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🖋 Lionel Dricot
Développeur, cycliste et auteur de nouvelles.

PLOUM.net


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16.05.2025 à 02:00

Petit manifeste low-tech

Ploum

Texte intégral (1730 mots)

Petit manifeste low-tech

Ce samedi 17 mai, je pédalerai vers Massy en compagnie de Tristan Nitot pour parler "low-tech" et dédicacer Bikepunk lors du festival Parlons Vélo.

Attention, ce qui va suivre divulgâche une partie de ce que je dirai samedi midi à Massy. Si vous venez, arrêtez de lire ici, on se retrouve demain !

Qu’est-ce que la low-tech ?

Le terme low-tech nous fait intuitivement sentir une opposition contre l’excès technologique (le "high tech") tout en évitant l’extrémisme technophobique. Un terme qui enthousiasme, mais qu’il me semble important d’expliciter et dont je propose la définition suivante.

Une technologie est dite « low-tech » si les personnes interagissant avec cette technologie savent et peuvent en comprendre son fonctionnement.

Savoir comprendre. Pouvoir comprendre. Deux éléments essentiels (et difficiles à distinguer pour le Belge que je suis).

Savoir comprendre

Savoir comprendre une technologie implique d’avoir la possibilité de construire un modèle intellectuel de son fonctionnement interne.

Il est bien évident que tout le monde n’a pas la capacité de comprendre toutes les technologies. Mais il est possible de procéder par niveau. La majorité des automobilistes sait qu’une voiture à essence brûle le carburant qui explose dans un moteur, explosion qui entraine des pistons qui font tourner les roues. Le nom est un indice en soi : un moteur à explosion !

Si je n’en comprends pas plus sur le fonctionnement d’un moteur, j’ai la certitude qu’il existe des personnes qui comprennent mieux, souvent dans mon entourage direct. Au plus la compréhension est fine, au plus les personnes deviennent rares, mais chacun peut tenter de s’améliorer.

La technologie est simple sans être simpliste. Cela signifie que sa complexité peut être appréhendée graduellement. Et qu’il existe des experts qui appréhendent une technologie particulière dans sa globalité.

Par opposition, il est aujourd’hui humainement impossible de comprendre un smartphone moderne. Seuls quelques expert·e·s dans le monde maitrisent chacun·e un point particulier de l’objet : du dessin de l’antenne 5G au logiciel retouchant automatiquement les photos en passant par le chargement rapide de la batterie. Et aucun d’entre eux ne maitrise la conception d’un compilateur nécessaire à faire tourner le tout. Même un génie passant sa vie à démonter des smartphones serait dans l’incapacité totale de comprendre ce qui se passe à l’intérieur d’un engin que nous avons tous en permanence soit dans une poche, soit devant notre nez !

L’immense majorité des utilisateurs de smartphones n’ont pas le moindre modèle mental de son fonctionnement. Je ne parle pas d’un modèle erroné ou simpliste : non, il n’y en a pas du tout. L’objet est « magique ». Pourquoi affiche-t-il quelque chose plutôt qu’un autre ? Parce que c’est « magique ». Et comme pour la magie, il ne faut pas chercher à comprendre.

La low-tech peut être extrêmement complexe, mais l’existence même de cette complexité doit être compréhensible et justifiée. Une complexité transparente encourage naturellement les esprits curieux à se poser des questions.

Le temps de comprendre

Comprendre une technologie prend du temps. Cela implique une relation longue, une expérience qui se crée tout au long d’une vie, qui se partage, qui se transmet.

Par opposition, la high-tech impose un renouvellement, une mise à jour constante, des changements d’interface et de fonctionnalité permanents qui renforcent l’aspect « magique » et entraine le découragement de celleux qui tentent de se construire un modèle mental.

La low-tech doit donc nécessairement être durable. Pérenne. Elle doit s’enseigner et permettre une construction progressive de cet enseignement.

Cela implique parfois des efforts, des difficultés. Tout ne peut pas toujours être progressif : à un moment, il faut se lancer sur son vélo pour apprendre à garder l’équilibre.

Pouvoir comprendre

Historiquement, il semble évident que toute technologie a la possibilité d’être comprise. Les personnes interagissant avec la technologie étaient forcées de réparer, d’adapter et donc de comprendre. Une technologie était essentiellement matérielle, ce qui implique qu’elle pouvait être démontée.

Avec le logiciel apparait un nouveau concept : celui de cacher le fonctionnement. Et si, historiquement, tout logiciel est open source, l’invention du logiciel propriétaire rend difficile, voire impossible, de comprendre une technologie.

Le logiciel propriétaire n’a pu être inventé que grâce à la création d’un concept récent, au demeurant absurde, appelé « propriété intellectuelle ».

Cette propriété intellectuelle ayant permis la privatisation de la connaissance dans le logiciel, elle est ensuite étendue au monde matériel. Soudainement, il devient possible d’interdire à une personne de tenter de comprendre la technologie qu’elle utilise au quotidien. Grâce à la propriété intellectuelle, des fermiers se voient soudain interdits d’ouvrir le capot de leur propre tracteur.

La low-tech doit être ouverte. Elle doit pouvoir être réparée, modifiée, améliorée et partagée.

De l’utilisateur au consommateur

Grâce à la complexification, aux changements incessants et à l’imposition d’un régime strict de « propriété intellectuelle », les utilisateurs ont été transformés en consommateurs.

Ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas une évolution inéluctable de la nature. Il s’agit d’un choix conscient. Toutes les écoles de commerce enseignent aux futurs entrepreneurs à se construire un marché captif, à priver autant que possible leur client de liberté, à construire ce qu’on appelle dans le jargon une "moat" (douve qui protège un château) afin d’augmenter la « rétention des utilisateurs ».

Les termes eux-mêmes deviennent flous pour renforcer ce sentiment de magie. On ne parle par exemple plus de transférer un fichier .jpg vers un ordinateur distant, mais de « sauvegarder ses souvenirs dans le cloud ».

Les marketeux nous ont fait croire qu’en supprimant les mots compliqués, ils simplifieraient la technologie. C’est évidemment le contraire. L’apparence de simplicité est une complexité supplémentaire qui emprisonne l’utilisateur. Toute technologie nécessite un apprentissage. Cet apprentissage doit être encouragé.

Pour une approche et une éthique low-tech

L’éthique low-tech consiste à se remettre au service de l’utilisateur en lui facilitant la compréhension de ses outils.

La high-tech n’est pas de la magie, c’est de la prestidigitation. Plutôt que de cacher les « trucs » sous des artifices, la low-tech cherche à montrer et à créer une utilisation en conscience de la technologie.

Cela n’implique pas nécessairement une simplification à outrance.

Prenons l’exemple d’une machine à laver le linge. Nous comprenons tous qu’une machine de base est un tambour qui tourne dans lequel est injecté de l’eau et du savon. C’est très simple et low-tech.

On pourrait arguer que l’ajout de capteurs et de contrôleurs électroniques permet de laver le linge plus efficacement et plus écologiquement en le pesant et adaptant la vitesse de rotation en fonction du type de linge.

Dans une optique low-tech, un boitier électronique est ajouté à la machine pour faire exactement cela. Si le boitier est retiré ou tombe en panne, la machine continue à fonctionner simplement. L’utilisateur peut choisir de débrancher le boitier ou de le remplacer. Il en comprend l’utilité et la justification. Il construit un modèle mental dans lequel le boitier ne fait qu’appuyer sur les boutons de réglage au bon moment. Et, surtout, il ne doit pas envoyer toute la machine à la casse parce que la puce wifi ne fonctionne plus et n’est plus mis à jour ce qui a bloqué le firmware (quoi ? Ma machine à laver dispose d’une puce wifi ?).

