27.10.2025 à 01:00
Qu’est-ce que l’outil va faire de moi ?
Ploum
Texte intégral (1678 mots)
Qu’est-ce que l’outil va faire de moi ?
Je ne peux résister à vous partager cet extrait issu de « L’odyssée du pingouin cannibale », de l’inénarrable Yann Kerninon, philosophe et punk rocker anarchocycliste :
Quand on m’envie d’écrire des livres et d’être un philosophe, j’ai toujours envie de répondre « allez vous faire foutre ». Dans une interview télévisée, le philosophe Kostas Axelos affirmait que ce n’était jamais le penseur qui faisait la pensée, mais bien toujours la pensée qui faisait le penseur. Il ajoutait qu’il aurait bien aimé qu’il en soit autrement. Au journaliste étonné qui lui demandait pourquoi, il répondit avec un léger sourire : « Parce que c’est la source d’une grande souffrance. »
Cette idée que la pensée fait le penseur est poussée encore plus loin par Marcello Vitali-Rosati dans son excellent « Éloge du bug ». Dans cet ouvrage, que je recommande chaudement, Marcello critique la dualité platonicienne qui imprègne la pensée occidentale depuis 2000 ans. Il y aurait les penseurs et les petites mains, les dirigeants et les obéissants, le virtuel et le réel. Ce dénigrement de la matérialité aurait été poussé à son paroxysme par les GAFAM qui tentent de cacher toute l’infrastructure sur laquelle elles s’appuient. Nous avons nos données dans « le cloud », nous cliquons pour passer une commande et, magiquement, le paquet arrive à notre porte le lendemain.
Lorsqu’un étudiant me dit que son téléphone se connecte à un satellite, lorsqu’un politicien s’étonne que les câbles sous-marins existent encore, lorsqu’un usager associe « wifi » et internet, ce n’est pas de la simple ignorance comme je l’ai toujours cru. C’est en réalité le résultat de décennies de lavage de cerveau et de marketing pour tenter de nous faire oublier la matérialité, pour tenter de nous convaincre que nous sommes tous des « décideurs » à qui obéit un génie magique.
Marcello fait le parallèle avec le génie d’Aladdin. Car, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, Aladdin est inculte. Il veut « des beaux vêtements » mais n’a aucune idée de ce qui fait que des vêtements sont beaux ou non. Il ne pose aucun choix. Il est sous la coupe totale du génie qui prend l’entièreté des décisions. Il croit être le maître, il est le jouet du génie.
Je me permets même de pousser l’analogie en faisant appel aux habits neufs de l’empereur : lorsqu’Aladdin sera complètement dépendant du génie, celui-ci lui fournira des habits « invisibles » en le convainquant que ce sont les plus beaux. Ce processus est désormais connu sous le nom de « merdification ».
Le néoplatonicisme de Plotin voulait que l’écrit ne soit qu’une tâche vulgaire, subalterne de la pensée.
Avec ChatGPT et consorts, la Silicon Valley a inventé le néo-néoplatonicisme. La pensée elle-même devient vulgaire, subalterne à l’idée. Le grand entrepreneur a l’ébauche d’une idée, plutôt un désir intuitif. Charge aux sous-fifres de le réaliser ou, pour le moins, de créer une campagne marketing pour modifier la réalité, pour convaincre que ce désir est réel, génial, souhaitable et réaliste. Que son auteur mérite les lauriers. C’est ce que j’ai appelé « la mystification de la Grande Idée ».
Mais ce n’est pas le penseur qui fait la pensée. C’est la pensée qui fait le penseur.
Ce n’est pas la pensée qui fait l’écrit, c’est l’écrit qui fait la pensée.
L’acte d’écriture est physique, matériel. L’utilisation d’un outil ou d’un autre va grandement affecter l’écrit et, par conséquent, la pensée et donc le penseur lui-même. Sur ce sujet, je ne peux que vous recommander chaudement « La mécanique du texte » de Thierry Crouzet. L’absence de cette référence m’a d’ailleurs sauté aux yeux dans « Éloge du bug », car les deux livres sont très complémentaires.
Si toute cette réflexion semble pour le moins abstraite, j’en ai fait l’expérience de première main. En écrivant à la machine à écrire, bien entendu, comme c’est le cas pour mon roman Bikepunk.
Mais le changement le plus profond que j’ai vécu est probablement lié à ce blog.
Il y a 3 ans, j’ai enfin réussi à quitter Wordpress pour faire un blog statique que je génère avec mon propre script.
De manière amusante, Marcello Vitali-Rosati vient de faire un cheminement identique.
Mais ce n’est pas un long processus réflexif qui m’a amené à cela. C’est le fait d’être saoulé par la complexité de Wordpress, de me rendre compte que j’avais perdu le plaisir d’écrire et que je le retrouvais sur le réseau Gemini. J’ai mis en place des choses sans en comprendre les tenants et les aboutissants. J’ai expérimenté. J’ai été confronté à des centaines de microdécisions que je ne soupçonnais pas. J’ai appris énormément sur le HTML en développant Offpunk et je l’ai appliqué sur ce blog. Pour être honnête, je me suis rendu compte que j’avais oublié qu’il était possible de faire une simple page HTML sans JavaScript, sans un thème CSS fait par un professionnel. Et pourtant, une fois en ligne, je n’ai reçu que des éloges sur un site pourtant minimal.
Mon processus de blogging s’est complètement modifié. Je me suis remis à Vim après m’être remis pleinement à Debian. Mes écrits s’en sont ressentis. J’ai été invité à parler de minimalisme numérique, de low-tech.
Mais je n’ai pas rejoint Gemini parce que je me sentais un minimaliste numérique dans l’âme. Je n’ai pas quitté Wordpress par amour de la low-tech. Je n’ai pas créé Offpunk parce que je suis un guru de la ligne de commande.
C’est exactement le contraire ! Gemini m’a illuminé sur une manière de voir et de vivre un minimalisme numérique. Programmer ce blog m’a fait comprendre l’intérêt de la low-tech. Créer Offpunk et l’utiliser ont fait de moi un adepte de la ligne de commande.
La pensée fait le penseur ! L’outil fait le créateur ! Le logiciel libre fait le hacker ! La plateforme fait l’idéologie ! Le vélo fait la condition physique !
Peut-être que nous devrions arrêter de nous poser la question « Qu’est-ce que cet outil peut faire pour moi ? » et la remplacer par « Qu’est-ce que cet outil va faire de moi ? ».
Car si la pensée fait le penseur, le réseau social propriétaire fait le fasciste, le robot conversationnel fait l’abruti naïf, le slide PowerPoint fait le décideur crétin.
Qu’est-ce que cet outil va faire de moi ?
En énonçant cette question à haute voix, je soupçonne que nous verrons d’un autre œil l’utilisation de certains outils, surtout ceux qui sont « plus faciles » ou « que tout le monde utilise ».
Qu’est-ce que cet outil va faire de moi ?
En regardant autour de nous, il y a finalement peu d’outils dont la réponse à cette question est rassurante.
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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14.10.2025 à 02:00
La justesse au lieu de l’exactitude
Ploum
Texte intégral (2602 mots)
La justesse au lieu de l’exactitude
Où je parle de hockey sous-marin, d’avions militaires et du pourrissement des oranges punks.
L’arbitraire de l’arbitrage
C’est un fait historique peu connu, mais j’ai, brièvement, été arbitre sportif. J’ai en effet arbitré des matchs de première division belge de hockey subaquatique (si, c’est un sport qui existe). Bon, en réalité, j’ai été arbitre parce que chaque équipe de division 2 devait envoyer des joueurs arbitrer des matchs de division 1. Mais, au final, je l’ai quand même fait.
Je me souviens d’un match particulièrement important entre les deux meilleures équipes de Belgique qui s’affrontaient pour le titre de champion de Belgique.
En hockey subaquatique, il y a normalement deux arbitres dans l’eau. Mais, lors de ce match, le second arbitre s’avéra dépassé et, à chaque action, me faisait le geste signifiant "je n’ai pas vu l’action" (étant équipés de masque et de tubas, les arbitres communiquent par gestes codifiés).
