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18.10.2024 à 13:21

Les États-Unis et le problème de la Chine : une archive inédite de David Galula

Matheo Malik

1950. La République populaire de Chine vient d’émerger. La guerre froide menace d’exploser. Depuis Salonique, le stratégiste français David Galula écrit à l’Américain William Bullitt. Il est inquiet. Mais il a un plan.

Nous publions aujourd’hui une archive inédite — commentée par Patrick Weil et Jérémy Rubenstein.

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Texte intégral (5718 mots)

Si David Galula est aujourd’hui célèbre — et célébré, notamment aux États-Unis — comme un auteur de référence dans le champ contre-insurrectionnel, sa pensée géostratégique nous restait en revanche largement inconnue.

Aujourd’hui paraît dans la revue une archive inédite qui apporte un éclairage historique unique sur ses positions.

Dans une note datée de 1950 et adressée à William Bullitt, ancien ambassadeur des États-Unis en France, il développe une vision à bien des égards prémonitoires : pour empêcher l’URSS d’être en position de force, juste après l’accession au pouvoir de Mao et la naissance de la République populaire, il faut selon Galula « insérer un coin entre la Chine et la Russie ».

Nous donnons pour la première fois à lire ce texte en intégralité, ainsi que la brève réaction de William Bullitt en réponse — introduits et contextualisés par les historiens Patrick Weil et Jérémy Rubenstein.

Nous respectons les coquilles et ratures de l’archive. Les crochets signalent les lettres, mots ou passages ajoutés à la main au tapuscrit.

English version here

26 mai 1950
Capitaine D. Galula
Observateur militaire français
UNSCOB, Salonique, Grèce

Mon cher capitaine Galula :

         Votre lettre qui vient de me parvenir m’a fortement intéressé. J’attache la plus grande importance à vos opinions, car tout ce que vous m’avez prédit s’est produit — hélas. Si une politique comme celle que vous proposez était possible à mettre en œuvre, je chercherais à la soutenir ; mais mon avis est qu’il n’existe pas la moindre possibilité que le gouvernement américain puisse être persuadé d’adopter une telle ligne de conduite.

Pour le futur, sachez que cela me fera toujours grand plaisir de vous voir. Peut-être que nos chemins se croiseront de nouveau dans ce monde troublé.

         Avec tous mes vœux, 

Très sincèrement vôtre,

                                             William C. Bullitt

[Lire l’analyse de de Patrick Weil et Jérémy Rubenstein]

Capitaine D. GALULA
Salonique le 26 avril 1950.
Observateur militaire français
UNSCOB, Salonique, Grèce

Monsieur l’Ambassadeur, 

Sachant l’intérêt que vous portez aux affaires chinoises, je me permets de vous faire parvenir une étude que j’ai rédigée il y a quelques semaines. Elle n’est pas destinée à être publiée, la publicité nuirait au contraire à la ligne d’action que je propose. Je l’ai présentée à l’Etat-Major de la Défense Nationale qui, bien que sceptique sur la possibilité de faire adopter ma thèse aux divers gouvernements intéressés- y compris le-nôtre-, m’a néanmoins autorisé à vous la soumettre sous mon entière responsabilité naturellement. 

Peu après mon retour de Chine, au printemps 1949, j’ai été affecté en Grèce comme observateur militaire des Nations Unies. J’ai eu ainsi l’occasion d’assister à une autre guerre civile. Je m’attendais à trouver dans ce pays une situation quelque peu semblable à celle que j’avais connue en Chine ; l’expérience acquise en Chine m’a heureusement permis de déceler de bonne heure les faiblesses profondes de l’insurrection communiste grecque qui ont finalement amené sa défaite. Sans vouloir m’étendre outre mesure sur ce sujet, j’attribue cette défaite aux raisons suivantes :

– le parti communiste grec ne bénéficiait pas de l’appui, actif ou moral, de la majorité de la population grecque. A une population épuisée par des années de guerre et d’occupation, ce parti offrait un programme qui ne consistait essentiellement qu’en promesses encore à réaliser, et dont l’intérêt ne paraissait pas évident à tout le monde. Par ailleurs son association avec les Bulgares, “les ennemis héréditaires”, heurtait de front les sentiments patriotiques de la population, sentiments encore très vifs dans un pays qui n’a cessé de lutter pour son indépendance et contre des voisins turbulents. Le parti communiste grec a dû par conséquent renoncer rapidement à toute prétention nationaliste. Sans l’appui de la population, et plutôt à cause de son hostilité, le parti communiste grec a été incapable de mener de véritables opérations de guérillas ; les soi-disant guérillas communistes grecques n’étaient pas, comme en Chine, des bandes de paysans plus ou moins formées de spontanément et agissant dès que les troupes nationales étaient occupées ailleurs ; c’était en fait de de petits commandos, recrutés parmi les “durs” du parti ; ils profitaient du relief particulièrement tourmenté du pays pour s’infiltrer sur les arrières des troupes nationales et les harceler aussi longtemps qu’ils pouvaient se maintenir en comptant sur leurs propres moyens. Et tandis que le parti communiste chinois a fait boule de neige, le parti communiste grec a vu ses forces initiales s’amenuiser rapidement et il a été réduit à recourir au recrutement forcé pour maintenir ses effectifs. 