Pour une communauté low-tech

Une technologie low-tech encourage et donne l’occasion à l’utilisateur à la comprendre, à se l’approprier. Elle tente de rester stable dans le temps, se standardise. Elle ne cherche pas à cacher la complexité intrinsèque partant du principe que la simplicité provient de la transparence.

Cette compréhension, cette appropriation ne peut se faire que dans l’interaction. Une technologie low-tech va donc, par essence, favoriser la création de communautés et les échanges humains autour de cette même technologie.

Pour contribuer à l’humanité et aux communautés, une technologie low-tech se doit d’appartenir à tou·te·s, de faire partie des communs.

J’en arrive donc à cette définition, complémentaire et équivalente à la première :

Une technologie est dite « low-tech » si elle expose sa complexité de manière simple, ouverte, transparente et durable tout en appartenant aux communs.

Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !

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14.05.2025 à 02:00

Comment l’université tue le livre (et les intellectuels)

Ploum

Texte intégral (2482 mots)

Comment l’université tue le livre (et les intellectuels)

Il faut sauver la bibliothèque de Louvain-la-Neuve

Menacée d’expulsion par l’université, la bibliothèque publique de Louvain-la-Neuve risque de disparaître. Il est urgent de signer la pétition pour tenter de la sauver.

Mais ce n’est pas un événement isolé, ce n’est pas un accident. Il ne s’agit que d’une escarmouche dans la longue guerre que la ville, l’université et la société de consommation mènent contre les livres et, à travers eux, contre l’intellectualisme.

Le livre, outil indispensable de l’intellectuel

L’une des tâches que je demande chaque année à mes étudiants avant l’examen est de lire un livre. Si possible de fiction ou un essai, mais un livre non technique.

Au choix.

Bien sûr, je donne des idées en rapport avec mon cours. Notamment « Little Brother » de Cory Doctorow qui est facile à lire, prenant, et tout à fait dans le sujet. Mais les étudiants sont libres.

Chaque année, plusieurs étudiants me glissent lors de l’examen qu’ils n’avaient plus lu un livre depuis l’école secondaire, mais que, en fait, c’était vraiment chouette et que ça fait vraiment réfléchir. Que sans moi, ils auraient fait toutes leurs études d’ingénieur sans lire un seul livre autre que des manuels.

Les livres, qui forcent une lecture sur un temps long, qui forcent une immersion, sont l’outil indispensable de l’intellectuel et de l’humaniste. Il est impossible de réfléchir sans livre. Il est impossible de prendre du recul, de faire de nouveaux liens et d’innover sans être baigné dans la diversité d’époques, de lieux et d’expériences humaines que sont les livres. On peut surnager pendant des années dans un domaine voire devenir compétent sans lire. Mais la compréhension profonde, l’expertise nécessite des livres.

Ceux qui ne lisent pas de livres sont condamnés à se satisfaire de superficialité, à se laisser manipuler, à obéir aveuglément. Et c’est peut-être ça l’objectif.

J’estime que l’université ne doit pas former de bons petits consultants obéissants et employables, mais des intellectuels humanistes. La mission première de l’université passe par la diffusion, la promotion, l’appropriation de la culture intellectuelle du livre.

Entre l’humanisme et le profit immobilier, l’université a choisi

Mais, à Louvain-la-Neuve, l’université semble se transformer en simple agence immobilière. La ville qui, en 50 ans, s’est créée autour de l’université est en train de se transformer pour n’offrir graduellement plus que deux choses : de la bouffe et des fringues.

En 2021, le bouquiniste de la place des Wallons, présent depuis 40 ans grâce à un bail historique, a vu son propriétaire, l’université, lui infliger une augmentation de loyer vertigineuse. Je l’ai vu, les yeux pleins de larmes, mettant en caisse les milliers de bandes dessinées de son stock afin de laisser la place à… un vendeur de gauffres !

Ce fut ensuite le tour du second bouquiniste de la ville, une minuscule échoppe aux murs noircis de livres de philosophie où nous nous retrouvions régulièrement entre habitués pour nous disputer quelques pièces rares. Le couple qui tenait la bouquinerie m’a confié que, devant le prix du loyer, également versé à l’université, il était plus rentable pour eux de devenir bouquinistes itinérants. « Ça ne va pas vous plaire ! » m’a confié la gérante lorsque j’ai demandé qui reprendrait son espace. Quelques semaines plus tard, en effet, surgissait une vitrine vendant des sacs à mains !

Quant à la librairie principale de la ville, l’historique librairie Agora, elle fut rachetée par le groupe Furet du Nord dont la section belge a fait faillite. Il faut dire que la librairie occupait un énorme espace appartenant en partie au promoteur immobilier Klépierre et à l’université. D’après mes sources, le loyer mensuel s’élevait à… 35.000€ !

De cette faillite, j’ai récupéré plusieurs meubles bibliothèques qui étaient à donner. L’ouvrier qui était en train de nettoyer le magasin me souffla, avec un air goguenard, que les étudiants allaient être contents du changement ! Il n’avait pas le droit de me dire ce qui remplacerait la librairie, mais, promis, ils allaient être contents.

En effet, il s’agissait d’un projet de… Luna Park ! (qui, bien que terminé, n’a pas obtenu l’autorisation d’ouvrir ses portes suite aux craintes des riverains concernant le tapage qu’un tel lieu engendre)

Mais l’université ne comptait pas en rester là. Désireuse de récupérer des locaux pourtant sans aucun potentiel commercial, elle a également mis dehors le centre de livres d’occasion Cerfaux Lefort. Une pétition pour tenter de le sauver a récolté 3000 signatures. Sans succès.

Puisque ça fonctionne, enfonçons le clou !

Pendant quelques mois, Louvain-la-Neuve, ville universitaire et intellectuelle, s’est retrouvée sans librairie ! Consciente que ça faisait désordre, l’université a offert des conditions correctes à une équipe motivée pour créer la librairie « La Page d’Après » dans une petite surface. La libraire est petite et, par conséquent, doit faire des choix (la littérature de genre, mon domaine de prédilection, occupe moins d’une demi-table).

Je me suis évidemment enthousiasmé pour le projet de la Page d’Après, dont je suis immédiatement devenu un fidèle. Je n’avais pas imaginé l’esprit retors du promoteur immobilier qu’est devenue l’université : le soutien à la Page d’Après (qui n’est que très relatif, la surface n’est pas offerte non plus) est devenu l’excuse à la moindre critique !

Car c’est aujourd’hui la bibliothèque publique de Louvain-la-Neuve elle-même qui est menacée à très court terme. La partie ludothèque et livres jeunesse est d’ores et déjà condamnée pour laisser la place à une extension du restaurant universitaire. Le reste de la bibliothèque est sur la sellette. L’université estime en effet qu’elle pourrait tirer 100.000€ par an de loyer et qu’elle n’a aucune raison d’offrir 100.000€ à une institution qui ne pourrait évidemment pas payer une telle somme. Précisons plutôt que l’université ne voit plus d’intérêt à cette bibliothèque qu’elle a pourtant désirée ardemment et qu’elle n’a obtenue que grâce à une convention signée en 1988, à l’époque où Louvain-la-Neuve n’était encore qu’un jeune assemblage d’auditoires et de logements étudiants.

