassemblement national peut être établi sans difficulté, cet argument peut être inopérant si votre cousin, tonton, tata, belle-soeur ou autre réacs adhèrent eux-même à l’idéologie raciste.
En revanche, établir la nature antisociale du parti peut fonctionner. Rien de plus simple que rappeler les votes du RN à l’Assemblée : contre la retraite à 60 ans, l’augmentation du SMIC, la taxation des plus riches et pour la destruction des services publics et des droits des travailleurs.
Trois articles pour approfondir :
– « Le RN, on n’a jamais essayé » Vraiment ?
– 8 preuves que le RN est toujours d’extrême droite
– Smic, chômage, retraite : le visage antisocial des droites identitaires
Tout irait mal en France à cause des « assistés », ces fameuses personnes qui « profiteraient du système » pendant que les honnêtes travailleurs se tueraient à la tâche. Et il ne faudrait surtout pas s’attaquer aux plus riches, qui, eux, mériteraient leurs revenus, obtenus à la sueur de leur front.
Or, les gens qui perçoivent des aides sociales vivent dans des conditions extrêmement précaires, et ce n’est pas du tout un luxe. Ces aides sociales pèsent relativement peu dans les dépenses publiques. Le RSA coûte, par exemple, 12 milliards par an, bien peu en comparaison des 100 milliards de fraudes fiscales ou des 211 milliards d’aides aux entreprises.
La réussite économique ne repose pas uniquement sur le travail individuel. Elle dépend aussi de mécanismes structurels et de politiques publiques dont profitent, y compris les plus grandes fortunes, certaines bénéficiant de soutiens financiers publics malgré des niveaux de richesse sans équivalent.
Quatre articles pour approfondir :
– « France des assistés » : 9 arguments contre ce préjugé
– Pourquoi la méritocratie n’est qu’une illusion
– Syndrome du larbin : les pauvres qui défendent les bourgeois
– Et si on arrêtait de sanctifier les ultra-riches ? 5 mythes à déconstruire
De quoi passer les fêtes plus sereinement !
– Simon Verdière
Photo de couverture de Nicole Michalou. Pexels.
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Simon Verdiere
Vous n’avez pas eu le temps de suivre l’actu ? Voici 10 bonnes nouvelles à ne surtout pas manquer cette semaine. 1. Nouvelle ère pour l’ARNm contre le cancer : cibler les cellules malades, épargner les saines Des chercheurs ont conçu une thérapie ARNm « intelligente » qui s’active seulement dans les cellules cancéreuses grâce […]
The post Découvertes, solidarité, train : les 10 bonnes nouvelles de la semaine first appeared on Mr Mondialisation.1. Nouvelle ère pour l’ARNm contre le cancer : cibler les cellules malades, épargner les saines
Des chercheurs ont conçu une thérapie ARNm « intelligente » qui s’active seulement dans les cellules cancéreuses grâce à leurs signaux propres, réduisant les effets sur les tissus sains. Les tests sur des souris montrent une réduction tumorale significative, promettant des traitements plus précis et mieux tolérés si cela se confirme chez l’humain. (Futura-Sciences)
2. Ariane 6 remet l’Europe dans la course spatiale
La fusée européenne Ariane 6 a placé en orbite deux satellites Galileo depuis Kourou, renforçant la constellation européenne et affirmant l’autonomie de l’UE pour accéder à l’espace sans dépendre de puissances étrangères ou de lanceurs privés. Un pas stratégique pour la souveraineté technologique européenne. (La 1ère)
3. Guadeloupe : Plus de 100 espèces inconnues découvertes
Sur des îles méconnues de l’archipel, des scientifiques ont identifié une centaine de nouvelles espèces animales et végétales. Une renaissance de biodiversité qui rappelle combien il est crucial de protéger ces écosystèmes face au changement climatique et à la destruction des habitats. (Libération)
4. Victoire citoyenne en Slovénie : l’eau reste bien commune
Face à une tentative de privatisation par le gouvernement conservateur, une initiative citoyenne a déclenché un référendum où une large majorité des électeurs a dit non aux changements menaçant la protection de l’eau et son statut de bien public. C’est une victoire de la démocratie directe et des communs face aux logiques de marché. (La relève et la peste)
5. Kfarabida : site de l’âge du Bronze sauvé et révélé au musée
À Kfarabida (Liban), un site archéologique de l’âge du Bronze menacé a été préservé in extremis et ses découvertes sont désormais exposées au Musée national. Une victoire pour la préservation du patrimoine culturel qui enrichit notre compréhension de l’histoire ancienne. (L’orient le jour)