– le parti communiste chinois s’est ravitaillé principalement sur l’adversaire et a ainsi trouvé en Chine même, pour la plus grande part, les moyens nécessaires à la conduite de ses opérations. Pour les communistes grecs, impossible d’appliquer cette méthode parce que le soldat nationaliste n’était pas disposé à se rendre sans combat. Le sort des communistes grecs s’est donc trouvé lié au ravitaillement hétéroclite qui leur parvenait des pays satellites, de la Roumanie et la Tchécoslovaquie à l’Albanie. Le jour où Tito est passé en dissidence et a interdit le transit du matériel sur son territoire, les communistes grecs ont été perdus. 

– enfin, le gouvernement grec, malgré ses défauts et ses tares évidentes, était tout de même un gouvernement. Je n’ai pas constaté ici, à un degré comparable, la corruption et l’incurie qui paralysaient le gouvernement nationaliste chinois.

Ce sont ces raisons, à mon avis, qui ont permis à l’aide américaine de porter ses fruits. Sans cette aide, les communistes l’auraient probablement emporté ; mais sans l’hostilité fondamentale de la population au mouvement et aux idées communistes, cette aide n’aurait servi à rien. 

Le problème militaire grec est maintenant réglé, au moins pour ce qui est de la guerre froide. A côté des problèmes gigantesques posés par la Chine, il n’a d’ailleurs jamais présenté grand intérêt. C’est pour cela que, malgré mon éloignement de l’Extrême-Orient, je n’ai pas cessé de suivre avec passion l’évolution de la situation dans cette partie du monde et les discussions qu’elle a provoqué dans votre pays, qu’elle affecte plus directement qu’aucun des autres pays occidentaux. J’ai été surpris et déçu de voir combien peu, parmi tous ceux qui ont critiqué le State Department, l’ont critiqué de façon constructive, c’est à dire en proposant une politique nouvelle et active. Quelques-uns ont proposé de continuer et d’accroître l’aide aux nationalistes, comme si cette politique n’avait pas déjà été condamnée cent fois par les faits. Et depuis que le State Department a formulé sa nouvelle politique en Extrême-Orient personne encore ne l’a critiquée comme insuffisante. 

Si nous n’étions pas tous, Américains, Anglais ou Français, dans le même panier, il ne m’appartiendrait certes pas de le faire. Mais puisque votre pays est le leader de la coalition des pays occidentaux et que les décisions de votre gouvernement touchent chacun de nous, je me sens en quelque sorte justifié de faire connaître mes vues au gouvernement américain. C’est pour cela, Monsieur l’Ambassadeur, que je me permets de vous envoyer mon étude. Je ne m’attends pas, bien sûr, à ce que la politique que je propose soit adoptée avec enthousiasme et appliquée immédiatement. Peut-être même ne suis-je pas le premier à la proposer. Au moins aurai-je libérer ma conscience, inquiète de constater combien peu de mes compatriotes ou des vôtres ont une idée, même grossière, des conséquences de la victoire des communistes chinois et surtout de leur association avec l’URSS. Et peut-être mon étude vous aura intéressé suffisamment pour que vous vous décidiez un jour à leur ouvrir les yeux en publiant un article à ce sujet dans LIFE. 

Je vous prie de croire, Monsieur l’Ambassadeur, à mes sentiments respectueux. 

*

A l’heure actuelle, quel est le problème le plus pressant et le plus grave que présente la Chine communiste aux puissances occidentales ? C’est d’empêcher la Chine de combattre dans le bloc soviétique lorsque, d’ici quelques années, la guerre froide se sera transformée en guerre ouverte. 

C’est le problème le plus pressant à cause de l’imminence de cette troisième guerre mondiale, dont tant d’indices fixent l’échéance à moins de cinq ans. On voit mal, en effet, par quel miracle la tension politique actuelle pourrait se résoudre autrement. On devine plus facilement, par contre, l’issue de la course aux armements où les deux camps sont déjà engagés. Si, cas unique dans l’histoire contemporaine, une nation comme les Etats-Unis a pu consacrer des sommes énormes à sa défense sans bouleverser du même coup son économie du temps de paix, l’URSS ne peut soutenir le rythme de cette course sans lourds sacrifices pour son économie normale. Tôt ou tard, elle sera obligée soit d’abandonner, soit de se lancer dans une aventure militaire. Avec le peu que l‘on connaît des chefs russes, ce dernier choix paraît le plus probable. 