À la remarque « Pouvez-vous imaginer une ville universitaire sans bibliothèque ? » posée par de multiples citoyens, la réponse de certains décideurs est sans ambiguïté : « Nous avons la Page d’Après ». Comme si c’était pareil. Comme si c’était suffisant. Mais, comme le glissent parfois à demi-mot certains politiques qui n’ont pas peur d’étaler leur déficience intellectuelle : « Le livre, c’est mort, l’avenir c’est l’IA. Et puis, si nécessaire, il y a Amazon ».

L’université propose à la bibliothèque de garder une fraction de l’espace actuel à la condition que les travaux d’aménagement soient pris en charge… par la bibliothèque publique elle-même (le résultat restant propriété de l’université). De bibliothèque, la section de Louvain-la-Neuve se transformerait en "antenne" avec un stock très faible et où l’on pourrait se procurer les livres commandés.

Mais c’est complètement se méprendre sur le rôle d’une bibliothèque. Un lieu où l’on peut flâner et faire des découvertes littéraires improbables, découvertes d’ailleurs encouragées par les initiatives du personnel (mise en évidence de titres méconnus, tirage aléatoire d’une suggestion de lecture …). Dans la bibliothèque de Louvain-la-Neuve, j’ai croisé des bénévoles aidant des immigrés adultes à se choisir des livres pour enfant afin d’apprendre le français. J’ai vu mon fils se mettre à lire spontanément les journaux quotidiens offerts à la lecture.

Une bibliothèque n’est pas un point d’enlèvement ou un commerce, une bibliothèque est un lieu de vie !

La bibliothèque doit subsister. Il faut la sauver. (et signer la pétition si ce n’est pas encore fait)

La disparition progressive de tout un secteur

Loin de se faire de la concurrence, les différents acteurs du livre se renforcent, s’entraident. Les meilleurs clients de l’un sont souvent les meilleurs clients de l’autre. Un achat d’un côté entraine, par ricochet, un achat de l’autre. La bibliothèque publique de Louvain-la-Neuve est le plus gros client du fournisseur de BD Slumberland (ou le second après moi, me siffle mon portefeuille). L’université pourrait faire le choix de participer à cet écosystème.

Slumberland, lieu mythique vers lequel se tournent mes cinq prières quotidiennes, occupe un espace Klépierre. Car, à Louvain-la-Neuve, tout appartient soit à l’université, soit au groupe Klépierre, propriétaire du centre commercial. Le bail de Slumberland arrivant à expiration, ils viennent de se voir notifier une augmentation soudaine de plus de 30% !

15.000€ par mois. En étant ouvert 60h par semaine (ce qui est énorme pour un magasin), cela signifie plus d’un euro par minute d’ouverture. Rien que pour payer son loyer, Slumberland doit vendre une bande dessinée toutes les 5 minutes ! À ce tarif-là, mes (nombreux et récurrents) achats ne remboursent même pas le temps que je passe à flâner dans le magasin !

Ces loyers m’interpellent : comment un magasin de loques criardes produites par des enfants dans des caves en Asie peut-il gagner de quoi payer de telles sommes là où les meilleurs fournisseurs de livres peinent à joindre les deux bouts ? Comment se fait-il que l’épicerie de mon quartier, présente depuis 22 ans, favorisant les produits bio et locaux, remplie tous les jours à ras bord de clients, doive brusquement mettre la clé sous le paillasson ? Comme aux États-Unis, où on ne dit pas « boire un café », mais « prendre un Starbucks », il ne nous restera bientôt que les grandes chaînes.

Face à l’hégémonie de ces monopoles, je croyais que l’université était un soutien. Mais force est de constater que le modèle est plutôt celui de Monaco : le seul pays du monde qui ne dispose pas d’une seule librairie !

Quelle société les universitaires sont-ils en train de construire ?

Je vous rassure, Slumberland survivra encore un peu à Louvain-la-Neuve. Le magasin a trouvé une surface moins chère (car moins bien exposée) et va déménager. Son nouveau propriétaire ? L’université bien sûr ! Derniers bastions livresques de la ville qui fût, un jour, une utopie intellectuelle et humaniste, Slumberland et La Page d’Après auront le droit de subsister jusqu’au jour où les gestionnaires immobiliers qui se prétendent intellectuels décideront que ce serait plus rentable de vendre un peu plus de gaufres, un peu plus de sacs à main ou d’abrutir un peu plus les étudiants avec un Luna Park.

L’université est devenue un business. Le verdict commercial est sans appel : la production de débiles formatés à la consommation instagrammable rapporte plus que la formation d’intellectuels.

Mais ce n’est pas une fatalité.

L’avenir est ce que nous déciderons d’en faire. L’université n’est pas forcée de devenir un simple gestionnaire immobilier. Nous sommes l’université, nous pouvons la transformer.

J’invite tous les membres du personnel de l’université, les professeur·e·s, les étudiant·e·s, les lecteurices, les intellectuel·le·s et les humanistes à agir, à parler autour d’eux, à défendre les livres en les diffusant, en les prêtant, en encourageant leur lecture, en les conseillant, en diffusant leurs opinions, en ouvrant les débats sur la place des intellectuels dans la ville.

Pour préserver le savoir et la culture, pour sauvegarder l’humanisme et l’intelligence de l’absurde marchandisation à court terme, nous avons le devoir de communiquer, de partager sans restriction, de faire entendre notre voix de toutes les manières imaginables.

Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !

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12.05.2025 à 02:00

Pour une poignée de bits…

Ploum

Texte intégral (1996 mots)

Pour une poignée de bits…

Toute l’infrastructure gigantesque d’Internet, tous ces milliers de câbles sous-marins, ces milliards de serveurs clignotants ne servent aux humains qu’à échanger des séries de bits.

Nos téléphones produisent des bits qui sont envoyés, dupliqués, stockés et, parfois, arrivent sur d’autres téléphones. Souvent, ces bits ne sont utiles que pour quelques secondes à peine. Parfois, ils ne le sont pas du tout.

Nous produisons trop de bits pour être capables de les consommer ou pour tout simplement en avoir envie.

Or, toute la promesse de l’IA, c’est d’automatiser cette génération de bits en faisant deux choses : enregistrer les séquences de bits existantes pour les analyser puis reproduire des séquences de bits nouvelles, mais « ressemblantes ».

L’IA, les LLMs, ce ne sont que ça : des générateurs de bits.

Comme me le souffle très justement Stéphane "Alias" Gallay : la course à l’IA, ce n’est finalement qu’un concours de bits.

Enregistrer les séquences de bits

Tous les producteurs d’IA doivent donc d’abord enregistrer autant de séquences de bits existantes que possible. Pour cette raison, le Web est en train de subir une attaque massive. Ces fournisseurs de créateurs de bits pompent agressivement toutes les données qui passent à leur portée. En continu. Ce qui met à mal toute l’infrastructure du web.

Mais comment arrivent-ils à faire cela ? Et bien une partie de la solution serait que ce soit votre téléphone qui le fasse. La société Infatica, met en effet à disposition des développeurs d’app Android et iPhone des morceaux de code à intégrer dans leurs apps contre paiement.

Ce que fait ce code ? Tout simplement, à chaque fois que vous utilisez l’app, il donne l’accès à votre bande passante à des clients. Clients qui peuvent donc faire les requêtes de leur choix comme pomper autant de sites que possible. Cela, sans que l’utilisateur du téléphone en soi informé le moins du monde.

