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Olivier ERTZSCHEID

Maître de conférences en sciences de l'information

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18.11.2024 à 17:52

Christelle (mange tes) Morançais : Culture Killeuse en Pays de la Loire.

Olivier Ertzscheid

Texte intégral (3381 mots)

Christelle Morançais est la présidente de la région Pays de la Loire. C’est une femme de droite et c’est son droit (plutôt genre très à droite et cela l’est tout autant). Et la région, par la voix de sa présidente, a annoncé une coupe budgétaire tout à fait inédite et ahurissante puisque c’est près de 75% du budget dévolu à la culture et à l’action culturelle qui va être purement et simplement … supprimé. Des crédits qui avaient jusqu’aux dernière semaines, été actés et donc prévus et budgétisés par les acteurs culturels et associations qui avaient sollicité ces financements. Et puis là tout d’un coup : bah 3/4 des budgets annulés.

On connaissait les « cost-killers », on accueille dans la dreamteam des dépeceurs du bien public la Culture Killeuse Christelle Morançais. Là où cela devient (au choix) savoureux ou révoltant, c’est que les économies demandées par l’État à la présidente de Région étaient de l’ordre de 40 millions d’euros (ce qui est déjà colossal). Mais Christelle Morançais n’allait pas s’arrêter en si bon chemin, et elle ajoute donc, de sa propre initiative, une tranche qui fait monter ces économies à 100 millions. Le résultat parmi les « centres de coût » qui vont le plus morfler, c’est donc 75% des fonds alloués à la culture qui seront supprimés dans le budget qui sera voté en Décembre.

Et Christelle Morançais assume. Et Christelle Morançais en est même fière. Et Christelle Morançais s’affiche partout où elle le peut (presse, Twitter, LinkedIn) avec l’argumentaire suivant :

Certains à gauche (ce qui est naturel) et dans la presse (ce qui l’est moins) assimilent les économies que la Région envisage de réaliser – de l’ordre de 100 millions d’euros – à un « choix » ou une « initiative », faisant croire que je me livrerais à une sorte de caprice gestionnaire…
Ceux-là s’acharnent à ne pas vouloir voir la réalité : la situation budgétaire de la France est catastrophique et les perspectives économiques mauvaises.
Dans ce contexte, alors que le Gouvernement ponctionne les collectivités (40 millions sur la Région en 2025) et que la croissance ralentit (et donc que les recettes de la Région, assises sur la TVA, reculent brutalement), faire des économies de fonctionnement, y compris de façon drastique, relève de tout sauf d’un choix ou d’un caprice : c’est une nécessité budgétaire, mais surtout un devoir moral vis-à-vis de nos enfants, de notre capacité à préparer l’avenir et de nos entreprises qui sont, aujourd’hui, en difficultés !
Le seul véritable choix que j’exerce dans cette affaire, et que j’exerce à fond, c’est d’assumer totalement ces économies, de refuser catégoriquement le discours ambiant, où il n’est question que d’augmenter les recettes (donc les impôts), et de voir l’opportunité de nous battre pour être plus efficaces là où nous sommes le plus légitimes et le plus utiles : pour l’emploi, la jeunesse, les transitions.

 

Ok. Hold My Beer. Deux jours avant cette déclaration, toujours sur ses différents comptes en ligne, la même Christelle Morançais ne s’embarrassait pas de nuances en pointant ces associations « très politisées qui vivent d’argent public » et autres militants islamo-gauchisto-wokistophiles (ah bah c’est vrai que tout le monde ne peut pas militer et soutenir la Manif pour Tous, même si elle dit « avoir évolué sur ces questions » du mariage pour tous et de la PMA, faut croire que comme tant d’autres qui ont aussi « évolué » elle devait avoir piscine quand dans ces manifs des débiles en prière invoquaient Dieu pour tuer des PD).

La culture serait donc un monopole intouchable ? Le monopole d’associations très politisées, qui vivent d’argent public. Je suis la cible de militants qui m’accusent de vouloir arrêter les subventions régionales à leurs structures. A moi seule, je voudrais « détruire la culture » (la culture subventionnée, je précise) … Rien que ça ! Mais je m’interroge : quelle est la pérennité d’un système qui, pour exister, est à ce point dépendant de l’argent public (y compris venant de collectivités dont les compétences légales en matière de culture sont très limitées) ; et à plus forte raison quand cet argent public n’existe plus ? Un système dont on constate, en plus, qu’il est, malgré les subventions dont il bénéficie, en crise permanente ! N’est-ce pas la preuve que notre modèle culturel doit d’urgence se réinventer ?  Attention : poser la question, c’est s’exposer à l’habituel procès en « fascisme » ou, c’est à la mode actuellement, en « trumpisme »… Mais j’assume, et cette question, je la pose clairement !

 

Avec l’ouverture d’esprit d’une porte fermée et la capacité au dialogue d’un mollusque mort, la place laissée au débat se résume donc à un procès en accusation de Trumpisme ou de fascisme si l’on à l’outrecuidance d’interroger ou de contester la mise à sac programmatique de toute la politique culturelle d’une région. Et l’on est aussi prié d’inventer un modèle dans lequel la culture serait rentable (alors du coup ça existe, ça s’appelle par exemple le théâtre privé, mais si on ne garde que la partie rentable de l’offre culturelle, bah en effet c’est pas exclu qu’on finisse Trumpisés ou fascistoïdes), et dont on voit bien qu’après la culture, Christelle Morançais aimerait bien aussi que l’école soit rentable, et l’université aussi, et puis l’hôpital tant qu’à faire, et tout un tas d’autres trucs que l’on nomme « communs » ou « services publics » mais qui n’ont pas la délicatesse de fonctionner sur le modèle des agences immobilières qu’elle a fondé et dirigé avec son mari avant de faire de la politique. Notez que moi j’ai rien contre les agents immobiliers, mais faudrait pas qu’elle se mette à avoir avec la culture la même relation que Stéphane Plaza a avec ses compagnes.

On peut penser ce qu’on veut du choix de la Région, de celui de sa présidente, et de l’orientation politique qui le sous-tend, le résultat palpable et concret c’est une mise à mort de la quasi-totalité de la politique d’action culturelle mise en oeuvre (et financée) à cette échelle. Une nécro-politique assumée. Les 3/4 des subventions et aides régionales disparaissant, on a aussi une bonne idée du type d’actions qui continueront d’être financées dans le quart restant (un indice ici) et qui ne manqueront pas de valoriser la part culturelle (ou cultuelle) si chère à la droite conservatrice dont elle est l’une des égéries, dans le sillage d’un Bruno Retailleau dont elle a récupéré le portefeuille lorsque celui-ci s’est fait gauler en flagrant délit de cumul de mandats. La région des pays de la Loire s’est d’ailleurs fait une sorte de spécialité de nommer à la culture des élues passées par un soutien plus qu’actif à la Manif pour Tous, dont par exemple Laurence Garnier qui oeuvra à ce portefeuille pendant 5 années, 5 années qui furent, pour les associations de lutte contre les discriminations, un pur enfer.

Mettre à mort de la sorte un secteur culturel dans son ensemble, le faire aussi brutalement et sans aucun espace de négociation, assumer l’effet domino que cela va produire (les départements et agglomérations, eux aussi soumis à de très fortes contraintes, n’attendaient que le désengagement de la Région pour annoncer à leur tour que « bon bah si la Région ne finance pas, on ne pourra pas financer non plus« ), et le faire avec le cynisme et la posture victimaire qui est celle de Christelle Morançais appelle a minima à une réaction nourrie et qui devrait s’étendre bien au-delà du secteur dit « culturel ». Ces gens n’ont honte de rien et il est évident que fracasser ainsi la politique culturelle dans une région est une politique de terre brûlée scrutée de près par l’ensemble des autres présidents et présidentes de région du même bord que Christelle Morançais (donc également très à droite).

