20.05.2025 à 11:08
Le Golfe, la montagne et la base militaire : chroniques d’un monde exonyme (et d’une purge fasciste).
Olivier Ertzscheid
Texte intégral (4178 mots)
Publication pour archivage de l’article paru sur AOC.media le 20 Février 2025 et titré « Blacklisté – sur le rapport fasciste de Trump au langage. »
Encore des mots, toujours des mots, rien que des mots. C’est une guerre sur la langue, sur le vocabulaire, sur les mots, sur la nomination et la dénomination possible. Sur ce qu’il est ou non possible de nommer. Une guerre avec ses frappes. Une guerre particulière car lorsque ce sont des mots qui sautent, c’est toute l’humanité qui est victime collatérale directe et immédiate.
Au lendemain de son accession au pouvoir et dans la longue liste des décrets de turpitude de cet homme décrépit, Trump donc annonçait vouloir changer le nom d’un golfe, d’une montagne et d’une base militaire.
Le golfe c’est celui du Mexique que Trump a voulu (et obtenu) renommer en golfe d’Amérique. L’enjeu c’est d’ôter symboliquement cette dénomination à la population mexicaine qu’il assimile totalement à un danger migratoire. Il y est parvenu.
La montagne c’est le Mont Denali, situé en Alaska. Anciennement Mont McKinley, il avait été changé en 2015 par Barack Obama selon le souhait des populations autochtones. L’enjeu est donc ici une nouvelle fois re réaffirmer la primauté de l’Amérique blanche. Il n’y est pas parvenu, le sénat de l’Alaska a voté contre.
La base militaire c’est celle de Fort Liberty, anciennement Fort Bragg, le nom d’un ancien général confédéré symbole du passé esclavagiste des USA, et que l’administration Biden avait modifié tout comme celui de neuf autres bases pour les mêmes raisons. Trump l’a renommé Fort Bragg. Et son ministre de la défense annonce que les autres bases militaires « dénommées » seront, de la même manière et pour les mêmes motifs, « renommées ». Et le passé esclavagiste des USA ainsi « honoré ».
Un monde exonyme. C’est à dire un monde dans lequel « un groupe de personnes dénomme un autre groupe de personnes, un lieu, une langue par un nom distinct du nom régulier employé par l’autre groupe pour se désigner lui-même » (Wikipédia)
Je leur dirai les mots noirs.
Une liste. De mots interdits. De mots à retirer. De mots qui, si vous les utilisez, dans un article scientifique ou dans des sites web en lien quelconque avec une quelconque administration US vous vaudront, à votre article, à votre site et donc aussi à vous-même, d’être « flaggés », d’être « signalés » et vos subventions fédérales ensuite « retirées ».
Comme cela a été révélé par le Washington Post, un arbre de décision, un logigramme a aussi été envoyé aux responsables des programmes scientifiques à la NSF (National Science Foundation) leur indiquant à quel moment prendre la décision de « couper » le déclenchement d’un financement si l’un des mots de la liste interdite apparaissait dans le descriptif général du projet, dans son titre, dans son résumé, etc. Une purge fasciste.
Des mots qui dans la tête de Trump ont vocation à disparaitre dans le présent inconditionnel qu’il instaure comme un temps politique majeur. La liste est longue. Elle mérite d’être affichée. Archivée. Mémorisée. Engrammée. Car Trump n’aime pas les archives. Il efface aussi des données. Ces mots-là :
- activism, activists, advocacy, advocate, advocates, barrier, barriers, biased, biased toward, biases, biases towards, bipoc, black and latinx, community diversity, community equity, cultural differences, cultural heritage, culturally responsive, disabilities, disability, discriminated, discrimination, discriminatory, diverse backgrounds, diverse communities, diverse community, diverse group, diverse groups, diversified, diversify, diversifying, diversity and inclusion, diversity equity, enhance the diversity, enhancing diversity, equal opportunity, equality, equitable, equity, ethnicity, excluded, female, females, fostering inclusivity, gender, gender diversity, genders, hate speech, excluded, female, females, fostering inclusivity, gender, gender diversity, genders, hate speech, hispanic minority, historically, implicit bias, implicit biases, inclusion, inclusive, inclusiveness, inclusivity, increase diversity, increase the diversity, indigenous community, inequalities, inequality, inequitable, inequities, institutional, Igbt, marginalize, marginalized, minorities, minority, multicultural, polarization, political, prejudice, privileges, promoting diversity, race and ethnicity, racial, racial diversity, racial inequality, racial justice, racially, racism, sense of belonging, sexual preferences, social justice, sociocultural, socioeconomic, status, stereotypes, systemic, trauma, under appreciated, under represented, under served, underrepresentation, underrepresented, underserved, undervalued, victim, women, women and underrepresented.
Diversité, équité et inclusion. La « DEI » contre laquelle Trump entre en guerre. Guerre qu’il remporte avec l’appui de son administration mais aussi et surtout de tout un large pan de l’industrie médiatique et numérique. La science aux ordres du pouvoir.
« Erase Baby, Erase ! »
Il faut effacer. « Erase Baby, Erase. » Comme Anne-Cécile Mailfert le rappelait dans sa chronique sur France Inter :
Son administration ne se contente pas de sabrer dans les budgets de la recherche ou de nier les faits scientifiques. Elle tente de supprimer les données qui la dérangent. Les indices de vulnérabilité sociale du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies ? Supprimés. Les pages du ministère des Transports sur l’égalité, le genre et le climat ? Évaporées. Les études sur la santé publique qui mettent en lumière les inégalités croisées ? Effacées. Imaginez un immense autodafé numérique, où ce ne sont plus des livres qu’on brûle, mais des sites web, des pages Internet, des index, des bases de données. (…)
Trump et son administration ne se contentent pas de faire disparaître des informations. Ils empêchent que de nouvelles soient créées. Les chercheurs qui souhaitent être financés par l’État fédéral doivent maintenant éviter des termes comme « diversité », « inclusion », « femme », « LGBTQI « , « changement climatique ». Imaginez : des scientifiques contraints de parler d’ouragans sans pouvoir mentionner le climat, d’étudier les inégalités sans pouvoir dire « femme » ou “racisme”. C’est Orwell qui rencontre Kafka dans un épisode de Black Mirror.
Dans le cadre de la NSA (National Security Agency) c’est le « Big Delete », le grand effacement. Des pages et des sites entiers qui disparaissent, puis qui parfois réapparaissent sans jamais être capable de dire précisément ce qui a entre temps été modifié ou supprimé ou réécrit …
Ingénieries de l’effacement.
Il y a donc le langage, et puis il y a l’ensemble des ingénieries de l’effacement des mots, du travestissement de la langue, de la dissimulation du sens. Au premier rang desquelles les ingénieries du numérique. Dans l’une des dernières livraison de sa Newsletter « Cybernetica », Tariq Krim rappelait comment « lorsque vous utilisez Google Maps aux États-Unis, (…) l’application affiche désormais Gulf of America pour les utilisateurs américains, tout en conservant Gulf of Mexico pour les utilisateurs mexicains et en affichant les deux noms ailleurs. » Jusque-là le numérique et Google ne sont coupables de rien, ils se contentent d’appliquer les règles du droit. Mais ce faisant bien sûr ils s’exposent. Et la manière dont ils répondent à cette exposition est une entrave considérable à nos propres dénominations, à nos capacités à négocier ces dénominations au coeur même des espaces qui le mobilisent et les activent. Ainsi Tariq Krim rappelait également que « maintenant, Google Maps empêche les utilisateurs de laisser des avis sur cet emplacement. Cette restriction intervient après une vague de critiques et de review-bombing, où des centaines d’utilisateurs ont attribué une étoile à l’application pour dénoncer ce changement. »
Et puis il est d’autres exemples dans lesquels ce sont cette fois ces acteurs du numérique eux-mêmes qui se placent en situation de complaire aux politiques fascisantes en cours, non qu’elles en épousent nécessairement l’idéologie, mais par ce qui relève a minima d’une opportune lâcheté alignée sur un opportunisme économique. Ainsi la décision de Méta et de Zuckergerg de revenir (rien ne l’y obligeait) sur ses propres politiques en termes de DEI, ainsi la décision de Google (rien ne l’y obligeait non plus) de supprimer de Google Calendar l’affichage par défaut d’événements liés à la Gay Pride (marche des fiertés), au Black History Month (BHM), supprimant aussi les rappels calendaires suivants : « Indigenous People Month, Jewish Heritage, Holocaust Remembrance Day, and Hispanic Heritage. »
Les LGBTQIA+, les Noirs, les peuples indigènes, les Juifs et les Latinos. Le tout dans un monde où un salut Nazi n’est plus seulement inqualifiable sur le plan de l’éthique et de la morale, mais dans un monde où plus personne ne semble capable de simplement le qualifier pour ce qu’il est.
Un grand remplacement documentaire et linguistique.
Il y a les données, les discours, les dates et les mots qui s’effacent, que Trump, et Musk notamment effacent. Effacent et remplacent. Et il y a le grignotage en cours des espaces (notamment) numériques dans lesquels les contenus « générés artificiellement » sont un grand remplacement documentaire. Des contenus générés artificiellement, un web synthétique qui non seulement gagne du terrain mais qui a la double particularité, d’une part de se nourrir d’archives, et d’autre part d’être totalement inféodé aux règles de génération déterminées par les entreprises qui le déploient. Or ces archives (et ce besoin de bases de données pour être entraîné et pour pouvoir générer des contenus), ces archives et ces bases de données sont en train d’être littéralement purgées de certains contenus. Et les règles de génération sont de leur côté totalement inféodées à des idéologies fascisantes qui dictent leurs agendas.
Une boucle paradoxale dans laquelle les mêmes technologies d’IA utilisées pour générer des contenus jusqu’au-delà de la saturation sont également mobilisées et utilisées pour rechercher, détecter et supprimer les mots interdits. Et à partir de là de nouveau générer des contenus à saturation mais cette fois exempts autant qu’exsangues de cette langue et de ces mots.
La certitude d’une ingérence.
Avec ce que révèle et met en place le second mandat de Trump, avec l’évolution de la marche du monde qui l’accompagne et sa cohorte de régimes autoritaires, illibéraux ou carrément dictatoriaux d’un bout à l’autre de la planète, nous sommes à ce moment précis de bascule où nous mesurons à quel point tout ce qui jusqu’ici était disqualifié comme discours catastrophiste ou alarmiste se trouve soudainement requalifié en discours simplement programmatique.
Et l’abîme qui s’ouvre devant nous est vertigineux. Que fera une administration (celle de Trump aujourd’hui ou une autre, ailleurs, demain), que fera une telle administration de l’ensemble de ces données, aussi bien d’ailleurs de celles qu’elle choisit de conserver que de celles qu’elle choisit d’effacer ? Je l’avais (notamment) documenté dans ma série d’articles sur le mouvement des Gilets Jaunes, et plus particulièrement dans celui intitulé « Après avoir Liké, les Gilets Jaunes vont-ils voter ?« , il faut s’en rappeler aujourd’hui :
Quelle que soit l’issue du mouvement, la base de donnée « opinion » qui restera aux mains de Facebook est une bombe démocratique à retardement … Et nous n’avons à ce jour absolument aucune garantie qu’elle ne soit pas vendue à la découpe au(x) plus offrant(s).
Et ce qui est aux mains de Facebook est aujourd’hui aux mains de Trump. Le ralliement de Zuckerberg (et de l’ensemble des patrons des Big Tech) à Trump, l’état de la démocratie US autant que les enjeux à l’oeuvre dans le cadre de prochaines élections européennes et Françaises, ne laisse pas seulement « entrevoir » des « possibilités » d’ingérence, mais elle les constitue en certitude, certitude que seule limite (pour l’instant) l’incompétence analytique de ceux qui mettent en place ces outils de captation et leurs infrastructures techniques toxiques (ladite incompétence analytique pouvant aussi entraîner nombre d’autres errances et catastrophes).
Dans un autre genre, et alors que la Ligue des Drois de l’Homme vient de déposer plainte en France contre Apple au sujet de l’enregistrement (non consenti) de conversations via son assistant vocal Siri, et que l’on sait que ces enregistrements non-consentis couvrent toute la gamme des acteurs qui proposent de tels assistants vocaux et leur palette d’enceintes connectés, c’est à dire d’Apple à Amazon en passant par Facebook, Microsoft et Google, et par-delà ce qu’Olivier Tesquet qualifie de « Watergate domestique », qu’est-ce qu’une administration qui efface des mots, qui en interdit d’autres, qui réécrit des sites ou modifie et invisibilise des pans entiers de la recherche scientifique, qu’est-ce que ce genre d’administration est capable de faire de l’ensemble de ces conversations enregistrées et qui relèvent de l’intime et du privé ?
Il semble que nous n’ayons finalement rien appris, rien retenu et surtout rien compris de ce qu’ont révélé Edward Snowden et Julian Assange. Ils montraient la surveillance de masse et nous regardions le risque d’une surveillance de masse. Ils montraient le danger du politique et nous regardions le danger de la technique. Il est en tout cas évident que malgré les lanceurs d’alerte qui ont mis leur réputation et parfois leur vie en danger, que malgré le travail tenace et sans relâche des militantes et militants des libertés numériques, il semble que rien de tout cela n’ait été suffisant.
Calculer la langue.
Orwell en a fait un roman, d’immenses penseurs ont réfléchi à la question de la propagande, à celle de la langue et du vocabulaire à son service ; aujourd’hui en terre numérique et à l’aune de ce que l’on qualifie bien improprement « d’intelligence artificielle », en héritage aussi du capitalisme linguistique théorisé par Frédéric Kaplan, aujourd’hui la langue est attaquée à une échelle jamais atteinte. Aujourd’hui tout comme les possibilités de propagande, les possibilités de censure, d’effacement, de détournement n’ont jamais été aussi simples et aussi massives ; elles n’ont jamais été autant à disposition commode de puissances accommodantes ; et jamais l’écart avec les possibilités d’y résister, d’y échapper, de s’y soustraire ou même simplement de documenter ces effacements, ces travestissements et ces censures, jamais cet écart n’a été aussi grand. En partie parce que les puissances calculatoires sont aujourd’hui en situation et capacité d’atteindre la langue dans des mécanismes de production demeurés longtemps incalculables. On appelle cela en linguistique de corpus et dans le traitement automatique du langage, les « entités nommées« , c’est à dire cette capacité « à rechercher des objets textuels (c’est-à-dire un mot, ou un groupe de mots) catégorisables dans des classes telles que noms de personnes, noms d’organisations ou d’entreprises, noms de lieux, quantités, distances, valeurs, dates, etc. » Le travail sur ces entités nommées existe depuis les années 1990 ; elles ont été la base de tous les travaux d’ingénierie linguistique et sont actuellement l’un des coeurs de la puissance générative qui fait aujourd’hui illusion au travers d’outils comme ChatGPT : la recherche, la détection, l’analyse et la production sous stéroïdes d’entités nommées dans des corpus documentaires de l’ordre de l’aporie, c’est à dire à la fois calculables linguistiquement mais incommensurables pour l’entendement.
Quand il n’y aura plus rien à dire, il n’y aura plus rien à voter.
En conclusion il semble important de redire, de ré-expliquer et de réaffirmer qu’à chaque fois que nous utilisons des artefacts génératifs, et qu’à chaque fois que nous sommes confrontés à leurs productions (en le sachant ou sans le savoir), nous sommes avant toute chose face à un système de valeurs. Un article récent de Wired se fait l’écho des travaux de Dan Hendrycks (directeur du Center for AI Safety) et de ses collègues (l’article scientifique complet est également disponible en ligne en version préprint) :
Hendrycks et ses collègues ont mesuré les perspectives politiques de plusieurs modèles d’IA de premier plan, notamment Grok de xAI, GPT-4o d’OpenAI et Llama 3.3 de Meta. Grâce à cette technique, ils ont pu comparer les valeurs des différents modèles aux programmes de certains hommes politiques, dont Donald Trump, Kamala Harris, Bernie Sanders et la représentante républicaine Marjorie Taylor Greene. Tous étaient beaucoup plus proches de l’ancien président Joe Biden que de n’importe lequel des autres politiciens.
Les chercheurs proposent une nouvelle façon de modifier le comportement d’un modèle en changeant ses fonctions d’utilité sous-jacentes au lieu d’imposer des garde-fous qui bloquent certains résultats. En utilisant cette approche, Hendrycks et ses coauteurs développent ce qu’ils appellent une « assemblée citoyenne« . Il s’agit de collecter des données de recensement américaines sur des questions politiques et d’utiliser les réponses pour modifier les valeurs d’un modèle LLM open-source. Le résultat est un modèle dont les valeurs sont systématiquement plus proches de celles de Trump que de celles de Biden. [Traduction via DeepL et moi-même]
En forme de boutade je pourrais écrire que cette expérimentation qui tend à rapprocher le LLM (large modèle de langage) des valeurs de Donald Trump est, pour le coup, enfin une intelligence vraiment artificielle.