C’est aussi le problème le plus grave. Nous avons des chances raisonnables de battre une Russie isolée. C’est, en fin de compte, une question de supériorité industrielle et scientifique –qui penche encore de notre côté– et de supériorité morale ; dans ce dernier domaine, l’URSS perd du terrain de jour en jour en Europe. Une guerre qui nous opposerait à la Russie seule, par sa nature même, permettrait à notre supériorité de jouer ; elle resterait principalement une guerre technique, une guerre de matériel. Aussi vaste que soit le territoire soviétique, les sources de la puissance militaire de ce pays, telles que fabriques de bombes atomiques, usines d’aviation, laboratoires, raffineries de pétrole etc. , sont des objectifs justiciables de nos moyens ; leur dispersion n’empêche pas l’URSS d’être vulnérable à une guerre scientifique : bombardement atomique, projectiles téléguidés,etc…Mais si la Chine se range du côté russe, l’issue de la guerre deviendra plus que douteuse, d’une part à cause de l’addition de forces formidables qu’elle confèrera au bloc soviétique, d’autre part parce que son intervention changera la nature de la guerre. Même compte-tenu du fait que la Chine n’aura pas eu le temps de développer son potentiel industriel, elle représente à ce titre pour l’URSS un allié inappréciable. 

La Chine soulagera son allié de la nécessité de combattre activement sur deux fronts ; la marine américaine pourra sans doute barrer le développement de toute offensive importante sino-soviétique dans le Pacifique ; en revanche, la coalition occidentale ne pourra pas mener une offensive importante sur le sol chinois ou sibérien ; une telle opération exigerait beaucoup plus d’effectifs sur ce théâtre qu’il n’en a fallu pour sauter d’une île à l’autre au cours de la dernière guerre. On peut ainsi admettre sans grand risque d’erreur la neutralisation du Pacifique. Mais comment arrêterons-nous l’invasion par la Chine de la partie continentale du sud-est asiatique, Indochine, Siam, Birmanie, Malaisie, Indes ? Une telle offensive est dans les possibilités actuelles des armées communistes chinoises, soutenues par un minimum d’aide logistique russe. Sur ce théâtre, notre supériorité technique ne jouerait pas ; à moins d’utiliser les ressources de la guerre bactériologique, si tant qu’elles existent, nous serions forcés de mener une guerre d’infanterie, alors que nous en sommes dépourvus, et contre une population généralement hostile. Car l’alliance de la Chine et de la Russie signifiera qu’en Asie la supériorité morale [sera] passé[e]r dans le camp soviétique. Si le communisme perd actuellement du terrain en Europe, il en gagne de façon foudroyante en Asie où il est associée, aux yeux de la population, à un mouvement nationaliste et anti-blancs. Avec leur slogan “l’Asie pour les Asiatiques”, les Japonais avaient essayé de tirer parti de ces sentiments ; ils n’ont pas entièrement réussi parce qu’ils n’avaient pas de système idéologique à offrir. Les Chinois, cette fois, en propose un, si cohérent et si fructueux qu’un adversaire aussi puissant que les Etats-Unis n’ont pu arrêter leurs succès. La difficulté d’agir sur ce théâtre du sud-est asiatique nous forcera peut-être à le négliger pour un temps et à concentrer nos moyens sur l’adversaire principal, l’URSS. Il n’en reste pas moins que la Russie une fois abattue, nous aurons à faire face à une lutte coûteuse en Asie, à moins de vouloir renoncer, après une guerre totale, à une victoire totale.

Pour mentionner encore un avantage de cette alliance, la Chine communiste fournira à l’URSS une main d’œuvre inépuisable, grâce à ses 450 millions d’habitants ; l’exploitation de [c]cette main d’œuvre ne sera limitée que par la possibilité de la transporter. Notons incidemment que l’économie de la Chine ne souffrirait pas, au contraire, que la population de ce pays soit amputée d’une dizaine de millions d’hommes. Nous courons d’ailleurs le risque de voir apparaître cette main d’œuvre dans les pays conquis de l’Europe occidentale, sous forme de troupes d’occupation ; ces troupes chinoises, expertes dans l’art de la guérilla et par conséquent de la contre-guérilla, inaccessibles à notre propagande à cause de la barrière linguistique, se chargeront de maintenir la sécurité sur les arrières russes et libèreront ainsi à des tâches plus actives autant d’effectifs russes. 

