LePartisan.info À propos Podcasts Fil web Écologie BLOGS Revues Médias
Timothée PARRIQUE
Économiste spécialiste de la décroissance
Souscrire à ce FLUX

blog personnel


▸ les 10 dernières parutions

27.01.2025 à 19:46

L’initiative pour la responsabilité environnementale en Suisse  

tparrique

Le 9 février 2025, le peuple suisse votera oui ou non à l’initiative populaire[1] « Pour une économie responsable respectant les limites planétaires (l’initiative pour la responsabilité environnementale) ». Lancée en août 2021 par le parti des Jeunes Vert·e·x·s, la proposition a récolté 105 940 signatures, dépassant dès lors le seuil des 100 000 nécessaire pour l’organisation d’une initiative nationale. Dans […]
Texte intégral (15375 mots)

Le 9 février 2025, le peuple suisse votera oui ou non à l’initiative populaire[1] « Pour une économie responsable respectant les limites planétaires (l’initiative pour la responsabilité environnementale) ». Lancée en août 2021 par le parti des Jeunes Vert·e·x·s, la proposition a récolté 105 940 signatures, dépassant dès lors le seuil des 100 000 nécessaire pour l’organisation d’une initiative nationale. Dans quelques semaines, c’est la première fois qu’un pays entier sera invité à voter sur la possibilité d’encadrer le développement de son économie par des limites biophysiques. Pour mieux comprendre les enjeux de cette initiative, cet article présente la proposition et explore ses implications économiques. 

Que propose l’initiative pour la responsabilité environnementale ? 

L’initiative pour la responsabilité environnementale propose de modifier la Constitution fédérale comme suit (Figure 1). 

Figure 1 : Le texte de loi de la proposition (Conseil fédéral)

L’idée principale, c’est de limiter les activités économiques à la biocapacité des écosystèmes, les « capacités de renouvellement » de la nature. C’est un concept déjà bien connu en science de la durabilité. Pour qu’elle soit écologiquement durable, la gestion d’une forêt, d’une pêcherie, ou de tout autre écosystème doit respecter un certain cycle naturel de reproduction. Si l’on pêche trop, les populations de poissons n’ont plus le temps de se reproduire, ce qui cause l’effondrement de la pêcherie. Si l’on émet trop de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, le climat se réchauffe, avec toutes les conséquences négatives que l’on connait. Le défi de la durabilité consiste à préserver la santé des écosystèmes, et cela afin de maintenir leur capacité à fournir les ressources et les services sans lesquels nos économies ne pourraient fonctionner.  

Depuis 2009, les scientifiques opérationnalisent cette notion de durabilité à l’aide du cadre des « limites planétaires », une représentation chiffrée des conditions d’habitabilité du système terre. Une publication récente fait état d’un dépassement de six limites sur neuf à l’échelle du globe (Figure 2), avec une septième n’étant pas loin de franchir son seuil. Par exemple, la concentration de CO2, l’un des indicateurs pour la limite planétaire « changement climatique », a déjà dépassé le seuil à partir duquel le climat pourrait commencer à dysfonctionner. Même situation insoutenable pour l’érosion de la biodiversité, l’introduction d’entités nouvelles, le changement d’utilisation des sols, la modification des flux biochimiques, et l’utilisation de l’eau. Chaque limite planétaire est exprimée avec un ou plusieurs indicateurs, chacun associé à un plafond écologique, le seuil maximum recommandé par les scientifiques pour éviter de mettre en péril l’équilibre d’un écosystème. D’où l’appellation safe operating space (espace de développement sûr) : ces seuils sont des limites de vitesse à ne pas dépasser sous peine de prendre des risques qui pourrait nuire au développement.

La grande originalité de l’initiative pour la responsabilité environnementale est de s’attaquer à toutes les limites planétaires en même temps. La proposition de texte en mentionne six (changement climatique, perte de biodiversité, consommation d’eau, utilisation du sol, et apports d’azote et de phosphore). La plupart du temps, les politiques environnementales se font en silos séparés. En France, par exemple, la Stratégie nationale bas-carbone s’occupe du climat, la stratégie Zéro artificialisation nette est responsable des sols, et la Stratégie nationale de biodiversité 2030 se concentre sur la biodiversité. Mais le climat, les sols, et les espèces vivantes n’existent pas dans des réalités séparées ; ce sont différentes face d’un même Rubik’s Cube qu’il faut parvenir à résoudre dans sa totalité. L’avantage de l’initiative pour la responsabilité environnementale est de donner un cadre systémique qui permettre d’appréhender la durabilité dans toutes ses dimensions.  

Figure 2 : Estimation de plusieurs limites planétaires (Richardson et al., 2023)

Il est possible de rapporter ces limites planétaires à l’échelle d’un pays. Par exemple, une étude de 2022 calcule les dépassements respectifs de 140 pays en 2015 pour 6 des 9 indicateurs biophysiques (Figure 3). Certains pays comme les États-Unis, la Suède, ou la Suisse dépassent largement leurs plafonds écologiques (le rouge sur le diagramme) alors que d’autres, principalement des pays à bas revenu, n’ont pas encore pleinement utilisé leur juste part du budget écologique global. Il existe plusieurs méthodes pour quantifier l’équivalent national de ces limites[2] ; pour simplifier, on peut dire qu’un pays dépasse ses limites planétaires lorsque son niveau de vie n’est pas généralisable de manière écologiquement soutenable à l’échelle du globe.

Figure 3 : Estimation des limites planétaires nationales (Fanning et al., 2022)

C’est une approche similaire à celle utilisée pour calculer le jour du dépassement, le jour à partir duquel la demande de l’humanité en ressources et services écologiques au cours d’une année donnée dépasserait ce que la Terre peut régénérer au cours de cette même année si toute l’humanité vivait comme les habitant·e·s d’un pays spécifique. Par exemple, si la population mondiale avait le même mode de vie qu’un Suisse moyen, le budget écologique annuel planétaire serait épuisé après seulement 4 mois, avec un jour du dépassement arrivant le 7 mai (Figure 4). À l’inverse, des pays comme l’Uruguay, l’Indonésie, ou le Nicaragua consomment un peu près autant de ressources naturelles que les écosystèmes planétaires en produisent ; selon cet indicateur, ce sont les pays dont le métabolisme sociétal s’approche le plus d’une définition purement biophysique de la durabilité.  

Figure 4 : Le jour du dépassement en 2025 (Global Footprint Network)

Deux autres éléments sont à noter dans la proposition. La Suisse aurait 10 ans pour revenir sous le seuil des limites planétaires, et il faudrait qu’elle le fasse d’une manière socialement acceptable en Suisse et à l’étranger. Ce détail est lourd en conséquence car cela veut dire qu’il faudra fixer des cibles environnementales avec des indicateurs de consommation (aussi appelés indicateurs d’empreinte), qui prennent en compte la totalité des conséquences écologiques des biens et services consommés par les résident·e·s, même celles dépassant les frontières suisses.  

C’est loin d’être négligeable car seulement 32 % de l’empreinte écologique totale engendrée par la demande finale en Suisse est subie sur le territoire national (Figure 5). Les émissions importées représentent deux tiers de l’empreinte carbone nationale et la part étrangère de l’empreinte sur la biodiversité est de 70 %. La singularité de cette initiative, comparée à d’autres plans d’action comme le Pacte vert pour l’Europe ainsi que la plupart des stratégies environnementales nationales, c’est de cibler l’intégralité des impacts, et pas seulement la petite part associée à la production territoriale. 

Figure 5 : Évolution de l’empreinte écologique en Suisse (Nathani et al., 2022)

Quel serait l’ampleur de la transition ?

Pour saisir les enjeux de cette proposition, il faut d’abord estimer l’ampleur des empreintes environnementales suisses. La situation est bien résumée dans le rapport le plus récent de L’Office Fédéral de l’Environnement (OFEV) : « l’empreinte de la Suisse est trop importante » (p. 26). Les émissions carbone dépassent d’un facteur 10 le seuil compatible avec les limites planétaires, la pression sur la biodiversité due à l’utilisation des sols est 4 fois trop élevée, et l’usage de l’azote 2 fois trop haut. L’empreinte matérielle Suisse, déjà l’une des plus élevées au monde, a augmenté de 10 % entre 2000 et 2019 ; elle reste 3 fois au-dessus du niveau théorique supportable par la planète. 

Un autre rapport, cette fois-ci de Greenpeace,  donne des chiffres légèrement différents mais avec une tendance similaire : 19 fois trop de gaz à effet de serre, 3,8 fois trop d’atteintes à la biodiversité, 2,7 fois trop de consommation d’eau, et 2,4 fois trop d’azote. La limite planétaire des pertes de phosphore avait déjà atteint 100 % en 2020 et celle de l’utilisation des sols était en passe d’être dépassée (Figure 6). 

Figure 6 : Limites planétaires de la Suisse (Greenpeace, 2023)

Selon une étude de 2022 mandaté par l’Office Fédéral de l’Environnement (OFEV), pour revenir sous le seuil des limites planétaires d’ici 2040, la Suisse devrait réduire son empreinte sur la biodiversité de -74 %, celle sur l’eutrophisation de -48 %, et celle concernant les gaz à effet de serre de -89 % (Figure 7). En prenant un indicateur synthétique rassemblant un large éventail de pressions environnementales (selon la méthode de la saturation écologique[3]), la baisse nécessaire qui rendrait l’économie suisse écologiquement soutenable est estimée à -67 %. 

Figure 7 : Estimation d’une empreinte écologique soutenable pour la Suisse (Nathani et al., 2022)

Selon une autre étude avec des données pour 2015 (Figure 8), la seule limite planétaire qui n’est pas encore dépassée en Suisse est celle de l’utilisation des sols (elle atteignait 66 % de sa capacité maximum théorique en 2015). Les autres limites sont toutes surpassées : l’empreinte matérielle (4,6 fois trop élevée), les émissions de gaz à effet de serre (3,5 fois), l’empreinte écologique (3 fois), ainsi que la consommation d’azote (2,6 fois) et de phosphore (1,7 fois).

Figure 8 : Dépassement des limites planétaires de la Suisse (Fanning et al., 2022)

La seule incertitude concerne l’usage de l’eau, qui n’est pas mesurée dans l’article de Fanning et al. (2022). En termes de quantité, et selon les derniers chiffres disponibles, l’empreinte suisse avoisine les 4 200 litres par jour et par personne, soit 3 fois la moyenne globale. Dans son dernier état des lieux (p. 95-99), l’OFEV juge que la qualité de l’eau en Suisse est « dans un état insatisfaisant ». Deux tiers des cours d’eau suisses ne remplissent qu’insuffisamment leur fonction d’habitat pour la biodiversité et seulement 4 % des 4 000 km de cours d’eau qui doivent êtres revitalisés le sont effectivement. Seulement 15 % des cours d’eau étudiés respectent les valeurs limites écotoxicologiques fixées pour 22 micropolluants, la valeur limite de nitrate dans les eaux souterraines est dépassée de 15 %, les apports issus de l’agriculture n’ont été réduits que de 25 % au lieu des 50 % exigés, et les populations d’espèces exotiques sont en constante augmentation.

Difficile ici d’arriver à un seul chiffre agrégé mais force est de constater que la marche est haute. C’est indéniable, revenir sous le seuil des limites planétaires en une décennie est probablement l’objectif écologique le plus ambitieux de tous les temps.

Quelles seraient les implications économiques ? 

C’est un calcul compliqué et les résultats divergent grandement selon les études – pour une revue de littérature des modèles existants, voir Hardt et O’Neill (2017) et Lauer et al. (2025). Une transition écologique se solderait par une stagnation du PIB aux alentours de 65 000 $ par habitant pour le Canada, une légère contraction de 2021 à 2029 dans le scénario Général frugale de l’Ademe en France, une baisse agrégée de -14 % d’ici 2040 pour l’Allemagne, une baisse annuelle de -5,3 % pour l’Australie, ou encore un ralentissement progressif pour la France passant de 1 % en 2020 à -0,7 % en 2050 selon un autre modèle (Figure 9). Les chercheurs utilisent différentes méthodes avec des chiffres et des hypothèses différents, au point où ça devient difficile de comparer d’une étude à l’autre. À ma connaissance, personne n’a encore fait ce calcul pour la Suisse avec une trajectoire de retour sous le seuil des limites planétaires[4]

Figure 9 : Quatre scénarios de décroissance (1234)

Nous connaissons les empreintes environnementales totales de la Suisse ainsi que le degré de dépassement des limites planétaires. On peut aussi zoomer sur l’empreinte de chaque secteur. Par exemple, le logement, l’alimentation, et la mobilité constituent les trois postes les plus lourds, causant respectivement 25 %, 25 %, et 14 % de l’empreinte écologique totale (Figure 10). Un ordre de grandeur simple à calculer consiste à rapporter l’équivalent d’une réduction d’empreinte (les -67 % de la section précédente, par exemple) en volume monétaire, en prenant en compte la part de chaque secteur dans la valeur ajoutée nationale. 

Figure 10 : Composition de l’empreinte écologique totale en Suisse (OFEV, 2022)

Pour être plus précis, on peut répéter la même procédure pour des catégories de produits spécifiques. La part de l’agriculture dans les émissions Suisses est de 15,5 %, principalement à cause des rejets de méthane de l’élevage bovin. On peut facilement isoler les activités liées à la viande de bœuf dans la valeur ajoutée nationale et estimer quelle serait l’ampleur d’un choc de demande et/ou d’offre qui consisterait à moins manger/produire de viande bovine. 

Mais cette méthode est loin d’être satisfaisante car l’intensité biophysique (c’est-à-dire la teneur d’une valeur ajoutée en ressources naturelles) des biens et services évolue dans le temps. Pour évaluer les implications réelles d’un impératif de retour sous le seuil des limites planétaires, il faut aussi prendre en compte les gains d’efficacité de production, qui varient d’un secteur/produit à l’autre (Figure 11). 

Figure 11 : Évolution des émissions en France par secteur (Lamb et al., 2022)

Ce calcul permet d’identifier les catégories de produits qui ne se verdissent pas ou pas assez vite. Ce sont ces ordres de grandeur qui nous permettent de sélectionner les produits pour lesquels les stratégies d’efficacité de production (efficiency) ne suffiront pas et qui auront donc besoin de stratégies additionnelles de sobriété (sufficiency). Le vol en avion, par exemple, est un produit avec de très faibles marges d’efficience, d’où l’importance du volet sobriété, c’est-à-dire faire voler moins d’avion, du moins jusqu’à ce que des alternatives de mobilité aérienne moins polluantes apparaissent. 

Vu que l’on connait la contribution d’un secteur et même d’une catégorie de produit à la valeur ajoutée nationale (le PIB), on peut facilement déduire la baisse du PIB causée par une baisse sélective de la production et de la consommation. Si l’on ajoute, secteur par secteur, toutes les baisses d’activités, que l’on confronte des potentiels hausses d’activités pour d’autres catégories de produit, on obtient un chiffre de PIB final. En utilisant des modèles macroéconomiques, on peut aussi estimer les conséquences sur des agrégats comme l’emploi, les inégalités, ou la dette publique. 

Même si n’existe pas de chiffre précis, il est certain que l’adoption d’une telle initiative ne laissera pas l’économie suisse indifférente. C’est d’ailleurs son objectif premier : restructurer notre système économique pour le rendre écologiquement durable. S’il n’avait aucune répercussion d’ampleur sur la production, la consommation, l’emploi, etc., ce programme serait juste la continuation de ce que l’on fait déjà. Attention donc aux arguments qui pousseraient vers son rejet en invoquant la présupposée fragilité de l’économie suisse, une tour Jenga qui soi-disant s’effondrerait à la moindre intervention. 

Le Conseil fédéral (le gouvernement, dans le système suisse) ainsi que les deux chambres de l’Assemblée nationale (le Parlement), qui se sont exprimées à très large majorité (133 non contre 61 oui pour le Conseil National ; 31 non et 11 oui pour le Conseil des États) ont tous proposé de rejeter l’initiative car « elle entraînera de nouvelles prescriptions et interdictions qui réduiront fortement la consommation, affaibliront l’économie et provoqueront un renchérissement de nombreux produits et services ». Un document explicatif offre sept raisons pour justifier le rejet. Partons de cet argumentaire comme point de départ pour explorer les différents enjeux liés à l’initiative pour la responsabilité environnementale. 

#1 – L’initiative implique-t-elle des interdictions ? 

« Prescriptions et interdictions ». C’est le titre de la première raison justifiant le rejet : « l’initiative entraînera des changements radicaux du mode de vie de la population. La Confédération et les cantons seront sollicités et devront rapidement limiter la consommation avec des prescriptions, des interdictions, des mesures incitatives et d’autres mesures de grande portée » (p. 12). 

Rappelons que l’initiative ne propose pas de mesures mais seulement des objectifs. Comme expliqué dans l’argumentaire des porteur·euse·s de l’initiative, le texte « ne précise pas sa mise en œuvre exacte [pour permettre] une grande marge de manœuvre pour effectuer une transition en douceur » (p. 27). L’invocation de « mesures draconiennes » par Simone de Montmollin, conseillère nationale du Parti Libéral-Radical, est un épouvantail. Ce serait comme dissuader les gens de perdre du poids en invoquant des mesures d’amputation, ce qui serait malhonnête car l’on sait très bien qu’il est aussi tout à fait possible de perdre du poids en faisant un régime.    

Il n’y a aucune raison d’avoir peur des interdictions. Ne succombons pas à cette stratégie rhétorique bien connue consistant à dépeindre tout ce qui touche à l’environnement comme liberticide, une écologie punitive basée sur la contrainte, à la limite de la dictature verte. Mais sans interdictions, il n’y aurait pas de vivre-ensemble. L’activité première des pouvoirs publics est d’administrer toute une panoplie de règles dans une foule de domaine (habitudes alimentaires, code la route, droit immobilier, conditions de travail, régulation financière). Depuis 2008 en Suisse, il est interdit de fumer dans les espaces fermés accessibles au public. De la même manière, certaines villes comme Zermatt, Saas-Fee, ou Wengen ont déjà interdit la circulation des voitures pour limiter le bruit et la pollution de l’air. 

La planification écologique n’a rien de fondamentalement différent avec les nombreuses autres stratégies de politiques publiques déjà en place. Le gouvernement français, par exemple, élabore tous les quatre ans un Programme national de lutte contre le tabac. Ce plan d’action pose des objectifs annuels de baisse pour atteindre l’éradication complète du tabagisme en 2032, la première « génération sans tabac ». Pour ce faire, elle détaille toute une panoplie d’actions, alliant interdictions, incitations, et dispositifs d’accompagnement. Certains produits sont interdits à la vente, d’autres voient leur prix augmenter, les médecins sont formés pour aider les fumeurs, il existe des subventions pour soutenir les buralistes, etc. Ces instruments sont exactement de même nature que ceux utilisés pour l’écologie, et pourtant ils ne font pas autant controverse. Cela montre bien que la phobie de l’interdiction est un drapeau rouge agitée par certains groupes d’influence pour saper les efforts de transition, une stratégie d’ailleurs courante chez les lobbies du tabac. 

L’initiative doit être considéré comme une stratégie de prévention : plusieurs catégories de mesures pour atténuer les atteintes à l’environnement aujourd’hui et cela pour éviter d’avoir recourt à des mesures plus drastiques et moins populaires plus tard. On peut, par exemple, introduire une tarification progressive pour l’usage de certaines ressources comme c’est déjà le cas pour l’eau dans de nombreuses villes en France, et cela pour éviter un rationnement d’urgence en cas de sécheresse. C’est mentir au peuple suisse que d’affirmer que la situation actuelle est tenable. Le choix qui s’offre à nous est celui d’un ralentissement choisi aujourd’hui ou bien d’un effondrement subi demain. 

#2 – Doit-on renoncer au niveau de vie suisse ? 

« Les prescriptions et les interdictions ne toucheront pas que l’achat de nouveaux appareils ou habits, mais aussi la manière dont nous habitons, mangeons, nous déplaçons et organisons nos loisirs et nos vacances. Il faudra renoncer au niveau de vie auquel nous sommes habitués en Suisse » (p. 12). 

C’est tout le défi de la planification écologique : choisir la meilleure façon d’utiliser un budget écologique limité. Chaque ménage ne renoncera pas aux mêmes choses et pas dans les mêmes proportions. Même chose pour deux villes ou deux régions différentes. Les écosystèmes nous imposent une certaine limite (la biocapacité ou ce que l’on pourrait appeler l’offre écologique) mais nous restons libres de décider de la composition de la demande, à partir du moment où le volume total de celle-ci ne vient pas dépasser ce que la nature peut offrir de manière durable. 

Attention de ne pas tomber dans la caricature. « Si l’initiative est acceptée […], il faudrait à nouveau se nourrir au mieux de bouillie d’avoine avec quelques légumes », s’indigne l’Union suisse des paysans. « Il ne serait même plus possible de prendre l’avion. En lieu et place de voitures privées, il n’y aurait plus que quelques taxis électriques ». Ces fabulations postapocalyptiques n’ont aucune fondations scientifiques. De nombreuses études[5] démontrent qu’il est théoriquement possible de vivre bien avec une empreinte écologique beaucoup plus basse, si et seulement si les budgets écologiques sont distribués de manière plus équitable. 

Pour se projeter, on peut aussi se référer à des scénarios de prospective comme ceux développés en France par l’Ademe dans le projet Transition(s) 2050. Dans le scénario le plus radical (S1 « Génération frugale »), une baisse de la consommation de viande de -70 % permet de réduire l’empreinte GES de la production agricole de -45 %, son empreinte sol de -40 %, et son empreinte énergie de -29 % (Figure 12p. 248 du rapport final). C’est un changement certes radical mais on reste loin de la bouillie d’avoine. 

Figure 12 : Les scénarios de prospective de Transition(s) 2050 (Ademe, 2021)

L’utilisation du terme « niveau de vie » suggère que cette transition aura forcément des impacts négatifs sur le bien-être. Pourtant, l’Alliance pour la responsabilité environnementale annonce dans leur fascicule (p. 13) qu’un tel changement pourrait « améliorer la qualité de vie ». « Au lieu d’une course effrénée au profit et à la croissance, nous et les générations à venir pourrions avoir une économie durable, une nature intacte, des aliments sains, plus de temps libre, des villes vertes, des millions d’emplois porteurs d’avenir et des conditions de vie durables ».

En effet, la nature est un facteur essentiel pour le bien-être. Si renoncer à la consommation (et à la production) de vols nationaux, de SUVs, et de viande de bœuf permet d’éviter des inondations, des canicules, des pertes de biodiversités, de la pollution de l’air, de l’eutrophisation, etc., cela contribue alors à une hausse de la qualité de vie. On peut dire que la baisse de la consommation économique est compensée par une hausse de la consommation écologique. De la même manière, si le ralentissement du rythme de production d’un secteur permet de libérer du temps libre pour celles et ceux qui travaillent trop, l’impact net social est bénéfique. 

Le niveau de vie n’est pas une quantité qui puisse croître à l’infini mais plutôt une jauge allant de 0 % (la misère, une situation où l’on ne peut satisfaire aucun de ses besoins de mobilité, d’alimentation, de santé, etc.) à 100 % (la prospérité, une situation où l’on peut satisfaire l’intégralité de ses besoins). Le niveau de vie d’une population donnée dépend plus de ses capabilités, c’est-à-dire la capacité à utiliser des ressources pour satisfaire un besoin, que de son niveau de revenu. À partir d’un certain seuil, le PIB perd sa corrélation avec le bien-être – c’est ce que les chercheurs appellent le « paradoxe d’Easterlin ». Le Portugal, par exemple, a un niveau de qualité de vie supérieur à la France, avec un PIB de moitié inférieur et une empreinte écologique 28 % plus basse.  

« La Suisse ne doit pas se restreindre au point de devenir un pays en développement », déclare Alexander Keberle, membre de la direction de l’organisation patronale Economiesuisse. Faire peur aux votant·e·s en comparant la Suisse à l’Afghanistan, Haïti, ou Madagascar comme le fait l’auteur de la tribune est une tactique malhonnête. La Suisse est le quatrième pays le plus riche au monde avec un Revenu National Brut de 95 070 $ par habitant, soit 83 fois supérieur au seuil sous lequel la Banque Mondiale classifie un pays comme à bas revenu. Les Suisses sont en moyenne 54 fois plus riches que les Haïtiens, 186 fois plus riche que les Malgaches, et 250 fois plus riches que les Afghans. 

« Il ne faut pas saper les bases de notre prospérité et envoyer la population suisse dans la pauvreté », déclare Nicolo Paganini(Centre/SG). Même dans le cas extrême où la Suisse réduirait son revenu national de -67 % dès aujourd’hui, le pays resterait dans les 40 pays les plus riches au monde, avec un niveau de vie équivalent à celui de l’Espagne ou de la Slovénie. Ces affirmations sont non seulement gravement exagérées mais aussi en contradiction complète avec l’état actuel des sciences sur les déterminants de la pauvreté (voir le dernier rapport d’Olivier De Schutter, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté : « Éliminer la pauvreté en regardant au-delà de la croissance »). 

#3 – L’initiative va-t-elle affaiblir l’économie ? 

Dans le document officiel, on peut lire que « l’initiative affaiblira sensiblement la place économique suisse. De nombreuses entreprises devront adapter leur production ou ne pourront peut-être plus fabriquer certains produits. Le marché suisse risque de devenir moins attrayant et les entreprises, de partir à l’étranger. Nous pourrions ainsi perdre des emplois. La position de la Suisse en tant que partenaire commercial international sera aussi affaiblie » (p. 12).  

Il ne faudra pas seulement renoncer à consommer mais aussi à produire. Parvenir à se déplacer convenablement en utilisant moins la voiture, c’est simplifier nos besoins de mobilité vers un mode de déplacement à plus faible impact environnemental. Cela demande un double processus de déconsommation (moins utiliser de voitures) et de renoncement productif (moins produire de voiture), chacun nécessitant des instruments de politique publique spécifiques. La Suisse fera face à des défis de sobriété de consommation concernant sa mobilité, son alimentation, et son logement, et d’autres défis de sobriété productive concernant les produits fortement polluants. 

