07.11.2025 à 01:00
Ploum
On entend souvent que l’IA a des avantages et des inconvénients, mais que c’est un changement de paradigme, qu’il faut l’accepter. Qu’on ne peut pas « refuser en bloc ». Pourtant, le refus en bloc a bien eu lieu avec, par exemple, les NFTs. Et c’était, à mon avis, à raison parce que les NFT n’apportaient rien.
Je prétends que la frénésie d’IA n’est pas du tout un changement de paradigme. C’est même le contraire.
Oui, je le prétends haut et fort, ce qu’on nous vend avec l’IA n’est guère plus utile que les NFT. Tous les « nouveaux usages » sont, dans l’immense majorité, parfaitement stupides, voire hyper dangereux. Et les cas qui seraient potentiellement utiles ne sont tout simplement pas rentables. Si l’internet mobile a été un réel changement de paradigme, les IA ne le sont pas.
Ce qu’on nous vend comme de l’IA n’est, en réalité, rien de plus qu’un robot conversationnel programmé pour nous faire plaisir. Pour dire ce qu’on veut entendre. Comme le dit Tattierantula dans un fil Mastodon : « Au plus on a étudié le domaine, au plus on est susceptible de tomber dans le piège du robot conversationnel. Tout comme un roboticien se sent désolé pour un aspi-robot coincé dans un coin. »
Non, le robot conversationnel n’est pas un truc qui va « changer nos paradigmes ». Oui, un truc peut être à la mode et être complètement con. Non, on ne doit pas être nécessairement « subtil », « mesuré » ou « ouvert à la nouveauté ». Virgile Andreani l’a superbement illustré avec ce pouet sur Mastodon :
Qu'on le veuille ou non, l'astrologie est là pour rester. Certains de nos étudiant·es l'utilisent déjà : ça n'aurait donc pas de sens de lutter contre. Comment en faire un usage responsable et éthique ? Découvrez dès maintenant notre formation aux enjeux de l'astrologie dans un monde qui change, dispensée par des experts indépendants reconnus mondialement : le chef de Astrology Inc, celui de OpenAstrology, et Jean-Michel. Cette formation de trois heures délivrera le diplôme reconnu de Maître Astrologue Ingénieur en Osselets, et offrira aussi un accès exclusif à l'ensemble de vos étudiant·es, employé·es, chômeur·euses, retraité·es, familles, aux Astrology Factories construites sur l'ensemble du territoire avec vos impôts. Tou·tes ensemble vers un futur sous le signe de l'astrologie qui nous permettra sûrement un jour de répondre aux grandes questions de l'humanité comme comprendre comment être plus rationnels ! 🛸✨🔮
J’insiste sur ce point important : les robots conversationnels sont littéralement programmés pour répondre ce que nous voulons lire. Il n’y a aucune notion de « vérité » ou de « réel » dans l’entraînement des IA. Ce sont donc, par essence, des outils ascientifiques. La comparaison avec l’astrologie est parfaitement apte. Et on peut trouver une utilité aux robots conversationnels de la même manière qu’on peut trouver une utilité à jouer au tarot pour lancer une conversation ou imaginer la suite d’une histoire sur laquelle nous bloquons. Ou jouer à pile ou face une décision qui nous fait hésiter.
Même les opposants aux LLMs concèdent que « cela peut avait une grande utilité, par exemple en médecine ». C’est entièrement faux. Les premiers résultats sont catastrophiques : une perte rapide d’expérience chez les spécialistes utilisant l’IA, une incapacité pour les jeunes générations de se former. Un outil qui n’a aucun fondement épistémologique de vérité ne peut, par définition, pas être utile pour un scientifique.
Et répondre avec une anecdote où « ça a fonctionné » est justement le contraire de la méthode scientifique.
La seule réelle utilité de cette IA serait donc d’offrir une oreille attentive à celleux qui se sentent seul·e·s. Sur ce sujet, un très long article d’Huber Guillaud sur les IAs utilisées comme compagnon de discussion.
Une idée m’a frappée dans ce texte : le fait que les chatbots font disparaître le sentiment de solitude tout comme les mobiles et leurs notifications ont fait disparaître le sentiment d’ennui, ennui pourtant fondamental pour reposer le cerveau.
Mais ce sont les sentiments qui ont disparu ! Exactement comme la coca coupe le sentiment de faim sans pour autant apporter la moindre valeur nutritive. Pour cette raison, elle est massivement utilisée par les pauvres.
Et c’est exactement la même chose pour les usages professionnels, voire scientifiques, de l’IA. Ce papier de Duc Cuong Nguyen et Catherine Whelch insiste sur ce point. Les LLMs sont des outils conversationnels tellement convaincants que même les scientifiques ont l’impression de parler avec d’autres scientifiques compétents. Ils se font alors complètement induire en erreur, car ils ont l’impression d’avoir enfin une oreille attentive qui les comprend.
Pour caricaturer, la hype autour du « prompt engineering » a convaincu une génération de managers et de politiciens qu’il suffit de dire « Tu es un chercheur de génie qui vient de recevoir le prix Nobel de médecine pour avoir guéri le cancer. Explique-moi en cinq phrases ta découverte » pour que ChatGPT nous donne réellement le remède contre le cancer. Et les scientifiques, dont les financements dépendent des politiciens et des managers du privé, sont forcés d’aller dans ce sens, parfois sans s’en rendre compte. Voire, pire, en commençant à réellement apprécier les interactions avec les LLMs, ce que Hamilton Mann compare au syndrome de Stockholm.
La réflexion intellectuelle nécessaire à toute quête scientifique nécessite de longs temps de solitude. Ce que Cal Newport appelle « Deep Work ». Il est nécessaire de s’abstraire des conventions sociales, du charisme humain capable de faire passer des vessies pour des lanternes et de se retrouver seul. Seul face aux données reflétant la réalité, seul face aux longs enchainements logiques.
Les robots générationnels ne sont donc pas un changement de paradigme. Comme les notifications et l’obligation de connexion permanente, ils ne sont qu’un outil de plus pour tenter d’envahir nos réflexions et notre solitude. Ils ne sont qu’une arme de plus dans la guerre que le consumérisme mène contre l’intellectualisme.