Est-ce que ceci ne neutralise pas notre supériorité industrielle et scientifique ? On pourrait penser que les conséquences de l’alliance sino-soviétique exposées ci-dessus sont exagérées et contester la réalité actuelle du fameux péril jaune. Ces conséquences sont pourtant en deçà des possibilités d’une telle alliance. Il serait dangereux de sous-estimer le dynamisme actuel de la Chine communiste. En 1946, quand l’armée de MAO TSE-TUNG comptait moins de 300.000 réguliers en face de millions et demi de soldats nationalistes, combien de gens auraient parié sur une victoire communiste ? Contre les 650 millions d’hommes du bloc sino-soviétique, les puissances occidentales représentent 250 millions d’hommes, avec peut-être 60 autres millions en Europe si ces derniers ne sont pas engloutis rapidement par la marée russe. Cela signifie que si notre supériorité technique est neutralisée, nous [sommes] arithmétiquement battus. Le danger d’une telle alliance est si grand que nous devons tout faire pour la prévenir.

Un point est certain dès maintenant : le régime communiste est installé solidement au pouvoir en Chine et nous gaspillerions vainement nos ressources si nous cherchions à l’abattre en soutenant ce qu’il subsiste du gouvernement nationaliste ; ce gouvernement est mort de ses excès autant que des coups de boutoirs portés par ses adversaires. Une guerre immédiate, à supposer que nous en acceptions l’idée, n’est pas non plus une solution : elle précipiterait cette alliance que nous voulons empêcher ; les communistes chinois n’ont cessé de proclamer leur allégeance au Kominform et il n’y a aucune raison de penser qu’ils modifieraient leur position dans l’état actuel des choses. La politique du cordon sanitaire autour de la Chine, accompagnée d’une aide militaire à ses voisins, vient d’être préconisée par M. ACHESON. Cette politique, qui forme maintenant la base de la politique américaine en Extrême-Orient, est insuffisante et ne résout pas mieux le problème principal. Aucun cordon sanitaire n’arrêtera la pénétration de l’idéologie communiste en Asie où elle sera propagée par les Chinois qui disposent déjà d’importantes colonies à pied d’œuvre. Combattre le communisme par l’amélioration du niveau de vie de la population est une œuvre de longue haleine et le temps nous est mesuré. Enfin, aucun pays d’Asie, à l’exception peut-être du Japon [,] à qui il serait imprudent de se fier, n’est assez organisé et mûr pour former une barrière militaire solide contre la Chine une fois que la guerre aura éclaté. En définitive, la seule solution consiste à insérer un coin entre la Chine et la Russie.

Il existe quelques bonnes raisons de penser qu’avec le temps, une scission pourrait se produire d’elle-même entre ces deux pays. Sous les liens idéologiques, et par conséquent quelque peu abstraits, qui les unissent, il est facile de déceler des germes profonds de discorde. Un des facteurs essentiels de l’ascension au pouvoir des communistes chinois a été l’appui actif d’une large part de la population ; en fait, la propagande a été leur arme principale. Les chefs communistes chinois ont toujours été extrêmement soucieux de ne pas heurter de front les sentiments de la majorité de la population ; en juin 1948, par exemple, ayant constaté une vive opposition des paysans du HONAN à l’application de la réforme agraire, ils annoncèrent qu’il suspendaient cette réforme jusqu’à ce que les paysans, qui seraient soumis à une éducation politique plus approfondie, l’acceptassent de bonne grâce. Un point particulier auquel ils consacrèrent la plus grande attention fut d’apparaître comme les véritables champions du nationalisme chinois en face de “l’impérialisme américain” et ils y parvinrent dans une très large mesure. A cause de cette propagande intensive, un grand nombre de Chinois sont maintenant devenus conscients de problèmes politiques qu’ils ignoraient. Et par le fait même que le sort des communistes chinois dépendait du succès de leur propagande, ils sont maintenant prisonniers de l’opinion publique qu’ils ont contribué à créer. Jusqu’ici, la pure xénophobie a constitué la base essentielle du nationalisme chinois ; cette xénophobie a toujours été dirigée contre l’étranger le plus évident sur le sol chinois. Elle était dirigée hier contre les Américains, aussi pures et désintéressées fussent leurs intentions ; les étudiants chinois, nourris de riz et de farine donnés gratuitement par les Etats-Unis, étaient les plus violents contre eux. Si les Russes deviennent les étrangers [«] les plus visibles [»], il est probable qu’ils deviendront en même temps la cible favorite de la xénophobie chinoise, en dépit de tous les efforts du gouvernement communiste local pour combattre cette tendance traditionnelle de l’esprit chinois. 