Il faudra alors rediriger la production de certaines entreprises vers de nouveaux produits (e.g., moins de voitures et plus de vélos, moins d’avions et plus de trains, moins d’élevage et plus de protéines végétales). Si certaines choses ne peuvent plus être produites du tout (e.g., certains plastiques, pesticides, SUVs), c’est qu’elles ne sont pas écologiquement soutenables, et qu’il aurait donc fallu cesser de les produire un jour ou l’autre. Ce que certains appréhendent comme un affaiblissement économique peut aussi être vu comme un renforcement écologique, une sorte de cure d’assainissement biophysique. Une économie ne peut pas rester forte – ou du moins pas longtemps – avec des fondations écologiques faibles. De ce fait, et en vue des dépassements écologiques constatés dans la section précédente, la prospérité Suisse n’est qu’éphémère. Une transition permettant de remettre l’économie à grandeur écologique poserait des bonnes bases pour une prospérité pérenne.

La soutenabilité est aussi un atout géopolitique. Les empreintes écologiques démesurées de la Suisse rend sa population vulnérable vis-à-vis des pays qui lui exportent des ressources. Par exemple, 82 % de toute l’eau nécessaire pour satisfaire les besoins du mode de vie actuel des résident·es est mobilisée à l’étranger (Figure 13). Dans un monde à l’équilibre géopolitique fragile et incertain où les ressources se raréfient, rester dépendant d’autres nations pour des matières premières critiques est un pari extrêmement risqué. Les coûts à court terme de la sobriété seront plus que compensés par des bénéfices en termes de résilience sur le long terme.   

Figure 13 : L’empreinte eau de la Suisse (SDC/WWF, 2012)

C’est aussi l’inquiétude des personnes interrogées lors du sondage 20 minutes/Tamedia de décembre 2024 qui craignent « des effets délétères sur le dynamisme économique et des conséquences comme une hausse du chômage, des prix ou une baisse de la qualité de vie ». Quand on parle d’écologie, le spectre du chômage n’est jamais loin. Mais de nombreuses solutions existent, à la fois pour lutter contre le chômage indésirable (réduction du temps travail, garantie d’emploi, coopératives à but d’emploi) et aussi pour protéger le pouvoir de vivre de celles et ceux qui ne parviennent pas à vivre de leur travail (revenu de transition écologique, gratuité socialisée des biens et services essentiels) – pour aller plus loin, voir Parrique, 2024

Il faut remettre cette peur du chômage et de la pauvreté qui l’accompagne à sa juste place, c’est-à-dire un obstacle purement administratif. Procrastiner la transition écologique à cause d’un chômage potentiel serait aussi malvenu que de refuser de faire un régime par peur d’avoir faim. On fait un régime si l’on doit perdre du poids (décision n°1) et on s’adapte ensuite pour que ce régime se passe le mieux possible (décision n°2). Les deux décisions se font à deux moments différents : on décide si, oui ou non, nous devons réduire l’empreinte écologique (décision n°1) et seulement ensuite, on adapte l’économie pour que cette transition puisse se faire dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être (décision n°2).

Pierre Nicollier, le président du PLR Genève, s’inquiète : « cette initiative mettrait en difficulté les habitants des zones rurales et le secteur du tourisme, tout en renchérissant les coûts de construction et donc les loyers ». La part de vérité est qu’en effet, il faut s’attendre à une modification majeure des prix. L’initiative équivaut à l’arrêt d’une subvention invisible dont bénéficient depuis longtemps les activités les plus gourmandes en énergie et en ressources. On peut donc s’attendre à un renchérissement des produits qui alourdissent notre empreinte mais aussi à une baisse du prix relatif des alternatives moins polluantes. Cette transition arrivera tôt ou tard, autant la commencer dès maintenant pour donner un maximum de temps aux acteurs économiques de s’adapter, avec l’appui des pouvoirs publics pour mettre en place des filets de sécurité adéquats.  

#4 – Une telle transition est-elle acceptable sur le plan social ?  

« L’initiative entraînera le renchérissement de nombreux produits, ce qui touchera particulièrement les personnes à bas revenu. Il ne sera guère possible d’atténuer cet effet sans conséquences sur les finances publiques. L’exigence de l’initiative concernant l’acceptabilité sociale sera donc difficile à mettre en œuvre » (p. 12). 

C’est le grand absent des discussions autour de l’initiative : les inégalités. À l’échelle du monde, les 10 % les plus riches (680 millions de personnes) génèrent 48 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre, tandis que la moitié la plus pauvre de l’humanité – près de 4 milliards de personnes – n’est responsable que de 12 % de l’empreinte carbone mondiale. Les 1 % de personnes les plus riches (16,8 % des émissions mondiales) émettent plus de carbone que 66 % de la population mondiale. Dans un monde avec de telles disparités, il va falloir planifier une transition à plusieurs vitesses. 

Il n’existe malheureusement pas de chiffres officiels à l’Office Fédéral de l’Environnement ou à l’Office Fédéral de la Statistique sur les inégalités environnementales en Suisse. Une étude de 2022 compare les inégalités carbone pour différents pays. En Suisse, les 1 % des individus les plus riches émettent en moyenne 195 tonnes de CO2 par an, soit 44 fois plus que l’empreinte du décile le moins fortuné. Le volume total des émissions des 10 % des Suisses les plus fortunés représente 31 % des émissions nationales, soit davantage que celles de la moitié la plus pauvre de la population (seulement 26 % des émissions). À eux tout seuls, les 30 % les plus riches de la population suisse sont responsables de 55 % des émissions nationales. C’est un fait statistique que l’on retrouve un peu près partout : plus on est riche, plus on pollue.  

Le conseiller fédéral Albert Rösti affirme que « notre consommation […] pourrait être divisée par trois. Ce n’est pas durable, pour les gens et les familles. Les mesures doivent être supportables pour la population ». Attention à l’illusion statistique des moyennes : tous les ménages ne sont pas dans la même situation. C’est la base de toute transition juste : les efforts doivent être proportionnels aux empreintes. Les plus riches devront donc réduire très fortement leur consommation de biens et services très polluants alors que les changements pour celles et ceux en bas de l’échelle des revenus et des richesses seront moins disruptifs (voire positifs pour les ménages en situation de pauvreté qui verront leur consommation augmenter). Ces deux stratégies sont d’ailleurs connexes : plus les ménages/entreprises/villes privilégiées réduisent leur utilisation du budget écologique national, plus cela donne une marge de manœuvre pour permettre à d’autres de s’adapter en douceur. 

Le texte « engendrerait d’énormes coûts de transformation, disproportionnés et insoutenables pour l’État », explique le gouvernement. Comme pour celle du chômage, la question des dépenses publiques n’est pas fondamentalement indépassable (voir Parrique, 2024 et Parrique, 2023), et la recherche académique sur le sujet a beaucoup évolué ces dernières années (pour un état des lieux, voir Kallis et al., 2025). Un des arguments les plus convaincants reste que les coûts de l’action sont inférieurs à ceux de l’inaction. Selon une étude récente, les coûts de l’inaction climatique passée viendront absorber 19 % du revenu global dans les 26 prochaines années, et chaque degré de réchauffement supplémentaire coûtera l’équivalent de 12 % du PIB mondial. De ce point de vue, les politiques de transition écologiques à base de sobriété et de ralentissement productif doivent être vues comme des stratégies de prévention, une façon d’éviter les coûts exorbitants des effondrements écologiques à venir[6].  

C’est un débat similaire à celui des politiques anti-tabac. Même si l’État perçoit des recettes grâce aux impôts sur les cigarettes, ces revenus ne sont pas suffisants pour compenser les divers coûts liés au tabagisme. En France, les produits du tabac rapportent 13 milliards d’euros à l’État mais lui coûtent 17 milliards d’euros de dépenses de santé (sans compter les coûts externes pour la société qui ne sont pas pris en compte dans ce calcul). Une baisse de la production et de la consommation de produits du tabac se solde donc par un gain net pour les finances publiques. Si la grande priorité du gouvernement est le maintien de l’équilibre des finances publiques, il devrait donc au plus vite engager une transition écologique qui ramènerait la Suisse sous le seuil de ses limites planétaires. 

#5 – Le délai d’application est-il trop court ? 

« Comme l’initiative prévoit un délai de mise en œuvre d’à peine dix ans, il faudra rapidement adopter de nombreuses mesures. Dans un laps de temps si court, il sera difficile d’élaborer des solutions solides et susceptibles de rallier une majorité politique » (p. 13). 

Si l’initiative était adoptée, la cible de retour sous le seuil des limites planétaires serait donc fixée à 2035. La stratégie actuelleprévoit d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 pour les émissions territoriales, avec un palier intermédiaire à -45 % de leur niveau de 2020 d’ici 2040. L’étude de Nathani et al. (2022) considère une baisse de -89 % des émissions de gaz à effet de serre entre 2018 et 2040, soit une cible deux fois plus ambitieuse que la politique climatique actuelle. Effectivement, c’est rapide. Mais rappelons que le plan climat suisse ne cible que les émissions à l’intérieur de son territoire, soit seulement un tiers de son empreinte carbone. Il faut aussi noter que l’objectif climatique actuel de neutralité carbone à 11,8 millions de tonnes d’équivalent CO2 à l’horizon 2050 fait l’hypothèse qu’il sera possible de compenser ce volume d’émission annuel avec des techniques de captage et de stockage qui restent aujourd’hui incertaines. 

Interrogé sur la question du délai, Hy Dao, professeur à l’Institut des sciences de l’environnement de l’Université de Genève explique que « ce calendrier correspond à ce que dit la science : d’après elle, il faudrait prendre d’importantes mesures dans les dix ans à venir ». Si la marche est si haute aujourd’hui, c’est parce que nous procrastinons ces efforts de transition écologique depuis des décennies. 

La question de la vitesse de la transition écologique en Suisse doit être recontextualisée dans un contexte global. La limite planétaire du changement climatique se chiffre en degrés, et donc en tonnes de gaz à effet de serre émissibles à l’échelle de la planète (le budget carbone). Plus les pays riches parviennent à faire baisser leurs empreintes, plus il restera de ressources disponibles pour permettre un développement durable dans les pays les plus pauvres (c’est le même mécanisme redistributif à l’œuvre à l’échelle d’un pays, d’un canton, ou d’une ville). Dit autrement, une transition rapide en Suisse dégage une marge de manœuvre pour que d’autres populations plus démunies ne se retrouvent pas soudainement dos au mur, sans budget carbone pour pouvoir se développer. 

« Les initiants veulent aller trop loin, en trop peu de temps », commente le conseiller fédéral en charge de l’Environnement Albert Rösti ; « au vue des mesures radicales qu’il faudrait prendre pour le respecter, ce calendrier n’est pas réaliste ». S’il y a une leçon à retenir de l’histoire des politiques environnementales, c’est bien que, niveau objectifs, mieux vaut trop que pas assez ambitieux. C’est d’ailleurs curieux, nous vénérons les excès d’optimisme des multinationales, prêchant une mentalité entrepreneuriale pro-innovation, mais nous n’appliquons jamais cette même mentalité aux enjeux écologiques. Nous investissons machinalement des milliards dans l’IA mais presque rien dans la préservation de l’habitabilité même de la vie sur Terre.  

La raison d’être de cette initiative est de mettre en mouvement la société suisse vers un idéal de durabilité écologique. De nombreuses questions restent ouvertes mais le rejet de cette initiative marquerait un refus clair et net de tout effort supplémentaire, précisément le signal contraire que nous devrions aujourd’hui envoyer au monde. 

Après tout, le délai n’est qu’un détail. L’élément central de l’initiative reste de donner un cadre clair et précis au développement durable. Si c’est vraiment l’histoire du timing qui bloque, le Conseil fédéral et le Parlement pourraient très bien proposer un contre-projet avec un délai plus long (il y a d’ailleurs eu un contre-projet porté par les Vert·e·s et le parti socialiste qui proposait de supprimer le délai des 10 ans). Mais le problème est ailleurs. Le fait qu’il n’y ait eu aucun alternative proposée ou validée par ces instances montre bien que le délai n’est pas l’aspect déterminant motivant le rejet de l’initiative. 

#6 – Est-il vraiment nécessaire d’introduire une nouvelle loi ? 

« La Constitution contient déjà des dispositions équilibrées pour encourager le développement durable. Celles-ci laissent une marge de manœuvre au législateur. L’initiative quant à elle se concentre uniquement sur la protection de l’environnement » (p. 13). 

On peut en effet trouver quelques éléments dans la Constitution fédérale Suisse. Le développement durable est mentionné comme l’un des quatre buts dans l’Article 2. Cet article stipule que la Confédération « s’engage en faveur de la conservation durable des ressources naturelles ». L’Article 54 (« Affaires étrangères ») mentionne la nécessité d’une « préservation des ressources naturelles ». L’Article 73 (« Développement durable ») spécifie que « la Confédération et les cantons œuvrent à l’établissement d’un équilibre durable entre la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et son utilisation par l’être humain ». Et l’Article 74(« Protection de l’environnement ») donne à la Confédération le droit de légiférer « sur la protection de l’être humain et de son environnement naturel contre les atteintes nuisibles ou incommodantes ». 

Mais ces articles manquent de précision. À aucun moment la Constitution ne définit ce qu’elle entend par équilibre durable et développement durable. Apparu depuis les années 1980, le terme développement durable est maintenant servi à toutes les sauces, souvent dans des optiques de greenwashing. Même TotalEnergies « inscrit le développement durable dans toutes ses dimensions au cœur de ses projets et opérations ». Le concept de « protection de l’environnement » est encore plus vieux, utilisé maintenant sur presque tous les fascicules de RSE (la « protection de l’environnement est une priorité majeure » pour Coca-Cola, par exemple). 

« Contrairement à celles de l’initiative, les dispositions existantes n’entraînent pas de conséquences rigoureuses pour l’économie et la société », affirme le Conseil fédéral. C’est vrai et là est bien le problème. La marge de manœuvre que donne la Constitution dans son état actuel est une faiblesse ; c’est une carte joker accordée à toutes les organisations qui cherchent désespérément des excuses pour ne rien changer.

La preuve : la transition n’a pas véritablement commencé. L’empreinte biodiversité suisse s’est légèrement aggravée entre 2000 et 2018, alors que les empreintes gaz à effet de serre, stress hydrique, azote, et matière n’ont presque pas baissé. Comme on le voit dans la Figure 14, tous les éléments qui constituent l’empreinte écologique suisse stagnent plus ou moins depuis deux décennies. Pour l’organisation patronale Economiesuisse, « l’approche Suisse de la durabilité fonctionne ». On aimerait bien mais cette affirmation ne passe pas l’épreuve des chiffres. 

Figure 14 : Évolution de plusieurs pressions environnementales en Suisse (OFEV, 2022)

Il ne s’agit pas de réinventer la roue. L’initiative pour la responsabilité environnementale viendrait s’ajouter aux dispositions Constitutionnelles mentionnées plus haut, apportant plus de précision sur la définition de la durabilité (le respect des limites planétaires) et donnant un cap quantifiable de transition écologique (10 ans pour faire suffisamment baisser les différents éléments de l’empreinte suisse).

L’initiative « se concentre uniquement sur la protection de l’environnement », nous explique le Conseil National et le Conseil des États. Exactement, et c’est sa force. Elle a le mérite de clairement délimiter des conditions de durabilité. On ne le répètera jamais assez : il ne peut pas y avoir de prospérité économique et de bien-être social dans un monde aux écosystèmes mourants. La vision du développement durable comme une triple bottom line où l’économique, le social, et l’environnemental aurait la même importance est désuète et doit être remplacée par une vision plus science-based reconnaissant une hiérarchie entre les différents déterminants de la prospérité (Figure 15).   

Figure 15 : La hiérarchie des éléments du développement durable (SRC, 2016)

#7 – La Suisse peut-elle faire cavalier seule en matière d’écologie ? 

« La Suisse s’engage dans le cadre d’accords internationaux en faveur d’une action coordonnée au niveau mondial pour la protection de l’environnement et du climat. Cette voie a fait ses preuves. Si la Suisse réduit sa consommation en faisant cavalier seul, cela n’aura guère d’effet sur la situation environnementale mondiale » (p. 13). 

Encore une fois, répétons-le haut et fort : cette voie n’a pas fait ses preuves. En avril 2024, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la Suisse pour une inaction climatique qui va à l’encontre de la Convention des droits de l’Homme. Selon Géraldine Pflieger, directrice de l’Institut des sciences de l’environnement à l’Université de Genève, « la Suisse n’est pas dans une trajectoire favorable » pour respecter la feuille de route de l’Accord de Paris. Ce constat est partagé par de nombreux scientifiques signataires d’une tribune en soutien à l’initiative. C’est un fait indéniable : si cette voie avait véritablement fait ses preuves, la Suisse serait déjà revenue sous le seuil des limites planétaires. 

« Sa mise en œuvre n’aurait pas de conséquence au niveau de la planète », explique Stéphanie Ruegsegger, la directrice de l’organisation patronale FER Genève. Attention au discours d’inaction qui consiste à dire que l’effort de la Suisse ne changera rien à l’état du monde. Les tenants de ce discours aiment rappeler qu’un petit pays comme la Suisse n’est responsable que d’une portion négligeable des atteintes à l’environnement (e.g., moins de 1 % des émissions globales). 

Mais il existe d’autres chiffres qui ne racontent pas la même histoire. Avec 11 tonnes de CO2 par an et par habitant (c’est la fourchette basse car les estimations oscillent entre 11 et 15 tonnes), la Suisse est le 13ème pays avec la plus haute empreinte carbone au monde. On pourrait aussi inclure l’empreinte carbone de la place financière suisse qui fait passer sa part globale de 1 % à 3 %, soit l’équivalent des émissions directes du Brésil, du Japon, ou de l’Indonésie.

Depuis la Révolution Industrielle, la Suisse a émit un volume cumulé de 3,13 milliards de tonnes de CO2, soit plus de double des émissions annuelles actuelles de tous les pays du continent africain. Pour en revenir à la comparaison citée précédemment, la contribution historique de la Suisse au changement climatique est 13 fois supérieure à celle de l’Afghanistan (c’est 28 fois pour Madagascar et 35 fois pour Haiti). L’impact réel est sûrement bien plus important car ces chiffres ne comptabilisent que les émissions territoriales, une petite partie seulement de l’empreinte carbone suisse.

Son empreinte matière en 2021 avoisine les 40 tonnes par an/habitant, ce qui fait d’elle le 11ème pays le plus consommateur de ressources naturelles. L’empreinte eau Suisse avoisine les 4 200 litres par personne et par jour, soit 3 fois la moyenne mondiale. On se rend vite compte que l’empreinte de la Suisse, tout comme celle de pleins d’autres petits pays riches qui aiment se raconter la fable du presque rien, n’est pas négligeable du tout. 

Le choix des mots est important. Parler de « la responsabilité environnementale de la Suisse » implique que la Suisse n’agit pas seulement pour garantir le bien-être de son peuple mais surtout pour cesser de contribuer à des pollutions imposées à d’autres régions. Comme l’écrivent les auteur·ice·s de l’étude mentionnée plus haut, « la Suisse transfère donc une grande partie de son impact environnemental à l’étranger ». En effet, deux tiers de l’empreinte écologique Suisse est subi à l’étranger et cette partie a augmenté durant les dernières décennies (Figure 16). 

Figure 16 : Évolution de l’empreinte écologique en Suisse (OFEV, 2022)

Alors que la part étrangère de l’empreinte biodiversité ne représentait que 58 % de l’empreinte en 2000, elle est passé à 70 % en 2018 (Figure 17). Concernant l’eau, 82 % de l’empreinte hydrique Suisse se situe en dehors du territoire national. Quant aux émissions de gaz à effet de serre, c’est presque deux tiers de l’empreinte suisse qui se retrouve dans les émissions importées. Avant de se soucier de coordination internationale, la Suisse devrait au minima viser une sorte de neutralité écologique, une situation où personne au-delà des frontières nationales ne devrait pâtir de son mode de vie.  

Figure 17 : Évolution de l’empreinte biodiversité en Suisse (Nathani et al., 2022)

Finissons par noter que la Suisse ne se gêne pas pour faire cavalier seul sur bon nombre d’autres fronts. Si les actions d’un pays étaient absolument contraints par les autres, la Suisse serait dans l’UE, aurait adopté l’euro, aurait harmonisé ses règles fiscales avec ses voisins, etc. On peut faire cavalier seul sur le volet bancaire mais pas sur le volet écologique ? Deux poids, deux mesures.

« Seule à appliquer une mesure aussi drastique, la Suisse perdrait en compétitivité vis-à-vis des autres pays », écrit Steven Kakon dans une tribune pour Entreprise Romande, le journal de l’organisation patronale FER Genève. D’un point de vue strictement économique, c’est vrai. C’est un casse-tête récurrent au fil de l’histoire. Les premières plantations à abolir l’esclavage, les premières usines à interdire le travail des enfants, les premiers pays à instaurer des impôts ; l’histoire du développement est jalonnée de ces moments où des territoires pionniers décident de faire le premier pas. C’est précisément le choix du 9 février : le peuple suisse peut soit continuer à privilégier la compétitivité de son économie aux dépens de sa durabilité, soit être l’un des premiers pays au monde à faire le contraire. 

Dans leur argumentaire, les portant·e·s de l’initiative proposent de faire de la Suisse un modèle : « La Suisse a toutes les cartes en main pour devenir un modèle : nous avons de l’argent, des technologies et une démocratie forte. De plus, en tant qu’importante place financière et marché de matières premières, la Suisse dispose d’un énorme levier pour donner une impulsion à une économie d’avenir. Si nous montrons la voie, si nous montrons comment il est possible de vivre en respectant les limites de la planète, alors nous pourrons amorcer un changement dans le monde entier » (p. 14).

La Finlande vise la neutralité carbone d’ici 2035 et l’Islande et l’Autriche d’ici 2040, bien avant tous les autres pays au monde. La Nouvelle Zélande a fait cavalier seule en 2019 pour remplacer le PIB par un budget bien-être, une stratégie maintenant mise en place dans plusieurs autres pays regroupés dans le Partenariat des Gouvernements en faveur d’une Économie du Bien-être. N’oublions pas que c’est en Suisse, en 1998 déjà, qu’apparaissait le projet visionnaire d’une Société à 2000 watts. De tous les pays au monde, la Suisse est l’un des candidats les plus à même de faire cavalier seul. Nous pouvons démocratiquement décider de ne rien faire, mais nous ne pouvons plus en 2025 se donner des excuses comme quoi nous avons dit non parce que le oui était impossible. 

Conclusion : L’art de couler sans grâce 

Selon les sondages[7], il semblerait que le non l’emporte. Cette initiative risque de rejoindre le cimetière des propositions écologiques, aux côtés de l’initiative biodiversité, rejetée à 63 % en septembre 2024. C’est la triste histoire de la lutte environnementale : l’eau de la casserole se réchauffe progressivement et les grenouilles continuent de trouver des excuses pour éviter d’agir. This is fine. Nous n’arriverons probablement pas à éviter un effondrement écologique majeur, pour les populations les plus vulnérables d’abord, et graduellement pour le reste du monde, et notre échec restera un sujet de recherche palpitant pour ce qui restera des universités dans un monde à +3°C.

Ce qui m’étonne le plus dans ces controverses, c’est l’asymétrie de la qualité des arguments. Selon le contrôle fédéral des finances, les partisans de l’initiative ont 233 520 francs pour faire campagne, soit seulement la moitié du budget de l’opposition (450 000 francs). Niveau puissance d’argumentation, c’est l’équivalent d’un boxeur de 100 kg qui affronte un adversaire n’en faisant que cinquante. Et pourtant, curieusement, l’argument du contre est assez facilement falsifiable. Malgré des armées d’analystes privés (j’imagine grassement payés), les détracteurs peinent à construire un argumentaire scientifiquement rigoureux pour justifier leur défense du statu quo. 

« La Suisse ne doit pas se restreindre au point de devenir un pays en développement », s’affole Alexander Keberle, membre de la direction de l’organisation patronale Economiesuisse. La directrice d’une autre organisation patronale décrie une initiative « dangereuse et irréaliste », le député Mike Egger (UDC/SG) parle d’un « monstre bureaucratique », alors que l’alliance des partis bourgeois décrient une « utopie verte insensée », une « bombe sociopolitique », et « une expérimentation économique digne des pires dictatures communistes ». Ce n’est pas un débat public, c’est une chasse aux sorcières où toute évocation liée à l’écologie est automatiquement punchlinée comme, soit un manque de réalisme, ou pire, une tentative délibérée de saboter l’économie. 

Malheureusement, l’histoire a démontré, au moins depuis le rapport Meadows de 1972 qu’il est extrêmement difficile de faire bouger les lignes. Cinquante ans plus tard, nous savons ce que nous aurions dû faire à l’époque. Et pourtant, nous continuons de refaire la même erreur. Réveillons-nous. Il ne faudrait pas que dans cinquante ans, d’autres comme moi viennent déplorer l’inaction d’aujourd’hui de la même manière que je déplore l’inaction d’hier, pointant du doigts ces pays dans l’opulence qui rechignaient à ralentir la destruction du monde parce que ce n’était pas « économiquement réaliste ». 


[1] Les initiatives populaires fédérales existent en Suisse depuis 1891. Tout comité d’initiative (un collectif rassemblant entre 7 et 27 personnes) parvenant à récolter plus de 100 000 signatures en l’espace de 18 mois peut proposer une sorte de référendum à la Suisse entière concernant une proposition d’amendement de la Constitution fédérale (le même genre d’initiatives existe aussi à l’échelle communale et cantonale). Il y a eu 326 votations populaires depuis 1893. 

[2] Dans une étude, Ryberg et al. (2020) identifient 34 procédures d’allocation différentes. La méthode d’allocation la plus courante consiste à diviser un aggrégat global par la population mondiale pour obtenir une empreinte par habitant, que l’on peut ensuite multiplier par la population nationale d’un pays spécifique pour obtenir l’équivalent national d’une limite planétaire (pour aller plus loin, voir p. 846-852 dans Gupta et al., 2024). 