Je me suis donc retrouvé à arbitrer presque seul ce qui était probablement le match le plus important du championnat. Malgré mon manque d’expérience, j’ai très vite compris que la seule manière de garder le contrôle d’un match très engagé était de prendre des décisions fermes avec assurance. Le palet était sorti après une mêlée confuse ? Pas le temps d’analyser au millimètre qui était le dernier joueur à l’avoir touché : je devais simplement prendre une décision. Quoi que je décide, l’autre équipe allait réclamer. C’est d’ailleurs arrivé très vite. En hockey subaquatique, seul le capitaine peut, en théorie, s’adresser à l’arbitre. Un joueur est venu, en se plaignant. J’ai fait le geste de demander s’il était capitaine et, comme ce n’était pas le cas, je l’ai exclu pour 3 minutes. Il s’est mis à hurler, J’ai rajouté 2 minutes d’exclusion. C’était particulièrement sévère. Mais, à partir de ce moment, plus aucune de mes décisions n’a été contestée.
J’ai essayé de les rendre les plus justes possible et le match s’est très bien déroulé.
J’ai appris une chose importante : l’arbitrage n’est pas une discipline scientifique. Est-il physiquement possible de déterminer exactement quelle a été la dernière crosse à toucher le palet avant qu’il sorte ? À partir de quand exactement un shoot est-il considéré comme dangereux ? Même la frontière entre un goal et un sauvetage de justesse sur la ligne possède un certain degré d’arbitraire.
Pour prendre une décision juste, l’arbitre peut utiliser son intuition humaine. Si un défenseur a foncé vers un attaquant et que le palet est sorti, on peut, dans le doute, estimer que la sortie est la faute du défenseur. L’arbitre peut également « sentir » l’aspect volontaire ou non d’une faute.
Mais tout cela n’était possible que parce que, contrairement au football, le hockey subaquatique n’est pas équipé de caméras qui scrutent tout au ralenti. Le football qui est devenu un sport que je trouve absolument impossible à apprécier : après avoir marqué un goal, les joueurs se tournent désormais vers l’arbitre et attendent pour savoir s’il n’y avait pas eu un hors-jeu millimétré 5 minutes plus tôt. Le tout est analysé en coulisse par un type devant un ordinateur qui transmet ses décisions dans l’oreillette de l’arbitre. Ou plutôt les décisions prises par un ordinateur.
L’aspect humain du jeu a complètement disparu et prend les attributs d’une décision pseudoscientifique, tentant de découvrir une « vérité ». Or, scientifiquement, il n’y a pas de vérité possible. Le hors-jeu se déclare au moment où le ballon quitte le pied du passeur. Ce moment n’existe pas. Le ballon se déformant, je mets au défi quiconque de déterminer la milliseconde exacte de cet événement. Il en est de même pour décider si une ligne à été franchie ou non. À partir de quel millimètre peut-on dire qu’une sphère a franchi une ligne tracée sur des brins d’herbe ? Rien que le placement des caméras et l’éclairage du stade vont influencer la décision. Même en cyclisme il est parfois incroyablement difficile de déterminer quel vélo a franchi la ligne en premier. Et la décision est alors prise sans appel possible.
Scientifiquement, c’est très compliqué de tracer une limite exacte. Un de mes profs de polytechnique disait que les appareils à aiguille sont toujours plus précis que les afficheurs numériques, car on peut voir la mesure « réelle » … quitte à bouger un peu la tête pour qu’elle corresponde à ce que l’on veut !
Pour mesurer scientifiquement, il faut poser des hypothèses, discuter, prendre plusieurs mesures, répéter une expérience. Humainement, au contraire, il est possible de prendre la décision qui parait la plus juste possible sur le moment même. La décision pourra toujours être discutée par après, mais, dans le feu de l’action, c’est celle qui a été prise.
Et même si les décisions ne sont pas parfaites, le fait qu’elles paraissent justes à première vue va créer une relation de confiance envers l’arbitre. L’arbitre se sentira responsable et utilisera son intuition pour préserver sa réputation. Lorsque j’ai arbitré ce fameux match de hockey, je n’ai jamais cherché à prendre la décision la plus exacte, mais toujours la plus juste.
Mais la machine ne permet plus la justesse. La justesse s’efface au profit d’une arbitraire exactitude. L’arbitre obéit désormais à des instructions qui lui sont soufflées dans l’oreillette. Il ne peut plus prendre de décisions. Il ne peut plus prendre de décisions, mais, paradoxalement, il en reste responsable.
De la complexité comme justification de la non-décision
Il n’y a pas que les arbitres de sport. Les pilotes de chasse sont désormais confrontés au même problème.
Le F-35 est un avion tellement complexe qu’il est devenu tout bonnement inpilotable. Le 27 août 2025, un appareil s’est écrasé. Le train d’atterrissage était bloqué en position semi-ouverte et le pilote a tenté une série de « touch down », une procédure vieille comme l’aviation et que Buck Danny utilise notamment dans Prototype FX-13, un album de 1961, pour résoudre le même problème.
Buck Danny n’avait pas un ordinateur hyper complexe à son bord et il sauve finalement l’avion. En 2025, l’ordinateur a considéré que la procédure était un atterrissage classique. L’avion s’est mis en mode « roulage au sol » alors qu’il était en train de redécoller. En mode roulage à plusieurs centaines de mètres d’altitude, l’engin était bien entendu ingouvernable, forçant l’éjection du pilote.
Un problème mécanique prévisible et « classique » s’est transformé, grâce aux ordinateurs en catastrophe.
Comme ce prof d’électronique qui, pour justifier l’importance de l’électronique moderne, nous avait expliqué que grâce à l’électronique, sa voiture avait pu être réparée en moins d’une heure le jour même de son départ en vacances. La panne en question ? Un défaut du capteur électronique qui inventait de fausses pannes.
Plus besoin d’avoir un problème réel. Désormais, tout est automatisé ! En 2024, un pilote s’est éjecté de son F-35, car, malgré plusieurs reboot, son casque connecté indiquait des erreurs critiques.
Problème : après l’éjection du pilote, l’avion a continué à voler correctement pendant de très longues minutes. Il semblerait que son casque avait un simple bug informatique.
La subtilité de l’histoire c’est que le pilote en question voit désormais sa carrière mise entre parenthèses et est poursuivi pour abandon d’avion fonctionnel. Sauf qu’il a suivi à la lettre la procédure relative aux messages d’erreur affichés dans son casque.
Non seulement la complexité crée artificiellement des problèmes, mais elle empêche les humains d’acquérir de l’expérience et de prendre des décisions. Nous n’avons plus des pilotes qui « sentent » leur avion, mais des opérateurs suivants des procédures informatisées. C’est pareil quand mon garagiste me dit que l’erreur 550 de mon véhicule force à un retour chez le concessionnaire. Lequel n’a, au final, fait que remplacer une durite, ce que mon garagiste indépendant aurait pu faire directement si le logiciel ne l’en avait pas empêché.
Le prix de l’espionnage permanent
Si vous lisez ce blog, vous avez conscience de l’espionnage permanent dont nous sommes victimes. Et l’une des conséquences directes de cet espionnage, c’est que tout peut désormais être scruté même longtemps après. Toutes les décisions peuvent être discutées pour savoir si, scientifiquement, c’était bien la bonne décision.
Le foot, encore lui, est l’exemple parfait : après 90 minutes de match suivent des heures voire, dans certains cas, des journées entières de discussions entre des types qui regardent chaque image au ralenti pour conclure que l’arbitre, l’entraîneur ou les joueurs ont pris de mauvaises décisions.
Qu’on soit arbitre, pilote de chasse ou simple citoyen, la seule stratégie possible pour un humain raisonnable est donc de ne plus prendre de décisions (ce qui est déjà une décision en soi).
Nous nous sommes fait avoir. Nous servons la machine aveuglément, n’en tirant aucun bénéfice lorsque tout va bien et en nous faisant taper sur les doigts lorsque tout va mal. Ce qui sert d’excuses à mettre encore plus de machines dans l’histoire.
Nous sommes devenus cet assemblage biologiquement mécanique absurde et contre nature qu’Anthony Burgess appelle « L’orange mécanique » (la signification du titre est en effet parfaitement explicite dans le livre, bien plus que dans le film).