Un autre germe de conflit existe dans le fait que les communistes chinois ont accédé au pouvoir sans eu besoin –et sans avoir reçu– d’aide importante de l’URSS ; ils n’ont pas été installés au pouvoir par l’Armée Rouge, comme les satellites européens. Il semble donc naturel qu’ils se sentent plus indépendants vis à vis des directives de Moscou. Aussi longtemps que les intérêts de la Chine communiste et de la Russie coïncideront, Pékin et Moscou marcheront ensemble. Mais qu’arrivera-t-il lorsque ces intérêts divergeront ? M. ACHESON a récemment fait allusion au projet d’annexion de la Mandchourie, de la Mongolie Intérieure et du SINKIANG par la Russie ; il est encore trop tôt pour affirmer que cette annexion est chose faite et les déclarations de M. ACHESON n’ont peut-être pas eu d’autre but que d’alerter l’opinion publique chinoise sur les ambitions possibles de l’URSS. Quoi qu’il en soit, l’URSS a arraché des concessions importantes dans ces territoires à l’ancien régime chinois ; ne montrera-t-elle pas une certaine répugnance à rendre ces concessions à la Chine, même devenue communiste ? Les intérêts russes et chinois risquent également de diverger dans un autre domaine : de ces deux pays, lequel va devenir le leader de l’expansion du communisme en Asie ? La Chine semble être le leader le plus naturel parce qu’elle est une nation asiatique et parce que son prestige historique brille aujourd’hui plus que jamais. Les Russes se fieront-ils à leurs alliés chinois jusqu’à leur laisser la direction du programme d’expansion ? On peut en douter car la suspicion du Kremlin est aussi traditionnelle que la xénophobie chinoise ; de plus, l’orthodoxie du communisme chinois reste encore à être établie. 

Par ailleurs, depuis plus d’un siècle, la Chine s’est ouverte sur sa façade maritime tandis qu’elle se fermait progressivement sur sa façade continentale. Ce phénomène n’a pas été dû à un accident de l’histoire, c’est la géographie, beaucoup plus impérative, qui l’a produit. Il ne pourra pas être inversé artificiellement dans un proche avenir, les dirigeants communistes chinois s’en rendront compte tôt ou tard. Si la nourriture spirituelle pourra continuer à venir de l’est, c’est seulement par la mer que la Chine pourra satisfaire ses besoins économiques. Elle restera donc attachée à ce monde occidental et pour maintenir ses relations commerciales avec lui, elle exigera un certain degré de liberté vis à vis de l’URSS. Que cette liberté lui soit refusée et en résultera une nouvelle cause de conflit. 

Ces germes de conflit, cependant, ne se développeront pas spontanément si les dirigeants russes sont assez intelligents pour comprendre qu’ils ne peuvent se permettre de traiter la Chine comme ils ont traité leurs satellites européens. L’orientation future de la Chine sera déterminée par l’attitude de la Russie. Si celle-ci fait preuve de largeur d’esprit et de tolérance, si elle traite la Chine en partenaire égal, leur association ne se rompra pas d’elle-même. Si la Russie se montre brutale et intervient sans ménagement dans les affaires chinoises, c’en sera fait de cette association. Pour nous, il n’est rien que nous puissions souhaiter davantage que de voir l’URSS s’enliser dans le bourbier chinois ; ce serait sa fin irrémédiable. Il n’est pas encore possible de déterminer l’attitude de l’URSS dans ses relations avec la Chine communiste. Ce renseignement possède une importance capitale et devrait être affecté de la plus grande priorité auprès des services intéressés, diplomatiques ou non. 

Supposons le pire, c’est à dire le choix d’une politique tolérante par l’Union Soviétique. Avons-nous un moyen quelconque d’aider à la maturation de ces germes latents ? Pouvons-nous empoisonner les relations de ces deux pays, par exemple en forçant les Russes à intervenir brutalement dans les affaires chinoises, en les forçant à devenir [«] les étrangers visibles [»] et en les condamnant ainsi à se mettre à dos le peuple chinois ? Par la seule propagande, nous n’irons pas loin ; nos écrits, presse, livres, pamphlets, ne pénètreront pas mieux le “rideau de bambou” que le rideau de fer ; nous pouvons nous attendre en effet à ce que la presse chinoise soit soumise au contrôle total du parti communiste ; quant aux émissions radiophoniques, elles se heurteront à l’obstacle le plus simple et le plus efficace : une infime minorité de Chinois possède des récepteurs Dans cet ordre idée, le seul moyen disponible est le “télégraphe bambou”, c’est à dire la propagation de rumeurs et de nouvelles de bouche en bouche ; ce procédé ne fonctionnera que si le peuple chinois est opposé à aux autorités au pouvoir ; ce fut le cas sous l’occupation japonaise mais pour l’instant, le parti communiste continue de bénéficier du soutien de la majorité des Chinois. Il est évident que nous ne pouvons pas non plus appuyer la candidature de la Chine à la direction de l’expansion du communisme en Asie. Quel moyen nous reste-il ? Un seul, et il est heureusement puissant : le blocus économique de la Chine communiste par toutes les nations occidentales