En forme d’angoisse (et c’est pour le coup l’une des seules et des rares qui me terrifie sincèrement et depuis longtemps) je pourrais également écrire que jamais nous n’avons été aussi proche d’une expérimentation grandeur nature de ce que décrit Asimov dans sa nouvelle : « Le votant ». Plus rien technologiquement n’empêche en tout cas de réaliser le scénario décrit par Asimov, à savoir un vote totalement électronique dans lequel un « super ordinateur » (Multivac dans la nouvelle) serait capable de choisir un seul citoyen américain considéré comme suffisamment représentatif de l’ensemble de tout un corps électoral sur la base d’analyses croisant la fine fleur des technologies de Data Mining et d’Intelligence artificielle. On peut même tout à fait imaginer l’étape d’après la nouvelle d’Asimov, une étape dans laquelle l’ordinateur seul serait capable de prédire et d’acter le vote, un monde dans lequel il ne serait tout simplement plus besoin de voter. Précisément le monde de Trump qui se faisait Augure de cette possibilité : « Dans quatre ans, vous n’aurez plus à voter. »
En forme d’analyse le seul enjeu démocratique du siècle à venir et des élections qui vont, à l’échelle de la planète se dérouler dans les 10 ou 20 prochaines années, sera de savoir au service de qui seront mis ces grands modèles de langage. Et avant cela de savoir s’il est possible de connaître leur système de valeurs. Et pour cela de connaître celles et ceux qui décident de ces systèmes de valeurs et de pouvoir leur en faire rendre publiquement compte. Et pour cela, enfin, de savoir au service et aux intérêts de qui travaillent celles et ceux qui décident du système de valeurs de ces machines de langage ; machines de langage qui ne seront jamais au service d’autres que celles et ceux qui en connaissent, en contrôlent et en définissent le système de valeurs. Et quand il n’y aura plus rien à dire, il n’y aura plus à voter.
11.05.2025 à 14:10
Menacé, bâillonné, délivré. Petite histoire d’un effet Streisand entre le Cabinet Louis Reynaud et moi.
Olivier Ertzscheid
Texte intégral (2405 mots)
Voilà, j’espère en tout cas, la fin de cette histoire. Après avoir dénoncé les agissements peu scrupuleux (euphémisme) du Cabinet Louis Reynaud auprès d’une association de lutte contre la précarité étudiante dont je m’occupe et dont je suis membre, j’avais été mis en demeure par leurs avocats de retirer mon article. Ce que j’avais fait en en donnant les raisons dans cet autre article.
J’avais alors formulé plusieurs souhaits :
- que des journalistes et des associations de défense des libertés numériques se saisissent de ces éléments et enquêtent.
- que d’autres associations ayant reçu de pareilles sollicitations me contactent ou publient aussi ces éléments.
- que les autorités indépendantes que sont la CNIL et l’ANSSI s’expriment sur ce sujet.
Pour l’instant seul mon voeu numéro 1 s’est trouvé exaucé, et de belle manière Mais j’ai toujours bon espoir que les autres suivent. Et puis cette affaire m’a également appris plusieurs choses. Je vous raconte.
Côté presse d’abord.
Plusieurs articles et enquêtes vont venir se pencher sur cette affaire et établir qu’a minima la pratique du Cabinet Louis Reynaud est extrêmement tendancieuse et fondamentalement problématique (je n’ai pas droit de dire qu’elle est crapuleuse sinon leurs avocats pourraient encore m’écrire mais vous voyez l’idée hein
Cela commence avec une brève (mais saignante) dans Stratégies du 23 Avril : « Du don de data organique contre la précarité. »
Cela se poursuit avec un long article au format enquête dans dans Next.Ink en date du 24 Avril : « Les étranges méthodes d’un cabinet de conseil pour aller à la pêche aux données biométriques. » Je vous invite vraiment à lire cet article parfaitement respectueux du contradictoire, ainsi que les 10 pages (!) que le cabinet Louis Reynaud a fourni au journaliste en guise de réponse.
Cela continue avec un autre article, cette fois dans l’Humanité en date du 25 Avril : « Aide alimentaire contre données biométriques ? L’étrange deal proposé par le cabinet Louis Reynaud, spécialisé dans la cybersécurité, à une épicerie solidaire. »
Si vous n’êtes pas abonné à l’Huma (c’est mal mais c’est encore rectifiable) je vous donne, avec l’accord d’Eugénie Barbezat, un pdf de l’article complet : article-huma.pdf
Et Ouest-France à son tour sort un papier le 2 Mai : « Comment on a offert à des étudiants bénéficiaires d’une épicerie solidaire de ficher leur visage. »
Voici l’article complet (là encore avec l’accord de la journaliste Clémence Holleville).
Voilà pour l’essentiel de la couverture médiatique de cette affaire (à ce jour …).
Effet Streisand.
L’effet Streisand c’est cette part consubstancielle de la culture web qui « se produit lorsqu’en voulant empêcher la divulgation d’une information que certains aimeraient cacher, le résultat inverse survient, à savoir que le fait que l’on voulait dissimuler attire et concentre l’attention médiatique. »
Avant le courrier de mise en demeure qui m’a été adressé par les avocats du Cabinet Louis Reynaud, l’article dans lequel je dénonçais leurs agissements en assimilant leurs pratiques à celle de vautours et de crapules culminait à un peu moins de 900 visites. Soit la moyenne d’un article de mon blog dans lequel je m’énerve un peu et use d’un vocabulaire soyeux et chatoyant Pour tout dire, la circulation de cet article sur les médias sociaux avait même été plutôt faible à mon goût et j’avais initialement imaginé qu’il puisse déclencher davantage de reprises à proportion de mon indignation et de mon courroux (coucou).
Et puis PAF la lettre de mise en demeure des avocats, et puis POUF l’explication de mon choix d’y céder, et puis PIF PAF POUF des reprises cette fois massives sur les réseaux sociaux et surtout … un nombre de visites cumulées qui explose sur mon blog : plus 10 000 se répartissant entre l’article initial retiré (plus de 4500 vues avant son retrait effectif) et sur son article satellite expliquant les raisons de ce retrait (plus de 6500 vues à ce jour et ça continue de grimper).
L’effet Streisand implique également que l’information que certains aimeraient cacher se retrouve donc librement accessible en d’autres endroits. C’est là que les articles de presse vont jouer une partie de ce rôle, et c’est surtout là aussi que la dynamique du web va opérer puisque sans que j’en fasse la demande, mon article initial, dès l’annonce de la mise en demeure connue, s’est retrouvé archivé et republié dans un très grand nombre d’autres blogs ou forums, le plus souvent sous forme d’extraits choisis, et qu’il a surtout instantanément été intégralement archivé sur le formidable Archive.org et sa « Wayback Machine ». Vous pouvez ainsi continuer d’en lire la version originale si vous le souhaitez. Pour celles et ceux qui découvrent tout cela, je précise que n’importe qui peut solliciter auprès du site Archive.org l’archivage d’une page ou d’un site.
Je rappelle par ailleurs à toutes fins utiles, que ce blog ést doté depuis Juin 2012, par la Bibliothèque Nationale de France, d’un numéro ISSN, et qu’il est donc régulièrement archivé et conservé à titre patrimonial dans le cadre du dépôt légal numérique (parmi 4 millions d’autres sites).
Je sais par ailleurs (puisqu’ils et elles me l’ont dit ou écrit) qu’un certain nombre de lecteurs et lectrices du blog ont saisi des députés (plutôt sur les rangs de la gauche de l’assemblée), des groupes parlementaires ainsi que d’autres élus sur ce sujet (celui de la collecte des données biométriques). Sujet qui est, comme je l’indiquais dès le départ, un sujet d’inquiétude majeur de notre monde contemporain a fortiori lorsqu’il touche les plus précaires et les plus fragiles, ce qui est bien le cas de l’affaire concernée.
J’ai encore tout récemment appris dans l’article de Ouest-France qu’à l’échelle locale, le Parti Communiste vendéen avait publié le 30 Avril un communiqué interpellant le préfet de Vendée sur ce « fichage » et appelant à « protéger les plus exposés. » Et je l’en remercie. Je continue d’espérer que d’autres groupes politiques, locaux ou nationaux se feront le relai des alertes qu’ils ont reçu, et qui vont bien au-delà des seules pratiques du cabinet Louis Reynaud.
Cherry On The Cake.
Si dans cette affaire et à ce jour, la CNIL comme l’ANSSI demeurent à mon goût étonnamment silencieuses, j’ai cependant eu l’heureuse surprise d’échanger avec nombre d’avocats et de conseils juridiques (dont le GOAT, j’ai nommé Maître Eolas) qui m’ont à chaque fois indiqué que s’ils comprenaient ma décision de céder à la mise en demeure, ils la regrettaient, et m’auraient conseillé de n’en rien faire tant, toujours selon mes échanges avec eux, la dimension de la procédure bâillon était manifeste (entre autres). Et tant également le fait d’adresser cette même mise en demeure directement à mon employeur (l’université de Nantes) alors que je n’agis dans cette affaire, jamais en cette qualité mais de manière indépendante de mes fonctions de Maître de Conférences, pouvait selon certains d’entre elles et eux suffire à justifier une plainte déontologique en retour (contre le cabinet d’avocat qui représente les intérêts du cabinet Louis Reynaud)
J’en profite pour les remercier et remercier aussi chacune et chacun d’entre vous du soutien apporté durant cette affaire qui m’occupa bien davantage qu’elle ne m’inquiéta réellement.
Merci aussi aux journalistes qui ont pris le temps de se saisir du sujet, d’enquêter et de qualifier les faits.
Et merci à l’ensemble des élus qui se sont également saisi de ce sujet, ou qui continueront de s’en préoccuper par-delà ce seul cas, et d’y faire valoir et prévaloir toute la vigilance républicaine qu’il nécessite.
Et si vous souhaitez aider l’épicerie sans nous demander de vous envoyer nos bénéficiaires se faire scanner la face, c’est toujours possible par là
04.05.2025 à 17:00
Les effets de Tiktok sur les mineurs. Retour sur mon audition à l’assemblée nationale.
Olivier Ertzscheid
Texte intégral (14832 mots)
Le 29 Avril 2025 j’ai été (avec d’autres) auditionné à l’assemblée nationale dans le cadre de la commission sur « Les effets de Tiktok sur les mineurs ». L’ensemble des auditions (qui se poursuivent) est disponible en ligne sur le site de l’assemblée.
Initialement invité en compagnie d’Aurélie Jean et de David Chavalarias qui ont finalement dû décliner (j’espère qu’ils pourront tout de même être entendus), le périmètre de cette audition a finalement réuni :
- Mme Sihem Amer-Yahia, directrice de recherche au CNRS, directrice adjointe du Laboratoire d’informatique de Grenoble
- Mme Lucile Coquelin, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, Laboratoire DyLIS, Inspé Normandie Rouen Le Havre, Sciences Po Paris
- M. Marc Faddoul, directeur et cofondateur d’AI Forensics.
- et moi
Pour préparer cette audition, on nous avait envoyé une liste de 18 questions. Je vous livre ci-dessous les réponses que j’y ai apportées et que j’ai également transmises à ladite commission. Comme j’aime bien partager ma vie avec mes étudiant.e.s du meilleur BUT Infocom de la galaxie connue, je leur avais raconté et annoncé cette audition et leur avais aussi demandé de répondre à quelques-unes des questions qui m’avaient été adressées, en le faisant depuis leur point de vue d’utilisateur et d’utilisatrice de la plateforme. J’en ai extrait (avec leur accord et en les anonymisant) quelques verbatims que vous trouverez en toute fin d’article.
A titre personnel cette expérience fut à la fois intéressante mais essentiellement frustrante. Il s’agit d’un dispositif « court » : nous étions ici 4 universitaires à être auditionnés sur un temps d’un peu plus d’une heure. Ajoutez-y les questions et les propos « liminaires » et cela reste court. Mais chaque commission auditionne énormément de personnes et il est donc normal et nécessaire de limiter la temporalité de ces temps d’échange. Il y a aussi une forme de solennité biaisée : nous sommes conviés en tant que praticiens et praticiennes spécialistes d’un sujet auquel nous avons consacré plusieurs dizaines d’années de recherche, de travaux, d’ouvrages et d’articles, mais nous nous adressons à la puissance publique dans un cadre dont il est difficile de déterminer quelle est la part attendue de l’analyse réflexive, et celle de l’opérationnalité immédiate exigée ; car à la fin, tout cela devra se traduire par des mesures concrètes susceptibles de produire ou d’orienter des cadres législatifs à l’origine de décisions politiques. Le dernier point de difficulté est que nous débarquons dans cette commission sans savoir quel est le niveau réel d’acculturation des députés aux éléments que nous allons présenter. J’avais de mon côté écouté l’ensemble des auditions précédentes pour tenter d’éviter les redites et produire un minimum de continuité dans les travaux de la commission, mais même en ayant pris le temps de le faire, l’exercice reste délicat.
Tout ça pour dire que je suis bien content de pouvoir, au calme, transmettre par écrit mes réflexions à cette commission, car si elle devait se fonder uniquement sur ce que je lui ai déclaré à l’oral (ainsi que mes camarades d’audition), je ne pense pas qu’elle serait très avancée ou informée J’espère donc surtout qu’elle pourra prendre le temps de lire tout cela (ainsi que la synthèse que j’en dresse à la fin en mode TLDR).
Cela a commencé ainsi.
[On nous demande d’abord de nous présenter brièvement et on nous laisse un « propos liminaire » de 5 minutes] Je suis enseignant chercheur en sciences de l’information. Si les universitaires qui étudient la sociologie se définissent comme sociologues, je peux me définir comme « médiologue ». J’étudie les médias numériques (moteurs de recherche, réseaux sociaux, plateformes) et ce qu’ils modifient dans notre rapport à l’information, à la connaissance, aux autres et à nous-mêmes. Depuis 25 ans je documente l’évolution de ces outils avec – essentiellement – des méthodes d’observation participante. Et si je devais résumer 25 ans de recherche en une seule phrase je dirai que tout est de la faute du modèle économique de ces plateformes. Ou pour reprendre le titre d’une conférence d’une collègue, Zeinep Tufekci : « nous avons construit une dystopie, juste pour obliger les gens à cliquer sur des publicités« .
[Propos liminaire 1] En guise de propos liminaires je veux rappeler et insister sur le fait que ces « réseaux sociaux » qui sont en fait des « médias sociaux » doivent être pensés et analysés comme des biotopes particuliers dans un écosystème général qui est celui de l’économie des médias (radio, télé, presse, etc.). Et que ces médias sociaux procèdent (en partie) comme des parasites qui vont littéralement venir phagogyter les autres écosystèmes médiatiques. Les exemples sont nombreux. Il y avait eu à l’époque (circa 2010) le fait que plein de sites de presse ou de médias avaient accepté d’installer sur leur site le bouton « Like » de Facebook qui avait fait d’eux de simples vassaux numériques et médiatiques de cette plateforme devenue hôte. J’écrivais alors et alertais : « Le Like tuera le lien« .
Aujourd’hui il y a toujours des liens d’écho, de résonance très forts entre différents écosystèmes médiatiques mais dans certains cas d’usages, auprès de certaines populations, pour certains segments d’âge ou d’éducation, les médias sociaux sont le premier biotope informationnel. C’est cette question qu’il faut adresser (pour TikTok comme pour les autres) et pour laquelle la part « éditoriale » de ce que l’on appelle « les algorithmes » doit être clarifiée, débattue, encadrée. Encadrée de manière contraignante.
[Propos liminaire 2] Les algorithmes sont comme des ritournelles auxquelles on s’accoutume à force de les fréquenter, que l’on retient – et que l’on maîtrise parfois – dans une forme d’intelligence situationnelle altérée par l’expérience sans cesse renouvelée de cette fréquentation. Comme la ritournelle chez Deleuze et Guattari dans leur ouvrage « Mille Plateaux », les algorithmes sont trois choses à la fois :
- D’abord ce qui nous rassure par une forme de régularité attendue, que l’on devine et anticipe.
- Ensuite ce qui installe l’organisation nous semblant familière d’un espace que l’on sait public mais que l’on perçoit et que l’on investit en partie comme intime : ils « enchantent » l’éventail de nos affects et sont l’état de nature de nos artifices sociaux.