Et si vous pensez que l’IA peut vous dépasser, c’est parce que, justement, vous agissez comme une IA, comme une orange mécanique. Par définition, ChatGPT surpassera toujours en intelligence celleux qui font confiance à ChatGPT.
Comme le disait l’inénarrable Yann Kerninon en 2017, il faut juste arrêter de nous prendre pour des machines. Redevenir des humains. Des oranges biologiques qui pourrissent et crèvent, mais qui sont, juste avant, pleines de saveurs et de vitamines.
Andreas raconte son expérience avec un de ses collègues incapable de résoudre un problème particulier (ce qui arrive à tout le monde, surtout quand on a le nez dans le guidon). Mais la particularité, c’est que le collègue en question n’a jamais cherché à résoudre le problème. Il cherchait à ce que ChatGPT lui donne la réponse.
Lorsqu’Andreas a compris la cause du problème en question, il a tenté de l’expliquer à son collègue, mais ce n’est que lorsque ce dernier a donné l’explication à ChatGPT et que ChatGPT a acquiescé qu’ils ont pu enfin avancer.
Andreas conclut avec le fait que le cerveau est un muscle. Moins on l’utilise, plus il s’atrophie et plus l’acte de penser devient douloureux et moins on a envie de l’utiliser (et donc plus il s’atrophie).
J’en profite pour rappeler que ChatGPT et consorts sont littéralement des machines à reformuler vos questions, à acquiescer à tous vos biais cognitifs. Mais Olivier Ertzscheid l’explique mieux que moi dans ce court billet « 3 minutes chrono »
Mais là où Andrea est trop optimiste est lorsqu’il imagine que savoir penser va devenir une qualité rare et enviable sur le marché du travail.
Rare, oui.
Enviable, certainement pas. Car penser, c’est remettre en question. Le capitalisme actuel me fait penser à la guerre 14-18. Les travailleurs sont la chair à canon. Les intellectuels sont les pacifistes, les objecteurs de conscience. En tentant de remettre en question l’épouvantable boucherie dont ils étaient témoins, ils n’ont gagné que le droit de se faire fusiller.
Questionner, se rebeller, c’est être un perdant !
Comme je le disais : on ne reçoit pas de médailles pour résister. C’est même plutôt le contraire : les médailles sont là pour récompenser ceux qui perpétuent le système sans poser de questions.
Refuser de devenir une orange mécanique, c’est accepter de pourrir. C’est même le célébrer en s’enfonçant des clous de girofle dans la chair pour que ce pourrissement sente bon.
En plus, ça donne un look punk, vous ne trouvez pas ?
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18.09.2025 à 02:00
De la mystification de la Grande Idée
Ploum
Texte intégral (2293 mots)
De la mystification de la Grande Idée
et de la négation de l’expérience
Festival Hypermondes à Mérignac
Je dédicacerai ce samedi 20 et dimanche 21 septembre à Mérignac, dans le cadre du festival Hypermondes. Je participe également à une table ronde le dimanche. Et pour tout vous dire, j’ai sacrément le trac, car je serai entouré de noms qui peuplent ma bibliothèque et dont j’ai lu et relu les livres : Pierre Bordage, J.C. Dunyach, Pierre Raufast, Catherine Dufour, Laurent Genefort… Sans oublier Schuiten et Peeters, qui ont marqué mon adolescence et surtout, mon idole, le plus grand scénariste BD de ce siècle, Alain Ayroles (parce que pour le siècle précédent, c’est Goscinny).
Bref, je me sens tout petit au milieu de ces géants alors n’hésitez pas à venir me faire un coucou pour que je me sente moins seul sur le stand !
La mythologie de l’idée
Dans le film « Glass Onion » (Rian Johnson, 2022), un milliardaire de la Tech, parodie de ZuckerMusk, invite des amis sur son île privée pour une sorte de cluedo géant. Qui dégénère évidemment lorsqu’un véritable crime est commis.
Ce que j’ai beaucoup aimé dans ce film, c’est l’insistance sur un point trop souvent oublié : ce n’est pas parce qu’on est riche et/ou célèbre qu’on est intelligent. Et ce n’est pas parce qu’on arrive à faire croire au public qu’on est surintelligent, au point de le croire soi-même, qu’on l’est réellement.
Bref, c’est une belle remise à leur place du monde des milliardaires, des influenceurs, starlettes et tout ce qui gravite autour.
Néanmoins, un point particulier m’a chagriné : toute une partie de l’intrigue repose sur savoir qui a eu le premier l’idée de la startup qui fera le succès du milliardaire, idée qui est littéralement griffonnée sur une serviette en papier.
C’est très amusant dans le film, mais comme je l’ai déjà dit : une idée seule ne vaut rien !
L’idée n’est que l’étincelle initiale d’un projet, mais le résultat final sera impacté par les milliers de décisions et d’adaptations prises en cours de route.
Le rôle de l’architecte
Si vous n’avez jamais fait construire de maison, vous pensez peut-être que vous décrivez la maison de vos rêves à un architecte. Celui-ci vous propose un plan. Vous validez, les ingénieurs et les ouvriers s’emparent du plan et la maison se construit.
Sauf qu’en réalité, vous êtes incapable de décrire la maison de vos rêves. Vos intuitions sont toutes contradictoires. Ce que j’appelle le syndrome de « la maison de plain-pied sur deux étages ». Et quand bien même vous avez réfléchi en profondeur, l’architecte va pointer tout un tas de problèmes pratiques avec vos idées. De choses auxquelles vous n’avez pas pensé. C’est très joli toutes ces vitres, mais comment allez-vous les entretenir ?
Il va falloir faire des compromis, prendre des décisions. Et une fois le plan validé, les décisions continueront sur le chantier. À cause des imprévus ou des milliers de petits problèmes qui n’apparaissaient pas sur le plan. Voulez-vous vraiment un évier à cet endroit vu que la porte s’ouvre dessus ?
Au final, la maison de vos rêves sera très différente de ce que vous avez imaginé. Pendant des années, vous lui trouverez des défauts. Mais ces défauts sont des compromis que vous avez expressément choisis.
L’idée d’un roman
En tant qu’écrivain, il m’arrive régulièrement de me voir poser la question : « D’où te viennent toutes ces idées ? »
Comme si avoir l’idée était un problème. Des idées, j’en ai des centaines dans mes tiroirs. Le travail n’est pas d’avoir l’idée, c’est de faire le plan puis de transformer ce plan en construction.
J’ai plusieurs fois reçu des propositions de type : « J’ai une super idée pour un roman, je te la partage, tu écris et on fait 50/50 ».
Vous imaginez un instant arriver chez un architecte avec un truc griffonné et dire : « J’ai une super idée pour une maison, je vous la montre, vous la construisez, vous trouvez un entrepreneur et on partage » ?
Contrairement à Printeurs, que j’ai rédigé sans scénario préalable, j’ai écrit Bikepunk avec une véritable structure. Je suis parti d’une idée initiale. J’ai brainstormé avec Thierry Crouzet (nos échanges ont fait naître le fameux flash de l’histoire). Puis j’ai creusé les personnages. J’ai écrit une nouvelle dans cet univers (créant le personnage de Dale), j’ai ensuite travaillé la structure pendant un mois avec un tableau de liège sur lequel je punaisais des fiches. Enfin, je me suis mis à l’écriture. Bien des fois, je me suis retrouvé confronté à des incohérences, j’ai dû prendre des décisions.
Le résultat final ne ressemble en rien à ce que j’imaginais. Certaines scènes clé de mon synopsis se sont révélées, à la relecture de simples transitions. Des improvisations de dernières minutes semblent, au contraire, avoir marqué toute une frange de lecteurices.
Le code n’est qu’une série de décisions
Une idée n’est qu’une étincelle qui peut potentiellement se propager, se mélanger à d’autres. Mais, pour allumer un feu, la source initiale de l’étincelle compte bien moins que le combustible.
L’invention qui mit cela en exergue est certainement l’ordinateur. Car un ordinateur est, par essence, une machine qui fait ce qu’on lui demande.
Exactement ce qu’on lui demande. Ni plus ni moins.
L’humain a été confronté au fait qu’il est extrêmement compliqué de savoir ce que l’on veut. Que c’est presque impossible de l’exprimer sans ambiguïté. Que cela nécessite un langage dédié.
