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🖋 Marc ENDEWELD
Journaliste et écrivain

The Big Picture


▸ les 20 dernières parutions

20.07.2025 à 00:34

Attal-Macron : l'histoire d'un double divorce

Marc Endeweld

Texte intégral (1417 mots)

Pour son come-back médiatique, il pensait avoir tout préparé. Fin juin, Gabriel Attal accorde une interview au Monde, reprise deux jours plus tard dans un long papier de Libération, tout en dévoilant le lendemain à L’Opinion ses pistes de programme économique. Ces titres de presse ne semblent pas avoir été choisis par hasard pour celui qui veut hériter du « social-libéralisme » qu’Emmanuel Macron aurait porté au pouvoir dès 2017. Le message est clair : les militants peuvent compter sur moi pour 2027.

Quand Emmanuel vole la vedette à Gabriel

Come-back médiatique, car depuis la dissolution de juin 2024, Gabriel Attal n’est déjà plus « à la mode » dans le petit Paris. Son départ (ou plutôt, son renvoi) de Matignon l’a même relégué au second plan, après avoir profité d’une vraie « Attalmania » à partir de l’automne 2023 dans les couloirs du pouvoir et des rédactions. Sur ce point, Emmanuel Macron peut être satisfait de son coup d’éclat institutionnel. D’autant qu’à l’international, l’heure est au trumpisme et aux tumultes. Les faiseurs d’opinion se lancent désormais à la recherche d’un président martial pour y faire face, plutôt qu’un jeunot inexpérimenté comme Gabriel Attal.

Pour se donner un semblant d’envergure, l’ancien Premier ministre, le plus jeune à ce poste de toute la Vème République, n’a rien trouvé de mieux que de rencontrer à deux reprises Tony Blair… celui qui a précipité son pays dans la guerre américaine en Irak en 2003 en relayant les fake news de George W. Bush et de son administration néoconservatrice. D’abord, le 15 mai 2025 : « Échange passionnant ce matin avec Tony Blair sur l’avenir de la Défense européenne, les défis et opportunités de l’intelligence artificielle, la protection de nos démocraties ». Puis, nouvelle rencontre entre les deux hommes à Londres le 18 juin, et nouveau tweet. On passera sur la lourdeur du symbole…

À ce jeu de com’, Gabriel Attal s’est pourtant fait avoir comme un bleu. Samedi 5 juillet, lors du rassemblement au Cirque d’Hiver pour les dix ans des Jeunes avec Macron (désormais appelés les « Jeunes en marche »), Emmanuel Macron a réussi à voler la vedette à son ex Premier ministre en s’invitant par surprise, et surtout en annonçant assez clairement ses ambitions pour 2032, date à laquelle il pourra se représenter. C’est du moins son rêve comme je l’avais expliqué début mai. Profitant des applaudissements, le président a été jusqu’à affirmer à ses jeunes partisans qu’il aurait «besoin d’eux pour dans deux ans, pour dans cinq ans, pour dans dix ans».

Juste avant cette annonce tonitruante, Gabriel Attal a dit vouloir « proposer un chemin » aux Français pour 2027. L’occasion est donc trop belle pour Emmanuel Macron qui ne manque pas de recadrer son ancien collaborateur : «Si dans les deux ans qui viennent, on passe notre temps à parler de 2027, à ne rien faire, à être dans les calculs, à être dans les divisions, ce sera aucun d’entre nous dans deux ans». Bref, faites ce que je dis, pas ce que je fais. « Je suis le premier président de notre histoire qui n’a pas le droit, constitutionnellement, de se représenter », avait-il semblé regretter, le 13 mai sur TF1.

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Attal-Macron, une rivalité ancienne

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23.06.2025 à 21:09

L'Azerbaïdjan à l'assaut de Benalla

Marc Endeweld

Texte intégral (8696 mots)

Cette histoire empoisonne la vie du président Macron depuis plusieurs mois. On y trouve tous les ingrédients d’un bon feuilleton d’espionnage : un pays, l’Azerbaïdjan, sous l’influence de différentes puissances (Russie, Turquie, Israël) et dirigé d’une main de fer par Ilham Aliyev, un contrat de plusieurs millions d’euros avec Farkhad Akhmedov, un oligarque russo-azerbaïdjanais, mais aussi l'un des plus grands yachts du monde, le Luna, qui a appartenu par le passé à un autre oligarque, le russo-israélien Roman Abramovitch, et enfin l’Élysée, qui fait l’objet d’une intense campagne de déstabilisation.

Et parmi les personnages centraux de cette histoire, on retrouve surtout Alexandre Benalla, l’ex-chargé de mission de l’Élysée, qui a été l’un des plus proches collaborateurs du président de la République, avant d’être viré pour avoir joué les gros bras sous uniforme policier lors du 1er mai 2018 à la place de la Contrescarpe de Paris.

Est-ce justement la date anniversaire du 1er mai qui a inspiré l’Azerbaïdjan ? Dans la guerre hybride que mène depuis deux ans ce petit État pétrolier du Caucase contre la France comme je l’avais relaté dans un précédent article, tous les coups sont permis. C’est ainsi que Bakou actionne fin avril la grosse Grosse Bertha contre l’Élysée en soufflant sur les braises de l’affaire Benalla, au moment même où le président français tente de survivre diplomatiquement entre Poutine, Trump et Netanyahou, dans un monde, il faut bien le dire, de plus en plus incertain.

Une dépêche azerbaïdjanaise suscite l’inquiétude de l’Élysée

Le 28 avril 2025, l’agence de presse azerbaïdjanaise (l’APA), bras armé médiatique du président Ilham Aliyev, l’homme fort du pays, a en effet publié une dépêche, diffusée notamment en Français, affirmant qu’Interpol, l’organisation internationale de la police criminelle qui regroupe 196 États, a délivré une notice rouge à l’encontre d’Alexandre Benalla, ce que la presse francophone appelle habituellement un « mandat d’arrêt international ». Un coup de tonnerre. Dans le viseur des autorités azerbaïdjanaises ? Un contrat qu’Alexandre Benalla a signé avec Farkhad Akhmedov le 15 novembre 2018, quelques semaines après son départ de l’Élysée.

« Après une longue procédure, le Secrétariat général d’Interpol a inscrit le citoyen français Alexandre Benalla sur la liste internationale des personnes recherchées avec une notice rouge en avril 2025, jugeant la recherche justifiée et a notifié tous les États membres en conséquence », assure alors l’agence de presse azerbaïdjanaise, qui ajoute que cette inscription de l’ancien chargé de mission de l’Élysée sur la liste internationale des personnes recherchées date de courant avril et fait suite à une demande de l’Azerbaïdjan.

Très vite, cette dépêche azerbaïdjanaise fait le tour de cercles initiés à Paris, ceux du grand commerce international et de la communauté du renseignement au sens large, via des messageries « sécurisées ». De très rares comptes sur X postent l’article en question, et les tweets ne provoquent aucun reprise ni aucun buzz. Bref rien ne filtre, mais l’inquiétude gagne immédiatement les hautes sphères du pouvoir.

Où est donc Alexandre Benalla ? Est-il à l’étranger, lui qui vit en partie entre Paris et Genève ? D’autant que l’agence de presse d’Azerbaïdjan écrit une phrase pour le moins ambigüe : « Une « notice rouge » entraîne la détention de la personne dans le pays où elle est trouvée et son extradition vers le pays requérant. Il est notoire qu’A. Benalla fait actuellement l'objet d'une procédure d'extradition dans un pays tiers ». L’inquiétude redouble : et si Alexandre Benalla avait-il déjà été arrêté ?

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No comment d’Interpol, silence de l’Azerbaïdjan

Lorsque je prends connaissance de cette dépêche quelques heures après sa publication, je contacte les services d’Interpol sur l’existence d’une telle notice rouge délivrée à l’encontre d’Alexandre Benalla. Le mercredi 30 avril, le bureau de presse me répond par ces mots : « Lorsqu’un service de police de l’un des 196 pays membres d’INTERPOL communique au Secrétariat général, à Lyon, des informations sur une arrestation, une enquête ou des malfaiteurs en fuite, ces informations demeurent la propriété de ce pays membre. INTERPOL ne fait donc aucun commentaire sur des affaires ou des individus particuliers, sauf circonstances spéciales et s’il y a été autorisé par le pays membre concerné. Pour ce qui est de votre question concernant cette personne/affaire, nous vous conseillons de contacter les autorités des pays concernés. » No comment donc.

Le même jour, je prends contact avec l’ambassadrice d’Azerbaïdjan, Leyla Abdullayeva, qui ne me retourne aucune réponse. Je sollicite aussi une figure de la communauté azerbaïdjanaise à Paris et je questionne le ministère des affaires étrangères à Bakou. Silence radio. Guère étonnant alors que des négociations secrètes sont toujours en cours entre la France et l’Azerbaïdjan, comme on le verra plus loin, pour aplanir les différents diplomatiques de ces dernières années (la France a soutenu l’Arménie en guerre il y a encore peu avec l’Azerbaïdjan), mais aussi pour essayer de régler la situation de plusieurs Français actuellement en prison à Bakou ou assigné à résidence.

Le vendredi 2 mai, j’interroge ainsi le conseiller communication de l’Élysée, Jonathan Guémas, qui m’assure dans un premier temps qu’il va se renseigner auprès de la cellule diplomatique et du directeur de cabinet, avant de me dire plusieurs jours après qu’il revient bredouille. Même la communication de l’Élysée n’est pas informée de ce dossier ultra-sensible. Dans le reste de l’appareil d’État, y compris au sein de services chargés de veiller aux ingérences étrangères, on préfère ouvrir les parapluies à la simple évocation du nom de l’ancien chargé de mission de l’Élysée. Je tente également de joindre l’avocate d’Alexandre Benalla à Paris, Jacqueline Laffont. Là aussi, silence. Enfin, quand j’arrive à contacter directement Alexandre Benalla, il me répond qu’il ne souhaite faire aucun commentaire.

Compte X suspendu et les mystérieux EDL « du château »

Est-ce une coïncidence ? Dans les heures qui suivent mes questions, le compte X d’Alexandre Benalla est soudainement fermé, et le restera durant plusieurs semaines – l’ancien chargé de mission de l’Élysée semble alors s’imposer une diète numérique après un dernier message datant du 20 mars. Trois mois plus tard, comme si de rien n’était, Alexandre Benalla signe son retour numérique le 18 juin en soutenant sur X l’esclandre de Rachida Dati contre le journaliste Patrick Cohen sur le plateau de l’émission C à vous (France 5).

Début mai, l’ambiance n’est manifestement plus au show. Quelques heures avant mes différentes prises de contacts officiels, une source qui suit de près l’affaire me transmet des EDL de crise (Éléments de langage) au sujet de la dépêche azerbaïdjanaise, et me signale au passage que ces éléments de langage proviennent de l’« entourage du château ». Étrange car de son côté, Guémas, le conseiller com’ de l’Élysée, n’est pas au courant.

Cette note anonyme est là pour insinuer le doute – sans pour autant le faire officiellement ce qui permet de maintenir le silence sur cette affaire – sur la véracité des informations délivrées par l’agence de presse azerbaïdjanaise qui, rappelons le, est d’abord une institution d’État dans un pays détenu par une main de fer par Ilham Aliyev : « Les récentes affirmations des médias azerbaïdjanais (…) concernant l’émission d’une notice rouge par Interpol à l’encontre d’Alexandre Benalla, ancien collaborateur de l’Élysée, soulèvent des interrogations quant à leurs motivations. Ces informations, non confirmées par des sources indépendantes et absentes de la base publique d’Interpol, suggèrent une possible opération de communication orchestrée par les autorités azerbaïdjanaises ».

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Quand le parquet azerbaïdjanais réclame le dossier Benalla

Qu’il y ait une opération de Bakou contre Paris, c’est une évidence. Reste que cette note anonyme ajoute à la confusion. En effet, elle n’infirme pas clairement les affirmations azerbaïdjanaises. Par ailleurs, contrairement à ce qu’elle affirme, une notice rouge n’apparaît pas nécessairement dans la base publique d’Interpol comme l’organisme international basé à Lyon me l’a rappelé dans sa réponse officielle. Et pour cause : dans de nombreux dossiers, pour laisser les services de police du monde entier agir le plus efficacement, la notion de surprise est essentielle.

Au final, après plusieurs jours de vérifications auprès de différentes sources, j’ai réussi à confirmer certains éléments, et à en infirmer d’autres.

D’abord, Alexandre Benalla n’a pas été arrêté dans un « pays tiers » comme le sous-entend la dépêche de l’agence de presse azerbaïdjanaise qui va jusqu’à affirmer que ce dernier fait alors l’objet d’une procédure d’extradition. Selon plusieurs sources, l’ancien chargé de mission de l’Élysée passe toujours une bonne partie de son temps entre Paris et Genève. Ainsi, quelques jours après la publication de la dépêche, le 5 mai, Alexandre Benalla a été vu à Paris. Et lors de la semaine du 19 mai, il s’est déplacé de Genève vers la Centrafrique en vol privé, via Casablanca au Maroc, selon l’une de ses connaissances. Et le 26 mai, il était de nouveau à Paris.

Pour autant, l’Azerbaïdjan a bien multiplié les démarches ces derniers mois à l’encontre d’Alexandre Benalla. C’est ainsi que le parquet général d’Azerbaïdjan a demandé en septembre dernier à la justice française d’accéder au fameux dossier des contrats russes, révélé par Médiapart en décembre 2018 et février 2019, et qui a amené le PNF (Parquet National Financier) à ouvrir dans la foulée une enquête préliminaire. Cette dernière a été confiée aux policiers de la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE). La justice française n’a pas donné suite à cette demande azerbaïdjanaise, selon nos informations.