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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01.11.2025 à 01:00
Ploum
Comme le souligne Ed Zitron, toute la bulle actuelle est basée sur 7 ou 8 entreprises qui s’échangent des promesses de s’échanger des milliards d’euros lorsque tous les habitants de la planète dépenseront en moyenne 100€ par mois pour utiliser ChatGPT. Ce qui, pour éviter une cascade de faillites, doit arriver dans les 4 ans au plus tard.
Spoiler : cela n’arrivera jamais.
(oui, Gee m’a convaincu que le spoiler, ce n’était finalement pas si mal et que si spoiler gâche réellement une œuvre, c’est que l’œuvre est merdique)
Tout le monde est en train de perdre une fortune à investir dans une infrastructure IA que personne ne veut payer pour utiliser.
Parce qu’à part deux ou trois managers lobotomisés par les écoles de commerce et tout fiers de poster sur LinkedIn des textes générés qu’ils n’ont même pas lus, ChatGPT est loin d’être la révolution promise. C’est juste ce qu’on veut nous faire croire. Cela fait partie du marketing !
Tout comme on veut nous faire croire qu’avoir une app pour tout nous simplifie la vie alors que si on réfléchit rationnellement, le coût cognitif de l’app est souvent supérieur à l’alternative, mais encore faut-il qu’alternative il y ait.
Et ce n’est pas un hasard si je parle d’apps pour illustrer la bulle IA.
Parce que les apps ont été promues à grand renfort de marketing pour promouvoir indirectement la vente de smartphone. Qu’une gigantesque industrie s’est formée sur le fait que le marché des smartphones était en pleine croissance. Et si la bulle n’a pas explosé, un autre phénomène est arrivé très récemment : la saturation.
Tout le monde a un smartphone. Celleux qui n’en ont pas n’en veulent pas en conscience. Celleux qui en ont vont le remplacer de moins en moins souvent, car les nouveaux modèles n’apportent plus rien et, au contraire, retirent des fonctions (combien s’accrochent à un vieux modèle pour garder un jack audio ?). L’industrie a fini sa croissance et va se stabiliser dans un renouvellement de l’existant.
Si j’étais méchant, je dirais que le marché du dumbphone a un plus fort potentiel de croissance que celui du smartphone.
Toutes les petites sociétés et les services qui se sont fait convaincre de « développer une app » ne l’ont fait que pour promouvoir la vente de smartphone et, désormais, cela ne sert plus à rien. Elles se retrouvent à devoir gérer trois clientèles différentes : Android, iPhone et celleux sans aucun des deux. Bref, vous pouvez arrêter de « promouvoir vos apps », cela ne vous rapportera rien d’autre que du travail et des coûts supplémentaires. Que cela vous serve de leçon à l’heure où vous « investissez dans l’IA ».
Spoiler : personne n’a compris la leçon.
Mais le capitalisme a besoin de croissance ou, au moins, la croyance d’une croissance future.
C’est exactement ce que promet l’IA et la raison pour laquelle nous sommes gavés de marketing pour l’IA partout, que les nouveaux téléphones ont des « puces IA » et que toutes les apps se mettent à jour pour nous forcer à utiliser l’IA.
Par rapport à l’explosion du mobile, j’observe néanmoins une différence flagrante, fondamentale.
Beaucoup de gens « normaux » n’aiment pas. Les mêmes qui étaient fascinés par les premiers smartphones, qui étaient fascinés par les réponses de ChatGPT sont furieux d’avoir une IA dans Whatsapp ou dans leur brosse à dents. Celleux qui croient le plus en l’IA ne sont pas celleux qui l’utilisent le plus (ce qui était le cas du smartphone), mais celleux qui pensent que d’autres vont l’utiliser !
Mais ces autres ne l’utilisent finalement que très peu. Et ce n’est pas une réflexion éthique ou écologique ou politique.
C’est juste que ça les emmerde. Que même avec du matraquage marketing incessant, ils ont l’impression que ça complique leur vie plutôt que la simplifier. J’observe de plus en plus de gens refuser de faire des mises à jour, tenter de faire durer le plus longtemps possible un appareil pour éviter d’avoir à racheter le nouveau avec des écrans tactiles à la place des boutons. Ce que j’expliquais déjà en 2023.
Nous avons atteint un point de saturation technologique.
Lorsque vous refusez l’IA ou que vous demandez un bouton physique pour régler le volume de la radio dans votre nouvelle voiture, les vendeurs et le marketing se contentent de vous classer dans la catégorie des « ignares qui ne comprennent rien à la technologie » (dans laquelle ils me classent dès que j’ouvre la bouche, et ça m’amuse beaucoup d’être pris pour un ignare technologique).
Mais, à un moment, ces ignares vont devenir une masse importante. Ces non-consommateurs vont commencer à peser, économiquement, politiquement.
L’économie de la merdification (ou « crapitalism » comme l’appelle Charlie Stross) est, sans le vouloir, en train de promouvoir la décroissance et le low-tech !
Chaque système contient en lui les germes de la révolution qui le renversera.
Du moins, je l’espère…
La bulle du web 2.0 a éclaté en laissant en place une énorme infrastructure sur laquelle ont pu prospérer quelques survivants (Amazon, Google) et quelques nouveaux venus (Facebook, Netflix) qui se sont littéralement approprié les restes.
Parfois, une bulle ne laisse rien derrière elle, comme celle des subprimes en 2008.
Qu’en sera-t-il de la bulle IA dans laquelle nous sommes ? Les datacenters construits seront rapidement obsolètes. La destruction sera énorme.
Mais ces data centers nécessitent de l’électricité. Beaucoup d’électricité. Et pour une grande partie, une électricité renouvelable, car c’est la moins chère à l’heure actuelle.
Mon pari est donc que l’éclatement de la bulle IA va créer une offre d’électricité sans précédent. Celle-ci va devenir presque gratuite et, dans certains cas, elle aura même un prix négatif (parce qu’une fois les batteries pleines, il faut bien évacuer la production excédentaire).
Et si l’électricité est gratuite, il devient de plus en plus difficile de justifier de brûler du pétrole. La fin de la bulle IA pourrait également sonner la fin d’une bulle pétrolière qui dure depuis 70 ans.