Un langage de programmation.
Et maitriser un langage de programmation demande un esprit tellement analytique et rationnel qu’un métier s’est créé pour l’utiliser: programmeur, codeuse, développeur. Le terme importe peu.
Mais, tout comme un architecte, une programmeuse doit en permanence prendre des décisions qu’elle pense être les meilleures pour le projet. Pour l’avenir. Ou bien elle identifie les paradoxes pour en discuter avec le client. « Vous m’avez demandé une interface simple avec un seul bouton tout en me spécifiant douze fonctionnalités qui doivent avoir un accès direct avec un bouton dédié. On fait quoi ? » (cas vécu).
De la stupidité de croire en une IA productive
Ce que je dis paraît peut-être évident, mais lorsque j’entends le nombre de personnes qui parlent de « vibe programming », je me dis que beaucoup trop de monde a été bercé avec le paradigme de « l’idée magique » comme dans Onion Glass.
Les IAs sont perçues comme des machines magiques qui font ce que vous voulez.
Sauf que, quand bien même elles seraient parfaites, vous ne savez pas ce que vous voulez.
Les IA ne peuvent pas prendre correctement ces milliers de décisions. Des algorithmes statistiques ne peuvent produire que des résultats aléatoires. Vous ne pouvez pas juste émettre votre idée et voir le résultat apparaître (ce qui est le fantasme des crétins-managers, cette race d’idiots formés dans les écoles de management qui est persuadée que les exécutants sont une charge dont il faudrait idéalement se passer).
Le fantasme ultime est une machine « intuitive », qu’il ne faut pas apprendre. Mais l’apprentissage n’est pas seulement technique. L’expérience humaine est globale. Un architecte va penser aux problèmes de la maison de vos rêves parce qu’il a déjà suivi vingt chantiers et eu un aperçu des problèmes. Chaque nouveau livre d’un écrivain reflète son expérience avec les précédents. Certaines décisions sont les mêmes, d’autres, au contraire, sont différentes pour expérimenter.
Ne pas vouloir apprendre son outil, c’est la définition même de la stupidité la plus crasse.
Penser qu’une IA pourrait remplacer un développeur, c’est montrer sa totale incompétence quant au travail du développeur en question. Penser qu’une IA peut écrire un livre ne peut provenir que de gens qui ne lisent pas eux-mêmes, qui ne voient que du papier imprimé.
Ce n’est pas que c’est techniquement impossible. D’ailleurs, beaucoup le font parce que vendre du papier imprimé, ça peut être rentable avec le bon marketing, peu importe ce qui est imprimé.
C’est juste que le résultat ne pourra jamais être satisfaisant. Tous les compromis, les décisions seront le fruit d’un aléa statistique sur lequel vous n’avez aucun contrôle. Les paradoxes ne seront pas résolus. Bref, c’est et ce sera toujours de la merde.
Un business, c’est bien plus qu’une idée !
Facebook n’était pas la première tentative de réseau social entre étudiants. Amazon n’était pas le premier site de vente de livre en ligne. Whatsapp était une application pour afficher sa disponibilité pour un coup de fil à ses amis. Instagram servait à la base à partager sa position. Microsoft n’avait jamais développé de système d’exploitation lorsqu’ils ont vendu la licence DOS à IBM.
Bref, l’idée initiale ne vaut rien. Ce qui a fait le succès de ces entreprises, ce sont les milliards de décisions prises à chaque instant, les réajustements.
Prendre ces décisions est ce qui construit le succès, fût-il commercial, artistique ou personnel. Croire qu’un ordinateur pourrait prendre ces décisions à votre place c’est faire preuve non seulement de naïveté, mais c’est également prouver totalement son incompétence dans le domaine concerné.
Dans Onion Glass, ce point m’a particulièrement chagriné, car poussé à l’absurde. Comme si une serviette avec trois traits de crayon pouvait valoir des milliards.
Ce petit quelque chose en plus
Et si je me réjouis de fréquenter tant d’auteurs que j’admire à Mérignac, ce n’est pas pour échanger des idées, mais m’imprégner de leurs expériences, de leur personnalité qui leur fait construire des œuvres que j’admire.
J’ai dû relire des dizaines et des dizaines de fois l’intégralité de « De capes et de crocs », le chef d’œuvre de Masbou et Ayroles.
À chaque relecture, je savoure chaque case. Je sens que les auteurs s’amusent, se laissent porter, emporter par leurs personnages dans des bifurcations a priori imprévues, improbables. Quelle IA aurait l’idée de faire intervenir le caquètement d’un poulailler dans la complétion d’un alexandrin ? Quel algorithme se pavanerait de la césure à l’hémistiche ?
L’humain et son expérience auront toujours quelque chose en plus, quelque chose d’indéfinissable dont le mot m’échappe.
Ah si…
Quelque chose que, sans un pli, sans une tache, l’humain emporte malgré lui…
Et c’est…
— C’est ?
Son panache !
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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09.09.2025 à 02:00
À la recherche de l’humanité perdue…
Ploum
Texte intégral (2079 mots)
À la recherche de l’humanité perdue…
La mort ou le retour de la lucidité
Drmollytov est une bibliothécaire qui a été très gravement blessée dans un accident de moto, accident où son mari a perdu la vie.
Après une période de convalescence et de deuil, elle tente de reconstruire sa vie et, graduellement, elle prend conscience de la frénésie consumériste dans laquelle est engagée toute personne « normale ». Depuis le désir de shopping aux réseaux sociaux en passant par les abonnements aux services de streaming.
Au plus elle fait du nettoyage dans sa vie, au plus elle retrouve du temps et de l’énergie. Au moins elle éprouve le besoin « d’être vue ». Il faut dire que de poster uniquement sur Gemini, ça n’aide pas pour la visibilité !
- view from the present (drmollytov.smol.pub)
- Rappel pour celleux qui ne savent pas ouvrir les liens Gemini comme ici au-dessus : Gemini, le protocole du slow web (ploum.net)
Une phrase m’a marquée sur son dernier billet posté sur Gemini : « Mon seul regret avec les réseaux sociaux, c’est d’avoir été dessus tout court. Ils ont vidé mon énergie mentale, dévoré mon temps et je suis certaine qu’ils ont extrait une part de mon âme. » (traduction très libre).
Je me rends compte qu’il ne suffit pas de se libérer des mécanismes d’addiction des réseaux sociaux. Il faut également conscientiser à quel point ils ont déformé, détruit, dénaturé nos pensées, nos relations sociales, nos motivations. Pire : ils nous rendent objectivement stupides ! Depuis 2010, le QI moyen est en train de descendre, ce qui n’était jamais arrivé depuis l’invention du QI (quoi qu’on pense de cet outil).
Les réseaux sociaux sont intrinsèquement liés au smartphone. Ils ont réellement explosé lorsqu’ils se sont optimisés pour la consommation passive sur un petit écran tactile (chose à laquelle Zuckerberg ne croyait pas du tout). À l’inverse, l’addiction aux réseaux sociaux a créé une demande continue pour des smartphones toujours plus brillants et prenant des photos toujours plus susceptibles de générer des likes.
Comme le souligne Jose Briones, ces interactions permanentes sur une plaque de verre lisse, les écouteurs vissés sur les oreilles, nous font perdre la conscience du tactile, de la matérialité.
Au-delà de notre addiction aux chiffres colorés
Quand on a été addict, quand ou y a cru vraiment, quand on y a investi énormément de soi, il ne suffit pas d’arrêter de fumer pour être en bonne santé. Arrêter, ce n’est que le premier pas nécessaire et indispensable. Mais il reste un long chemin à parcourir pour se reconstruire par après, pour retrouver l’humain qui a été blessé, enfoui.
L’être humain que, finalement, peu de monde a intérêt à ce que vous retrouviez, mais qui est là, enfui sous des notifications incessantes, sous la consultation compulsive de vos likes, de vos statistiques, de vos abonnés. Pour Jose Briones, il a fallu plus de trois ans sans smartphone pour que se calme son angoisse… de ne pas avoir de smartphone !
Cela fait des années que je n’ai plus de statistiques sur les fréquentations de ce blog. Parce que ce n’est pas très éthique, mais, surtout, parce que cela me rendait fou, parce que ma santé mentale en pâtissait incroyablement. Parce que je n’arrivais plus à être satisfait de mon écriture autrement que par le nombre de lecteurs que ça me ramenait. Parce que de simples statistiques détruisaient mon âme.