À la même période, l’Azerbaïdjan a également demandé aux autorités suisses des informations personnelles sur Alexandre Benalla, notamment l’adresse de son domicile dans les environs de Genève, histoire de faire monter la pression sur l’ancien chargé de mission de l’Élysée en laissant planer l’idée d’une prochaine demande d’extradition. Là aussi, la Suisse n’a pas donné suite. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? C’est alors que l’Azerbaïdjan a déposé une demande auprès d’Interpol, dans les semaines précédant la fin avril, réclamant la délivrance d’une notice rouge à l’encontre d’Alexandre Benalla. Avant cette démarche auprès d’Interpol, l’Azerbaïdjan avait en fait convoqué à plusieurs reprises l’intéressé pour qu’il s’explique devant la justice. Ce dernier ne s’est jamais présenté.

Interpol a t-il délivré une notice rouge contre Alexandre Benalla ?

Qu’est devenue cette demande ? Selon nos informations, le secrétariat général d’Interpol a bien enregistré la demande de l’Azerbaïdjan à l’encontre de l’ancien chargé de mission de l’Élysée et a procédé à l’étude du dossier.

Rappelons que si Interpol est rattaché à l’ONU, son fonctionnement ne s’apparente nullement à une instance diplomatique. Cette agence de coopération policière, basée à Lyon, est avant tout technique. Si Interpol veille – via son secrétariat général chargé de l’étude des demandes de notices et une commission de contrôle – que les États autoritaires n’abusent pas de mandats de recherche contre des opposants politiques, le dossier d’Alexandre Benalla relève du droit commun. De fait, selon plusieurs interlocuteurs – policiers, gendarmes, experts –, il ne fait aucun doute qu’Interpol ne peut s’opposer à une telle demande si les procédures habituelles sont suivies à la lettre. Libre aux États ensuite de transcrire ou non la notice rouge dans leurs propres fichiers nationaux de recherche.

En principe, ce n’est qu’une fois diffusée aux polices du monde entier qu’une notice rouge peut faire l’objet d’un appel individuel (toutefois, une notice rouge ne peut faire l’objet d’une réclamation officielle d’un État comme dans une instance diplomatique). Interrogé, un avocat spécialiste des procédures d’appel auprès d’Interpol me certifie qu’un appel individuel lors de son examen ne permet pas de suspendre une notice. Un autre interlocuteur qui a l’habitude de travailler avec l’institution internationale de coopération policière m’assure pour autant que tout « dépend de la nature “sensible” de l’appel ». Dit autrement : suspendre une notice, c’est à la tête du client.

Justement, trois sources de haut niveau – une policière, une autre de renseignement, enfin, un contact étranger en lien avec Interpol – m’ont toutes fait état d’un même scénario : suite à la sollicitation de l’Azerbaïdjan, le secrétariat général d’Interpol aurait bien décidé d’émettre une notice rouge contre Alexandre Benalla avant que des pressions françaises amènent l’institution à renoncer à procéder à sa diffusion : « En principe, émission d’une notice rouge vaut diffusion, mais dans le cadre de ce dossier particulier, il y a eu un contre-ordre venant de très haut empêchant sa diffusion », m’assure ainsi la source de renseignement. Ce lundi 23 juin, une source interne à l’organisation policière internationale m’assure qu’après avoir été active début mai, la notice rouge concernant Alexandre Benalla n’est aujourd’hui plus active.

D’autres interlocuteurs me rappellent que le président d’Interpol, l’émirati Ahmed Nasser al-Raisi fait l’objet d’une enquête judiciaire en France pour « complicité de torture » suite au dépôt de plainte de deux ressortissants britanniques. « Un moyen de pression ? », se demandent ces sources. Pourtant, dans les faits, ce président d’Interpol n’a aucun poids dans l’institution, et n’a aucune influence sur les décisions prises par le Secrétaire général, qui est actuellement le commissaire brésilien Valdecy Urquiza, ancien directeur de la Coopération internationale au sein de la Police fédérale brésilienne.

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Des négociations secrètes pour libérer des Français à Bakou

Une chose est sûre, ce dossier Benalla se retrouve depuis des mois au cœur de la bataille diplomatique entre la France et l’Azerbaïdjan. « À travers Benalla, les Azerbaïdjanais tapent en fait sur Macron. Le président Aliyev fait une fixette sur son homologue français, il en fait une affaire personnelle », assure une source diplomatique. Les renseignements français n’hésitent pas à évoquer la main de Moscou dans ce dossier, comme je l’avais précédemment relaté. Mais d’autres acteurs étrangers pourraient jouer un rôle.

Sur ce dossier ultra-sensible, l’Élysée est en tout cas en mode forteresse assiégée. Au sein de l’État, les acteurs traditionnels comme le Quai d’Orsay ou une bonne partie des services sont quasiment débranchés, écartés du règlement du conflit avec l’Azerbaïdjan. Au « château », rue du Faubourg Saint-Honoré, c’est en fait le conseiller Paul Soler, officiellement « envoyé spécial pour la Libye », qui a été discrètement mandaté par le président pour gérer l’affaire avec Bakou et mener des négociations secrètes. « C’est l’envoyé spécial de Macron en Azerbaïdjan », me signale un initié du pouvoir.

Au fil des ans, « monsieur Paul », dont le nom était apparu dans la presse au moment de l’affaire Benalla, est devenu pour Emmanuel Macron un véritable couteau suisse à l’international, son émissaire personnel envoyé aux quatre coins du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, notamment aux Émirats. Concernant l’affaire azerbaïdjanaise, Paul Soler a fait appel à certains de ses contacts israéliens pour l’aider dans ses négociations secrètes. Et à la tête de l’État, seules deux autres personnes suivent le dossier pour le président : Nicolas Lerner, patron de la DGSE et son ancien camarade de promo de l’ENA, et Patrice Faure, le directeur de cabinet de l’Élysée.

Une rencontre furtive entre Macron et Aliyev

Au-delà du cas Benalla, l’Azerbaïdjan a d’autres moyens de pression sur la France. Bakou détient ainsi depuis janvier 2024 un Français, Martin Ryan, accusé d’espionnage. En procès depuis le début de l’année, ce dernier encourt quinze ans de prison. En septembre 2024, un autre Français, le street-artiste Théo Hugo Clerc, était condamné à trois ans de prison pour avoir réalisé un simple graffiti dans le métro de Bakou. Dans le cadre des négociations secrètes menées par Paul Soler, ce dernier a finalement été gracié et libéré le 26 mai dernier par le président Aliyev.

Un signe d’apaisement ? Dix jours plus tôt, Emmanuel Macron et Ilham Aliyev s’étaient croisés lors du sommet de la Communauté politique européenne à Tirani en Albanie où 47 chefs d’État européens se réunissaient. Bien évidemment, cette rencontre a immédiatement été commentée par l’agence de presse azerbaïdjanaise qui en a même publié une photo :

Par contre, en France, l’Élysée ne communique pas sur cette furtive rencontre. Car dans ce dossier Akhmedov, l’Azerbaïdjan n’a pas uniquement Alexandre Benalla dans le viseur. Cette affaire devient carrément impossible pour Paris lorsqu’à l’été 2024, le franco-marocain Anass Derraz, un quarantenaire cadre de la SAUR établi à Dubaï, l’une des multinationales de l’eau française, se retrouve assigné à résidence par les autorités azerbaïdjanaises alors qu’il est de passage à Bakou. Car comme Alexandre Benalla, Anass Derraz est mis en cause par les Azerbaïdjanais dans le dossier du contrat avec Farkhad Akhmedov. « En fait, Derraz est littéralement pris en otage par Bakou car ils cherchent à faire venir Benalla en Azerbaïdjan. Ils l’ont arrêté pour faire pression sur Alexandre… », explique un proche du dossier.

Aujourd’hui, cela fait bientôt un an qu’Anass Derraz essaye de repartir d’Azerbaïdjan. Or, la semaine dernière, on apprenait par l’AFP que son procès pour « corruption » avait débuté à Bakou : « M. Benalla est présenté par les médias azerbaïdjanais comme une connaissance de M. Derraz. Anass Derraz réfute formellement ces accusations. Face aux juges (…) l’intéressé, placé en résidence surveillé depuis l’été 2024, s’est plaint de ne pas avoir accès à une traduction française des débats, ce qui a entraîné le report de l’audience au 19 juin ». Ce 19 juin, après quelques échanges le matin, cette fois-ci avec la présence d’un traducteur, le procès a encore été repoussé jusqu’au 5 juillet.

En coulisses, les négociations via des canaux parallèles se poursuivent. Car les Azerbaïdjanais aimeraient également récupérer deux de leurs ressortissants aujourd’hui emprisonnés en France.

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Un contrat de 6,14 millions $ dans le viseur de Bakou

De fait, depuis plusieurs mois, la presse à Bakou affirme que la justice azerbaïdjanaise – en réalité, le Service de sécurité de l’État, le contre-espionnage azerbaïdjanais – enquête sur l’un des volets les plus sensibles de l’affaire Benalla, dit des « contrats russes ». Dans le viseur : un contrat de consultance qu’Alexandre Benalla et Anass Derraz ont signé le 15 novembre 2018 avec le milliardaire russo-azerbaïdjanais Farkhad Akhmedov1, longtemps investi en Russie dans le secteur du pétrole et du gaz (sa fortune personnelle est estimée à 1,6 milliard de dollars par Forbes).

Ce contrat d’un montant de 6,14 millions de dollars avait pour objectif d’obtenir la levée de l’immobilisation du Luna, un magnifique yacht appartenant à Farkhad Akhmedov qui s’était retrouvé placé sous séquestre aux Émirats arabes unis2 dans le cadre d’une procédure de divorce aux multiples rebondissements entre le milliardaire russo-azerbaïdjanais et son ex-femme.

La lettre confidentielle IOL écrivait en octobre dernier qu’« aucune preuve n'a été obtenue par Intelligence Online étayant les allégations de collusion entre l'ex-employé de l'Élysée et Anass Derraz dans le cadre de ce contrat ». Reste que Benalla et Derraz ont bien co-signé ce contrat de 6,14 millions de dollars comme les policiers français de la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) l’ont notifié après quatre ans d’enquête dans un rapport de synthèse datant du 14 février 2023 que j’ai pu consulter.

« L’exécution de ce contrat, auquel se trouvait rattaché un second contrat (…) devait valoir aux intéressés de percevoir, en cumul, 6 140 000 dollars US, somme inéquitablement répartie entre eux, sachant que tandis que Monsieur Benalla devait percevoir 3 690 000 millions de dollars US, son acolyte devait se contenter de 2 450 000 dollars US », précisent ainsi les policiers de la BRDE dans leur rapport. Il était prévu un acompte de 400 000 dollars pour Alexandre Benalla et de 200 000 dollars pour Anass Derraz.

Face aux Azerbaïdjanais, ce dernier explique avoir bien travaillé à Dubaï contre cette rémunération, et qu’il s’agit nullement d’un « pot-de-vin », alors qu’il est accusé à Bakou d’en avoir reçu un. J’ai contacté l’avocate française d’Anass Derraz qui m’a répondu qu’elle ne s’occupait plus du dossier et m’a renvoyé vers la famille, qui est régulièrement reçue par l’Élysée. Les proches de ce cadre de la SAUR essayent tant bien que mal de faire valoir ses droits et ses intérêts, tant à Paris qu’à Bakou, dans un dossier aux multiples implications, notamment géopolitiques et présidentielles.

En tout cas, sur l’existence de ce contrat lié à la situation du Luna, la presse azerbaïdjanaise dit donc vrai depuis des mois même si elle a par ailleurs multiplié les allégations invérifiables ou mensongères au sujet de Derraz. En février dernier, un site azerbaïdjanais avait dévoilé une copie intégrale de ce contrat, signé comme suit :

Quand Anass Derraz prend ses distances avec Benalla

Dans le dossier français, Anass Derraz s’est retrouvé mis en garde-à-vue, les 7 et 8 décembre 2021 par les policiers de la BRDE, « en tant qu’associé à Monsieur Benalla au contrat de consultance dressé le 15 novembre 2018 pour le compte de l’oligarque Farkhad Akhmedov ». Face aux policiers français, le jeune quarantenaire apporte alors de nombreux éléments de contexte et des souvenirs qui ne jouent pas en la faveur de l’ex-chargé de mission d’Emmanuel Macron : « M. Benalla avait évoqué qu’il voulait travailler dans le domaine de la sécurité, en capitalisant sur sa soit-disant prestigieuse expérience à l’Élysée…», se rappelle-t-il.

En dépit de cette co-signature du contrat, Anass Derraz, qui vit depuis une dizaine d’années à Dubaï, assure qu’il n’est pas un ami d’Alexandre Benalla. Face aux enquêteurs français, Anass Derraz tient déjà à prendre ses distances avec l’ancien chargé de mission de l’Élysée et explique avoir travaillé (et bien travaillé) en parallèle : « Monsieur Benalla était clairement connu de la famille Akhmedov de par son ancienne qualité de conseiller au palais présidentiel (…) moi j’étais tout petit dans ce dispositif (…) Je ne sais pas ce qu’il a vendu à M. Akhmedov pour sa part de rémunération. Rétrospectivement, dès lors que nos misions étaient totalement distinctes, j’aurais dû signer un contrat séparé (…) ma mission était sans rapport avec celle de Monsieur Benalla, car je n’étais pas impacté par ce qu’il faisait. Je faisais ma mission dans mon couloir avec des parties prenantes sans que l’intervention de M. Benalla ne soit visible : par “parties prenantes”, j’entends Timur [le fils d’Arkhad Akhmedov, ndlr], la société qui gère le yacht, les autorités portuaires, les grandes familles émiraties, les avocats locaux dont l’avocat Tamimi et d’autres (…) j’avais six ou sept réunions par week-end sur le même sujet, j’étais au quotidien en contact avec les avocats et Timur… Selon moi, M. Benalla n’a pas opéré auprès des autorités locales pour répondre aux attentes de notre client commun puisque je ne l’ai pas vu à Dubaï et je n’ai pas relevé d’actions qu’il aurait pu mener sur place… ». L’avocat Tamimi est l’un des plus grands avocats de Dubaï qu’Anass Derraz a donc sollicité sur le dossier Farkhad Akhmedov pour essayer de suspendre le placement sous séquestre du Luna.