Mais revenons un instant à ses éléments de langage et à la conclusion de sa pathétique homélie. Il s’agirait donc de faire sauter les 3/4 du budget de la culture pour, je cite et souligne « être plus efficaces là où nous sommes le plus légitimes et le plus utiles : pour l’emploi, la jeunesse, les transitions. »

Et là je dis : « Pardon mais mange Tes Morts Christelle, mange bien tes morts Christelle Mange tes Morançais. » Car il faut en conclure que dans l’univers mental ou la vision politique de Christelle Morançais, primo, la culture ne produirait donc aucun emploi, ce qui est tout à la fois très très con et très très faux ; que, deuxio, la culture serait inutile à la jeunesse, ce qui est encore plus con et encore plus faux si tant est que cela soit possible ; et enfin, tertio, que la culture ne permettrait de penser aucune transition (sociale, démographique, écologique, économique, etc.) ce qui atteint un niveau de connerie en face duquel la moindre émission de Cyril Hanouna ressemble à un cours du Collège de France sur les chevaliers paysans de l’an Mil au lac de Paladru.

Par-delà ce qui est donc clairement tout autant un programme qu’un naufrage idéologique et politique, quel dommage de n’avoir même pas le courage d’être simplement cynique et de patauger à ce point dans une telle pathétique insincérité.

Mais je veux aussi souligner en tant qu’universitaire islamo-gauchisto-wokisé, que le choix de Christelle Morançais de mettre à mort le secteur culturel à l’échelle de la région des Pays de la Loire aura bien sûr des impacts forts et massifs sur l’ensemble des étudiantes et étudiantes que nous formons et diplômons dans les universités et écoles (publiques ou privées) du territoire. Car ces structures culturelles, ces actions culturelles, nos étudiantes et nos étudiants vont s’y former lors de leurs stages ou de leurs alternances, ils et elles en sont aussi les acteurs et les actrices et les chevilles ouvrières. Beaucoup des responsables de ces structures sont d’ailleurs également des intervenantes et intervenants qui viennent irriguer nos cursus de formation en y apportant à la fois leur témoignage métier et leur expertise. Et puis je veux dire à Christelle Morançais, qu’il n’est pas un seul mois, pas une seule année où, à l’occasion de ces stages, de ces alternances, de ces interventions en cours, de ces passages dans des festivals, des scènes et des salles culturelles, pas une seule année ou un seul mois où nous n’avons d’étudiantes et d’étudiants qui ne bâtissent leur parcours professionnel mais aussi leur parcours de vie de manière sensible, curieuse, ouverte. Et que c’est bien là le travail d’une région et des impôts et taxes qu’elle lève ou perçoit que de permettre aussi cela.

On sait à quel point la culture et l’action culturelle sont plus que d’autres des secteurs en effet fragiles, parce qu’en effet pas toujours « rentables », d’où l’importance de les soutenir par des financements pérennes et qui leur laissent le temps d’éclore, de mûrir et de faire fructifier cet impalpable qui est un essentiel pour construire des citoyens et des citoyennes. Le mettre ainsi cyniquement à mort c’est abattre bien plus qu’un secteur « culturel », c’est aussi priver la jeunesse d’outils, de scénarii et de perspectives pour lui permettre d’imaginer ces fameuses « transitions » que Christelle Morançais semble avoir oubliées dans l’instauration de ce nouveau comité de la hache où elle s’attribue à la fois et avec une morbide jubilation le rôle du juge et du bourreau.

Par ailleurs, et puisque l’argumentaire de la présidente de Région fait état de « compétences légales des régions très limitées en matière de culture » (ce qui n’est pas inexact), il faut lui rappeler que les lycées sont, par contre, de plein droit dans le périmètre desdites « compétences légales de la Région. » Et que les lycéens et les lycéennes seront les premiers à souffrir de cette mise à mort de la culture qui là aussi, était un levier majeur de l’ensemble des actions pédagogiques mises en oeuvre dans ces établissements.

Il faut aussi rappeler à Christelle Morançais qu’à côté des ouvriers de Michelin et de tant d’autres qui prennent actuellement des charettes de licenciement dans la gueule, qu’à côté du monde paysan qui s’enfonce dans la misère des sillons de nos champs de subsistance, il y a aussi des ouvriers et des paysans de la culture, ce sont des techniciens, des régisseurs, des médiateurs et médiatrices, tout un tas de gens qui ne valent ni mieux ni moins que les ouvriers et que les paysans, tout un tas de gens que le choix de Christelle Morançais de supprimer les 3/4 du budget alloué à la culture va plonger dans la même misère, dans la même détresse, dans le même cauchemar que vivent leurs camarades ouvriers et paysans.

Quand la culture recule, quand sa légitimité comme service public est remise en cause, quand elle devient l’objet et le sujet d’une guerre culturelle se parant des atours d’une « efficacité » ou d’un « manque de choix », à chaque fois que l’on nous dit « qu’il n’y a pas d’autre alternative » en nous renvoyant à un dialogue impossible entre celles et ceux que l’on accuse d’islamo-gauchisto-wokisme et celles et ceux qui se verraient accusés de fascisme ou de Trumpisme en retour, on cesse de faire de la politique pour n’être plus que le masque sordide et laid d’un projet de société mortifère. On devient la politique de Christelle Morançais.

« La prière » écrivait le philosophe Alain, « c’est quand la nuit vient sur la pensée. » Les coupes budgétaires portées par Christelle Morançais augurent d’une nuit noire dont chacune et chacun aura a souffrir. A commencer par la jeunesse.

(Bruno et François, les parrains de l’ascension politique de Christelle Morançais, ceci expliquant aussi un peu cela)

 

[Mise à jour du 19 Novembre et des jours suivants] Pour vous tenir au courant des suites de cette affaire, vous pouvez notamment (je mettrai à jour au fur et à mesure) :

Rendez-vous si vous le pouvez lundi 25 Novembre à 8h30 à Nantes, devant l’hôtel de région. Manifestation à l’appel de la CGT Spectacle mais qui s’étend bien au-delà.

17.11.2024 à 18:38

X et son exode. Comment quitter une forêt lorsque l’on est un arbre.

Olivier Ertzscheid

Texte intégral (3172 mots)

C’est une nouvelle fois, c’est une nouvelle occasion. Se débat, se discute, s’organise le projet d’un grand départ. A l’occasion de l’élection de Trump et du rôle que Musk y joua, des réseaux concurrents, à commencer par Bluesky (fondé par Jay Graber après une initiative de Jack Dorsey** qui avait fondé Twitter) gagnent rapidement un nombre significatif de nouveaux comptes. Un million. Un exode numérique sans peine, sans drame, sans souffrance. Notez bien que je parle de nouveaux « comptes » et pas de nouveaux « utilisateurs ». Car pour devenir utilisateur d’une plateforme cela suppose à la fois d’en connaître ou d’en accepter les codes et les règles, mais aussi d’y contribuer un tant soit peu et autrement qu’en seule consultation. Être utilisateur c’est être impliqué dans un implicite d’usage autant que dans un explicite de consultation. De nouveaux comptes donc mais pas encore autant de nouveaux utilisateurs.

** Merci à celles et ceux qui m’ont signalé une erreur dans mon article initial qui indiquait à tort Jack Dorsey comme créateur de Bluesky

e-« X »-odus.