Cela rend l’attaque impossible à bloquer efficacement, car les requêtes proviennent de n’importe où, n’importe quand.

Tout comme le spam, l’activité d’un virus informatique se fait désormais à visage découvert, avec de vraies sociétés qui vendent leurs « services ». Et les geeks sont trop naïfs : ils cherchent des logiciels malveillants qui exploitent des failles de sécurité compliquées alors que tout se fait de manière transparente, à ciel ouvert, mais avec ce qu’on appelle la "plausible deniability" grâce à des couches de services commerciaux. Il y a même des sites avec des reviews et des étoiles pour choisir son meilleur réseau de botnets pseudolégal.

Le développeur de l’app Android dira que « il ne savait pas que son app serait utilisée pour faire des choses néfastes ». Les fournisseurs de ce code et revendeurs diront « on voulait surtout aider la recherche scientifique et le développeur est censé prévenir l’utilisateur ». Le client final, qui lance ces attaques pour entrainer ses générateurs de bits dira « je n’ai fait qu’utiliser un service commercial ».

En fait, c’est même pire que cela : comme je l’ai démontré lorsque j’ai détecté la présence d’un tracker Facebook dans l’application officielle de l’institut royal de météorologie belge, il est probable que le maître d’œuvre de l’application n’en sache lui-même rien, car il aura utilisé un sous-traitant pour développer l’app. Et le sous-traitant aura lui-même créé l’app en question sur base d’un modèle existant (un template).

Grâce à ces myriades de couches, personne ne sait rien. Personne n’est responsable de rien. Et le web est en train de s’effondrer. Allégorie virtuelle du reste de la société.

Générer des séquences de bits

Une fois qu’on a enregistré assez de séquences de bits, on va tenter d’y trouver une logique pour générer des séquences nouvelles, mais « ressemblantes ». Techniquement, ce qui est très impressionnant avec les ChatGPT et consorts, c’est l’échelle à laquelle est fait ce que les chercheurs en informatique font depuis vingt ans.

Mais si ça doit être « ressemblant », ça ne peut pas l’être trop ! En effet, cela fait des décennies que l’on nous rabâche les oreilles avec le "plagiat", avec le "vol de propriété intellectuelle". Houlala, "pirater", c’est mal.

Eh bien non, allez-y ! Piratez mes livres ! D’ailleurs, ils sont faits pour, ils sont sous licence libre. Parce que j’ai envie d’être lu. C’est pour ça que j’écris. Je ne connais aucun artiste qui a augmenté la taille de son public en "protégeant sa propriété intellectuelle".

Have you ever considered piracy?
Have you ever considered piracy?

Parait que c’est mal de pirater.

Sauf quand ce sont les IA qui le font. Ce que montre très bien Otakar G. Hubschmann dans une expérience édifiante. Il demande à ChatGPT de générer des images de « superhéros qui utilise des toiles d’araignées pour se déplacer », d’un « jeune sorcier qui va à l’école avec ses amis » ou un « plombier italien avec une casquette rouge ».

Et l’IA refuse. Parce que ce serait enfreindre un copyright. Désolé donc à tous les plombiers italiens qui voudraient mettre une casquette rouge : vous êtes la propriété intellectuelle de Nintendo.

Mais là où c’est encore plus hallucinant, c’est lorsqu’il s’éloigne des toutes grandes franchises actuelles. S’il demande « photo d’une femme combattant un alien », il obtient… une image de Sigourney Weaver. Une image d’un aventurier archéologue qui porte un chapeau et utilise un fouet ? Il obtient une photo d’Harrisson Ford.

Comme je vous disais : une simple série de bits ressemblant à une autre.

Ce qui nous apprend à quel point les IA n’ont aucune, mais alors là aucune originalité. Mais, surtout, que le copyright est véritablement un outil de censure qui ne sert que les très très grands. Grâce aux IA, il est désormais impossible d’illustrer voire d’imaginer un enfant sorcier allant à l’école parce que c’est du plagiat d’Harry Potter (lui-même étant, selon moi, un plagiat d’un roman d’Anthony Horowitz, mais passons…).

Comme le dit Irénée Régnauld, il s’agit de pousser un usage normatif des technologies à un point très effrayant.

Mais pour protéger ces franchises et ce copyright, les mêmes IA n’hésitent pas à se servir dans les bases de données pirates et à foutre en l’air tous les petits services d’hébergement.

Les humains derrière les bits

Mais le pire c’est que c’est tellement à la mode de dire qu’on a généré ses bits automatiquement que, souvent, on le fait faire par des humains camouflés en générateurs automatiques. Comme cette app de shopping "AI" qui n’était, en réalité, que des travailleurs philippins sous-payés.

Les luddites l’avaient compris, Charlie Chaplin l’avait illustré dans « Les temps modernes », Arnold Schwarzeneger a essayé de nous avertir : nous servons les machines que nous croyons avoir conçu pour nous servir. Nous sommes esclaves de générateurs de bits.

Pour l’amour des bits !

Dans le point presse de ma ville, j’ai découvert qu’il n’y avait qu’un magazine en présentoir consacré à Linux, mais pas moins de 5 magazines consacrés entièrement aux générateurs de bits. Avec des couvertures du genre « Mieux utiliser ChatGPT ». Comme si on pouvait l’utiliser « mieux ». Et comme si le contenu de ces magazines n’était lui-même pas généré.

C’est tellement fatigant que j’ai pris la résolution de ne plus lire les articles parlant de ces générateurs de bits, même s’ils ont l’air intéressants. Je vais essayer de lire moins sur le sujet, d’en parler moins. Après tout, je pense que j’ai dit tout ce que j’avais à dire dans ces deux billets :

Vous êtes déjà assez assaillis par les générateurs de bits et par les bits qui parlent des générateurs de bits. Je vais tenter de ne pas trop en rajouter et revenir à mon métier d’artisan. Chaque série de bits que je vous offre est entièrement façonnée à la main, d’un humain vers un autre. C’est plus cher, plus rare, plus long à lire, mais, je l’espère, autrement plus qualitatif.

Vous sentez l’amour de l’art et la passion derrière ces bits dont chacun à une signification profonde et une utilité réelle ? C’est pour les transmettre, les partager que je cherche à préserver notre infrastructure et nos cerveaux.

Bonnes lectures et bons échanges entre humains !

Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !

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17.04.2025 à 02:00

Dédicace à Trolls & Vélo et magie cycliste

Ploum

Texte intégral (1090 mots)

Dédicace à Trolls & Vélo et magie cycliste

Je serai ce samedi 19 avril à Mons au festival Trolls & Légende en dédicace au stand PVH.

La star de la table sera sans conteste Sara Schneider, autrice fantasy de la saga des enfants d’Aliel et qui est toute auréolée du Prix SFFF Suisse 2024 pour son superbe roman « Place d’âmes » (dont je vous ai déjà parlé).

C’est la première fois que je dédicacerai à côté d’une autrice ayant reçu un prix majeur. Je suis pas sûr qu’elle acceptera encore que je la tutoie.

Sara Schneider avec son roman et son prix SFFF Suisse 2024
Sara Schneider avec son roman et son prix SFFF Suisse 2024

Bref, si Sara vient pour faire la légende, le nom du festival implique qu’il faille compléter avec des trolls. D’où la présence également à la table PVH de Tirodem, Allius et moi-même. Ça, les trolls, on sait faire !

Les belles mécaniques de l’imaginaire

S’il y a des trolls et des légendes, il y a aussi tout un côté Steampunk. Et quoi de plus Steampunk qu’un vélo ?