De son côté, Alexandre Benalla a l’habitude de travailler avec les Émirats – par le passé, il s’est occupé de la sécurité de l’ambassade émirati à Paris – et connaît plusieurs protagonistes qui ont une connaissance fine de l’Azerbaïdjan. C’est ainsi que l’ancien chargé de mission de l’Élysée est devenu un proche d’Umaro Sissoco Embaló, le président de Guinée-Bissau qui entretient les meilleures relations avec son homologue azerbaïdjanais Ilham Aliyev. À l’origine, Benalla et Sissoco Embaló se sont rencontrés grâce à une connaissance commune, le franco-israélien Philippe Hababou Solomon (à lire à son sujet, cet article de Marianne), qui dispose aussi d’un passeport diplomatique de Guinée Bissau, et qui avait accompagné l’ex-chargé de mission dans une tournée africaine à l’automne 2018 peu de temps après son éviction de l’Élysée. Sur ce dossier azerbaïdjanais, un autre protagoniste s’est énormément activé ces derniers mois : Germain Djouhri, le fils du célèbre intermédiaire Alexandre Djouhri (l’un des prévenus du procès Libye / Sarkozy), qui a multiplié les prises de contacts auprès des autorités françaises depuis qu’Anass Derraz se retrouve assigné à résidence à Bakou.

L’affaire Benalla continue donc des années plus tard d’empoisonner l’Élysée, particulièrement sur les terrains diplomatiques et géopolitiques. Rappelons qu’à Paris, l’avocat chargé des intérêts de l’Azerbaïdjan n’est autre que maître Olivier Pardo, qui a également parmi ses clients le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ou la ministre de la Culture Rachida Dati, qui entretient depuis de nombreuses années les meilleures relations avec cet État du Caucase, au point d’intéresser la justice comme l’a révélé récemment l’Obs.

En réalité, si la justice française avait pu avancer plus rapidement, les responsabilités des uns et des autres auraient pu être clarifiées et la France aurait pu se retrouver davantage à l’abri d’éventuels chantages ou autres pressions venant d’intérêts étrangers. Et Anass Derraz aurait pu éviter d’être assigné à résidence et poursuivi à Bakou…

Les difficultés des policiers français sur le dossier Benalla

De leur côté, depuis 2019, malgré une succession de difficultés rencontrées3 , les policiers français enquêtent méticuleusement et patiemment pour le Parquet National Financier (PNF) sur cette affaire dite des contrats russes visant l’ancien chargé de mission de l’Élysée et initialement dévoilée par Mediapart. Selon les policiers, la justice émiratie n’a pas coopéré sur le dossier Luna / Akhmedov contrairement aux justices marocaines et britanniques4. Et dans leur rapport de février 2023, les enquêteurs de la BRDE accusent : « Nous pouvons légitimement présumer que […] M. Alexandre Benalla a pu jouer sinon abuser de son influence réelle ou supposée pour percevoir, directement ou non, des avantages et subsides de ces oligarques ».

Cette affaire est donc particulièrement sensible pour l’Élysée alors que les tensions géopolitiques se sont accentuées depuis les révélations de presse de 2018. À l’époque, le site Mediapart n’avait fait état dans leurs révélations initiales que d’un contrat de sécurité signé entre Alexandre Benalla et Farkhad Akhmedov, ainsi que d’autres contrats de sécurité signés entre des sociétés gérées de fait, selon les policiers de la BRDE, par l’ancien chargé de mission alors que ce dernier était encore en poste à l’Élysée avec Iskander Makhmudov, un autre oligarque russe d’origine ouzbèke. Je reviendrai en détail sur tous ces éléments dans un prochain article. Au final, 941 000 euros ont été effectivement versés à Alexandre Benalla, ses associés et prestataires.

Concernant le contrat Luna appartenant à Farkhad Akhmedov, l’ex-chargé de mission de l’Élysée a touché 353 000 euros (400 000 dollars) dès décembre 2018. Mais l’intéressé aurait bien aimé toucher l’ensemble des sommes promises dans le contrat, comme il le précise aux policiers français qui l’interrogent au cours de l’enquête : « Il devait y avoir un complément sous forme de “success fee” la réussite de la mission. Malheureusement, la médiatisation autour de monsieur Akhmedov notamment dans Mediapart a rendu caduc le versement du “success fee”. Ayant été exposé comme il l’a été, je ne me voyais en aucun cas faire un recours pour demander le solde de tout compte… » Quel gentleman !

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Sur l’affaire Benalla, vous pouvez également lire ces articles, notamment deux que j’avais écrits en septembre 2021 lors du premier procès :

Izzat Khatab, l’« ami » d’Hollande, Macron et Benalla, fait l’objet d’une plainte pour agression (16/09/2021, QG)

Les angles morts du procès Benalla (30/09/2021, QG)

"L'espion du président", protecteur de Benalla et toujours à l'Elysée (24/04/2019, Soazig Quéméner, Marianne)

Sur Paul Soler et son action en Libye dès 2016/2017 :

Libye, jeux troubles à l’Elysée Révélations sur des messages secrets (1-2) (6 avril 2023, Off Investigation)

(Re)voir le reportage d'enquête diffusé en juin 2019 dans “Envoyé Spécial” (France 2) :

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Contacté à plusieurs reprises, l’avocat français de Farkhad Akhmedov n’a pas donné suite. Par contre, l’oligarque avait tenu à publier un droit de réponse à un article de Médiapart publié en février 2024 dans lequel il indiquait qu’il ne pouvait être considéré comme « un oligarque au parfum de soufre » ou un « proche de Vladimir Poutine », en ce « qu’il n’entretient aucun lien, personnel ou d’affaires, avec la Russie ou son gouvernement, et ce depuis son retour dans son pays d’origine, l’Azerbaïdjan, il y a plus de dix ans ». Et le droit de réponse ajoute : « Cette absence de proximité avec la Russie a d’ailleurs été reconnu par le Conseil de l’Union européenne, qui a retiré le nom de M. Farkhad Akhmedov de la liste des personnes sanctionnées le 15 septembre 2023 ». En mars 2023, une conversation téléphonique entre Farkhad Akhmedov et un producteur russe a été rendue publique par un média ukrainien : les deux hommes y critiquent très fortement Vladimir Poutine.

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À l’origine, c’est en 2014 que Farkhad Akhmedov rachète ce yacht le Luna à Roman Abramovich, l’oligarque russe et israëlien et propriétaire du club de foot Chelsea FC. En octobre 2017, le Luna est saisi à Dubaï par décision d'un tribunal britannique et à la suite d'une collaboration entre le Royaume-Uni et Dubaï. Mais Farkhad Akhmedov entame alors une procédure auprès de la justice des Émirats arabes unis qui conclut, à l'inverse, que son ex-épouse n'a aucun droit sur ce yacht.

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Dans leur rapport de synthèse du 13 février 2023, les policiers de la BRDE font état de leurs difficultés lors de l’interpellation d’Alexandre Benalla et de son épouse, le 14 décembre 2021 suivie d’une perquisition de leur domicile, qu’ils qualifient d’« infructueuse au possible ». Et de préciser : « tandis que tard la veille, le téléphone mobile de l’intéressé bornait en cet endroit - suivant la géolocalisation que nous avions entreprise pour nous assurer de sa présence… la visite des lieux ne nous permettait de relever aucun appareil connecté ». Les policiers laissent clairement entendre qu’Alexandre Benalla a été prévenu de leur perquisition.

Le 19 décembre 2022, ces derniers procèdent à une nouvelle interpellation d’Alexandre Benalla au sein du restaurant L’Élysée Saint Honoré dans le 8ème arrondissement de Paris. Mais si l’intéressé est cette fois-ci interpellé en possession de son smartphone, les policiers ont quand même fait choux blanc en ne pouvant accéder à son contenu : « son titulaire refusait, dès l’entame de cette reprises de la garde-à-vue, de nous communiquer les codes de décryptage seuls à même de nous permettre de poursuivre nos investigations techniques ».

Dès juillet 2018, les policiers avaient été confrontés à de nombreuses difficultés en enquêtant sur Alexandre Benalla. On se souvient de la rocambolesque perquisition à son domicile de l’époque, entre porte close et coffres-forts disparus… Sur ce dernier volet, la justice a discrètement ordonné un non-lieu fin juin 2024.

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Si, à l’origine, la justice émiratie n’a collaboré avec la justice française sur l’affaire Benalla et le dossier dit des « contrats russes » au cours de l’enquête policière française d’avant 2023, elle semble avoir collaboré avec l’Azerbaïdjan dans le cadre de la demande de notice rouge à l’encontre de l’ex-chargé de mission de l’Élysée. Une source m’indique qu’entre temps, les Émirats ont signé plusieurs conventions de coopération judiciaire, notamment la France.

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12.06.2025 à 12:40

Atos : « la bombe », le banquier et la justice

Marc Endeweld

Texte intégral (4323 mots)

In extremis, l’État et la direction d’Atos ont donc fini par s’entendre à la toute fin mai. Après des mois de négociation, le conseil d’administration du groupe informatique a finalement accepté l’offre ferme que l’État lui a remis un jour plus tôt – un total de 410 millions d’euros – pour le rachat de l’activité Advanced Computing, qui comprend principalement les stratégiques supercalculateurs, construits dans l’usine d’Angers, héritière du groupe informatique français Bull.

La semaine dernière, les communiqués officiels se sont ainsi félicités des engagements tenus de l’État au nom de la « souveraineté numérique » et de la « souveraineté industrielle ». Quelques jours plus tôt, le ministre de l’Économie, Éric Lombard, interrogé à l’Assemblée Nationale, se félicitait que l’État puisse décider de « nationaliser » – attention le grand mot – des entreprises ou, la nuance est importante, des parties d’entreprises…

Première incongruité, c’est l’Agence des participations de l’État (APE) de Bercy qui s’y colle et qui va donc signer dans les prochains jours une promesse d’achat, et non la Banque Publique d’Investissement (BPI), qui a préféré botter en touche. Le montage financier prévoit 300 millions d’euros de paiement initial, complétés par 110 millions d’euros de compléments de prix conditionnés aux performances 2025 et 2026.

L’APE à la rescousse ou l’État voiture-balai

Or, l’APE, rattachée à la puissante administration du Trésor, n’a développé ces dernières années ni doctrine industrielle ni stratégie dans le domaine. Les hauts fonctionnaires de l’APE considèrent qu’ils sont d’abord là pour maximiser les dividendes de l’État, non pour avoir une stratégie industrielle globale. Élément important, l’APE est dirigée depuis 2022 par Alexis Zajdenweber, un très proche d’Alexis Kohler. Cet ancien du Trésor fut durant cinq ans (de 2017 à 2022) le conseiller économie, finances, industrie d’Emmanuel Macron à l’Élysée.

Depuis sa nomination à son poste, le ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, à l’origine économiste et témoin de mariage d’Emmanuel Macron (et par ailleurs le plus gros patrimoine du gouvernement avec 22,9 millions d’euros net), est resté totalement muet sur Atos. Il n’est pas le seul.

Matignon également est totalement aphone sur ce dossier, alors même que François Bayrou est l’ancien « haut commissaire au Plan ». Pour un précédent article, j’avais contacté Ferracci qui ne s’était même pas donné la peine de me répondre (je l’avais pourtant rencontré par le passé, et notamment pour mon livre l’Ambigu Monsieur Macron, qu’il avait qualifié par SMS lors de sa sortie de « good job »). De même, j’avais également sollicité Matignon à plusieurs reprises sur le dossier Atos. J’attends toujours une réponse malgré les promesses de mes interlocuteurs.

Alors que le gouvernement ne cesse de dire ces dernières semaines que les caisses sont vides, l’État va donc débourser 410 millions d’euros et les donner à un groupe exsangue, contrôlé principalement par ses créanciers. Un groupe qui a annoncé à l’automne dernier vouloir procéder à 2500 licenciements au cours des deux ans à venir. Surtout, quelle est la logique de nationaliser une activité – celle des supercalculateurs essentiels pour le maintien de la dissuasion nucléaire – qui n’est pas viable économiquement si elle ne s’adosse pas à d’autres activités dans le cadre d’un groupe ? Ce n’est pas l’État stratège, c’est l’État voiture-balai.

Tous ces points, seule la CGT les a relevés la semaine dernière, comme l’a écrit L’Humanité dans un article intitulé « une trahison de plus ». « Pour nous, c’est une trahison de plus de la part des dirigeants. On attendait une nationalisation il y a deux ans, on n’a pas été écouté et aujourd’hui, l’entreprise est vendue à la découpe », se désespère Pascal Besson, délégué central CGT chez Atos France, qui ajoute : « On ne sait pas encore comment cela va être géré. Mais l’Agence des participations de l’État n’est pas un industriel, donc il faudra qu’ils aillent chercher des compétences ailleurs. »

Les gouvernements successifs ont refusé toute nationalisation mais n’ont jamais cherché ni à susciter, ni à un soutenir, un quelconque projet industriel qui aurait pu mettre en cause ce qui était alors le grand dessein des précédentes directions d’Atos, c’est-à-dire la scission du groupe en deux, un projet, pour ne pas dire un bricolage financier et spéculatif, soutenu à l’origine et imaginé par McKinsey et Rothschild, deux principaux conseils de l’entreprise, comme je l’avais décrit dès février 2023 (Le fiasco du projet de découpage d’Atos).