L’histoire des grandes plateformes numériques contemporaines nous renseigne sur le devenir de cet exode et nous engage à une grande prudence. Un exode que l’on décrit un peu trop vite comme massif : un million ce n’est pas tant que cela dans des écosystèmes qui en comptent près de 400 fois plus (et X est à ce titre l’un des plus petits écosystèmes numériques « massifs »), d’autant que rien n’est dit qualitativement de ce million et que l’on sait que tous les comptes ne se valent pas dans les dynamiques qu’ils englobent et dans les espaces expressifs qu’ils mobilisent. Un exode que l’on décrit également un peu trop vite comme définitif ou à sens unique : cet exode d’un million entre X et Bluesky n’équivaut pas diamétralement à un million de fermetures de comptes X. Il faut aussi rappeler que déjà un certain nombre de médias et d’institutions (universités par exemple) ont de fait quitté la plateforme ou cessé d’y publier et d’y interagir, et que pour autant, jamais cette même plateforme n’a été aussi puissante qu’aujourd’hui avec cette seule mais importante différence que sa puissance se déplace, qu’elle est désormais peut-être davantage exogène qu’endogène.

La particularité et le paradoxe des exodes numériques est qu’ils fonctionnent selon des modalités de colonisation bien plus que sur celles d’un exil : ils nous autorisent à continuer d’être présents dans l’espace que nous quittons autant que dans celui où nous arrivons. Ils ne nous engagent pas à quitter un territoire pour en rejoindre un autre.

L’exode de X qui s’explique par les outrances et la position de Musk à l’occasion de l’élection de Trump fait écho à beaucoup d’autres parmi lesquels celui qui frappa Twitter lors de son rachat par Musk, ou encore celui qui frappa Facebook à l’occasion de différents scandales.

Je le redis ici à l’échelle des plateformes numériques contemporaines, aucun exode jamais ne permit de générer autre chose qu’un vascillement très temporaire des plateformes originelles. Même si rien n’est jamais certain, rien ne permet aujourd’hui d’affirmer qu’il en sera autrement pour l’exode qui s’opère actuellement sur X.

S’il est si difficile de se départir davantage que de partir, c’est pour un ensemble de raisons sur lesquelles je vais un peu revenir mais c’est principalement pour celle que le copain-collègue Marc Jahjah analyse et documente avec la dimension sensible qui sert de cadre à toutes ses analyses :

Avec Twitter/X, la maison a progressivement changé d’habitants, de disposition, de règles, au point de devenir insalubre, infestée d’insectes, pleine de moisissures. La question est donc de savoir pourquoi nous acceptons encore de vivre dans un tel lieu, en dépit de notre santé.v Par exemple, je ne crois pas que la question soit de « ne pas leur laisser du terrain. » Peut-être, mais j’ai du mal à y voir la raison principale : autochtones d’un autre monde, ici ou ailleurs, nous ne sommes nulle part chez nous. Alors quoi ?

(…) c’est une question de « routines », mais au sens fort : elles sont les pitons qu’on plante dans la paroi trop grande du monde ; elles sont des prises, chèrement acquises, autour desquelles un agencement, un quotidien, s’organise, devient possible. D’où le piège. Vous m’enlevez cette « routine », vous m’enlevez tout ce qu’elle a permis de mettre en place. C’est pourquoi c’est si difficile de s’en défaire. Et pourtant, il le faut.

Quelque part, Leroi-Gourhan écrit que le rythme ou, disons, la « routine » est « faite pour céder ». Elle doit uniquement permettre d’explorer le monde, de partir à l’aventure, en regardant depuis le ciel les trous formés plus bas par les pitons. Mais nous sommes tous inégaux dans notre capacité à abandonner une routine. Partez, à votre rythme.

Partir, c’est (…) donner du sens à son expérience. C’est un « échappement » : un intervalle créé pour comprendre ce qui s’est passé. Donc merci à [celles et ceux] qui nous expliquent pourquoi ils partent. Que nous sommes honorés d’assister à leur départ. Car ils viennent nous dire au revoir, mais pas n’importe comment : en nous disant comment faire céder la routine ; en laissant une trace.

Faites-nous donc l’honneur de nous raconter cette histoire.

 

De mon côté, je me suis toujours efforcé de penser notre rapport aux plateformes numériques comme autant de biotopes et d’écosystèmes, dans le cadre d’une écologie de l’information qui doit beaucoup à la découverte, lors de mes années de thèse, à l’écologie de l’esprit de Gregory Bateson. Et depuis près d’un quart de siècle passé à fréquenter en observation participante la plupart de ces environnements, la plupart de ces plateformes, après mes propres tentatives d’en partir et d’y revenir, d’y faire voix ou de n’y être que passager, après tout cela j’en viens à me demander comment quitter une forêt lorsque l’on est un arbre ?

Twitter existe indépendamment de Jack Dorsey, et X indépendamment d’Elon Musk. Twitter aurait été différent sans Dorsey et X le serait encore plus incontestablement sans Musk. Mais X est avant toute autre chose la part d’un écosystème global et X n’existe pas sans l’ensemble des autres biotopes de cet écosystème. X n’existe pas sans l’ensemble des autres biotopes médiatiques qui en organisent la centralité, ou qui le combattent, ou qui lui donnent écho pour l’accabler ou le porter aux nues. X n’est pas « une » vision de la liberté d’expression qui serait celle de Musk et autoriserait toutes les dérives : X est un morceau (important) de l’étoffe d’Harlequin qui donne à voir la surface de ce que nous appelons la liberté d’expression et qui est une dynamique de discours autorisés ou interdits à l’aune de définitions et d’acceptions publiques un jour sanctuarisées par des lois mais qui se négocient en permanence dans des espaces sociaux, discursifs et militants qui en travaillent ou en sapent les contours.

Comment quitter une forêt lorsque l’on est un arbre ?

Je me méfie suffisamment des métaphores le plus souvent moisies que l’on accole au numérique pour ne pas être prudent sur celle que je vous propose (Twittter n’est pas un bus, et internet n’est pas le far-west). Mais je choisis de la maintenir. Nous nous trompons si nous considérons que Twitter hier ou X aujourd’hui sont autant d’espaces forclos, c’est à dire d’espace dont nous pouvons être maintenus à l’extérieur parce qu’ils auraient été désignés comme devant être quittés, et l’auraient été parfois.

Bien sûr si nous en sommes les arbres et qu’ils sont notre forêt, cela ne signifie pas pour autant l’impossibilité d’en partir réellement comme un arrachement, comme une rupture de l’ensemble des racines qui nous y maintiennent. Mais il faut alors en effet en accepter au moins partiellement des modalités qui soient un peu brutales. Sans cette brutalité, sans cette radicalité, sans cet arrachement, nous restons. Les départs qui sont doux ne sont ni des exodes ni des séparations mais des voyages. Nous poussons une branche ou une racine ailleurs mais revenons et restons à notre point d’attache, à notre forêt d’appartenance. Point d’exode ou d’exil là-dedans. A peine un déplacement.

La difficulté de penser ces déplacements, ces voyages et ces exodes numériques, cette difficulté si paradoxale puisqu’ils semblent si faciles et si faisables à effectuer, puisqu’ils semblent tellement « à portée », cette difficulté tient entre autres à leur part numérique et à quelques-uns des principes invariants de ce que l’on appelait il y a plusieurs décennies « l’hypertexte » et qui est aujourd’hui décliné – mais pas effacé – dans nos hyper-socialisations et nos hyperaffects. La clé de l’ensemble de ces biotopes et écosystèmes numériques, massifs ou liminaires, globaux ou parcellaires, graphiques ou scriptuaires, la clé demeure celle des liens qu’ils trament et tissent en permanence avec eux-mêmes d’abord, et avec d’autres qu’eux-mêmes pour autant que nous en prenions notre part. Dans ses principes de l’hypertexte, Pierre Lévy parlait de « métamorphose« , de sa dimension fractale (« multiplicité et emboîtement des échelles »), « d’extériorité« , de « mobilité des centres« , autant d’éléments qui ne facilitent pas la possibilité d’un départ (ni d’ailleurs celle d’une arrivée), et il parlait enfin de « topologie« .