Ce qui fait la beauté de la bicyclette, c’est sa sincérité. Elle ne cache rien, ses mouvements sont apparents, l’effort chez elle se voit et se comprend; elle proclame son but, elle dit qu’elle veut aller vite, silencieusement et légèrement. Pourquoi la voiture automobile est-elle si vilaine et nous inspire-t-elle un sentiment de malaise ? Parce qu’elle dissimule ses organes comme une honte. On ne sait pas ce qu’elle veut. Elle semble inachevée.
– Voici des ailes, Maurice Leblanc

Le vélo, c’est l’aboutissement d’un transhumanisme humaniste rêvé par la science-fiction.

La bicyclette a résolu le problème, qui remédie à notre lenteur et supprime la fatigue. L’homme maintenant est pourvu de tous ses moyens. La vapeur, l’électricité n’étaient que des progrès servant à son bien-être; la bicyclette est un perfectionnement de son corps même, un achèvement pourrait-on dire. C’est une paire de jambes plus rapides qu’on lui offre. Lui et sa machine ne font qu’un, ce ne sont pas deux êtres différents comme l’homme et le cheval, deux instincts en opposition; non, c’est un seul être, un automate d’un seul morceau. Il n’y a pas un homme et une machine, il y a un homme plus vite.
– Voici des ailes, Maurice Leblanc

Un aboutissement technologique qui, paradoxalement, connecte avec la nature. Le vélo est une technologie respectueuse et utilisable par les korrigans, les fées, les elfes et toutes les peuplades qui souffrent de notre croissance technologique. Le vélo étend notre cerveau pour nous connecter à la nature, induit une transe chamanique dès que les pédales se mettent à tourner.

Nos rapports avec la nature sont bouleversés ! Imaginez deux hommes sur un grand chemin : l’un marche, l’autre roule; leur situation à l’égard de la nature sera-t-elle la même ? Oh ! non. L’un recevra d’elle de menues sensations de détails, l’autre une vaste impression d’ensemble. À pied, vous respirez le parfum de cette plante, vous admirez la nuance de cette fleur, vous entendez le chant de cet oiseau; à bicyclette, vous respirez, vous admirez, vous entendez la nature elle-même. C’est que le mouvement produit tend nos nerfs jusqu’à leur maximum d’intensité et nous dote d’une sensibilité inconnue jusqu’alors.
– Voici des ailes, Maurice Leblanc

Oui, le vélo a amplement sa place à Trolls & Légendes, comme le démontrent ses extraits de « Voici des ailes » de Maurice Leblanc, roman écrit… en 1898, quelques années avant la création d’Arsène Lupin !

Célébrer l’univers Bikepunk

Moi aussi, j’aime me faire lyrique pour célébrer le vélo, comme le prouvent les extraits que sélectionnent les critiques de mon roman Bikepunk.

Chierie chimique de bordel nucléaire de saloperie vomissoire de permamerde !
— Bikepunk, Ploum

Ouais bon, d’accord… C’est un style légèrement différent. J’essaie juste de toucher un public un poil plus moderne quoi. Et puis on avait dit « pas cet extrait-là ! ».

Allez, comme on dit chez les cyclisteurs : on enchaîne, on enchaîne…

Donc, pour célébrer le vélo et l’imaginaire cycliste, je me propose d’offrir une petite surprise à toute personne qui se présentera sur le stand PVH avec un déguisement dans le thème Bikepunk ce samedi (et si vous me prévenez à l’avance, c’est encore mieux).

Parce qu’on va leur montrer à ces elfes, ces barbares et ces mages ce que c’est la véritable magie, la véritable puissance : des pédales, deux roues et un guidon !

À samedi les cyclotrolls !

Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !

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14.04.2025 à 02:00

À la recherche de l’attention perdue

Ploum

Texte intégral (2016 mots)

À la recherche de l’attention perdue

La messagerie instantanée et la politique

Vous l’avez certainement vu passer : Un journaliste américain s’est fait inviter par erreur sur un chat Signal où des personnes très haut placées de l’administration américaine (y compris le vice-président) discutent de l’organisation top secrète d’une frappe militaire au Yémen le 15 mars.

La raison de cette erreur est que le porte-parole de Trump, Brian Hughes, avait, durant la campagne électorale, reçu un email du journaliste en question pour demander des précisions sur un autre sujet. Brian Hughes avait alors copié/collé la totalité de l’email, incluant la signature contenant le numéro de téléphone du journaliste, dans un message instantané Apple iMessage à destination de Mike Waltz, qui allait devenir le conseiller à la sécurité de Trump. Recevant ce numéro par message de la part de Brian Hughes, Mike Waltz aurait ensuite sauvegardé ce numéro sous le nom de Brian Hughes. En voulant inviter plus tard Brian Hughes dans le chat Signal, Mike Waltz a par erreur invité le journaliste américain.

Cette anecdote nous apprend plusieurs choses:

Premièrement, Signal est devenu une réelle infrastructure critique de sécurité, y compris dans les cercles les plus hauts placés.

Deuxièmement, les discussions de guerre ultra-stratégique ont désormais lieu… par chat. Pas difficile d’imaginer que chaque participant répond machinalement, poste un émoji entre deux réunions, lors d’une pause pipi. Et là se décident la vie et la mort du reste du monde : dans les toilettes et les réunions qui n’ont rien à voir !

L’erreur initiale provient du fait que Mike Waltz ne lit vraisemblablement pas ses emails (sinon, on lui aurait fait suivre l’email au lieu de l’envoyer par message) et que Brian Hughues est incapable de résumer efficacement un long texte (sinon il n’aurait pas collé l’intégralité du message).

Non seulement Mike Waltz ne lit pas ses emails, mais on peut soupçonner qu’il ne lit pas les messages trop longs : il a quand même ajouté un numéro de téléphone qui se trouvait à la fin d’un message sans prendre le temps de lire et de comprendre ledit message. À sa décharge, il semblerait qu’il soit possible que ce soit "l’intelligence artificielle" de l’iPhone qui ait ajouté ce numéro automatiquement au contact.

Je ne sais pas si cette fonctionnalité existe, mais le fait d’utiliser un téléphone qui peut décider automatiquement de changer le numéro de ses contacts est quand même assez effrayant. Et bien dans le genre d’Apple dont j’interprète les slogans marketing comme « achetez avec nos produits l’intelligence qui vous fait défaut, bande de crétins ! ».

Crise politique attentionnelle et surveillance généralisée

La crise attentionnelle est réelle : nous sommes de moins en moins capables de nous concentrer et nous votons pour des gens qui le sont encore moins ! Un ami ayant été embauché pour participer à une campagne électorale en Belgique m’a raconté avoir été abasourdi par l’addiction des politiciens les plus en vue aux réseaux sociaux. Ils sont en permanence rivés à leurs écrans à comptabiliser les likes et les partages de leurs publications et, quand ils reçoivent un dossier de plus de dix lignes, demandent un résumé ultra-succinct à leurs conseillers.

Vos politiques ne comprennent rien à rien. Ils font semblant. Et désormais, ils demandent à ChatGPT qui a l’avantage de ne pas dormir, contrairement aux conseillers humains. Les fameuses intelligences artificielles qui, justement, sont peut-être coupables d’avoir ajouté le numéro à ce contact et d’avoir rédigé la politique fiscale de Trump.