Depuis cette scission entre les activités activités d’infogérance (Tech Foundations) et les activités plus stratégiques (Eviden) a été abandonnée par Philippe Salle, le nouveau PDG d’Atos. Durant quatre ans, ce projet a pourtant coûté (notamment en conseils divers) près de 1 milliard d’euros à l’entreprise au bord de la faillite. Or, avant que le dossier ne prenne un tour politique à partir de l’été 2023, c’était officiellement le laisser faire qui prévalait du côté de l’exécutif. La BPI a par ailleurs toujours refusé d’entrer dans le capital d’Atos.

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20 ans de travail avec la DAM sur la dissuasion nucléaire

Ce silence semble aujourd’hui coupable alors que les supercalculateurs, principale activité industrielle d’Atos, sont cruciaux dans le cadre de la dissuasion nucléaire française. En effet, depuis l’arrêt des essais nucléaires décidé par Jacques Chirac en 1996, la France est passée aux simulations numériques combinées aux expérimentations laser et au calcul haute performance pour maintenir la crédibilité de la dissuasion française, un exercice difficile comme je le rappelle dans mon précédent article consacrée à « la bombe ». C’est les programmes Tera, puis EXA1 puis EXA2.

Ces simulations sont permises par des supercalculateurs qui permettent d’anticiper le comportement des matériaux, de modéliser les effets des explosions en fonction des environnements, et garantit la longévité des armes sans test réel. Alors qu’à l’origine la DAM avait acheté des calculateurs auprès des firmes américaines IBM et Cray, ses ingénieurs ont commencé à discuter à la fin des années 1990 avec le français Bull, craignant de se voir imposer dans ce domaine si stratégique un embargo des Américains en cas de conflit diplomatique. Du côté de Bull, ces discussions ont notamment été impulsées par Henri Conze, administrateur du groupe informatique et surtout ancien directeur général de l’Armement au début des années 1990. Une heureuse initiative : quelques années plus tard, les Américains mèneront la vie dure à la France pour s’être opposée à la seconde guerre en Irak.

Suite à ces premières discussions, la DAM va finir par acheter un premier supercalculateur Bull en 2005. Il y a tout juste vingt ans. D’autres supercalculateurs suivront. En fait, la DAM en achète tous les cinq ans environ. C’est en fait une véritable collaboration entre la DAM et les industriels, tant Atos que les groupes qui fournissent les puces et microprocesseurs tels que STMicroelectronics ou Intel. Dans ce cadre, les ingénieurs du CEA au sein du LETI (Laboratoire d'électronique des technologies de l'information) situé à Grenoble, procèdent à la validation (de confiance) des composants produits par des fabricants qui sont loin d’être tous français. Pour optimiser les machines aux besoins de la DAM et à d’autres activités du ministère de la Défense, tout est personnalisé et adapté : architecture de la machine, types de mémoire, structure des composants, logiciels…

Ces machines particulièrement adaptées aux calculs de mécanique des fluides peuvent ensuite être commercialisées auprès d’autres secteurs, comme celui de la météorologie. C’est ainsi qu’Atos a pu vendre un supercalculateur à l’agence allemande de météo après avoir travaillé sur la conception d’une machine avec la DAM. Cette profonde collaboration et cet investissement de long terme expliquent pourquoi les fonctionnaires si dévoués de la DAM sont juste furieux de la situation d’Atos et du comportement de l’État dans ce dossier.

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Gros client, l’État n’a jamais été actionnaire d’Atos

Car si l’État n’avait pas investi initialement dans ces supercalculateurs, rien de tout cela n’aurait pu être possible. Mais pour autant, jamais l’État n’a pensé pouvoir investir dans Atos en actions pour avoir son mot à dire.

C’est également cette impasse — cet impensé néolibéral (profits pour le privé, et les pertes pour les contribuables), qui se retrouve au cœur du scandale Atos. Encore une fois, l’État a préféré dépenser sans compter et sans avoir son mot à dire sur la bonne marche d’une entreprise qui avait pourtant en son sein une activité plus que stratégique, vitale pour la sécurité nationale. « Si l’État n’avait pas investi en amont, on aurait rien. Mais normalement, l’État aurait dû prendre des parts dans l’entreprise », constate aujourd’hui un bon connaisseur du dossier.

Si l’État n’a jamais été actionnaire d’Atos, il en a été l’un de ses très gros clients (supercalculateurs, contrats informatiques de long terme pour ses administrations), et a également aidé ce groupe (essentiellement de services) pour ses implantations industrielles en France. Lors de sa récente audition au Sénat le 22 avril, le nouveau PDG d’Atos, Philippe Salle, un financier qui « a une bonne réputation chez les hedge funds », selon une initiée de la place de Paris, a d’ailleurs dû s’expliquer sur l’utilisation de l’argent public reçu ces dernières années par son entreprise dans le cadre d’une commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises créée à l’initiative du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky (La vidéo de l’audition dans sa totalité est disponible ici).

Le groupe Atos a ainsi reçu 59 millions d’euros d’aides publiques en 2023, et il a encore bénéficié au printemps 2024 d’un prêt de l’État de 50 millions d’euros, ce qui ne l’a pas empêché de créer à l’automne, comme l’avait révélé le magazine Capital, une holding fiscale aux Pays-Bas ! « Permettez moi de vous dire mon étonnement, pour ne pas dire mon agacement » de voir Atos demander le soutien de l’État tout en s’engageant dans « un process d’optimisation fiscale », a dénoncé le rapporteur de la commission, le sénateur communiste Fabien Gay, par ailleurs patron de L’Humanité :

Lors de cette audition, Philippe Salle, qui dit comprendre que l’État peut lui demander des comptes après avoir soutenu son groupe, n’a pas manqué de souligner qu’Atos avait reçu des aides publiques principalement en raison de ses activités industrielles dans les supercalculateurs. Étrange exercice où l’on voit un PDG chanter les louanges d’une activité – cruciale pour la souveraineté de la France, rappelle-t-il au passage – qu’il est justement en train de vendre… à l’État.

Philippe Salle a l’habitude de faire dans la méthode Coué. Dans une récente interview Échos (« Atos reviendra au CAC 40 »), le PDG n’a pas peur d’annoncer vouloir procéder d’ici 3 ans à de nouvelles acquisitions entre 500 millions et 1 milliard d’euros ! Le groupe est pourtant à deux doigts de l’écroulement. En 2024, les pertes de contrats se sont multipliées et le groupe a vendu au français Alten son activité Worldgrid, les contrôles commande des centrales nucléaires, pour 270 millions d’euros.

Résultat, le groupe est passé de 110 000 salariés à un peu moins de 75 000 salariés, et pourrait descendre dès l’an prochain à 60 000. Dans ce contexte, le nouveau plan de la direction dévoilé il y a un mois – et qui prévoit à horizon 2028 un chiffre d’affaires entre 9 et 10 milliards d’euros avec une marge opérationnelle d’environ 10 %… – n’a guère convaincu les marchés. Et pour cause : en 2024, la marge opérationnelle d’Atos était tombée à 2,1 % et le groupe a commencé l’année avec une décroissance de 16 % sur le premier trimestre.

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Chotard passe du CIRI à Rothschild

En réalité, le plan actuellement en cours – prise de contrôle de l’entreprise par ses créanciers, vente à la découpe d’activités, vente des supercalculateurs à l’État – a été imaginé dans les couloirs de Bercy sous la houlette du CIRI (Comité interministériel de restructuration industrielle) et de son ancien secrétaire général Pierre-Olivier Chotard qui s’en félicitait dans une récente interview : « Le sauvetage d’Atos nous a occupés tout au long de l’année. C’était un dossier majeur, non seulement du fait de l’impact sur plusieurs dizaines de milliers d’emplois à travers le monde, mais aussi en raison de l’importance stratégique de certaines de ses activités (…) Si la reprise du groupe par ses créanciers n’est pas la solution optimale, elle a tout de même permis d’assainir le bilan de la société (…) La principale satisfaction qui en ressort est que l’État est parvenu à racheter les activités de supercalculateur, un enjeu clé de défense nationale et plus largement de notre souveraineté numérique. C’est une action inédite, puisque, avec le dossier Atos, c’est la première fois qu’une entreprise qui sollicite l’aide du Ciri voit un pan de son activité racheté par l’État ».

Ce qui est moins inédit, c’est le pantouflage de ce haut fonctionnaire dans le privé. Fin mars, Chotard a quitté le CIRI pour devenir banquier d’affaires chez… Rothschild, toujours conseil d’Atos. Officiellement, sa fonction de banquier est centrée sur les fusions et acquisitions, et toute activité de « restructuring » est écartée de son champ de compétence, mais cela n’empêche pas Les Échos de souligner dans un article que « la banque d’affaires renforce son expertise en matière de restructuration d’entreprises », en s’adjoignant « les services du secrétaire général du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) ».

Ce n’est pas le seul va-et-vient entre le public et le privé qui interroge. En début d’année, Charles Clément-Fromentel a été nommé conseiller entreprises à Matignon : après un passage à l'Élysée, ce dernier était précédemment un ancien du cabinet BTSG, dont le fondateur Marc Sénéchal, administrateur judiciaire star de la place de Paris, a conseillé Atos lors de son plan de scission en 2023.

René Proglio entendu comme témoin par la justice

Cette année-là, on avait vu le milliardaire Daniel Kretinsky proposer à Atos de racheter sa branche Tech Foundations comme je l’avais dévoilé au coeur de l’été (à lire également : Atos / Eviden : les doutes de la place de Paris).

Suite à cette bagarre, plusieurs plaintes avaient été déposées par des actionnaires et des fonds auprès du PNF pour dénoncer la communication trompeuse et l’inexactitude des comptes du groupe, mais aussi pour corruption active et passive, après avoir découvert les bonus promis par Daniel Kretinsky aux dirigeants chargés de négocier avec lui la vente d’une partie d’Atos. Alertée par des actionnaires sur la communication « trompeuse d’Atos » depuis août 2023, l’Autorité des marchés financiers (AMF) n’avait alors jamais émis la moindre réserve.

Jusqu’à présent, le PNF s’était fait très discret sur dossier Atos, au point que certains interlocuteurs se demandaient si une enquête avait été finalement engagée. C’est le cas. Ainsi, l’ancien président du comité d’audit du groupe, René Proglio, qui s’était fortement opposé au plan de scission, a été entendu comme témoin par les gendarmes le lundi 26 mai, soit près de deux ans après les faits.

En 2024, l’homme avait été déjà auditionné durant plusieurs heures par l’AMF, sans qu’ensuite l’institution de contrôle des marchés financiers n’exprime la moindre critique à l’égard d’Atos. Dans ce contexte, on peut se demander si la justice de son côté ira vraiment très loin pour pointer les responsabilités des uns et des autres et les collusions dans ce dossier emblématique de la place de Paris.

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À relire :

« Qui veut la peau du groupe ? » : Atos, une liquidation qui ne dit pas son nom, Marianne, 30 janvier 2025.

Le géant informatique Atos bientôt liquidé aux frais de la princesse ? Marianne, 25 mai 2024.

Atos : la fuite en avant de Meunier et le bal des prédateurs, The Big Picture, 26 septembre 2023.

Atos / Eviden, les doutes de « la place de Paris », The Big Picture, 2 août 2023.

Rien ne va plus chez Atos : vers un démantèlement ? The Big Picture, 31 juillet 2023.

Le fiasco du projet de découpage d’Atos, The Big Picture, 15 avril 2023.

À écouter :

Atos, comment échouer dans un domaine à succès, France Culture, 7 mai 2023.

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08.06.2025 à 11:52

Face à la Russie, la dissuasion française vers un réarmement majeur ?

Marc Endeweld

Texte intégral (9796 mots)
« Docteur Folamour » ou « How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb », 1964, film de Stanley Kubrick.

Seul pays de l’Union Européenne à avoir « la bombe », la France peut-elle donner une garantie nucléaire à ses voisins et ses alliés ? En a-t-elle au moins les capacités ? Surtout, ses adversaires la jugerait-elle crédible ? Il a suffi que Donald Trump montre une nouvelle fois que la sécurité de l’Europe était le cadet de ses soucis pour que toutes ces questions surviennent dans la tête des gouvernants européens. Le 21 février 2025, à la veille des élections fédérales en Allemagne, le candidat menant la liste CDU-CSU, Friedrich Merz, estime ainsi que la dissuasion nucléaire française et britannique peut « être utilisée par l’Allemagne ». Dix jours plus tard, le 5 mars 2025, Emmanuel Macron répond « à l’appel historique du futur chancelier allemand » en affirmant avoir « décidé d’ouvrir le débat stratégique sur la protection par notre dissuasion de nos alliés du continent européen ».

Un mois et demi après, le journaliste Darius Rochebin interroge le président français pour savoir si la France pourrait stationner, comme le font les Américains dans le cadre de l’OTAN, des armes nucléaires sur le sol de nos alliés européens, et ce dernier répond : « nous sommes prêts à avoir cette discussion ». Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron évoque l’idée d’une « dimension européenne » de la dissuasion nucléaire française. En février 2020, lors d’une allocution à l’École de guerre alors peu commentée, Emmanuel Macron avait commencé à franchir un pas dans ce sens en appelant à un dialogue stratégique avec les partenaires européens sur le rôle de la dissuasion française pour la stabilité du continent. Il ne proposait pas de mise en commun ni de partage des moyens, mais ouvrait néanmoins la voie à une évolution doctrinale : l’élargissement du périmètre des intérêts nationaux.

« Soyons clairs : les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne ». À l’époque, cette déclaration du président français avait suscité indifférence et scepticisme à Berlin. Précédemment, ses discours enflammés à Athènes ou à la Sorbonne pour la « souveraineté européenne », une « Europe de la Défense », ou « l’autonomie stratégique » du continent avaient été considérés avec un dédain certain dans les capitales européennes.