 

Nous revoilà dans la forêt. Nous revoilà comme un arbre. Pour quitter sincèrement X ou toute autre plateforme aujourd’hui, il faudrait renoncer aussi à l’ensemble de nos voisinages et de nos proximités. « Principe de topologie » écrit Lévy. La topologie c’est cette science mathématique dans laquelle « une tasse à café est identique à une chambre à air, car toutes deux sont des surfaces avec un trou. » Comme avec Facebook hier, notre problème avec le fait de quitter X aujourd’hui est également un problème topologique.

 

« Quitter X »  Allégorie topologique. 

 

 

Alors pour toutes celles et ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas quitter X, il reste la possibilité de prendre racine ailleurs, l’hypertexte et nos hyper-relations et nos hyper-affects le permettent, heureusement. Je ne crois pas que Thread ou Bluesky aient vocation à devenir un de ces ailleurs pérenne mais je n’ai aucune certitude du contraire non plus. J’ai par contre l’absolue conviction que Mastodon, par son architecture décentralisée, par ses règles de modération (différentes selon les « instances » que vous choisirez), par les inter-relations qu’il permet, par son ancrage dans des formes de friction nécessaires en amont des interactions pour en diminuer la toxicité le plus souvent d’abord virale, j’ai la conviction que Mastodon est un biotope d’avenir à préserver et à habiter.

Mais ne venez pas sur Mastodon en attendant d’y retrouver les interactions, les relations ou même les affects qui étaient les vôtres sur Twitter ou sur X (ou même sur Thread ou Bluesky), car seule la déception serait alors au rendez-vous.

Voilà pourquoi je ne partage pas entièrement ou qu’en tout cas je nuance la tribune du collègue David Chavalarias enjoignant de quitter X en masse à l’occasion de l’investiture de Trump le 20 Janvier lorsqu’il écrit :

« L’important est de le faire en gardant notre audience, nos threads, notre capital social afin de ne pas perdre leur valeur sociale globale. Pour cela, il faut s’organiser, et cela commence maintenant ! D’ici le 20 janvier, des outils de migration nous permettront de transférer nos fils de discussion (threads) et notre audience (followers) de X vers d’autres réseaux où la liberté d’expression est assurée.« 

 

Partir et garder nos discussions, partir et garder nos followers, partir garder notre capital social ce n’est pas partir, c’est vivre mal l’expérience d’un déplacement raté. Parce que nos discussions, nos followers et notre capital social bâti sur Twitter puis sur X n’est pas tant le nôtre que celui de la plateforme. C’est un capital qui n’est pour l’essentiel modalisable (et par ailleurs monétisable) que sur cette plateforme et que très marginalement ailleurs. C’est là où une nouvelle fois les métaphores ont leur limites. On peut déménager d’une ville à une autre en gardant ou en tout cas en préservant en partie nos relations, nos amis et notre capital social, même si chacun qui a fait ces expériences à différents moments de sa vie en voit aussi les limites et les effacements. Mais quitter X pour Bluesky ou pour Mastodon ce n’est pas quitter Montauban pour Palavas ou Saint-Etienne (sachant par ailleurs qu’on ne devrait jamais quitter Montauban).

Arriver sur Mastodon c’est en effet arriver en migrant et en exilé. C’est accepter d’abord de ne pas en comprendre tous les codes et toute la langue. C’est prendre le temps de les découvrir. C’est affronter quelques – menues – complexité qui nous éloignent des linéarités verticales et brutales de Twitter et de X. C’est entrer en discussion avec la plateforme tout autant qu’avec ses utilisateurs et utilisatrices. Ce n’est pas une recopie ou une déclinaison d’habitudes anciennes, ce sont d’autres dynamiques qu’il faut accepter de découvrir avant qu’elles ne nous soient fécondes et en acceptant qu’elles ne le soient ni immédiatement ni systématiquement.

L’arbre qui cache les faux rêts.

Et au-delà de Twitter, de X, de Mastodon et de toutes nos autres forêts qui sont autant de faux rêts, en quitter certaines ou arriver dans d’autres ne réglera rien d’autre que le regard que nous portons sur nous (ce qui n’est, me direz-vous, déjà pas si mal, et ce qui peut même être parfois déjà un essentiel). Mais nos problèmes sont ailleurs. Quitter X c’est comme cesser de regarder CNews ou cesser de lire Valeurs Actuelles et le JDD. Cela n’est ni le programme ni le sursaut dont nous avons collectivement besoin dans ce qui se révèle aujourd’hui – comme rarement aussi explicitement dans l’histoire – comme une vraie guerre culturelle. Surtout s’il s’agit de refaire X ou Twitter ailleurs. Pour autant il faut se préserver. Alors partez ou restez, ici ou ailleurs, et restez-y ou revenez.

Mais comme l’écrivait Marc Jahjah, surtout, « Faites-nous donc l’honneur de nous raconter cette histoire. » 

Et j’ajoute : soyez attentifs et attentives. Soyez attentifs et attentives aux mouvements et aux bruits de vos forêts, de vos faux rêts. Soyez attentifs et attentives à celles et ceux qui partent autant qu’à celles et ceux qui restent. A celles et ceux aussi, citoyens ou citoyennes mais aussi médias et institutions qui annoncent leurs départs ou le fait que, comme The Guardian, ils ne s’exprimeront plus dans cet espace. (Ouest-France vient également d’annoncer suspendre ses publications). Ces circulations, ces déplacements, ces positions et ces postures sont aussi notre histoire commune et le périmètre mouvant de ce qu’il faut s’échiner à définir et à affirmer comme la possibilité d’une cause commune.

11.11.2024 à 18:04

De VivaTech à DictaTech. Naissance d’un Etat artificiel.

Olivier Ertzscheid

Texte intégral (2393 mots)

5ème épisode d’une série d’articles en lien avec les enjeux technologiques de l’élection américaine (mais pas que). Épisodes précédents de ces chroniques techno-américaines : 

  1. « Un doute profond. » 2 octobre 2024.
  2. « Dancing Trump. L’invention de la Beat Politique. » 19 Octobre 2024.
  3. « Elon Trusk et Donald Mump. Des mythos et une mythologie. » 3 Novembre 2024.
  4. « Donal Trump et l’invention du Fakecism. » 7 Novembre 2024.

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C’est une question obsédante et qui revient à chaque élection, à chaque révélation d’une manipulation de masse, à chaque question de société arbitrée ou minée par des choix que l’on dit « algorithmiques » mais qui sont l’habit de carnaval de bouffons dont les outrances sont la glue attentionnelle nécessaire à leur accession à la notoriété, puis au pouvoir.

Cette question c’est celle du moment où les plateformes ne seront plus simplement « un outil parmi d’autres » au service d’une stratégie de communication et d’un projet politique mais où elles deviendront la première part, la première modalité causale de cette stratégie et de ce projet.

Et chaque tremblement de terre électoral nous en rapproche. La dernière élection de Trump bien sûr, mais avant lui, déjà lui pour son premier mandat, mais aussi Bolsonaro, mais aussi Milei et tant d’autres. Chaque fois la démonstration supplémentaire qu’internet, le web, les plateformes et les algorithmes ne sont pas simplement de droite mais plus vraisemblablement d’extrême-droite et que la conversion, la conviction ou l’opportunisme politique de celles et ceux qui les possèdent rendent désormais de plus en plus inutiles et vains les outils de régulation, d’équilibre et de transparence pensés pour permettre d’en ouvrir le code. Le code n’est plus la dissimulation commode d’idéologies, il est la loi, comme l’avait déjà prophétisé Lessig au tout début des années 2000, et avant tout, il est la voix de celles et ceux qui possèdent les plateformes et les architectures techniques au sein desquelles il se déploie, au sein desquelles ils le déploient.