Comme le dit Charlie Stross, on y est peut–être déjà :
Ça paraît un peu utopiste et, au moment de l’éclatement, ça ne va pas être joli à voir. Ça peut commencer demain comme dans 10 ans. La transition risque de durer plus qu’une poignée d’années. Mais, clairement, c’est un changement civilisationnel qui s’amorce…
On n’y arrivera pas sans douleur. La récession économique va alimenter tous les délires fascistes disposant d’une infrastructure d’espionnage dont l’officier de la Stasi le plus fou n’aurait jamais pu rêver. Mais ptêtre qu’au bout du tunnel, on se dirigera vers ce que Tristan Nitot a décrit dans sa novelette « Vélorutopia ». Il prétend s’inspirer, entre autres, de Bikepunk. Mais je crois qu’il dit ça pour me flatter.
EDIT 9 novembre : ajout du lien de Charlie Stross que j’avais oublié.
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27.10.2025 à 01:00
Ploum
Je ne peux résister à vous partager cet extrait issu de « L’odyssée du pingouin cannibale », de l’inénarrable Yann Kerninon, philosophe et punk rocker anarchocycliste :
Quand on m’envie d’écrire des livres et d’être un philosophe, j’ai toujours envie de répondre « allez vous faire foutre ». Dans une interview télévisée, le philosophe Kostas Axelos affirmait que ce n’était jamais le penseur qui faisait la pensée, mais bien toujours la pensée qui faisait le penseur. Il ajoutait qu’il aurait bien aimé qu’il en soit autrement. Au journaliste étonné qui lui demandait pourquoi, il répondit avec un léger sourire : « Parce que c’est la source d’une grande souffrance. »
Cette idée que la pensée fait le penseur est poussée encore plus loin par Marcello Vitali-Rosati dans son excellent « Éloge du bug ». Dans cet ouvrage, que je recommande chaudement, Marcello critique la dualité platonicienne qui imprègne la pensée occidentale depuis 2000 ans. Il y aurait les penseurs et les petites mains, les dirigeants et les obéissants, le virtuel et le réel. Ce dénigrement de la matérialité aurait été poussé à son paroxysme par les GAFAM qui tentent de cacher toute l’infrastructure sur laquelle elles s’appuient. Nous avons nos données dans « le cloud », nous cliquons pour passer une commande et, magiquement, le paquet arrive à notre porte le lendemain.
Lorsqu’un étudiant me dit que son téléphone se connecte à un satellite, lorsqu’un politicien s’étonne que les câbles sous-marins existent encore, lorsqu’un usager associe « wifi » et internet, ce n’est pas de la simple ignorance comme je l’ai toujours cru. C’est en réalité le résultat de décennies de lavage de cerveau et de marketing pour tenter de nous faire oublier la matérialité, pour tenter de nous convaincre que nous sommes tous des « décideurs » à qui obéit un génie magique.
Marcello fait le parallèle avec le génie d’Aladdin. Car, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, Aladdin est inculte. Il veut « des beaux vêtements » mais n’a aucune idée de ce qui fait que des vêtements sont beaux ou non. Il ne pose aucun choix. Il est sous la coupe totale du génie qui prend l’entièreté des décisions. Il croit être le maître, il est le jouet du génie.
Je me permets même de pousser l’analogie en faisant appel aux habits neufs de l’empereur : lorsqu’Aladdin sera complètement dépendant du génie, celui-ci lui fournira des habits « invisibles » en le convainquant que ce sont les plus beaux. Ce processus est désormais connu sous le nom de « merdification ».
Le néoplatonicisme de Plotin voulait que l’écrit ne soit qu’une tâche vulgaire, subalterne de la pensée.
Avec ChatGPT et consorts, la Silicon Valley a inventé le néo-néoplatonicisme. La pensée elle-même devient vulgaire, subalterne à l’idée. Le grand entrepreneur a l’ébauche d’une idée, plutôt un désir intuitif. Charge aux sous-fifres de le réaliser ou, pour le moins, de créer une campagne marketing pour modifier la réalité, pour convaincre que ce désir est réel, génial, souhaitable et réaliste. Que son auteur mérite les lauriers. C’est ce que j’ai appelé « la mystification de la Grande Idée ».
Mais ce n’est pas le penseur qui fait la pensée. C’est la pensée qui fait le penseur.
Ce n’est pas la pensée qui fait l’écrit, c’est l’écrit qui fait la pensée.
L’acte d’écriture est physique, matériel. L’utilisation d’un outil ou d’un autre va grandement affecter l’écrit et, par conséquent, la pensée et donc le penseur lui-même. Sur ce sujet, je ne peux que vous recommander chaudement « La mécanique du texte » de Thierry Crouzet. L’absence de cette référence m’a d’ailleurs sauté aux yeux dans « Éloge du bug », car les deux livres sont très complémentaires.
Si toute cette réflexion semble pour le moins abstraite, j’en ai fait l’expérience de première main. En écrivant à la machine à écrire, bien entendu, comme c’est le cas pour mon roman Bikepunk.
Mais le changement le plus profond que j’ai vécu est probablement lié à ce blog.
Il y a 3 ans, j’ai enfin réussi à quitter Wordpress pour faire un blog statique que je génère avec mon propre script.
De manière amusante, Marcello Vitali-Rosati vient de faire un cheminement identique.
Mais ce n’est pas un long processus réflexif qui m’a amené à cela. C’est le fait d’être saoulé par la complexité de Wordpress, de me rendre compte que j’avais perdu le plaisir d’écrire et que je le retrouvais sur le réseau Gemini. J’ai mis en place des choses sans en comprendre les tenants et les aboutissants. J’ai expérimenté. J’ai été confronté à des centaines de microdécisions que je ne soupçonnais pas. J’ai appris énormément sur le HTML en développant Offpunk et je l’ai appliqué sur ce blog. Pour être honnête, je me suis rendu compte que j’avais oublié qu’il était possible de faire une simple page HTML sans JavaScript, sans un thème CSS fait par un professionnel. Et pourtant, une fois en ligne, je n’ai reçu que des éloges sur un site pourtant minimal.
Mon processus de blogging s’est complètement modifié. Je me suis remis à Vim après m’être remis pleinement à Debian. Mes écrits s’en sont ressentis. J’ai été invité à parler de minimalisme numérique, de low-tech.
Mais je n’ai pas rejoint Gemini parce que je me sentais un minimaliste numérique dans l’âme. Je n’ai pas quitté Wordpress par amour de la low-tech. Je n’ai pas créé Offpunk parce que je suis un guru de la ligne de commande.