[3] La méthode de saturation économique consiste à aggréger différentes pressions environnementales comme le changement climatique, l’acidification, ou l’épuisement des ressources en une seule unité, l’Unité de Charge Écologique (UCE). En utilisant des écofacteurs paramètrés en fonction des empreintes actuelles et des objectifs environnementaux du pays, chaque variable écologique peut être traduite en équivalent UCE, exprimant alors le niveau de nuisance écologique d’un bien ou d’un service. Par exemple, 1 000 UCE correspond à un trajet de 2 km en voiture, à 9 grammes de viande de boeuf, à 7 tasses de café, ou bien à une ampoule de 60 watts laissée alumée pendant dix jours. Plus un produit a un UCE élevé, plus son impact est important, et plus l’empreinte actuelle dépasse la cible des politiques environnementale, plus l’UCE d’un produit sera élevé. 

[4] C’est l’un des objectifs de notre projet de recherche au sein du programme Sustainability Transformation Research Initiative (STRIVE) de l’Université de Lausanne. Je remercie d’ailleurs mes collègues Jean-André Davy-Guidicelli, Éric Jondeau, et Julia Steinberger d’avoir pris le temps de relire ce papier. 

[5] On notera l’étude pionnière de Narasimha D. Rao et Jihoon Min, « Decent Living Standards: Material prerequisites for human wellbeing » (2018), ainsi que des études plus récentes comme Grubler et al. (2018)Millward-Hopkins et al. (2020)Vogel et al. (2021)Millward-Hopkins et Oswald (2023), et Pauliuk (2024)

[6] Citons ici l’encadré « coûts de l’inaction » du rapport sur l’environnement 2022 de l’OFEV (p. 27) : « Toutefois de pures considérations de coûts montrent leurs limites, car elles ne permettent pas de représenter la véritable ampleur des risques liés aux atteintes portées à l’environnement. Par exemple, la perte d’insectes peut être supportable jusqu’à un certain point, difficile à évaluer, pour l’agriculture et la nature ; mais si l’extinction des insectes se poursuit avec la même intensité, des écosystèmes entiers peuvent basculer, car les sols ne sont plus fertiles et les chaînes alimentaires sont rompues. Les dommages pour l’économie et la société deviennent alors inévitables et les coûts augmentent dans des proportions imprévisibles ». 

[7] Selon un premier sondage de la RTS en ligne et au téléphone auprès de 18 845 personnes entre le 2 et le 16 décembre 2024 (marge d’erreur de +/- 2,8 %), 33 % des personnes intérrogées rejettent la votation et 16 % se prononcent « plutôt défavorable », tandis que 28 % d’entre eux se disent fermement en faveur de la proposition et 17 % « plutôt favorables » (6 % se disent totalement indécis). Selon un autre sondage 20 minutes/Tamedia réalisé en ligne auprès de 10 139 personnes le 18 et le 19 décembre 2024, l’initiative serait rejetée par 63 % des voix (marge d’erreur de +/- 1,7 %).

26.12.2024 à 18:39

Réponse à Serge Allegrezza : La décroissance au Luxembourg 

tparrique

Serge Allegrezza is back. Après « Ceux qui parlent de décroissance n’ont rien compris » en 2022, le directeur de l’Institut national de la statistique et des études économiques (STATEC) du Luxembourg revient à la charge avec « Non à la décroissance, oui à la croissance verte et inclusive ». En temps normal, j’aurais laissé couler.[1] Courts, superficiels, et truffés […]
Texte intégral (7671 mots)

Serge Allegrezza is back. Après « Ceux qui parlent de décroissance n’ont rien compris » en 2022, le directeur de l’Institut national de la statistique et des études économiques (STATEC) du Luxembourg revient à la charge avec « Non à la décroissance, oui à la croissance verte et inclusive ». En temps normal, j’aurais laissé couler.[1] Courts, superficiels, et truffés d’erreurs, ces analyses sont une perte de temps pour ceux qui s’intéressent vraiment au sujet. Mais il se trouve que ce dernier texte s’adresse directement à moi, faisant suite à une table ronde que nous avions partagé à Luxembourg en octobre dernier lors des 20 ans du Conseil Supérieur du Développement Durable.  

La monomanie du carbone territorial 

« Mêmes les décroissantistes invétérés sont obligés de reconnaître qu’il y a bon nombre de pays, surtout en Europe et en Amérique du Nord qui réussissent ce découplage (absolu) entre croissance et émissions de gaz à effet de serre », écrit le directeur de la STATEC[2] L’un des messages de ma conférence ce soir-là était que le changement climatique n’est qu’un des nombreux défis de la transition écologique, d’où l’analogie du Rubik’s Cube. J’avais expliqué qu’il fallait se méfier des analyses de découplage qui ne prennent en compte que le carbone. Et pourtant, pendant le débat, Serge Allegrezza n’avait parlé que de décarbonation, un manquement qu’il reproduit encore dans cette tribune. 

J’avais aussi mis en garde contre l’usage d’indicateurs territoriaux qui ne prennent pas en compte les émissions importées. Pour un pays comme le Luxembourg, c’est une omission de taille car celles-ci représentent 62 % de l’empreinte carbone nationale. Le titre du graphique, que l’on retrouve dans la dernière édition de L’environnement en chiffres publié par la STATEC, est sans équivoque : « pas de décroissance de l’empreinte carbone ». Entre 2010 et 2020, l’empreinte luxembourgeoise stagne entre 20 et 23 tonnes de CO2eq par an/habitant

Serge Allegrezza ne mentionne pas ces chiffres, sûrement parce qu’ils invalideraient sa théorie de verdissement miracle de l’économie. Difficile en effet de parler de décarbonation de l’économie Luxembourgeoise alors que l’empreinte carbone ne baisse pas. C’est aussi impressionnant qu’un régime sans perte de poids. Non seulement les émissions ne baissent pas, mais elle se maintiennent à un niveau beaucoup trop élevé. L’empreinte Luxembourgeoise fait 2,3 fois l’empreinte moyenne au sein de l’UE, 3,8 fois l’empreinte moyenne mondiale, et 12 fois la cible des 1,9 tCO2e par an/habitant des scénarios à 1,5 °C.  

La tribune mentionne vaguement « l’utilisation des ressources (dont l’énergie) ». Parlons-en. Le document de la STATEC (p. 16) annonce un découplage entre PIB et empreinte matière[3] à partir de 2010. Mais en niveau absolu, le volume de ressources extraites en 2020 est strictement le même que dix ans plus tôt. C’est ce qu’on appelle un découplage par le haut, une situation où le PIB augmente sans que la variable écologique ne diminue. C’est une tendance qui a beau ravir certains économistes, elle ne sert absolument à rien en termes d’écologie.  

Ce qui compte, c’est le volume total de ressources extraites, soit 24,9 tonnes par an/habitant en 2020 selon la STATEC. Dans la base de données d’Eurostat, le Luxembourg est cité comme un pays n’ayant pas réussi à faire baisser son empreinte matière pendant la dernière décennie (estimée à 32-44 tonnes par an/habitant). Là encore, c’est l’une des empreintes les plus lourdes du monde. C’est la troisième la plus élevée dans l’UE ; elle fait plus de deux fois la moyenne mondiale, et même en prenant son estimation la plus basse, elle reste entre 4 et 8 fois au-dessus du niveau maximum théorique qu’il ne faudrait idéalement pas dépasser.  

Même situation pour l’eau. La STATEC révèle un découplage entre le volume d’eau extraite et la population : « malgré une population en hausse de presque de 28,6 %, le volume d’eau extraite par habitant montre une réduction de quelque 24,2 % ». Une fois encore, le message est trompeur. Une autre façon de lire le même graphique serait de dire que le Luxembourg n’a pas réussi à faire baisser sa consommation totale d’eau. Même tendance pour l’utilisation d’engrais chimiques, avec des niveaux qui stagnent depuis 2010, et pour le volume total de déchets générés qui a légèrement augmenté depuis 2004. Le rapport célèbre un découplage entre la consommation énergétique totale et l’augmentation de la population sans remarquer que le Luxembourg consomme plus d’énergie qu’il y a 20 ans. 

Résultat des courses. Après l’Irlande, le Luxembourg est le deuxième pays le moins écologiquement soutenable d’Europe. En prenant en compte l’ensemble de ses pressions environnementales, son empreinte atteint 393 % son budget écologique soutenable. Le pays n’a réussi à baisser ni son empreinte carbone, ni son empreinte matière, ni son empreinte eau, ni sa consommation d’énergie, ni son volume de déchets, ni sa consommation d’engrais. Niveau transition écologique, on aura vu mieux. Le Luxembourg est un bon exemple d’un pays en dépassement de ses limites planétaires qui ne parvient pas à baisser son empreinte. Dit autrement, un candidat parfait pour la décroissance.

Les promesses des modèles

Pendant ma conférence, j’avais partagé mes inquiétudes concernant les scénarios de modélisation. Ceux qui travaillent avec des modèles le savent bien, on peut les utiliser pour dire à peu près n’importe quoi. C’est important de le noter car c’était l’unique ligne de défense de Serge Allegrezza lors du débat : un scénario de la STATEC aurait soi-disant démontré la possibilité du découplage au Luxembourg.[4]

Premier problème : l’étude ne considère que les émissions territoriales. « Le périmètre du PNEC [plan national intégré en matière d’énergie et de climat] est celui de l’inventaire des émissions de GES [gas à effet de serre] et de la répartition de l’effort de réduction des émissions au sein des pays de l’UE. Il exclut par conséquent les émissions indirectes importées, qui sont de la responsabilité des pays producteurs de ces biens importés » (p. 7). Répétons-le encore et encore : une stratégie de décarbonation qui ne prend en compte que les émissions territoriales est insuffisante, car ce qui compte vraiment, c’est le volume total de gaz à effet de serre lié au mode de vie d’une population.  

Deuxième problème : le scénario se contente de la cible de -55 % des niveaux d’émissions territoriales de 1990 d’ici 2030, conformément à la stratégie du Pacte vert pour l’Europe. Le périmètre de cette cible est inadapté à un pays où les émissions importées représentent la majeure partie de l’empreinte carbone nationale. Et même pour les émissions territoriales, c’est une cible peu ambitieuse pour un pays comme le Luxembourg. 

Dans un working paper de février 2024 co-écrit avec Jérôme Cuny, nous précisions, au sujet du -55 %, que « this political target is relatively unambitious compared to scientific targets in line with Paris Agreement-compatible 1.5°C mitigation pathways, which range between -61% and -70% ». Le Luxembourg qui adopte la cible des -55 %, c’est l’équivalent d’un milliardaire qui propose de diviser la note d’un diner en parts égales. En tant que l’un des pays les plus riches au monde, on attendrait du Grand-Duché de Luxembourg un effort plus conséquent en termes d’atténuation du changement climatique que le minimum syndical imposé par la Commission Européenne. 

Serge Allegrezza cite le rapport du Club de Rome Earth for all (2022) comme preuve. Déjà, devrait-on faire confiance à quelqu’un qui ne parvient même pas à épeler correctement le titre d’une publication ? (Le texte mentionne « Planet4 all », un titre qui n’existe pas.) « Un livre à mettre dans toutes les mains, honni par les décroissantistes et collapsologues de tout poil », nous explique-t-il avec assurance. Comme le modèle World3 de Limits to growth (1972), celui de Earth for all utilise la dynamique des systèmes pour simuler des scénarios de prospective. Ces scénarios ne sont pas des prédictions, mais simplement des visualisations de différentes dynamiques systémiques. 

Un scénario est un ensemble d’hypothèses que l’on simule sur un ordinateur pour visualiser l’évolution d’un système. Le scénario Giant Leap (Earth for all) n’est ni une prédiction, ni une validation. Il représente et simule simplement des hypothèses. On pourrait très bien utiliser des modèles similaires pour élaborer des scénarios de décroissance.[5] C’est un bon exercice pour tester la cohérence logique d’une théorie, mais ce n’est pas un protocole adapté pour trancher entre deux alternatives qui se font compétition.    

Notons d’ailleurs que la plupart des auteurs du livre ne seraient sûrement pas d’accord avec Serge Allegrezza. Sandrine Dixson-Declève, co-présidente du Club de Rome et autrice principale de Earth for all, est très critique vis-à-vis de la croissance verte. Dans son discours à la conférence Beyond Growth au Parlement Européen, elle identifie « l’obsession pour la croissance » comme cause principale de la crise actuelle. Si le texte du livre est moins critique, il ne tombe cependant pas dans une défense aveugle de la croissance à la Allegrezza. Il faut impérativement « s’éloigner d’une focalisation myope sur la quantité de croissance économique » (p. 69), écrivent les auteurs. 

La troisième preuve mobilisée par Serge Allegrezza, c’est le rapport Bend the trend : Pathways to a liveable planet as resource use spikes (2024) qui « propose un scénario de découplage planétaire ». Mais attention, il faut là aussi faire la différence entre l’état actuel des science sur le découplage que l’on peut observer et les scénarios de prospectives. La situation actuelle est claire, nous dit le rapport : « Since the 2019 edition of this report series was published, trends in global resource use have continued or accelerated: between 2015 and 2023 there was no absolute decoupling of any environmental impact on the global scale, and all impacts increased in absolute terms with only a few temporary exceptions (such as a resource use decrease during the COVID-19 pandemic) » (p. 4).

Serge Allegrezza passe à côté du sujet. L’apport majeur de Bend the trend (2024) est de ne plus parler de découplage de PIB mais plutôt de découplage de bien-être. Le véritable défi de la transition écologique consiste à garantir « human wellbeing for all within planetary boundaries », comme le repète le dernier rapport du giec. Heureusement, il est tout à fait possible de maintenir une haute qualité de vie (ou même parfois de l’améliorer) tout en produisant et consommant moins.  

Revenons à l’étude sur le dépassement des limites planétaires en Europe. La Suède obtient les mêmes scores de qualité de vie que le Luxembourg mais avec un dépassement écologique 2,8 moindre et un PIB par habitant 2 fois plus faible. Avec un PIB par habitant à hauteur de 50 % du PIB Luxembourgeois, les Pays-Bas ont une qualité de vie supérieure et une empreinte écologique deux fois plus légère. À quoi bon s’efforcer à verdir le mauvais indicateur de prospérité ? S’entêter à maximiser la croissance du PIB Luxembourgeois à tout prix est socialement futile et écologiquement insoutenable – c’est une position dogmatique.    

Ignorance ou malice ? 

La règle cardinale de la critique constructive consiste à ne pas déformer les propos de ceux que l’on critique. C’est mal parti pour Serge Allegrezza qui score un bingo de malentendus. À vrai dire, je le sentais arriver quand j’ai vu qu’il avait mentionné mon livre avec un titre inexact et une mauvaise date de publication. Si l’auteur n’a même pas pris une minute pour vérifier ce détail, cela en dit long sur l’effort investi pour se mettre à jour sur le sujet.   

Les « décroissantistes » n’existent pas

Le terme « décroissantiste », utilisé six fois dans la tribune, n’existe pas. Ça serait aussi ridicule que d’appeler ceux qui défendent la croissance des « croissantistes » ou bien ceux qui prônent la durabilité des « durabilitistes ». En utilisant ce terme, et en me décrivant comme un « pape », Serge Allegrezza essaie insidieusement de dépeindre la décroissance comme un dogme. À l’écouter, je serais un dangereux idéologue, et lui, un penseur pragmatique et rationnel. En réalité, nous sommes simplement deux économistes avec des opinions différentes sur la croissance. 

Clarifions les termes du débat. La décroissance est un concept utilisé pour décrire à la fois un phénomène concret (une réduction de la production et de la consommation pour alléger l’empreinte écologique planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être), et un champs de recherche et d’action. Né au début des années 2000 en France, c’est une théorie qui a fait beaucoup de chemin et qui est aujourd’hui activement recherchée par une communauté internationale de chercheurs (voir, The political economy of degrowth, Chapitre 5 : Origins and definitions).    

Selon le directeur de la STATEC, la décroissance aurait « un soubassement scientifique faible ». Là encore, Serge Allegrezza choisit l’étude qui l’arrange sans se poser trop de question. L’article de Savin et van den Bergh (2024) a été lourdement critiqué et devrait être considéré comme falsifié. Ces auteurs tentent, pour des raisons malhonnêtes, de torpiller un concept en essayant (maladroitement) de critiquer le champs d’étude dans son ensemble. Mais ils échouent à la fois sur le fond et sur la forme. 

S’ils veulent vraiment montrer que la décroissance ne tient pas la route, pourquoi ne viennent-ils pas plutôt l’attaquer sur le terrain des idées ? Réponse : parce que c’est une bataille qu’ils ont perdu depuis longtemps. Les gens ne sont pas stupides. Les bonnes théories n’ont pas besoin de marketing. L’explosion de la popularité de la décroissance, à la fois dans les milieux scientifiques, civils, et institutionnels, est la meilleure preuve de sa véracité et son utilité. 

La décroissance et la question du comment  

« Si tous les pays font l’effort du découplage absolu entre l’utilisation des ressources (dont l’énergie) et la production de valeur ajoutée, le découplage peut s’enclencher et le dérèglement climatique peut-être endigué ». Le découplage n’est qu’un phénomène statistique observé par les chercheurs. Les pays ne font pas « l’effort du découplage », ce qui ne veut rien dire. Les différents pays prennent des décisions de production, de consommation, et de régulation, et nous pouvons ensuite mesurer l’effet de ces mesures sur l’évolution de l’empreinte écologique. 

La question n’est donc pas « d’enclencher un découplage » ou non. Chaque territoire va devoir trouver sa propre recette de transition écologique. L’argument de la décroissance consiste à dire que, dans les pays riches, la stratégie du mieux (efficiency) ne suffira pas, et qu’il sera nécessaire de faire moins (sufficiency). Les vols en avion et la viande de bœuf, par exemple, sont des catégories de produit avec de très faibles marges d’efficience ; nous n’aurons donc pas le choix que de jouer sur le volet sobriété, c’est-à-dire faire voler moins d’avion et de manger moins de viande. 

La différence entre la croissance verte et la décroissance, c’est que dans un scénario de découplage, la moindre production de certains produits (le bœuf, les vols en avion, les voitures thermiques) est plus que compensée par une production supplémentaire d’autres produits moins polluants. Au contraire, dans un scénario de décroissance, la bifurcation écologique se solde par une baisse net du PIB. Les deux stratégies ne sont pas parfaitement opposées. Comme je l’avais déjà expliqué dans ma réponse à Hannah Ritchie, les mesures préconisées au nom de la croissance verte ont plus de chance d’être efficaces dans une économie plus petite et sans croissance que dans une situation où les niveaux de production et de consommation augmentent constamment.

« Il faudrait décréter l’interdiction de faire des projets ! », s’affole Serge Allegrezza. « Peut-on interdire la recherche scientifique, la créativité, l’innovation et l’entrepreneuriat ? Peut-on éteindre les Lumières ? ». Argument de fond de tiroir, le bon vieux retour à la bougie. De la même manière qu’il pense possible « d’enclencher le découplage », il présuppose que la décroissance consiste à directement baisser le volume du bouton magique du PIB. Il n’en est rien. Le PIB est une variable de mesure, pas un interrupteur. Ce qui caractérise la décroissance comme stratégie de transition, c’est les mesures spécifiques qui la compose ; des taxes, quotas, des subventions, des interdictions, et une foule d’autres incitations pour changer nos modes de vie vers une économie où l’on produit et consomme moins.

Dans Exploring degrowth policy proposals (2022), nous avons fait l’inventaire de toutes les mesures étudiées dans la littérature sur la décroissance. Il y a 380 et aucune ne consiste à « interdire la recherche scientifique ». (Serge Allegrezza ferait bien de lire les sections « anti-innovation » et « anti-entreprise » dans le dernier chapitre de Ralentir ou périr.) Dans le Chapitre 6, j’articule même toutes ces propositions en cinq étapes de transition pour « mettre l’économie en décroissance ». Ces travaux auraient été une bonne base pour discuter de l’utilité des théories de la décroissance. Dommage que le directeur de la STATEC n’en ait lu aucun. 

Le faux angle mort du social 

Le social serait le « grand oublié » des théories de la décroissance. C’est une opinion à prendre avec des pincettes car, encore une fois, Serge Allegrezza ne connait rien au sujet. N’importe qui ayant lu quelques articles sur la question, même des publications anciennes comme What is degrowth ? (2013), Degrowth (2015), ou l’introduction de Degrowth : A vocabulary for a new era (2014), saurait que la décroissance va bien au-delà des préoccupations environnementales. Il existe d’ailleurs tout un pan de la littérature qui ne se préoccupe que des objections sociales à la croissance (voir Chapitres 3 et 4 dans Ralentir ou périr). 

Mon passage préféré : « Le Luxembourg est confronté, à l’horizon 2050, à un problème additionnel, en sus du changement climatique : celui du financement de l’État providence (santé, dépendance, pensions). Il faut trouver l’équivalent de 10 % du PIB en plus pour financer l’État social ». C’est génial car cela montre bien que, quel que soit votre niveau de PIB, les obsédés de la croissance trouvent toujours une raison d’en vouloir davantage. C’est un peu comme les multimillionnaires qui, dans les sondages, affirment avoir besoin de deux fois plus d’argent pour se sentir à l’aise financièrement. 

Les pays du Sud brûlent et le Luxembourg s’inquiète d’un « ajustement douloureux qui peut s’éterniser ». Quelle belle occasion de lire The anti-colonial politics of degrowth (2021) ou Less is more (2020) de Jason Hickel, et Olivier de Schutter dans The Poverty of Growth (2024) / Changer de boussole (2023) qui explique merveilleusement bien en quoi la croissance des pays riches est plus un problème qu’une solution. La décroissance d’un pays comme le Luxembourg n’est pas seulement une stratégie de transition pour les Luxembourgeois·es mais un impératif de survie pour le reste du monde qui subit aujourd’hui le « mode de vie impérial » des pays à haut revenus. 

La question du financement de l’État providence n’est pas une question difficile, comme je l’explique dans cet entretien (La décroissance ? C’est bien gentil mais…). Le véritable angle mort, c’est la question de la santé écologique, passée à la trappe dans ce genre de discours naïfs qui continuent bêtement d’associer la croissance du PIB avec une farandole de bonnes choses, comme s’il suffisait d’appuyer sur le bouton magique du PIB pour résoudre tous les problèmes du monde. 

L’état stationnaire n’est pas la stagnation 

Pour Serge Allegrezza, la décroissance est une « philosophie stagnationniste ». « Le sur place de l’activité économique est vu par cette école comme la solution miracle au dérèglement climatique et la prémisse à l’avènement d’une société harmonieuse, apaisée et heureuse ! ». Je pinaille sur les détails mais c’est ma responsabilité d’expert. Historiquement, la décroissance s’est développée partiellement comme une critique de l’économie stationnaire ; c’était la dispute des années 1970 entre le mathématicien roumain Nicholas Georgescu-Roegen, l’un des précurseurs de la décroissance, et son disciple, l’économiste américain Herman Daly, père fondateur de l’économie stationnaire

Selon moi, les deux approches ne sont pas irréconciliables. Dans mes travaux, j’utilise la notion de décroissance pour décrire un chemin de transition, sorte de grand régime macroéconomique pour des pays ne parvenant pas à faire baisser leur empreinte (#Luxembourg). Mais j’utilise aussi l’idée d’un état stationnaire comme ligne d’arrivée de la transition, une économie stationnaire en harmonie avec la nature où les décisions sont prises ensemble et où les richesses sont équitablement partagées afin de pouvoir prospérer sans croissance (j’aime bien aussi parler de post-croissance, à la manière de J. Gadrey, D. MédaT. JacksonK. Soper, ou de K. Raworth). 

Bien sûr, il faut remettre le désaccord entre Daly et Georgescu-Roegen dans son contexte. Il y a cinquante ans, les niveaux de surchauffe écologiques n’étaient pas aussi élevés. Peut-être était-il alors encore défendable qu’il suffirait de stabiliser les niveaux d’activités économiques dans certains pays avant que ceux-ci ne dépassent leurs limites planétaires. Aujourd’hui, nous savons que le sur place ne suffit pas. Un pays comme le Luxembourg ne peut pas se contenter de renoncer à croître davantage, il doit aussi faire le nécessaire pour réduire suffisamment rapidement son empreinte écologique, et cela risque très probablement de passer par une phase de décroissance. 

La stationnarité d’une économie ne garantit pas qu’elle soit « harmonieuse, apaisée, et heureuse », comme le moque Serge Allegrezza. Pour qu’elle le soit, il va falloir repenser en profondeur notre système économique. C’est ici que la littérature sur la post-croissance nous est précieuse. Des concepts comme l’hédonisme alternatif, la frugalité heureuse et créative, le convivialisme, et l’économie du bien-être, nous permettent d’imaginer différents modes d’organisation économique où il est possible de bien vivre sans toujours avoir à produire et consommer davantage. 

Laissons le dernier mot à John Stuart Mill, qui en 1848 déjà faisait l’éloge d’une stationnarité qui rime avec progrès : « Il n’est pas nécessaire de faire observer que l’état stationnaire de la population et de la richesse n’implique pas l’immobilité du progrès humain. Il resterait autant d’espace que jamais pour toutes sortes de culture morale et de progrès moraux et sociaux ; autant de place pour améliorer l’art de vivre et plus de probabilité de le voir amélioré lorsque les âmes cesseraient d’être remplies du soin d’acquérir des richesses ».[6]

Conclusion : Tout ça pour ça

Si je ne l’avais pas rencontré en chair et en os, je n’aurais jamais cru que Serge Allegrezza existait vraiment. Seul un bot aurait pu produire une critique aussi cheap, à la façon des IA bas de gamme qui propagent des complots sur les réseaux sociaux. Une critique pantouflarde sans aucune originalité[7] ; pas d’effort de recherche, aucun chiffres, et une salade de mots en –ismes en guise d’argumentaire. Difficile de tomber plus bas. Mais celles et ceux qui nous ont vu débattre et qui aujourd’hui nous lisent ne sont pas dupes. C’est la beauté de la méthode scientifique. Peu importe qui l’on est, peu importe d’où l’on vient, la seule chose qui compte, c’est la solidité d’un argument. Alors faites-vous confiance. Votre esprit critique est notre meilleure arme contre la paresse intellectuelle d’une poignée d’économistes qui préfèrent voir la planète brûler plutôt que de changer d’avis.   