La part d’outils numériques initialement pensés comme autant de distractions sociales et d’émancipations discursives possibles (où chacun.e peut prendre la parole) est désormais la part manquante de nos démocraties.

Artificial State.

Et l’on voit avec évidence apparaître une sorte d’État artificiel (« Artificial State ») défini comme suit par Jill Lepore dans le New-Yorker (je souligne) :

« L’État artificiel n’est pas un gouvernement de l’ombre. Ce n’est pas une conspiration. Il n’y a rien de secret là-dedans. L’État artificiel est une infrastructure de communication numérique utilisée par les stratèges politiques et les entreprises privées pour organiser et automatiser le discours politique. C’est la réduction de la politique à la manipulation numérique d’algorithmes d’exploitation de l’attention, le renforcement du gouvernement par une architecture numérique appartenant à des entreprises privées, la réduction de la citoyenneté à un engagement en ligne minutieusement calculé. (…) les effets [des technologies numériques] sur le discours politique, la démocratie représentative et le gouvernement constitutionnel ont été, dans l’ensemble, néfastes. Les États démocratiques libéraux fabriquent des citoyens ; l’État artificiel fabrique des trolls.

(…)

L’État artificiel n’est pas vivant ; il ne peut être tué. Mais comme il s’agit d’une construction, il peut être démantelé si un nombre suffisant de personnes décident de le vendre en pièces détachées. D’autres systèmes très tenaces d’organisation des sociétés humaines ont déjà été démantelés par le passé. Le droit divin des rois, le féodalisme, la servitude humaine. Comparé à ces systèmes, celui-ci pourrait être facile. Il suffit de le nommer. »

 

Je crains que nommer cet « Artificial State » ne soit hélas pas suffisant, mais cela nous rappelle à quel point nous avons collectivement raté une occasion absolument majeure de démanteler ces plateformes au moment où le débat public permettait de considérer cette possibilité comme une option à la fois sérieuse et nécessaire, c’est à dire au lendemain (entre autres) du scandale Cambrige Analytica (vous pouvez à ce sujet relire mon article « Contre nous de l’algorithmie, l’étendard sanglant est levé » daté de Novembre 2017).

C’est probablement le scandale Cambridge Analytica (2016) qui fut le fondement et l’acte premier contemporain de cet « Artificial State », du Brexit à la première élection de Trump. Un État artificiel dans lequel l’automatisation des inégalités est un levier de politiques publiques, dans lequel les architectures techniques toxiques des plateformes sont des alliées objectives de l’émergence de consensus juxtaposés qui minent la possibilité des dissensus démocratiques, notamment pour les raisons pointées par Tarleton Gillespie dans « The Plateforme Metaphor, Revisited« , cité par Antonio Casilli) :

1) La prétendue horizontalité des plateformes numériques dissimule des structures hiérarchiques et les liens de subordination qui persistent malgré la rhétorique des “flat organizations” ;
2) L’insistance sur une structure abstraite cache la pluralité d’acteurs et la diversité/conflictualité des intérêts des différentes communautés d’utilisateurs. La responsabilité sociale des plateformes, leur “empreinte” sur les sociétés semble ainsi être effacée ;
3) (point #digitallabor) en se présentant comme des mécanismes *précis* et *autonomes*, les plateformes servent à occulter la quantité de travail nécessaire à leur fonctionnement et à leur entretien.

 

La question n’est pas tant de savoir si « oui ou non » nous sommes aujourd’hui déjà entrés dans une forme de techno-fascisme (voir mon article précédent à propos d’un Fakecism) ou de dictature technologique (DictaTech), mais de s’interroger sur l’addition de signaux qui présentent cet horizon comme plus que probable. Et ces signaux sont innombrables. Le dernier en date est celui du ton et du contenu des déclarations de JD Vance (vice-président de Trump) qui indique que « les États-Unis pourraient cesser de soutenir l’OTAN si l’Europe tente de réglementer les plateformes d’Elon Musk. » Plus précisément, il explique dans un entretien avec un influenceur repris et analysé par The Independent :

So what America should be saying is, if NATO wants us to continue supporting them and NATO wants us to continue to be a good participant in this military alliance, why don’t you respect American values and respect free speech?” Vance asked. “It’s insane that we would support a military alliance if that military alliance isn’t going to be pro-free speech. I think we can do both. But we’ve got to say American power comes with certain strings attached. One of those is respect free speech, especially in our European allies » 

 

Cette déclaration, qui n’est pas – encore – un communiqué de presse et ne vaut donc pas – encore – ce qui dictera la politique étrangère des USA, cette déclaration demeure inédite et inquiétante à plus d’un titre.

D’abord parce que pour la première fois elle fait passer le traitement accordé à une plateforme américaine comme un préalable au maintien d’une alliance militaire et ce dans un contexte de guerre. Et ce préalable est établi sur la base d’une appréciation « morale » qui tient au respect d’une conception de la « liberté d’expression ». Nous sommes donc très loin des scénarii diplomatiques plus classiques dans lesquels on pouvait conditionner un accord, y compris militaire, à la préservation d’intérêts économiques existants ou à la négociation d’autres à venir.

L’autre point marquant de ce renversement inédit tient à la nature même des plateformes désignées et qui sont « celles d’Elon Musk« . Car on sait le rôle que certaines des plateformes Muskiennes ont déjà joué dans le conflit Ukrainien (cf la liste de mes articles sur le sujet). Musk et son réseau de satellites Starlink fut en effet l’un des opérateurs clés dans certaines phases de cette guerre. Musk qui fut autant capable, à un mois d’intervalle, d’apparaître en sauveur en déployant son réseau Starlink au dessus de l’Ukraine, puis en bouffon lorsqu’il a défié Vladimir Poutine en combat singulier ; et qui depuis joue d’une position a minima ambivalente mais toujours – hélas – incontournable, capable d’interférer en pleine opération militaire pour l’entraver au bénéfice de la Russie ou d’applaudir au pseudo plan de paix présenté par Poutine.

En rachetant Twitter pour 44 milliards de dollars, Musk n’a pas simplement fait de « X » un outil d’influence électorale, politique, économique et militaire, mais un cheval de Troie qui le place, de fait, en situation d’arbitrer ou à tout le moins de considérablement peser dans des conflits géo-stratégiques qui engagent l’humanité toute entière bien plus que ses délires long-termistes de colonies de peuplement martiennes.

Aujourd’hui il est à la fois celui qui a permis et fabriqué non seulement l’accession au pouvoir de Trump mais sa réhabilitation numérique et morale par-delà l’ensemble des outrances qui avaient abouti à sa déplaterformisation première. Mais il est aussi celui dont on nous dit qu’il pourrait piloter une mission « d’audit » sur l’ensemble de l’administration US avec la claire intention d’y opérer des coupes franches qui, au regard de ce que l’on sait du mode de management de Musk dans ses diverses entreprises, risquent fort d’être violentes. Il est également celui qui a fait de la détestation de l’État le revers d’une médaille qui place sa galaxie d’entreprises parmi les premières bénéficiaires de la commande publique américaine. Et il est donc, enfin, celui dont les intérêts économiques et idéologiques deviennent à eux seuls, une part déterminante de la politique intérieure comme extérieure de la première puissance économique et militaire mondiale.