Après douze ans de guerre étrangère et civile, la Chine a un besoin désespéré d’aide économique pour recouvrer sa prospérité d’avant-guerre. Mais le retour à la prospérité du passé n’est pas le but que se sont fixés MAO TSE-TUNG et son entourage : ils ont élaboré des plans ambitieux pour le développement rapide de l’industrie et de l’agriculture de la Chine ; ayant donné une large publicité à ces projets, ils sont tenus de les réaliser, sinon de façon spectaculaire, du moins suffisamment pour montrer quelques signes de progrès au peuple chinois.

Si les communistes chinois ont accès normalement aux sources de production occidentales, il n’y a pas de doutes que par le seul effet de ces échanges normaux, la Chine ne se rétablisse rapidement et progresse régulièrement comme elle le fit avant la guerre. Si ces sources lui sont interdites, où MAO TSE-TUNG trouvera-t-il le large soutien économique dont il a besoin ? Seulement en Russie et il le demandera. La Russie peut-elle le lui accorder ? Elle a déjà d’énormes besoins propres à satisfaire : reconstruction de ses territoires sinistrés, course aux armements et peut-être, en dernière priorité, augmentation de la production d’objets de consommation afin de donner quelque encouragement à sa population fatiguée par tant d’années d’épreuves et de privations. Si ces obligations n’avaient pas été aussi impératives, est-ce que la Russie aurait exploité si brutalement ses satellites, s’aliénant de la sorte une bonne mesure de sympathie parmi leur population ? L’hérésie titiste ne se serait sans doute pas produite si la Russie n’avait pas accaparé sans compensation la production de la Yougoslavie. 

Admettons, bien que cela paraisse improbable, que la Russie accorde quand-même cette aide à la Chine. Dans ce cas, le blocus aura affaibli l’économie de la Russie, ce qui n’est pas un résultat négligeable. 

Si, par contre, Staline refuse d’aider son collège, MAO se trouvera placé en face d’un dilemme : ou bien se débrouiller avec essentiellement les seules ressources de la Chine et avoir des difficultés sérieuses avec le peuple chinois ; ou bien essayer d’obtenir une aide de l’Occident et, dans ce dernier cas, avoir à affronter ses camarades russes. Car nous serons alors en mesure d’imposer nos conditions. 

Il est certes possible que MAO TSE-TUNG échappe à la logique de ce dilemme, les évènements se moquent parfois de la logique. Si le blocus économique n’aura pas eu d’autre effet que de réduire le potentiel militaire d’un ennemi probable, il n’aura pas été tout à fait vain. 

On peut naturellement opposer un certain nombre d’arguments de poids à l’idée du blocus. Tout d’abord, est-il possible de le maintenir ? Il ne s’agit pas d’établir un rideau de corvettes au large des côtes chinoises. Le blocus commence dans nos ports, avec un embargo sur les exportations à destination de la Chine. 

Le blocus ne va-t-il pas irriter le peuple chinois ? Certainement, mais contre qui sera-t-il le plus irrité sinon contre les alliés russes qui ne l’aideront pas pendant cette crise ? Les communistes chinois eux-mêmes ont pu constater l’immensité de l’aide apportée au gouvernement nationaliste par les Etats-Unis ; ils ne manqueront pas de faire la comparaison. Du reste, en maintenant le silence autour du blocus, en évitant de le souligner dans notre presse et dans notre propagande, nous pourrons réduire partiellement l’effet moral adverse pour nos intérêts qu’il pourrait susciter dans les esprits chinois 

Le blocus ne forcera-t-il pas les communistes chinois à s’embarquer dans une aventure militaire afin de se procurer les produits qui leur manquent ? C’est un risque à courir, bien qu’il semble improbable. Ce sont surtout des vivres qu’ils trouveraient chez leurs voisins et ce ne sont pas des vivres dont la Chine a besoin ; il lui faut des produits industriels dont elle ne pourra pas s’emparer dans le sud-est asiatique. Et il sera toujours possible de relâcher le blocus quand la tension sera devenue dangereuse. 