6. Révolution ferroviaire : la France pourrait sauver la moitié des lignes menacées de fermeture grâce à la « ferromobile », une voiture hybride capable d’utiliser les voies. Une victoire pour le rail rural, la cohésion territoriale et la mobilité durable. (Le Parisien)
7. Budget 2026 : la CMP explose en vol
La commission mixte paritaire chargée de trouver un compromis sur le budget 2026 a tourné court en quelques minutes, sans accord entre députés et sénateurs. Sans compromis, le gouvernement pourrait bientôt se retrouver censuré. (Huffingtonpost)
8. Réveil communautaire contre l’isolement social aux USA
Dans plusieurs villes des États‑Unis (Baltimore, Akron, Pittsburgh, Kentucky), des groupes locaux restaurent du lien social (fermes urbaines, coopératives, espaces communautaires) pour lutter contre l’isolement et renforcer la solidarité populaire. (apnews)
9. Des villages en Inde protègent leurs forêts
Dans la région de Kumaon (Uttarakhand), des communautés revivent des pratiques ancestrales pour sanctuariser et protéger des forêts, renforçant biodiversité, résilience locale et liens culturels à la terre. (Times of India)
10. UE‑Mercosur : le traité de libre‑échange reporté à janvier
La signature de l’accord UE‑Mercosur, prévue fin décembre après 25 ans de négociations, a été repoussée à janvier 2026 sous la pression des agriculteurs opposés à l’ouverture aux produits sud‑américains. Ce délai ne change rien à l’enjeu : défendre l’agriculture, le climat et les normes sociales face aux logiques libérales du libre‑échange. (Reporterre)
– Simon Verdière
Source photo de couverture : Une femme buvant de l’eau – Par Andrea Piacquado ©Pexels
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Simon Verdiere
Vous n’avez pas eu le temps de suivre l’actu ? Voici les 10 informations à ne pas manquer cette semaine. 1. Pesticides autorisés de façon éternelle : l’UE sacrifie notre santé pour l’agro-industrie En rendant quasi permanentes les autorisations de pesticides, la Commission européenne enterre les contrôles sanitaires. Un cadeau aux lobbies, un danger pour […]
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1. Pesticides autorisés de façon éternelle : l’UE sacrifie notre santé pour l’agro-industrie
En rendant quasi permanentes les autorisations de pesticides, la Commission européenne enterre les contrôles sanitaires. Un cadeau aux lobbies, un danger pour les agriculteurs, la biodiversité et les citoyens. (Reporterre)
2. Parlement européen : scandale écologique et social avec la loi Omnibus
Le Parlement européen a adopté la loi Omnibus, qui affaiblit le Pacte vert et les protections sociales : devoir de vigilance réduit, transparence diminuée, obligations climatiques supprimées. (Vert)
3. Retour de l’extrême droite au Chili : l’opposition s’organise
Après l’élection de José Antonio Kast, fils d’un ancien nazi et admirateur de Pinochet, la gauche et les mouvements sociaux appellent à résister face à un gouvernement qui menace droits sociaux, environnement et démocraties populaires. (Basta)
4. L’UE freine la transition : sursis aux moteurs thermiques malgré l’urgence climatique
La Commission européenne revient sur l’interdiction de vente de voitures à moteur thermique en 2035, assouplissant l’objectif en laissant une part des émissions et des exceptions pour hybrides/combustion, sous pression industrielle et politique. Un recul face à l’urgence climatique qui sacrifie l’ambition écologique pour préserver l’industrie automobile. (Le Monde)
5. Trump sacrifie climat & terres autochtones pour l’IA au charbon
Trump relance l’industrie du charbon, y compris sur des terres Navajo, pour alimenter les centres d’IA, avec le soutien controversé de l’autorité tribale. Un plan qui renforce les fossiles, détruit l’environnement et exploite des communautés déjà marginalisées. (La brèche)
6. TikTok & Reels addictifs : nos cerveaux en danger
D’après une étude, les formats courts exploitent la dopamine, fragilisent attention et concentration, augmentent stress et anxiété. Ce n’est pas juste du temps d’écran, mais un design algorithmique qui façonne nos cerveaux pour le pire. (Synthmedia)
7. L’agriculture dit non au libre‑échange qui détruit la profession
Des agriculteurs et agricultrices de toute l’UE ont convergé vers Bruxelles contre l’accord UE‑Mercosur, les bas prix, la baisse de la PAC et la concurrence déloyale étrangère. Une lutte paysanne qui mêle défense des conditions de vie et critiques des politiques libérales de l’UE. (Le poing)
8. Trump intensifie la pression contre le Venezuela