DictaTech 2025

En 2016, Donald Trump était porté au pouvoir pour son premier mandat. C’est alors, entre autres paramètres, la capacité d’utiliser et d’instrumentaliser la plateforme Facebook pour diffuser des publicités ciblées et autres « dark posts » auprès d’électeurs indécis dans certains états (scandale Cambridge Analytica) qui lui permit de remporter cette élection. En Janvier 2021 au lendemain d’une élection qu’il perdit, c’est encore au travers de Facebook et de Twitter qu’il encouragea les plus radicalisés de ses électeurs à prendre d’assaut le Capitole. Et en 2024 c’est la plateforme X qui non seulement joua un rôle déterminant dans sa réélection mais qui entend également jouer un rôle majeur dans les politiques publiques qui seront menées, et ce bien au-delà de la seule préservation des intérêts économiques du « plus grand capitaliste de l’histoire des Etats-Unis » qui la dirige. Et cela est entièrement nouveau.

En 2016 donc, pendant que Trump façonnait son élection au pouvoir au travers du scandale Cambridge Analytica, la France lançait en grandes pompes le salon ViVa Tech, « salon de l’innovation technologique et des Start-up, Peut-être serait-il temps et plus en accord avec un certain air du temps, de réfléchir à la première édition d’un salon DictaTech, salon de l’état artificiel, des algorithmes de l’oppression, de l’automatisation des inégalités et des architectures techniques toxiques. La bande-annonce est déjà prête. Rien à changer pour l’invité d’honneur.

 

07.11.2024 à 19:33

Donald Trump et l’invention du Fakecism.

Olivier Ertzscheid

Texte intégral (1700 mots)

Promoteur des « Fake News » et autres « post-vérités », allié objectif de néo-fascistes et autres suprémacistes, oscillant entre l’alt-right et autant de réalités alternatives, l’élection de Donald Trump, parmi l’immensité des interrogations qu’elle suscite, nous pose également un problème de qualification. Comment nommer et qualifier tout à la fois la campagne, l’élection et la vision politique qu’il défend et promeut ?

Beaucoup d’articles et d’analyses ont avancé le terme de « fascisme », rappelant à raison les 14 signaux d’Umberto Eco permettant de reconnaître et de qualifier ce régime. Et force est de reconnaître … que l’essentiel est là.

 

D’autres se sont opposés à l’utilisation de ce qualificatif le jugeant excessif en droit et risquant de disqualifier aussi par ricochets les électeurs et électrices qui ne sont pas toutes et tous autant de fascistes et n’aspirent pas nécessairement à le devenir. Et lui préférant alors le terme « d’illibéralisme » avec ce que cela comporte d’appropriation de l’appareil d’état et de détournement de ses règles à son seul bénéfice ou à celui de ses affidés.

De son côté, Donald Trump a bien sûr surjoué la dimension victimaire en inversant le stigmate de ce qu’il présentait comme la caricature qui était faite de lui. Il put ainsi, sinon dans la même phrase au moins dans le même discours, affirmer à quelques minutes d’intervalle qu’il allait « organiser la plus grande déportation (sic) de l’histoire » puis se moquer des adversaires l’accusant d’être un nazi en martelant « je suis le contraire d’un nazi » (sic).

Les 4 années qui s’ouvrent pour les USA comme pour le monde, nous donneront l’occasion de voir où placer le curseur de l’action politique de Trump entre nationalisme, autoritarisme, illibéralisme, fascisme ou néo-fascisme …

Mais l’enjeu pour l’instant est de comprendre en quoi cette incapacité à nommer clairement ce qu’il représente a plus que probablement été l’un des principaux atouts de sa victoire électorale.

Fake News + fascisme = « Fakecism »

Puisque les mots existants semblent soit trop excessifs soit trop édulcorés, soit trop historiquement marqués, alors cherchons de nouveaux mots. Ce que Donald Trump est en train d’inventer peut-être qualifié de « Fakecism » **, néologisme que j’avance en agglomérant d’une part la dimension des « Fake News », expression qui est devenue son identité et sa signature discursive et linguistique la plus prégnante, et d’autre part le terme de « fascisme » qui est a minima l’horizon de déploiement d’une politique et d’une idéologie qui en comporte déjà un bon nombre de marqueurs.

** prononcé à l’anglaise [Feike Cizeum]. En français ça pourrait donner, entre fascisme et falsification, un truc genre « Fascisfication » mais ça sonne moins (enfin je trouve)

Promoteur des Fake News et autres post-vérités, allié objectif de néo-fascistes et autres suprémacistes, Donald Trump invente donc le « Fakecism », brutal mélange de mensonges au service d’un illibéralisme préparatoire aux effondrements, attentatoire aux libertés.

Dans la difficulté à définir la campagne de Trump, dans ce clair-obscur qui empêche de la nommer clairement et de manière univoque, le discours de Trump lui, est presque paradoxalement clair. Lui se joue (avec plus ou moins de finesse) de l’ensemble des codes rhétoriques qui sont ceux du fascisme (cf les travaux d’Eco résumés ci-dessus). Mais là encore, ceci n’apparaît pas suffisant à ses adversaires, détracteurs et même aux analystes pour le qualifier de « fasciste » et cela prête toujours le flanc à ce qu’il les moque en retour en martelant « je suis le contraire d’un nazi. »

L’autre manière d’aborder le problème est de s’interroger sur les raisons qui font que le discours de Trump circule avec autant d’efficacité dans autant d’espaces médiatiques qu’ils soient massifs ou intersticiels, qu’ils soient des relais d’opinion explicites ou des adversaires idéologiques affirmés. Et la raison en est assez simple : c’est parce que le discours de Trump peut se prévaloir d’une forme inédite (à cette échelle en tout cas) de « publicitarisation« .

La « publicitarisation » c’est une notion définie ainsi par Valérie Patrin-Leclère :

une adaptation de la forme, des contenus, ainsi que d’un ensemble de pratiques professionnelles médiatiques à la nécessité d’accueillir la publicité. Cette adaptation consiste en un aménagement destiné à réduire la rupture sémiotique entre contenu éditorial et contenu publicitaire – elle se traduit, par exemple, par l’augmentation des contenus éditoriaux relevant des catégories « société » et « consommation » ou par le déploiement de formats facilitant l’intégration publicitaire, comme la « téléréalité » – mais aussi en un ménagement éditorial des acteurs économiques susceptibles d’apporter des revenus publicitaires au média. C’est le cas quand un traitement éditorial favorable, ou a minima un traitement éditorial non défavorable, est réservé aux pourvoyeurs de revenus pour ne pas courir le risque d’être victime d’une mesure de réprimande qui se concrétiserait par l’absence d’achat d’espace publicitaire

 

La « publicitarisation » inédite dont Trump peut se prévaloir a bien sûr à voir avec la publicité mais elle a aussi beaucoup à voir avec l’adaptation de l’ensemble des espaces de discours (numériques principalement) à la réception et à la mise en valeur des fondamentaux discursifs qui mobilisent une sémantique ou une symbolique relevant du fascisme.

Ou pour le dire plus simplement : si le discours de Trump est à ce point efficace (y compris dans ses expressions les plus violentes, vulgaires ou abjectes) c’est parce qu’il se déploie dans des univers (de discours) déjà alignés avec ces modalités, déjà prêts à le recevoir et à le faire résonner. Des univers (de discours) fabriqués et « désignés » (au sens du « Design ») qui épousent déjà parfaitement l’ensemble de ses arguments et fonctionnent comme autant d’écrins d’une rhétorique fasciste assumée (rappelons les « déportations« , rappelons l’animalisation des étrangers qui « mangent des chats et des chiens« , etc.)

Et le premier des ces univers (de discours) c’est bien sûr celui que lui offre Musk avec X (ou dans un autre genre Fox News avec l’intégralité de son antenne), mais aussi l’ensemble des « influenceurs » nationalistes, suprémacistes, racistes, sexistes, homophobes qui de leur côté également bénéficient d’une surface d’exposition et d’une audience considérable et saturent les espaces médiatiques, soit en direct, soit en écho lorsqu’ils sont en permanence repris pour être en permanence commentés et dénoncés.