On peut encore objecter que le blocus nous privera de marchés indispensables à la prospérité de notre économie. C’est vrai, et c’est un sacrifice de plus à faire. Si l’on estime que la troisième guerre mondiale est une hypothèse lointaine et problématique, réduisons nos dépenses militaires et nous contribuerons davantage à notre prospérité. Ce point, d’ailleurs, mérite d’être étudié sous son autre aspect. L’examen du commerce extérieur de la Chine depuis la capitulation japonaise montre clairement que la plus grande part des importations de ce pays ont été payées à l’aide de crédits et de dons octroyés par le gouvernement américain ; les avoirs chinois à l’étranger — dont les communistes ne détiennent actuellement qu’une infime partie de ce qu’il en reste– et les exportations ont permis de couvrir le reste. Avec l’exportation de ses produits, la Chine peut-elle subvenir à ses besoins ? Incontestablement non ; elle ne dispose que de soies de porc, de thé, de soie, d’huile de tung, d’œufs, d’étain et de tungstène, en tout pas grand-chose et aucun produit de première nécessité en dehors des deux derniers. Autrement dit, si l’on veut faire du commerce avec la Chine, il faudra au préalable lui consentir des crédits. Quel homme d’affaire s’y risquerait sous son régime actuel ? Quant aux gouvernements qui y seraient disposés, pourquoi ne subventionneraient-ils pas, plutôt, directement les branches de leur économie qui souffriraient du blocus. 

Nous, Français, serions un facteur négligeable dans la conduite du blocus ; nos relations commerciales avec la Chine sont minimes et nous pourrions subir sans grande douleur la perte de nos capitaux déjà investis là-bas. Le coup sera plus dur pour la Grande-Bretagne dont le gouvernement entretient l’espoir de sauver Hong-Kong et ses capitaux qui représentent 300 millions de livres ; à cette fin, il entend adopter une politique conciliante vis à vis du gouvernement communiste chinois, lui fournissant ce dont la Chine a besoin en échange de certaines garanties pour ses capitaux. Tant que durera l’alliance sino-soviétique, ces garanties sont illusoires, elles ne sauveront pas les capitaux anglais le jour où la guerre éclatera. On peut s’attendre également à une opposition tenace de certains milieux commerciaux américains, compagnies de navigation, exportateurs de produits pétroliers, etc. Nous disposons encore de quelques mois pour les convaincre ; la question du commerce extérieur de la Chine ne se posera pas sérieusement tant que les communistes seront occupés à réduire leurs adversaires retranchés à Formose. 

Concluons maintenant cette étude en formulant un plan d’action simple et positif. Il faut : 

1– Consacrer tous les efforts de nos services de renseignements à déterminer l’attitude de l’URSS vis à vis de la Chine communiste. Si elle est brutale, nous n’aurons peut-être pas besoin du blocus, notre attitude passive actuelle pourrait suffire. Accordons-nous pour cela un délai de 6 mois. 

2– Pendant ces six mois, chercher à réaliser l’accord des pays occidentaux sur le blocus éventuel de la Chine. Conduire naturellement ces pourparlers en secret, inutile de donner une arme à la propagande communiste avant que les évènements eux-mêmes ne révèlent le blocus. 

3– Si cet accord est réalisé et s’il s’avère que l’URSS montre une attitude tolérante dans ses relations avec la Chine communiste, appliquer le blocus dont la sévérité pourra être nuancée en fonction des fluctuations de la situation. 

Salonique, le 26 janvier 1950

Le Capitaine D. GALULA, observateur militaire  français à l’UNSCOB.

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07.10.2024 à 17:50

Le 7 octobre et la première guerre mondiale informationnelle

Matheo Malik

Depuis un an, dans une superposition des événements et des images, nous suivons en direct, au jour le jour, un affrontement d’une violence inouïe — qui déchaîne et polarise partout les opinions publiques. Pour Hugo Micheron et Antoine Jardin, le 7 octobre nous a clairement fait basculer dans une nouvelle ère : celle de la guerre mondiale informationnelle.

Dans l’un des premiers projets de recherche augmentée par l’IA, ils présentent en exclusivité les premiers résultats d’une vaste enquête.

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Texte intégral (4668 mots)

Un an exactement après le 7 octobre, la revue accompagne un chantier novateur. En partenariat avec le séminaire « IA, démocraties européennes et milieu informationnel », Hugo Micheron présentera ce programme de recherche le 10 octobre 2024 de 19h à 21h dans la grande salle du Théâtre de la Concorde. Si vous nous lisez, que vous pensez que notre travail mérite d’être soutenu et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent

La première guerre mondiale informationnelle

Depuis le 7 octobre, nous sommes entrés dans une nouvelle ère : celle de la première guerre mondiale de l’information.

L’attaque terroriste du Hamas puis l’invasion israélienne de Gaza ont marqué un tournant stratégique dans la région. Par la sidération et par l’intensité informationnelle qu’ils ont produites, ils ont rendu visible la dimension mondiale d’un affrontement jusque-là beaucoup moins perceptible. Au Proche-Orient, et notamment à Gaza, se trouve aujourd’hui l’épicentre d’une guerre d’un type nouveau.