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Il faudra attendre l’automne 2019 et son interview à The Economist dans laquelle il estime que l’OTAN se retrouve en « état de mort cérébrale », pour qu’Emmanuel Macron réussisse à susciter des réactions (la plupart négatives) sur ses propositions. À l’époque, l’Allemagne n’était pas encore prête : avec sa Constitution pacifiste, sa dépendance à l’égard du « parapluie nucléaire » américain, sa culture stratégique fondée sur le désarmement, mais aussi sa peur d’un leadership renforcé de Paris.

Quand Chirac voulait protéger le « territoire européen »

Pour mon livre l’Emprise, j’avais interrogé son prédécesseur, François Hollande. L’ancien président semblait sceptique lui aussi, et me rappelait un fait qui lui semblait indépassable : « Ni la France ni l'Allemagne ne sont prêtes à une codécision en matière de dissuasion nucléaire ». On le verra plus loin, mais toute idée de « codécision » n’est tout simplement pas envisageable en matière de dissuasion nucléaire.

Reste qu’en ce printemps 2025, le changement de décor est total. À Berlin, conservateurs et sociaux-démocrates ont scellé un accord de coalition qui tourne le dos à l'orthodoxie budgétaire et au pacifisme hérités de l'après-guerre. Parmi les responsables politiques français, cette inflexion majeure et unilatérale suscite peu de commentaires ou même de débat. Vogue la galère !

Pour autant, Emmanuel Macron n’a pas toujours eu cette « foi » dans le feu nucléaire. Comme je l’ai déjà raconté, au printemps 2010, lors d’une séance de travail de la seconde commission Attali, le jeune banquier d’affaires expose aux membres présents une proposition osée : rien de moins que de supprimer la force de dissuasion nucléaire pour faire des économies. Très vite, Jacques Attali, ancien conseiller spécial de François Mitterrand, interrompt sèchement son protégé pour le contredire. Les autres membres de la commission renchérissent : pas question de supprimer la dissuasion, outil majeur de l'influence française dans le monde.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’un président français propose de faire de la dissuasion nucléaire une composante essentielle de la défense européenne. Bien avant Macron, Giscard, Mitterrand et Chirac… ont tous déjà évoqué la « dimension européenne » de la bombe française. Dans son discours du 8 juin 2001 à l’IHEDN, Jacques Chirac explique ainsi : « J'évoquais tout à l'heure le développement par certains États de capacités balistiques qui pourraient leur donner les moyens, un jour, de menacer le territoire européen avec des armes nucléaires, biologiques ou chimiques. S'ils étaient animés d'intentions hostiles à notre égard, les dirigeants de ces États doivent savoir qu'ils s'exposeraient à des dommages absolument inacceptables pour eux ». Même le général De Gaulle écrivit dans une « instruction personnelle et secrète », adressée en 1964 aux chefs des armées et aux responsables des forces nucléaires, que « la France doit se sentir menacée dès que les territoires de l'Allemagne fédérale et du Benelux seraient violés ».

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Le feu nucléaire comme nouvelle ligne d’horizon

Jusqu’à récemment encore, tous ces discours des présidents français sur la dissuasion nucléaire étaient peu commentés. L’idée que l’Europe ne puisse plus être protégée par le « grand frère » américain n’était même pas envisagée. Pour beaucoup, la Pax Americana d’après guerre froide semblait immuable.

L’émergence de la Chine et de puissances extra-occidentales depuis une quinzaine d’années bouleverse l’ordre mondial. De fait, on assiste au grand retour du nucléaire comme cœur des relations de puissance. Les opinions publiques occidentales ont eu tendance à l’oublier après la fin de la guerre froide, mais le feu nucléaire apparaît de nouveau comme une ligne d’horizon possible de la guerre.

Après le grand désarmement des années 1990, les États nucléaires se sont mis peu à peu à se réarmer à travers la modernisation de leurs arsenaux : « Nous vivons actuellement l'une des périodes les plus dangereuses de l'histoire de l'humanité », a mis en garde Dan Smith, directeur du Sipri, un centre de recherche suédois qui publie régulièrement des rapports sur la situation du nucléaire militaire dans le monde. Rappelons qu’en 2024, il y avait 12 121 ogives nucléaires existantes dans le monde, 9 585 étaient disponibles en vue d'une utilisation potentielle et 2 100 d'entre elles étaient maintenues en état d'« alerte opérationnelle élevée » pour les missiles balistiques.

À marche forcée, la Chine rattrape son « retard », disposant désormais de 600 têtes nucléaires selon le Pentagone, et la puissance asiatique pourrait dépasser le millier d’ogives en 2030. Depuis quelques années, les signaux se multiplient sur ce qui s’apparente à un véritable réarmement. Plus alarmant encore, ce sont les équilibres stratégiques traditionnels qui sont aujourd’hui remis en question. On assiste au retour de la menace nucléaire, à la résurgence du risque entre puissances nucléaires.

Le 2 août 2019, les États-Unis décident ainsi de ne plus participer au traité INF signé en 1987 qui réglementait les missiles à portée intermédiaire en Europe. Dans les jours qui suivent, la Russie procède au test d’un nouveau missile pouvant porter des ogives nucléaires et le fait savoir. En février 2023, la Russie suspend sa participation au traité New Start, dernier accord de maîtrise des armements liant Washington à Moscou. Ce traité doit arriver à expiration en février 2026, et limite chaque partie à 1 550 ogives stratégiques offensives déployées et prévoit un mécanisme de vérifications (interrompues depuis la suspension russe d’il y a deux ans).

Premier essai nucléaire de l'histoire à Los Alamos, Alamogordo, Nouveau-Mexique, le 16 juillet 1945. U.S. National Archives and Records Administration.

La France maîtrise l’ensemble de la chaîne nucléaire

Dans ce contexte, la France est le seul pays de l’Union Européenne à disposer d’une force nucléaire complète, opérationnelle, indépendante et modernisée. À travers la très secrète Direction des Applications Militaires (DAM), rattachée au CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique), la France est l’un des rares États à maîtriser l’ensemble de la chaîne du nucléaire militaire : de la recherche fondamentale à la simulation, de la propulsion à la dissuasion.

Ces forces nucléaires sont souvent vues comme le dernier rempart de l’indépendance nationale. La France n’a d’ailleurs jamais voulu intégrer ses forces nucléaires à une organisation multilatérale. Et si le pays fait de nouveau partie depuis 2009 du commandement intégré de l’OTAN, qui est avant tout une alliance nucléaire, sa force de dissuasion, présentée comme « tous azimuts », c’est-à-dire valable contre toute puissance susceptible de menacer la France, reste extérieure à la planification stratégique de l’organisation atlantique. La France n’a jamais admis que sa dissuasion puisse être subordonnée à une logique étrangère, et s’était fortement opposée à la stratégie américaine de la « riposte graduée » développée à partir de 1962 dans le cadre de l’OTAN. On ne s’en souvient guère mais cette « riposte graduée » envisageant un éventuel champ de bataille nucléaire en Europe avait déjà fait douter de l’effectivité d’un « parapluie » américain », et d’un partage réel de la dissuasion.

Au cœur de la doctrine française, on trouve ainsi le principe de dissuasion du faible au fort. L’idée est simple : la possibilité de riposter avec une intensité inacceptable suffit à décourager toute velléité de chantage ou d’agression. C’est une sorte de judo stratégique. Car cette doctrine est fondée sur le renversement des forces. L’effet recherché n’est pas la destruction mutuelle assurée mais l’élévation du coût de l’agression à un niveau insupportable.

Deux autres grands principes guident la doctrine française de dissuasion. D’abord, l’autonomie de décision : la dissuasion est placée sous le contrôle exclusif du président de la République. Et ensuite, la « stricte suffisance » : le fait de garantir en permanence la possibilité de causer des dommages inacceptables à tout agresseur potentiel, quelles que soient les circonstances (y compris en cas d’attaque surprise adverse). À l’origine, il ne s’agit donc pas, pour la puissance moyenne qu’est la France, de tenter de rivaliser symétriquement avec l’URSS, mais de développer un arsenal dont le volume et les propriétés techniques et opérationnelles décourageraient même une superpuissance de s’en prendre directement à ses intérêts vitaux. À l’origine, cette approche française exclut l’accumulation d’armes ou la recherche de la suprématie stratégique. Si durant la guerre froide, la France a pu stocker jusqu’à 540 têtes nucléaires, elle dispose aujourd’hui de la moitié (290).

Les forces nucléaires françaises en format réduit

En réalité, la doctrine française de dissuasion a évolué en fonction des présidents et des évolutions technologiques. Dans les années 1990, il est ainsi décidé la contraction du format des forces et du complexe de conception et de production des armes nucléaires françaises. La France ferme, puis démantèle le polygone de test situé en Polynésie française, signe et ratifie le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). Elle ferme également, puis démantèle, ses sites de production de matières fissiles de Marcoule et Pierrelatte. Diplomatiquement, la France s’engage dans la voie du désarmement international, en prenant désormais une part active dans la lutte contre la prolifération nucléaire (En 1992, elle ratifie ainsi le TNP, le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires).

En 1995, Jacques Chirac décide également de se passer d’une des composantes de la dissuasion, les missiles nucléaires sol-sol, avec la suppression du célèbre plateau d’Albion, leur base de lancement. Le nombre de sous-marins nucléaires porteurs de missiles balistiques de la Force océanique stratégique (FOST) passe de 6 à 4, et le nombre d’escadrons des bombardiers des Forces aériennes stratégiques (FAS) passe de 5 à 3, (puis à 2 à la fin des années 2000).

C’est également à ce moment-là que la France décide de ne plus différencier les frappes dites « tactiques » des frappes dites « stratégiques ». Autrement dit, la France s’engage à ce que son arme nucléaire ne puisse être utilisée qu’en dernier recours, dans le cadre d’un rapport de force nécessairement stratégique et s’inscrivant pleinement dans la dissuasion (et donc dans sa dimension défensive).

Ce que le grand public ne perçoit pas forcément, c’est que cette doctrine française n’est pas forcément partagée par l’ensemble des puissances nucléaires, notamment la Russie ou de nouveau les États-Unis… Comme on le verra plus loin.

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Par la suite, Nicolas Sarkozy décide en 2008 de réduire d’un tiers la composante nucléaire aéroportée (les missiles embarqués par les avions) avec l’entrée en service d’un nouveau missile air-sol plus performant. L’arme nucléaire est une « arme de légitime défense », comme il le déclare lors d’un déplacement à Cherbourg en 2008. Quant à lui, François Hollande réduit un peu plus l’ambiguïté stratégique de la dissuasion française, en annonçant cibler prioritairement les centres de pouvoir, lors de son discours sur la base aérienne d’Istres, tout en insistant sur la nécessité de la permanence du dispositif. On le voit, poursuivant le principe de « stricte suffisance », la France profitait jusqu’à présent des avancées technologiques pour adapter ses forces (et maîtriser les coûts au passage).

Modernisation des armes et nouveaux sous-marins

Si la France ne participe pas à la course aux armements, elle est soucieuse de préserver sa permanence technologique. En effet, faute d’investissements, une dissuasion nucléaire peut vite devenir obsolète. C’est pourquoi à partir des années 2010, l’État décide d’augmenter à bas bruit ses investissements dans ce domaine. Un effort confirmé par Emmanuel Macron. Dans la dernière loi de programmation militaire (2024-2030), la dissuasion nucléaire représente désormais un budget de 5 à 6 milliards d’euros par an (soit 13 % du budget total des armées). Au regard de l’intensité des investissements, c’est finalement des coûts maîtrisés, d’autant si l’on compare aux dérives récentes aux États-Unis avec les coûts astronomiques des nouveaux bombardiers stratégiques B21 ou des Sentinel ICBM, ou certaines impasses russes (rhétorique de l’escalade compensant la dégradation des arsenaux).

Rapport parlementaire de la commission de la Défense nationale sur le projet de loi de finances 2025.

Ce nouveau cycle de rénovation de la force nucléaire française passe d’abord par la mise en chantier par la DGA (Direction générale de l’Armement), le CEA et Naval Group d’une troisième génération de sous-marins SNLE (sous-marins nucléaires lanceurs d'engins), qui doivent prendre le relais à partir de 2035. Des investissements importants sont notamment consacrés à l’amélioration de la discrétion acoustique de ces nouveaux SNLE pour les rendre plus furtifs. Tout a été repensé : coque, propulseur, système de navigation, senseurs (capteurs), l’intelligence artificielle embarquée. L’objectif ? Garantir l’invisibilité totale, y compris face aux futures générations de détection multi-domaines (quantique, gravimétrique, thermique), tout en réduisant l’empreinte logistique et énergétique. Ce programme mobilise des milliers d’ingénieurs et s’étend sur plus de trente ans.

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Mais d’autres investissements sont prévus. Car l'un des enjeux les plus importants pour maintenir la crédibilité de la dissuasion est de pouvoir en permanence s'assurer que les forces nucléaires françaises pénétreraient ou satureraient les défenses adverses (défenses antimissiles et antiaériennes). Il s’agit ainsi de préserver les capacités de pénétration des futures versions du missile balistique mer-sol M-51 face au renforcement des capacités de défense antimissile dans le monde.

Le surgissement des armes hypersoniques

Plus globalement, il s’agit de faire face à tout risque de surprise technologique. Ainsi, le surgissement des armes hypersoniques, qui ont été utilisées pour la première fois à partir de 2022 par la Russie dans le cadre de sa guerre en Ukraine, entraîne un changement brutal dans l'équilibre stratégique mondial. Alliant une vitesse inédite –Mach 5 (plus de 6.000 km/h, soit 5 fois la vitesse du son) – à une manœuvrabilité exceptionnelle, les missiles hypersoniques sont particulièrement délicats à intercepter pour les défenses antimissiles existantes.