C’est exactement le contraire ! Gemini m’a illuminé sur une manière de voir et de vivre un minimalisme numérique. Programmer ce blog m’a fait comprendre l’intérêt de la low-tech. Créer Offpunk et l’utiliser ont fait de moi un adepte de la ligne de commande.
La pensée fait le penseur ! L’outil fait le créateur ! Le logiciel libre fait le hacker ! La plateforme fait l’idéologie ! Le vélo fait la condition physique !
Peut-être que nous devrions arrêter de nous poser la question « Qu’est-ce que cet outil peut faire pour moi ? » et la remplacer par « Qu’est-ce que cet outil va faire de moi ? ».
Car si la pensée fait le penseur, le réseau social propriétaire fait le fasciste, le robot conversationnel fait l’abruti naïf, le slide PowerPoint fait le décideur crétin.
Qu’est-ce que cet outil va faire de moi ?
En énonçant cette question à haute voix, je soupçonne que nous verrons d’un autre œil l’utilisation de certains outils, surtout ceux qui sont « plus faciles » ou « que tout le monde utilise ».
Qu’est-ce que cet outil va faire de moi ?
En regardant autour de nous, il y a finalement peu d’outils dont la réponse à cette question est rassurante.
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14.10.2025 à 02:00
Ploum
Où je parle de hockey sous-marin, d’avions militaires et du pourrissement des oranges punks.
C’est un fait historique peu connu, mais j’ai, brièvement, été arbitre sportif. J’ai en effet arbitré des matchs de première division belge de hockey subaquatique (si, c’est un sport qui existe). Bon, en réalité, j’ai été arbitre parce que chaque équipe de division 2 devait envoyer des joueurs arbitrer des matchs de division 1. Mais, au final, je l’ai quand même fait.
Je me souviens d’un match particulièrement important entre les deux meilleures équipes de Belgique qui s’affrontaient pour le titre de champion de Belgique.
En hockey subaquatique, il y a normalement deux arbitres dans l’eau. Mais, lors de ce match, le second arbitre s’avéra dépassé et, à chaque action, me faisait le geste signifiant "je n’ai pas vu l’action" (étant équipés de masque et de tubas, les arbitres communiquent par gestes codifiés).
Je me suis donc retrouvé à arbitrer presque seul ce qui était probablement le match le plus important du championnat. Malgré mon manque d’expérience, j’ai très vite compris que la seule manière de garder le contrôle d’un match très engagé était de prendre des décisions fermes avec assurance. Le palet était sorti après une mêlée confuse ? Pas le temps d’analyser au millimètre qui était le dernier joueur à l’avoir touché : je devais simplement prendre une décision. Quoi que je décide, l’autre équipe allait réclamer. C’est d’ailleurs arrivé très vite. En hockey subaquatique, seul le capitaine peut, en théorie, s’adresser à l’arbitre. Un joueur est venu, en se plaignant. J’ai fait le geste de demander s’il était capitaine et, comme ce n’était pas le cas, je l’ai exclu pour 3 minutes. Il s’est mis à hurler, J’ai rajouté 2 minutes d’exclusion. C’était particulièrement sévère. Mais, à partir de ce moment, plus aucune de mes décisions n’a été contestée.
J’ai essayé de les rendre les plus justes possible et le match s’est très bien déroulé.
J’ai appris une chose importante : l’arbitrage n’est pas une discipline scientifique. Est-il physiquement possible de déterminer exactement quelle a été la dernière crosse à toucher le palet avant qu’il sorte ? À partir de quand exactement un shoot est-il considéré comme dangereux ? Même la frontière entre un goal et un sauvetage de justesse sur la ligne possède un certain degré d’arbitraire.
Pour prendre une décision juste, l’arbitre peut utiliser son intuition humaine. Si un défenseur a foncé vers un attaquant et que le palet est sorti, on peut, dans le doute, estimer que la sortie est la faute du défenseur. L’arbitre peut également « sentir » l’aspect volontaire ou non d’une faute.
Mais tout cela n’était possible que parce que, contrairement au football, le hockey subaquatique n’est pas équipé de caméras qui scrutent tout au ralenti. Le football qui est devenu un sport que je trouve absolument impossible à apprécier : après avoir marqué un goal, les joueurs se tournent désormais vers l’arbitre et attendent pour savoir s’il n’y avait pas eu un hors-jeu millimétré 5 minutes plus tôt. Le tout est analysé en coulisse par un type devant un ordinateur qui transmet ses décisions dans l’oreillette de l’arbitre. Ou plutôt les décisions prises par un ordinateur.
L’aspect humain du jeu a complètement disparu et prend les attributs d’une décision pseudoscientifique, tentant de découvrir une « vérité ». Or, scientifiquement, il n’y a pas de vérité possible. Le hors-jeu se déclare au moment où le ballon quitte le pied du passeur. Ce moment n’existe pas. Le ballon se déformant, je mets au défi quiconque de déterminer la milliseconde exacte de cet événement. Il en est de même pour décider si une ligne à été franchie ou non. À partir de quel millimètre peut-on dire qu’une sphère a franchi une ligne tracée sur des brins d’herbe ? Rien que le placement des caméras et l’éclairage du stade vont influencer la décision. Même en cyclisme il est parfois incroyablement difficile de déterminer quel vélo a franchi la ligne en premier. Et la décision est alors prise sans appel possible.
Scientifiquement, c’est très compliqué de tracer une limite exacte. Un de mes profs de polytechnique disait que les appareils à aiguille sont toujours plus précis que les afficheurs numériques, car on peut voir la mesure « réelle » … quitte à bouger un peu la tête pour qu’elle corresponde à ce que l’on veut !
Pour mesurer scientifiquement, il faut poser des hypothèses, discuter, prendre plusieurs mesures, répéter une expérience. Humainement, au contraire, il est possible de prendre la décision qui parait la plus juste possible sur le moment même. La décision pourra toujours être discutée par après, mais, dans le feu de l’action, c’est celle qui a été prise.
Et même si les décisions ne sont pas parfaites, le fait qu’elles paraissent justes à première vue va créer une relation de confiance envers l’arbitre. L’arbitre se sentira responsable et utilisera son intuition pour préserver sa réputation. Lorsque j’ai arbitré ce fameux match de hockey, je n’ai jamais cherché à prendre la décision la plus exacte, mais toujours la plus juste.