Pour mettre la main sur les réserves pétrolières du Venezuela, Trump multiplie blocus, sanctions, et actions militaires pour faire tomber Maduro. Une ingérence agressive qui a déjà fait près de 100 morts et qui met en péril la souveraineté vénézuélienne. (L’humanité)
9. L’État abandonne “60 Millions de Consommateurs”, service public vital
Le Sénat a acté la liquidation du magazine indépendant qui testait les produits et alertait sur les dangers sanitaires, au nom d’économies. Privatisation en vue, emplois menacés et moins de contre‑pouvoir face aux lobbies. (Presse-citron)
10. Maire RN de Fréjus jugé pour favoritisme : justice en marche
David Rachline, maire (RN) de Fréjus visé par plusieurs affaires judiciaires, sera jugé en septembre 2026 pour favoritisme dans l’attribution de marchés publics, après mise en examen et perquisitions dans sa mairie, illustrant l’opacité et les privilèges persistants chez l’extrême droite locale. (Libération)
– Simon Verdière
Source photo de couverture : Une centrale à Charbon aux États-Unis – Par Cathy Haglund ©Flickr
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Mr Mondialisation
Alimentée par des réseaux criminels et une corruption endémique, la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) représenterait jusqu’à 19 % des captures mondiales. Elle menace la biodiversité marine et la sécurité alimentaire. Dans un rapport récent, la Fondation de la Mer dénonce un fléau « écosystémique, économique et politique » et appelle à une « […]
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Après avoir exploré l’envers des repas de fêtes, cap sur les profondeurs océaniques où la traque des poissons vire parfois au pillage organisé. Derrière nos assiettes, une course effrénée aux ressources halieutiques pousse des filières à franchir la ligne rouge : celle de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée.
À l’échelle mondiale, le phénomène prend des proportions vertigineuses. Chaque année, près de 80 millions de tonnes de poissons sont pêchées dans le monde, ce sont 26 millions de tonnes de poissons qui sortent de l’eau par la pêche INN (comprendre pêche illégale, non déclarée et non réglementée).
Plus de deux ans de travail et 44 entretiens ont été réalisés avec des experts de la filière pêche. Le rapport de 124 pages dresse un état des lieux détaillé des dangers et des dégâts engendrés par les activités illégales et non réglementées dans nos océans.
« Loin d’être une pêche pirate marginale, la pêche INN est aujourd’hui fomentée par un vaste réseau d’organisations criminelles. La corruption alimente cette dernière, menace la sécurité alimentaire mondiale et participe activement à l’esclavage moderne », prévient l’association.

Comme d’autres domaines de production, le secteur halieutique autrefois limité par des moyens techniques de navigation et de pêche, a connu une forte industrialisation depuis le milieu du XIXe siècle. Fermes aquacoles, équipements technologiques de pointe et navires toujours plus massifs, ont changé la donne. Il s’agit à présent d’une activité dominée par des logiques productivistes étendues à un marché mondialisé.
Sushi, sashimi, fish and chips et autres spécialités nourrissent des millions de consommateurs à travers le monde. Or, ces derniers sont de plus en plus avides de nouveautés aux saveurs iodées et « exotiques ». En moyenne, un individu consomme près de 20 kg de poisson par an. Un chiffre à la hausse dans les pays européens, allant jusqu’à 32kg pour les Français.
Cet appétit grandissant pour les produits de la mer n’est pas sans conséquence pour la biodiversité marine : 38 % des stocks de poissons font l’objet de surpêche actuellement, contre seulement 10% en 1974. Moins d’une dizaine de pays dominent le secteur : Chine, Indonésie, Inde, Pérou, Russie, États-Unis, Vietnam, et Japon… Ils sont responsables d’un peu plus de la moitié des prises (51%).
Pour pallier ces limitations et continuer d’assurer la productivité de leurs activités, certaines parties prenantes n’hésitent pas à franchir la ligne rouge : sous-déclaration des prises par les navires, pêche dans des Zones Économiques Exclusives (ZEE) d’un autre État, montages financiers et stratégiques pour éviter des normes trop strictes… La pêche INN a de nombreux visages.
Avec une réglementation fragmentée, peu appliquée voire absente selon les régions, l’océan semble vaste et difficile à contrôler. Résultat : un business juteux pour les trafiquants, évalué entre 10 et 23 milliards de dollars par an, selon le rapport.