En d’autres termes, si le discours de Trump a pu si « facilement » gagner, c’est parce qu’il ne lui restait plus grand-chose d’autre à faire que « d’incarner » et d’être l’avatar dernier de ces radicalités discursives extrêmement polarisées et penchant à peu près toutes du même côté du spectre politique (puisque oui, internet, les réseaux sociaux et les algorithmes sont de droite et même pour beaucoup d’entre eux d’extrême-droite).

Là où Trump avait été la « victime » d’une déplateformisation qui avait vu son exclusion (temporaire) de Facebook, Instagram et Twitter, et après avoir de son côté créé son propre espace et son propre canal (baptisé « Truth Social » et cerné d’autres réseaux d’extrême-droite), le voilà en quelque sorte « super-plateformisé » par Elon Musk dans le cadre d’un média social, X, qui est le modèle archétypal réunissant l’ensemble des conditions de production, de propagation et de légitimation d’un discours sinon dès aujourd’hui fasciste, à tout le moins depuis quelques longs mois déjà très clairement « Fakeciste ».

03.11.2024 à 18:38

Elon Trusk et Donald Mump. Des mythos et une mythologie.

Olivier Ertzscheid

Texte intégral (2395 mots)

C’est un couple à la fois classique et inclassable. Le roi et le bouffon, mais là où le roi est aussi un bouffon et où le bouffon se voit en roi. Le politique et l’entrepreneur mais où le politique est un ancien entrepreneur et où l’entrepreneur a un agenda politique. Le vieux sage et le jeune fou à ceci près le le vieux n’a rien de sage et qu’il n’est pas exclu que le jeune n’ait rien de fou. Bref.

Donald Trump et Elon Musk.
Elon Trusk et Donald Mump.

#CroisonsLes du remarquable GuillaumeTC sur X

Il y a cette échéance de l’élection dans quelques jours et tout le travail de sape, de dégradation et de déprédation qu’ils ont entrepris depuis tant de temps. Et aucun bon scénario à l’horizon puisque même en cas de victoire de Kamala Harris il est hélas peu probable que les lendemains électoraux soient sans heurts, d’autant que dans tous les cas l’après Trump est déjà préparé (avec notamment J.D. Vance son vice-président désigné). Le fascisme n’éclate pas en une journée ou en une élection. Il se prépare, se précise, s’organise, se construit, pas après pas (de l’oie).

Elon Musk, aka « le plus grand capitaliste de l’histoire de l’amérique » comme il est présenté quand il est annoncé aux meetings de Trump, Elon Musk occupe aujourd’hui la place qu’occupaient hier Cambridge Analytica, Peter Thiel et Steve Bannon. C’est à la fois et à lui seul un agent du chaos et un agenda du chaos.

Tout le travail de Musk est de « miner » l’ensemble du débat public à l’échelle mondiale (et non uniquement américaine) et d’agréger (via notamment sa loterie pour remettre un million de dollar chaque jour à un signataire d’une pétition de soutien à Trump et bien sûr via X) une base de donnée de profils qui sont déjà et seront encore davantage demain, en cas de nécessité, une opinion publique mobilisable à merci. « … Et avec un tel peuple vous pouvez faire ce que vous voulez. »

J’ai déjà beaucoup écrit autour de la politique des algorithmes (cf la rubrique idoine sur ce blog), ainsi que sur les raisons qui faisaient que l’écosystème numérique dans sa globalité (le web et l’ensemble des plateformes et de leurs algorithmes) penchait plutôt à droite et même très à droite. Je vous invite à relire aussi cet entretien avec Jen Schradie parue dans Libération dont je vous mets l’extrait qui résume le mieux l’ensemble des enjeux devant nous :

« J’ai étudié l’activisme en ligne d’une trentaine de groupes, de tous bords politiques, qui militaient à propos d’une question locale en Caroline du Nord, et j’ai découvert que les groupes les plus à droite étaient les plus actifs en ligne. Il y a trois raisons à cela : les différences sociales, le niveau d’organisation des groupes et l’idéologie. D’abord, les classes plus aisées sont plus présentes en ligne que les classes populaires. Elles disposent de meilleures organisations, plus accoutumées à la bureaucratie. Enfin, les conservateurs, comme les membres du Tea Party, ont un message plus simple et abordent moins de sujets que les groupes de gauche. Ils ont l’impression que les médias mainstream ne relaient pas assez leur parole, ce qui les incite d’autant plus à se doter de leurs propres instruments de communication. L’idéal de liberté se partage plus facilement sur les réseaux sociaux que celui d’égalité.« 

J’ai aussi, il y a plusieurs années, posé l’hypothèse d’un durcissement de cette bascule très à droite et de la forte probabilité d’un néo-fascisme, trouvant beaucoup d’adhérences, de percolations, de prétextes et d’opportunités dans l’économie documentaire du web, et ce depuis la bascule d’un web des documents vers un web des profils.

A regarder le monde aujourd’hui, et par-delà le tempo de l’élection présidentielle américaine et ce qu’elle entraînera pour nous toutes et tous, on ne peut que constater que les agendas et les puissances médiatiques réactionnaires mais dominantes, convergent au service d’une même diversion ; diversion qui ne vise qu’à produire et à accélérer une situation de rupture et de bascule en faisant l’hypothèse que d’opportunistes figures autoritaires, marionnettes au service du capital, en émergeront comme autant de solutions désignées.

Depuis presque 20 ans que je fréquente la plateforme Twitter devenue X, et que j’analyse sa place et ses évolutions dans nos univers sociaux et politiques, et même si elle a subi un nombre incalculable de transformations et d’évolutions, notamment depuis son rachat par Elon Musk, une chose et une seule n’a jamais varié dans sa nature profonde, dans son ADN numérique, et c’est la dimension de la moquerie, de la raillerie, du sarcasme. De Dorsey à Musk, Twitter puis X fut toujours la plateforme de postures discursives conjuguant moquerie, raillerie et sarcasme, et sa forme courte (initialement 140 caractères) en fut une contrainte longtemps féconde. La cause également de tant d’approximations, de contre-vérités, et de mythos.

Mythos et mensonges dont Musk et Trump font rhétorique et qui résonnent à l’aune d’une figure mythologique que je vous présente … maintenant 🙂

Dans la mythologie grecque, il existe un dieu assez méconnu, répondant au nom de Momos (ou Momus). Le dieu de la raillerie, de la moquerie et de la critique sarcastique. Il est, selon les version, le fils de la nuit (Nyx) qu’elle aurait engendré seule, ou dans d’autres versions avec les ténèbres (Érèbe). Mais l’histoire de Momos fait écho à bien d’autres enjeux que l’on retrouve dans ce avec quoi Elon Musk et Donald Trump jouent actuellement pour orienter la campagne présidentielle américaine.

Momos ou la guerre contre l’étranger. A commencer par la possibilité de créer une guerre « de civilisation ».

« Il déconseille à Zeus (qui s’inquiète du nombre croissant des Hommes) de détruire l’Humanité, l’exhorte au contraire à favoriser les amours de Thétis et de Pélée, desquels naîtra Hélène… Ainsi, les hommes d’Europe feront la guerre aux hommes d’Asie et l’objectif de Zeus sera atteint. » Larousse, Dictionnaire de mythologie grecque et romaine.

 

Pour autant qu’il soit possible de parler de proximité mythologique avec la politique contemporaine, on notera alors celle en miroir entre l’inquiétude de Zeus d’une humanité proliférante et les thèses « long-termistes » soutenues par Musk, et celle, tout à fait alignée cette fois, de la propre propension de Musk à enfanter autant qu’il lui est possible de le faire tel un Zeus de chez Wish.