Mais la machine ne permet plus la justesse. La justesse s’efface au profit d’une arbitraire exactitude. L’arbitre obéit désormais à des instructions qui lui sont soufflées dans l’oreillette. Il ne peut plus prendre de décisions. Il ne peut plus prendre de décisions, mais, paradoxalement, il en reste responsable.
Il n’y a pas que les arbitres de sport. Les pilotes de chasse sont désormais confrontés au même problème.
Le F-35 est un avion tellement complexe qu’il est devenu tout bonnement inpilotable. Le 27 août 2025, un appareil s’est écrasé. Le train d’atterrissage était bloqué en position semi-ouverte et le pilote a tenté une série de « touch down », une procédure vieille comme l’aviation et que Buck Danny utilise notamment dans Prototype FX-13, un album de 1961, pour résoudre le même problème.
Buck Danny n’avait pas un ordinateur hyper complexe à son bord et il sauve finalement l’avion. En 2025, l’ordinateur a considéré que la procédure était un atterrissage classique. L’avion s’est mis en mode « roulage au sol » alors qu’il était en train de redécoller. En mode roulage à plusieurs centaines de mètres d’altitude, l’engin était bien entendu ingouvernable, forçant l’éjection du pilote.
Un problème mécanique prévisible et « classique » s’est transformé, grâce aux ordinateurs en catastrophe.
Comme ce prof d’électronique qui, pour justifier l’importance de l’électronique moderne, nous avait expliqué que grâce à l’électronique, sa voiture avait pu être réparée en moins d’une heure le jour même de son départ en vacances. La panne en question ? Un défaut du capteur électronique qui inventait de fausses pannes.
Plus besoin d’avoir un problème réel. Désormais, tout est automatisé ! En 2024, un pilote s’est éjecté de son F-35, car, malgré plusieurs reboot, son casque connecté indiquait des erreurs critiques.
Problème : après l’éjection du pilote, l’avion a continué à voler correctement pendant de très longues minutes. Il semblerait que son casque avait un simple bug informatique.
La subtilité de l’histoire c’est que le pilote en question voit désormais sa carrière mise entre parenthèses et est poursuivi pour abandon d’avion fonctionnel. Sauf qu’il a suivi à la lettre la procédure relative aux messages d’erreur affichés dans son casque.
Non seulement la complexité crée artificiellement des problèmes, mais elle empêche les humains d’acquérir de l’expérience et de prendre des décisions. Nous n’avons plus des pilotes qui « sentent » leur avion, mais des opérateurs suivants des procédures informatisées. C’est pareil quand mon garagiste me dit que l’erreur 550 de mon véhicule force à un retour chez le concessionnaire. Lequel n’a, au final, fait que remplacer une durite, ce que mon garagiste indépendant aurait pu faire directement si le logiciel ne l’en avait pas empêché.
Si vous lisez ce blog, vous avez conscience de l’espionnage permanent dont nous sommes victimes. Et l’une des conséquences directes de cet espionnage, c’est que tout peut désormais être scruté même longtemps après. Toutes les décisions peuvent être discutées pour savoir si, scientifiquement, c’était bien la bonne décision.
Le foot, encore lui, est l’exemple parfait : après 90 minutes de match suivent des heures voire, dans certains cas, des journées entières de discussions entre des types qui regardent chaque image au ralenti pour conclure que l’arbitre, l’entraîneur ou les joueurs ont pris de mauvaises décisions.
Qu’on soit arbitre, pilote de chasse ou simple citoyen, la seule stratégie possible pour un humain raisonnable est donc de ne plus prendre de décisions (ce qui est déjà une décision en soi).
Nous nous sommes fait avoir. Nous servons la machine aveuglément, n’en tirant aucun bénéfice lorsque tout va bien et en nous faisant taper sur les doigts lorsque tout va mal. Ce qui sert d’excuses à mettre encore plus de machines dans l’histoire.
Nous sommes devenus cet assemblage biologiquement mécanique absurde et contre nature qu’Anthony Burgess appelle « L’orange mécanique » (la signification du titre est en effet parfaitement explicite dans le livre, bien plus que dans le film).
Et si vous pensez que l’IA peut vous dépasser, c’est parce que, justement, vous agissez comme une IA, comme une orange mécanique. Par définition, ChatGPT surpassera toujours en intelligence celleux qui font confiance à ChatGPT.
Comme le disait l’inénarrable Yann Kerninon en 2017, il faut juste arrêter de nous prendre pour des machines. Redevenir des humains. Des oranges biologiques qui pourrissent et crèvent, mais qui sont, juste avant, pleines de saveurs et de vitamines.
Andreas raconte son expérience avec un de ses collègues incapable de résoudre un problème particulier (ce qui arrive à tout le monde, surtout quand on a le nez dans le guidon). Mais la particularité, c’est que le collègue en question n’a jamais cherché à résoudre le problème. Il cherchait à ce que ChatGPT lui donne la réponse.
Lorsqu’Andreas a compris la cause du problème en question, il a tenté de l’expliquer à son collègue, mais ce n’est que lorsque ce dernier a donné l’explication à ChatGPT et que ChatGPT a acquiescé qu’ils ont pu enfin avancer.
Andreas conclut avec le fait que le cerveau est un muscle. Moins on l’utilise, plus il s’atrophie et plus l’acte de penser devient douloureux et moins on a envie de l’utiliser (et donc plus il s’atrophie).
J’en profite pour rappeler que ChatGPT et consorts sont littéralement des machines à reformuler vos questions, à acquiescer à tous vos biais cognitifs. Mais Olivier Ertzscheid l’explique mieux que moi dans ce court billet « 3 minutes chrono »
Mais là où Andrea est trop optimiste est lorsqu’il imagine que savoir penser va devenir une qualité rare et enviable sur le marché du travail.
Rare, oui.
Enviable, certainement pas. Car penser, c’est remettre en question. Le capitalisme actuel me fait penser à la guerre 14-18. Les travailleurs sont la chair à canon. Les intellectuels sont les pacifistes, les objecteurs de conscience. En tentant de remettre en question l’épouvantable boucherie dont ils étaient témoins, ils n’ont gagné que le droit de se faire fusiller.