- Enfin ils sont ce qui, parfois, nous accompagne et nous équipe aussi dans la découverte d’un ailleurs, parce qu’y compris au sein de représentations cloisonnées, ils sont des « chants traversants. »
[Propos liminaire 3] La question nous est posée de savoir si l’on peut « exiger des réseaux sociaux d’être entièrement transparents sur leur algorithme« . Oui. En tout cas sur la partie éditoriale, cela me semble nécessaire de l’exiger. En définissant le périmètre de cette éditorialisation pour éviter qu’elle ne puisse être totalement instrumentalisée (par exemple si tout le monde sait qu’un bouton like vaut 1 point et qu’un bouton colère vaut 5 points, nos comportements sont susceptibles de changer).
Mais plus fondamentalement nous parlons d’outils qui ont totalement explosé le cadre anthropologique de la communications entre les êtres humains. On peut se parler à distance, en absence, à la fois à plusieurs et en dialogue, en multimodalité, via des avatars, dans des mondes « réels » ou dans d’autres « virtuels », etc.
Nous parlons d’outils qui touchent chaque jour et de manière récurrente davantage de monde que jamais aucun média n’a jamais été en capacité d’en toucher et ce dans toute l’histoire de l’humanité. Ce ne sont pas seulement des médias de masse mais des médias d’hyper-masse.
Et enfin il y a la question du rythme, de la fragmentation et de la séquentialité hypercourte : notre cerveau n’est pas fait, n’est pas calibré pour s’informer par tranches de 6 à 15 secondes en passant d’un sujet à un autre.
Cette triple révolution anthropologique de la communication ne peut s’accommoder de demi-mesures ou de clairs-obscurs législatifs et réglementaires. A fortiori lorsque la mauvaise foi, la duperie et la tromperie de ces plateformes a été démontrée et documentée à de très nombreuses reprises, grâce notamment aux lanceurs et lanceuses d’alertes.
Et a fortiori encore dans un monde où ces applications et plateformes sont devenues totalement indissociables de pouvoirs politiques qu’elles servent toujours par intérêt (soit pour échapper à des régulations, soit pour jouir de financements publics, soit pour tuer la concurrence comme le documentent encore les actuelles actions en justice contre Google et Meta notamment).
[Propos liminaire 4] Je veux citer ce que j’écrivais dans l’article « Ouvrir le code des algorithmes ne suffit plus »
Après les mensonges de l’industrie du tabac sur sa responsabilité dans la conduite vers la mort de centaines de millions de personnes, après les mensonges de l’industrie du pétrole sur sa responsabilité dans le dérèglement climatique, nous faisons face aujourd’hui au troisième grand mensonge de notre modernité. Et ce mensonge est celui des industries extractivistes de l’information, sous toutes leurs formes. (…) Et même s’ils s’inscrivent, comme je le rappelais plus haut, dans un écosystème médiatique, économique et politique bien plus vaste qu’eux, leur part émergée, c’est à dire les médias sociaux, sont aujourd’hui pour l’essentiel de même nature que la publicité et le lobbying le furent pour l’industrie du tabac et du pétrole : des outils au service d’une diversion elle-même au service d’une perversion qui n’est alimentée que par la recherche permanente du profit.
Les questions de la commission (et mes réponses).
Ces questions étaient organisées en cinq grandes parties :
- Sur le fonctionnement des algorithmes utilisés par les réseaux sociaux.
- Sur les données personnelles utilisées par les algorithmes des réseaux sociaux
- Sur la transparence des réseaux sociaux
- Sur l’éducation aux réseaux sociaux
- Questions générales
Sur le fonctionnement des algorithmes utilisés par les réseaux sociaux
1. Quels sont les multiples facteurs pris en compte par les algorithmes utilisés par les réseaux sociaux, notamment pour déterminer les contenus présentés aux utilisateurs ? Identifiez-vous des spécificités propres au fonctionnement de TikTok ?
De manière générale les algorithmes de recommandation fonctionnent sur 4 critères.
- Le premier est celui de la personnalisation déclarative (on dit ce que l’on aime ou ce que l’on n’aime pas).
- Le second est celui de l’historique de navigation réel : indépendamment de ce que l’on dit aimer, les plateformes « voient » ce que l’on consomme réellement et ce sur quoi on est appétent.
- Le troisième critère est celui de la moyenne statistique (comparativement à d’autres ayant déclaré les mêmes centres d’intérêt, et/ou dans le même groupe d’âge, de genre, etc.)
- le quatrième critère est celui de la stochastique, de l’aléatoire. Depuis le début des systèmes de recommandation, les ingénieurs qui fabriquent ces algorithmes savent que si on ne sort pas de temps en temps de nos centres d’intérêt déclaratifs on va avoir des phénomènes de désintérêt ou de lassitude. Ils injectent donc un peu (ou beaucoup) d’aléatoire pour « affiner » et « ajuster » mais aussi pour (souvent) nous « ramener » des des contenus plus directement monétisables. La question c’est de savoir jusqu’où peut aller cet aléatoire (plus ou moins loin de nos habitudes de. navigation et de consultation) et de quelle manière et en quelles proportions il peut-être corrélé à d’autres moyennes statistiques.
Reste la particularité de l’algorithme de Tiktok qui est la question du rythme. Alors que la durée moyenne d’une vidéo TikTok est de 15 ou 16 secondes, toutes les 3, 4, 5 ou 6 secondes, donc sur des temps et des rythmes extrêmement courts, il y a une interaction, donc une documentation de notre pratique, donc une information pour l’algorithme. La vitesse de consommation est en elle-même une information. Elle fonctionne comme un arc réflexe. Chaque vidéo, chaque contenu affiché est l’équivalent du petit coup de marteau sur votre genou pour déclencher l’arc réflexe. Sauf que cette fois l’arc réflexe recherché est un arc réflexe cognitif. Cette rythmique a été copiée par les autres plateformes : Reels sur Insta, Spotlights sur Snapchat, Shorts sur Youtube.
A cette rythmique s’ajoute aussi la multiplication des points d’entrée dans les logiques de recommandation : « Pour toi » mais aussi « abonnements » (« suivis »), « amis », « lives », « explorer ».
Et une stratégie du fou, de l’irrationalité : certains contenus mis en avant disposent de chiffres de visibilité et d’engagement hallucinants (plusieurs centaines de millions de vues) alors que d’autres beaucoup plus travaillés et pertinents ne décolleront jamais. La question des métriques est par ailleurs là aussi une spécificité de TikTok qui fonctionne comme un vertige, une ivresse de notoriété : la moindre vidéo peut atteindre des nombres de vues immensément plus important que sur d’autres plateformes. Comme sur les autres plateformes, absolument rien ne permet en revanche d’authentifier la sincérité de ces métriques.
2. Les algorithmes des réseaux sociaux peuvent-ils favoriser certains types de contenus ? Le font-ils effectivement ? Si oui, selon quels facteurs et quelles modalités ? Identifiez-vous des spécificités propres au fonctionnement de TikTok ?
Dans l’absolu la réponse est oui car la nature même d’un algorithme est de trier et d’organiser l’information et les contenus. Donc de hiérarchiser. Donc d’éditorialiser (cf « Un algorithme est un éditorialiste comme les autres« ). Ce qui est plus complexe c’est de documenter finement la manière dont ils procèdent. Mais on a eu un exemple indépassable avec le rachat de Twitter par Elon Musk et la manière dont du jour au lendemain la ligne éditoriale a totalement changé (cf mon article « ouvrir le code des algorithmes ne suffit plus« ).
[Nota-Bene] J’entends le terme « d’éditorialisation » comme le définit Marcello Vitali-Rosati : « L’éditorialisation est l’ensemble des dispositifs qui permettent la structuration et la circulation du savoir. En ce sens l’éditorialisation est une production de visions du monde, ou mieux, un acte de production du réel. »
L’autre enjeu c’est de comprendre à quels intérêts ces changements correspondent ; un algorithme étant nécessairement la décision de quelqu’un d’autre, qu’est-ce qui motive ces décisions ?
- L’idéologie ? Exemples récents et récurrents de rétablissement de comptes masculinistes ou pro-avortement, prime donnée à ces contenus, etc.
- La géopolitique ? Exemples récents de contenus plutôt pro-israëliens sur Facebook après le 7 Octobre (en tout cas invisibilisation de contenus pro-palestiniens) à l’inverse de contenus plutôt pro-palestiniens sur TikTok.
- L’argent (recettes et monétisation publicitaire) ?
Un concept clé pour comprendre la favorisation de certains contenus c’est celui de la publicitarisation. La « publicitarisation » c’est une notion définie ainsi par Valérie Patrin-Leclère, enseignante au CELSA :
« une adaptation de la forme, des contenus, ainsi que d’un ensemble de pratiques professionnelles médiatiques à la nécessité d’accueillir la publicité. Cette adaptation consiste en un aménagement destiné à réduire la rupture sémiotique entre contenu éditorial et contenu publicitaire – elle se traduit, par exemple, par l’augmentation des contenus éditoriaux relevant des catégories « société » et « consommation » ou par le déploiement de formats facilitant l’intégration publicitaire, comme la « téléréalité » – mais aussi en un ménagement éditorial des acteurs économiques susceptibles d’apporter des revenus publicitaires au média (…) »
Cette publicitarisation est là encore très ancienne. Un des responsables partenariats de Google (David Eun) déclarait il y a plus de 20 ans : « Ads Are Content ». Traduction : « les publicités sont du contenu« , et par extension, « les publicités c’est le contenu« . Le résultat aujourd’hui c’est ce verbatim d’utilisateurs et d’utilisatrices pour qui « le fait que le contenu est sponsorisé n’est pas toujours explicite et même parfois volontairement dissimulé. Les publicitaires reprennent également les codes des influenceurs et les trends, ce qui floute la frontière entre une recommandation personnelle et un contenu sponsorisé. »
Concernant la dimension géopolitique ou idéologique, là où TikTok est un objet encore plus complexe c’est parce que lui-même est en quelque sorte le premier réseau social directement, presqu’ontologiquement géopolitique. Créé par la Chine, comme un facteur, vecteur, agent d’influence. Mais avec des déclinaisons différentes dans chaque pays ou zone : le TikTok Chinois n’est pas le TikTok américain qui lui-même n’est pas exactement le TikTok européen, etc.
Une autre particularité forte de l’algorithmie de TikTok (en plus de son rythme propre) c’est ce qu’on appelle le « beauty / pretty privilege » et qui fait que des phénomènes comme le SkinnyTok ont un impact majeur presqu’indépendamment du nombre d’utilisateurs actifs de la plateforme (saisine par Clara Chappaz de l’ARCOM et de la commission européenne à ce sujet). Et qui fait que certains corps (noirs, gros, trans, etc.) sont invisibilisés ou dénigrés.
Les réseaux et médias sociaux, via leurs décisions et tamis algorithmiques, sont essentiellement deux choses :
- des machines à cash
- des machines à fabriquer de la norme
Et plus il y aura de normes édictées par les médias sociaux, plus elles seront facilement suivies (public captif), plus elles seront publicitarisables, plus il y aura de cash, plus il y aura de nouveaux espaces de publicitarisation. Ad Libitum.
Et pour être ces machines à cash et à fabriquer de la norme, les algorithmes de ces plateformes ont un rapport particulier à la mémoire : ils sont structurellement dans une forme d’hypermnésie permanente (du fait de la conservation de nos historiques) mais sont conjoncturellement tout à fait capables d’amnésie lorsque cela les arrange ou le nécessite (par exemple pour nous re-proposer des contenus dont nous avons dit qu’ils ne nous intéressaient pas mais qui sont rentables pour la plateforme).
3. Quels sont les conséquences du modèle économique des réseaux sociaux et particulièrement de TikTok quant à la construction et la mise en œuvre des algorithmes utilisés ?
Ils cadrent tout. Au sens où le sociologue Erving Goffman parle des « cadres de l’expérience ».
Toute expérience humaine renvoie, selon Goffman, à un cadre donné, généralement partagé par toutes les personnes en présence ; ce cadre oriente leurs perceptions de la situation ainsi que les comportements qu’elles adoptent par rapport à elle. Ceci étant posé, l’auteur s’attache, selon son habitude, à classer les différents types de cadres, en distinguant d’abord les cadres primaires des cadres transformés. (Source)
Ces cadres vont ensuite être « modalisés », c’est à dire subir différentes transformations. Et donc la conséquence du modèle économique des réseaux sociaux c’est que la publicité, ou plus exactement la publicitarisation est la première modalisation de ce cadre d’expérience commun qu’est la navigation dans les contenus de chaque plateforme.
La publicitarisation fabrique littéralement de la consommation (au sens économique mais aussi informationnel et navigationnel), consommation qui elle-même fabrique des formes de compulsion (FOMO, etc.) qui elles-mêmes viennent nourrir et optimiser la rentabilité du cadre de la publicitarisation.
Sur ce sujet, je cite souvent l’exemple de la position des deux fondateurs du moteur de recherche Google, Serguei Brin et Larry Page; En 1998, ils publient un article scientifique pour expliquer le fonctionnement de l’algorithme Pagerank qui va révolutionner le monde de la recherche en ligne. Et dans une annexe de leur article scientifique ils écrivent :
« nous déclarons que les moteurs de recherche reposant sur un modèle économique de régie publicitaire sont biaisés de manière inhérente et très loin des besoins des utilisateurs. S’il est vrai qu’il est particulièrement difficile, même pour les experts du domaine, d’évaluer les moteurs de recherche, les biais qu’ils comportent sont particulièrement insidieux. Une nouvelle fois, le Google de ces dernières années en est un bon exemple puisque nous avons vendu à des entreprises le droit d’être listé en lien sponsorisé tout en haut de la page de résultats pour certaines requêtes. Ce type de biais est encore plus insidieux que la « simple » publicité parce qu’il masque l’intention à l’origine de l’affichage du résultat. Si nous persistons dans ce modèle économique, Google cessera d’être un moteur de recherche viable. »
Et ils concluent par :
« Mais nous croyons que le modèle publicitaire cause un nombre tellement important d’incitations biaisées qu’il est crucial de disposer d’un moteur de recherche compétitif qui soit transparent et transcrive la réalité du monde. »
On a donc des plateformes qui « ontologiquement » ont pleine conscience et connaissance de la dénaturation opérée par leur modèle de régie publicitaire mais qui passent outre à la seule fin d’une rentabilité maximale. Cela pourrait être simplement considéré comme du cynisme. Mais à l’échelle des dégâts produits à la fois dans le débat public mais aussi dans la psyché de certains des plus jeunes ou des plus fragiles, c’est de l’irresponsabilité. Et c’est pénalement condamnable. Cela devrait l’être en tout cas.
4. Quelles sont les conséquences des opinions des concepteurs des algorithmes utilisés par les réseaux sociaux, et notamment de leurs éventuels biais, dans la construction et la mise en œuvre de ces algorithmes ?
J’ai déjà répondu plus haut avec l’exemple du rachat de Twitter par Musk et dans mon article « Ouvrir le code des algorithmes ne suffit plus« . Mais on peut aussi compléter par le récent changement de Zuckerberg qui impacte directement les contenus diffusés sur Facebook. Encore une fois : il n’y a pas d’algorithmes, juste la décision de quelqu’un d’autre. Très longtemps on a refusé de le voir. Aujourd’hui, plus le monde se clive, plus les conflits sont mondialisés dans leur médiatisation, plus les plateformes sont par nature ou par intérêt des outils de Soft Power, et plus l’opinion ou l’agenda de leurs concepteurs est déterminant et cadrant.
Ce qui est très frappant aujourd’hui c’est ce qu’écrivait Kate Crawford dans son Atlas de l’IA (2021) et qui s’applique tout particulièrement aux algorithmes en tant que systèmes de pouvoir et que facteurs de puissance.
(…) il n’y a pas de boîte noire unique à ouvrir, pas de secret à révéler, mais une multitude de systèmes de pouvoir entrelacés. La transparence totale est donc un objectif impossible à atteindre. Nous parviendrons à mieux comprendre le rôle de l’IA dans le monde en nous intéressant à ses architectures matérielles, à ses environnements contextuels et aux politiques qui la façonnent, et en retraçant la manière dont ils sont reliés.
Pour les algorithmes, c’est exactement la même chose : il faut nous intéresser simultanément à leurs architectures matérielles, à leurs environnements contextuels et aux politiques qui les façonnent, et retracer la manière dont ils sont reliés. Un algorithme, aujourd’hui, n’est plus uniquement une suite d’instructions logico-mathématiques, c’est une suite de systèmes de pouvoirs entrelacés.