Momos et la liberté d’expression. Dans « L’assemblée des Dieux », un texte de Lucien de Samosate, Momos apparaît comme le héraut de ce que l’on qualifierait aujourd’hui comme la défense de la liberté d’expression, puisqu’après s’être outrageusement et outrancièrement moqué des plus puissants des dieux et de leurs créations, Momos s’écrie :

 

Jouanno Corinne. Mômos bifrons. Étude sur la destinée littéraire du dieu du Sarcasme.
In: Revue des Études Grecques, tome 131, fascicule 2, Juillet-décembre 2018. pp. 521-551. DOI : https://doi.org/10.3406/reg.2018.8588« 

 

Musk comme Trump se plaisent à défier en permanence les assemblées qu’ils désignent comme « les médias » ou « l’état profond » et usent souvent de ce renversement de point de vue consistant à faire passer leur naturel insupportable et hargneux comme une simple sincérité incomprise, et leurs mensonges et calomnies comme la défense de la liberté d’expression.

Momos et le sondage d’opinion. Momos est également celui qui va reprocher à Héphaïstos, après qu’il a créé un être humain, « de ne pas avoir façonné, sur sa poitrine, une fenêtre qui permettrait de connaître ses pensées les plus secrètes. » (Larousse, Dictionnaire de mythologie grecque et romaine) Cette fenêtre, cette base de donnée des opinions et des intentions, c’est littéralement ce que Musk s’est payé avec le rachat de Twitter. 44 milliards de dollars la fenêtre pour sonder les âmes d’un peu plus de 300 millions d’êtres humains.

Momos et le Wokisme Olympien. Tout comme Trump et Musk partis en croisade contre le virus Woke, l’ensemble des minorités de genre, les transexuels, et ainsi de suite, la « raillerie » de Momos le pousse souvent à stigmatiser les divinités thériomorphes (présentant les attributs d’une bête) :

Jouanno Corinne. Mômos bifrons. Étude sur la destinée littéraire du dieu du Sarcasme.
In: Revue des Études Grecques, tome 131, fascicule 2, Juillet-décembre 2018. pp. 521-551. DOI : https://doi.org/10.3406/reg.2018.8588« 

 

Momos, la folie et les femmes. Pour clore ce portrait, Momos est souvent représenté « tenant à la main une marotte, symbole de la folie et il accompagne assez souvent Comus, le dieu de la bonne chère et du libertinage. » (source : Wikipedia) Là encore, difficile de ne pas voir l’analogie avec le personnage d’un Trump / Comus surjouant l’amour de la barbaque et du McDonald, englué dans de sordides affaires de prestations sexuelles plus ou moins contraintes et tarifées dont au moins une avec une ancienne star du porno, et promettant aux femmes de les protéger « y compris si elles ne le veulent pas » après s’être précédemment vanté de les « attraper par la chatte. » (sic)

Momos et la fin de l’histoire. Après avoir raillé l’ensemble des dieux Momos fut chassé et « s’installa chez le seul dieu capable de le comprendre : Dionysos. » (Wikipédia). Une mythologie à rebours. Trump est – d’une certaine manière seulement – le Dionysos de Musk, un Dionysos réduit à sa dimension de dieu de la fureur et de la subversion. Leur histoire commence là où s’achève celle de Momos et de Dionysos. Et nul n’en connaît aujourd’hui la suite.

Mais avant d’être « le plus grand capitaliste de l’histoire de l’amérique », ou peut-être précisément parce qu’il est le plus grand capitaliste de cette histoire de l’amérique, Elon (Mo)Musk est cette incarnation presque parfaite de la puissance délétère de Momos. Et de cette mythologie nous avons aussi certainement beaucoup à apprendre, à deux journées d’une élection qui quel que soit son résultat, fera toujours date pour les uns et toujours doute pour les autres.

 

31.10.2024 à 18:47

Retour d’Utopiales. Hyperaffects.

Olivier Ertzscheid

Texte intégral (885 mots)

Passage très rapide (une seule journée) mais très riche en rencontres et en échanges cette année (et en dédicaces).

Et une table-ronde en tant que participant au sujet des harmonies possibles ou impossibles en ligne, notamment au travers des médias sociaux. En compagnie du créateur de contenus Maxestlà, de l’écrivain Christopher Bouix et avec Romain Mc Killeron comme modérateur.

Je n’ai rien dit de très nouveau par rapport à ce que j’écris sur ce blog ou dans mes livres et articles mais je veux revenir ici sur deux points.

Le premier faisait suite à la question de comprendre et d’expliquer en quoi les médias et réseaux sociaux créent et redéfinissent nos liens (sociaux). Et la réponse est que là où l’économie du web initial s’était construite autour des pages web et au travers des liens hypertextes baptisés hyperliens, l’économie des réseaux sociaux s’était bâtie autour des profils envisagés comme autant de documents, en tentant d’en tracer les affects mobilisés et déposés dans chaque échange, lors de chaque signalement d’appartenance. Soit un passage des hyperliens à ce que l’on pourrait qualifier des hyperaffects. C’est tout con mais je ne l’avais jamais formulé comme ça et je trouve … que cela fait sens 🙂

L’autre point qui fut celui de la conclusion, était de savoir s’il était possible d’envisager un monde numérique reposant sur une logique d’harmonie universelle. Interrogation à laquelle j’ai répondu « oui ».

Oui parce que nous savons très exactement ce qu’il faut faire pour réduite drastiquement et quasiment supprimer l’essentiel des interactions toxiques et autres « biais de négativité algorithmique ». Il faut introduire de la friction, de l’adhérence dans les interactions pour leur rendre un coût cognitif significatif et permettre à chacun de simplement réfléchir à ce qu’il fait autrement que par un arc réflexe conditionné ; il faut effacer les métriques dites « de partage » pour tout le monde sauf pour celles et ceux qui sont à l’origine de la publication ; il faut diminuer la portée de propagation de l’ensemble des publications ; il faut principalement casser les chaînes de contamination virales ; et il faut quelques autres choses encore mais oui, nous savons très exactement ce qu’il faut faire pour retrouver des contextes principalement harmoniques.

Mais j’ai également répondu « non » à cette question. Non car je ne crois pas à l’universel de l’harmonie de communautés humaines massives et numériquement agencées et rassemblées. Je crois qu’il est des effets de seuil au-delà desquels (et y compris en coupant l’ensemble des chaînes de contamination virales) plus aucune forme d’harmonie n’est possible car balayée par des architectures techniques toxiques. Personne, aucun et aucune d’entre nous n’est fait pour vivre dans un monde d’information à ce point entropique. Personne. L’information c’est normalement ce qui « met en forme » et c’est, dans les systèmes complexes, du vivant comme du mécanique et de l’informatique, ce qui permet de lutter contre l’entropie ; l’information c’est un facteur de néguentropie, d’ordre et d’organisation. Bien plus que notre seul rapport à l’information c’est la naturalité de l’information elle-même en tant que facteur néguentropique qui s’effondre dans la dimension plus que massive des populations et des discours en présence à l’échelle des grandes plateformes de médias numériques.

Il existe heureusement d’autres plateformes, moins massives, plus libres et libristes, mais aussi des marges, des canaux, des seuils, des espaces liminaires précieux, et qui sont soit indépendants des grandes plateformes numériques, soit qui s’y nichent et s’y tissent comme autant de repères (« d’heureux pairs ») et d’étranges attracteurs. C’est à l’ensemble de ces espaces liminaires et marginaux qu’il faut consacrer toute notre attention et toute la gamme de nos hyperaffects.

Merci à Roland Lehoucq et à l’ensemble des équipes qui bossent sur ce festival pour le maintenir, lui aussi, comme une marge nécessaire et un étrange attracteur, un grand festival de science-f(r)iction.

 

(Merci à Skirata pour la photo)

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