Questionner, se rebeller, c’est être un perdant !
Comme je le disais : on ne reçoit pas de médailles pour résister. C’est même plutôt le contraire : les médailles sont là pour récompenser ceux qui perpétuent le système sans poser de questions.
Refuser de devenir une orange mécanique, c’est accepter de pourrir. C’est même le célébrer en s’enfonçant des clous de girofle dans la chair pour que ce pourrissement sente bon.
En plus, ça donne un look punk, vous ne trouvez pas ?
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18.09.2025 à 02:00
Ploum
Je dédicacerai ce samedi 20 et dimanche 21 septembre à Mérignac, dans le cadre du festival Hypermondes. Je participe également à une table ronde le dimanche. Et pour tout vous dire, j’ai sacrément le trac, car je serai entouré de noms qui peuplent ma bibliothèque et dont j’ai lu et relu les livres : Pierre Bordage, J.C. Dunyach, Pierre Raufast, Catherine Dufour, Laurent Genefort… Sans oublier Schuiten et Peeters, qui ont marqué mon adolescence et surtout, mon idole, le plus grand scénariste BD de ce siècle, Alain Ayroles (parce que pour le siècle précédent, c’est Goscinny).
Bref, je me sens tout petit au milieu de ces géants alors n’hésitez pas à venir me faire un coucou pour que je me sente moins seul sur le stand !
Dans le film « Glass Onion » (Rian Johnson, 2022), un milliardaire de la Tech, parodie de ZuckerMusk, invite des amis sur son île privée pour une sorte de cluedo géant. Qui dégénère évidemment lorsqu’un véritable crime est commis.
Ce que j’ai beaucoup aimé dans ce film, c’est l’insistance sur un point trop souvent oublié : ce n’est pas parce qu’on est riche et/ou célèbre qu’on est intelligent. Et ce n’est pas parce qu’on arrive à faire croire au public qu’on est surintelligent, au point de le croire soi-même, qu’on l’est réellement.
Bref, c’est une belle remise à leur place du monde des milliardaires, des influenceurs, starlettes et tout ce qui gravite autour.
Néanmoins, un point particulier m’a chagriné : toute une partie de l’intrigue repose sur savoir qui a eu le premier l’idée de la startup qui fera le succès du milliardaire, idée qui est littéralement griffonnée sur une serviette en papier.
C’est très amusant dans le film, mais comme je l’ai déjà dit : une idée seule ne vaut rien !
L’idée n’est que l’étincelle initiale d’un projet, mais le résultat final sera impacté par les milliers de décisions et d’adaptations prises en cours de route.
Si vous n’avez jamais fait construire de maison, vous pensez peut-être que vous décrivez la maison de vos rêves à un architecte. Celui-ci vous propose un plan. Vous validez, les ingénieurs et les ouvriers s’emparent du plan et la maison se construit.
Sauf qu’en réalité, vous êtes incapable de décrire la maison de vos rêves. Vos intuitions sont toutes contradictoires. Ce que j’appelle le syndrome de « la maison de plain-pied sur deux étages ». Et quand bien même vous avez réfléchi en profondeur, l’architecte va pointer tout un tas de problèmes pratiques avec vos idées. De choses auxquelles vous n’avez pas pensé. C’est très joli toutes ces vitres, mais comment allez-vous les entretenir ?
Il va falloir faire des compromis, prendre des décisions. Et une fois le plan validé, les décisions continueront sur le chantier. À cause des imprévus ou des milliers de petits problèmes qui n’apparaissaient pas sur le plan. Voulez-vous vraiment un évier à cet endroit vu que la porte s’ouvre dessus ?
Au final, la maison de vos rêves sera très différente de ce que vous avez imaginé. Pendant des années, vous lui trouverez des défauts. Mais ces défauts sont des compromis que vous avez expressément choisis.
En tant qu’écrivain, il m’arrive régulièrement de me voir poser la question : « D’où te viennent toutes ces idées ? »
Comme si avoir l’idée était un problème. Des idées, j’en ai des centaines dans mes tiroirs. Le travail n’est pas d’avoir l’idée, c’est de faire le plan puis de transformer ce plan en construction.
J’ai plusieurs fois reçu des propositions de type : « J’ai une super idée pour un roman, je te la partage, tu écris et on fait 50/50 ».
Vous imaginez un instant arriver chez un architecte avec un truc griffonné et dire : « J’ai une super idée pour une maison, je vous la montre, vous la construisez, vous trouvez un entrepreneur et on partage » ?
Contrairement à Printeurs, que j’ai rédigé sans scénario préalable, j’ai écrit Bikepunk avec une véritable structure. Je suis parti d’une idée initiale. J’ai brainstormé avec Thierry Crouzet (nos échanges ont fait naître le fameux flash de l’histoire). Puis j’ai creusé les personnages. J’ai écrit une nouvelle dans cet univers (créant le personnage de Dale), j’ai ensuite travaillé la structure pendant un mois avec un tableau de liège sur lequel je punaisais des fiches. Enfin, je me suis mis à l’écriture. Bien des fois, je me suis retrouvé confronté à des incohérences, j’ai dû prendre des décisions.
Le résultat final ne ressemble en rien à ce que j’imaginais. Certaines scènes clé de mon synopsis se sont révélées, à la relecture de simples transitions. Des improvisations de dernières minutes semblent, au contraire, avoir marqué toute une frange de lecteurices.
Une idée n’est qu’une étincelle qui peut potentiellement se propager, se mélanger à d’autres. Mais, pour allumer un feu, la source initiale de l’étincelle compte bien moins que le combustible.
L’invention qui mit cela en exergue est certainement l’ordinateur. Car un ordinateur est, par essence, une machine qui fait ce qu’on lui demande.
Exactement ce qu’on lui demande. Ni plus ni moins.
L’humain a été confronté au fait qu’il est extrêmement compliqué de savoir ce que l’on veut. Que c’est presque impossible de l’exprimer sans ambiguïté. Que cela nécessite un langage dédié.
Un langage de programmation.
Et maitriser un langage de programmation demande un esprit tellement analytique et rationnel qu’un métier s’est créé pour l’utiliser: programmeur, codeuse, développeur. Le terme importe peu.