Comme le dit le blog This day’s portion, vous n’avez pas besoin de statistiques !
Et si le réseau Mastodon est très loin d’être parfait, il est assez simple d’y trouver une instance qui ne vous espionne pas. La majorité ne le fait d’ailleurs pas. Au contraire de Bluesky qui traque toutes vos interactions à travers la société Statsig. Statsig qui vient d’être rachetée par OpenAI, le créateur de ChatGPT.
On dirait que Sam Altman tente de faire comme Musk et de gagner de l’influence politique en noyautant les réseaux sociaux centralisés. On s’est foutu de la gueule de Musk, mais force est de constater que ça a très bien fonctionné. Et que, comme je le disais en 2023, ce n’est qu’une question de temps avant que ça arrive à Bluesky qui n’est pas du tout décentralisé, contrairement à ce que répète le marketing.
Mais le pire avec toutes ces statistiques, toutes ces données, c’est que nous sommes les premiers à vouloir les récolter et à nous vendre pour les optimiser et les consulter sur de jolis graphiques colorés affichés sur nos plaques de verre lisse et brillante.
L’inhumanité d’un monde qui se vend
Je ne cesse de répéter ce qu’articule justement Thierry Crouzet dans son dernier article : les marketeux ont imposé leur vision du monde, forçant les artistes, les intellectuels et les scientifiques à devenir des commerciaux, ce qui est l’antithèse de leur nature profonde. Car artistes, intellectuels et scientifiques ont en commun d’être dans une quête, peut‑être illusoire, de vérité, d’absolu. Là où le marketing est, par définition, l’art du mensonge, de la tromperie, de l’apparence et de l’exploitation de l’humain.
Cette destruction mentale enseignée dans les écoles de commerce est également à l’œuvre avec l’IA. Il faudra des années pour que les personnes addicts à l’IA puissent, si tout va bien, retrouver leur âme d’humain, leur capacité de raisonnement autonome. Les développeurs qui dépendent de Github sont en première ligne.
- Github, l'IA et les fours à micro-ondes (mart-e.be)
- We need to talk about your Github addiction (ploum.net)
En espérant que nous puissions arriver à redevenir des humains sans devoir recourir à la solution extrême décrite par Thierry Bayoud et Léa Deneuville dans l’excellente nouvelle « Chronique d’un crevard », nouvelle présente dans le Recueil de Nakamoto, que je recommande chaudement et présenté ici par Ysabeau. Et, oui, les nouvelles sont sous licence libre.
- Note de lecture le Recueil de Nakamoto (nouvelles) (ysabeau)
- Le recueil de Nakamoto (pvh-editions.com)
L’idée derrière Chronique d’un crevard m’a rappelé mon propre roman Printeurs. Ça serait chouette de voir les deux univers se rejoindre d’une manière ou d’une autre. Car c’est ça toute la beauté de la création artistique libre.
De l’art comme instinct de survie
De la création artistique tout court, devrais-je dire, jusqu’au moment où les juristes d’entreprise ont réussi à convaincre les artistes qu’ils devaient être des maniaques de la « protection de leur propriété intellectuelle » ce qui les a transformés en victimes de la plus formidable arnaque de ces dernières décennies. Tout comme les marketeux, les juristes d’entreprise sont, par essence, des gens qui vont t’exploiter. C’est leur métier !
Seule la technique change : les marketeux mentent et te promettent le bonheur, les juristes menacent et corrompent. Les deux ne cherchent qu’à augmenter le bénéfice de leur employeur. Les deux ont réussi à convaincre les artistes d’éteindre leur humanité pour devenir eux-mêmes marketeux et juriste, de faire du « personal branding » et de la « propriété intellectuelle ».
À ce propos, Cory Doctorow explique très bien sur quelle illusion s’est construite la fameuse « propriété intellectuelle » et à quel point ceux qui l’ont conçue savaient très bien que c’était une arnaque à l’échelle planétaire pour tenter de transformer le monde entier en une colonie étatsunienne.
Marketeux et juristes ont réussi à convaincre les artistes de haïr ce qui fait la base de leur métier : leur public, renommés « pirates » dès qu’ils ne passent pas entre les barrières Nadar du corporatisme de surveillance. Ils ont réussi à convaincre les scientifiques de haïr ce qui fait la base de leur métier : le partage sans restriction de la connaissance. Le fait que la plus grande base de données scientifiques du monde, Sci-hub, soit considérée comme pirate et interdite partout dans le monde dit tout ce que vous avez besoin de savoir sur notre société.
Le capitalisme de surveillance pourrit tout ce qu’il touche. Tout d’abord en rendant difficile la vie des contestataires (ce qui est de bonne guerre), mais, surtout, en achetant et corrompant les rebelles qui réussissent malgré tout. Devenu millionnaire, cet artiste antisystème deviendra le premier soutien du système en question et adaptera son slogan : « Soyez rebelles, mais pas trop, achetez mes produits dérivés ! ».
Tout comme le surréalisme a été la réponse artistique et intellectuelle au fascisme, l’art seul peut sauver notre humanité. Un art brut, tactile, sensoriel. Mais, avant toute chose, un art libre qui se partage, qui se diffuse et qui envoie se faire foutre les notions de propriétés virtuelles.
Un art qui se partage, mais force le public à partager également, à retrouver l’essence de notre humanité : le partage.
- Photo d’illustration prise par Diegohnxiv et représentant une fresque en l’honneur de SciHub à l’université de Mexico
- Printeurs et Le recueil de Nakamoto sont commandables chez votre libraire indépendant préféré ! Les ebooks sont sur libgen, au moins pour Printeurs. Je le sais, c’est moi qui l’ai uploadé.
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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03.09.2025 à 02:00
How I fell in love with calendar.txt
Ploum
Texte intégral (1587 mots)
How I fell in love with calendar.txt
The more I learn about Unix tools, the more I realise we are reinventing everyday Rube Goldberg’s wheels and that Unix tools are, often, elegantly enough.
Months ago, I discovered calendar.txt. A simple file with all your dates which was so simple and stupid that I wondered 1) why I didn’t think about it myself and, 2) how it could be useful.
I downloaded the file and tried it. Without thinking much about it, I realised that I could add the following line to my offpunk startup:
!grep `date -I` calendar.txt --color
And, just like that, I suddenly have important things for my day everytime I start Offpunk. In my "do_the_internet.sh", I added the following:
grep `date -I`calendar.txt --color -A 7
Which allows me to have an overview of the next seven days.
But what about editing? This is the alias I added to my shell to automatically edit today’s date:
alias calendar="vim +/`date -I` ~/inbox/calendar.txt"
It feels so easy, so elegant, so simple. All those aliases came naturally, without having to spend more than a few seconds in the man page of "date". No need to fiddle with a heavy web interface. I can grep through my calendar. I can edit it with vim. I can share it, save it and synchronise it without changing anything else, without creating any account. Looking for a date, even far in the future, is as simple as typing "/YEAR-MONTH-DAY" in vim.
Recurring events
The icing on the cake became apparent when I received my teaching schedule for the next semester. I had to add a recurring event every Tuesday minus some special cases where the university is closed.
Not a big deal. I do it each year, fiddling with the web interface of my calendar to find the good options to make the event recurrent then removing those special cases without accidentally removing the whole series.
It takes at most 10 minutes, 15 if I miss something. Ten minutes of my life that I hate, forced to use a mouse and click on menus which are changing every 6 months because, you know, "yeah, redesign".
But, with my calendar.txt, it takes exactly 15 seconds.
/Tue
To find the first Tuesday.
i
To write the course number and classroom number, escape then
n.n.n.n.n.n.nn.n.n.n.nn.n.n.n.n.
I’m far from being a Vim expert but this occurred naturally, without really thinking about the tool. I was only focused on the date being correct. It was quick and pleasant.
Shared events and collaboration
I read my email in Neomutt. When I’m invited to an event, I must open a browser to access the email through my webmail and click the "Yes" button in order to have it added to my calendar. Events I didn’t respond show in my calendar, even if I don’t want them. It took me some settings-digging not to display events I refused. Which is kinda dumb but so are the majority of our tools those days.