5. Faut-il considérer les algorithmes comme des objets statiques ? Comment un algorithme évolue-t-il ? Peut-il évoluer sans intervention humaine, en apprenant de son propre fonctionnement ? À votre connaissance, comment cela s’applique-t-il aux réseaux sociaux, et particulièrement à TikTok ?
Je reprends ici ce que j’indiquais dans mes propos liminaires. Les algorithmes sont comme des ritournelles auxquelles on s’accoutume à force de les fréquenter, que l’on retient – et que l’on maîtrise parfois – dans une forme d’intelligence situationnelle altérée par l’expérience sans cesse renouvelée de cette fréquentation. Comme la ritournelle chez Deleuze et Guattari dans leur ouvrage « Mille Plateaux », les algorithmes sont trois choses à la fois :
- D’abord ce qui nous rassure par une forme de régularité attendue, que l’on devine et anticipe.
- Ensuite ce qui installe l’organisation nous semblant familière d’un espace que l’on sait public mais que l’on perçoit et que l’on investit en partie comme intime : ils « enchantent » l’éventail de nos affects et sont l’état de nature de nos artifices sociaux.
- Enfin ils sont ce qui, parfois, nous accompagne et nous équipe aussi dans la découverte d’un ailleurs, parce qu’y compris au sein de représentations cloisonnées, ils sont des « chants traversants. »
L’algorithme de TikTok n’est pas plus intelligent, plus efficace ou plus machiavélique que d’autres ; simplement, nous passons beaucoup plus de temps à nous en occuper, et nous le faisons, du fait de sa rythmique propre, avec une fréquence beaucoup plus élevée et avec un soin sans commune mesure avec les autres. Notre rapport à l’algorithme de Tiktok relève littéralement d’une forme de clinique au sens étymologique du terme, c’est à dire emprunté au grec klinikos, « propre au médecin qui exerce son art près du lit de ses malades » (lui-même de klinê, « le lit »). Selon que nous adoptons le point de vue de la plateforme ou le notre, nous sommes le médecin ou le malade.
6. Comment les algorithmes utilisés par les réseaux sociaux, et particulièrement TikTok, s’adaptent-ils à des comportements humains parfois changeants d’un jour à l’autre ?
Par effet d’entrainement. Nous éduquons et entraînons les algorithmes au moins autant qu’ils ne nous formatent en retour. Et tout parciculièrement celui de TikTok comme je l’expliquais juste ci-dessus.
Et puis par leur rythme (cf supra). L’algorithme se moque de savoir si vous êtes de gauche aujourd’hui alors que vous étiez de droite hier, végétarien aujourd’hui alors que vous étiez végan hier. Ce qui intéresse les concepteurs de l’algorithme c’est la captation en temps réel de l’ensemble de ce qui définit votre surface informationnelle numérique. L’algorithme a pour objet de scanner en permanence et si possible en temps réel des éléments qui constituent à la fois votre surface informationnelle (ce qui vous intéresse), votre surface sociale (avec qui partagez-vous ces intérêts) et votre surface comportementale (« sur quoi » ou « avec qui » passez-vous plus ou moins de temps).
Le grand problème est d’ailleurs aussi celui de la personnalisation : c’est à dire que, sur certains types de requêtes en tout cas, plus personne ne voit la même chose en réponse à la même question (ceci vaut pour les plateformes dans lesquels on démarre la navigation par une recherche). Et pour les plateformes, comme TikTok, dans lesquelles il n’est besoin d’aucun amorçage mais uniquement de scroller, tout le monde à l’impression de voir des choses différentes (personnalisées) alors qu’en fait tout le monde voit pour l’essentiel la même chose ; mais cette « même chose » se réduit exclusivement à ce qui est bon économiquement pour la plateforme, c’est à dire soit ce qui fait le buzz et va vous obliger à réagir (polarisation émotionnelle), soit ce qui vous maintient attentionnellement captif et peut donc possiblement renforcer des troubles conatifs (« Symptômes liés à une réduction des capacités d’effort, d’initiative, et à une dégradation de la volonté et des tendances à l’action. Les formes majeures peuvent aboutir à une inactivité avec repli, parfois incurie et résistance aux sollicitations de l’entourage, voire indifférence affective.« )
Je ne sais pas si l’image vous parlera mais plutôt que l’idée des « bulles de filtres » d’Eli pariser (idée que les algorithmes enferment chacun d’entre nous dans une bulle informationnelle plus ou moins étanche) je parlais de mon côté d’un comportement d’autarcithécaires ; cette idée que, du point de vue des plateformes et de leurs algorithmes, il s’agit de nous faire croire que nous sommes en situation d’autarcie informationnelle, c’est à dire de nous donner l’impression que ce qu’elles nous donnent à voir est à la fois suffisant, complet et représentatif, précisément pour que nous perdions progressivement le besoin d’aller regarder ailleurs ou même simplement de considérer qu’il existe un ailleurs informationnel. Ou pour le dire d’une autre manière, comment nous faire passer de la peur de rater quelques chose (FOMO) à la certitude d’une non-nécessité d’aller voir ailleurs.
7. Peut-on envisager des algorithmes « éthiques », notamment eu égard aux enjeux de santé mentale ? Pouvez-vous expliquer le concept d’« informatique sociale » ?
Pour moi l’éthique algorithmique passe par le rendu public de l’ensemble des critères et métriques relevant de formes d’éditorialisation. Et pour répondre par une comparaison, bien sûr que oui, on peut tout à fait imaginer des algorithmes éthiques comme on peut imaginer des vêtements fabriquées de manière éthique, des aliments fabriqués de manière éthique et qui ne soient pas immensément transformés. La seule question est : pourquoi ne le faisons-nous pas ? Pourquoi lorsqu’il en existe parfois personne ne s’y intéresse ?
La réponse à ces questions est évidemment la même que pour l’agro-alimentaire ou les vêtements : c’est une question de coût (ce qui n’est pas éthique est moins cher) et de cadres sociétaux de consommation (où l’on minore et où l’on invisibilise les problèmes posés par cette absence d’éthique).
A chaque fois il faut des drames pour que la société parvienne à se réveiller temporairement. Comme lors de l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh en 2013 qui fait exploser le scandale de la fast fashion. Mais malheureusement à chaque fois au lendemain de ces réveils sociétaux il se produit deux choses : le pouvoir politique ne saisit pas l’opportunité impérieuse de légiférer, et lorsqu’il le fait, la puissance du lobbying et du pantouflage vient tout édulcorer ou tout remettre à plus tard.
En complément, il y a un point particulier d’une éthique algorithmique qui consiste à se mettre en situation (pour les plateformes), où à donner l’injonction (pour la puissance publique) de casser les chaînes de contamination virales. De ralentir. D’ajouter de la friction dans les possibilités de partage, etc. On a vu et on a documenté que cela marchait, et que les plateformes le savaient. Je cite ici, avec les exemples en lien, ce que j’écrivais en Mars 2022 dans mon article « Par-delà le Like et la colère » :
« Ensuite il faut casser les chaînes de contamination virales qui sont à l’origine de l’essentiel des problèmes de harcèlement, de désinformation, et des discours de haine dans leur globalité. Et là encore le cynisme des plateformes est aussi évident que documenté puisqu’elles ont elles-mêmes fait la démonstration, et à plusieurs reprises, que si par exemple elles diminuaient le nombre de personnes que l’on peut inviter par défaut dans les groupes Whatsapp ou le nombre de conversations et de groupes vers lesquels on peut automatiquement transférer des messages, elles diminuaient aussi considérablement la vitesse de circulation des fake news, notamment en période électorale ; que si elles supprimaient la visibilité de nombre de likes ou de réactions diverses sur un post (et que seul le créateur du post était en mesure de les voir), elles jouaient alors sur les effets souvent délétères de conformité (et de pression) sociale et qu’elles permettaient d’aller vers des logiques de partage bien plus vertueuses car essentiellement qualitatives et non plus uniquement quantitatives ; que si elles se contentaient de demander aux gens s’ils avaient bien lu l’article qu’ils s’apprêtaient à partager avant que de le faire sous le coup de l’émotion, elles diminuaient là encore la circulation de fausses informations de manière tout à fait significative. Il y a encore quelques jours, c’était Youtube qui annonçait supprimer l’affichage public du compteur des « dislikes » pour « protéger » les créateurs notamment de formes de harcèlement, un effet qu’il connaît et documente pourtant depuis déjà de longues années. »
Sur les données personnelles utilisées par les algorithmes des réseaux sociaux
8. Pouvez-vous expliquer le concept d’« identité numérique » ? Quelles données personnelles partageons-nous lorsque nous utilisons les réseaux ? Comment ces données sont-elles utilisées par les algorithmes des réseaux sociaux et particulièrement de TikTok ?
Pour reprendre, en l’actualisant, la définition que j’en donnais dans mon ouvrage éponyme paru en 2013, je dirai que :
L’identité numérique peut être définie comme la collection des traces (écrits, contenus audios ou vidéos, messages sur des forums, identifiants de connexion, navigations, éléments d’interactions, etc.) que nous laissons derrière nous, consciemment ou inconsciemment, au fil de nos activités connectées, et le reflet de cet ensemble de traces tel qu’il apparaît « remixé » par les moteurs de recherche ainsi que par les médias et les plateformes sociales, et qui sont autant d’éléments en capacité de nourrir des choix algorithmiques visant à mieux cibler les contenus qui nous seront proposés dans le cadre du modèle économique de la plateforme concernée.
(version actualisée de Ertzscheid, Olivier. Qu’est-ce que l’identité numérique ?. OpenEdition Press, 2013, https://doi.org/10.4000/books.oep.332.)
9. Est-il possible de limiter ce partage de données personnelles ? Est-il possible et souhaitable d’en limiter la collecte, par exemple par le paramétrage des réseaux sociaux ?
Concernant la première partie de la question (est-il possible d’en limiter le partage), et pour autant qu’elle s’adresse aux utilisateurs et utilisatrices de ces plateformes, je réponds oui pour les données personnelles « déclaratives » (nous pouvons disposer d’un tamis plus ou moins large). Mais je réponds « non » pour les données personnelles qui relèvent de la sphère comportementale (ce que l’on voit, ce avec quoi l’on interagit, etc.).
Si la question s’adresse aux plateformes, alors là c’est un oui pour les données personnelles déclaratives comme pour les données comportementales. Elles sont tout à fait en capacité d’en limiter la collecte (mais cela vient heurter leur modèle publicitaire) et sont tout autant en capacité d’en limiter les usages dans le temps.
Le problème principal tient au statut discursif ou énonciatif de l’ensemble de ce qui circule, se dit et se voit dans ces plateformes ou applications : nous ne savons jamais réellement si nous sommes dans un espace discursif ou médiatique intime (où il serait OK et parfois nécessaire de partager ces données personnelles), privé, ou public. Dès 2007, trois ans après le lancement de Facebook, danah boyd indiquait que le problème des réseaux sociaux est qu’ils étaient des espaces semi-publics et semi-privés (« la privauté de ces espaces publics ou semi-publics pose problème« ). Ce problème n’a jamais été résolu.
L’autre problème (et la grande responsabilité des plateformes) c’est qu’elles changent en permanence et sous plein de prétextes différents, le réglage de nos paramètres de confidentialité ou de navigation. Et qu’elles complexifient, par défaut, la possibilité de limiter ce partage de données personnelles (dark patterns, etc.)
Sur la deuxième partie de la question (est-ce possible et souhaitable de limiter cette collecte), je réponds que c’est possible, que c’est souhaitable, et que c’est, surtout, absolument nécessaire.
Il y a un grand récit marketing et technologique qui nous fait croire que plus on collecte de données personnelles, et plus on peut nous proposer de l’information et des contenus personnalisés, et plus ce serait donc intéressant pour nous. C’est une vaste et totale fumisterie. Le seul récit qui vaille est le suivant : plus on collecte de données personnelles, plus on propose des contenus personnalisés, plus on ne fait que « publicitariser » les expériences navigationnelles et informationnelles, et plus on efface la notion de référent commun sur tout un ensemble de sujets, plus on saborde à l’échelle d’une société la question des « régimes de vérité » (cf Foucault ci-dessous), et plus on crée donc à la fois de l’isolement, du conflit, et de la défiance.
« Chaque société a son régime de vérité, sa politique générale de la vérité : c’est-à-dire les types de discours qu’elle accueille et fait fonctionner comme vrais ; les mécanismes et les instances qui permettent de distinguer les énoncés vrais ou faux, la manière dont on sanctionne les uns et les autres ; les techniques et les procédures qui sont valorisées pour l’obtention de la vérité ; le statut de ceux qui ont la charge de dire ce qui fonctionne comme vrai. » Michel Foucault
Longtemps la « personnalisation » n’a été que thématique et déclarative. Du genre : je préfère l’actualité sportive à l’actualité politique, et dans l’actualité sportive, je préfère le rugby au foot. Dès que la personnalisation a gommé cette dimension déclarative explicite, dès qu’elle a surtout été indexée sur nos propres croyances, comportements et opinions plutôt que sur des médias aux formes et aux pratiques d’éditorialisation transparentes, elle est devenue un instrument purement marketing avec un impact politique massivement délétère.
Sur la transparence des réseaux sociaux
10. Pensez-vous qu’il soit possible d’exiger des réseaux sociaux d’être entièrement transparents sur leur fonctionnement et les algorithmes qu’ils utilisent ?
Je reprends ici une partie de mes propos liminaires. Oui il est possible de l’exiger. En tout cas sur la partie éditoriale, cela me semble nécessaire de l’exiger. En définissant le périmètre de cette éditorialisation pour éviter qu’elle ne puisse être totalement instrumentalisée (par exemple si tout le monde sait qu’un like vaut 1 point et qu’une colère vaut 5 points, nos comportements sont susceptibles de changer mais pour autant il est impératif que chacun sache combien « vaut » chaque type d’interaction mobilisée).
Mais plus fondamentalement nous parlons d’outils qui ont totalement explosé le cadre anthropologique de la communications entre les êtres humains. On peut se parler à distance, en absence, à la fois à plusieurs et en dialogue, en multimodalité, via des avatars, etc.
Et d’outils qui touchent chaque jour et de manière récurrente davantage de monde que jamais aucun média n’a jamais été en capacité d’en toucher et ce dans toute l’histoire de l’humanité. Ce ne sont pas seulement des médias de masse mais des médias d’hyper-masse.
Et enfin il y a la question du rythme, de la fragmentation et de la séquentialité hypercourte : notre cerveau n’est pas fait, n’est pas calibré pour s’informer par tranches de 6 à 15 secondes en passant d’un sujet à un autre.
Cette triple révolution anthropologique de la communication ne peut s’accommoder de demi-mesures ou de clairs-obscurs législatifs et réglementaires. A fortiori lorsque la mauvaise foi, la duperie et la tromperie de ces plateformes a été démontrée et documentée à de très nombreuses reprises, grâce notamment aux lanceurs et lanceuses d’alertes.
Et a fortiori encore dans un monde où elles sont devenus totalement indissociables de pouvoirs politiques qu’elles servent toujours par intérêt (soit pour échapper à des régulations, soit pour jouir de financements publics, soit pour tuer la concurrence comme le documentent encore les actuelles actions en justice contre Google et Meta notamment).
11. Est-on en mesure de contrôler cette transparence ? Comment, tant au niveau européen qu’au niveau français ?
Nous n’avons aujourd’hui plus besoin de produire des textes, lois et règlements. Nous avons besoin de faire appliquer ceux qui existent déjà (DSA, DMA, RGPD). Et d’organiser un cadre politique dans lequel la main de l’exécutif ne tremblera pas. Par exemple au titre de l’application du DSA, Twitter devenu X aurait pu et probablement dû être au moins temporairement fermé et interdit à l’échelle européenne (il l’a été au Brésil pendant plusieurs mois).
Nous sommes aujourd’hui pour la régulation de ces mass média en plein paradoxe de la tolérance tel qu’exprimé par Popper. A force d’être tolérants y compris avec les intolérants, nous courrons droit dans le mur. [« Popper affirme que si une société est tolérante sans limite, sa capacité à être tolérante est finalement détruite par l’intolérant. Il la décrit comme l’idée apparemment paradoxale que « pour maintenir une société tolérante, la société doit être intolérante à l’intolérance. » Wikipedia]
Il faut à ce titre aussi exiger des plateformes qu’elles appliquent leurs propres règles, et par exemple ne traitent pas différemment leurs « power users » car à ce jour ces plateformes, toutes ces plateformes, ont d’abord un immense problème de démocratie interne.
12. Les apports du DSA sont-ils suffisants ?
Oui pour autant qu’il y ait la volonté politique de l’appliquer en chacun de ses termes.