Mais, tout comme un architecte, une programmeuse doit en permanence prendre des décisions qu’elle pense être les meilleures pour le projet. Pour l’avenir. Ou bien elle identifie les paradoxes pour en discuter avec le client. « Vous m’avez demandé une interface simple avec un seul bouton tout en me spécifiant douze fonctionnalités qui doivent avoir un accès direct avec un bouton dédié. On fait quoi ? » (cas vécu).
Ce que je dis paraît peut-être évident, mais lorsque j’entends le nombre de personnes qui parlent de « vibe programming », je me dis que beaucoup trop de monde a été bercé avec le paradigme de « l’idée magique » comme dans Onion Glass.
Les IAs sont perçues comme des machines magiques qui font ce que vous voulez.
Sauf que, quand bien même elles seraient parfaites, vous ne savez pas ce que vous voulez.
Les IA ne peuvent pas prendre correctement ces milliers de décisions. Des algorithmes statistiques ne peuvent produire que des résultats aléatoires. Vous ne pouvez pas juste émettre votre idée et voir le résultat apparaître (ce qui est le fantasme des crétins-managers, cette race d’idiots formés dans les écoles de management qui est persuadée que les exécutants sont une charge dont il faudrait idéalement se passer).
Le fantasme ultime est une machine « intuitive », qu’il ne faut pas apprendre. Mais l’apprentissage n’est pas seulement technique. L’expérience humaine est globale. Un architecte va penser aux problèmes de la maison de vos rêves parce qu’il a déjà suivi vingt chantiers et eu un aperçu des problèmes. Chaque nouveau livre d’un écrivain reflète son expérience avec les précédents. Certaines décisions sont les mêmes, d’autres, au contraire, sont différentes pour expérimenter.
Ne pas vouloir apprendre son outil, c’est la définition même de la stupidité la plus crasse.
Penser qu’une IA pourrait remplacer un développeur, c’est montrer sa totale incompétence quant au travail du développeur en question. Penser qu’une IA peut écrire un livre ne peut provenir que de gens qui ne lisent pas eux-mêmes, qui ne voient que du papier imprimé.
Ce n’est pas que c’est techniquement impossible. D’ailleurs, beaucoup le font parce que vendre du papier imprimé, ça peut être rentable avec le bon marketing, peu importe ce qui est imprimé.
C’est juste que le résultat ne pourra jamais être satisfaisant. Tous les compromis, les décisions seront le fruit d’un aléa statistique sur lequel vous n’avez aucun contrôle. Les paradoxes ne seront pas résolus. Bref, c’est et ce sera toujours de la merde.
Facebook n’était pas la première tentative de réseau social entre étudiants. Amazon n’était pas le premier site de vente de livre en ligne. Whatsapp était une application pour afficher sa disponibilité pour un coup de fil à ses amis. Instagram servait à la base à partager sa position. Microsoft n’avait jamais développé de système d’exploitation lorsqu’ils ont vendu la licence DOS à IBM.
Bref, l’idée initiale ne vaut rien. Ce qui a fait le succès de ces entreprises, ce sont les milliards de décisions prises à chaque instant, les réajustements.
Prendre ces décisions est ce qui construit le succès, fût-il commercial, artistique ou personnel. Croire qu’un ordinateur pourrait prendre ces décisions à votre place c’est faire preuve non seulement de naïveté, mais c’est également prouver totalement son incompétence dans le domaine concerné.
Dans Onion Glass, ce point m’a particulièrement chagriné, car poussé à l’absurde. Comme si une serviette avec trois traits de crayon pouvait valoir des milliards.
Et si je me réjouis de fréquenter tant d’auteurs que j’admire à Mérignac, ce n’est pas pour échanger des idées, mais m’imprégner de leurs expériences, de leur personnalité qui leur fait construire des œuvres que j’admire.
J’ai dû relire des dizaines et des dizaines de fois l’intégralité de « De capes et de crocs », le chef d’œuvre de Masbou et Ayroles.
À chaque relecture, je savoure chaque case. Je sens que les auteurs s’amusent, se laissent porter, emporter par leurs personnages dans des bifurcations a priori imprévues, improbables. Quelle IA aurait l’idée de faire intervenir le caquètement d’un poulailler dans la complétion d’un alexandrin ? Quel algorithme se pavanerait de la césure à l’hémistiche ?
L’humain et son expérience auront toujours quelque chose en plus, quelque chose d’indéfinissable dont le mot m’échappe.
Ah si…
Quelque chose que, sans un pli, sans une tache, l’humain emporte malgré lui…
Et c’est…
— C’est ?
Son panache !
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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09.09.2025 à 02:00
Ploum
Drmollytov est une bibliothécaire qui a été très gravement blessée dans un accident de moto, accident où son mari a perdu la vie.
Après une période de convalescence et de deuil, elle tente de reconstruire sa vie et, graduellement, elle prend conscience de la frénésie consumériste dans laquelle est engagée toute personne « normale ». Depuis le désir de shopping aux réseaux sociaux en passant par les abonnements aux services de streaming.
Au plus elle fait du nettoyage dans sa vie, au plus elle retrouve du temps et de l’énergie. Au moins elle éprouve le besoin « d’être vue ». Il faut dire que de poster uniquement sur Gemini, ça n’aide pas pour la visibilité !
Une phrase m’a marquée sur son dernier billet posté sur Gemini : « Mon seul regret avec les réseaux sociaux, c’est d’avoir été dessus tout court. Ils ont vidé mon énergie mentale, dévoré mon temps et je suis certaine qu’ils ont extrait une part de mon âme. » (traduction très libre).
Je me rends compte qu’il ne suffit pas de se libérer des mécanismes d’addiction des réseaux sociaux. Il faut également conscientiser à quel point ils ont déformé, détruit, dénaturé nos pensées, nos relations sociales, nos motivations. Pire : ils nous rendent objectivement stupides ! Depuis 2010, le QI moyen est en train de descendre, ce qui n’était jamais arrivé depuis l’invention du QI (quoi qu’on pense de cet outil).
Les réseaux sociaux sont intrinsèquement liés au smartphone. Ils ont réellement explosé lorsqu’ils se sont optimisés pour la consommation passive sur un petit écran tactile (chose à laquelle Zuckerberg ne croyait pas du tout). À l’inverse, l’addiction aux réseaux sociaux a créé une demande continue pour des smartphones toujours plus brillants et prenant des photos toujours plus susceptibles de générer des likes.