« En Afrique du Sud, les trafiquants échangent ainsi des ormeaux contre de la drogue »
Par ailleurs, les réseaux criminels n’hésitent pas à mutualiser leurs trafics : poissons, drogues et êtres humains transitent parfois sur les mêmes bateaux. « En Afrique du Sud, les trafiquants échangent ainsi des ormeaux contre de la drogue », détaille la Fondation.
Cette économie parallèle ne se limite pas aux seules violations du droit. Elle entraîne aussi « une surexploitation de l’océan » et « détruit l’équilibre des écosystèmes marins », a rappelé Sabine Roux de Bézieux, présidente de la Fondation de la Mer, lors d’une conférence de presse.
Surtout, la pêche illégale constitue « un vol » de ressources et d’opportunités économiques au détriment des populations les plus vulnérables, pour qui la pêche demeure souvent le seul moyen de subsistance et d’apport protéique.
Parmi les pays les plus impliqués, on retrouve largement en tête la Chine, puis l’Indonésie, le Pérou, la Russie, les États-Unis, l’Inde et le Vietnam. Les espèces de poissons les plus prisées des trafiquants sont l’anchois — destiné bien souvent à nourrir les poissons d’élevage — le thon listao et le lieu d’Alaska.
Au Sénégal par exemple, « les pêcheurs locaux subissent un véritable fléau », explique le rapport de la Fondation. « Les industries chinoises de transformation s’installent directement sur site et produisent des quantités supérieures aux quantités de poissons originellement débarquées. Des sociétés-écrans sont aussi créées pour » sénégaliser » les navires de pêche et obtenir facilement les licences de pêche ».
Il s’agit ici d’un pillage injuste qui sévit au large, à l’abri des regards, dont il est également question dans cet article.

Même sur le Vieux Continent, les pratiques de pêche illégale continuent de sévir, notamment en France. « En 2016, quatre braconniers ont été condamnés à verser près de 350 000 euros pour préjudice écologique. Ils avaient prélevé de manière illégale 4,5 tonnes de poissons et de poulpes et plus de 16 000 douzaines d’oursins dans le Parc National des Calanques au large de Marseille », rappelle l’association.
Plusieurs acteurs du monde maritime français s’inquiètent aujourd’hui de la recrudescence des prises accessoires de dauphins dans le golfe de Gascogne. Une étude de l’Ifremer estime que 4 000 à 8 000 dauphins seraient victimes de la pêche chaque année en France.
Que faire pour lutter contre ce fléau ? « Au temps de la prohibition, il faut rappeler qu’Al Capone était tombé par des moyens détournés, pour fraude fiscale, bien loin de ses agissements mafieux. Sur le même modèle, ce rapport propose des préconisations qui pourraient elles aussi faire tomber les auteurs de pêches INN de manière indirecte », assure la Fondation de la Mer.
À ce titre, les auteur·ices du rapport formulent 89 recommandations, qui incluent des volets scientifiques, technologiques, juridiques et politiques. Elles visent à traquer indirectement « les ramifications criminelles » qui accompagnent la pêche illégale.
Elle s’attaqueraient par exemple « à l’état des bateaux et la sécurité des équipages, établissant des bases solides pour des pratiques maritimes responsables », souligne la Fondation de la Mer. Celle-ci espère ainsi assurer la protection des environnements marins et des droits humains.
Finalement, l’organisation préconise la mise en œuvre d’une véritable « diplomatie de la pêche », une responsabilité spécifique qui incombe selon elle à l’Union européenne, la plus grande importatrice de poisson au monde. « Quand on a une puissance de marché, une puissance d’acheteur, il faut l’utiliser pour imposer des règles aux pays d’où on importe les produits de la mer », assure encore Sabine Roux de Bézieux auprès de RFI.
« L’Union européenne a un système de cartons jaunes et rouges qu’elle utilise pour bloquer des pays qui ne mettent pas en œuvre des règlementations pour lutter contre la pêche illégale. Ça fonctionne. La Fondation de la Mer recommande d’utiliser ces cartons d’avantage et que l’Union Européenne impose — aux pays d’où elle importe des produits — les mêmes règles que celles qu’elle impose aux pêcheurs dans ses propres eaux. »

S’il demeure insuffisant, le système semble en effet avoir contribué à améliorer les conditions de pêche dans certaines régions du globe. Le Belize, les Fidji, le Panama, le Togo et le Vanuatu ont par exemple déjà réformé leurs politiques et leurs législations en la matière, après l’obtention d’un « carton orange » des autorités européennes.
–Aure Gemiot
Photo de couverture : L’USCGC Munro effectuant des inspections liées à la pêche INN dans l’océan Pacifique Est. ©Wikimedia Commons
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