[1] Voici quelques-unes de mes publications sur le sujet de découplage (12345678910111213).

[2] Alors bien, sûr il faut croire l’auteur sur parole car il ne cite aucune étude scientifique. Des grandes déclarations sans preuve, c’est la tactique classique des défendeurs de la croissance verte. Pour celles et ceux qui veulent des preuves tangibles, j’ai écrit avec des collègues Decoupling debunked (2019) une synthèse des études théoriques et empiriques sur le découplage. En 2022, j’ai aussi publié une longue analyse de ce que le rapport AR6 du giec avait à dire sur la question du découplage, et le chapitre le plus épais de mon livre Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance (2022) est sur l’impossibilité de la croissance verte, chapitre que j’avais d’ailleurs résumé lors de cette conférence à Luxembourg. 

[3] L’empreinte matière (material footprint) mesure la quantité totale de matières premières nécessaires pour produire tous les biens et services consommés par les résidents d’un pays.

[4] Il n’a pas mentionné l’étude dans la tribune, mais j’imagine que c’est celle-là : Simulation de la transition énergétique de l’économie luxembourgeoise, novembre 2023.

[5] C’est d’ailleurs ce que commencent à faire nombre de chercheurs : e.g., Li et al. (2023) et Kikstra et al. (2024) pour l’Australie, D’Alessandro et al. (2020) et Briens (2015) pour la France,  Li (2023) pour la Chine, Gran (2017) pour l’Allemagne, ou Victor (2019) pour le Canada. 

[6] John Stuart Mill dans le même texte de 1848 : « Aussi ne puis-je éprouver pour l’état stationnaire des capitaux et de la richesse cette aversion sincère qui se manifeste dans les écrits des économistes de la vieille école. Je suis porté à croire qu’en somme, il serait bien préférable à notre condition actuelle. J’avoue que je ne suis pas enchanté de l’idéal de vie que nous présentent ceux qui croient que l’état normal de l’homme est de lutter sans fin pour se tirer d’affaire, que cette mêlée où l’on se foule aux pieds, où l’on se coudoie, où l’on s’écrase, où l’on se marche sur les talons et qui est le type de la société actuelle, soit la destinée la plus désirable pour l’humanité, au lieu d’être simplement une des phases désagréables du progrès industriel ». 

[7] Le titre de l’article est d’ailleurs précisément le même qu’une autre tribune, tout aussi mauvaise, du chroniqueur Marc Touati en 2020.

09.09.2024 à 09:17

A response to Savin and van den Bergh: Ceci n’est pas degrowth 

tparrique

Literature reviews are usually quite uncontroversial. But this is not the case of “Reviewing studies of degrowth: Are claims matched by data, methods and policy analysis?”, a recent paper by Ivan Savin and Jeroen van den Bergh, two economists at the Autonomous University of Barcelona. “The piece sparked a meltdown,” explains Glen Peters, who witnessed the online stir […]
Texte intégral (10063 mots)

Literature reviews are usually quite uncontroversial. But this is not the case of “Reviewing studies of degrowth: Are claims matched by data, methods and policy analysis?”, a recent paper by Ivan Savin and Jeroen van den Bergh, two economists at the Autonomous University of Barcelona. “The piece sparked a meltdown,” explains Glen Peters, who witnessed the online stir caused by its publication last week. Giorgos Kallis, one of the leading researchers on the topic of degrowth, called it “a bad-faith hit piece” with a “weird method,” seconded by some of his colleagues who described it as an “unfair” review (Julia Steinberger) with an “extremely flawed methodology” (Jason Hickel). Let’s dive in. 

Methodological flaws

The method used in the review has three main flaws. Its sampling protocol is too restrictive and excludes most of the studies covering the very topic and methods that the authors are looking for (i.e., environmental policies and quantitative studies).[1] If this point alone suffices to falsify most of the findings of the study, there are two additional issues. The authors mistakenly conflate theoretical arguments with opinions, which lead them to overlook the strongest part of the literature. Finally, they evaluate the entirety of the field through the narrow lens of climate policy, which is only a small and recent part of growth-critical studies. 

Not all degrowth studies use the term “degrowth”  

The review analyses 561 publications with either “degrowth” or “post-growth” in their title.[2] This selection process is debatable because, as degrowth specialist Jason Hickel explains, “not all degrowth research has ‘degrowth’ in the title.”[3] “This is not indicative of anything,” exclaims Julia Steinberger, a prominent growth-critical researcher. “Having led a large project on degrowth, which published 33 papers, roughly half of which were data analysis and modelling, only two would have qualified for the parameters of the study.”

The same bewilderment came from ecological economist Andrew Fanning: “none of the large-sample quantitative publications I have been involved in were included but all of them discuss degrowth in HICs [high-income countries] and the need for post-growth policy as implications of the results.” Based on his own calculations, the review only includes 1% of publications returned for the search terms “degrowth” and “postgrowth.” Even if the sample size is not a problem in itself, it becomes a severe limitation when the authors assume that such a skewed sample is representative of all the literature they claim to synthesise. This would be like reviewing romantic comedies by only including movies with “love” in the title.  

In a forthcoming publication, Nick Fitzpatrick identifies 1,715 academic texts about degrowth, including 160 book chapters, 37 books, 235 student theses, and 1,263 peer reviewed papers. And even this, as we will soon see, is only the visible part of the iceberg. The tiny sample in the review is not representative of the whole field. Difficult to give any credibility to Savin and van den Bergh when their analysis on degrowth and business derives from only five articles (Jennifer Wilkins, an expert of growth-critical business perspectives, found more than 80 papers referring to business strategy alone). For having myself conducted a thorough, albeit non-quantitative review of the field of degrowth in The political economy of degrowth (2019), I find their synthesis of the literature extremely shallow.[4]  

The review “misses many of the strongest studies that have shaped the field,” says Yannick Oswald, a researcher at the University of Lausanne. The sampling criteria (only including titles and not filtering editorials and other non-research papers) are biased against empirical studies. This explains why their findings differ from Engler et al. (2024), another review which included abstracts and excluded non-research texts. O’Neill et al. (2018) is a perfect example.[5] Published in the prestigious journal Nature Sustainability, this groundbreaking work was the first to quantify planetary boundaries and social thresholds at the country level. Cited 1,824 times, the O’Neill et al. study has become a building block of the growth-critical scholarship. Not including it in a literature review of the field would be like reviewing science fiction films without mentioning Star Wars. 

This study and many others (e.g., Fanning et al., 2022Haberl et al., 2020Vogel and Hickel, 2023) provide the empirical evidence to justify the need for degrowth. Since a coordinated reduction of production and consumption has not yet been attempted, there are not many empirical events to study, which is why most of the degrowth literature is theoretical. But these theories are based on empirical evidence on a variety of topics like ecological overshoot, decoupling, unequal exchange, rebound effects, etc. They may not have “degrowth” in their title, but they are an integral part of research on degrowth. Nothing strange in that. Environmental scientists do not always have “environmental studies” or even “environment” in the title of the papers they write. 

Here is another example of a study that, even though it is mentioned twice in the paper, “do not form part of the sample as they do not use the term degrowth or postgrowth in their title” (p.6). The study by D’Alessandro et al. (2020) in Nature Sustainability uses the term “degrowth” twice in the abstract and 32 times in the main text, which is only seven pages long. Its very goal, as clearly stated by the authors, is to “develop a dynamic macrosimulation model to investigate the long-term effects of three scenarios: green growth, policies for social equity, and degrowth.” But, according to Savin and van den Bergh, this is not a degrowth study. There is obviously a sampling problem here. 

The definition of what constitutes a degrowth study is not even consistent within the paper. The authors describe Naomi Klein’s work as “books promoting a degrowth strategy” (p.9) even though the word is not used in any of her book titles, not used a single time in On Fire (2020), and mentioned only three times in This changes everything (2014) where two of them have quotation marks to refer to a cited text, and the third is used as a general reference to degrowth thinkers. The double standard is apparent; the authors categorise something as “degrowth” when it fits their worldview and exclude it when it does not. 

The omitted studies are legion. Vogel et al. (2021) study the relationship between energy use and six dimensions of human need satisfaction in 106 countries. Fanning and Hickel (2023) quantifies the level of compensation owed to the global South in a 1.5°C scenario (US$192 trillion). Millward-Hopkins et al. (2020) estimate the minimal energy for providing decent living standards for everyone. Back in the 2000s, the growth-critical literature was niche and devoid of empricial studies. But this is no longer the case. These papers are now the bread and butter of growth-critical research and not including them in a study of the field is either unskillful or dishonnest. 

Not all useful science is empirical 

The study unduly discredits theoretical research. Notice their second main result: “the large majority (almost 90 %) of studies report opinions rather than analysis” (p.14)[6], the catchphrase most frequently cited by people who use this study to attack degrowth. But according to the authors’ definition of science, almost the entirety of the field of political economy would be considered “opinions.” This would mean that Das KapitalThe Great Transformation, or even Keynes’ masterpiece The General Theory of Employment, Interest and Money would be nothing but stated beliefs. This is obviously mistaken: if only primary data analysis counts as science, then the entire social sciences, including a large part of economics, is nothing but subjective viewpoints. 

“This hit piece […] essentially labels the entire degrowth paradigm as ‘unscientific’ without much evidence,” writes Jostein Hauge, a professor at the University of Cambridge. “If you are going to claim that an entire academic paradigm is based on opinions rather than analysis […] you better have bulletproof backing, because that’s a loaded and potentially harmful statement.” So, where is the proof for such a bombastic accusation? Well, for the authors, any study that doesn’t use qualitative or quantitative data analysis and formal theoretical and empirical modelling is downgraded to the homogeneous category of “conceptual discussion and subjective opinions.” So basically, anything that doesn’t have “an original (set of) equation(s)” is just an opinion. Their sample of the degrowth literature contains 31 quantitative studies and 23 qualitative studies, which leaves 507 texts that are depicted as nothing but trivial opinionating.  

You do not need a PhD in philosophy of science to see why this is wrong. Theoretical work is an integral part of science, especially in nascent fields of study. New research areas always start with fundamental theorising. When Corvellec et al. (2021) develop the concept of “resourcification,” they are conducting fundamental theoretical research, offering a new answer to the question ‘What is a resource ?’ Even within observation-based science, theorising is an important process. Rigorous research requires to name the phenomenon under study, to develop concepts, analogies, ideal-types, patterns, counterfactuals, typologies, classifications, associations, etc. Without this process, there would be no tentative theory ready to be formalised, modelled, and empirically tested. I doubt that Jeroen van den Bergh would say that his own work on agrowth, classified as “analysis” in Ecological Economics, is just a personal opinion.

Without theory, there could be no empirical work. How would you measure resource use without being able to define what is a resource? Take the concept of ecological unequal exchange. In a 1998 article, the anthropologist Alf Hornborg developed for the first time an “ecological theory of unequal exchange.” This tentative new theory led to further analytical work to better conceptualise the phenomenon, which eventually created the very possibility for empirical work. So, if Alf Hornborg had not taken the time to theorise ecologically unequal exchange into existence, we would have never known that for every unit of labour that the South imported from the North, they had to export 13 units to pay for it (one of the results of an empirical study from 2022). 

Let’s take another example: Kate Raworth’s famous “doughnut economics.” In 2012, she published a conceptual working paper at Oxfam where she developed for the first time her theory of a safe and just space for humanity. Without this precious theorising, O’Neill et al. (2018) would have never been able to try to quantify the doughnut because the conceptual idea of the doughnut would have not existed. Without this theoretical innovation, all the empirical research projects applying the doughnut to cities like Brusselsand Amsterdam, to universities like UNIL, or to countries and regions would have never existed. So, if one were to review the field of doughnut economics, it would been unjust to categorise Kate’s initial paper as a mere subjective opinion. It was not. It was fundamental theoretical research. 

There is a paragraph-long section where the authors accuse researchers working on degrowth of using too many zombie nouns, terms created by adding suffix like -ity, -tion, or -ism to an adjective, a verb, or another noun. First, it’s not fair criticism since most researchers do it; plus, the authors bring no tangible proof that there is something special about the degrowth literature. Most scientists are terrible writers but that’s another problem.[7] One should differentiate unnecessary zombie nouns, which should indeed be replaced by simpler terms, from actual concepts. “Decommodification,” “economicism,” or “hegemony” for example, are concepts. They cannot be replaced by synonyms without losing depth and precision. The very essence of theorising consists in creating new concepts, which necessarily involves nominalisations (the formal term for zombie nouns). Cherry-picking a handful of funky titles like Savin and van den Bergh do borders on pseudoscience. They report finding “productivism” in the title of an academic paper. Shocking – call the cops. 

A small comment about case studies. Savin and van den Bergh select seven case-studies as proof that “degrowth studies when qualitative often employ non-reprensative case studies” (p.9). First, why picking these 7 studies out of the 23 in the sample who conduct qualitative data analysis? As often in the paper, no justification is given. Second, this is a total misunderstanding of what case studies are, how they work, and how – and what – you can generalise out of single case studies. There are specific standards that should be met to generalise out of a case study, and so if Savin and van den Bergh want to show that degrowth case studies are indeed invalid, they must demonstrate, for each study, that these are not met. Should we discard Kallis et al. (2022), which went through multiple rounds of reviews in a reputable journal well-acquainted with these methods, just because two random economists question “how representative such islands are for most of the modern world” (I don’t think anyone claims they are) and complain that “their population sizes are very different” (p.9). How would they even know, one may wonder? Not only have they only read the abstract of the paper, but both authors of the review are trained as orthodox economists, scholars who typically know very little about case study methods. 

This criticism leads to an interesting conundrum.[8] If it’s true that 90% of the sample is nothing but “opinions disguised as (sloppy) science” (J. van den Bergh) and that the degrowth literature “balance between trivialities or unproven statements” (J. van den Bergh), then this challenges the scientific credibility of Ecological Economics as a journal since it’s where most of the articles in the sample were published. So, if the editorial team is reading this: either you stand by the paper’s conclusions and by extension acknowledge that your journal has repeatedly published unscientific content, or you must admit that there is something fishy about the Savin and van den Bergh review. 

Not all degrowth studies are about climate change 

Even though the first sentence of the abstract defines degrowth “as a strategy to confront environmental and social problems,” the review only focuses on climate policy. This is too narrow. It would be like assessing the performance of a triathlon athlete by only checking how fast they swim. No, the very essence of triathlon is to both swim, cycle, and run. Same for degrowth: its defining characteristics as a concept is to bring together sustainability, democracy, justice, and wellbeing, all of them applied to a specific phenomenon, the reduction of production and consumption.  

Discussing the ten most frequently cited policy proposals in the degrowth literature – a result from Fitzpatrick et al. (2022) – the authors write that “most of these are not really environmental/climate policies” (p.11). No, they are not. Universal basic income, worktime reduction, and housing cooperatives, for example, are proposals mainly – although not exclusively – addressing the other goals associated with the concept of degrowth (making democracy more participative, reducing inequality, and securing well-being). It is deceitful to evaluate the entirety of the degrowth literature solely based on climate mitigation. Since the social and the ecological are indissociable, ecological economists must be simultaneously conscious of both to avoid advocating for outcomes that either bear no relation to biophysical reality or misread a specific social context. 

 “What [does] the degrowth approach really add” (p.11), ask the authors, without realising that it is precisely this plurality of objectives that renders the degrowth literature useful. Would giving a basic income in vouchers, local currencies, or direct access to public services be a way to avoid environmentally undesirable rebound effects? Is worktime reduction an effective strategy to avoid unemployment during a period of economic contraction? Do housing cooperatives remove the growth imperative inherent in a for-profit model of housing provision, and do they open the way for a more ecologically efficient sharing of living spaces? These studies are not mainly and only about climate mitigation but they nonetheless bear essential insights about how to navigate social-ecological transitions. 

Dubious claims

Given the methodological flaws exposed above, the results of the study should be taken with modesty. And yet they are not. Throughout the paper, the authors bombast several questionable messages. (This sentence from the review is perfectly adapted for self-criticism: “despite such a meagre basis, the language in the paper breathes a righteousness, as if there are no doubts at all,” p.10.) I’ll here focus on three doubtful arguments. First, degrowth is not “colonising” other areas of research, it’s a conceptual meeting point for different groups of scholars. Second, there are analytical differences between degrowth and postgrowth. Third, there is no opposition between degrowth and policymaking as environmental reforms are an integral part of any degrowth strategy. 

Is degrowth “colonising” other areas of research? 

According to the authors, “a lot of the research under the label of degrowth is not original but come down to relabelling and colonizing existing research” (p.14). This is a strange argument, especially at a time where everyone keeps repeating that scholars should get out of their silos and make more effort to engage in multi-, inter-, and trans-disciplinary projects. (Let’s add that, considering the tragedy of real-existing colonial practices, using the term for such trivial matters is rather clumsy.) I believe that the very opposite is true: we should value epistemologically agile research areas like degrowth studies for they provide fertile ground for diverse scholars to come up with new theories. 

They cite worktime reduction and circular economy as examples of “colonised” academic territories. There might be a large literature on circular economy, but I cannot think of many articles that look at resource circularity from the perspective of degrowth, asking, for example, whether a fully circular economy could effectively function given the current scale of resource use in high-income nations. This would be an interesting degrowth study. Same, the literature on worktime reduction is huge, but very few of these articles focus on working less as a specific policy to mitigate unemployment during a period of economic contraction. Is reducing average working time a viable alternative to firing employees for a company faced with dwindling demand? Here is another degrowth-related research question I would like to read more about.  

Either degrowth scholars repackage old science or people use the term as a marketing device, say the authors. “Degrowth seems just a term used to attract attention of a wider readership” (p.12). Let’s start by noticing that this contradicts one of their main claims, namely degrowth lacking support. Why would people use the term to “attract attention of a wider readership” if degrowth is such a repulsive word? Besides, and like often in the paper, the authors do not bring any convincing evidence that this is anything more than a marginal practice; they just pick nine random papers that do it and assume it’s a trend. 

On the other hand, there are many examples of useful adoption of the concept in new fields. Take the flourishing literature on degrowth in tourism studies or architecture, for instance. The fact that a new academic community starts using a concept is the best proof that there is value in it. There is an overlap of interest in many of these topics and it’s a good thing to see scientists from different research backgrounds working together. For instance, Juliet Schor, one of the leading scholar on worktime reduction, has co-authored the Nature article “Degrowth can work – here’s how science can help” (2022). This is not appropriation, it’s collaboration.

The fact that degrowth studies lack interaction with the literature on policy instruments and their performance on key criteria may explain why many climate researchers and policy experts do not support a degrowth position (King et al., 2023)” (p.9). Again, there is a contradiction: degrowth would both be “colonising” other fields while “lacking interaction” with them.[9] Another case of prejudiced trial: it’s wrong when they do and wrong also when they don’t. Let me remind the authors of the last sentence of the abstract of the cited study (which Ivan Savin co-authored): “This finding underscores the importance of considering alternative post-growth perspectives, including agrowth and degrowth strategies, to cultivate a more comprehensive discourse on sustainable development strategies.” This is a wiser mentality than this ideologically loaded review. 

Overall, this is hard to believe. If there was truly “nothing new under the degrowth sun” (p.12), why would so many people suddenly decide to study and research degrowth and why would so many media pay attention to it? The authors make 16 years of degrowth research look like a grand collective heist, some kind of organised academic counterfeiting. But why would the European Research Council give 10 million euros to fund a project on “pathways towards post growth deals”? Why is the latest IPCC report mentioning degrowth several times and why would the next IPBES report devote a full section to the topic? The popularity of degrowth is on the rise, and Savin and van den Bergh’s attempt to show that this is mass hysteria is just unconvincing. 

Degrowth, postgrowth, or agrowth? 

As a fair number of studies use the term ‘postgrowth’ to denote degrowth type of sentiments, we decided to include this as a key term in our search” (p.1). Bundling these two concepts without further explanation is unrigorous. The authors notice that “ten years ago virtually all studies used the term ‘degrowth’, while in recent years some 25% of studies use the term ‘postgrowth’, in most cases meaning degrowth” (p.3). While some isolated papers may muddle the two terms (again, this should not be a surprise: there are cases of shoddy science in all research fields), claiming that an entire field of scholarship misuses its key concepts is a serious accusation that requires thorough backing with numerous citations and examples; the authors provide none. 

Here is a proposal. I think “postgrowth” should be used in two instances. One should refer to post-growth studies as a broad term bringing together different strands of the growth-critical literature (e.g., degrowth, limits to growth, steady-state economics, eco-socialism, doughnut economics, voluntary simplicity, ect.). Just like “post-capitalism” initiating from critiques of capitalism, post-growth is a good umbrella term for academic approaches that depart from a critique of economic growth. The term is also often used to describe the utopia of a future society emancipated from growth imperatives, e.g. a post-growth society.

The same goes for “degrowth.” It can refer to that sub-field of postgrowth studies, namely research that most directly engage with system-wide reductions of production and consumption. And it can also be used to name the concrete phenomenon under study, what I will later define as a downscaling of production and consumption to reduce ecological footprints planned democratically in a way that is equitable while securing wellbeing

Definitions aside, the authors argue that it is easier to get support for policies “without stressing this [i.e., degrowth] in the promotion of such policies” (p.11). This may be true but, in my opinion, that should not concern us too much. Degrowth is an academic concept, and I don’t think scientists should name their theories based on what is considered linguistically sexy in parliament. This is science, not a beauty pageant. If “degrowth” sounds like a reduction in aggregate production and consumption, that’s because it is. The term does not sugar-coat what it studies. 

When asked on Twitter, if not green growth and not degrowth, then what? Jeroen van den Bergh quickly points to “agrowth” as a third way. The marketing of that concept has been a career-defining crusade for him (e.g., Environment versus growth – A criticism of “degrowth” and a plea for “a-growth”), even though the original term is not his. The idea of a-croissance (a-growth) was coined by French degrowth scholar Serge Latouche in the early 2000s, a rhetorical quip he regularly used in his texts and conferences.

I personally don’t use the term “agrowth” because I don’t find it useful. First, the way that Jeroen van den Bergh uses it reduces degrowth down to a mere economic contraction. The apparent neutrality of the agrowth approach that makes it appealing is also its weakness: it does not commit to anything except a critical stance towards GDP, a view that is already consensual, even amongst neoclassical economists. Second, it implicitly contradicts a solid body of literature demonstrating the impossibility of lowering ecological footprints while maintaining current levels of production and consumption – see, for example, Hickel and Kallis (2019), another well-known growth-critical study not included in their sample. Third, I find it to be both unnecessarily abstract, conceptually hollow, and culturally clumsy because of its religious connotations. Because of these reasons, I doubt the term will gather much traction. History has proved me right so far: there is no agrowth movement and the concept is mostly kept alive by Jeroen van den Bergh alone. 

Degrowth versus environmental policy? 

In the introduction of the paper, the authors trick readers with a false dichotomy. After defining degrowth as a strategy “to reduce the size of the market economy as the key strategy to solve environmental problems,” they write: “as opposed, policy researchers tend to regard ambitious climate policy as fundamental to solving climate change.” Same statement in this post online: “You think degrowth is the only solution in town? What about environmental and climate policy?” (J. van den Bergh). This is not an accurate picture. What defines the degrowth approach is the assumption that a policy package that manages to sufficiencly lower a country’s ecological footprint will unavoidably involve a significant reduction of production and consumption. 

There is no opposition between degrowth and environmental policy. In making this comment, the authors imply that people researching degrowth naïvely believe in the existence of a ‘growth button’ hidden somewhere at the Ministry of Economy, and that a degrowth strategy simply consists in turning down GDP. This is, of course, nonsense. The task of slowing down a modern economy to achieve the quadruple objectives of degrowth (sustainability, democracy, justice, well-being) require a diversity of levers, many of them indeed studied by scholars outside of the degrowth field.

In Fitzpatrick et al. (2022: 3), we reuse a definition I developed during my PhD: a degrowth policy proposal is “a course or principle of action adopted or proposed by an organisation or individual aiming to achieve the objectives of degrowth” (Parrique, 2019: 485). Piketty’s capital tax became a degrowth policy only when it was picked up and fitted to the degrowth policy agenda. What matters is not where the policy idea came from but how it is mobilised and why. The author calls Germain (2017) “confusing” for calling “a tax levied on the exploitation of the natural resource” a degrowth policy. Yet, in the simplified model developed in Germain’s paper, production is proportional to extraction rates, and so a tax on resource use has a direct impact on output. Besides, who cares who first talked about taxing resources and what was their disciplinary background. This is not history of thought. As the field of degrowth studies develops, its researchers mobilise more and more policies, some of them borrowed from outside the field, and others invented within. The only thing that really matters is the final policy agenda they have and whether it is fit for purpose (more about this in the next section). 

Improving degrowth science 

The very existence of this review is evidence that degrowth is attracting more and more attention. Again, this contradicts one of their main claims about degrowth being niche. If it was that arcane, why would non-specialists spend so much effort engaging with the topic? Although the study was only published a week ago, it has already been weaponised by loud social media bros who like to bark at stuff.[10] In an attempt to channel this energy into more constructive directions, I shall here point to three areas of work to improve the current state of knowledge about degrowth.

Better definitions 

The author complain about “an enormous diversity of definitions and interpretations of degrowth” (p.11). First problem, unlike the Engler et al. (2024) review, the paper has no conceptual section. They briefly discuss terms and definitions in the introduction, but their discussion is completely subjective and doesn’t contain a single reference. If they had done a proper search, they would have realised that the definition by Schneider et al. (2010: 512-13)[11] is dominant within the field. The 8 definitions the authors select poorly represent usual practices; this is again a case of cherry-picking aimed at depicting degrowth in a bad light. 