13. Est-ce techniquement possible, a minima, d’exiger des réseaux sociaux des garanties que leurs algorithmes ne comprennent pas de biais susceptibles d’avoir des conséquences néfastes (sur-représentation de contenus dangereux pour la santé mentale, propagation de fake news, discriminations, etc) ?
Je crois qu’on se trompe en plaçant cette question sous l’angle « technique ». Ce n’est pas à la « technique » d’arbitrer des questions qui relèvent de la santé publique ou de l’éthique. Je me permets une comparaison. Se poserait-on la question de savoir s’il est possible « techniquement » d’exiger d’une bibliothèque que son plan de classement de comprenne pas de biais ? Non. Parce que le problème ce n’est pas le plan de classement, ce sont les unités documentaires que l’on choisit de classer, donc de donner à voir, ou de ne pas classer. Les plateformes et leurs algorithmes sont « techniquement » en pleine capacité de faire respecter des règles a minima de représentativité sur un ensemble de sujets, y compris politiques, religieux ou sociétaux. Jamais en réalité nous n’avons disposé d’outils aussi puissants et aussi précis pour y parvenir. Si les plateformes (et leurs algorithmes) ne le font pas ce n’est en rien un problème technique. En rien. C’est un problème de choix économiques (business first). Et d’idéologies et d’interêts partisans (ou cyniquement opportunistes) de leurs propriétaires et de leurs actionnariats.
14. Quelle méthodologie utilisez-vous pour étudier les algorithmes utilisés par les réseaux sociaux, et particulièrement TikTok ? Quelles difficultés rencontrez-vous ? Que signifierait, pour le monde de la recherche, la publicité des algorithmes utilisés par les réseaux sociaux ?
A titre personnel, dans mon domaine de recherche, soit on procède par enquête sociologique, soit par observation participante. Comme les sociologues allaient à l’usine pour documenter au plus près le travail concret des ouvriers, on va « aux algorithmes » pour documenter au plus près leurs effets.
Un des grands sujets de notre temps, c’est que nous avons perdu la maîtrise des corpus. Quand je dis « nous » je parle du monde universitaire et donc ensuite du monde de la décision politique. Tous les programmes partenariaux publics permettant à des universitaires d’avoir accès à l’immensité des corpus détenus par les plateformes, tous ces programmes partenariaux ont été fermés. La plupart des API supprimées. L’opacité, hier sur les algorithmes, aujourd’hui sur les données, est absolument totale. Et nous en sommes réduits à faire confiance aux chercheurs employés par ces plateformes (mauvaise idée), ou à attendre la prochaine fuite d’un repenti ou d’une lanceuse d’alerte (encore plus mauvaise idée). La puissance publique, les chercheurs et universitaires de la puissance publique, n’ont plus aucune entrée ou maîtrise des corpus (linguistiques, sociologiques, etc) qui circulent dans ces plateformes et qui les constituent. Et c’est non seulement très inquiétant, mais c’est surtout très inacceptable.
Sur l’éducation aux réseaux sociaux
15. Le grand public est-il familiarisé avec le fonctionnement des algorithmes, et particulièrement de ceux utilisés par les réseaux sociaux ? Adapte-t-il son comportement en conséquence ?
Les travaux existants montrent qu’en effet, lorsqu’un fonctionnement algorithmique est suffisamment connu on a tendance à l’intégrer à notre pratique. Et en général les plateformes mettent donc en place des dispositifs pour contrer ces usages « non naturels » (exemple du Google Bombing). Aujourd’hui, même en connaissant certains « tips » agorithmiques, on ne s’en affranchit pas automatiquement. Et il est beaucoup plus difficile de connaître ou de tricher avec la « totalité » d’un algorithme aujourd’hui que cela ne l’était hier.
Par ailleurs, y compris les ingénieurs qui développent ces algorithmes sont de moins en moins nombreux à en connaître la totalité des fonctionnements. Et la capacité de tourner à plein sans supervision humaine des ces algorithmes n’a jamais cessé d’augmenter. Et cela ne vas pas s’arranger. Récemment le CEO de Google, Sundar Pinchai, confiait qu’environ 30% de l’ensemble du « code » informatique utilisé par l’ensemble des produits de la société Alphabet (maison mère de Google, Youtube, etc) était directement produite par des IA.
Quand à notre comportement adaptatif, il demeure très relatif. Nous ne l’adaptons que dans la mesure où nous avons l’impression que cette adaptation va servir directement (et rapidement) nos intérêts immédiats. Sur le reste, nous sommes plutôt d’une passivité totale, nous nous laissons algorithmiser parce que tout est fait pour fausser notre perception de la balance bénéfices / risques.
16. Pensez-vous que les enfants et adolescents soient suffisamment outillés, notamment par leurs établissements scolaires, pour se protéger des risques que ces algorithmes présentent ? Pensez-vous que les parents soient suffisamment outillés pour en protéger leurs enfants ?
La question de l’accompagnement aux écrans est une question … complexe. Ce que les jeunes et adolescents cherchent dans ces espaces (cf notamment les travaux de danah boyd aux USA ou d’Anne Cordier en France) ce sont des espaces qui soient transgressifs, la première transgression étant cette d’être à l’abri du regard des parents et des adultes. Les espaces numériques sont aussi ces alcôves algorithmiques qui permettent à la fois de se mettre à l’abri (du regard de l’adulte), d’être ensemble (y compris parfois « seuls ensemble » comme l’explique Shirley Turckle), et d’être dans la transgression autant que dans la construction d’un intime. Et cela est tout à fait normal et ne doit sous aucun prétexte être condamné ou, pire, criminalisé. Le problème, le seul et le grand problème, c’est que la construction de cet intime est toujours scruté par des autorités qui ne sont plus « parentales » mais industrielles.
Bonne nouvelle : on observe déjà et très largement des pratiques de « sevrage » temporaire mises en place par les adolescents et jeunes adultes. Cela peut-être à l’approche d’un examen à la fac, du bac français, etc. Pratiques où ils et elles désinstallent temporairement l’application de leur smartphone. Cela veut dire (pour ces publics) qu’une bonne partie du travail de pédagogie est déjà fait. Il faut ensuite trouver un effet cliquet, qui permette d’éviter de délétères retours en arrière. Et c’est bien là le rôle de la puissance publique.
Rappeler aussi que l’enjeu n’est et ne doit pas être d’interdire les écrans, mais de disposer, dans le cadre de l’organisation de notre vie sociale, éducative, publique et citoyenne, d’espaces qui demeurent des espaces non nécessairement déconnectés ou sans écrans, mais à tout le moins sans écrans et connexions qui ne soient autres que collectives ou a minima duales.
A ce titre oui, je suis convaincu par exemple qu’à l’école et au collège, les smartphones devraient être totalement interdits, dans les cours (de récréation) comme en cours. Et vous savez quoi ? Accrochez-vous bien. BINGO. C’est déjà le cas
Et qu’au lycée et même à l’université, ils devraient continuer de l’être pendant les cours. Mais qu’il n’est pour cela ni utile ni nécessaire de passer par la loi. C’est à chaque enseignante ou enseignant et éventuellement à chaque université ou composante de le décider et surtout, surtout, surtout, de l’expliquer. Parce qu’il ne s’agit pas de faire oeuvre de censure ou de police. Mais parce que si l’on considère que la transmission de savoirs tout comme l’acquisition des sociabilités primaires et fondamentales, passe par un pacte attentionnel minimal aux autres et à celui ou celle en charge de vous les transmettre et de vous les faire acquérir, alors il faut aussi accepter que celui ou celle qui est en charge de cela, quelque soit son talent et sa détermination, ne sera jamais, absolument jamais, en situation de rivaliser attentionnellement avec un objet technologique qui contient à lui seul tous les savoirs et toutes les sociabilités du monde.
Rappeler aussi que la question de la santé mentale, notamment chez les jeunes, est toujours, toujours multi-factorielle : elle tient à la fois à des paramètres éducatifs, culturels, familiaux, économiques. Donc il peut y avoir aussi bien des corrélations que, dans certains contextes, des causalités entre l’usage de TikTok et les questions de santé mentale. Mais si l’on veut s’attaquer (et il le faut) aux questions de santé mentale qui affectent désormais de manière alarmante des générations entières, alors il faut aussi et surtout traiter la question des politiques de santé publiques.
Rappeler enfin qu’il existe des métiers (professeurs documentalistes) et des organismes (CLEMI) qui font ce travail formidable au long cours. Il faut en créer davantage et leur donner des moyens sans aucune commune mesure avec ceux actuels.
Questions générales
17. De quels mécanismes de contrôle étrangers la France ou l’Europe devraient-elles, d’après-vous, s’inspirer ?
Je crois avoir déjà répondu plus haut que nous disposions de suffisamment de textes et règlements à l’échelle Européenne. Et qu’il reste à les appliquer entièrement.
18. Avez-vous des recommandations à transmettre à la commission d’enquête ?
Ma première recommandation est un avertissement que je reprends de mes propos liminaires et d’un article que j’avais publié.
« Après les mensonges de l’industrie du tabac sur sa responsabilité dans la conduite vers la mort de centaines de millions de personnes, après les mensonges de l’industrie du pétrole sur sa responsabilité dans le dérèglement climatique, nous faisons face aujourd’hui au troisième grand mensonge de notre modernité. Et ce mensonge est celui des industries extractivistes de l’information, sous toutes leurs formes.
Nous avons aimé croire que le calcul intensif se ferait sans travail intensif, que le Data Mining ne nécessiterait pas de mineurs de fond, que l’informatique en nuage (Cloud Computing) ne dissimulait pas la réalité d’une industrie lourde. Nous ne pouvons plus aujourd’hui nous réfugier dans ces mensonges. Sur les industries extractivistes de l’information, nous avons l’avantage d’en connaître déjà les mécanismes et les routines ; la chance d’en observer les infrastructures de marché (du Cloud Computing au High Frequency Trading en passant par la précarisation des différentes formes de Digital Labor) ; la chance d’être capables de documenter la toxicité de ces prismes dans le cadre de certains sujets de société ; la chance d’avoir pu documenter et prouver à de trop nombreuses reprises l’insincérité fondamentale et aujourd’hui fondatrice de toutes ces plateformes et de leurs créateurs et administrateurs. Et même s’ils s’inscrivent, comme je le rappelais plus haut, dans un écosystème médiatique, économique et politique bien plus vaste qu’eux, leur part émergée, c’est à dire les médias sociaux, sont aujourd’hui pour l’essentiel de même nature que la publicité et le lobbying le furent pour l’industrie du tabac et du pétrole : des outils au service d’une diversion elle-même au service d’une perversion qui n’est alimentée que par la recherche permanente du profit. »
Pour le dire en d’autres termes, connaître la recette exacte du Coca-Cola ne change rien au phénomène de l’obésité : la seule chose qui compte c’est de se doter de politiques de santé publique qui éduquent, régulent, contraignent et qui dépublicitarisent, qui démonétisent symboliquement ce qu’est et ce que représente le Coca-Cola.
De la même manière, connaître l’impact du pétrole sur le réchauffement climatique et la part qu’y jouent nos modes de transport et les industriels extractivistes ne changera rien à l’avenir de la planète si l’on n’a pas de politique publiques sur l’écologie capable de proposer des alternatives aux premiers mais aussi de contraindre les seconds, et là encore de dépublicitariser, de démonétiser tout cela.
Pour les algorithmes, y compris et a fortiori pour celui de TikTok, c’est exactement la même chose : connaître son mode exact de fonctionnement ne changera rien aux errances et aux effondrements affectifs, psychologiques, conatifs, informationnels qu’il alimente. Il nous faut des politiques publiques du numérique. Dont des politiques de santé publique numérique.
Et il faut davantage de postes de professeurs documentalistes dans les lycées et collèges, avec davantage d’heures de cours dédiées à la culture numérique. Et aussi il faut financer et multiplier les structures et opérateurs comme le CLEMI. Oui je l’ai déjà dit. Mais oui je le redis. Et le redirai sans cesse.
[Verbatim étudiantes et étudiants]
L’échantillon est d’une petite soixantaine d’étudiantes et d’étudiants, en 1ère année de BUT Information et Communication (donc en gros âgés de 18 ou 19 ans) et avec qui j’ai déjà effectué quelques heures de cours autour des questions de culture numérique, de l’histoire d’internet et du web, et aussi un peu des enjeux sociétaux des algorithmes. La seule consigne donnée était de partir de leur expérience personnelle de la plateforme pour répondre aux questions de la commmission.
De manière générale ils et elles soulignent l’importance (et le manque) de politiques de santé publique et de communication, dans l’espace public, sur ce sujet.
- « On voir rarement de campagne de prévention dans l’espace public sur le lien entre utilisation RS et questions de santé mentale, alors même que jamais les jeunes n’ont autant parlé de l’importance et de la fragilité de la santé mentale«
- « il faut renforcer la communication publique, notamment dans le cadre scolaire«
Ils et elles soulignent également l’importance de faire à ces sujets davantage de place au collège et au lycée et surtout, d’en parler autrement que sous le seul angle de la culpabilisation ou des dérives comme le cyberharcèlement.
- « tout le monde accuse tiktok d’être dangereux mais personne ne parle réellement des risques qui y sont associés et comment on s’en protège«
- « intégrer ces questions dans les machins genre Pix«
- « la plupart du temps, au lycée ou au collègue, ces plateformes ne sont abordées que sous l’angle du cyberharcèlement, mais jamais sous l’angle des algorithmes, de leur côté addictif, chronophage, démotivant« .
Ils et elles ont aussi une grande maturité sur la nécessité d’un contrôle d’accès réel avec une vérification de l’âge qui soit autre chose qu’un bouton « oui promis j’ai 18 ans » :
- « faire un vrai contrôle d’accès selon l’âge, comme sur blablacar avec présentation d’un document d’identité«
Ils et elles ont des idées très concrètes de ce qu’il faudrait obliger Tiktok (et d’autres plateformes) à mettre en place :
- « obliger TikTok à implémenter des fonctionnalités permettant de mieux gérer le temps d’écran et à sensibiliser ses utilisateurs aux risques d’une utilisation excessive«
- « être plus à l’écoute des signalements. Et plus vigilants sur les contenus de type suicide : personne n’aime regarder des vidéos de suicide (ou de comment se suicider) et personne ne devrait se voir recommander des vidéos comme ça«
J’ai enfin été particulièrement frappé, dans leurs verbatims, d’une large majorité qui indique explicitement que les impacts et effets négatifs sur leur humeur sont plus importants que les aspects positifs. Et de la manière dont ils documentent et analysent cela. Le verbatim ci-dessous résume très bien ce que j’ai lu dans beaucoup de leurs réponses individuelles :
- « À titre personnel, tik tok a plus d’impact négatif que positif. En effet, une fois que je suis sur l’application, il m’est presque impossible de réguler mon temps passé sur cette
dernière. Une heure est ressentie comme 15 minutes et arrêter de scroller est très compliqué. De plus, lorsque mon application est active, l’heure ne s’affiche plus sur mon écran, ce qui biaise encore plus mon rapport au temps. Ce temps passé sur tik tok est perdu pour faire d’autre activité, et souvent, je repousse les tâches que j’ai à faire. Après avoir passé plusieurs heures sur tik tok je culpabilise énormément et me sens mal. J’ai remarqué que mon moral était affecté par mon utilisation de tik tok, plus je passe de temps à scroller moins je suis de bonne humeur.«
[Et puis soudain Gabriel Attal]
Voilà je m’apprêtais à demander à ChatGPT une version synthétique de ce long texte en extrayant les éléments mobilisables immédiatement dans le cadre d’une proposition de loi et puis soudain, je tombe sur plusieurs éléments complémentaires.
Premier élément : Gabriel Attal. Qui s’allie au pédopsychiatre Marcel Ruffo pour proposer des mesures qui sont, pour l’essentiel, des caricatures au carré. Caricature d’une pensée magique où tout est, sans indistinction, la faute aux écrans et où leur suppression guérirait donc tous les maux, et où toute cette faute mériterait donc des régimes disciplinaires qui sont autant imbéciles qu’inapplicables et dangereux en démocratie. Voici donc ce qu’ils proposent :
- une évaluation de l’addiction aux écrans de chaque jeune à l’entrée en sixième et en seconde.
- interdire l’accès des moins de 15 ans aux réseaux sociaux (et imposer une vérification d’âge sur ces plateformes).
- imposer un couvre-feu pour les 15-18 ans qui bloque l’accès aux réseaux sociaux entre 22h et 8h.
- faire passer l’écran en noir et blanc, pendant au moins une heure, après 30 minutes d’utilisation.
- création d’un “addict-score” (sur le modèle du nutri-score) pour mesurer le potentiel addictif des plateformes.