Mais pourquoi utiliser Signal et pas une solution officielle qui empêcherait ce genre de fuite ? Officiellement, il n’y aurait pas d’alternative aussi facile. Mais je vois une raison non officielle très simple : les personnes haut placées ont désormais peur de leur propre infrastructure, car ils savent que tout est sauvegardé et peut-être utilisé contre eux lors d’une éventuelle enquête ou d’un procès, même des années plus tard.

Trump a été élu la première fois en faisant campagne sur le fait qu’Hillary Clinton avait utilisé un serveur email personnel, ce qui lui permettait, selon Trump lui-même, d’échapper à la justice en ayant ses mails soustraits aux services de surveillance internes américains.

Même ceux qui mettent en place le système de surveillance généralisé en ont peur.

L’éducation à la compréhension

La dernière leçon que je tire de cette anecdote c’est, encore une fois, celle de l’éducation : vous pouvez avoir l’infrastructure cryptographique la plus sécurisée, si vous êtes incompétent au point d’inviter n’importe qui dans votre chat, on ne peut rien faire pour vous.

La plus grosse faille de sécurité est toujours entre la chaise et le clavier, la seule manière de sécuriser un système est de faire en sorte que l’utilisateur soit éduqué.

Le meilleur exemple reste celui des voitures autonomes : nous sommes en train de mettre des générations entières dans des Tesla qui se conduisent toutes seules 99% du temps. Et lorsqu’un accident arrive, dans le 1% restant, nous demandons au conducteur : « Mais pourquoi tu n’as pas réagi comme un bon conducteur ? »

Et la réponse est très simple : « Parce que je n’ai jamais conduit de ma vie, je ne sais pas ce que c’est conduire, je n’ai jamais appris à réagir quand le système ne fonctionne pas correctement ».

Vous pensez que j’exagère ? Attendez…

Se faire engager grâce à l’IA

Eric Lu a reçu le CV d’un candidat très prometteur pour bosser dans sa startup. CV qui semblait fort optimisé en mots clés, mais qui était particulièrement pointu dans les technologies utilisées par Eric. Il a donc proposé au candidat une interview par vidéo.

Au début, tout s’est très bien passé jusqu’à ce que le candidat commence à s’emmêler dans ses réponses. « Vous dites que le service d’envoi de SMS sur lequel vous avez bossé était saturé, mais vous décrivez le service comme étant utilisé par une classe de 30 personnes. Comment 30 SMS peuvent-ils saturer le service ? » … euh… « Pouvez-vous me dire quelle interface utilisateur vous avez mise en place avec ce que vous dites avoir implémenté ? » … euh, je ne me souviens plus…

Eric comprend alors que le candidat baratine. Le CV a été généré par ChatGPT. Le candidat s’est préparé en simulant un entretien d’embauche avec ChatGPT et en étudiant par cœur ce qu’il devait répondre. Il panique dès qu’on sort de son script.

Ce qui est particulièrement dommage, c’est que le candidat avait un profil vraiment adapté. S’il avait été honnête et franc au regard de son manque d’expérience, il aurait pu se faire engager comme junior et acquérir l’expérience souhaitée. S’il avait consacré son temps à lire des explications techniques sur les technologies concernées plutôt que d’utiliser ChatGPT, il aurait pu convaincre l’employeur de sa motivation, de sa curiosité. « Je ne connais pas encore grand-chose, mais je suis désireux d’apprendre ».

Mais le plus triste dans tout cela, c’est qu’il a sincèrement pensé que ça pouvait fonctionner. Il a détruit sa réputation parce que ça ne lui a même pas traversé l’esprit que, quand bien même il aurait été engagé, il n’aurait pas tenu deux jours dans son boulot avant de passer pour un crétin. Il a été malhonnête parce qu’il était persuadé que c’était la bonne manière de fonctionner.

Bref, il était un vrai Julius.

Il a « appris à conduire une Tesla » en s’asseyant sur le siège et regardant celle-ci faire 100 fois le tour du quartier. Confiant, il est parti dans une autre ville et s’est pris le premier platane.

Sauver une génération

Les smartphones, l’IA, les monopoles publicitaires, les réseaux sociaux sont toutes les facettes d’un même problème : la volonté de rendre la technologie incompréhensible afin de nous asservir commercialement et de nous occuper l’esprit.

J’ai écrit comment je pensais que nous devions agir pour éduquer la prochaine génération d’adultes :

Mais c’est un point de vue de parent. C’est pour cela que je trouve très pertinente l’analyse de Thual qui, lui, est un jeune adulte à peine sorti de l’adolescence. Il peut parler de tout cela à la première personne.

La grande leçon que j’en tire est que la génération qui nous suit est loin d’être perdue. Comme toutes les générations, elle est désireuse d’apprendre, de se battre. Nous devons avoir l’humilité de réaliser que ma génération s’est complètement plantée. Que nous détruisons tout, que nous sommes des fascistes addicts à Facebook et Candy Crush qui roulons en SUV.

Nous n’avons pas de leçons à leur donner. Nous avons le devoir de les aider, de nous mettre à leur service en désactivant le pilote automatique et en brûlant les slides PowerPoint dont nous sommes si fiers.

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10.04.2025 à 02:00

De l’utilisation des smartphones et des tablettes chez les adolescents

Ploum

Texte intégral (4054 mots)

De l’utilisation des smartphones et des tablettes chez les adolescents

Chers parents, chers enseignants, chers éducateurs,

Nous le savons toutes et tous, le smartphone est devenu un objet incontournable de notre quotidien, nous connectant en permanence au réseau Internet qui, avant cela, restait cantonné aux ordinateurs sur nos bureaux. En voyant grandir nos enfants, la question se pose : quand, comment et pourquoi les faire entrer dans le monde de cette hyperconnexion permanente.

L’adolescence est une phase critique de la vie durant laquelle le cerveau est particulièrement réceptif et forme des réflexes qui resteront ancrés toute une vie. C’est également une période durant laquelle la pression du groupe et le désir de conformité sociale sont les plus importants. Ce n’est pas un hasard si les producteurs de cigarettes et d’alcool ciblent explicitement les adolescents dans le marketing de leur produit.

Le smartphone étant une invention incroyablement récente, nous manquons totalement de recul sur l’impact qu’il peut avoir durant la croissance. Est-il totalement inoffensif ou sera-t-il considéré, d’ici quelques années, comme le tabac l’est aujourd’hui ? Personne ne le sait avec certitude. Nos enfants sont les cobayes de cette technologie.

Il me parait important de souligner certains points importants, qui ne sont que quelques éléments parmi les nombreuses problématiques étudiées dans le domaine

L’attention et la concentration

Il est désormais démontré que le smartphone perturbe grandement l’attention et la concentration, y compris chez les adultes. Ce n’est pas un hasard : il est conçu pour cela. Les entreprises comme Google et Meta (Facebook, Whatsapp, Instagram) sont payées proportionnellement au temps que nous passons devant l’écran. Tout est optimisé en ce sens. Le simple fait d’avoir un téléphone près de soi, même éteint, perturbe le raisonnement et fait baisser sensiblement les résultats de tests de QI.

Le cerveau acquiert le réflexe d’attendre des notifications de nouveaux messages de cet appareil, sa seule présence est donc un handicap majeur dans toutes les tâches qui requièrent de l’attention : lecture, apprentissage, réflexion, calculs. Il ne suffit pas de l’éteindre : il faut le mettre à distance, si possible dans une pièce différente !