Besides, the term “enormous” is a bit of a strech. In a forthcoming paper, I analyse 115 definitions of degrowth in English and French ranging from 2006 to 2024. The main finding is that, even though terms vary, the essence of the idea is consistent throughout the literature. In an attempt to stabilise the term, I define it as “a downscaling of production and consumption to reduce ecological footprints planned democratically in a way that is equitable while securing wellbeing.” 

The downscaling of production and consumption is the conceptual core of degrowth, a feature that separates it from other sustainability paradigms. Even though they may differ in essence and magnitude, all forms of degrowth involve, by definition, lower levels of production and consumption. The four principles (sustainability, democracy, justice, and wellbeing) further clarify the nature of that downscaling. They can be considered necessary requirements for an economic contraction to be considered degrowth. What makes degrowth whole as a concept is the co-existence of these principles applied to a specific process. Degrowth does not hold a monopoly over these ideas, but it does offer something new and unique when it articulates them together. 

Just like a mammal is defined by a finite set of features such as hair or fur, warm-blood, milk, and vertebrae, degrowth is indissociable from the four principles of sustainability, democracy, justice, and wellbeing. So, when Savin and van den Bergh define degrowth as “a deliberate reduction in the scale of economic activity to achieve sustainability and social justice” (p.1), they are missing half of the picture. The goal of degrowth is not “to decline income and consumption” (p.11); selective (democracy) reductions of production and consumption are only means to reduce environmental pressures (sustainability) in rich regions of the world (justice) to ensure a decent quality of life for all (wellbeing). 

Many papers confuse a strategy or planned degrowth with low, zero or negative growth as an unplanned outcome” (p.12). Let’s solve that confusion right now: low growth can be called low growth, as opposed to high or fast growth. Zero growth or no growth is usually called stagnation (or secular stagnation), which should not be confused with Herman Daly’s concept of “steady state.”Negative growth in our current growth-based economies is called a recession (or a depression if it lasts long), with a variety of simpler terms like economic contraction or slowdown. As for degrowth, the term should be reserved for a particular kind of economic contraction: one that is that is democratically planned to reduce ecological footprints in a way that is equitable while securing wellebeing. This is the phenomenon that degrowth scholars study. 

Better models 

Does the literature lack “macroeconomic and systemic perspectives on the overall impacts of degrowth strategies” (p.5)? I would say the jury is still out on that one. There is the foundational work of Victor and Rosenbluth (2007) who developed the model LOWGROW for Canada, and a swathe of interesting follow-ups with Tim Jackson – e.g., Jackson and Victor (2016) on inequality or Jackson and Victor (2015) on debt. There is the work of D’Alessandro et al. (2020) and Briens (2015), who both build different system dynamics models to run degrowth scenarios in France, and Gran (2017) who adapted LOWGROW for Germany. Both Kikstra et al. (2024) and Li et al. (2023) have recently run an integrated assessment model to simulate degrowth scenarios for Australia. (For a review of 22 ecological macroeconomic models used in the growth-critical literature, see Hardt and O’Neill, 2017.)  

Is this enough? I don’t know. I would say it’s already miraculous that so many people are working with a concept that came into academic existence only 16 years ago, especially given that it’s systematically bullied in academia, this very review being perfect evidence of that. The accumulated number of Master and PhD theses written on the topic is skyrocketing and so is the number of academic publications. The 38 people of the REAL project are currently building a model for Spain to explore degrowth scenarios. A group of 8 researchers at the University of Lausanne is planning something similar with Switzerland. There is the research project on Models, Assessment, and Policies for Sustainability (MAPS), led by ecological economist Dan O’Neill, and also the projects ToBeand MERGE. This is fast, much faster than the development of growth theories actually, which started in the 1950s but have for the last two decades, “made no scientific progress toward a consensus,” according to Paul M. Romer, one of the leading growth theorists.  

Could this go faster? Sure, just allocate more funding to researchers who study degrowth (and stop bullying them). But let’s be careful. For the authors, “it is important to have a good insight in the systemic and macroeconomic consequences of radical degrowth strategies before talking about their implementation. Too many studies seem to be willing to undertake a large socio-economic experiment with big risks without having insight into the bigger picture” (p.14). As if degrowth researchers had the possibility of running such society-wide experiments. What worries me here is the assumption that the present situation is fine. To illustrate my point, I will reuse a passage from the conclusion of my PhD dissertation

“To the risk averse and the fearful, I say that violence is already among us. […] The violence of a revolutionary change must always be weighed against the violence of letting the system run exploitation-as-usual, and in the situation we find ourselves in, it is fearfulness that is the greatest danger. […] To the well-intentioned reformers procrastinating action in wait of ‘more data’ and ‘better knowledge,’ I say this is fighting a losing battle. We could spend centuries extracting theories out of the economy like one reads stories in whale bones and coffee grounds. […] knowledge should not become an excuse. Let us not be the one ‘who would not use his legs, but sit still and perish because he had no wings to fly’” (p.711). 

The hypothetical existence of a model that will predict a fail-safe, win-win-win path to sustainability is nothing but a sci-fi scenario. The very mention of such possibility sustains a dangerous discourse of delay. Moreover, it feels disingenuous to maunder on about the potential perils of degrowth when the very idea of degrowth stems from a direct application of the precautionary principle, a strategy opposed to Earth-threatening techno-utopian schemes like eco-modernism that rely on uncertain solutions like geo-engineering. Degrowth comes with its own political, social, and economic challenges but it has the benefits of being reversible. Anything we scale back today is something we can possibly resume producing in the future if new, cleaner technology allows it. 

Better policies 

The authors cite a sentence from one of my papers: “most [degrowth] proposals lack precision, depth, and overlook interactions between policies” (Fitzpatrick et al., 2022), using it as a stand-alone proof that degrowth policies are worthless. The situation is not as black and white.[12] The literature is not static and certain proposals are becoming more detailed. Take basic income, for example. It could be considered the oldest degrowth proposal since it appeared in the 2002 issue of the French magazine Silence where the concept of “décroissance soutenable” [sustainable degrowth] was coined. Twenty years later, there are at least nine different basic income proposals, each with its own design. In contrast, it is true that other proposals have remained largely the same over the past two decades. I think most of this can be explained by the fact that there has been, until recently, very few people researching degrowth, and so that many topics have remained unexplored. 

Savin and van den Bergh conclude that “more rigorous and comparative studies of ‘degrowth policies’ are needed to warrant the degrowth approach” (p.11). This seems like a big claim for such a selective review, especially given the severe methodological weaknesses highlighted above. For having spent considerable time reading degrowth studies, I would say that more rigorous and comparative studies of degrowth studies are indeed welcome. But I don’t think that they are “needed to warrant the degrowth approach.” The idea of degrowth is based on theoretical and empirical work in ecological economics, which has brought solid evidence to question the possibility of green growth (e.g., Haberl et al., 2020Vadén et al., 2020Vogel and Hickel, 2023Hickel and Kallis, 2019Parrique et al., 2019). If you cannot show that a sufficiently large and fast, absolute decoupling of GDP from all important environmental pressures is possible, then you must accept that sustainability will unavoidably imply an economy-wide reduction of production and consumption. 

The authors are in favour of not mentioning degrowth when talking about environmental policies because “outcomes are uncertain” (p.11). If you manage to reduce ecological footprints without reducing GDP, that is, by definition, green growth. From the perspective of degrowth, outcomes are as certain as they can be given the imperfections of scientific knowledge: high-income countries who want to lower their ecological footprints will have to produce and consume less. We now know with a high degree of confidence that such a macroeconomic slowdown is needed. 

The questions that remain are: How big will that contraction be? In which regions should it take place and for how long? And most importantly: How can it be intelligently organised to be, not only ecologically effective, but also socially acceptable, fair, and conducive to improving quality of life? These are the policy questions on which we should work, and I’m sure that the authors of this review could become powerful allies if they were to apply their research strength to solving these problems. 

***

“What a waste of academic endeavour,” writes Jennifer Wilkins, commenting on the review. And indeed, I too feel ashamed about the length of this response. This is wasted energy for everyone involved that could have been spent conducting useful research. The only reason I engaged with the review is because it’s currently being used politically to discredit degrowth and could potentially be used to cast doubt on the very idea of ecological sustainability. Jostein Hauge sums it up well: “spreading false claims about degrowth is not going to advance knowledge about ecological economics or political ecology.” I agree and I’m afraid that it might do the very opposite and damage public trust in environmental sciences more broadly.  

The study grants itself the power of “judging a new line of research” (p.2), “to warrant the degrowth approach” (p.11), and comes with a life-threatening verdict: “one is inclined to infer that degrowth cannot (yet) be considered as a significant field of academic research” (p.14). This is a manipulative overstatement. I don’t think that running a topic modelling analysis on samples of text that are 192 words in length can tell you much about the current state of a research field. Would you trust a movie expert who only watches trailers? 

The review is crippled with elementary methodological mistakes. “I’d say your manual method is 5-10 years out of date,” deplores Andrew Fanning, a researcher at the University of Leeds. The data used (titles and abstracts only) would be acceptable for a more impartial and distanced bibliometric study with a larger set of papers. But this is inappropriate for what the authors sell as an in-depth literature review. Given that it is authored by university professors and not bachelor students, it is fair to assume that we’re dealing here with dogma. This paper is not only ignorant. It’s something much more sinister and personal. It trivially uses numbers and statistics for defending a pre-existing ideological opinion. So yes, it is indeed nothing but a hit piece. 

I won’t defend the degrowth literature as a monolithic whole; part of it is indeed poor science, and the authors have done a decent job at digging for the worse bits. But I think that’s true for all academic fields, especially recent ones. What’s reprehensible is that, instead of sorting the good from the bad, the authors cherry-pick the worst in a conscious attempt to misconstrue the field.[13]Throughout the paper, they carefully select only pieces of studies that highlight the challenges of degrowth while disregarding all the others.[14] So, this response is not a defence of degrowth, it is an attack on bad science.

I should say that I saw it coming. It is hard to believe that Jeroen van den Bergh could conduct an “objective” review since he has spent the last years engaging in a John Wick-like personal vendetta to trash degrowthers.[15] Such kind of academic road rage has no place in peer-reviewed journals – that’s what personal blogs are for. 


[1] This was a point stressed in the Engler et al. (2024: 12) review: “It is also important to understand the literature that does not mention degrowth, post-growth, or steady-state but is nevertheless concerned with economic throughput. This includes a broad monetary growth imperative (MGI) debate that is intimately concerned with economic growth. Further, much work in the degrowth field, including the MGI debate, either using degrowth specifically or not, exists in white papers or books and is thus not included in this study. Finally, there is an emerging body of work in ecological macroeconomics and other topics that are tangential to but do not specifically mention degrowth.” Also: “Much of the degrowth discussion since 2008 has occurred outside the peer-reviewed literature and instead in white papers, essays, reports, and academic and non-academic books. Due to the nature of the methodology, however, this body of degrowth work is not included in the present study.”

[2] 376 articles, 73 book chapters, 28 reviews, and 84 cover letters, notes, editorials, conference papers, and short surveys. 

[3] “Not all degrowth research has ‘degrowth’ in the title! Just as not all research on political economy has ‘political economy’ in the title. Basics. Huge swathes of research are ignored… all the work on demand-side mitigation, sufficiency-oriented approaches, energy convergence, ecosocialism, decoupling, doughnut economics, etc – including work reviewed by the IPCC – all of it is ignored” (Jason Hickel). See also Giorgos Kallis: “Weird method. Say I want to write a review on the state of economics. I choose all articles with the word ‘economics’ in the title and then – surprise surprise – I find most of them are reviews. What an indictment of the state of economics: ‘they are only writing reviews’!”

[4] Personal anecdote. Back in 2020 when my PhD thesis The political economy of degrowth was published, Jeroen van den Bergh attacked me online claiming that my dissertation should not be taken seriously because it wasn’t quantitative and peer-reviewed. (That’s quite ironic. I don’t know how many people peer-reviewed the Savin and van den Bergh study, maybe two or three people at most, and they obviously did a bad job since it was published in its current state.) I doubt Jeroen spent much time reading my work, which he never really engaged with back then. It was just the usual degrowth-is-ideology argument, given with authority from a mainstream economist. But the fact that I didn’t conduct unnecessary foolish statistics does not turn my work into opinions and theirs into serious empirical science. (I doubt that finding that “degrowth studies with shorter titles do not receive more citation” (p.3) is Nobel prize material.) There is as much opinion in theirs as in mine or others, but at least I don’t hide it as supposed “statistics.” 

[5] Jeroen van den Bergh has argued online that this cannot be considered a degrowth study because it is based on the doughnut theory of Kate Raworth who is sceptical about using the term degrowth. But her work certainly falls within the research area of postgrowth. And if that’s so, why is it not included in the sample? Answer: because it doesn’t have “postgrowth” in the title. We’re back at why their sampling criteria are unsatisfactory. 

[6] Savin and van den Bergh report that 9.6% of the studies in their sample perform quantitative or qualitative data analysis. But this is because 32% of their sample is composed of conference papers, book chapters, reviews, editorials, or notes and comments. The Engler et al. (2024) review excludes these and find that 23% of the 475 reviewed papers conduct quantitative modelling. 

[7] Helen SwordStephen Pinker, or, my all-time favourite, Deirdre McCloskey should indeed be compulsory readings for all academics, including the authors of that very review.

[8] I would like to thank Georgios Chalkias for suggesting the idea behind this paragraph. 

[9] Here is an example. In discussion of one of the policy mentioned in Fitzpatrick et al. (2022), “declining caps on resource use and emissions,” the authors write that such a policy is “already implemented by the EU through its Emissions Trading System” (p.11). Another case of degrowthers-are-wrong-whatever-they-do. Are we engaging with current policymaking or are we not? Plus, their reaction is absurd: it would be like scolding people who ask for democracy by reminding them that there is such a thing as the parliament. If growth-critical scholars spend effort working on ecological caps, it is because they think that the policies currently in place need improvement. Who can blame them for that?  

[10] “Degrowth is another left wing pseudoscience swindle, like Marxism and Gender Ideology” (Brent A. Williams); “degrowth is not science, it is some people wanting to do marxism but make it chic again” (George Berry); “Degrowth is just a political opinion disguised as something serious” (Jesper Bylund); “Shock. The people perpetuating the greatest lie of all time (degrowth) get found out by a simple literature review” (Will O’Brien). “Degrowth is charlatanism” (Andreas von Astiburg). Most of these accounts retweeted a post from Rutger Bregman calling that review “devastating.” 

[11] “An equitable downscaling of production and consumption that increases human well-being and enhances ecological conditions at the local and global level, in the short and long-term [and which is] offered as a social choice, not imposed as an external imperative for environmental or other reasons.”

[12] Here is a passage summarising all the results of that study: “This led to five reflections regarding the precision, frequency, visibility, diversity of policies, as well as their interactions. First, there is a great disparity in details from some proposals which have been studied in detail, and others that are only mentioned in passing. This connects to our second finding, which is that certain proposals are more popular than others. Thirdly, most proposals focus more on what a policy is supposed to achieve (objectives) rather than how it is supposed to achieve it (instruments), often ignoring a diversity of transitional changes. Our fourth finding is that degrowth is increasingly diverse, with proposals being added every time a new community of thinkers and practitioners (not exclusive categories, of course) starts using the concept. And finally, we noticed that most policies are studied in isolation, and that not many authors have so far focused on the interactions between the elements within the degrowth agenda.”

[13] The condescending tone of the paper gives a good taste of what the authors truly think of the topic: “degrowth type of sentiment” (p.1), the “degrowth community” (p.5), the ““degrowth studies”” (p.7), ““degrowth thesis”” (p.10), ““degrowth policies”” (p.11), ““the degrowth interpretation”” (p.11) – notice the use of scare quotes on the last four ones. 

[14] They even go the extra mile by citing bits of studies not included in their sample (e.g., D’Alessandro et al., 2020), as long as they highlight an obstacle degrowth: “D’Alessandro et al. (2020) show in a macrosimulation model that a degrowth scenario can achieve lower inequality at the cost of a higher public deficit, which questions the political feasibility of such a scenario” (p. 7). This a good reminder of how faulty their methodology is. If the main finding of the paper above is to identify an obstacle to degrowth, should it not be categorised as a degrowth study?

[15] The authors, or at least Jeroen van den Bergh, sits in the very same building than Jason Hickel, Giorgos Kallis, along with the largest concentration of degrowth scholars). This paper is closer to a coffee machine conflict than to genuine science. Whatever – most probably ego-driven – issues the authors have with their colleagues, I suggest talking to them might be a better solution than wasting precious research and reading time in a male-as-usual who’s-got-the-biggest-science competition. 

04.07.2024 à 13:35

Réponse à Nicolas Doze : Doit-on craindre un effet Laffer ? 

tparrique

Lors de la soirée débat sur BFMTV le mercredi 3 juillet, Nicolas Doze, l’éditorialiste en charge des sujets économique, a posé une curieuse question à Marine Tondelier, la candidate du Nouveau Front Populaire : « En mettant 14 tranches d’impôt sur le revenu, avec une quatorzième tranche à un taux marginal de 90 %, qui probablement avec une CSG appelée […]
Texte intégral (1495 mots)

Lors de la soirée débat sur BFMTV le mercredi 3 juillet, Nicolas Doze, l’éditorialiste en charge des sujets économique, a posé une curieuse question à Marine Tondelier, la candidate du Nouveau Front Populaire : « En mettant 14 tranches d’impôt sur le revenu, avec une quatorzième tranche à un taux marginal de 90 %, qui probablement avec une CSG appelée à devenir progressive, atteindrait les 100 %. Est-ce que vous ne craignez pas un effet Laffer ? » (22h05). 

Une fable d’économie néolibérale 

La courbe de Laffer (nommé après l’économiste américain – et non Anglais, comme l’a présenté Nicolas Doze – de l’Université de Chicago, Arthur Laffer), est une hypothèse qui postule l’existence d’un arbitrage entre le taux d’imposition et les recettes fiscales. Selon cette théorie, au fur et à mesure que l’on augmente les taux d’imposition, les recettes augmenteraient jusqu’à atteindre un seuil maximum (le sommet de la courbe en cloche) à partir duquel une hausse supplémentaire du taux marginal d’imposition ferait baisser les recettes totales. D’où le slogan, répété à tue-tête par des générations d’économistes néolibéraux, « trop d’impôt tue l’impôt ».

La mécanisme derrière cette courbe est simple (trop simple d’ailleurs, comme on le verra bientôt) : lorsque que l’État taxe trop, les gens cessent de travailler. Pour éviter à l’impôt, pas besoin de s’expatrier, explique Nicolas Doze, « il suffit juste de bosser moins. » Et si les riches travaillent moins, l’activité économique va ralentir, nous disent les néolibéraux. Voilà l’explication qu’en donne Arthur Laffer dans un entretien en 2014 : « la hausse des impôts et des dépenses publiques […] ralentit la croissance, ce qui accroît les inégalités. A l’inverse, la croissance économique et un faible niveau d’imposition réduisent les inégalités ». On retrouve ici le mythe de la « théorie du ruissèlement »: l’enrichissement des plus riches génère de l’activité économique, et donc de l’emploi, et donc des salaires pour les plus précaires. 

Commençons par noter que la courbe de Laffer a été dessiné à l’arrache sur une serviette dans un restaurant à Washington lors d’un diner avec Donald Rumsfeld (chef de cabinet de la Maison-Blanche) et Dick Cheney (l’adjoint de Rumsfeld) en 1974. C’est une hypothèse controversée dans les sciences économiques avec des études empiriques contradictoires. Le taux maximum de 30 % annoncé à l’époque par Arthur Laffer n’avait aucune véritable base scientifique solide, ce qui ne l’a pas empêché de le vendre dur comme fer à Ronald Reagan comme une loi quasi-naturelle (Arthur Laffer était membre de l’Economic Policy Advisory Board de l’administration américaine de 1981 à 1989). Cela a fonctionné : en 1986, le Tax Reform Act du gouvernement Reagan abaissa le taux d’imposition sur le revenu de 50 % à 28 % – sûrement par crainte d’un « effet Laffer ». 

Elle n’est pas « validée » par les économistes 

Pour donner du sérieux à son propos, Nicolas Doze affirme que la courbe de Laffer a été « validé » par Thomas Piketty, Gabriel Zucman, et Emmanuel Saez. Fact checking : c’est faux. En 1998, Thomas Piketty a publié une étude sur la création de la tranche à 65 % de l’impôt sur le revenu dans les années 1980 qui montre précisément le contraire : la hausse de la fiscalité n’a eu aucun effet sur l’activité économique. Plus généralement, ses travaux des dernières décennies, notamment Le Capital au XXIème Siècle (2013) et Idéologie et Capital (2019) ont démontré l’invalidité de la théorie du ruissèlement. Invoquer Thomas Piketty en défense de la courbe de Laffer serait comme invoquer Karl Marx en défense du capitalisme. 

Même chose pour les deux autres économistes cités. Le chapitre 8 du livre d’Emmanuel Saez et de Gabriel Zucman (The triumph of injustice: How the rich dodge taxes and how to make them pay, 2019) s’intitule “Beyond Laffer.” « Dans ce chapitre, nous voulons expliquer pourquoi les gouvernements démocratiques peuvent raisonnablement décider de choisir des taux d’imposition supérieurs au taux qui maximise les revenus, et pourquoi la destruction d’une partie de l’assiette fiscale peut être dans l’intérêt de la communauté » (p. 132). 

L’objectif de taux quasi-confiscatoires n’est pas de financer les caisses de l’État, mais de réduire les inégalités. Les auteurs comparent l’impôt sur le revenu avec la taxe carbone « L’objectif de la taxation du carbone n’est pas d’augmenter les recettes, mais de réduire les émissions de carbone. Il en va de même pour les taux d’imposition élevés sur les revenus les plus élevés : Ils ne visent pas à financer les programmes gouvernementaux à long terme. Ils visent à réduire les revenus des ultra-riches » (p. 135). 

Cela explique pourquoi de nombreux gouvernements choisissent des taux élevés, même si cela détruit une partie de l’assiette fiscale (91 % aux États-Unis pendant les années 1950 et 1960, 98 % en Grande Bretagne de 1941 à 1952). Dans le livre, les auteurs proposent d’ailleurs une taxe sur la richesse (une imposition à 10 % des richesses au-dessus d’un milliards de dollars) qu’ils considèrent bien au-delà de la courbe de Laffer. 

Effet Laffer ou effet de serre ? 

La courbe de Laffer est l’une de ces fables économiques dont la logique est tellement simpliste qu’elle perd tout correspondance avec la réalité. La courbe ne prend ni en compte les bienfaits d’une réduction des inégalités sur le vivre-ensemblel’écologie, et la démocratie, ni les effets d’un surcroit de dépenses publiques sur le bien-être. Comme si l’impôt était simplement confiscatoire, sans aucune contrepartie pour les contribuables. Comme si la justice sociale n’était qu’une une variable d’ajustement pour optimiser les taux de croissance. 

De longues minutes gaspillées à parler des gribouillages d’un économiste des années 1970 qui cherchait désespérément des raisons pour baisser les impôts. « Il n’y a aucun honte à ne pas savoir ce qu’est la courbe de Laffer puisqu’il s’agit littéralement d’un concept de pilier de bar dont l’origine est un dessin sur un coin de table au restaurant », résume parfaitement un internaute

En attendant, pas une question sur les inégalités de richesses, pourtant bien plus importantes que les inégalités de revenus (dans l’analyse macroéconomique du programme, les recettes de la réforme de l’impôt sur le revenu ne sont que de 5,5 milliards d’euros, soit trois fois moins que les recettes de l’ISF vert). Et aucune question sur l’écologie, ce qui est pourtant la spécialité de Marine Tondelier. La question « est-ce que vous ne craignez pas un effet de serre ? » aurait été bien plus importante. 

On l’aura compris, l’hypothèse de la courbe de Laffer n’est rien de plus que cela : une hypothèse. La jeter à la figure de Marine Tondelier en pleine présentation de programme est un faux pas journalistique, l’équivalent de demander à une navigatrice si elle ne craint pas de tomber du précipice d’une Terre plate en tentant de faire le tour du monde. 

25.06.2024 à 11:31

Décryptage des mesures du Nouveau Front Populaire

tparrique

Cette page rassemble les analyses que je publie quotidiennement sur les mesures du Nouveau Front Populaire détaillées dans leur programme et son analyse macroéconomique. Je l’actualiserais tous les jours jusqu’à la fin des élections. « Passer à la gestion 100% publique de l’eau en régies locales : pour la gratuité des premiers mètres-cubes indispensables à la […]
Texte intégral (11984 mots)

Cette page rassemble les analyses que je publie quotidiennement sur les mesures du Nouveau Front Populaire détaillées dans leur programme et son analyse macroéconomique. Je l’actualiserais tous les jours jusqu’à la fin des élections.

  1. Tarification progressive de l’eau
  2. Encadrement des prix immobiliers
  3. Impôt sur le revenu
  4. ISF vert
  5. Impôt sur l’héritage
  6. Taxer les superprofits
  7. Réglementer les prix des vols en avion
  8. Smic à 1600 €
  9. Suppression des niches fiscales polluantes
  10. Moratoire sur les grands projets autoroutiers
  11. Taxe sur les transactions financières
  12. Supprimer la flat tax
  13. Accompagner les reprises des entreprises en SCOP
  14. Rétablir l’exit tax
  15. La règle verte
  16. Un impôt minimum sur les multinationales
  17. Relancer la création d’emplois aidés
  18. Taxer les plus riches au niveau européen

« Passer à la gestion 100% publique de l’eau en régies locales : pour la gratuité des premiers mètres-cubes indispensables à la vie et la tarification progressive et différentielle selon les usages ». 

La gestion de l’eau peut être organisée en régie (gestion directe par la commune ou une organisation intercommunale), déléguée à un opérateur privé ou à une entreprise publique, ou un mixte des deux. Dans les années 1990, c’était la gestion privée de l’eau qui dominait en France, avec des promesses d’efficience et de baisse des prix. Mais depuis les années 2000, certaines villes font marche arrière, réalisant que le prix de l’eau est presque toujours plus élevé dans les communes privatisées que dans celles sous gestion publique. En 2020, la gestion publique de l’eau potable couvre presque la moitié de la population française, soit une augmentation de 22 % en 10 ans. 