- créer une taxe de 2 % qui financerait la recherche et la prise en charge de la santé mentale.
J’ai donc immédiatement réfléchi à une critériologie assez fine permettant de caractériser chaque mesure proposée. Critériologie que voici :
- « C’est complètement con » : 3C
- « Inapplicable et Imbécile » : 2I.
- « Pourquoi pas mais surtout … pourquoi ? » : 3P.
Revoici maintenant ces mesures à l’aune de mon analyse subtile.
- une évaluation de l’addiction aux écrans de chaque jeune à l’entrée en sixième et en seconde : 3P
- interdire l’accès des moins de 15 ans aux réseaux sociaux : 3C2I
- imposer un couvre-feu pour les 15-18 ans qui bloque l’accès aux réseaux sociaux entre 22h et 8h : 3C2I
- faire passer l’écran en noir et blanc, pendant au moins une heure, après 30 minutes d’utilisation. 3C3P
- création d’un “addict-score” (sur le modèle du nutri-score) pour mesurer le potentiel addictif des plateformes. 3P
Je ne retiens donc que deux mesures :
- « imposer une vérification d’âge sur ces plateformes. » Mais certainement pas pour « interdire » l’accès mais pour responsabiliser les plateformes qui organisent cet accès et font absolument n’importe quoi quelque soit l’âge réel de leurs utilisateurs et utilisatrices, âge réel que de leur côté elles sont la plupart du temps en pleine capacité de connaître (et donc d’en déduire la part d’utilisateurs et d’utilisatrices qui n’ont absolument rien à faire là puisqu’elles sont normalement interdites aux moins de 13 ans).
- « créer une taxe de 2 % qui financerait la recherche et la prise en charge de la santé mentale. » Là je dis oui, mais je dis surtout « seulement 2% ?! »
Pour le reste, je vous invite à lire la chronique et l’analyse impeccable de François Saltiel dont je partage chaque ligne et chaque mot.
Et je vous invite aussi, à chaque fois que vous entendrez diverses gesticulations politico-médiatiques sur une interdiction totale ou partielle des écrans chez les enfants et adolescents, à relire (notamment) cet article grand public et surtout de grande utilité publique d’Anne Cordier, publié en Mai 2024, et dans lequel elle rappelle la réalité de deux points fondamentaux, celui de la panique morale sur ce sujet, et celui de la réalité des études scientifiques sur ce même sujet :
Ce phénomène des paniques morales exprime une crainte quant à la déstabilisation des valeurs sociétales, et se cristallise autour des usages juvéniles desdits écrans et des conséquences de ces usages sur la santé mentale et sociale des enfants et adolescents, ainsi que sur leur développement cognitif et leur culture générale.
Pourtant une importante et robuste étude américaine, menée sur le long terme auprès de 12000 enfants entre 9 et 12 ans, conclut sans hésitation à l’absence de lien entre temps passé « devant les écrans » et incidence sur les fonctions cérébrales et le bien-être des enfants. Pourtant encore, en France, une enquête longitudinale d’envergure, déployée cette fois auprès de 18000 enfants depuis leur naissance, montre que ce sont des facteurs sociaux qui jouent un rôle prépondérant dans le développement de l’enfant.
Malgré ces faits scientifiques, le débat autour de la place desdits écrans dans notre société se polarise, et se caractérise récemment par une ultraradicalisation des postures, ce qui a pour premier effet de porter préjudice à la compréhension de tout un chacun.
Je répète : « ce sont des facteurs sociaux qui jouent un rôle prépondérant dans le développement de l’enfant. » La place et l’usage des écrans n’est que l’un de ces facteurs sociaux parmi d’autres bien plus essentiels.
[Et puis soudain le Pew Internet Research Center]
Le 22 Avril 2025 est sortie une étude du Pew Internet Research Center, pile poil sur le sujet qui nous occupe : « Teens, Social Media and Mental Health. » Elle est, comme souvent, fondamentale pour bien cerner les enjeux de ce sujet. Et j’en retire les éléments suivants.
D’abord si environ 40% émettent un avis plutôt « neutre » sur l’influence des médias sociaux sur leur santé mentale, les 60% d’adolescents restants (entre 13 et 17 ans) indiquent clairement que les effets négatifs sur leur santé mentale l’emportent sur les effets positifs.
Ensuite là où les parents considèrent que les médias sociaux sont la première cause des problèmes de santé mentale, du côté des adolescents, c’est tout autre chose : 22% des adolescents désignent les médias sociaux, 17% d’entre elles et eux les phénomènes de harcèlement (j’ai bien dit de harcèlement et pas seulement de cyber-harcèlement), et 16% les « pressures and expectations« , c’est à dire les attentes sociales et parentales vécues comme autant de pressions. Là est l’un des noeuds centraux du problème de la santé mentale des adolescentes et adolescents.
Autre point essentiel qui rend encore plus débile toute tentative d’interdiction, plus d’un tiers (34%) des adolescentes et adolescents interrogés indiquent s’informer sur les réseaux sociaux sur les questions de santé mentale. Et parmi ceux-là, plus de la moitié indiquent que c’est une source d’information importante.
Enfin, et c’est là aussi absolument déterminant pour comprendre ce qui se joue et comment le réguler, les adolescentes et adolescents identifient clairement l’impact délétère et toxiques des médias sociaux sur leur travail et leurs études, sur leur santé mentale, sur leur productivité et sur leur sommeil mais dans le même temps ils indiquent tout aussi clairement l’impact très positif sur leurs amitiés et leurs socialisations. Constat qui rejoint en effet tous les travaux universitaires sur ce point : ces espaces numériques de socialisation sont nécessaires et précieux dans la construction des identités (et des intimités) adolescentes à l’abri du regard des adultes. En revanche rien n’oblige à ce qu’ils soient traversés de contenus ne répondant qu’à des logiques commerciales et qui n’ont de considération que pour des dynamiques de viralité garantissant à tout prix des effets de rente attentionnelle. La responsabilité d’y faire le tri et le ménage et d’y injecter la dose minimale de responsabilité déontologique au regard des publics ciblés et des enjeux sociétaux concernés incombe donc entièrement aux plateformes elles-mêmes, et c’est à la puissance publique de le leur rappeler et de les y contraindre. Quoi qu’il en coûte.
One More Thing.
J’ai ensuite demandé à ChatGPT, sur la base de ce (long) texte (celui de mes réponses à la commission), de faire une liste de 10 propositions (ou plus) concrètes dont le législateur pourrait se saisir et de reformuler ces propositions dans un format destiné à une note parlementaire ou à une présentation en commission. Je vous en livre ici le résultat.
Liste de 10 propositions pour une prochaine loi ou cadrage législatif.
[c’est ChatGPT qui parle, enfin qui écrit]
Voici une liste de dix propositions et recommandations concrètes issues du document de contribution à la commission parlementaire, que le législateur pourrait saisir pour élaborer une nouvelle loi sur le numérique et l’accès aux réseaux sociaux :
Transparence et régulation algorithmique
-
Exiger la transparence des algorithmes sur leur dimension éditoriale : rendre publics les critères et pondérations qui déterminent l’affichage des contenus, notamment en lien avec les réactions émotionnelles (likes, colère, etc.).
-
Obliger les plateformes à ralentir les chaînes virales : limiter les fonctionnalités favorisant la viralité (nombre de partages simultanés, forwarding de messages, etc.) pour réduire les effets de masse sur la désinformation et le harcèlement.
-
Supprimer l’affichage public de certaines métriques (likes, vues, dislikes) pour atténuer les effets de conformité sociale et limiter les impacts délétères sur la santé mentale.
Santé publique et usage responsable
-
Instaurer des mécanismes de contrôle d’accès efficaces pour les mineurs (vérification d’identité, seuils d’âge vérifiés comme sur Blablacar), en évitant les simples déclarations « j’ai plus de 13/18 ans ».
-
Imposer des limites d’usage paramétrables par défaut (temps d’écran, alertes de dépassement, pause obligatoire après un temps de scroll continu) intégrées directement dans les applications.
-
Créer une politique de santé publique numérique : reconnaître les effets psychiques négatifs des réseaux sur les plus jeunes et y répondre par des campagnes nationales et des dispositifs de prévention dans les écoles et les médias.
Éducation et formation
-
Renforcer l’éducation au numérique dès le collège : intégrer des modules spécifiques sur les algorithmes, la captation attentionnelle, les risques informationnels et les logiques économiques des plateformes.
-
Doter chaque collège et lycée d’un(e) professeur(e) documentaliste formé(e) aux enjeux numériques et augmenter leurs heures dédiées à l’éducation aux médias.
Pouvoirs publics et contrôle
-
Faire appliquer strictement les lois existantes (RGPD, DSA, DMA) : prévoir des sanctions réellement dissuasives en cas de non-conformité et ne pas hésiter à suspendre ou interdire temporairement des services comme cela a été fait ailleurs.
-
Créer un droit d’accès des chercheurs publics aux corpus algorithmiques : obliger les plateformes à ouvrir des API sécurisées permettant à la recherche indépendante d’analyser les effets sociaux, psychologiques et politiques de leurs systèmes.
La note parlementaire (faite par ChatGPT).
[c’est toujours ChatGPT qui parle, enfin qui écrit]
Voici une note parlementaire structurée présentant les propositions issues du document d’Olivier Ertzscheid, à destination d’un(e) député(e) souhaitant nourrir une réflexion législative sur le numérique et les réseaux sociaux.
Objet : Propositions pour une loi sur les usages numériques et l’accès aux réseaux sociaux
Auteur : Synthèse des travaux d’Olivier Ertzscheid, Maître de conférences en Sciences de l’information
Date : [à compléter]
Contexte général
Dans un environnement où les réseaux sociaux sont devenus des médias d’“hyper-masse”, leur impact sur les comportements, la santé mentale, la circulation de l’information et la démocratie est désormais massif, continu et documenté. L’urgence n’est plus de comprendre ces effets, mais de réguler concrètement les modèles qui les produisent. Cette note propose dix axes d’action législatifs concrets.
1. Transparence algorithmique et lutte contre la manipulation attentionnelle
1.1. Transparence des logiques éditoriales des algorithmes
Obligation pour les plateformes de rendre publics les critères et pondérations influençant la hiérarchisation des contenus (types de réactions, temps de visionnage, etc.), en particulier ceux relevant de la manipulation émotionnelle.
1.2. Ralentissement des chaînes virales
Limitation par la loi des mécanismes de partage automatisés ou massifs (groupes WhatsApp, forwardings, etc.) afin de freiner les phénomènes de désinformation, de harcèlement et de polarisation.
1.3. Encadrement des métriques visibles
Obligation pour les plateformes de masquer certains compteurs (likes, vues, partages) aux utilisateurs non-créateurs pour atténuer les effets de conformité sociale et d’addiction à la reconnaissance.
2. Santé publique et encadrement de l’usage
2.1. Vérification d’âge robuste à l’inscription
Mise en œuvre d’un dispositif réel de contrôle d’âge (type pièce d’identité) pour limiter l’accès des mineurs aux plateformes sans médiation.
2.2. Limites d’usage intégrées par défaut
Imposition à toutes les applications sociales d’une fonction de régulation du temps passé : alertes, pauses obligatoires, et tableaux de bord accessibles.
2.3. Lancement d’un plan national de santé publique numérique
Campagnes publiques et programmes éducatifs pour sensibiliser aux impacts psychologiques des réseaux sociaux, en particulier chez les jeunes.
3. Éducation aux médias et renforcement scolaire
3.1. Intégration obligatoire de modules sur les logiques des plateformes
Enseignement dès le collège sur le fonctionnement des algorithmes, la captation attentionnelle et les logiques économiques des contenus.
3.2. Déploiement renforcé de professeurs documentalistes et du CLEMI
Augmentation du nombre de professeurs documentalistes et du budget alloué au CLEMI, pour assurer un accompagnement continu et de qualité dans les établissements.
4. Régulation effective et contrôle public
4.1. Application sans compromis des règlements européens (RGPD, DSA, DMA)
Sanctions systématiques et dissuasives en cas de non-respect des règles ; possibilité d’interdiction temporaire d’un service comme dans d’autres pays (ex. X/Twitter au Brésil).
4.2. Accès aux corpus pour la recherche publique
Obligation légale pour les plateformes d’ouvrir aux chercheurs indépendants l’accès à des jeux de données anonymisés, via API, afin de permettre une évaluation scientifique indépendante des effets des algorithmes.
Conclusion
Ces propositions, réalistes, urgentes et largement documentées, peuvent constituer la base d’un cadre législatif de souveraineté numérique, de protection des jeunes publics et de régulation démocratique des puissances algorithmiques.
Argumentaire synthétique pour une intervention en commission.
Tant que j’y suis je vous livre aussi l’introduction et la conclusion du même ChatGPT lorsque je lui demande un argumentaire synthétique de sa note parlementaire pour une intervention en commission.
Introduction.
Mesdames et Messieurs les membres de la commission,
Nous sommes aujourd’hui face à des outils devenus centraux dans la vie sociale, affective, cognitive de millions de citoyens, notamment les plus jeunes. Ces outils sont à la fois des médias d’hyper-masse, des machines à fabriquer la norme et des systèmes de captation attentionnelle, dont les effets sur la santé mentale, la désinformation et les inégalités sont désormais documentés.
Il ne s’agit plus de produire des rapports ou des constats, mais d’agir, de légiférer, de protéger.
Conclusion : l’exigence du courage politique.
Ce que nous proposons n’est ni technophobe, ni moraliste. C’est une politique de santé publique, d’éducation, et de souveraineté.
Il faut démonétiser l’attention, dépublicitariser l’espace social, et remettre du sens dans nos usages.L’histoire nous jugera comme elle a jugé ceux qui n’ont rien fait face au tabac ou au réchauffement climatique. Il est encore temps d’agir.
Voilà. Le boulot est fait de mon côté. J’ai transmis à la commission mon texte avec l’intégralité de mes réponses aux questions, et leur ai également adressé les 10 propositions pour une évolution du cadrage législatif (en précisant bien sûr qu’elles étaient formulées par ChatGPT sur la base de l’analyse de mon texte). Le reste appartient maintenant à ce truc formidable qu’on appelle la démocratie.
02.05.2025 à 15:35
Cher grand administrateur de Parcoursup, cher Mister T.
Olivier Ertzscheid
Texte intégral (2804 mots)
Cher grand administrateur de Parcoursup,
Cher Barracuda, cher Mister T., je vais t’appeler comme cela pour protéger ton anonymat mais aussi parce que c’est un peu comme le héros télévisuel éponyme que je te vois : un type plein de chaînes en or qui brillent et qui ne sait que faire jouer ses muscles en guise de négociation, et jouit en supplément de quelques compétences en mécanique, la mécanique étant ici celle de l’administration de cette saloperie de plateforme.
Je suis depuis un quart de siècle enseignant-chercheur en IUT, plus précisément dans le département Information et Communication de l’IUT de La Roche-sur-Yon, et depuis quelques années je suis aussi le responsable de ce département de formation et le directeur-adjoint de l’IUT.
Et si je devais être un personnage de l’agence tous risques, je me sentirais assez proche de Looping.
L’agence Parcoursup (allégorie).
[En bas avec un cigare, le discours ministériel en mode « vous allez voir comme j’aime les plans qui se déroulent sans accrocs » ; à gauche les petits futés de l’ingénierie qui déploient un algorithme de hiérarchisation des veux sans permettre la hiérarchisation des voeux ; à droite les gros malins qui sortent leurs muscles et leur fer à souder pour transformer une camionnette haut de gamme en char d’assaut pour défoncer les rêves d’une génération entière ; en haut les doux-dingues qui tentent encore de trouver une forme de cohérence dans toute cette merde.]
Voilà donc près q’un quart de siècle que j’enseigne et sélectionne des dossiers dans une formation qui est ce que l’on appelle une formation « sélective ». Certes, depuis 20 ans de mise à mort de l’université publique et d’alignement avec les logiques néo-managériales dont Parcoursup est l’instrument, toutes les formations sont devenues sélectives puisqu’il n’y a jamais assez de places pour accueillir dignement toutes celles et ceux qui demandent à l’être, mais disons que les IUT gardent cette particularité sélective affirmée.
Une particularité sélective qui s’est toujours différemment déclinée. Aujourd’hui et depuis maintenant 3 ans on nous demande et nous impose en complément de tout le reste, des quotas de sélection de bacs technologiques. Et pourquoi pas. On aurait pu penser différemment l’accueil de ces publics, le financer aussi pour leur permettre de compenser certains écarts dans les enseignements que reçoivent les bacheliers généraux, on ne l’a bien sûr pas fait, ou alors on nous a demandé de le faire « à moyens constants », mais bref.