Il est démontré que l’utilisation des réseaux sociaux comme Tik-Tok perturbe complètement la notion du temps et la formation de la mémoire. Nous en avons tous fait l’expérience : nous jurons avoir passé 10 minutes sur notre smartphone alors qu’il s’est en réalité écoulé près d’une heure.

Pour mémoriser et apprendre, le cerveau a besoin de temps de repos, de vide, d’ennui et de réflexion. Ces nécessaires temps « morts » dans les trajets, dans les files d’attente, dans la solitude d’une chambre d’adolescent voire même durant un cours rébarbatif ont été supplantés par une hyperconnexion.

L’angoisse sociale et la perturbation du sommeil

Même lorsque nous ne l’utilisons pas, nous savons que les conversations continuent. Que des messages importants sont peut-être échangés en notre absence. Cette sensation bien connue appelée « FOMO » (Fear Of Missing Out, peur de manquer quelque chose) nous pousse à consulter notre téléphone jusque tard dans la nuit et dès le réveil. Une proportion inquiétante de jeunes reconnaissent se réveiller durant la nuit pour consulter leur smartphone. Or la qualité du sommeil est fondamentale dans le processus d’apprentissage et de formation du cerveau.

La santé mentale

De récentes avancées démontrent une corrélation forte entre le degré d’utilisation des réseaux sociaux et les symptômes de dépression. Le monde occidental semble atteint d’une épidémie de dépression adolescente, épidémie dont la temporalité correspond exactement avec l’apparition du smartphone. Les filles en dessous de 16 ans sont la population la plus touchée.

Le harcèlement et la prédation

Sur les réseaux sociaux, il est trivial de créer un compte anonyme ou usurpant l’identité d’une autre personne (contrairement à ce qu’il est parfois affirmé dans les médias, il n’est pas nécessaire d’être un génie de l’informatique pour mettre un faux nom dans un formulaire). À l’abri sous cet anonymat, il est parfois très tentant de faire des blagues de mauvais goût, de tenir des propos injurieux, de révéler aux grands jours les secrets dont les adolescents sont friands voire de calomnier pour régler des différends de cours de récré. Ces comportements ont toujours fait partie de l’adolescence et font partie d’une exploration naturelle normale des relations sociales. Cependant, le fonctionnement des réseaux sociaux aggrave fortement l’impact de ces actions tout en favorisant l’impunité du responsable. Cela peut conduire à des conséquences graves allant au-delà de ce qu’imaginent initialement les participants.

Ce pseudonymat est également une bénédiction pour les personnes mal intentionnées qui se font passer pour des enfants et, après des semaines de discussion, proposent à l’enfant de se retrouver en vrai, mais sans rien dire aux adultes.

Au lieu d’en tirer des leçons sociales éducatives, nous appelons les adolescents faisant des blagues de mauvais goût des « pirates informatiques », stigmatisant l’utilisation de la technologie plutôt que le comportement. Le thème des prédateurs sexuels est mis en exergue pour réclamer à cor et à cri des solutions de contrôle technologiques. Solutions que les géants de l’informatique se font un plaisir de nous vendre, jouant sur la peur et stigmatisant la technologie ainsi que celles et ceux qui ont le malheur d’en avoir une compréhension intuitive.

La peur et l’incompréhension deviennent les moteurs centraux pour mettre en avant une seule valeur éducative : obéir aveuglément à ce qui est incompréhensible et ce qu’il ne faut surtout pas essayer de comprendre.

La fausse idée de l’apprentissage de l’informatique

Car il faut à tout prix déconstruire le mythe de la « génération numérique ».

Contrairement à ce qui est parfois exprimé, l’utilisation d’un smartphone ou d’une tablette ne prépare en rien à l’apprentissage de l’informatique. Les smartphones sont, au contraire, conçus pour cacher la manière dont ils fonctionnent et sont majoritairement utilisés pour discuter et suivre des publications sponsorisées. Ils préparent à l’informatique autant que lire un magazine people à l’arrière d’un taxi prépare à devenir mécanicien. Ce n’est pas parce que vous êtes assis dans une voiture que vous apprenez son fonctionnement.

Une dame de 87 ans se sert d’une tablette sans avoir été formée, mais il faudrait former les enfants à l’école ?
Une dame de 87 ans se sert d’une tablette sans avoir été formée, mais il faudrait former les enfants à l’école ?

Former à utiliser Word ou PowerPoint ? Les enfants doivent apprendre à découvrir les généralités des logiciels, à tester, à « chipoter », pas à reproduire à l’aveugle un comportement propre à un logiciel propriétaire donné afin de les préparer à devenir des clients captifs. Et que dire d’un PowerPoint qui force à casser la textualité, la capacité d’écriture pour réduire des idées complexes sous forme de bullet points ? Former à PowerPoint revient à inviter ses élèves dans un fast-food sous prétexte de leur apprendre à cuisiner.

L’aspect propriétaire et fermé de ces logiciels est incroyablement pervers. Introduire Microsoft Windows, Google Android ou Apple iOS dans les classes, c’est forcer les étudiants à fumer à l’intérieur sans ouvrir les fenêtres pour en faire de bons apnéistes qui savent retenir leur souffle. C’est à la fois dangereusement stupide et contre-productif.

De manière étonnante, c’est d’ailleurs dans les milieux de l’informatique professionnelle que l’on trouve le plus de personnes retournant aux « dumbphones », téléphones simples. Car, comme dit le proverbe « Quand on sait comment se prépare la saucisse, on perd l’envie d’en manger… »

Que faire ?

Le smartphone est omniprésent. Chaque génération transmet à ses enfants ses propres peurs. S’il y a tant de discussions, de craintes, de volonté « d’éducation », c’est avant tout parce que la génération des parents d’aujourd’hui est celle qui est le plus addict à son smartphone, qui est la plus espionnée par les monopoles publicitaires. Nous avons peur de l’impact du smartphone sur nos enfants parce que nous nous rendons confusément compte de ce qu’il nous inflige.

Mais les adolescents ne sont pas forcés d’être aussi naïfs que nous face à la technologie.

Commencer le plus tard possible

Les pédiatres et les psychiatres recommandent de ne pas avoir une utilisation régulière du smartphone avant 15 ou 16 ans, le système nerveux et visuel étant encore trop sensible avant cela. Les adolescents eux-mêmes, lorsqu’on les interroge, considèrent qu’ils ne devraient pas avoir de téléphone avant 12 ou 13 ans.

Si une limite d’âge n’est pas réaliste pour tout le monde, il semble important de retarder au maximum l’utilisation quotidienne et régulière du smartphone. Lorsque votre enfant devient autonome, privilégiez un « dumbphone », un simple téléphone lui permettant de vous appeler et de vous envoyer des SMS. Votre enfant arguera, bien entendu, qu’il est le seul de sa bande à ne pas avoir de smartphone. Nous avons tous été adolescents et utilisé cet argument pour nous habiller avec le dernier jeans à la mode.

Comme le signale Jonathan Haidt dans son livre « The Anxious Generation », il y a un besoin urgent de prendre des actions collectives. Nous offrons des téléphones de plus en plus tôt à nos enfants, car ils nous disent « Tout le monde en a sauf moi ». Nous cédons, sans le savoir, nous forçons d’autres parents à céder. Des expériences pilotes d’écoles « sans téléphone » montrent des résultats immédiats en termes de bien-être et de santé mentale des enfants..

Parlez-en avec les autres parents. Développez des stratégies ensemble qui permettent de garder une utilisation raisonnable du smartphone tout en évitant l’exclusion du groupe, ce qui est la plus grande hantise de l’adolescent.