Dans ce domaine de l’hypervélocité, les trois plus grandes puissances nucléaires (Russie, États-Unis, Chine) se livrent une compétition féroce. Si la Russie possède une certaine avance avec des systèmes comme l’Avangard, le Kinzhal ou encore le Zircon, la Chine développe aussi ses armes hypersoniques (DF-2F, YJ-21), et les États-Unis mettent les bouchées doubles pour combler leur retard (C-HGB).

Ces missiles hypersoniques, capables de manœuvrer à des vitesses supérieures à Mach 5 dans les couches atmosphériques denses, bouleversent les temps de réaction, la nature des trajectoires, et la capacité de riposte anticipée. Le principal effet stratégique de ces armes n’est pas la puissance de destruction, mais la réduction drastique du temps de décision pour les États visés, et la difficulté croissante à distinguer entre frappe conventionnelle et frappe nucléaire. Cela entraîne un risque d’alerte prématurée, de mauvaise interprétation ou d’escalade incontrôlée.

Face à ce bouleversement technologique, et pour combler son retard, la France a décidé d’engager toutes ses forces dans son propre programme de missiles hypersoniques, en développant l’ASN4G (Air-Sol Nucléaire 4e génération), successeur du missile ASMP-A actuellement en service (Mach 3/4). L’enjeu de ce programme est double : garantir la pénétration dans les espaces hautement défendus (A2/AD – Anti-Access/Area Denial) et introduire une capacité de vitesse hypersonique (supérieure à Mach 5), rendant toute interception pratiquement impossible.

À terme, l’ASN4G, combiné au Rafale F5, représentera une arme de frappe stratégique à haute manœuvrabilité, capable de répondre à la prolifération de systèmes de défense avancés (S-500 russes, HQ-19 chinois) et de systèmes de guerre électronique. La mise en service opérationnelle de cette arme redoutable, conçu par le groupe MBDA en collaboration avec la DAM/CEA est pour l’instant prévue autour de 2035. Les premiers essais de maquette, de matériaux, de guidage inertiel et de propulsion sont en cours.

Il est donc vital de maintenir l’efficacité de pénétration de l’arme nucléaire française vis-à-vis des défenses adverses pour conserver la crédibilité de dissuasion du pays. Cette capacité de pénétration s’obtient à la fois par la vitesse et la manœuvrabilité des vecteurs utilisés mais également par leur furtivité — permettant qu’ils soient détectés le plus tard possible — et aussi par leur nombre.

Vers une augmentation de l’arsenal nucléaire français

Seuls les spécialistes en sont conscients, mais il est nécessaire de disposer d’un nombre suffisant de têtes nucléaires à mobiliser dans une attaque nucléaire pour espérer échapper aux défenses adverses. Au cœur de la guerre froide, c’est la raison pour laquelle Américains et Russes se sont mis à développer dans leurs arsenaux des ogives nucléaires à têtes multiples ou M.I.R.V. (Multiple Independently targetable Re-entry Vehicle). En accédant à la miniaturisation, la France a pu également accéder à cette « avancée » technologique dans les années 1980 et a équipé d’ogives à têtes multiples les missiles mobilisés dans ses sous-marins.

À tout moment, la France doit donc adapter son système à sa posture nucléaire. Est-ce que l’équilibre de destruction est encore respecté ? La question se pose notamment quand les capacités de défense évoluent. Quel est l’état des forces chez les autres puissances ? « On regarde en permanence l’état du stock », me rappelle un spécialiste du sujet. Élargir le périmètre des intérêts vitaux de la France à d’autres pays européens amène forcément la DAM, et sa direction des armes nucléaires, à envisager une augmentation du nombre de têtes dans l’arsenal français. Selon mes informations, des réflexions sont bien en cours sur une augmentation éventuelle du nombre de têtes.

Après vingt ans de contraction des forces nucléaires, on assiste donc, derrière les discours présidentiels, au retour à un réarmement nucléaire qui va bien au-delà de la modernisation précédemment décrite. Parmi les experts, tous ne sont pas convaincus d’une telle nécessité stratégique (à lire notamment cet article : « Le parapluie et la panique : les fausses évidences sur la renucléarisation et la remilitarisation de l’Europe »), mais bon nombre d’entre eux estiment, en off ou publiquement, que la France, avec l’affaiblissement des garanties américaines, devra augmenter tôt ou tard son arsenal nucléaire (290 têtes) face à la menace russe (près de 1600 têtes déployées) : « Le dogme de la stricte suffisance doit (…) être questionné, estime ainsi Benoît Grémare, ancien officier à l’escadrille des sous-marins nucléaires d’attaque, Si aujourd’hui, 290 têtes nucléaires représentent la valeur que la France accorde à la défendre de son existence, ce prix paraît négliger l’échelle du continent européen, et la logique le confirme : les puissances nucléaires de taille continentale telles que les États-Unis, la Russie et bientôt la Chine déploient un arsenal à hauteur d’un millier de têtes thermonucléaires ». De son côté, Étienne Marcuz de la FRS (Fondation pour la recherche stratégique) estime qu’il sera bientôt nécessaire pour la France d’avoir deux sous-marins SNLE à la mer en permanence, et pas seulement un seul comme actuellement.

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« Docteur Folamour », Stanley Kubrick, 1964.

C’est dans cette perspective de réarmement que la France envisage ainsi, comme l’a dévoilé début juin La Tribune, de s’appuyer sur la centrale EDF de Civaux mais aussi sur le réacteur militaire RES installé sur le site du CEA à Cadarache (Bouches-du-Rhône) pour produire de nouveau du tritium, composant essentiel dans la fabrication de bombes H. Depuis l’arrêt du site de production de Marcoule en 2009, l’État s’appuie sur un stock existant de tritium, dont le volume reste confidentiel. Or, le tritium est un gaz qui « se désintègre et disparaît spontanément », indique une note explicative du ministère des Armées, publiée au printemps 2024 lors de l'officialisation de la collaboration entre l'État et EDF. « Tout stock est réduit de moitié au bout de 12 ans, les trois quarts au bout de 25 ans, 99,5 % au bout d'un siècle...Impossible de produire le tritium une fois pour toutes et de le stocker », précise le document. Il faut donc en fabriquer régulièrement, ce qui explique la décision soudaine de l’État français d’en reproduire.

Quelle place pour l’arme nucléaire française en Europe ?

La crédibilité d’une force nucléaire ne repose pas uniquement sur la possession d’armes mais aussi et surtout sur la démonstration permanente que ces armes sont opérationnelles, impossibles à neutraliser et prêtes à l’emploi en toutes circonstances. Les évolutions technologiques contemporaines viennent brouiller les frontières traditionnelles entre dissuasion stratégique et action tactique, entre théâtre conventionnel et menace existentielle. Armes hypersoniques, cyberguerre, guerre hybride, interférences spatiales… À court terme, de nombreux sujets pourraient ainsi être partagés entre la France et d’autres pays européens pour assurer la crédibilité de la dissuasion française : cybersécurité nucléaire, protection des communications présidentielles, blindage électromagnétique contre les attaques informatiques.

À l’inverse, aucune codécision n’est possible dans l’emploi de l’arme nucléaire française. Entre le processus délibératif européen et la nécessité d’une décision solitaire et immédiate, rien n’est plus incompatible. De fait, la dissuasion repose sur la menace d’emploi, instantanée, crédible et univoque. Tout partage de la décision aboutirait à une dilution. Toute gouvernance partagée annulerait l’effet de la dissuasion.

La question est plutôt de définir le rôle de la dissuasion française dans la sécurité européenne élargie. Comment reconnaître le feu nucléaire français comme élément structurant de la sécurité européenne ? Car jusqu’à présent, l’espace stratégique européen était informe, divisé et sous la dépendance américaine.

Si l’Union Européenne est une puissance économique majeure, elle n’a aucune doctrine stratégique unifiée. Les Constitutions de certains États (Allemagne, Autriche, Irlande) interdisent toute adhésion à une doctrine de dissuasion. D’autres (France, Pologne), affirment la nécessité d’un feu souverain. Le traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) adopté à l’ONU et soutenu par plusieurs membres de l’UE, s’oppose à toute reconnaissance de l’arme. De surcroît, il n’existe aucun consensus au sein de l’UE sur ce qui constituerait un casus belli, une menace existentielle, ni même sur les critères d’emploi nucléaire.

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Comme le président Macron l’a proposé, cette discussion pourrait être initiée à travers un « dialogue stratégique » entre États volontaires. Plutôt que de « partager » cette arme, l’Union européenne pourrait concourir à sécuriser l’environnement stratégique de cette arme. De fait, la France ne peut porter seule le poids de la modernisation permanente. Aujourd’hui, les industriels allemands TKMS et Rohde & Schwarz et le groupe italien Leonardo, voire certains partenaires scandinaves ou néerlandais, participent déjà à des segments technologiques de la dissuasion nucléaire sous pilotage français strict, sans jamais avoir accès à la logique d’ensemble.

Le précédent de l’accord Teutates avec le Royaume-Uni

Par ailleurs, le Royaume Uni et la France ont signé ensemble l’accord Teutates, suite aux accords de Lancaster House de 2010, qui a permis de développer entre les deux pays une coopération sur des installations communes hydrodynamique et radiative, notamment sur le site de la DAM à Valduc en Bourgogne. Par ailleurs, toujours dans ce cadre, des rapprochements industriels ont été initiés entre la France et le Royaume-Uni avec MBDA sur des systèmes d’armes communs, des missiles classiques. Alors que la dissuasion nucléaire britannique est historiquement entre les mains des Américains, les Anglais cherchent aujourd’hui à développer les rapprochements avec les Français pour tenter de s’autonomiser un peu de l’Oncle Sam.

De nombreux autres projets participant à la dissuasion pourraient être soutenus par les pays européens. Jusqu’à présent, la France s’est engagée seule dans le programme de missile hypersonique ASN4G, mais plusieurs coopérations discrètes avec l’Allemagne et l’Italie ont été initiées dans ce cadre sur les matériaux (alliages thermorésistants, céramiques), mais aussi sur la navigation inertielle et le guidage adaptatif.

De même, dans le domaine de la détection, la France, seule, ne dispose pas encore d’un système complet d’alerte spatiale infrarouge équivalent au SBIRS américain ou aux satellites russes Oko. C’est pourquoi elle participe avec l’Allemagne, l’Italie et la Suède à des programmes de codéveloppement de capteurs spatiaux, de radars… Car l’arme nucléaire dépend aujourd’hui du spatial : sans contrôle autonome de l’espace, toute dissuasion devient aveugle.

Ces dispositifs de défense pourraient être particulièrement utiles dans un monde où l’on assiste à un affaiblissement des principes de la dissuasion nucléaire. À travers la guerre en Ukraine, la Russie n’a pas hésité à utiliser la menace nucléaire comme outil de coercition, loin des principes de la dissuasion à la française. Pour Vladimir Poutine, tout est bon pour intimider les capitales occidentales : les tirs et redéploiements de missiles à capacité nucléaire, le nombre croissant d’exercices impliquant les forces stratégiques, la propagande valorisant les capacités nucléaires russes, enfin, les patrouilles de bombardiers stratégiques à long rayon d’action opérant à proximité des côtes d’Europe occidentale, d’Amérique du Nord, du Japon.

La France s’oppose au nucléaire sur les champs de bataille

Plus inquiétant encore, la miniaturisation des armes apporte de nouveaux périls. Ces dernières années, tout indique un retour aux ogives à faible puissance, dites charges « tactiques », pouvant être utilisées sur un champ de bataille. L’expert des armes de destruction massive, Joe Cirincione pointe dans un article de Responsible Statecraft l'évolution de la doctrine russe de dissuasion nucléaire vers cet usage, mais rappelle également que, même aux États-Unis, certains experts de la défense sont devenus des promoteurs zélés d'un tel recours. Il cite notamment l'activisme dans ce domaine de Frank Miller, un haut cadre du Pentagone, un temps conseiller du président George W. Bush. Au détour de cet article, on apprend ainsi que les États-Unis ont décidé depuis une décennie d'intégrer les armes nucléaires tactiques au sein de l'arsenal utilisable dans les plans de guerre conventionnelle.

Les promoteurs de telles armes nucléaires «tactiques» semblent indifférents à leur potentiel destructeur. À partir de 2018, l'administration Trump décide ainsi d'adapter les ogives W76 dans une version de « faible puissance», de 5 à 7 kilotonnes. En comparaison, Little Boy, lancée sur Hiroshima, avait une puissance entre 13 et 16 kilotonnes; ou, plus frappant encore, la bombe conventionnelle (donc non nucléaire) la plus puissante actuellement incluse dans l'arsenal américain, surnommée « la mère de toutes les bombes », la GBU-43/B Massive Ordnance Air Blast, ne représente que 11 tonnes de TNT, soit un cinquantième de la puissance de ces nouvelles bombes nucléaires américaines à « faible puissance ». Autant dire que l’utilisation de ces armes nucléaires « tactiques » auraient des conséquences terribles.

Ces ogives de « faible puissance », appelées « W76-2 », commencent à être discrètement fabriquées par les États-Unis en janvier 2019. La décision suscite de nombreuses critiques (feutrées) dans la communauté de la défense américaine. Six mois après le lancement de la production de ces armes, la commission des forces armées de la Chambre des représentants des États-Unis en interdit le déploiement... Un blocage de courte durée : dès février 2020, les États-Unis annoncent avoir installé cette arme à bord d'un sous-marin, en réponse au développement par la Russie d'armements similaires. « L'US Navy a déployé la tête nucléaire de faible puissance W76-2 sur un missile balistique lancé depuis un sous-marin », indique succinctement John Rood, le numéro deux du Pentagone.