With calendar.txt, I manually enter the details from the invitation, which is not perfect but takes less time than opening a browser, login into a webmail and clicking a button while waiting at each step the loading of countless of JavaScript libraries.
Invitations are rare enough that I don’t mind entering the details by hand. But I’m thinking about doing a small bash script that would read an ICS file and add it to calendar.txt. It looks quite easy to do.
I also thought about doing the reverse : a small script that would create an ICS and send it by email to any address added to an event. But it would be hard to track down which events were already sent and which ones are new. Let’s stick to the web interface when I need to create a shared event.
Calendar.txt should remain simple and for my personal use. The point of Unix tools is to allow you to create the tools you need for yourself, not create a startup with a shiny name/logo that will attract investors hoping to make billions in a couple of years by enshitifying the life of captive users.
And when you work with a team, you are stuck anyway with the worst possible tool that satisfies the need of the dumbest member of the team. Usually the manager.
With Unix tools, each solution is personal and different from the others.
Simplifying calendaring
Another unexpected advantage of the system is that you don’t need to guess the end date of events anymore. All I need to know is that I have a meeting at 10 and a lunch at 12. I don’t need to estimate the duration of the meeting which is, anyway, usually only a rough estimation and not an important information. But you can’t create an event in modern calendar without giving a precise end.
Calendar.txt is simple, calendar.txt is good.
I can add events without thinking about it, without calendaring being a chore. Sandra explains how she realised that using an online calendar was a chore when she started to use a paper agenda.
Going back to a paper calendar is probably something I will end up doing but, in the meantime, calendar.txt is a breeze.
Trusting my calendar
Most importantly, I now trust my calendar.
I’ve been burned by this before: I had created my whole journey to a foreign country on my online calendar only to discover upon landing that my calendar had decided to be "smart" and to change all events because I was not in the same time zone. Since then, I actually write the time of an event in the title of the event, even if it looks redundant. This also helps with events being moved by accident while scrolling on a smartphone or in a browser. Which is rare but happened enough to make me anxious.
I had the realisation that I don’t trust any calendar application because, for events with a very precise time (like a train), I always fall back on checking the confirmation email or PDFs.
It’s not the case anymore with calendar.txt. I trust the file. I trust the tool.
There are not many tools you can trust.
Mobile calendar.txt
I don’t need notifications about events on my smartphone. If a notification tells me about an event I forgot, it would be too late anyway. And if my phone is on silent, like always, the notification is useless anyway. We killed notifications with too much notification, something I addressed here :
I do want to consult/edit my calendar on my phone. Getting the file on my phone is easy as having it synchronised with my computer through any mean. It’s a simple txt file.
Using it is another story.
Looking at my phone, I realise how far we have fallen: Android doesn’t allow me to do a simple shortcut to that calendar.txt file which would open on the current day. There’s probably a way but I can’t think of one. Probably because I don’t understand that system. After all, I’m not supposed to even try understanding it.
Android is not Unix. Android, like other proprietary Operating System, is a cage you need to fight against if you don’t want to surrender your choices, your data, your soul. Unix is freedom: hard to conquer but impossible to let go as soon as you tasted it.
I’m Ploum, a writer and an engineer. I like to explore how technology impacts society. You can subscribe by email or by rss. I value privacy and never share your adress.
I write science-fiction novels in French. For Bikepunk, my new post-apocalyptic-cyclist book, my publisher is looking for contacts in other countries to distribute it in languages other than French. If you can help, contact me!
02.09.2025 à 02:00
Une vie sans notifications
Ploum
Texte intégral (4481 mots)
Une vie sans notifications
Avertissement : Cet article parle de mon expérience avec le Mudita Kompakt, mais, n’étant pas lié à cette firme, je ne répondrai à aucune question concernant cet appareil ni le Hisense A5. Tout ce que j’ai à dire au sujet de cet appareil est dans ce billet. Pour le reste, voyez les nombreuses vidéos et articles sur le Web ou rejoignez le forum de Mudita.
Le grand problème du minimalisme numérique, c’est qu’il n’y a pas une solution satisfaisante pour tout le monde. Sur les forums consacrés au minimalisme numérique, chaque solution est critiquée pour faire « trop » et, parfois par les mêmes personnes, pas assez.
J’ai vu des personnes en quête d’un dumbphone pour soigner leur addiction à l’hyperconnexion se plaindre de ne pouvoir installer Whatsapp et Facebook dessus. D’une manière générale, j’ai suffisamment d’expérience dans l’industrie pour savoir que les humains sont très mauvais pour déterminer leurs propres besoins, ce que j’appelle « le syndrome de la maison de plain-pied à 3 étages ». Je veux tout, mais que ce soit minimaliste.
L’addiction à l’écran
Il y a 6 ans, je pris conscience qu’une grande part de mon addiction à mon smartphone venait de l’écran lui-même. Comme l’a dit un jour un participant à un forum que je fréquente, les écrans sont devenus tellement beaux, les couleurs tellement riches que l’image est plus belle que la réalité. Regarder une photo de paysage aux couleurs saturées et retouchée est plus beau que de regarder le paysage en réalité, avec sa grisaille, son autoroute qui n’apparait pas dans le cadre de la photo, sa pluie fine qui nous rentre dans le cou. Nous n’utilisons plus nos smartphones pour faire quelque chose, ils font partie de notre corps et de notre esprit.
Dans mon cas personnel, se passer d’écran avec un dumbphone ne pouvait convenir, car l’usage le plus important que je fais de mon téléphone est de m’orienter à vélo et, alors que je suis au milieu de la nature, de créer un itinéraire de retour à charger sur mon GPS. Ça et utiliser Signal, le seul chat de ma vie quotidienne.
Pour être franc, le concept de dumbphone me dépasse un peu, car s’il y a bien un truc dont je n’ai pas envie ni besoin, c’est d’être joignable partout tout le temps. Si c’est pour laisser un dumbphone en silencieux dans ma poche, autant ne rien prendre du tout !
Ma quête de sobriété numérique a donc commencé avec l’un des très rares smartphones à écran e-ink, le Hisense A5 (à droite sur la photo d’illustration).
Le Hisense est un produit bon marché de piètre qualité, à destination du marché chinois. S’il ne disposait d’aucun service Google, il est plein de spywares chinois impossibles à désinstaller (mais que je tentais de contenir avec le firewall Adguard, configuré aux petits oignons pendant des heures).
Pendant six ans, j’ai utilisé exclusivement cet appareil. Lors de mon premier voyage avec, un trip en train en Bretagne pour un projet de livre, j’ai été en permanence anxieux à l’idée que « quelque chose se passe mal, car je n’avais pas un vrai smartphone ». Mais, petit à petit, je me suis surpris à moins l’utiliser que son prédécesseur, à accepter ses limites. L’écran e-ink lié à la lenteur et aux bugs du logiciel en partie en chinois ne me donnait pas du tout envie de l’utiliser. Très vite, la couleur des écrans de smartphones m’est apparue comme violente, agressive. Mais que je passe quelques minutes sur un tel écran et, soudain, je retrouve un bon vieux shoot de dopamine, une envie de l’utiliser pour faire quelque chose. Quoi ? Peu importe tant que je peux garder les yeux rivés sur ces lumineuses formes mouvantes.
L’hyperconnexion permanente
Il m’est souvent arrivé de prétendre que le Hisense n’était pas un smartphone pour éviter d’installer une app soi-disant indispensable pour un service dont j’avais besoin ou, tout simplement, pour obtenir une carte papier dans ces restaurants qui ont l’impression d’être à la pointe de la technologie, car ils ont un QR code scotché sur la table. Mais c’était un mensonge. Car le Hisense est, au fond, un smartphone des plus classiques.
J’y avais mes emails, un navigateur web et même Mastodon, que j’ai très vite supprimé, mais auquel je pouvais accéder via Firefox ou Inkbro, navigateur optimisé pour les écrans e-ink.
Mon addiction va beaucoup mieux. J’ai perdu l’habitude d’avoir mon smartphone tout le temps sur moi, ne le prenant pour sortir que si je pense en avoir réellement besoin. Ça n’a l’air de rien, mais, pour certains addicts, sortir sans téléphone est une véritable aventure. Faire l’expérience est une excellente manière de réaliser à quel point on est addict.