Dans « mon » département information et communication, nous recevons énormément de dossiers. Enormément. Chaque année. Y compris depuis avant Parcoursup et même avant APB (Admission Post-Bac, ancêtre de Parcoursup). Enormément. Nous avons 60 places et nous recevions autour de 900 à 1000 dossiers complets, 1000 potentiels futurs étudiants qui, comme on dit, « maintiennent leurs voeux ». Et depuis un quart de siècle, y compris à l’époque des dossiers « papier », bah nous les regardons tous. Nous regardons tous les dossiers. Individuellement. En détail. Cela nous prenait et nous prend toujours un temps extrêmement important et dans des fourchettes calendaires de plus en plus ténues (a fortiori si l’on souhaite par exemple organiser des entretiens, procédure à laquelle nous avons renoncé pour cette année).
Cher Barracuda, cher Mister T., cher grand administrateur de Parcoursup, si je t’écris aujourd’hui c’est parce que je viens de t’envoyer ce même mail sur ton adresse universitaire et sur celle du ministère, et que je vais aussi t’envoyer, sur ces mêmes adresses, non pas les 900, non pas les 1000, mais les 1800 dossiers que nous avons reçu cette année.
Mais avant cela je vais t’expliquer la raison de mon courroux, de mon ire, de l’envie qui m’étreint d’enserrer tout élément de ton anatomie dans une presse hydraulique tout en te prodiguant des soins du corps à l’aide de matières abrasives pendant que tu serais contraint de chanter du Céline Dion en Wolof (mon côté Looping qui ressort hein)
Cher Barracuda, cher Mister T., cher grand administrateur de Parcoursup, voilà maintenant plus de 4 ans que chaque année, nous faisons appel à ta magnanimité pour nous autoriser, nous filière sélective, à faire un truc totalement dingue : demander aux candidats de joindre à leur dossier Parcoursup un compte-rendu d’entretien avec un ou une professionnelle du métier dans lequel ils s’imaginent aujourd’hui à l’issue de leur formation. C’est pour nous un document très important car face à des dossiers Parcoursup dont chaque élément (de la lettre de motivation à la fiche avenir en passant par l’inénarrable « activités et centres d’intérêts ») est de plus en plus stéréotypique et rédigé soit par la famille, soit par la famille de ChatGPT, et dans un contexte où les lycéennes et lycéens se voient en effet conseillés de multiplier leurs voeux (sans les hiérarchiser, ce qui est une autre coupable ânerie), et bah figure-toi que notre « compte-rendu d’entretien avec un ou une professionnelle » est une pièce important pour mesurer la pertinence, la sincérité, et l’engagement d’une candidature parmi 1000 autres semblables.
Mais toi, toi cher Barracuda, cher Mister T., cher grand administrateur de Parcoursup, toi cela ne te va pas. Tu trouves que cela « brise l’égalité républicaine ». Tu trouves que c’est même carrément, je te cite, discriminatoire. Et quand je t’interpelle sur le sujet tu m’expliques avec tes gros muscles et tes chaînes en or qui brillent, que « tu sais de quoi tu parles » et que toi aussi tu as déjà enseigné en IUT, et que demander cela privilégierait des jeunes issus de milieux aisés ou avec des familles qui pourraient les aider ou disposeraient de contacts et de réseaux dont d’autres ne bénéficient pas. Et moi depuis des années je te dis et t’explique (ainsi qu’aux services du rectorat et aux points d’entrée ministériels qui portent ta parole), que c’est n’importe quoi.
C’est n’importe quoi parce que primo nous sommes déjà une formation sélective et que le processus de sélection actuel comporte déjà un si grand nombre de biais liés au capital culturel, au capital social et au capital économique que Bourdieu est à deux doigts d’atteindre le noyau terrestre à force de se retourner dans sa tombe.
C’est n’importe quoi parce toutes les années où nous avons pu disposer de ce compte-rendu d’entretien, nous avons, comme pour tous les autres éléments du dossier, naturellement intégré cette question des biais liés au capital social et culturel et que nous n’avons jamais pénalisé celui qui était allé voir son libraire Cultura par rapport à celui qui avait contacté une maison d’édition élitiste parisienne, pas davantage que celui dont le daron lui avait négocié un entretien avec un grand responsable des politiques culturelles au ministère par rapport à celui ou celle qui était allé voir le ou la documentaliste de son lycée. Parce que figure-toi, cher Barracuda, cher Mister T., cher grand administrateur de Parcoursup, figure-toi que nous nous efforçons de manière continue d’oublier d’être totalement cons. Une routine à laquelle possiblement tu pourrais t’astreindre si tu en as le temps, l’envie et le loisir.
Alors voilà. Depuis maintenant 4 ans, c’est chaque année la guerre, et en plus de tout le reste, il faut chaque année t’écrire (enfin écrire au rectorat qui ensuite te transmets …), chaque année il faut réexpliquer tout cela, le réargumenter, chaque année tu nous expliques que non, chaque année on insiste, chaque année on essaie de poser la question dans les visios que tu organises et où se retrouvent plus de 200 personnes en même temps, et chaque année à la faveur d’un malentendu nous finissons par obtenir gain de cause. On s’y épuisait, on y perdait un temps et une énergie considérable, on s’ajoutait des niveaux de stress importants ainsi qu’à nos équipes de collègues, mais à la fin ça passait. Et tout allait aussi bien que possible.
Mais cette année, tu as serré la vis. Et pas simplement pour nous mais pour l’ensemble des IUT dont l’ensemble des BUT Information et communication. Interdiction formelle et définitive d’ajouter d’autres éléments que ceux demandés par Parcoursup (donc que des éléments moisis et caviardés). Pas de pièce complémentaire quelle qu’elle soit. Rien. Nib. Nada. Que Tchi. Que dalle. Peau de zob.
Donc pour nous, pas de « compte-rendu d’entretien avec un ou une professionnelle ». Alors avant de prendre cette décision, je t’avais dit ainsi qu’aux services rectoraux qui sont à tes ordres, que c’était n’importe quoi. Parce que si on enlève cette pièce additionnelle, le nombre de dossiers que l’on reçoit va littéralement exploser avec pour l’essentiel des candidatures « de remplissage », c’est à dire des lycéens et lycéennes qui mettent notre formation simplement pour épuiser leur nombre de voeux disponibles. Sauf que bah nous derrière notre recrutement ne change pas : nous continuons d’examiner en détail chacun des dossiers que nous recevons.
Et puis ce que je t’avais déjà dit et expliqué à l’époque où je n’étais responsable de rien et où nous nous emplumions en DM sur Twitter, c’est que c’était tout de même étonnant de considérer que pour des IUT (qui accueillent beaucoup de publics boursiers et de milieux plutôt modestes) cette pièce complémentaire était une rupture de l’égalité républicaine et une discrimination, alors que pour les écoles d’art dont je t’épargne la sociologie, le fait de demander des portfolio, des Books et des recommandations t’en touchait une sans te bousculer l’autre comme se plaisait à la verbaliser un ancien président de la république. Même chose pour toutes les formations (publiques !!) qui dans le cadre de Parcoursup demandent 50 ou 100 euros pour valider le voeux au titre du passage d’un concours (bisous les copains et copines en école d’ingénieurs), là aussi il n’y a visiblement rien qui ne vienne heurter ta sensibilité républicaine. Mais que l’on demande à des étudiants d’aller rencontrer des professionnels (même en visio ou par téléphone pour leur éviter des frais et pour celles et ceux qui sont loin des grands centres urbains) et d’en faire un court compte-rendu pour attester de leur engagmeent et de leur motivation autrement qu’avec 3 paragraphes rédigés par ChatGPT et qu’au travers d’un stage de troisième et des voyages extra-scolaires que leur famille aura été en capacité de leur offrir ou pas, alors là, pour toi cher Barracuda, cher Mister T., cher grand administrateur de Parcoursup, ça c’est un grand scandale inacceptable qui brise toute forme d’égalité républicaine à proportion de ce que ta position sur le sujet me brise les organes reproducteurs.
Mais bon dans toute lutte par mail contre l’administration du rectorat qui est à tes ordres et ne fait que véhiculer ta parole, nos défaites sont avant tout celles de l’épuisement. Mais j’avoue que nous avons, j’avoue que j’ai perdu. Cette année tu as été d’une fermeté toute Bétharamienne. Cette année nous n’avons pas pu demander de compte-rendu d’entretien. Cette année, comme je te l’avais expliqué et annoncé, nous avons donc reçu non pas autour de 900 dossiers complets et confirmés pour 60 places mais plus de 1800 dossiers. Le double. La mathématique est aussi implacable que la bêtise crasse de ton entêtement déplacé autant que malhonnête. Car évidemment parmi ces 1800 dossiers que nous commençons à terminer de traiter, jamais nous n’avions eu autant de candidatures de remplissage, sans aucune volonté réelle de venir dans notre formation, des candidatures bâclées, négligées, presqu’entièrement « fake », des candidatures « copiées-collées ». Des candidatures que nous n’avions jamais (ou de manière très marginale) les années où nous pouvions en toute impunité briser l’égalité républicaine.
Le truc c’est qu’en plus de s’acharner à continuer d’oublier d’être cons, nous continuons aussi à faire preuve de déontologie et d’honnêteté et que nous continuons donc de regarder chaque dossier. Donc cette année nous en regardons deux fois plus que les années précédentes. Mais comme il y a au moins la moitié des dossiers qui sont sans intérêt et que nous disposons du même temps que les années précédentes pour les analyser, le résultat est simple : nous disposons de deux fois moins de temps à passer à analyser des dossiers sincères et engagés. Et ça, cher Barracuda, cher Mister T., cher grand administrateur de Parcoursup, c’est ta pleine et entière responsabilité. Ta putain de pleine et entière responsabilité.
Alors voilà. Je vais maintenant t’envoyer la totalité de ces dossiers par mail. Il y en a 1800. J’espère que la capacité de ta boîte mail est adaptée. Je vais aussi t’adresser directement ce billet de blog. Et je vais conclure en te redisant ce que je t’avais déjà dit et écrit la première fois où nous avions, de manière disons « virile mais correcte » débattu de ce sujet : il n’y a que deux issues possibles dans ton travail. Seulement deux.
La première est de considérer les avis des équipes pédagogiques au plus près de l’analyse des dossiers comme des avis purement torcheculatoires et de nous amener à terme vers un système dans lequel les mêmes équipes finiront par totalement se désengager de l’analyse « humaine » des dossiers et laisseront la grande machine Parcoursup fonctionner comme une saloperie de machine à calculer : on prendra les notes, on appliquera des coefficients, et en un clic on aura un classement. Un classement de merde, un classement totalement arbitraire et profondément inégalitaire, mais un classement. Et on arrêtera de passer une semaine ou quinze jours à temps plein à regarder des dossiers (quand on a la chance d’avoir des équipes pédagogiques avec suffisamment d’enseignant.e.s permanent.e.s pour se le permettre, ce qui est de moins en moins le cas de toute façon).
La seconde issue possible consiste à considérer que les équipes pédagogiques savent ce qu’elles font, et à leur concéder la dernière part d’autonomie dont elles peuvent jouir dans un processus de recrutement et de sélection par ailleurs déjà presque totalement préempté par des cadres et des routines qui ne font qu’accroître les inégalités en automatisant les manières de les détecter, de les analyser et de les envisager.
Sur ce je te laisse parce que tu as un peu de pain sur la planche. Il te reste une quinzaine de jours pour analyser ces 1800 dossiers. Bon courage.
21.04.2025 à 19:03
Mourir pour des données, d’accord, mais de mort lente. Ou pourquoi pour la 1ère fois j’ai cédé à une menace de procès.
Olivier Ertzscheid
Texte intégral (2301 mots)
Suite à une mise en demeure d’avocats représentant les intérêts du cabinet dont je dénonçais les agissements dans un article, mise en demeure m’enjoignant de supprimer la totalité de cet article avant le 22 Avril, je fais le choix de m’y plier et de le retirer de la publication. Vous trouverez donc ci-dessous des éléments d’explication détaillés sur la justification de cette décision.
——————————
Voila plus de 20 ans que je tiens ce blog en mon seul nom et sous ma seule responsabilité éditoriale. Près de 3000 articles (une moyenne de douze par mois), avec beaucoup d’articles d’analyses, pas mal d’articles d’opinions, et quelques bons coups de gueule à valeur essentiellement cathartique (pour moi en tout cas).
En 20 ans je n’ai été menacé de procédure juridique qu’à 3 reprises.
La première fois c’était en 2015, lorsque j’avais diffusé le journal d’Anne Frank, dans sa version originale, à date de son entrée dans le domaine public. Les avocats du fonds Anne Frank m’avaient alors menacé d’une action en justice et d’une astreinte journalière de plusieurs milliers d’euros tant que je ne retirerai pas le texte. J’ai maintenu le texte original en ligne. D’autres, dont la députée Isabelle Attard m’ont rejoint et ont également partagé le texte. Et je n’ai plus eu de nouvelles des avocats du fonds Anne Frank.
La deuxième fois c’était en 2017 à l’occasion d’un article sur les dynamiques de haine en ligne, lorsque je revenais vers les premières dérives des campagnes Adwords avec Arnault Dassier à leur initiative lorsqu’il était responsable de la stratégie digitale de l’UMP. C’est lui qui me menaça de poursuites, ne supportant pas de voir son nom accolé à l’expression « marketing de la haine » dans mon article et considérant cela comme diffamatoire et m’enjoignant de supprimer son nom de l’article. Résultat : je vous laisse juges de ce qu’il advînt dans la mise à jour au début de l’article.
Et la troisième fois c’est donc cette semaine d’Avril 2025. Et c’est un cabinet « d’expertise technologique, normative et réglementaire dans les domaines de la confiance numérique et de la cyber sécurité » qui, via un cabinet d’avocats, menace de me poursuivre en justice pour diffamation, injure publique, et violation du secret des correspondances. Au regard des critères éclairés de Maître Eolas, même si je suis totalement serein sur le fond de l’affaire, la forme du courrier du cabinet d’avocat ne laisse que peu de doute sur leur détermination de réellement me poursuivre si je ne retire pas l’article en question.
Pour rappel, ce « cabinet d’expertise technologique, normative et réglementaire dans les domaines de la confiance numérique et de la cyber sécurité » a contacté l’association étudiante dont je m’occupe (la Ma’Yonnaise épicerie) et qui organise des distributions alimentaires pour les étudiant.e.s sur le campus de Nantes Université à La Roche-sur-Yon, pour nous proposer un scénario dans lequel nos bénéficiaires (donc des étudiant.e.s précaires) pourraient, contre rétribution versée à l’association, vendre leurs données biométriques à ce cabinet.
S’ensuivit un échange entre moi (depuis la boite mail de l’épicerie solidaire) et le cabinet en question. Echange auquel j’ai rapidement mis fin considérant l’activité de ce cabinet plus que suspecte sur le fond, totalement déplacée sur la forme, et considérant qu’accessoirement en droit français, la vente de données biométriques contre rémunération (a fortiori pour des populations précaires) ne peut et ne doit devenir ni un marché ni un horizon.
Je prends donc la décision de raconter toute cette affaire dans un article sur ce blog sous le titre « Etudiants en situation de précarité ? Vendez-nous vos données. De la biométrie et des cabinets vautour qui tournent autour. » J’y cite les échanges (non nominatifs bien sûr) avec mes deux interlocuteurs de ce cabinet (voilà pour la violation du secret des correspondances). Echanges qui, je le rappelle, ont démarré avec la proposition suivante :
« Nous recherchons actuellement des volontaires pour participer à un test simple et rapide (sic). Celui-ci consiste à s’inscrire sur une plateforme, puis à enregistrer une série de courtes vidéos du visage sous différents angles. En contrepartie, nous proposons de reverser un don de 15 € par participant ayant validé le test. Par exemple, pour 50 participants, votre association recevra un don de 750 €. Nous espérons que cette collaboration pourrait constituer une ressource financière supplémentaire pour soutenir vos activités et projets. »
J’agis et réagis avec ma casquette de responsable de l’association et surtout, surtout, avec ma casquette d’universitaire dont l’un des axes et terrains de recherche est précisément la question de notre vie privée numérique et les questions liées à l’exploitation de nos données personnelles.
Le ton est vif et j’assimile à plusieurs reprises les pratiques de ce cabinet à des pratiques de crapules et de vautours (voilà pour la diffamation et l’injure publique).
Et cette semaine, une dizaine de jours après la parution de mon article, je reçois le courrier suivant avec mise en demeure de retirer totalement l’article incriminé dans un délai de 5 jours (avant le 22 Avril).