Selon Washington, Moscou est alors en train de moderniser un arsenal de 2 000 armes nucléaires tactiques, menaçant les pays européens à leurs frontières, et contournant ses obligations liées au traité de désarmement New Start, qui ne comptabilise que les armes stratégiques servant de fondement à la doctrine de dissuasion, basée sur la « destruction mutuelle assurée ». En déployant ces nouvelles armes nucléaires tactiques, Moscou pourrait « reprendre l'avantage sur les Occidentaux en cas de conflit », rapporte la dépêche AFP publiée à l'occasion. À quelques semaines du premier confinement anti-Covid-19 en France, cette information ne retient l'attention ni des médias ni des responsables politiques.

En février 2020, le président Emmanuel Macron rappelle pourtant dans son discours à l'École de guerre que la France « a toujours refusé que l'arme nucléaire puisse être considérée comme une arme de bataille ». Il affirme alors que Paris « ne s'engagera jamais dans une bataille nucléaire ou une quelconque riposte graduée ».

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Champignon atomique de l'explosion nucléaire de Nagasaki, le 9 août 1945.

Pour aller plus loin :

« Forces nucléaires françaises : quel renouvellement ? », Corentin Brustlein, Politique Étrangère, automne 2017.

Sur ce dossier de la dissuasion nucléaire, à voir également la fin de mon dernier entretien sur Thinkerview (10 mars 2025) : à partir de 2h59 sur la dissuasion britannique et les accords de Lancaster avec la France, à partir de 3h07, sur les questions d’équilibre stratégique entre les États-Unis et la Russie et la place de la France et de l’Europe dans cet affrontement, à partir de 3h16, sur les problématiques de prolifération, avec un topo sur la situation de l’Ukraine depuis le non respect du memorandum de Budapest, et sur les différences de traitement de l’Iran par les États-Unis et Israël, et à partir de 3h30, sur la permanence du parapluie nucléaire américain en Europe alors que l’objectif numéro un des États-Unis est désormais la Chine :

Enfin, la bande annonce de « Docteur Folamour » de Stanley Kubrick :

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30.05.2025 à 20:07

Justice française : les parquets continuent de soutenir Alexis Kohler

Marc Endeweld

Texte intégral (3216 mots)

Après une première audience qui s’est tenue le 2 avril dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation examinait mercredi matin la demande de prescription déposée par les avocats d’Alexis Kohler dans le dossier MSC, dans lequel il est mis en examen pour prise illégale d’intérêt pour avoir participé entre 2009 et 2016, d’abord comme haut fonctionnaire puis comme collaborateur de cabinet de Pierre Moscovici et d’Emmanuel Macron, à plusieurs décisions relatives au numéro un mondial des armateurs, groupe tentaculaire dirigé par les cousins de sa mère, la famille Aponte.

À la bourse médiatique, il y a des dossiers qui font les gros titres, et d’autres qu’on préfère oublier opportunément. Manifestement, « l’affaire Kohler » est à classer dans ce dernier cas. Nouvel exemple cette semaine : si l’AFP a publié une dépêche relatant les débats entre avocats à la chambre criminelle de la Cour de cassation, bien peu de médias l’ont repris. Au niveau de la presse nationale, seul Le Figaro et le Bulletin Quotidien y ont consacré un article. Pas d’articles pour le moment dans Le Monde, Libération, Marianne, ou même Mediapart qui avait pourtant lancé l’affaire en 2018 en publiant de nombreux articles de la journaliste économique Martine Orange.

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L’avocat général prend la défense de Kohler

On sait désormais que la justice rendra finalement sa décision le 10 septembre prochain. Comme je le relatais dans un précédent article, Alexis Kohler et ses défenseurs savent décidément jouer la montre. Mais lors des derniers débats à la chambre criminelle de la Cour de cassation, bien d’autres éléments auraient mérité un éclairage médiatique. En effet, une nouvelle fois, le parquet général a pris fait et cause pour Alexis Kohler… L’avocat général a d’abord ironisé sur le «pacte de silence» entre l’ancien secrétaire général de l’Élysée et ses collaborateurs directs de l'époque invoqué par les juges d'instruction et l'arrêt d'appel, une «notion juridique qui ne me paraît pas forcément bien répertoriée». Le magistrat du parquet a ensuite indiqué qu’il y avait peut-être eu « du silence » et de la « passivité » de M. Kohler, mais pas de volonté délibérée de dissimuler son lien familial avec les Aponte, propriétaires de MSC.

Au cœur du dossier figure l'éventuelle dissimulation de ces liens familiaux, ce qui rend l'infraction «occulte» jusqu'à sa révélation publique et permet de poursuivre l'intégralité des faits, comme le soutiennent les juges d'instruction et la cour d'appel. Alexis Kohler, mis en examen pour prise illégale d’intérêt, et deux hauts fonctionnaires, Bruno Bézard et Jean-Dominique Comolli, pour complicité, arguent au contraire de la connaissance collective de ces liens et donc de la prescription des faits antérieurs à mars 2014. La cour d'appel de Paris leur avait donné tort en novembre alors que lors des débats le parquet s’était rangé en grande partie derrière les conclusions des avocats d’Alexis Kohler.

L’association Anticor est « la seule à soutenir l’accusation »

Mercredi matin, devant la plus haute juridiction judiciaire, Me Frédéric Rocheteau, avocat d’Anticor, a estimé que «des intérêts publics sont lésés» et s'est donc étonné que l'association anticorruption soit «la seule à soutenir l'accusation», quand le ministère public à tous les niveaux depuis 2018 a toujours défendu la prescription.

Le conseil de l’association a alors énuméré de nombreux épisodes, entre 2009 et 2016, où l’ancien secrétaire aurait pris part à des décisions relatives à MSC, caractérisant une situation «lourdement conflictuelle». «M. Kohler a exercé des fonctions qu'il n'aurait pas dû exercer, il n'a même pas songé à se déporter (...), et plus grave encore, il n'a même pas informé les organes où il siégeait», a asséné Me Rocheteau.

L'avocat a ensuite demandé à la Cour de cassation, juge de la régularité de l'application du droit mais non du fond, d'éviter toute «nouvelle appréciation» de la réalité de cette dissimulation et de constater que la cour d'appel a suffisamment et correctement motivé son arrêt. En cas de cassation, la période des faits reprochés à Alexis Kohler serait très nettement rabotée.

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Et si la justice justifiait « à peu près tout » ?

En fin d’audience, les débats se sont tendus lorsque Me Claire Waquet, avocate au conseil d’Alexis Kohler, a dénoncé des propos « inadmissibles » de Me Rocheteau « salissant » son client, avant de lancer : « M. Kohler, sur ordre de sa hiérarchie, a préservé essentiellement les intérêts de l’État ».

De son côté, l’avocat général (encore lui) a estimé que si l’État n’a pas signalé à la justice ce lien familial, « c’est que son intérêt n’était pas de se priver de la manne financière que représentait » la commande de MSC auprès des chantiers navals de STX à Saint-Nazaire, alors en grande difficulté financière, ce qui inquiétait les pouvoirs publics. Face à ce qui s’apparente à des excuses, Me Rocheteau a préféré ironiser : « Ces commandes passées justifieraient-elles à peu près tout ? »

Décidément, justifier à peu près tout dès qu’il s’agit de l’ancien principal collaborateur d’Emmanuel Macron semble être devenu une habitude pour les magistrats des parquets. Il y a deux semaines, on apprenait ainsi que le parquet de Paris avait décidé de classer sans suite la non-comparution d’Alexis Kohler à la commission d’enquête sur le dérapage budgétaire.

Auto-immunité pour les collaborateurs du président

La commission des finances de l’Assemblée nationale avait en effet souhaité entendre Alexis Kohler dans le cadre de l’enquête sur le dérapage budgétaire en 2023 et en 2024. L’ancien secrétaire général de l’Elysée avait invoqué dans un premier temps des problèmes d’agenda, puis « le principe de séparation des pouvoirs ». Et le parquet lui a finalement donné raison ! « La combinaison » de différents articles de la Constitution « est analysée comme prévoyant que le Parlement contrôle le gouvernement, mais non l’exécutif dans son ensemble », selon le magistrat qui a classé sans suite le signalement.

Cela « empêche de considérer comme une infraction le fait de ne pas comparaître devant la commission d’enquête, pour le secrétaire général de la présidence convoqué en tant que tel et pour répondre sur des prérogatives du chef de l’Etat [en l’espèce, des décisions du président de la République ou la participation de ses services à des réunions dans le cadre de ses attributions] », insiste également le ministère public. Autant dire qu’avec cette décision, un haut fonctionnaire comme Alexis Kohler s’arroge presque l’immunité présidentielle1 au nom de la séparation des pouvoirs. L’ancien secrétaire général de l’Élysée et ses avocats ont donc inventé l’auto-immunité pour les collaborateurs de la présidence face aux parlementaires.

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Une coutume dommageable en terme de contre-pouvoir. D’ailleurs, il a suffi de quelques semaines pour voir une nouvelle fois Alexis Kohler refuser de venir devant une commission d’enquête du Parlement, cette fois-ci au sujet du scandale des eaux Nestlé. Et une nouvelle fois, les parlementaires n’ont pu qu’exprimer leur surprise devant une telle morgue et un tel sentiment d’impunité comme on peut le voir sur cette vidéo :

Soupçons de trafic d’influence au sujet de la fusion avortée Fincantieri-STX

Enfin, n’oublions pas que sur le dossier MSC, si Alexis Kohler est mis en examen pour prise illégale d’intérêt, il reste aussi témoin assisté pour l’autre volet de l’instruction, qui porte sur des soupçons de trafic d’influence au sujet de la fusion avortée entre le groupe italien Fincantieri et les chantiers navals STX-Saint-Nazaire, un projet contre lequel le groupe MSC s’était mobilisé auprès des pouvoirs publics français entre 2015 et 2017, comme je le rappelais dans un entretien donné au Média :

Cette affaire Fincantieri semble aujourd’hui ressortir en Italie alors que les tensions se multiplient entre les gouvernements français et italiens, notamment sur l’avenir de STMicroelectronics comme je le soulignais le mois dernier. C’est ainsi que le quotidien milanais conservateur La Verità a rappelé récemment dans un article acerbe que le choix d’un patron français à la tête de STMicroelectronics avait fait l’objet de nombreuses tractations entre 2017 et 2018, des discussions liées au projet de fusion entre Fincantieri et les chantiers de l’Atlantique (appartenant alors au groupe coréen STX) : « Comment les Français nous ont trompé deux fois », titre La Verità.

« L’Italie a été dupée et Fincantieri floué »

L’article en question est particulièrement précis : « L’ancien secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, devenu ensuite cadre dirigeant de la Société Générale, et faisant l’objet d’une enquête sur ses fonctions publiques pour une affaire liée à l’armateur Aponte, a joué un rôle clé. Cette affaire était liée à une autre négociation franco-italienne : la tentative d’acquisition des chantiers de l’Atlantique par Ficantieri. Ce détail n’est pas anodin. Pendant que le feu vert était donné à Jean-Marc Chéry [pour devenir PDG de STMicroelectronics, ndlr], Guiseppe Bono [patron de Fincantieri, ndlr] menait sa bataille pour la construction navale française. Les deux dossiers ont été mis en balance entre Paris et Rome. La négociation, menée personnellement par le conseiller Pagani (…) a consacré l’échange : STMicroelectronics sous direction française et STX (les chantiers navals) aux Italiens. Le résultat ? À partir de la seconde moitié de 2018, le gouvernement français est revenu sur l’accord, puis avec le soutien de l’Autorité européenne de la concurrence (dont le chef de cabinet, comme par hasard, venait également de l’Élysée), a fait échouer l’opération en 2021. L’Italie a été dupée et Fincantieri floué ». On le voit, ce second volet de l’affaire Kohler, qui porte sur le lobbying de MSC auprès des pouvoirs publics français contre la fusion entre Fincantieri et les chantiers de Saint-Nazaire, a de multiples conséquences, y compris diplomatiques. Voilà peut-être pourquoi la justice française semble encore moins motivée à creuser de ce côté-là d’une affaire dont la presse se désintéresse.

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D’ailleurs, pour élargir ce dossier aux multiples rebondissements, je vous conseille de (re)lire l’enquête publiée par Bloomberg dans son magazine hebdomadaire du 19 décembre 2022, et dont la couverture illustre mon article d’aujourd’hui, sur l’ampleur des trafics de drogue qui touchent les activités de MSC (il suffit de cliquer ici)

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La révision constitutionnelle de 2007 a confirmé le principe de l'irresponsabilité du président de la République. Aucune action ne peut être engagée contre lui pour des actes accomplis en sa qualité de Président, même après la fin de son mandat. Cette immunité est valable à la fois dans les domaines pénal, civil et administratif. Elle vise à protéger la fonction présidentielle et non son titulaire.

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17.05.2025 à 00:52

Qui veut gagner des millions grâce à France Télé ? Le classement exclusif des producteurs

Marc Endeweld

Texte intégral (6804 mots)

Quand j’avais écrit en 2010 France Télévisions off the record. Histoires secrètes d’une télé publique sous influences (Flammarion), je m’étais plongé dans les comptes du groupe audiovisuel. C’était quinze ans après « l’affaire des voleurs de patates », comme l’avaient surnommée les Guignols de l’Info sur Canal + (à l’époque, la chaîne cryptée était concurrente de France Télé sur la télévision par satellite), amenant à la démission du journaliste Jean-Pierre Elkabbach, deux ans après sa nomination en 1994 à la tête du groupe public par François Mitterrand et Édouard Balladur.

Dans le cadre de cette enquête en profondeur, j’avais récupéré l’ensemble des chiffres d’affaires des producteurs et fournisseurs de programmes pour la télé publique, au centime près, ainsi qu’une étude dévoilant leurs réelles marges (voir plus loin). Je m’étais alors aperçu qu’en réalité, l’âge d’or des fameux « animateurs producteurs » datait du mandat de Marc Tessier entre 1999 et 2005. Cet inspecteur des Finances et ancien directeur financier de Canal+ ne jurait que par « l’externalisation » des programmes auprès de producteurs extérieurs, version désindustrialisation et fabless (entreprise sans usines) dans la gestion de l’audiovisuel public.