Le Hisense a beau être gros et moche, lorsque je l’avais avec moi et que j’avais un temps mort, je vérifiais si je n’avais pas reçu d’emails. Je devais, comme tout smartphone, penser à le remettre en silencieux lorsque j’avais activé la sonnerie, car je voulais être joignable, faire les mises à jour des toutes les apps que je gardais, car je pouvais en avoir potentiellement besoin. Bref, la gestion classique d’un smartphone.
Cela me convenait, mais, les smartphones e-ink n’ayant jamais vraiment percé, je me demandais comment j’allais remplacer un appareil qui présentait des signes de faiblesse (batterie qui se vide soudainement, chargement qui ne fonctionne plus que, intermittence).
C’est alors que j’ai été convaincu par le Kompakt de Mudita.
Mudita est une entreprise polonaise qui cherche à offrir des produits favorisant la pleine conscience. Des réveils au design épuré, des montres et un dumbphone, le Mudita Pure, qui me faisais grandement de l’œil, car basé sur un système entièrement Open Source. Malheureusement, le Pure était trop minimaliste pour moi, car ne permettant pas d’utiliser mon GPS de vélo.
Puis est arrivé le Kompakt.
Basé sur Android, le Kompakt est techniquement un smartphone. En plus petit. Et avec un écran e-ink d’une qualité bien moindre que le Hisense. Et pourtant…
Premiers pas avec le Kompakt
La première chose qui m’a frappée en déballant mon Kompakt, c’est que je n’ai dû créer aucun compte, passer par aucune procédure autre que le choix de la langue. Insérez une carte SIM, allumez et ça fonctionne.
Mudita fait très attention à la vie privée et ne propose aucun service en ligne. Le téléphone est entièrement dégooglisé voire même « décloudisé » (contrairement à, par exemple, Murena /e/OS). Pour la première fois depuis des lustres, je ne devais pas combattre mon téléphone, je ne devais pas le configurer, le transformer.
C’est incroyable comme ça m’a fait plaisir.
Pour être transparent, il faut préciser que les développeurs récupèrent des données anonymisées de debug et que ce n’est, pour le moment, pas désactivable. Une discussion à ce sujet est en cours sur le forum Mudita.
Car, oui, Mudita dispose d’un forum de discussion auquel participe une employée de la firme qui tente d’aider les utilisateurs et se fait le relais vers les développeurs. Un truc qui était la base en 2010, mais qui semble incroyable de nos jours.
Bref, je me suis senti un client respecté, pas une vache à lait. Et je n’en reviens toujours pas.
Outre le forum, ce qui m’a frappé avec le Mudita, c’est qu’il pousse réellement l’idée de minimalisme jusque dans ses retranchements. L’application GPS permet de chercher une adresse et de faire un itinéraire piéton, vélo ou voiture. Et c’est tout. Des options ? Aucune, nada, nihil ! Et vous savez quoi ? Ça fonctionne ! Vu que c’est OpenStreetMap, ça fonctionne très bien et j’ai désinstallé Comaps que j’avais mis par réflexe. L’appareil photo… prend des photos et c’est tout (on peut juste activer/désactiver le flash).
C’est comme ça pour toutes les applis : en 10 minutes, vous aurez fait le tour de toutes les options et c’est incroyablement rafraichissant.
Bon, parfois, c’est limite trop. Le lecteur de musique affiche vos MP3 et les lit par ordre alphabétique. C’est tout. Ils ont promis d’améliorer ça, mais, au fond, je trouve ça amusant d’être limité de cette façon.
Les choses sérieuses
Si Mudita n’offre aucun service en ligne, la meilleure manière d’interagir avec son téléphone est le Mudita Center, un logiciel compatible Windows/MacOS/Linux. Après l’avoir téléchargé, vous devez brancher votre téléphone à votre ordinateur avec… retenez votre souffle… un câble USB. (sur Debian/Ubuntu, vous devez être membre du groupe "dialout". "sudo adduser ploum dialout", reboot et puis c’est bon)
Un câble ! En 2025 ! Incroyable, non ? Quand je vois comme j’ai dû me battre avec le Freewrite d’Astrohaus qui force l’utilisation de son cloud propriétaire, j’apprécie à outrance le fait de brancher mon téléphone avec un câble.
Avec le Mudita Center, vous pouvez envoyer des fichiers sur l’appareil. Les MP3 pour la musique, les epub ou les pdf, qui seront ouverts dans l’appli E-reader. Pratique pour les billets de train et autres tickets électroniques. Une section est réservée pour transférer les fichiers APK que vous voulez « sideloader ». On s’est tellement fait entuber par Google et Apple qu’on a perdu le droit d’utiliser le mot « installer » en parlant d’un logiciel. Ce mot est désormais privatisé et il faut « sideloader » (du moins tant que c’est encore légalement possible…).
Dans mon cas, je n’ai sideloadé qu’un seul APK : F-Droid. Avec F-Droid, j’ai pu installer Molly (un client Signal), mon gestionnaire de mot de passe, mon appli 2FA, le clavier Flickboard et Aurora Store. Avec Aurora Store, j’ai pu installer Komoot, Garmin, Proton Calendar et l’app SNCB pour les horaires de train. Pas de navigateur ni d’email cette fois ! Je me suis quand même accordé l’application Wikipédia, pour tester.
Tout est petit, en noir et blanc (ça, j’avais déjà l’habitude), mais, dans mon cas, tout fonctionne. Attention que ce ne sera peut-être pas votre cas. Les applis qui ont besoin des services Google, comme Strava, refuseront de se lancer (ce qui ne change pas de mon Hisense). Mon appli bancaire nécessite une caméra à selfie (ce que le Kompakt n’a pas) et je vais devoir trouver une solution de rechange.
Au fait, Mudita ne permet pas de personnaliser la liste des applications. Celles-ci sont classées par ordre alphabétique. Pas de raccourcis, pas d’options. Si c’est perturbant au début, cela se révèle très vite très appréciable, car c’est, une fois encore, un truc de moins à penser, une excuse de moins pour chipoter.
À noter qu’il est cependant possible de cacher des applications. Si vous n’utilisez pas l’app de méditation, vous pouvez la cacher, tout simplement. Simple et efficace.
Les notifications
C’est lorsque j’ai reçu mon premier message Signal que j’ai réalisé un truc étrange. J’ai bien entendu le son, mais je ne voyais pas de notifications.
Et pour cause… Le Mudita Kompakt n’a pas de notifications ! L’écran d’accueil vous montre si vous avez eu des appels ou des SMS, mais, pour le reste, il n’y a pas de notifications du tout !
Mon premier réflexe a été d’investiguer l’installation d’un launcher alternatif, InkOS, qui permet une plus grande configurabilité et des notifications.
Mais… Attendez une seconde ! Que suis-je en train de faire ? Je cherche à refaire un smartphone ! Et si je tentais d’utiliser le Mudita de la manière pour laquelle il a été conçu ?Sans notifications !
Le seul réel problème avec cette approche c’est que les notifications existent, mais que Mudita les cache. On les entend donc, mais on ne peut pas savoir d’où elles proviennent.
Dans mon cas, c’est essentiellement Signal (enfin, Molly pour celleux qui suivent). Dans Signal, j’ai donc configuré un profil de notification qui soit silencieux sauf pour les membres de ma famille proche.
Si j’entends mon téléphone faire un son, je sais que c’est un message de ma famille. Pour les autres, je ne les vois que lorsque je choisis d’ouvrir Signal. Ce qui est exactement ce qu’un système de communication devrait être.
Bien entendu, les choses se compliquent si vous avez plusieurs applications qui envoient des notifications. Il est possible d’avoir accès aux notifications et de les désactiver par applications en utilisant "Activity Launcher" disponible sur F-Droid. C’est un peu du chipotage, mais ça m’a permis de désactiver les notifications « parasites » de tout ce qui n’est pas Signal.
La vie sans notifications
Lorsqu’on accepte ce mode de fonctionnement, le Mudita prend soudainement tout son sens.