Discutez en amont avec votre enfant

Expliquez à votre enfant les problématiques liées au smartphone. Plutôt que de prendre des décisions arbitraires, consultez-le et discutez avec lui de la meilleure manière pour lui d’entrer dans le monde connecté. Établissez un lien de confiance en lui expliquant de ne jamais faire confiance à ce qu’il pourra lire sur le téléphone.

Dans le doute, il doit avoir le réflexe d’en discuter avec vous.

Introduisez l’outil progressivement

Ne laissez pas votre enfant se débrouiller directement avec un smartphone une fois votre limite d’âge atteinte.

Bien avant cela, montrez-lui comment vous utilisez votre propre smartphone, votre ordinateur. Montrez-lui la même page Wikipédia sur les deux outils en expliquant qu’il ne s’agit que d’une manière de visualiser un contenu qui se trouve sur un autre ordinateur.

Lorsque votre enfant reçoit son propre appareil, introduisez-le progressivement en ne lui autorisant l’utilisation que pour des cas particuliers. Vous pouvez par exemple garder le téléphone, en ne le donnant à l’enfant que lorsqu’il en fait la demande pour une durée limitée et pour un usage précis. Ne créez pas immédiatement des comptes sur toutes les plateformes à la mode. Observez avec lui les réflexes qu’il acquiert, discutez sur l’inondation permanente que sont les groupes Whatsapp.

Parlez de vie privée

Rappelez à votre enfant que l’objectif des plateformes monopolistiques est de vous espionner en permanence afin de revendre votre vie privée et de vous bombarder de publicités. Que tout ce qui est dit et posté sur les réseaux sociaux, y compris les photos, doit être considéré comme public, le secret n’est qu’une illusion. Une règle d’or : on ne poste pas ce qu’on ne serait pas confortable de voir afficher en grand sur les murs de l’école.

Au Danemark, les écoles ne peuvent désormais plus utiliser de Chromebook pour ne pas enfreindre la vie privée des enfants. Mais ne croyez pas qu’Android, Windows ou iOS soient mieux en termes de vie privée.

Pas dans la chambre

Ne laissez jamais votre enfant dormir avec son téléphone. Le soir, le téléphone devrait être rangé dans un endroit neutre et hors de portée. De même, ne laissez pas le téléphone à portée de main lorsque l’enfant fait ses devoirs. Il en va de même pour les tablettes et autres laptops qui ont exactement les mêmes fonctions. Idéalement, les écrans sont à éviter avant d’aller à l’école pour éviter de commencer la journée en étant déjà en état de fatigue attentionnelle. N’oubliez pas que le smartphone peut être le vecteur de messages et d’images dérangeantes, voire choquantes, mais étrangement hypnotiques. L’effet de la lumière des écrans sur la qualité du sommeil est également une problématique encore mal comprise.

Continuez la discussion

Il existe des logiciels dits de « Contrôle parental ». Mais aucun logiciel ne remplacera jamais la présence des parents. Pire : les enfants les plus débrouillards trouveront très vite des astuces pour contourner ces limitations voire seront tentés de contourner ces limitations uniquement parce qu’elles sont arbitraires. Plutôt que d’imposer un contrôle électronique, prenez le temps de demander à vos enfants ce qu’ils font sur leur téléphone, avec qui ils parlent, ce qui se dit, quels sont les logiciels qu’ils utilisent.

L’utilisation d’Internet peut être également très bénéfique en permettant à l’enfant d’apprendre sur des sujets hors programmes ou de découvrir des communautés partageant des centres d’intérêt différents de ceux de l’école.

De la même manière que vous laissez votre enfant fréquenter un club de sport ou de scoutisme tout en l’empêchant de trainer avec une bande de voyous dans la rue, vous devez contrôler les fréquentations de vos enfants en ligne. Loin des groupes Whatsapp scolaires, votre enfant peut trouver des communautés en ligne partageant ses centres d’intérêt, communautés dans lesquelles il pourra apprendre, découvrir et s’épanouir s’il est bien aiguillé.

Donnez l’exemple, soyez l’exemple !

Nos enfants ne font pas ce qu’on leur dit de faire, ils font ce qu’ils nous voient faire. Les enfants ayant vu leurs parents fumer ont le plus grand risque de devenir fumeurs à leur tour. Il en est de même pour les smartphones. Si notre enfant nous voit en permanence sur notre téléphone, il n’a pas d’autre choix que de vouloir nous imiter. L’un des plus beaux cadeaux que vous pouvez faire est donc de ne pas utiliser compulsivement votre téléphone en présence de votre enfant.

Oui, vous devez traiter et prendre conscience de votre propre addiction !

Prévoyez des périodes où vous le mettez-le en silencieux ou en mode avion et où il est rangé à l’écart. Lorsque vous prenez votre téléphone, expliquez à votre enfant l’usage que vous en faites.

Devant lui, mettez-vous à lire un livre papier. Et, non, la lecture sur l’iPad n’est pas « pareille ».

D’ailleurs, si vous manquez d’idée, je ne peux que vous recommander mon dernier roman : une aventure palpitante écrite à la machine à écrire qui traite de vélo, d’adolescence, de fin du monde et de smartphones éteints pour toujours. Oui, la publicité s’est même glissée dans ce texte, quel scandale !

Donnez le goût de l’informatique, pas celui d’être contrôlé

Il ne faut pas tirer sur le messager : le responsable n’est pas « l’écran », mais l’utilisation que nous en faisons. Les monopoles informatiques tentent de rendre les utilisateurs addicts, prisonniers pour les bombarder de publicités, pour les faire consommer. Là sont les responsables.

Apprendre la programmation (ce qui se fait au départ très bien sans écran), jouer à des jeux vidéos profonds avec des histoires complexes ou simplement drôles pour passer un moment amusant, discuter en ligne avec des passionnés, dévorer Wikipédia… L’informatique moderne nous ouvre de magnifiques portes dont il serait dommage de priver nos enfants.

Au lieu de céder à nos propres peurs, angoisses et incompréhensions, nous devons donner à nos enfants le goût de reprendre le contrôle de l’informatique et de nos vies, contrôle que nous avons un peu trop facilement cédé aux monopoles publicitaires en échange d’un rectangle de verre affichant des icônes de couleur.

Une enfant s’étonne de ne plus retrouver un livre sur sa tablette, la maitresse lui explique que des entreprises ont décidé que ce livre n’était pas bon pour elle.
Une enfant s’étonne de ne plus retrouver un livre sur sa tablette, la maitresse lui explique que des entreprises ont décidé que ce livre n’était pas bon pour elle.

Accepter l’imperfection

« J’avais des principes, aujourd’hui j’ai des enfants » dit le proverbe. Impossible d’être parfait. Quoi que nous fassions, nos enfants seront confrontés à des conversations toxiques, des dessins animés débiles et c’est bien normal. En tant que parents, nous faisons ce que nous pouvons, avec nos réalités.

Personne n’est parfait. Surtout pas un parent.

L’important n’est pas d’empêcher à tout prix nos enfants d’être sur un écran, mais de prendre conscience qu’un smartphone n’est absolument pas un outil éducatif, qu’il ne prépare à rien d’autre que de faire de nous de bons consommateurs passifs.

Le seul apprentissage réellement nécessaire est celui d’un esprit critique dans l’utilisation d’un outil informatique.

Et dans cet apprentissage, les enfants ont souvent beaucoup à apprendre aux adultes !

Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !

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