Je joins ici le fichier pdf pour une lecture plus facile : 2025 04 15_ mise-en-demeure.pdf
L’intimidation et la tentative de procédure bâillon se caractérisent aussi par le fait de mettre en copie de ce courrier la présidente de Nantes Université au motif que, je cite « l’ensemble de ces propos a été tenu en votre qualité de Maitre de conférences de l’Université de Nantes« . Ce qui est faux (je me suis toujours exprimé au titre exclusif de co-responsable de l’association qui organise ces distributions alimentaires), et ce qui est aussi une vision assez trouble de ce que l’on nomme la liberté académique.
Si j’avais agi uniquement en mon nom propre ou au titre de Maître de conférences de l’université de Nantes, j’aurais, sans aucun souci ni autre questionnement, laissé l’article incriminé en ligne et attendu sereinement la suite en proposant simplement un droit de réponse au cabinet concerné. Je n’ai me concernant, absolument aucune crainte. Je n’ai pas cédé aux avocats du fonds Anne Frank dans une affaire où les enjeux se chiffraient en millions d’euros (le journal d’Anne Frank est l’un des livres les plus vendus de tous les temps et continue de l’être) et concernaient, en termes de droit d’auteur et de domaine public, l’ensemble des lois et règlementations internationales. Donc cette forme de menace et de procédure bâillon ne m’impressionne pas (même s’il n’est jamais agréable de recevoir un tel courrier).
Mon absence de crainte est d’autant plus forte qu’une nouvelle fois, sur le fond, je suis absolument certain de mon bon droit et du fait que ce « cabinet d’expertise technologique, normative et réglementaire » fait absolument n’importe quoi et que ce n’importe quoi cible et met en danger des populations précaires dans une forme d’intime matérialisée par la transaction commerciale proposée autour de données biométriques sans que jamais et à aucun moment ne soient indiqués les cadres d’usages, d’exploitation, de durée, etc. Pour rappel le seul cadre indiqué dans la sollicitation de ce cabinet était « Nous recherchons actuellement des volontaires pour participer à un test simple et rapide (sic). Celui-ci consiste à s’inscrire sur une plateforme, puis à enregistrer une série de courtes vidéos du visage sous différents angles. »
Alors pourquoi obéir à l’injonction et à cette forme de procédure bâillon ? Parce que dans cette affaire, si elle se porte jusqu’à un tribunal, je ne veux qu’en aucune manière l’association dont je m’occupe puisse être impactée financièrement, moralement, ou même symboliquement en voyant son nom associé à une procédure en justice. Et si cela devait tout de même se produire, la responsabilité en incomberait donc uniquement à ce cabinet puisqu’en effet et selon les termes de leurs avocats, ce retrait n’engage pas nécessairement la fin de la procédure de leur côté. Je les en laisse désormais juges et continue d’espérer désormais au moins trois choses.
Premièrement que des journalistes et des associations de défense des libertés numériques se saisiront de ces éléments et iront enquêter sur ces pratiques, celles de ce cabinet en particulier mais aussi celles d’autres probablement semblables.
Deuxièmement que si d’autres associations ont reçu de telles sollicitations, elle n’hésitent pas à me contacter ou à rendre publics ces éléments.
J’espère, troisièmement, que les autorités indépendantes que sont la CNIL et l’ANSSI, jusqu’ici silencieuses, se saisiront des éléments de ce dossier pour faire toute la lumière sur les pratiques de ces cabinets dans le domaine de la sollicitation de vente de données biométriques auprès de populations précaires, d’autant que lesdits cabinets se prévalent d’autorisations de leur part.
J’espère enfin, que cette « petite histoire », aura pour intérêt de rappeler dans le débat public que ce genre de dérives déjà largement présentes ailleurs dans le monde, sont et seront, en France, de plus en plus essentielles à documenter et à combattre. Je vous en parlais déjà via la chasse aux corps des plus pauvres à des fins d’exploitation biométrique, au moment où déjà près de cinq millions de personnes (dont un million d’argentins) ont malheureusement accepté pour atténuer un peu leur misère. Et cette semaine encore, les alertes de cette dépêche AFP ou cette chronique d’un monde connecté sur France Culture, devraient nous mobiliser toutes et tous car le futur qu’elles dessinent est au-delà de l’alarmant sur le plan sociétal comme sur le plan politique (je rappelle par exemple que ce cabinet qui me menace d’un procès indique sur son site intervenir notamment dans des « Systèmes de gestion de contrôle aux frontières (Gates, entry-exit). »
Pour le dire d’une phrase : ce dont nous devons absolument parler et ce que nous devons absolument combattre c’est un capitalisme de malfrats avec la marchandisation des données biométriques des plus précaires comme poste avancé.
Parce que tous ces êtres humains, toutes ces populations, le plus souvent précaires, que l’on dévisage en leur jetant l’aumône, ne nous laissent collectivement envisager aucun futur désirable.
11.04.2025 à 18:43
L’indigne et les indignés. Chronique d’une a-réalité.
Olivier Ertzscheid
Texte intégral (2494 mots)
En une seule journée (c’était en début de semaine), nous avons donc eu la Une du JDNews (émanation putride de l’empire Bolloré) avec la phrase de Wauquiez sur l’enfermement et la déportation des OQTF à Saint-Pierre et Miquelon, mais aussi la sortie médiatique d’Elisabeth Borne expliquant qu’il fallait réfléchir très tôt à son orientation, et même « dès la maternelle » (le verbatim complet est le suivant « Il faut se préparer très jeunes, presque depuis la maternelle, à réfléchir à la façon dont on se projette dans une formation et un métier« ).
« Et reprenons un peu de saucisson. »
Notez que la langue française est formidable car depuis la publication de cette Une, il est déjà passé dans le langage courant que l’on ne dit plus « con comme ses pieds » mais désormais « con comme Wauquiez« .
« Passé les bornes y’a plus de limites. » (Emile. 7 ans. CE1)
Cessons de louvoyer et d’y aller par demi-mesures, je propose de mon côté de réfléchir à un monde dans lequel les enfants qui n’auraient pas de projet professionnel clair à l’issue du CP seraient placés sous OQTF et déportés une bonne fois pour toutes dans des orphelinats militaires à Saint-Pierre et Miquelon.
« Quelle indignité. »
Sur les médias sociaux d’abord, sur les plateaux télé ensuite, dans les radios enfin, et parfois simultanément dans l’ensemble de ces biotopes médiatiques, ces propos ont été moqués, ridiculisés, dénoncés, combattus, ils ont aussi parfois été soutenus et défendus, et ils ont donc atteint leur objectif premier qui est de … circuler massivement (mais concernant Wauquiez, même sur CNews ils étaient à un doigt de trouver ça raciste et complètement con et puis finalement ils ont pris un whisky d’abord).
Oui bien sûr il y a de la fenêtre et surtout du rétroviseur d’Overton là-dedans, oui bien sûr derrière la Une travaillée et délibérément choquante du JDNnews comme derrière la sortie de route de Borne qui doit être lue comme un authentique lapsus tout à fait révélateur de son projet politique, oui bien sûr il y a l’idée d’élargir encore la fenêtre et le rétroviseur d’Overton et de nous préparer.
Mais il y a aussi cette forme fondamentale et chimiquement pure d’une rhétorique de l’indignation. Depuis que les réseaux et médias sociaux existent, nombre d’études scientifiques ont montré que le ressort principal et constant de la circulation virale des contenus était celui de l’indignation, indignation directement liée au sentiment de colère face à une injustice. L’indignation suite à la colère liée à une injustice en paroles ou en actes, est l’émotion qui sollicite le plus directement notre nécessité de réaction. On ne peut pas ne pas réagir lorsque des propos nous indignent et nous placent sous le coup de la colère.
L’indignation, en tout cas dans son expression virale, nous plonge également dans une posture cognitive « a-rationnelle ». On ne répond pas rationnellement à des propos qui nous indignent. L’indignation porte en elle l’effet miroir de sa réponse qui ne peut être qu’elle-même indignée. L’indignation contraint à d’autres réponses indignées qui elles-mêmes … ad libitum.
En France, en démocratie, les sorties de route ou déclarations suscitant de l’indignation se multiplient comme jamais auparavant et si ce sont les deux pôles radicaux de l’échiquier politique qui la monopolisent le plus, c’est bien l’ensemble du spectre qui s’y fourvoie avec une pathétique délectation. Parce qu’en termes d’agenda, il importe à toutes les formations politiques de dicter autant qu’elles le peuvent celui de nos indignations collectives (et donc sélectives).
On se souvient bien sûr de la phrase de Hannah Arendt : « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez. »
Remplaçons maintenant le mensonge par l’indignation. Ce qui donne « Quand tout le monde tient des propos suscitant l’indignation en permanence, le résultat n’est pas que vous vous indignez vous-même, mais que plus personne ne peut être autrement qu’indigné. Un peuple qui ne peut plus être autrement qu’indigné en permanence ne peut se faire une opinion. » La suite de la phrase d’Arendt reste inchangée. « Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez. »
Ces indignations, celles que véhiculent des écosystèmes idéologiques comme ceux de Stérin et de Bolloré, ces indignations programmatiques prennent le relai du mensonge et achèvent de déréaliser l’ensemble de nos repères informationnels et de nos représentations sociales collectives.
D’abord on vous ment. Puis sans vous laisser le temps de disserter sur le mensonge on vous indigne. Et vous vous indignez. Souvent ces mensonges suscitent de l’indignation. Souvent ces indignations mobilisent des mensonges pour les apaiser ou au contraire les alimenter et les accompagner. Et alors tout devient possible. Les faits alternatifs – qui mobilisent des systèmes de coordonnées auto-référentiels et qui n’ont plus besoin d’aucune autre validation que celle de la pure croyance – se généralisent et se systématisent. On peut tout à fait tenir un rassemblement sur une place à demi-vide, on peut montrer les images de cette place à demi-vide et affirmer sans sourciller que cette place était pleine. Trump l’avait fait pour son premier discours d’investiture lors de sa première élection, le rassemblement national l’a encore fait le week-end dernier. L’indignation porte en elle un phénomène dissociation : ce n’est plus le réel qui importe mais le discours sur le réel qui seul est débattu, y compris s’il se détache complètement du réel.
Ce que nous sommes en train de perdre c’est tout un système de coordonnés. Des coordonnées spatiales, géographiques (le changement de nom du Golfe du Mexique n’est pas seulement une lubie ou un coup de comm de la part de Trump), des coordonnées temporelles, informationnelles, culturelles.
Récemment un article paraissait qui expliquait la manière dont (une partie de) l’algorithme de TikTok fonctionnait :
« (…) comment une vidéo arrive-t-elle jusqu’à vous ? Tout commence par un immense réservoir, le « pool de contenu », où atterrissent toutes les nouvelles vidéos postées. Mais attention, elles ne passent pas toutes le filtre. Une première évaluation élimine celles qui ne respectent pas les règles. Ensuite, c’est l’étape du « rappel », où l’algorithme trie rapidement pour trouver ce qui pourrait vous plaire. Là, entre en scène le « Dual Tower Recall », un modèle qui transforme vous et les vidéos en points dans un espace numérique. On peut imaginer un grand tableau avec des coordonnées. Vous êtes un point, et chaque vidéo aussi. Si vos points sont proches, la magie s’opère, la vidéo vous est proposée. Ce système repose sur des calculs mathématiques complexes, mais l’idée est simple : plus vos goûts « matchent » avec une vidéo, plus elle a de chances d’apparaître sur votre écran.«
Un système de coordonnées dans un espace numérique où nous sommes un point parmi tant d’autres, tout comme la théorie des graphes (notamment des graphes invariants d’échelle) permet de modéliser les infrastructures relationnelles des réseaux sociaux massifs.
La métaphore du « grand tableau » avec des coordonnées dans laquelle nous sommes autant de « points » et où les contenus en sont d’autres qu’il s’agit d’apparier, est relativement exacte et fonctionnelle (voilà plus de 20 ans que nous disposons en effet d’études scientifiques dans le champ des systèmes et algorithmes de prescription et de recommandation et de la théorie des graphes qui permettent de modéliser tout cela).
Là où en effet les systèmes d’appariement et de recommandation algorithmiques nous offrent et disposent de coordonnées extrêmement précises leur permettant de satisfaire la part la plus déterministe de nos attentes et de nos comportements à commencer par les plus singuliers et les plus grégaires, l’ensemble des autres systèmes référentiels collectifs de coordonnées culturelles, historiques, politiques et informationnelles se sont disloqués ou sont en train de s’effondrer sous les coups de boutoir redoublés des mensonges instrumentaux et des indignations brandies comme autant de stratégies comportementales de renforcement. En tout cas ils agissent beaucoup moins de manière « cadrante » et l’ensemble des phénomènes documentaires allant des pures Fake News aux faits alternatifs en passant par les artefacts génératifs, les mensonges instrumentaux et les indignations programmatiques finissent par produire des formes de décrochage du réel qui sont le point d’adhérence d’un grand nombre de dérives tant idéologiques que politiques, sociales et économiques.
Et l’ère des capitalistes bouffons armés de tronçonneuses ne fait qu’accélérer encore ces dérives désormais quotidiennes.
S’il fallait résumer tout cela par un dessin ce pourrait être celui-ci.
Les coordonnées de notre monde social se déplacent bien sûr aussi. Elles bougent. Le plus souvent dans la sens du progressisme, mais parfois également dans de mortifères conservatismes ou d’alarmantes régressions. Les coordonnées de notre monde ‘ »algorithmique », c’est à dire l’ensemble des référentiels produits par les technologies et dans lesquels nous sommes en permanence passés au crible, ces coordonnées là se déplacent non seulement beaucoup plus vite mais de manière aussi beaucoup plus incohérente car n’ayant pas nécessité d’attache dans le réel. De ce décalage naissent des formes de décrochage, de dissociation, de scission entre des systèmes de coordonnées qui si elles ne se tiennent plus ensemble, laissent place à toutes les dérives et à toutes les incompréhensions possibles.
Dans la situation 1, les coordonnées de notre monde social et de notre monde algorithmique se recouvrent presqu’entièrement et de manière cohérente. Seuls de petits espaces subsistent dans lesquels le monde algorithmique se singularise et dans lesquels le monde social peut exister indépendamment du monde algorithmique.
Dans la situation 2 en revanche, il est tout un pan (hachuré) de notre monde social qui n’a presque plus de liens, de coordonnées communes avec notre monde algorithmique. Et réciproquement.
Stéphane Hessel, en 2010, nous invitait à nous indigner. Indignez-vous. Dans le sillage de l’appel des Résistants aux jeunes générations du 8 mars 2004 (lors de la commémoration du 60ème anniversaire du programme du CNR), cet appel à l’indignation était avant tout un appel à l’engagement. Un appel à l’engagement comme un retour au réel. Et dont l’indignation n’était que le moteur et jamais, jamais la finalité. Son ouvrage se terminait par ces mots et cette citation de l’appel des résistantes et résistants :
« Aussi, appelons-nous toujours à « une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation de masse, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous. »
- Persos A à L
- Mona CHOLLET
- Anna COLIN-LEBEDEV
- Julien DEVAUREIX
- Cory DOCTOROW
- Lionel DRICOT (PLOUM)
- EDUC.POP.FR
- Marc ENDEWELD
- Michel GOYA
- Hubert GUILLAUD
- Gérard FILOCHE
- Alain GRANDJEAN
- Hacking-Social
- Samuel HAYAT
- Dana HILLIOT
- François HOUSTE
- Tagrawla INEQQIQI
- Infiltrés (les)
- Clément JEANNEAU
- Paul JORION
- Michel LEPESANT
- Frédéric LORDON
- Persos M à Z
- Henri MALER
- Christophe MASUTTI
- Romain MIELCAREK
- MONDE DIPLO (Blogs persos)
- Richard MONVOISIN
- Corinne MOREL-DARLEUX
- Timothée PARRIQUE
- Thomas PIKETTY
- VisionsCarto
- Yannis YOULOUNTAS
- Michaël ZEMMOUR
- LePartisan.info
- Numérique
- Christophe DESCHAMPS
- Louis DERRAC
- Olivier ERTZSCHEID
- Olivier EZRATY
- Framablog
- Francis PISANI
- Pixel de Tracking
- Irénée RÉGNAULD
- Nicolas VIVANT
- Collectifs
- Arguments
- Bondy Blog
- Dérivation
- Dissidences
- Mr Mondialisation
- Palim Psao
- Paris-Luttes.info
- ROJAVA Info
- Créatifs / Art / Fiction
- Nicole ESTEROLLE
- Julien HERVIEUX
- Alessandro PIGNOCCHI
- XKCD