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856 millions d’euros d’achat de programmes à des producteurs et fournisseurs extérieurs

Depuis, les directions successives de France Télévisions ont essayé tant bien que mal de renégocier ces fameux contrats auprès des producteurs qui, en plus de détenir certaines des marques les plus emblématiques du service public (comme Fort Boyard ou Taratata), ont toujours su nouer de profondes relations avec les responsables politiques, et en particulier avec l’Élysée. Alors que Delphine Ernotte vient d’être reconduite par l’Arcom (ex CSA) pour un troisième mandat à la tête de France Télévisions, qu’en est-il aujourd’hui, alors que le groupe public représente environ un chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros, pour 2,4 milliards de subventions publiques ?

Selon des documents internes de France Télévisions que j’ai pu consulter, sur ces 3 milliards d’euros de budget, 943 millions étaient consacrés en 2023 à l’achat et au financement de programmes. Certes, ce gâteau est appétissant mais il pourrait bientôt s’effriter car après dix années d’équilibre, le budget 2025 du groupe public se retrouve en déficit de 72 millions d’euros : la faute à la suppression de la redevance publique en 2022 et à des crédits de « transformation » pour l’année 2024 non versés. En novembre 2024, les syndicats ont d’ailleurs déclenché leur droit d’alerte économique. Forcément, dans ce contexte, les couteaux sont tirés chez les producteurs.

Car sur cette somme, pas moins de 856 millions d’euros sont consacrés par France Télévisions à l’achat de programmes à des producteurs et fournisseurs extérieurs, tant pour ce qu’on appelle le « flux » (les émissions de plateaux, les talk shows, les jeux et divertissements), que pour le « stock » (fictions, documentaires, « créations »). Dans ce cadre, les petits producteurs, dits « indépendants » s’inquiètent de la concentration de plus en plus importante des cases de programmes aux mains de quelques gros producteurs qui appartiennent désormais à des groupes intégrés et internationaux. Autant dire que de l’artisanat des patates des années 1990, on est passé depuis une dizaine d’années à l’industrialisation de la production audiovisuelle, un phénomène qui s’est accéléré avec le boom des plateformes de contenus.

En 2023, France Télévisions achetait pour 109 millions d’euros de programmes à Mediawan

À ce jeu-là, un grand gagnant sort du lot côté France Télévisions. C’est Mediawan, avec 109 millions d’euros de chiffre d’affaires assuré par le groupe public en 2023, groupe qui avait récupéré trois ans plus tôt les activités de production audiovisuelle de Lagardère. Mediawan, c’est notamment le producteur d’émissions stratégiques, les fameux talk shows C à vous, C l’hebdo et C dans l’air, à la fois prisés des responsables politiques comme des éditeurs en recherche de visibilité maximale pour leurs livres. Mediawan pèse aujourd’hui 1,6 milliard d’euros de chiffre d’affaires, investissant à tour de bras en Europe et aux États-Unis. Une vraie success story.

Créé il y a tout juste dix ans par le magnat des télécoms Xavier Niel, le banquier d’affaires Matthieu Pigasse et le producteur Pierre-Antoine Capton, ce groupe de production audiovisuelle est depuis 2020 contrôlé principalement par le fonds américain KKR (co fondé par Henry Kravis), qui laisse aux manettes la fine équipe, et en particulier Capton, un producteur qui s’est imposé en vingt ans à France Télé (au départ avec sa société Troisième Oeil Productions), après avoir fait ses premiers pas en télé auprès de Marc-Olivier Fogiel et avoir commencé son envol en produisant des programmes low cost pour la télé par satellite puis par la TNT.

À 50 ans tout juste, ce normand originaire de Trouville et fils de petits commerçants joue les Rastignac à Paris. Craint et courtisé, l’homme fascine par son entregent et multiplie les signes distinctifs de réussite : co-propriétaire du club de foot de Caen avec Kylian Mbappé, co-propriétaire de l’hôtel Flaubert à Trouville ou des restaurants Loulou, il a été décoré personnellement par Emmanuel Macron de la Légion d’Honneur en octobre 2023, une proximité présidentielle qu’il aime mettre en avant, comme sa relation avec Brad Pitt, dont la société de production est l’un des principaux partenaires du groupe français aux États-Unis. À Paris, Mediawan étale sa réussite en installant son quartier général et ses studios dans le très chic 7e arrondissement derrière les Invalides et l’école militaire. Plus exactement au 46, avenue de Breteuil, dans un superbe immeuble de 10 000 m2 datant des années 1930 qui n’est autre que l’ancien siège historique du groupe Michelin.

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Les dix premiers producteurs de France Télé représentent 41 % des achats extérieurs

Dans son ascension, Capton n’a donc rien laissé au hasard ou presque. Une anecdote : il y a une douzaine d’années, peu de temps après la publication de France Télévisions off the record, cet ambitieux producteur m’invitait à déjeuner rue Oberkampf dans le 11e arrondissement, où étaient situés les studios de C à vous. C’était à la bonne franquette, tutoiement de rigueur, compliment sur ma bonne forme physique (« tu fais de la muscu ? »), et proposition de job pour rejoindre la rédaction de C à vous : « Tu ne veux pas passer de l’autre côté de la barrière ? », m’avait-il demandé. Après m’avoir présenté d’une manière impromptue au rédacteur en chef de l’émission, j’en étais resté là, un peu dubitatif, eux aussi. Quelques années plus tard, je l’ai toutefois interviewé avec le journaliste Arnaud Viviant pour le magazine Transfuge, l’ambiance était sympathique. Hasard ou pas, depuis 2017, l’homme semble me ghoster quand je le contacte, assurément bien occupé.

Forcément, cette montée en puissance suscite l’inquiétude des producteurs indépendants. À France Télévisions on réplique qu’entre 2019 et 2023, le nombre de contractants indépendants est passé de 647 à 683. Certes, mais dans le même temps la part de chiffre d’affaires des dix premiers fournisseurs de programmes (hors France TV Studio, la filiale de production du groupe public) est passée de 37 % à 41 % entre 2017 et 2023. France Télévisions est donc une sacrée bonne affaire pour la dernière success story de l’audiovisuel français : comme le dévoilait il y a un mois le journaliste Christophe Nobili dans Le Canard Enchaîné, 40 % des activités de production française de Mediawan sont réalisées sur les antennes de France Télé, son premier client, comme le notifiait un récent rapport de l’Arcom (Ex CSA).

Face à ce mastodonte de la production audiovisuelle à Paris, l’équipe Ernotte aime rappeler qu’elle a augmenté la part de production interne de la télévision publique, via sa filiale France TV studio qui produit depuis 2018 le feuilleton populaire Un si grand soleil. Et c’est vrai que France TV Studio a vu son activité considérablement augmenter passant de 40 millions d’euros en 2015, à 62 millions d’euros en 2019, puis à 90,5 millions d’euros en 2023.

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Banijay de Stéphane Courbit récupère 87 millions d’euros

Reste que le second producteur privé qui vend des programmes à France Télévisions est un autre mastodonte du secteur : il s’agit de Banijay, avec 87 millions d’euros de chiffre d’affaires assuré en 2023 par le groupe public, qui lui achète notamment les émissions N’oubliez pas les paroles, Fort Boyard, Taratata, Les Enfants de la télé, La Carte aux trésors

En seulement quelques années, Banijay a réussi le tour de force de devenir le premier producteur mondial de programmes de télévision, avec plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2024. Fondé par Stéphane Courbit (principal actionnaire à 45,4 %), l’actionnariat de Banijay est particulièrement intéressant. Le groupe bénéficie notamment des participations de Vivendi (actionnaire à 19,2 %), groupe contrôlé par Vincent Bolloré, mais aussi du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière (via Fimalac qui a 7,4 % du capital), ou encore de la famille Arnault (via la financière Agache), ou le gestionnaire d’actifs Tikehau Capital. Enfin, les animateurs Nagui et Cyril Hanouna, dont les émissions sont produites par la société, sont également actionnaires.

Dans ce classement des plus gros producteurs privés de France Télévisions, vient ensuite en troisième position le groupe Newen, avec 34,3 millions d’euros de chiffre d’affaires avec des émissions sur la santé (Enquête de santé, Prenez soin de vous), de nombreuses fictions ou des documentaires produits par l’emblématique agence CAPA rachetée en 2010. Si Newen a connu une baisse drastique de son chiffre d’affaires ces dernières années avec France Télévisions, c’est que cette société de production a été rachetée dès 2015 par le groupe TF1, le concurrent direct de France Télévisions. Depuis mars 2025, Newen s’appelle d’ailleurs Studio TF1. C’est ce qui a poussé Delphine Ernotte en 2022 à ne pas renouveler le contrat de Plus belle la vie, pourtant feuilleton emblématique de France 3, lancé sur la chaîne publique par Rémy Pflimlin au début des années 2000, et qui assurait jusqu’alors à lui tout seul 30 millions d’euros de chiffre d’affaires à Newen (qui avait ainsi encore 75 millions d’euros de chiffre d’affaires avec le groupe public en 2019).

252,3 millions d’euros de programmes achetés à seulement quatre groupes

Le quatrième fournisseur extérieur de programmes de France Télévisions est la Warner Media avec 22 millions d’euros qui fournit films et dessins animées, mais produit aussi pour la télé publique l’émission de vente aux enchères Affaire Conclue. Il suffit donc de prendre sa calculette : les quatre plus gros producteurs extérieurs de France Télévisions représentaient 252,3 millions d’euros d’achat de programmes en 2023 pour le groupe, soit près de 30 % de ses achats extérieurs.

Ensuite, neuf fournisseurs réalisent des chiffre d’affaires entre 10 et 20 millions d’euros par an pour le groupe public : Effervescence (de la productrice Simone Harari), Elephant (d’Emmanuel Chain), JLA (Jean-Luc Azoulay), Morgane Production, Satisfaction (d’Arthur), Together (de Renaud Le Van Kim), qui produit les autres émissions de talk shows politiques, C ce soir et C politique, et ne cache pas lui aussi sa proximité avec Emmanuel Macron. Viennent ensuite BBC Worldwide, Federation Studios, et Gaumont Pathé.

Enfin, parmi les douze producteurs indépendants qui génèrent entre 5 et 10 millions d’euros, on trouve deux historiques de France Télévisions, Fabienne Servan Schreiber (avec Cinétévé) ou l’inoxydable Michel Drucker (avec DMD). Car comme cet illustre animateur de la télévision publique française, le gros souci des chaînes du groupe France Télévisions comme des autres chaînes de télévision, c’est d’être confronté à un grand vieillissement de leurs audiences

Rajeunir les audiences des chaînes classiques de broadcast et continuer de développer la diffusion de programmes via la plateforme numérique de France Télé, ce n’est pas un mince défi à relever pour Delphine Ernotte pour son troisième mandat. À moins que la création d’une éventuelle holding France Médias chapeautant l’ensemble de l’audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l’INA) vienne chambouler ses projets.

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À titre de comparaison, le classement 2012 des producteurs de flux de France Télévisions :

Je l’avais révélé dans une analyse publiée dans Le Monde : en octobre 2012, les sept principaux fournisseurs de France Télévisions dans le flux, selon une étude interne, étaient à l’époque le groupe Banijay de Stéphane Courbit, qui s’était associé trois ans plus tôt à Nagui ("Taratata" et "N'oubliez pas les paroles"), pour 24,8 millions d'euros ; le groupe Lagardère (notamment "C dans l'air", "C Politique", émissions produites par le journaliste Jérôme Bellay) pour 23,7 millions d'euros ; RTL Group ("Mots de passe", "Question pour un champion") pour 22,2 millions d'euros ; Effervescence productions de Simone Harari ("Tout le monde veut prendre sa place", "Slam") pour 20,1 millions d'euros ; Tout sur l'écran de Catherine Barma ("On n'est pas couché", "On n'demande qu'à en rire") pour 19,9 millions d'euros ; Réservoir Prod qui appartenait à Jean-Luc Delarue ("Toute une histoire") pour 16,5 millions d'euros ; DMD, la maison de production de Michel Drucker ("Vivement dimanche") pour 14,7 millions d’euros. À noter qu’à l’époque, que la filiale de production interne de France Télévisions, qui s’appelait alors MFP fournissait moins de 10 millions d’euros de programmes pour France Télévisions, et de son côté, Pierre-Antoine Capton, qui n’était pas encore allié à Xavier Niel, Matthieu Pigasse, ne réalisait qu’un peu moins de 12 millions d’euros de chiffre d’affaires avec France Télévisions, via sa première société de production Troisième Oeil Productions. En treize ans, l’ambitieux a donc multiplié quasiment par dix son chiffre d’affaires avec France Télé !

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À titre de comparaison, les chiffres des producteurs de France Télévisions au début des années 2000 (publiés dans mon livre de 2010) :

À noter : “Tout sur l’écran” est la société de production de Catherine Barma, productrice à l’époque deThierry Ardisson et de Laurent Ruquier.

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Autres ressources documentaires :

France Télévisions dans l'impasse, Marc Endeweld, Le Monde, 17 décembre 2012.

Les droits, le point faible de la télé publique, Marc Endeweld, Le Monde, 17 décembre 2012.

France Télévisions, plus de droits numériques, Marina Alcaraz, Les Echos, 11 janvier 2019.

L’affaire Elkabbach, de la course à l’audimat à la chute du président, Affaires Sensibles, France Inter, 4 novembre 2019.

Télévision publique, la mal-aimée du pouvoir, Le Monde Diplomatique, avril 2012.

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