Deuxième élément : la tarification progressive. Pourquoi payerait-on son eau au même prix pour faire son ménage ou remplir sa piscine privée ? Le politologue Paul Ariès parle de « gratuité de l’usage et le renchérissement du mésusage » (voir Gratuité vs Capitalisme, 2018). Faciliter l’accès à l’eau pour boire, se laver, cuisiner, et autres usages indispensables et limiter les activités moins essentielles comme le remplissage de piscines, les lavages de voitures, et l’arrosage de gazon. On parle aussi de « tarification sociale » quand ce système vise principalement les usagers les plus défavorisés. 

C’est déjà le cas dans plusieurs villes, dont Dunkerque depuis 2012 : la grille tarifaire de l’eau est divisée en trois tranches. La consommation « essentielle » (de 0 à 80 mètres cubes par foyer et par an) est facturée 1,28 € par m3. Passé ce seuil, « l’eau utile » (entre 81 et 200 m3) coûte 2,30 € et « l’eau de confort » (> 200 m3 annuel) coûte 3,10 € par mètre cube. Pour mettre en perspective : un Français consomme en moyenne 149 litres d’eau par jour, soit 54 m3 par an. La ville de Montpellier va encore plus loin : les quinze premier mètres cubes sont gratuits, puis 0,95 € de 16 m3 à 120 m3, 1,40 € de 121-240 m3, et 2,70 € à partir de 240 m3. De 2015 à 2021, 11 million de personnes avaient expérimenté ce système.

Pour les entreprises, on pourrait imaginer plusieurs grilles tarifaires en fonction des activités. Suivant la même idée du partage plus équitable entre usagers, une tarification préférentielle permettrait de faciliter l’accès à une eau peu chère pour la production de biens et services jugés indispensables tout en renchérissant l’eau utilisée par des activités moins essentielles. 

Ce que propose le Nouveau Front populaire, c’est d’accompagner ce mouvement de démarchandisation de l’eau. Des instances locales qui permettent des délibération démocratiques pour déterminer les bons usages et les mésusages (un mécanisme primordial en période de pénurie d’eau), ainsi qu’un système de prix sensible aux consommations et au pouvoir d’achat de chacun. 

« L’encadrement des loyers de manière obligatoire dans les zones tendues ainsi que des prix du foncier » 

Cette proposition vise à endiguer la montée des prix de l’immobilier tout en s’assurant d’un partage équitable de l’accès au logement. On entend par « zone tendue », une ville où il existe un déséquilibre entre l’offre et la demande de logement. Cela concerne aujourd’hui 1 434 communes sur 47 agglomérations. Dans ces zones, les propriétaires sont libres de fixer le loyer de leur choix lors de la première mise en location du logement mais il est ensuite, sauf exception, interdit de l’augmenter entre deux locataires. 

Encadrer les loyers consiste à fixer un loyer maximum que les propriétaires n’ont pas le droit de dépasser. Il a été expérimenté pour la première fois à Paris en 2015 et s’applique aujourd’hui à 24 villes s’étant portées volontaires dont Lyon, Bordeaux, et Montpellier. Chaque bien immobilier se voit attribuer un loyer de référence qui varie en fonction des caractéristiques du logement (type de location, nombre de pièces, superficie, localisation) avec un plafond fixé à 20 % de ce loyer de référence. Par exemple, un deux pièces non meublé à Paris dans le secteur Clignancourt est estimé à 24,9 €/m2 (loyer de référence) et donc plafonné à 29,9 €/m2

L’encadrement des prix du foncier appliquerait la même logique aux prix des terrains ou même des biens immobiliers. En effet, les prix des logements est 72 % plus élevé en 2019 que dix ans plus tôt alors que le revenu disponible par ménage n’a progressé que de 4 %. Pour sortir de cette spirale inflationniste, un prix de vente de référence serait estimé en fonction du prix d’achat initial, indexé sur l’indice de référence des loyers ou celui du coût de la construction. C’est déjà le cas à Montreuil (Seine-Saint-Denis) où le prix de vente est plafonné entre 4 000 et 7 000 euros le m2, avec une « clause anti-spéculative » interdisant pendant 10 ans la revente du logement à un tarif supérieur au prix d’acquisition.

Pour imaginer cette proposition de manière concrète, il suffit d’aller à Vienne où 60 % des résidents vivent déjà dans des logements dont les prix sont encadrés. Les prix y sont plus bas (le loyer moyen est 50 % moins cher à Vienne qu’à Amsterdam, 40 % en dessous de Rome, et 37 % inférieur au loyer moyen parisien) et la qualité des logements supérieure (Vienne est presque constamment numéro une des classement de qualité de vie urbaine).

« Accroître la progressivité de l’impôt sur le revenu à 14 tranches » 

L’impôt sur le revenu actuel comprend 5 tranches : 0 % jusqu’à 11 294 € de revenu annuel net imposable, 11 % de 11 295 € à 28 797 €, 30 % de 28 798 à 82 341 €, 41 % de 82 342 € à 177 106 €, et 45 % au-delà de 177 106 €. On le dit « progressif » car le taux d’imposition s’accroît avec l’augmentation du revenu, ce qui n’est pas le cas d’un impôt « proportionnel » comme la TVA ou la taxe carbone qui est le même pour tous les contribuables. L’impôt sur le revenu représente 27 % des recettes fiscales en 2023 (c’est 29 % pour la TVA et 18 % pour l’impôt sur les sociétés). 

Quelques ordres de grandeurs sur les inégalités. En termes de revenus, 4,7 millions de Français sont riches en 2021, c’est-à-dire gagnent plus de 3 860 € par mois après impôts, soit deux fois le niveau de vie médian (1 930 €) ou l’équivalent de 2,7 fois le Smic (1 390 €). Ces riches-en-revenus représentent 7,4 % de la population française, soit 4,7 million de personnes. Ce seuil correspond un peu près aux 10 % des individus aux revenus les plus élévés (6,4 million de personnne qui gagnent plus de 3 489 €), une portion de la population qui reçoit environ un quart de tous les revenus. 

De l’autre côté de la distribution, 4,8 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté en 2020 (965 € par mois/personne après impôts), soit 7,6 % de la population. Cette pauvreté est en légère augmentation, passant de 7,5 % de la population en 2000 à 7,6 % vingt ans plus tard (+ 500 000 personnes sur la période). Ces 10 % les plus pauvres ne reçoivent que 4 % de tous les revenus ; la parte monte à 30 % du revenu total lorsque l’on élargie la catégorie à la moitié la plus pauvre de la population. En gros, les 10 % les plus riches perçoivent un peu près le même volume de revenus que les 50 % des Français aux revenus les plus faibles (ceux qui gagnent moins de 1 930 € par mois).  

L’impôt sur le revenu est un mécanisme de redistribution monétaire. En 2020, le niveau de vie annuel moyen avant redistribution monétaire est de 60 720 € pour les 20 % les plus aisées, contre 7 070 € pour les 20 % les plus modestes, soit 8,6 fois moins. La redistribution abaisse ces inégalités de revenus à un ratio de 3,9 (elle augmente de 74 % le niveau de vie moyen des 20 % les plus pauvres et diminue de 21 % celui des 20 % les plus riches). 

Le Nouveau Front populaire propose de rendre l’impôt sur le revenu plus progressif en y ajoutant davantage de tranches. Il existe de nombreuses manières de le faire. Thomas Piketty (Le capital au XXIe siècle, 2013), par exemple, avait proposé une décomposition en 7 tranches allant de 10 à 90 %, chacune estimée en proportion du revenu moyen. On peut ajouter plus de palier pour les faibles revenus afin que la montée en imposition soit plus douce, et on peut ajouter des paliers au-delà de l’actuel taux maximal d’imposition de 45 % pour mettre davantage à contribution les hauts-revenus. 

« Rétablir un impôt de solidarité sur la fortune (ISF) renforcé avec un volet climatique »

L’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF) a été supprimé en 2017, pour être remplacé par l’Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI). L’ISF s’appliquait aux biens immobiliers mais aussi aux liquidités, meubles, titres financiers, contrats d’assurance vie, et objets précieux. Ce qui change avec l’IFI, c’est que désormais seulement la valeur des biens immobiliers est prise en compte. Le barème de l’IFI, qui n’a pas changé depuis l’ISF, se décompose en 6 tranches avec des taux progressifs allant de 0 % (patrimoine < 800 000 %) à 1,5 % (> 10 000 000 €). Comme l’ISF, il est plafonné en fonction du montant cumulé de tous les impôts afin qu’un ménage ne puisse pas payer plus de 75 % de ses revenus. 

Quelques ordres de grandeur sur les inégalités de patrimoine en France. Il faut qu’un ménage possède plus de 531 000 € brut (trois fois le patrimoine médian) pour être considéré comme un ménage riche-en-patrimoine (cela concerne 5,1 millions de ménages en 2021, soit 16,9 % des ménages). Les 10 % des ménages les plus fortunés (3 millions de ménages) possèdent plus de 716 300 € et le top 1 % (300 000 ménages) plus de 2,2 millions d’euros. Les millionnaires représentent 5 % des ménages. Le décile le plus fortunépossède 47 % du patrimoine total (c’était 41 % en 2010), soit un peu près la même chose que les 90 % restant de la population (la moitié la plus pauvre des ménages ne possèdent que 7,5 % du patrimoine total – c’était 9,4 % en 2010).

Vu que le périmètre de l’IFI est plus étroit que celui de l’ISF, les recettes fiscales sont moindres. En 2017, 360 000 ménages étaient redevables de l’ISF (1,1 % des ménages), alors qu’ils n’étaient plus que 133 000 un an plus tard (0,4 % des ménages). Le manque à gagner pour l’État est estimé à entre trois et cinq milliards d’euros par an. Par exemple, l’ISF a rapporté 4,2 milliards d’euros en 2017, contre 1,3 milliards pour l’IFI en 2018. Rétablir l’ISF augmenterait donc les recettes fiscales. Comme tout impôt progressif, sa force redistributive dépendra du choix du seuil d’éligibilité, de l’éventail des tranches, et de la progressivité des taux – des éléments qui pourraient tout à fait être modifiés.  

Pour le volet climatique, c’est l’économiste Jean Pisani Ferry qui avait lancé le débat sur « l’ISF vert » en proposant de financer la transition climatique avec un prélèvement exceptionnel de 5 % pendant une période de 30 ans sur le patrimoine financier des 10 % des ménages les plus aisés. Cela aurait un sens car l’empreinte carbone du patrimoine financier des 10 % des Français les plus riches (37 t/an/personne) est quatre fois plus élevé que l’empreinte carbone moyenne (9,2 t) et 12 fois plus élevé que l’empreinte du patrimoine financier de la moitié la plus pauvre de la population. 

Sources: Estimation du manque à gagner du passage de l’ISF à l’IFI ; proposition d’un ISF vert ; sur les inégalités de patrimoine en France ; sur l’empreinte carbone du capital.

« Réformer l’impôt sur l’héritage pour le rendre plus progressif en ciblant les plus hauts patrimoines et instaurer un héritage maximum » 

Actuellement, les héritiers bénéficient d’un héritage non-taxé de 100 000 € par enfant lors du décès d’un parent, de 15 932 € pour un frère ou une sœur, et de 1 594 € en l’absence d’un autre abattement applicable. L’impôt sur l’héritage s’échelonne ensuite en sept tranches avec des taux progressifs allant de 0 % (héritage en dessous de 8 072 €) et 45 % (> 1,8 millions d’euros). Cet impôt ne tient pas compte des dons effectués plus de 15 ans avant le décès (la moitié du flux successoral se fait au travers de dons). Les transferts entre personnes mariées ne sont pas imposés.

Si un peu plus de la moitié des ménages Français héritent au moins une fois au cours de leur vie (en moyenne à 50 ans), 87 % des héritages reçus sont inférieurs à 100 000 € et deux tiers des héritages sont inférieurs à 30 000 €. La grande majorité de la population ne paient donc pas de droits de succession. En 2020, les recettes fiscales de cet impôt s’élevaient à 12,5 milliards d’euros pour les successions et 2,5 milliards pour les donations. La moitié de ces montants proviennent de droits touchant à des successions en ligne indirecte, même si ceux-ci ne représentent que 10 % des sommes héritées. Le taux d’imposition effectif moyen pour l’ensemble des actifs transmis est de 5 %. 

Plus d’un quart des ménages fortunés (> 500 000 € de patrimoine net) reçoivent un héritage supérieur à 100 000 € et 1 % des héritiers reçoivent plus de 4,2 millions d’euros nets. L’héritage constitue un important facteur de reproduction des inégalités. Il représente 60 % de la fortune des 10 % les plus aisées (c’était 35 % en 1970). Il existe de nombreuses exemptions et exonérations qui permettent aux hauts patrimoines d’éviter à l’impôt (e.g., contrats d’assurance-vie, transmissions de biens professionnels, démembrement de propriété). Les 0,1 % les plus favorisés reçoivent en moyenne 13 millions d’euros et ne paient que 10 % de droits de succession pour l’ensemble du patrimoine hérité.  

« L’héritage maximum » est une proposition consistant à plafonner la somme maximale qui puisse être héritée. Le seuil est souvent défini en ratio du patrimoine médian (e.g. 100 fois le patrimoine médian, soit 18 millions d’euros). Ce serait l’équivalent d’ajouter une tranche supplémentaire à partir de laquelle chaque euro supplémentaire reçu en plus des 18 millions serait taxé à 100 %. 

Une autre proposition consiste à fixer un « héritage minimum ». Par exemple, le Conseil d’Analyse Économique avait proposé de garantir un capital pour tous, une somme de 10 000 à 40 000 € que toute personne recevrait à 18 ou 25 ans. Cette dotation serait financée par une augmentation des droits de successions sur les hauts patrimoines. Cela reviendrait à mutualiser une partie de la richesse héritée afin d’en assurer un partage plus équitable. 

Source: la note du Conseil d’Analyse Économique ; comprendre les droits de succession ; héritage et inégalités ; un article de l’Observatoire des inégalités sur l’héritage

« taxer les superprofits des agro-industriels et de la grande distribution »

On considère comme « superprofits » des bénéfices exceptionnels réalisés par des entreprises, non grâce à des innovations ou des gains de productivité, mais en profitant d’effets d’aubaine (guerre, pandémie, crise écologique, etc.). Ils apparaissent lorsque les marges des entreprises augmentent beaucoup plus rapidement que leur facteurs de production, et cela comparé aux bénéfices moyens observés pendant une période plus longue. 

Par exemple, alors que Total enregistrait un bénéfice annuel moyen de 6 milliards d’euros entre 2018 et 2020, ses bénéfices ont atteint 16 milliards d’euros en 2021, soit une hausse de 260 %, et cela grâce à la flambée des prix de l’énergie. De la même manière, les bénéfices de Carrefour (403 millions par an entre 2018 et 2020) ont bondi de plus de 400 % pour atteindre 1,7 milliards d’euros en 2021. En France, les 150 plus grandes entreprises ont enregistré un total de 80 à 90 milliards de superprofits en 2021. 

Les superprofits favorisent la concentration des richesses. En effet, 96 % des dividendes sont attribués à 1 % de l’ensemble des foyers fiscaux (400 000 ménages sur 40 millions) et cinq familles seulement possèdent 18 % des actions du CAC40 (l’état Français n’en possède que 2,2 %). Les ménages pauvres ne reçoivent souvent comme revenus que leurs salaires ; d’ailleurs, les 30 % des individus les plus riches perçoivent la moitié de tous les revenus, dont l’essentiel des dividendes. Les superprofits aggravent également la précarité car ils font pression sur le coût des dépenses incompressibles des ménages les plus modestes. C’est une sorte d’impôt inversé, une redistribution de revenus des plus pauvres (qui dépensent une grande partie de leur budget pour se déplacer, se chauffer, et se nourrir) aux plus riches (qui reçoivent des dividendes). 

Actuellement, les entreprises payent un « impôt sur les bénéfices » (aussi appelé impôt sur les sociétés) à 25 % (taux normal) ou 15 % (taux réduit pour certaines PME). Mais le système ne fait pas la différence entre des profits structurels (liés à une amélioration du processus productif) et conjoncturels (liés à un effet d’aubaine). Pour y remédier, il serait possible de créer une nouvelle tranche fortement taxée (entre 50 % et 90 %) qui ne s’appliquerait que lorsque les profits dépassent de manière significative les profits moyens des années précédentes.    

Une telle taxe avait déjà été proposée par la Commission européenne en 2022 (la « contribution de solidarité ») sous la forme d’un prélèvement supplémentaire de 33 % pour les entreprises du pétrole, du gaz, et du charbon dont les bénéfices en 2022 dépassaient de 20 % la moyenne des bénéfices générés au cours des quatre dernières années. Étendu à toutes les grandes entreprises européennes tout secteur confondu, une taxation progressive des superprofits de 20 à 40 % rapporterait 107 milliards d’euros à l’échelle de l’UE. 

« Réglementer les tarifs de desserte aérienne »

C’est la seule mention de l’aérien dans l’ébauche du programme du Nouveau Front populaire. Même si cette mesure se cantonne aux dessertes aériennes de l’outre-mer, j’en profite pour élargir la discussion à un problème plus général. En France un billet de d’avion coûte en moyenne 2,6 moins plus cher qu’un billet de train (c’est le plus grand ratio en Europe après le Royaume-Uni et l’Espagne)Une situation surprenante étant donné qu’un voyage en avion émet 20 à 50 fois plus de gaz à effet de serre que son alternative sur rail. 

C’est une défaillance de marché : les prix des billets d’avion ne reflètent pas leur coût environnemental, ce qui permet aux compagnies aériennes de vendre des billets à des prix artificiellement bas – par exemple, le Paris-Milan proposé à 25,49 € par EasyJet, 14,99 € par Ryanair ou 9,84 € par Wizz Air, l’équivalent de cinq tickets de métro. C’est un dumping écologique accompagné par des stratégies marketing agressives (des pubs pour les vols en avion que l’on retrouve d’ailleurs souvent dans les gares ferroviaires). 

Le train est certes cher mais le principal problème ici sont les prix anormalement bas de l’avion. Les compagnies ferroviaires paient des taxes sur l’électricité (à hauteur de 20 %), la TVA (qui est passée à 10 % au lieu de 7 % avant 2013), et des péages ferroviaires (ces derniers représentent près de la moitié du prix du billet). Sur un Paris-Milan en train à 278 €, on comptera 111 € de droits de péage et 27 € de TVA. Le même trajet en avion ne coûte que 122 € avec 0 € de TVA (les vols internationaux sont exonérés), 0 % de taxe sur le kérozène (les carburants des avions ne sont pas taxés), et seulement 26 € de taxes diverses (soit 22 % du billet). 

Le manque à gagner pour l’état français lié à ces avantages fiscaux est à estimé à 4,7 milliards d’euros en 2022. Une taxe de 0,38 € par litre (le seuil minimum proposé par la Commission Européenne) représenterait un gain de 2 milliards d’euros pour l’État français. Comprenons bien, l’important ici n’est pas tant les recettes fiscales mais l’incitation à voler. Selon certaines estimations, la demande des passagers aurait été 30 % moins importante sans les différentes niches fiscales qui réduisent artificiellement les prix des vols.   

Pour ajuster les prix de l’avion, plusieurs pistes pourraient être explorées, à commencer par un taux de taxe minimum sur le kérozène. Il faudrait aussi véritablement intégrer l’aérien dans le système européen d’échanges de quotas d’émission (les quotas sont pour l’instant gratuits) tout en s’assurant que le prix du carbone ne soit pas trop bas. Pour partager l’accès à l’avion de manière équitable, une mesure plus ambitieuse consisterait à introduire un « frequent flyer levy », une taxe progressive sur les billets (0 pour le premier vol par an, X € pour le deuxième, X+1 pour le troisième, etc.) qui viendrait remplacer l’actuelle « taxe de solidarité sur les billets d’avion ». 

Sources: Sur les émissions de l’aérien ; comparaison du prix du train avec celui de l’avion ; le calcul pour Paris-Milan ; sur le frequent flyer levy

« Augmenter les salaires par le passage du SMIC à 1600 € net »

Le Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance (Smic) existe depuis 1970. Il est « interprofessionnel » parce qu’il concerne toutes les branches d’activités et « de croissance » car son évolution est indexée à la hausse des prix à la consommation et sur la hausse du salaire ouvrier. Il est actuellement, et depuis sa dernière réévaluation en janvier 2024, fixé à 1 398 € nets pour 35 heures hebdomadaires, soit 9,22 € de l’heure. 

Quelques ordres de grandeur sur les inégalités de salaire : en équivalent temps plein, le salaire médian des salariés est de 2 012 € net (le salaire médian à temps de travail réel est de 1 612 €). Ce salaire médian est inférieur de 20 % au salaire moyen, ce qui traduit une plus forte concentration des salaires dans le bas de la distribution. Les 10 % des salariés les moins bien rémunérés touchent 1 366 €, soit plus de trois fois moins que les 10 % les mieux payés (> 4 010 €). Les 1 % des plus hauts salaires perçoivent 9 600 € net mensuels, l’équivalent de sept mois de salaire au Smic. Les cinq patrons d’entreprises françaises les mieux payés gagnent entre 13,7 millions d’euros par an (l’équivalent de 877 années de travail au Smic) et 33 millions (plus de 2 000 ans de travail au Smic).

En 2023, 17,3 % des salariés en France étaient payés au Smic, soit 3,1 millions de personnes. La proportion des bénéficiaires du Smic est plus marquée dans certains secteurs : 37 % des employés dans l’hébergement et la restauration et 19 % de ceux dans la santé humaine et l’action sociale sont payés au Smic (c’est 12 % pour l’économie dans son ensemble). 

Le Smic est aujourd’hui 2,5 fois plus élevé qu’en 1990. Hormis les revalorisations due à l’inflation, le Smic n’a pas connu de véritable augmentation depuis l’élection de François Hollande en 2012 (+ 0,6 %), et avant cela en 2006 (+ 0,3 %) et 2001 (+ 0,29 %). L’amener à 1600 € net constitue une augmentation de 14 %, soit 200 euros de plus. 

Quelles seraient les conséquences de telle hausse ? Personne ne sait vraiment. La hausse du pouvoir d’achat pourrait favoriser la consommation et donc les embauches, mais il y aura aussi un effet inverse : avec un coût du travail en hausse, les entreprises pourraient décider d’employer moins. Difficile de savoir quel effet l’emportera sur l’autre. Dans l’analyse macroéconomique du programme, le NFP propose de mettre en place quatre dispositifs pour protéger les entreprises vulnérables : des avances à 0 % sur 1 ou 2 ans, la reprise à 0 % de leurs charges financières par un fonds de solidarité, financement à 0 %, voire à taux négatif, de certains investissements, et des « mesures d’accompagnement financiers dégressifs et temporaires. 

Sources : quelques chiffres sur les salaires en France ; dernier rapport du groupe d’experts sur le Smic ; le chapitre sur les salaires dans le rapport sur les inégalités 2023 de l’Observatoire des Inégalités ; un article d’Alternatives Économiques sur les conséquences macroéconomiques d’une augmentation du Smic ; la proposition macroéconomique du NFP 

« Supprimer les niches fiscales polluantes » 

Les « niches fiscales » désignent des avantages en termes d’impôts dont bénéficient les contribuables sous certaines conditions – elles sont aussi appelées « dépenses fiscales » car elles induisent un coût pour le budget de l’État. Il en existe environ 470 en France pour un coût cumulé d’une centaine de milliards d’euros. Le programme du NFP propose de « supprimer les niches fiscales inefficaces, injustes, et polluantes ». Commençons par ces dernières : les niches antiécologiques représentent 7,9 milliards d’euros en 2024 selon la méthode de calcul du gouvernement (et jusqu’à 19 milliards avec des méthodologies plus strictes), une hausse de 350 millions par rapport à 2023. 

Il existe de nombreuses niches fiscales défavorables au climat. Le transport maritime et l’aviation sont exonérés du paiement de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. Les vols en avion bénéficient d’un taux de TVA réduit de 10 % pour les vols domestique et de 0 % pour les vols internationaux. Le gazole non routier et le gazole agricole bénéficient de tarifs réduits, tout comme les carburants des poids lourds et des taxis, ainsi que le gaz et l’électricité de certaines grandes installations industrielles. Si 80 % des émissions de l’industrie sont couvertes par le marché européen du carbone, la majeure partie des quotas est toujours octroyée gratuitement, et cela jusqu’en 2026.

En élargissant la focale au-delà des émissions de gaz à effet de serre, on peut aussi mentionner le taux de TVA réduit pour les travaux de rénovation non énergétiques, des tarifs préférentiels de l’accise sur les énergies pour le secteur du BTP, l’exonération de taxe foncière pendant deux ans pour les constructions neuves, les réductions d’impôts sur le revenu en faveur de l’investissement locatif, et certaines exonérations de taxe d’aménagement. Toutes ces mesures incitent à la construction et donc accélèrent l’artificialisation des sols (137 658 ha consommés entre 2013 et 2019) toute en alourdissant notre empreinte matière et notre empreinte carbone.  

S’il faut au plus vite supprimer ces niches fiscales polluantes, ce n’est pas pour augmenter les recettes mais avant tout pour désinciter les activités qui alourdissent notre empreinte écologique. Nous taxons l’électricité des trains (à hauteur de 20 %) mais pas le kérozène des avions alors que le ferroviaire émet 20 à 50 fois moins que l’aérien. Nous incitons à construire plutôt qu’à rénover alors que la construction nécessite 40 à 80 fois plus de matériaux et émet 10 fois plus de carbone que la rénovation. Les règles fiscales actuelles font exactement le contraire de ce que l’on devrait faire : taxer les pollueurs et subventionner les alternatives moins intenses en ressources naturelles.   