J’avais déjà fortement réduit les notifications sur le Hisense. Il était d’ailleurs en silencieux la plupart du temps. Mais, à chaque fois que je consultais l’écran, je voyais les petites icônes. Machinalement, je glissais mon doigt pour faire apparaître le tiroir à notifications et « vérifier » avant de glisser latéralement pour supprimer.
Bon sang que j’ai en horreur ces gestes de glissement des doigts, jamais précis, jamais satisfaisant comme le bruit d’une touche qu’on enfonce. Tiens, le Mudita ne permet d’ailleurs pas de « swiper » dans la liste des applications. Il faut faire défiler avec une flèche. C’est minime, mais j’apprécie !
Mais même si je n’avais pas de notifications sur le Hisense, je vérifiais de temps en temps si je n’avais pas reçu un mail important. Je vérifiais une information sur un site web.
Oh, rien de bien méchant. Une addiction parfaitement sous contrôle. Mais une série de réflexes dont j’avais envie de nettoyer ma vie.
Avec le Mudita Kompakt, l’expérience est très perturbante. Machinalement, je saisis l’appareil et… rien. Il n’y a rien à faire. La seule chose que je peux vérifier, c’est Signal. Je suis ensuite forcé de reposer ce petit écran.
Pas besoin non plus de mettre en silencieux ou en mode avion. Le Kompakt dispose d’un switch hardware « Offline+ » qui désactive tous les réseaux, tous les capteurs, y compris l’appareil photo et le micro. En Offline+, rien ne rentre et rien ne sort de l’appareil. Et quand je suis connecté, je sais que je n’aurai que les appels téléphoniques, les sms et les messages Signal de ma famille proche.
C’est comme un nouveau monde…
Tout n’est pas parfait
On ne va pas se leurrer, le Mudita Kompakt est loin d’être parfait. Il est petit, mais un peu trop gros. Il y a des bugs comme l’alarme qui se déclenche en retard ou pas du tout, comme l’appareil photo qui met près de deux secondes entre la pression sur le bouton et la prise effective de l’image (mais c’est déjà mieux que l’appareil photo du Hisense dont la lentille s’est bloquée après quelques semaines d’utilisation, rendant toutes mes photos irrémédiablement floues).
Le forum regorge d’utilisateurs insatisfaits. Pour certains car je pense qu’ils n’ont pas conscientisé les limites du minimalisme numérique, qu’ils espéraient un smartphone complet avec un écran e-ink. Mais, dans d’autres cas, c’est clairement à cause de bugs dans le système pour des cas d’usage qui ne me concernent pas directement, comme les problèmes Bluetooth alors que je suis tout heureux d’avoir un jack audio. Le Kompakt utilise une version très fortement modifiée et dégooglisée d’Android 12 (les téléphones Googe sont à Android 16). Le hardware lui-même est assez ancien (plus que mon Hisense). Ce sont des détails qui peuvent se révéler importants. La batterie, par exemple, tient 3/4 jours, ce qui n’est pas extraordinaire en comparaison avec le Hisense. Une heure de hotspot wifi consomme 10% de batterie là où le Hisense n’en perdait pas 3%.
Malgré ses limites, l’appareil n’est pas bon marché et il est probablement possible de configurer n’importe quel appareil Android pour avoir un écran épuré et pas de notifications. Mais ce qui me plaît avec le Mudita c’est justement le fait que je ne le configure pas. Que je ne cherche pas à comprendre ce que je dois bloquer, que je ne passe pas du temps à optimiser mon écran d’accueil ou le placement des applications.
Ça ne conviendra certainement pas à tout le monde. Il y a certainement plein de défauts qui rendent le Kompakt inutilisable pour vous. Mais pour mon petit cas personnel et pour mon mode de vie actuel, c’est un vrai bonheur (à l’exception de cette saleté d’appli bancaire pour laquelle je n’ai pas encore trouvé de solution).
Accepter de lâcher prise
Car, oui, je vais rater des choses. Je verrai des mails urgents bien plus tard. Je ne pourrai pas chercher une information rapide quand je suis en déplacement. Je ne pourrai pas prendre de belles photos.
C’est le principe même ! Le minimalisme numérique c’est, par essence, ne plus pouvoir tout faire tout le temps. C’est être forcé de s’ennuyer dans les temps morts, de planifier certaines expéditions, de demander une information autour de soi si nécessaire, de se dire, dans certaines situations, que la vie aurait été plus facile avec un smartphone traditionnel.
Si vous n’avez pas effectué à l’avance ce travail de faire le tri entre ce qui est vraiment nécessaire pour vous, ne songez même pas à prendre un téléphone minimaliste comme le Kompakt. Ce téléphone me convient parce que ça fait des années que je réfléchis à ce sujet et parce qu’il est compatible avec mon mode de vie et mes obligations.
Si vous idéalisez le minimalisme sans réfléchir aux conséquences, vous serez frustrés à la première friction, à la première perte de cette facilité omniprésente qu’est le smartphone. Le minimalisme numérique est également un concept très personnel. Quand je vois le nombre d’appareils connectés que je possède, j’ai du mal à dire que je suis un « minimaliste ». Je cherche juste à conscientiser et à faire en sorte que chaque appareil ait pour moi un bénéfice très clair avec le moins possible de désavantages (comme mon GPS de vélo ou mon analyseur de qualité d’air). Je ne suis pas vraiment minimaliste, je pense juste que le smartphone traditionnel a sur ma vie un impact négatif très important que je cherche à minimiser.
Certain·es me disent qu’ils n’ont pas le choix. Comme le dit très bien Jose Briones, c’est faux. Nous avons, pour le moment, le choix. C’est juste que ce n’est pas un choix facile et qu’il faut assumer les conséquences, accepter de changer son mode de vie pour cela.
L’obligation du smartphone
Et, justement, ce qui est le plus effrayant avec cette démarche de tenter de minimiser l’usage du smartphone, c’est de réaliser à quel point il devient presque obligatoire d’en avoir un, à quel point ce choix devient de plus en plus ténu. Des services commerciaux, mais également des administrations publiques considèrent que vous avez obligatoirement un smartphone récent, que vous disposez d’un compte Google, d’une connexion Internet permanente, d’une batterie bien chargée et que vous êtes d’accord d’installer une énième application dessus et de créer un compte en ligne pour quelque chose d’aussi mondain que de payer un emplacement de parking ou accéder à un événement. Un contrôleur de train me confiait récemment que la SNCB planifiait de supprimer le ticket papier pour mettre en avant l’usage de l’app et du smartphone.
Sur les forums minimalistes, j’ai même découvert une catégorie d’utilisateurs qui possèdent un smartphone classique pour aller au travail, par simple peur d’être moqué ou de passer pour un rebelle auprès de leurs collègues. De la même manière, certains refusent d’installer Signal ou d’effacer leur compte Facebook par crainte que cela puisse paraître suspect. Une chose me semble claire : si c’est la peur de potentiellement paraître suspect qui vous retient, il est urgent d’agir maintenant, tant que cette suspicion n’est que potentielle. Installez Signal et GrapheneOS ou /e/OS maintenant pour avoir l’excuse, dans le futur, de dire que ça fait des mois ou des années que vous fonctionnez comme cela.
Dans le cas du smartphone, je constate avec effroi que s’il est théoriquement possible de ne jamais en avoir eu, il est extrêmement difficile de revenir en arrière. Les banques, par exemple, empêchent souvent de revenir à une méthode d’authentification sans smartphone une fois que celle-ci a été activée !
Je souris quand je pense aux fois où mon refus du smartphone m’a valu une réflexion de type : « Ah ? Vous n’êtes pas à l’aise avec les nouvelles technologies ? ». Souvent, je ne réponds pas. Ou je me contente d’un « si, justement… ». Au moins, avec le Mudita, je pourrai le brandir et affirmer haut et fort : je n’ai pas de smartphone !
Vous et moi, nous savons que ce n’est techniquement pas tout à fait vrai, mais ceux qui veulent imposer l’ubiquité du smartphone GoogApple sont, par définition, des ignares technologiques. Ils n’y verront que du feu… Et, pour un temps, ils seront encore forcés de s’adapter, d’accepter que, non, tout le monde n’a pas tout le temps un smartphone.
Je suis Ploum et je viens de publier Bikepunk, une fable écolo-cycliste entièrement tapée sur une machine à écrire mécanique. Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) !
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