Comme le souligne Jose Briones, ces interactions permanentes sur une plaque de verre lisse, les écouteurs vissés sur les oreilles, nous font perdre la conscience du tactile, de la matérialité.
Quand on a été addict, quand ou y a cru vraiment, quand on y a investi énormément de soi, il ne suffit pas d’arrêter de fumer pour être en bonne santé. Arrêter, ce n’est que le premier pas nécessaire et indispensable. Mais il reste un long chemin à parcourir pour se reconstruire par après, pour retrouver l’humain qui a été blessé, enfoui.
L’être humain que, finalement, peu de monde a intérêt à ce que vous retrouviez, mais qui est là, enfui sous des notifications incessantes, sous la consultation compulsive de vos likes, de vos statistiques, de vos abonnés. Pour Jose Briones, il a fallu plus de trois ans sans smartphone pour que se calme son angoisse… de ne pas avoir de smartphone !
Cela fait des années que je n’ai plus de statistiques sur les fréquentations de ce blog. Parce que ce n’est pas très éthique, mais, surtout, parce que cela me rendait fou, parce que ma santé mentale en pâtissait incroyablement. Parce que je n’arrivais plus à être satisfait de mon écriture autrement que par le nombre de lecteurs que ça me ramenait. Parce que de simples statistiques détruisaient mon âme.
Comme le dit le blog This day’s portion, vous n’avez pas besoin de statistiques !
Et si le réseau Mastodon est très loin d’être parfait, il est assez simple d’y trouver une instance qui ne vous espionne pas. La majorité ne le fait d’ailleurs pas. Au contraire de Bluesky qui traque toutes vos interactions à travers la société Statsig. Statsig qui vient d’être rachetée par OpenAI, le créateur de ChatGPT.
On dirait que Sam Altman tente de faire comme Musk et de gagner de l’influence politique en noyautant les réseaux sociaux centralisés. On s’est foutu de la gueule de Musk, mais force est de constater que ça a très bien fonctionné. Et que, comme je le disais en 2023, ce n’est qu’une question de temps avant que ça arrive à Bluesky qui n’est pas du tout décentralisé, contrairement à ce que répète le marketing.
Mais le pire avec toutes ces statistiques, toutes ces données, c’est que nous sommes les premiers à vouloir les récolter et à nous vendre pour les optimiser et les consulter sur de jolis graphiques colorés affichés sur nos plaques de verre lisse et brillante.
Je ne cesse de répéter ce qu’articule justement Thierry Crouzet dans son dernier article : les marketeux ont imposé leur vision du monde, forçant les artistes, les intellectuels et les scientifiques à devenir des commerciaux, ce qui est l’antithèse de leur nature profonde. Car artistes, intellectuels et scientifiques ont en commun d’être dans une quête, peut‑être illusoire, de vérité, d’absolu. Là où le marketing est, par définition, l’art du mensonge, de la tromperie, de l’apparence et de l’exploitation de l’humain.
Cette destruction mentale enseignée dans les écoles de commerce est également à l’œuvre avec l’IA. Il faudra des années pour que les personnes addicts à l’IA puissent, si tout va bien, retrouver leur âme d’humain, leur capacité de raisonnement autonome. Les développeurs qui dépendent de Github sont en première ligne.
En espérant que nous puissions arriver à redevenir des humains sans devoir recourir à la solution extrême décrite par Thierry Bayoud et Léa Deneuville dans l’excellente nouvelle « Chronique d’un crevard », nouvelle présente dans le Recueil de Nakamoto, que je recommande chaudement et présenté ici par Ysabeau. Et, oui, les nouvelles sont sous licence libre.
L’idée derrière Chronique d’un crevard m’a rappelé mon propre roman Printeurs. Ça serait chouette de voir les deux univers se rejoindre d’une manière ou d’une autre. Car c’est ça toute la beauté de la création artistique libre.
De la création artistique tout court, devrais-je dire, jusqu’au moment où les juristes d’entreprise ont réussi à convaincre les artistes qu’ils devaient être des maniaques de la « protection de leur propriété intellectuelle » ce qui les a transformés en victimes de la plus formidable arnaque de ces dernières décennies. Tout comme les marketeux, les juristes d’entreprise sont, par essence, des gens qui vont t’exploiter. C’est leur métier !
Seule la technique change : les marketeux mentent et te promettent le bonheur, les juristes menacent et corrompent. Les deux ne cherchent qu’à augmenter le bénéfice de leur employeur. Les deux ont réussi à convaincre les artistes d’éteindre leur humanité pour devenir eux-mêmes marketeux et juriste, de faire du « personal branding » et de la « propriété intellectuelle ».
À ce propos, Cory Doctorow explique très bien sur quelle illusion s’est construite la fameuse « propriété intellectuelle » et à quel point ceux qui l’ont conçue savaient très bien que c’était une arnaque à l’échelle planétaire pour tenter de transformer le monde entier en une colonie étatsunienne.
Marketeux et juristes ont réussi à convaincre les artistes de haïr ce qui fait la base de leur métier : leur public, renommés « pirates » dès qu’ils ne passent pas entre les barrières Nadar du corporatisme de surveillance. Ils ont réussi à convaincre les scientifiques de haïr ce qui fait la base de leur métier : le partage sans restriction de la connaissance. Le fait que la plus grande base de données scientifiques du monde, Sci-hub, soit considérée comme pirate et interdite partout dans le monde dit tout ce que vous avez besoin de savoir sur notre société.
Le capitalisme de surveillance pourrit tout ce qu’il touche. Tout d’abord en rendant difficile la vie des contestataires (ce qui est de bonne guerre), mais, surtout, en achetant et corrompant les rebelles qui réussissent malgré tout. Devenu millionnaire, cet artiste antisystème deviendra le premier soutien du système en question et adaptera son slogan : « Soyez rebelles, mais pas trop, achetez mes produits dérivés ! ».
Tout comme le surréalisme a été la réponse artistique et intellectuelle au fascisme, l’art seul peut sauver notre humanité. Un art brut, tactile, sensoriel. Mais, avant toute chose, un art libre qui se partage, qui se diffuse et qui envoie se faire foutre les notions de propriétés virtuelles.
Un art qui se partage, mais force le public à partager également, à retrouver l’essence de notre humanité : le partage.
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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