Sources : une analyse d’Alternatives Économiques des niches fiscales antiécologiques ; un rapport d’I4CE sur les dépenses fiscales défavorables au climat 

« Décréter un moratoire sur les grands projets d’infrastructures autoroutières »

70 ans après le premier projet autoroutier en 1951, la France compte près de 11 677 km d’autoroutes, soit 1 % de toutes les routes. Depuis 1999, la longueur totale du réseau routier s’est accrue de 11,2 % et celle des autoroutes de 21,3 %. Actuellement, plus de 14 projets d’autoroutes sont en cours de négociation. 

Depuis la privatisation de 2006, le système autoroutier repose sur le régime de la concession. L’État reste propriétaire du réseau mais confie pendant plusieurs décennies le financement, la construction, l’exploitation et l’entretien des autoroutes à des entreprises privées qui perçoivent l’argent des péages qui représente 97,3 % du chiffre d’affaires du secteur autoroutier. La presque totalité du réseau est gérée par des entreprises privée, les 10 % restant, les autoroutes non concédées sans péage, appartiennent à l’État. 

Trois groupes (Vinci, Eiffage, et Abertis) représentent plus de 91 % du chiffre d’affaires du secteur (une dizaine de milliards en 2021). En 2006, la cession des autoroutes avait rapporté 22,5 milliards d’euros à l’État. En 2023, le total des bénéfices engrangés sur l’année dépasse les 4 milliards d’euros. Les dividendes cumulés du groupe Vinci devraient être de 20,7 milliards d’euros d’ici 2036. C’est 22,3 Mds pour APRR et AREA, soit quatre fois le coûts d’acquisition en 2006 (6,7 Mds). 

Construire une autoroute est lourd de conséquences écologiques. Il faut bien sûr produire du bitume, et donc extraire tous les matériaux nécessaires à sa production. Il faut aussi artificialiser des zones humides, des terres agricoles et naturelles, et abattre des arbres. Le Conseil national de protection de la nature avait d’ailleurs émis un avis défavorable à propos du projet de l’A69, un projet « en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif du zéro artificialisation nette et du zéro perte nette de biodiversité ».

Les autoroutes permettent de rouler plus vite que sur les nationales, ce qui augmente les émissions et la pollution. Rouler à 110 km/h plutôt qu’à 130 permet d’économiser plus de 20 % de consommation avec seulement 10 minutes de trajet d’écart sur 100 kilomètres. Il existe aussi un effet rebond au niveau des distances parcourus : plus il y a d’infrastructures autoroutières, plus on se déplace vite, et plus on a tendance à voyager loin, et donc à polluer. 

Plus généralement, les infrastructures routières viennent faciliter – et donc indirectement inciter – l’usage des modes de transport les plus carbonés, dont les voitures et les camions (les bus et cars ne représentent que 0,3 % du trafic). Alors que les émissions des transports représentent le premier poste d’émissions territoriales (32 % en 2022) et que 72 % des trajets en voiture sont inférieurs à 10 km, se lancer dans de nouveaux projets autoroutiers est une stratégie de mobilité archaïque. 

Sources : un article d’Aurélien Bigo sur les autoroutes et le climat ; un FAQ utile sur les concessions ; recensement des projets d’autoroutes ; un rapport du Sénat sur la rentabilité des autoroutes ; étude de l’Ademe sur l’impact des limitations de vitesse 

« Taxation renforcée des transactions financières »

Comme dans plus d’une trentaine de pays au monde, il existe en France une taxe sur les transactions financières (TTF) depuis 2012, aussi appelée « taxe Tobin » après l’économiste James Tobin qui popularisa l’idée en 1972. Son principe est simple : une micro-taxe qui s’applique sur les transactions financières à un taux très faible pour freiner la spéculation à court terme sans pour autant pénaliser les investissements à long terme. 

La taxe existante est une version extrêmement réduite car elle ne s’applique qu’à trois types de transactions : les ordres annulés dans le cadre d’opérations à haute fréquence (non effectif dans son design actuel), les achats à nu de CDS souverains (qui ont été interdits depuis), et les acquisitions de titres de capital ou assimilés. La taxe ne s’applique qu’aux actions de 121 grandes entreprises dont le siège social est situé en France et dont la capitalisation boursière dépasse 1 milliard d’euros. 

Elle est fixée à 0,3 % du prix d’achat des titres financiers et prélevée sous la forme d’une retenue directe à la source par l’opérateur gestionnaire du compte lors de l’acquisition des titres. En 2022, la taxe a rapporté 1,5 milliards d’euros (une partie des revenus – 528 millions d’euros – est systématiquement fléchée vers le fonds de solidarité pour le développement et le reste va au budget général). Est-ce que cette taxe fonctionne ? Non, selon un rapport de la Cour des comptes : « aucun des trois objectifs stratégiques qui lui avaient été assignés n’a été atteint ». 

Il existe plusieurs manières de la renforcer. Si seulement un tiers des transactions financières sont aujourd’hui concernés par la taxe, on pourrait élargir son assiette à un spectre plus large d’opérations financières : transactions intrajournalières (qui recouvrent 70 % des transactions et l’intégralité des activités de trading à haute fréquence), produits structurés et les dérivés, ainsi que les opérations de change (le plus gros marché en volume). 

En 2013, la Commission Européenne avait proposé une taxe de 0,1 % sur les actions et produits structurés et de 0,01 % sur les produits dérivés, qui s’appliquerait à toutes les transactions financières à l’exception des transactions de change au comptant (10,8 Mds de recettes estimés par an en France). La taxe proposée par ATTAC va plus loin en couvrant toutes les transactions y compris celles de change (15,8 Mds). Le programme du NFP estime les recettes de la FTT renforcée à 3 Mds, soit le double de ses recettes actuelles. 

On pourrait aussi augmenter son taux. Il est d’ailleurs déjà passé en de 0,1 % initialement à 0,2 % en 2012 et puis à 0,3 % en 2017, sans impact significatif sur la liquidité des actions ou la volatilité. On pourrait l’amener à 0,4 %, ou même à 0,5 % (le taux actuel de la TFF britannique qui rapporte environ 5 Mds par an). Une TFF étendue aux transactions intrajournalières à 0,5 % rapporterait 1,6 fois plus qu’une même taxe à 0,3 %. 

Sources : un article de Gunther Capelle-Blancard sur la TFF ;un article de synthèse d’ATTAC, l’organisation spécialiste du sujet ; un article de synthèse d’Oxfam ; estimation des revenus de la FTT en France ; un rapport de la cour des comptes de 2017 

« Supprimer la flat tax » 

Le Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU) ou « flat tax » est un impôt créé en 2018. Il s’applique aux revenus de l’épargne et du capital hors immobilier, c’est-à-dire les intérêts, dividendes, placements à revenu fixe, l’assurance-vie, certains plans et comptes épargne logement, ainsi que les plus-values de cession de valeurs mobilières, c’est-à-dire le gain réalisé sur la vente de titres financiers. Son taux global est de 30 %, décomposé en 17,2 % de prélèvements sociaux et 12,8 % d’impôt forfaitaire. On dit qu’il est « forfaitaire » car le prélèvement est une somme fixe, à la différence d’un impôt proportionnel ou progressif. 

L’idée derrière la réforme de 2018 était de baisser la fiscalité du capital en espérant dynamiser l’investissement et donc l’activité et l’emploi. C’est l’hypothèse dite du « ruissellement » qui consiste à faciliter l’accumulation des richesses pour les plus fortunés en espérant que cette manne ‘ruisselle’ vers le bas de la distribution. Pour l’instant, les travaux de recherche sur le PFU n’ont pas détecté d’impact significatif sur l’investissement, l’emploi, et les salaires. 

En réalité, l’introduction du PFU a principalement bénéficié aux plus riches. Si elle n’a rien changé pour les petits épargnants, qui restent éligibles aux deux premières tranches de l’impôt sur le revenu (0 % et 11 %), elle a réduit les impôts de ceux qui se situaient dans les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu (30 %, 41 %, 45 %) et qui pouvaient désormais choisir d’être imposé à un taux forfaitaire de 12,8 %. À partir de plus de 28 797 € de revenu net annuel net (le seuil de la troisième tranche du barème), il devient moins coûteux d’opter pour le PFU. Le manque à gagner pour l’État est de l’ordre de 1,8 milliards d’euros sur la période 2018-2022.

Le problème des impôts forfaitaires en général, c’est qu’ils ne tiennent pas compte des niveaux de vie. Ils ne réduisent donc pas les écarts de revenus et augmentent les inégalités relatives. Si les revenus en général sont assez concentrés (les 30 % les plus riches reçoivent la moitié de tous les revenus), les revenus du capital le sont de manière extrême. 1 % des foyers fiscaux (400 000 foyers sur 40 millions) concentrent 96 % des dividendes déclarés (c’est 62 % pour les 0,1 % des foyers) 70 % des montants de plus-values mobilières sont déclarés par 0,01 % des foyers fiscaux (4 000 foyers qui perçoivent chacun plus de 1 million d’euros par an). 

En supprimant la flat tax, les revenus du capital seraient à nouveau imposés de la même manière que les revenus du travail, c’est-à-dire avec le barème progressif de l’impôt sur le revenu. Cela voudrait dire que les ménages les plus fortunés s’acquitteraient d’un impôt plus important sans que cela ne change quoi que ce soit pour les petits épargnants, une mesure donc parfaitement alignée avec l’objectif général de réduction des inégalités que l’on retrouve dans le reste du programme. 

Sources : un policy brief de l’OFCE qui estime l’impact du PFU ; un article de l’Observatoire des Inégalités sur l’impacts de différents types d’impôts sur les inégalités ; le rapport de France Stratégie sur la fiscalité du capital ; sur les inégalités de revenus en général 

« Accompagner les reprises des entreprises en SCOP par les salariés »

Une SCOP (Société coopérative et participative) est une société coopérative de forme SA, SARL ou SAS dont les salariés sont les associés majoritaires et le pouvoir y est exercé démocratiquement. Les salariés détiennent au moins 51 % du capital social et 65 % des droits de vote. Chaque salarié associé dispose d’une voix, quel que soit son statut, son ancienneté et le montant du capital investi.Les salariés élisent le dirigeant pour un mandat de 4-6 ans et décident ensemble de comment répartir le bénéfice entre la participation salariale (au moins 25 %), les réserves d’entreprise (au moins 16 %), et les dividendes (33 % maximum). Le rachat de parts sociales s’effectue à la valeur nominale de la souscription, sans possibilité de plus-value. 

La SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif) est un autre modèle de société coopérative qui inclue un panel plus large de parties prenantes (clients, fournisseurs, bénévoles, collectivités territoriales, associations, partenaires privés, etc.). Comme pour la SCOP, tous les associés disposent d’un droit de vote égal. Autre spécificité : au moins 57,5 % des bénéfices sont mis en réserves dites « impartageables » pour consolider les fonds propres de l’entreprise (c’est 43 % en moyenne pour les SCOP). 

En 2023, il y avait en France 4 495 SCOP et SCIC, couvrant 84 294 emplois pour 9,4 milliards de chiffre d’affaires. La SCOP moyenne compte une vingtaine de salarié et la moitié d’entre elles se trouve dans le secteur des services. Le taux de pérennité à 5 ans est de 79 %, légèrement plus haut que pour l’ensemble des entreprises françaises (61 %). 21 % des créations de SCOP sont des transmissions d’entreprises, 11 % des transformation d’association ou de coopérative, et 68 % des créations ex nihilo. 

Ce régime d’entreprise bénéficie de plusieurs avantages. Elles bénéficient d’une exonération partielle de l’impôt sur les sociétéscorrespondant aux bénéfices distribués aux salariés au titre de la participation salariale. Elles peuvent déduire de la base imposable certains sommes réinvesties. Elles sont exonérées de la contribution économique territoriale et ont un droit de préférence pour les appels d’offre.

Il faudrait maintenant faciliter leurs accès aux financements. On pourrait imaginer la création d’un fonds national dédié à la reprise d’entreprises par les salariés qui viendrait uniformiser l’accès aux dispositifs régionaux existants (subventions, prêts personnels, avances remboursables, garanties financières). Ce fond accompagnerait les salariés, par exemple en apportant un abondement du capital à hauteur d’1 € pour 1 € investi, et en proposant des avances remboursables sur 5 à 7 ans. Ce fond viendrait également protéger l’investissement des salariés associés à la même hauteur que pour les autres investisseurs en mettant en place des lignes de garanties du capital injecté.  

Sources : Le site incontournable pour tout comprendre sur les SCOP et les SCIC ; un article d’Alternatives Économiques sur les SCOP ; un livre de la sociologue Anne-Catherine Wagner ; quelques propositions de Timothée Duverger et Christophe Sente pour aller vers une « république du travail » 

« Rétablir l’exit tax »

Le débat sur la taxation des plus riches fait toujours face à un obstacle : celui de les voir partir s’installer ailleurs pour éviter l’impôt. Mais il existe un dispositif pour contre cet exil fiscal : l’exit tax (ou « taxe à la frontière ») est un impôt qui vise à dissuader les contribuables de s’expatrier avec pour seul objectif de vendre les titres de sociétés cotée ou non cotée qu’ils détiennent (actions, parts sociales, obligations, etc.) une fois installés dans leur nouvel Etat de résidence, Etat où il y a généralement peu ou pas de fiscalité. 

Instaurée en 1999, abrogée en 2005 pour non-conformité au droit européen, ce dispositif a été remis en place en 2011 dans une version compatible sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Emmanuel Macron avait annoncé vouloir la supprimer en 2018, mais le gouvernement ne l’avait finalement qu’assoupli en 2019 (la durée d’application de la taxe avait été réduite de 15 ans à 2 ans). Fin 2022, l’Assemblée nationale avait voté son rétablissement dans son design initial mais cet élément n’a pas été retenu dans le projet de loi final après un recours à l’article 49.3. D’où la proposition du Nouveau Front Populaire de la rétablir telle qu’elle existait auparavant.   

Dans son design actuel, les plus-values latentes (e.g., la différence entre la valeur des titres concernés à la date du transfert hors de France et leur valeur d’acquisition) et les créances soumises à l’exit tax sont imposables soit au Prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30 % (12,8 % au titre de l’Impôt sur le Revenu et 17,2 % pour les prélèvements sociaux), soit au barème progressif de l’impôt sur le revenu. 

Elle s’applique aux personnes ayant été résident fiscal français pendant au moins 6 ans au cours des dix dernières années et qui possèdent plus de 800 000 € de valeurs mobilières (ou représentant au moins 50 % des bénéfices sociaux d’une société). Les personnes qui s’impatrient en France et repartent après quelques années seulement ne sont donc pas concernées, tout comme ceux qui possèdent moins de 800 000 € de titres. 

Si ces personnes désirent se domicilier fiscalement dans un autre pays, elles se doivent de déclarer les plus-values latentes accumulées sur les titres composant leur patrimoine. Ces plus-values seront ensuite imposées en France lorsque si ces titres seront vendus. L’idée derrière cette mesure est de prendre en compte le rôle des infrastructures matérielles et immatérielles fournies par la collectivité aux entrepreneurs (e.g., éducation, santé, transports, aides aux entreprises) tout en évitant le « dumping fiscal », une situation de concurrence internationale où les pays s’efforcent d’attirer des capitaux en proposant une fiscalité plus basse que leurs voisins. 

« Inscrire le principe de la règle verte »

L’idée d’une « règle verte » remonte au programme de LFI aux présidentielles de 2012. Elle consiste à « ne pas prélever sur la nature plus de ressources renouvelables que ce qu’elle peut reconstituer, ni de produire plus que ce qu’elle ne peut supporter sur une année », selon la formulation d’un amendement déposé par un groupe de députés. C’est un jeu de mot qui fait un pied-de-nez à la « règle d’or budgétaire », l’obligation des États membres de respecter certaines limites de déficit public. 

Cette idée a une longue tradition en économie écologique depuis les années 1970. C’est les trois règles de l’économiste américain Herman Daly : (1) la consommation de ressources renouvelables ne doit pas excéder le taux de régénération des ressources, (2) le taux de consommation des ressources non renouvelables ne doit pas excéder le rythme auquel des substituts renouvelables peuvent être mis en place, et (3) la pollution ne doit pas excéder le rythme auquel les systèmes naturels peuvent les absorber, les recycler ou les neutraliser.

On parle de soutenabilité ou de durabilité pour décrire une situation où l’empreinte environnementale d’une communauté ne dépasse pas la biocapacité des écosystèmes, c’est-à-dire la capacité d’un milieu naturel à reconstituer ses réserves et à absorber des déchets. On parle d’insoutenabilité quand l’empreinte dépasse la biocapacité. On parle aussi de « limites planétaires », un cadre conceptuel qui présente la soutenabilité comme le non-dépassement d’un certain nombre de seuils.

Le programme vise à inscrire ce principe dans la législation. La règle verte deviendrait un critère d’évaluation pour l’ensemble des politiques publiques, au même titre que la règle d’or budgétaire. Cela constituerait une véritable avancée juridique par rapports aux règles environnementales actuelles qui restent parcellaires, souvent floues, et qui deviendrait plus cohérentes si elles étaient rassemblées sous un grand principe directeur. Certains proposent même la création d’une Agence européenne de la règle verte, qui serait responsable d’évaluer toutes les politiques publiques au sein de l’union.

En pratique, cela nécessite de fixer une limite à la quantité de ressources qui peuvent être consommées dans chaque pays. C’est déjà le cas en France pour les gaz à effets de serre qui sont limités, du moins en théorie, par un budget carbone inscrit dans la loi. Et aussi pour l’artificialisation des sols avec la stratégie Zéro Artificialisation Nette qui – encore une fois en théorie – fixe un seuil maximum d’hectares artificialisable. Pour que le bouclage écologique soit complet, il faudrait maintenant introduire des stratégies similaires pour plafonner les prélèvements d’eau, l’extraction de métaux et de matériaux, la pollution de l’air, l’érosion de la biodiversité, etc.

Sources : un article de Socialter ; l’ouvrage de référence d’Herman Daly ; l’amendement sur la règle verte déposé en 2018

« Impôt sur les bénéfices des multinationales » 

C’est un argument qui revient souvent : si un pays taxe davantage les entreprises, celles-ci délocaliseront leurs profits dans un pays à la fiscalité plus légère. Mais cette concurrence fiscale est un nivellement par le bas qui permet à terme aux grande entreprises d’échapper à l’impôt. Alors que le taux nominal moyen d’imposition des bénéfices était de 40 % en 1980, il est descendu à 24 % en 2019. En Europe, il est passé de 32 % en 2000 à 21,9 % en 2018. 

Pour l’éviter, certains économistes proposent d’instaurer de manière coordonné entre pays un taux d’imposition minimum sur les bénéfices des multinationales (souvent appelé « impôt Zucman » en France après les travaux de l’économiste Gabriel Zucman). 

En 2022, les firmes du monde entier ont réalisé 16 000 milliards de profits, dont 2 800 Mds dans des entités situées en dehors de leur territoire d’origine. Parmi ces dernières, 1 000 Mds de bénéfices ont été enregistrés dans des paradis fiscaux. Ce transfert de bénéfices entre pays entraînent chaque année une perte de recettes de 100 à 240 milliards d’USD pour les pays concernés, soit 4 à 10 % des recettes mondiales de l’impôt sur les sociétés. 

Entre 2017 et 2020, le taux effectif médian d’imposition des multinationales est de 16,4 % et 48,8 % de tous les profits est taxé à moins de 15 %. Plus d’un tiers des bénéfices totaux sont soumis à des taux inférieurs à 15 %. Il y a 35 pays dans lesquels le taux d’imposition médian est inférieur à 5 % et une quarantaine de paradis fiscaux, des pays comme l’Irlande, le Luxembourg, et Monaco où le taux médian est de 1,6 %. Les profits des multinationales sont donc en général moins taxés que les autre entreprises (le taux normal d’impôt sur les sociétés en France est passé de 33 % à 25 % en 2022).  

Depuis le 1er janvier 2024, un taux minimum d’imposition de 15 % est en vigueur dans 27 pays de l’Union Européenne (l’accord a été ratifié par 140 pays). Elle concerne les entreprises installées dans l’UE réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros par an. Les sociétés dont le taux d’imposition est inférieur à 15 % devront payer un impôt complémentaire à l’impôt sur les sociétés. Par exemple, une entreprise française qui délocalise son siège social en Irlande pour y enregistrer ses profits taxés à 5 % devra s’acquitter d’une taxe supplémentaire de 10 %. Cela évite le dumping fiscal : l’Irlande n’a aucun intérêt à ne pas appliquer le taux minimal car, dans ce cas, les profits seront taxés, non pas en Irlande, mais en France. 

La loi de finances pour l’année 2024 transpose au niveau national ce dispositif, qui concernera les entreprises multinationales implantées en France à partir de 2026. L’analyse macroéconomique du programme estime les recettes à 26 milliards d’euros. 

Sources : deux articles de présentation générale, 1 et 2 ; un article sur les impôts véritablement payés par les multinationales ; pour découvrir les travaux de Gabriel Zucman ; mise en place de la taxe européenne ; le Global Tax Evasion Report 2024 (avec une synthèse d’Alternatives Économiques)

« Relancer la création d’emplois aidés » 

Un « contrat aidé » permet à l’employeur de bénéficier d’aides pour diminuer le coût de l’embauche d’une personne rencontrant des difficultés particulières pour accéder à l’emploi (jeunes, séniors, personnes en situation de handicap, demandeurs d’emploi de longue durée). Le premier dispositif de contrats aidés date de 1984 (les « travaux d’utilité collective ») qui avait pour objectif de lutter contre la montée du chômage des jeunes. Les aides peuvent durer jusqu’à 24 mois et prennent la forme de subventions à l’embauche, d’exonérations de certaines cotisations sociales, et d’aides à la formation (les emplois aidés sont pris en charge à hauteur de 46-57 % du Smic horaire). 

Petit rappel sur la situation de l’emploi en France. Début 2024, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail s’établit à 7,5 % de la population active en France, soit 2,3 millions de personnes. 75 % des chômeurs le sont depuis au moins 1 an, 59 % depuis moins de 6 mois, et 25 % depuis plus d’un an, les chômeurs dits « de longue durée ». Les jeunes sont particulièrement touchés par le chômage : 16,7 % pour les 15-24 ans. 

Il existe plusieurs catégories d’emplois aidés que l’on peut diviser en deux grandes familles : les « contrats uniques d’insertion » (CUI-CIE) dans le secteur marchand et les « parcours emploi compétence » (PEC) dans le secteur non marchand. En 2022, 60 % des 127 500 nouveaux contrat aidés se trouvaient dans le secteur non marchand et 40 % dans le secteur marchand. Un bénéficiaire sur deux est âgé de moins de 26 ans. Les secteurs de l’hébergement et de la restauration, ainsi que celui du commerce et de la réparation automobile représentent 50 % des nouveaux contrats en 2022.  

Alors que le nombre d’entrées en contrat aidé oscillait autour de 400 000 entre 2011 et 2016, ils sont redescendus vers 150 000 entre 2018 et 2022. On comprend ici l’idée derrière cette mesure du NFP : inverser cette tendance baissière pour relancer la création d’emplois aidés.  

Pour la direction générale de l’emploi DGEFP), « les contrats aidés sont un des outils les plus efficaces pour diminuer à court terme le chômage ». La facture globale des contrats aidées en 2017 s’élevait à 2,4 milliards, une somme que l’on doit comparer aux autres politiques de l’emploi (36 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales et 22,7 milliards pour le crédit d’impôt compétitivité emploi). Le coût d’un emploi aidé s’élève à 11 000 € par an et par jeune (c’est 9 500 € pour un PEC et 7 000 € pour un CUI-CIE), alors que le coût d’un emploi créé à travers le Cice est estimé entre 286 000 et 570 000 €. Dit autrement, les emplois aidés sont un dispositif de création d’emplois entre 26 et 51 fois moins cher que le Cice.  

Sources : le chômage en France ; rapport de la Dares sur les emplois aidés ; article de synthèse d’Alternatives Économiques ; sur la situation de l’emploi en général 

« Taxer les plus riches au niveau européen » 

Cette mesure du NFP reprend la proposition de l’initiative citoyenne « Tax the rich » lancée en octobre 2023. Celle-ci propose l’introduction d’une « taxe sur la richesse excessive » (excess wealth tax), un impôt européen sur les grandes fortunes dont les recettes seraient destinées à la lutte contre le changement climatique et la réduction des inégalités. 

Le design de la taxe est inspiré de la « Impuesto Temporal de Solidaridad de las Grandes Fortunes », une mesure temporaire instaurée en Espagne par le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez en 2023. L’impôt espagnol s’échelonne en trois tranches : 1,7 % à partir de 3 millions d’euros de patrimoine, 2,1 % après € 5 millions, et 3,5 % au-delà de € 10 millions. Pour pouvoir l’adapter à différents pays, la nouvelle mesure fixe ses tranches sur des seuils de richesse relative (1,7 % pour le top 0,5 %, 2,1 % pour le top 0,1 %, et 3,5 % pour le top 0,05 %). En France, par exemple, cela donnerait trois seuils : 3,6 millions, 8,9 millions, et 14,7 millions d’euros.  

Pour contextualiser, les 0,5 % les plus riches possèdent actuellement 19,7 % de toutes les richesses à l’échelle de l’Union Européenne, soit près de six fois plus que la richesse cumulée de la moitié de la population la plus pauvre. En France, les 10 % les plus riches (les 3 millions de ménages qui possèdent plus de 700 000 € de patrimoine) détiennent 47 % du patrimoine total, soit un peu près la même richesse cumulée que les 90 % restant de la population. La moitié la plus pauvre des ménages (ceux qui possèdent moins de 177 000 € de patrimoine) ne détient que 7,5 % du patrimoine total. 

À l’échelle de l’Europe, cette taxe pourrait récolter 213 milliards d’euros, l’équivalent de 1,35 % du PIB Européen ou environ 1 083 € par foyer. À l’échelle de la France, elle rapporterait entre 45 et 48 milliards d’euros, environ 1,75 % du PIB français, soit 1 652 € par ménage. Les recettes de cette taxe représenteraient 14 % des recettes fiscales nettes du budget de l’État français. À elle toute seule, elle permettrait de financer un quart des 182 milliards d’euros par an nécessaire pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. 

Est-ce que cette taxe va véritablement peser sur la richesse des grandes fortunes ? Pas vraiment. La fortune des 5 % des individus les plus riches a augmenté de 35 % cette dernière décennie. Vu que le barème d’imposition (de 1,7 % à 3,5 %) est bien en dessous du taux de croissance de leur capital, cette taxe ne ferait que ralentir leur enrichissement. Cette taxe ne concernerait d’ailleurs qu’une infime partie de leur fortune, seulement la partie excessive qui dépasse les 3,6 millions d’euros. Rappelons que le seuil de richesse en France est fixé à 500 000 € et qu’il faut posséder plus de 2,2 millions d’euros pour rentrer dans le club des 1 % les plus riches, ce qui ne concerne que 300 000 ménages. 

Sources : L’initiative citoyenne “Tax The Rich” ; le rapport du groupe des Verts/ALE, « Tax the Rich : from slogan to reality » ; sur les inégalités économiques en France ; estimation des coûts d’investissement pour la lutte contre le changement climatique 

08.04.2024 à 12:38

Réponse à Hadrien Klent : Paresse et décroissance

tparrique

Cette réponse n’a pas le format habituel car c’est un dialogue. Le mois dernier, Hadrien Klent, l’auteur de Paresse pour tous (2021) et de La Vie est à nous (2023), m’a contacté avec une proposition sauvage : que l’on écrive un dialogue à deux, se répondant l’un l’autre un paragraphe à la fois. Étant un grand fan des ouvrages d’Hadrien, ce […]
Texte intégral (4440 mots)

Cette réponse n’a pas le format habituel car c’est un dialogue. Le mois dernier, Hadrien Klent, l’auteur de Paresse pour tous (2021) et de La Vie est à nous (2023), m’a contacté avec une proposition sauvage : que l’on écrive un dialogue à deux, se répondant l’un l’autre un paragraphe à la fois. Étant un grand fan des ouvrages d’Hadrien, ce fut un réel plaisir de philosopher autour de nos deux concepts respectifs, la décroissance et la paresse. Je reproduis ici, avec l’autorisation de l’auteur, notre discussion dans son intégralité sans aucune modifications.  

***

Hadrien Klent – Cher Timothée Parrique, on ne se connaît pas, on ne s’est jamais rencontrés, mais malgré tout (magie de la circulation des idées !) on s’est croisés sous forme papier. J’ai découvert, au moment où vous sortiez Ralentir ou périr (Le Seuil, 2022), que vous citiez Paresse pour tous (Le Tripode, 2021), notamment dans une interview sur les fictions aidant à penser la décroissance. Vous vous amusiez de mon personnage principal, Émilien Long : « il ressuscite le terme le moins glorieux de la politique française après “décroissance” : “paresse” ». C’était drôle pour moi, parce que j’étais justement en train de finir d’écrire la suite, La Vie est à nous(Le Tripode, 2023), où j’avais imaginé qu’une fois au pouvoir, Émilien Long et son équipe remplaçaient le terme « paresse » par le mot « coliberté »… Mais, bref, j’ai donc lu votre livre et, évidemment, c’était assez troublant pour moi de voir en miroir de mes romans, dans le réel, un véritable économiste écrivant un véritable manifeste, non pas pour le droit à la paresse, mais pour sa variante un peu plus large, celle d’une décroissance générale. J’avais fait plein de rencontres dans les librairies avec des gens qui me disaient, « ah si seulement Emilien Long existait…. », et, hop, vous êtes arrivé ! Malheureusement, vous n’avez pas encore eu de prix Nobel, mais ça ne saurait tarder, n’est-ce-pas ? Blague à part, c’est pour toutes ces raisons que je vous ai proposé d’entamer un dialogue par voie électronique. Et ma première question va poser sur un point de vocabulaire : a-t-on raison de tenter de réhabiliter des mots qui sont, comme vous le dites, non glorieux (paresse, donc, et décroissance), ou au contraire est-ce qu’on ne devrait pas chercher une autre façon d’exprimer la même chose ? Dans votre livre, vous revenez en détail sur l’histoire du mot « décroissance » – de mon côté, mes personnages essaient de dépasser ce terme, parce qu’il est uniquement construit en négatif de la croissance. Est-ce que bien nommer les choses n’est pas la première chose à faire pour réussir à changer le monde ? Et comment arriver à rendre joyeuse une vision du monde qui tourne le dos au productivisme, au consumérisme, à la marchandisation ?

Timothée Parrique – Je me souviens parfaitement de ma première lecture de Paresse pour tous. C’était allongé dans mon jardin à Anglet au printemps 2022. Après des mois difficiles à essayer d’adapter ma thèse de doctorat The political economy of degrowth en livre, j’étais d’une humeur morose et j’ai fait ce que je fais rarement : j’ai ouvert un roman. Et quel roman ! J’ai trouvé dans Paresse pour tous toute l’énergie dont j’avais besoin pour finir Ralentir ou périr, et pour cela je vous dois un grand merci. 

La force du mot « décroissance » est qu’il problématise notre obsession vis-à-vis de la croissance. C’est un concept douche froide pour se pillule-rouger de l’illusion confortable qu’il est possible de produire plus tout en polluant moins. Pour donner envie d’inventer des futurs, il est nécessaire d’illuminer la misère du présent, d’où l’importance de mots de démolition comme postcapitalismeanti-utilitarianismeantiproductivismedémarchandisation, etc. Le productivisme saccage nos écosystèmes et nos conditions de travail ; le consumérisme dévore nos heures et nous empli d’anxiété, et la marchandisation dépossède le peuple de son pouvoir de vivre afin d’enrichir une poignée de déjà-riches. Productivité, consommation, profits, croissance – des diktats économicistes qui étouffent notre imaginaire

Ceci dit, il faut considérer la décroissance comme un mot à usage unique. Rien de sert de parler « d’antiesclavagisme » une fois l’esclavage aboli. La décroissance perdra de son mordant dès quand nous réaliserons l’absurdité de cette course sans fin à l’accroissement des euros. Il faudra alors mobiliser des mots de reconstruction pour façonner le monde d’après. Il en existe déjà beaucoup. Des philosophies de consommation comme l’hédonisme alternatif, la sobriété heureuse, l’abondance frugale, ou le minimalisme ; des modes d’organisations comme l’éco-socialisme, le municipalisme, le cosmolocalisme, ou l’économie sociale et solidaire ; et des modes d’existence comme la résonance, le convivialisme, le buen vivir, ou bien le post-développement. La coliberté est une belle addition à cette palette sémantique ! 

Hadrien Klent – Oui, il y a une large palette de mots, c’est vrai – est-ce que l’un d’entre eux devrait l’emporter sur tous les autres pour tuer le match sémantique ? Je me pose souvent la question, avec en prime cette interrogation que je vous soumets au passage : doit-on se garder d’utiliser les armes de l’ennemi ? En l’occurrence, dans nos sociétés modernes où tout est « narratif », « récit », slogan, formule (le politique utilisant ad nauseam les armes de la publicité pour s’exprimer – au passage, j’ai noté que vous revenez souvent dans votre livre sur les méfaits du discours publicitaire, et j’ai trouvé ça super : il y a tellement de choses qui ne vont pas dans notre monde qu’on a tendance à délaisser certains problèmes, or celui de la publicité, vous avez complètement raison, est crucial), est-ce qu’on ne tombe pas dans le même travers en cherchant à dire les choses de façon efficace, punchy, immédiate ? Même doute à propos de la question du succès de nos livres respectifs : nos éditeurs se sont publiquement réjouis du fait qu’ils s’étaient vendus à quelques dizaines de milliers d’exemplaires – de très bons chiffres, dans le monde de l’édition contemporaine. Mais dire cela, n’est-ce-pas jouer le jeu de l’ennemi, c’est-à-dire participer à cette marchandisation que nous impose le système dans lequel on vit ? N’est-ce-pas mesurer la réussite d’un propos au volume de sa diffusion ? Vous avez des pages très intéressantes sur cette logique de marchandisation qui nous enferme parfois dans des comportements qu’on voudrait réprouver. Est-ce qu’on ne devrait pas dire, plutôt que « vendu à 40.000 exemplaires » : « aimé par un.e.tel.le » – en considérant qu’une seule personne, pas nécessairement célèbre, qui trouve de l’intérêt à un livre vaut plus que des milliers qui l’achèteraient simplement parce qu’il est à la mode ? Comment s’exprimer sans se transformer en publicitaire de la décroissance ? Comment trouver une juste place dans le bla-bla médiatique actuel ? Comment évoluer dans ce monde capitaliste et spectaculaire (au sens de Guy Debord) qui n’aime rien tant que transformer ses contempteurs en succès commerciaux pour les obliger à se soumettre à sa logique ? 

Timothée Parrique – Nul besoin de concept suprême. Je les considère plutôt comme différents éléments d’une même boîte à outils sémantiques que l’on pourra mobiliser dans différents contextes. Quand les journalistes me demandent pourquoi j’utilise un terme aussi repoussoir que la « décroissance », j’aime leur répondre que je ne suis pas là pour vendre des concepts. Ma responsabilité en tant que chercheur est de faire preuve de rigueur intellectuelle, c’est-à-dire d’être clair, exact, et précis dans le développement de mes théories, tout en étant honnête sur ce que l’on sait et ce que l’on ne sait pas – ce n’est pas facile du tout. J’ai un devoir de pédagogie dans l’écriture et un devoir de présence pour faire face aux questions du public. Niveau précision, vu que la croissance est une augmentation de la production et de la consommation, je trouverais ça bizarre d’appeler son contraire autre chose que la décroissance. Croissance, on produit et consomme plus ; décroissance, on produit et consomme moins. Ce n’est peut-être pas très sexy, mais cela a le mérite d’être clair.

Ce qui me dérange, ce n’est pas tant le discours publicitaire comme style de communication mais l’existence même de la publicité. Je trouve ça absurde d’avoir des affiches sur des bus, des placements produits dans les films, et des spots à la radio pour faire la promotion de quoi que ce soit, et je trouve ça insultant que des entreprises puissent mobiliser autant de temps de cerveau disponible pour vendre des chips et des 4×4. Mais je trouverais ça déplacé même s’ils faisaient la promotion de mon propre livre. D’ailleurs, je suis d’accord, il faut faire attention au fétichisme des quantités mais certains chiffres sont tout de même importants. Le nombre de citations distingue les articles scientifiques les plus utiles à la communauté, et de la même manière, le nombre de lectures d’un livre (difficile à estimer car pas parfaitement corrélé au nombre de ventes) nous informe sur la valeur d’usage d’un ouvrage. Un livre est écrit pour être lu (valeur d’usage), non pas pour être vendu (valeur d’échange). Il n’y a rien de mal à maximiser le nombre de lectures utiles, mais on devrait se protéger contre la mentalité commerciale illimitiste qui nous pousserait à vouloir vendre toujours plus de copies.

Le monde des médias est difficile à naviguer. On y trouve de tout. Il y a des émissions touchepasàmonpostiennes qui carburent à la punchline, où l’on doit résumer l’idée d’un livre en 10 secondes tout en essuyant des salves de questions débiles – celles-ci sont à éviter. Mais il y a aussi des médias de qualité qui laissent respirer les idées. Si l’on veut entretenir un débat citoyen sur la question de la transition écologique, nous avons besoin de médias indépendants pour s’informer et réfléchir ensemble. Et nous avons aussi besoin que les scientifiques, les artistes, les politiques, etc. se rendent disponibles (ce qui n’est pas aisé pour tout le monde car c’est un travail non-rémunéré). Et oui, je suis d’accord, il faudra beaucoup plus que de simples livres ; j’aime personnellement lire et écrire mais je comprends bien que ce n’est pas le cas de tout le monde. Pour inviter à une réflexion véritablement inclusive, c’est mieux d’être agile sur la forme que prenne nos idées ; une belle théorie doit pouvoir se lire, se regarder, s’écouter, elle doit pouvoir évoluer de manière autonome, portée par celles qui l’utilisent, souvent indépendamment de bon vouloir de son autrice. J’y pensais d’ailleurs en lisant Paresse pour tous, aimeriez-vous qu’il soit adapté en film ou en série ? Diriez-vous non à une série Netflix gros budget à la Black Mirror mais en version utopie post-capitaliste ? 

Hadrien Klent – Avec le Tripode, on a eu plusieurs propositions pour une adaptation en série de Paresse. Je vous avoue que j’ai pas mal hésité à accepter de céder les droits du livre – je craignais que le « spectacle » ne l’emporte sur le propos. Bien sûr que moi aussi, lorsque j’écris mes romans, je me plie à une certaine mécanique narrative, à des effets de tension et de suspens. Mais je reste maître de l’accord entre le fond et la forme – dans une série, il y a le risque que la forme l’emporte sur le fond, que cliffhangers et autre B-plotprennent plus de place que les contempteurs du « Dieu travail », comme disait Paul Lafargue. D’autant que signer avec une boîte de production ne donne aucun contrôle sur le canal de diffusion finale de la série, qui pourrait bien se retrouver dans les tuyaux d’une des plus grosses multinationale du web : or, comme mon personnage de Marguerite (l’informaticienne qui devient ensuite ministre du numérique), je me méfie particulièrement des Gafam (je note au passage, cher Timothée, que vous avez une adresse gmail : Marguerite vous aurait déjà obligé à aller faire un tour sur framalibre.org pour vous dégoogliser !). Cela étant, mon éditeur m’a convaincu d’accepter avec l’argument suivant : le propos (le projet) de Paresse pour tous est tellement radical que, même édulcoré, il restera transgressif. Alors j’ai dit oui, convaincu aussi par l’approche de la productrice, et en demandant seulement à garder la possibilité de retirer mon nom et le titre du livre si le projet ne me convenait pas. On verra à quoi tout aboutit (si cela aboutit !). Je crois, comme vous, qu’il faut participer, comme le dit Serge Latouche, à la « décolonisation de l’imaginaire de la croissance ». Et (voilà une transition un peu lourdaude qu’une série ne tolérerait jamais !), vous aurez justement noté que dans La Vie est à nous(après l’euphorie d’une campagne électorale, je tenais beaucoup à montrer des responsables politiques ne trahissant pas leurs promesses), j’évoque la thématique de la juste mesure des choses, avec la mise en place du calcul de la croissance dite « nette », c’est-à-dire qui prenne en compte l’ensemble des facteurs (l’environnement, la santé, le bien-être, etc.) et pas seulement le PIB. Je m’inspirais entre autres de Dominique Méda (que vous citez également), et de son article sur cette « cause inaboutie », celle de la remise en question du PIB. Est-ce que maintenant, en 2024, il ne faudrait pas qu’à plusieurs, économistes, sociologues (et pourquoi pas aussi avec nous, écrivains), vous vous mettiez ensemble pour bâtir ces nouveaux indicateurs qui permettraient une bonne fois pour toutes de se passer du PIB ? Est-ce qu’il ne faudrait pas construire un outil fiable, rigoureux, en opensource évidemment, partagé, qui serait une formidable arme politique permettant de clouer le bec de ceux qui disent par exemple que l’agriculture conventionnelle est moins chère que le bio (alors qu’en détruisant les insectes et la santé des humains, elle est en fait beaucoup plus coûteuse) ? Là il y a besoin d’un concept suprême, non ?

Timothée Parrique – Ouch, touché pour l’adresse gmail. Je suis d’accord, dégooglisons ! 

Oui, bien sûr qu’il va nous falloir d’autres mesures, mais nous les avons déjà ! Il existe plusieurs façons d’estimer la « croissance nette », dont l’Indice de Bien-Être Économique Soutenable (ISEW) et l’Indicateur de Progrès Authentique (GPI). Le premier a été élaboré en 1972 et le second au milieu des années 1990. En 2019, la Nouvelle Zélande a introduit les budgets bien-être (65 indicateurs). Le Pays de Galles utilise 46 indicateurs pour mesurer le bien-être des générations futures depuis 2015 et le Bhutan calcule depuis 2008 son bonheur national brut à partir de 33 indicateurs sociaux, culturels, économiques, et écologiques. Les cadres de comptabilité alternative sont là mais rien ne change niveau décisions car les indicateurs financiers restent hégémoniques. Le PIB est un peu comme l’Anneau Unique dans Le Hobbit, une force totalitaire qui impose partout sa vision économiciste du monde, la maximisation monétaire comme raison d’être suprême de l’organisation sociale. C’est pour ça que j’aime bien parler de saboter le PIB ; il faudrait tout simplement arrêter de le calculer et brûler la recette. 

Attention cependant à ne pas limiter nos rêves à des histoires de comptabilité. Comme je l’écris dans le livre, « nous sommes à bord d’un bus fonçant à pleine vitesse et de plus en plus vite vers une falaise et nous acclamons chaque kilomètre-heure en plus comme du progrès ». Les activistes demandent un freinage immédiat de notre bus économique pour éviter l’accident et la seule chose que leur proposent ceux au pouvoir, c’est l’ajout d’un indicateur supplémentaire sur le tableau de bord du véhicule. C’est grandement insuffisant. Les transitions par l’addition n’ont pas fonctionné. Au lieu d’innovation, il nous faut maintenant essayer l’exnovation, c’est-à-dire une transition par la soustraction. Il va falloir nettoyer toutes les traces qu’ont laissé le malware capitaliste dans nos sociétés et nos imaginaires. L’entreprise à but lucratif, la publicité, les écoles de commerce, les intérêts composés, la bourse, les paradis fiscaux, et toutes ces autres institutions capitalocentrées. Il va nous falloir arracher ces mauvaises herbes économiques pour donner de l’espace aux coopératives, aux monnaies alternatives, à la sobriété heureuse, aux écovillages, aux conventions citoyennes, et à toutes ces belles choses qui ne pourront jamais prospérer dans l’ombre d’un capitalisme étouffant.

Hadrien Klent – Oui, je comprends ce que vous voulez dire : la solution est finalement plus directement politique. Cette solution, elle se joue sur deux niveaux : changer soi-même, et changer les règles du jeu de la société. Or, pour le changement individuel, vous rappelez que « faire preuve de simplicité volontaire dans une économie organisée autour de la croissance » est difficile : il faut une grande radicalité personnelle pour s’obliger à renoncer spontanément à certaines choses (un niveau de confort, de rapidité, etc., auquel on est habitué : certains refuseront de prendre l’avion pour faire Lund-Paris mais pas d’avoir un compte gmail ; d’autres seront sur Linux mais ne se passeront pas de voiture, et ainsi de suite…). Dans votre livre, vous êtes très concret sur des mesures permettant d’obliger les comportements individuels à évoluer, et celles qu’il faut prendre pour modifier les politiques publiques (et leur financement). Je ne vous cache pas que ça m’aurait été très utile pour écrire Paresse puis La Vie : Émilien aurait pu piocher là-dedans plutôt que de réinventer la roue tout seul ! Cela étant, la question politique, pour un changement global, reste posée. Dans mes romans, il y a une sorte de Deus ex-machina qui arrive dès le début de l’histoire : un type désintéressé, sans le moindre ego, capable de s’entourer de gens super, et qui parvient à aller au bout d’une aventure présidentielle – c’est ce qui touche les gens qui lisent ces livres, je pense, cette idée que pour une fois dans l’univers politique les gentils gagnent à la fin. Dans la vraie vie (si l’on met de côté un surgissement révolutionnaire spontané qui parviendrait à imposer des règles à la fois libérales d’un point de vue sociétal et dirigistes d’un point de vue économique, surgissement qui ne semble pas être le plus probable), comment peut-on « révolutionner l’économie », comme vous le dites ? Si l’on présuppose qu’il faut respecter les règles de la Ve république et donc avoir un.e candidat.e à la présidentielle, comment faire émerger une voix qui à la fois porterait cette vision de la post-croissance et qui en même temps irait loin ? Vous rappelez que Delphine Batho, aux primaires EELV en 2021, était la seule candidate à défendre la décroissance, et qu’elle a fini troisième, avec 22 % des voix… La notion n’a plus du tout été évoquée ensuite, pendant la campagne. J’ai le sentiment qu’il est temps que dans le champ politique on arrive à réenchanter la notion de décroissance, comme je le fais dans mes romans et vous dans votre essai : rendre joyeuse l’idée que « mieux » doit l’emporter sur « plus ». Alors, cette voix, comment la faire exister ? Pourrait-on imaginer une sorte de grand mouvement populaire, au-delà des partis existants, qui réunirait des gens venant de tous les horizons et dont aucun ne serait encore potentiellement candidat à quoi que ce soit ; que ce mouvement planche sur un programme détaillé qui puisse apparaître à la fois comme efficace et optimiste ; et que, au tout dernier moment, on sorte du chapeau (par tirage au sort ?) une personne qui porte officiellement la candidature sur les bulletins de vote ? Je ne vois pas, là, maintenant, d’autre solution – c’est en tout cas la réponse que j’aime donner quand on me demande comment faire pour que la prophétie de Paresse pour touss’accomplisse. Et vous ?

Timothée Parrique – Je n’ai pas de solution clé en main pour la transition. D’abord, c’est une question qui dépasse de loin les maigres compétences socio-politologiques de l’économiste que je suis. Mon travail vise à mieux comprendre les options que nous avons, à la fois en termes d’économies alternatives (les destinations) et d’outils de transition (les trajets possibles). C’est un projet scientifique plus que politique ; une mission de théorisation et de vulgarisation. Ça, je sais faire. Mais mes limites sont vite atteintes sur la question très concrète du comment construire un consensus citoyen autour de ces idées, c’est-à-dire comment donner envie aux gens d’y aller. Cequi est sûr, c’est que ce défi est « politique » dans un sens beaucoup plus général que celui de la politique électorale, et va demander une mobilisation citoyenne qui ne sera pas facile. Il va falloir prendre des décisions sur des sujets où des intérêts s’opposent. Comparé aux faux espoirs de la croissance verte, on ne peut pas tous avoir plus dans une transition de décroissance. Certains auront plus, d’autres moins ; il s’agit maintenant de déterminer qui exactement, ainsi que la proportion de ces magnitudes. Cette discussion s’annonce houleuse. 

J’ai du mal à imaginer l’émergence, dans les années qui viennent, d’un grand mouvement populaire qui fasse basculer une élection présidentielle (#ÉmilienLong). Et même si cela advenait, cela ne serait qu’une première étape dans un processus plus général de démocratisation de l’économie. L’échelle nationale est bien trop grande pour permettre une démocratie véritablement participative. Le gros de la transition devra plutôt se jouer à l’échelle des territoires. C’est l’échelle de la vie quotidienne où l’on peut concrètement discuter avec les gens que l’on connait d’expériences communes concernant le logement, l’alimentation, les inégalités, notre relation à la nature, etc. Il va donc falloir muscler ce rez-de-chaussée de la démocratie : comités de quartiers, groupes de voisins, communs, commissions régionales d’éthique, monnaies locales, cercles de parole, associations, coopératives, guildes, parlements de ressources, etc. Toutes les institutions à même d’améliorer notre capacité à décider ensemble sont bonnes à prendre. Cela veut aussi dire que les communautés feront transition différemment. Les renoncements d’une petite ville touristique de montagne ou d’un territoire côtier ne seront pas les mêmes qu’une ancienne cité industrielle ou bien qu’une commune rurale. C’est une bonne chose car je ne pense pas qu’il existe une recette unique pour vivre-ensemble de manière soutenable et conviviale.

Le défi sera ensuite de coordonner ces différents agendas. La démocratie locale sera le cerveau et l’administration centrale, le muscle. Comme le ferait un chef d’orchestre, les autorités publiques synchroniseront la musique émanant d’une diversité d’instruments autonomes. On retrouve ici l’articulation entre démocratie représentative et démocratie participative de penseurs anarchistes comme Murray Bookchin dans son « municipalisme libertaire » ou Joseph Cornelius Kumarappa et son « économie de la permanence ». D’ailleurs, en parlant d’utopies, je vous laisse avec une dernière question : quels autres romans est-ce que vous recommanderiez pour rêver l’après capitalisme ? (Personnellement, j’ai adoré Yanis Varoufakis’s Another now, Emmanuel Dockès Voyage en misarchie, et Ursula Le Guin’s The dispossed.)

Hadrien Klent – Je vais vous faire une confidence : je n’ai jamais lu, autrement que sous forme de minuscules extraits, L’Utopie de Thomas More. Or c’est bel et bien, dans l’histoire littéraire, la toute première fiction utopique (c’est le récit du voyage d’un dénomé Raphaël qui a découvert l’île d’Utopie), puisque c’est à cette occasion (en 1516) que More a inventé le mot. J’ai donc le projet de la lire enfin en entier. Il faut toujours retourner aux origines… 

6 / 10
 Persos A à L
Mona CHOLLET
Anna COLIN-LEBEDEV
Julien DEVAUREIX
Cory DOCTOROW
EDUC.POP.FR
Marc ENDEWELD
Michel GOYA
Hubert GUILLAUD
Gérard FILOCHE
Alain GRANDJEAN
Hacking-Social
Samuel HAYAT
Dana HILLIOT
François HOUSTE
Tagrawla INEQQIQI
Infiltrés (les)
Clément JEANNEAU
Paul JORION
Michel LEPESANT
Frédéric LORDON
Blogs persos du Diplo
LePartisan.info
 
 Persos M à Z
Henri MALER
Christophe MASUTTI
Romain MIELCAREK
Richard MONVOISIN
Corinne MOREL-DARLEUX
Timothée PARRIQUE
Thomas PIKETTY
PLOUM
VisionsCarto
Yannis YOULOUNTAS
Michaël ZEMMOUR
 
  Numérique
Christophe DESCHAMPS
Louis DERRAC
Olivier ERTZSCHEID
Olivier EZRATY
Framablog
Francis PISANI
Pixel de Tracking
Irénée RÉGNAULD
Nicolas VIVANT
 
  Collectifs
Arguments
Bondy Blog
Dérivation
Dissidences
Mr Mondialisation
Palim Psao
Paris-Luttes.info
ROJAVA Info
 
  Créatifs / Art / Fiction
Nicole ESTEROLLE
Julien HERVIEUX
Alessandro PIGNOCCHI
XKCD
🌓