Événement historique sans précédent à cet égard, le 7 octobre apparaît comme le révélateur d’une situation insuffisamment commentée, documentée et comprise, mesurable par l’explosion des contenus diffusés sur les réseaux sociaux. 

Les attaques du Hamas ont immédiatement déclenché un tsunami des réactions, s’imposant comme sujet de discussion internationale, trans-plateforme et multimédia. Les volumes de contenus produits, partagés, commentés, ont, dès le déclenchement de l’opération « Déluge Al-Aqsa », atteint des niveaux supérieurs à ceux du dernier pic historique en la matière, provoqué par l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie de Poutine le 24 février 2022. La mobilisation hors norme était observable dans le monde entier et sur l’ensemble des plateformes sociales — X, Facebook, Instagram, Snapchat, Telegram, YouTube, Discord, etc. 

Les différentes communautés militantes ont investi le 7 octobre d’un sens politique qui dépasse largement la tragédie sur le terrain proche-oriental.

Antoine Jardin et Hugo Micheron

Contrairement à la guerre en Ukraine toutefois, l’engagement des internautes ne s’est pas essoufflé. Plusieurs semaines après, lors de l’invasion israélienne de Gaza le 21 octobre, le flux de contenus et d’appels à la mobilisation restait à des niveaux exceptionnels, confirmant l’ampleur inédite du phénomène.

Autre particularité : le 7 octobre et ses conséquences sont devenus viraux d’une manière hétérogène au sein de presque toutes les grandes communautés militantes actives en ligne. Au-delà des soutiens pro-israéliens, pro-Hamas ou pro-palestiniens, le sujet a été récupéré par des mouvances variées : islamistes de tous horizons, pro-russes, pro-iraniens, antisémites, complotistes, extrême gauche, extrême droite, suprémacistes blancs, antivax, et même des climatosceptiques. Le conflit servait à ces multiples mouvances de catalyseur pour produire des messages sur des sujets a priori lointains mais qu’ils reliaient à l’actualité gazaouie. Les différentes communautés militantes ont investi le 7 octobre d’un sens politique qui dépasse largement la tragédie sur le terrain proche-oriental.

La guerre à Gaza produit également des effets politiques majeurs dans les démocraties occidentales. Aux divisions déjà profondes, comme celles des gauches européennes face à la caractérisation des massacres du Hamas, s’ajoutent au printemps 2024 des manifestations et des blocages d’universités, ainsi qu’un regain de la menace terroriste. Un chiffre suffit pour en prendre la mesure : les tentatives d’attentat ont quintuplé en Europe occidentale entre 2023 et 2024 — et plus d’un tiers d’entre elles visaient des cibles juives 1. Les polémiques qui découlent logiquement de l’enchevêtrement de ces dynamiques et des raccourcis qui en résultent, renforcent la polarisation de débats publics déjà durement éprouvés. Ils sont alimentés par la guerre informationnelle au moins autant qu’ils l’alimentent en retour, en la prolongeant sur les réseaux sociaux. 

De toute évidence, il se joue ici un phénomène à tout point de vue hors norme et d’une nature nouvelle. La guerre s’émancipe de sa dimension physique pour s’inscrire dans le domaine informationnel : au-delà des affrontements traditionnels sur terre, mer, dans les airs et le cyberespace, le 7 octobre intervient donc comme une révélation mondiale de l’importance du conflit informationnel. À cet égard, le Hamas semble avoir démontré qu’il est possible de subir une guerre sur le plan militaire tout en en menant une autre sur le plan informationnel — en toute hypothèse, il serait donc possible de perdre militairement tout en gagnant sur le terrain de l’information. Il reste à voir si le Likoud et Benjamin Netanyahou en ont pleinement pris conscience. Si cette hypothèse devient réalité, elle représenterait un véritable changement de paradigme.

En devenant «  informationnelle  », la guerre se dématérialise et la confrontation autour de Gaza se déplace : elle peut s’infiltrer dans les débats publics pour opérer comme un marqueur politique sur des enjeux beaucoup plus larges. 

Dans l’épicentre informationnel de Gaza : caractéristiques d’une guerre nouvelle

Le paradigme de la guerre informationnelle nous permet un exercice heuristique d’un nouveau genre, qui s’appuie sur des outils inédits pour l’étudier et, en amont, de le documenter 2.

Sans prétendre à l’exhaustivité, après avoir pris en compte plus de 10 millions de tweets et près de 200 000 articles et posts sur les réseaux sociaux publiés par des médias depuis un an, les données nous permettent de proposer de premières pistes pour étudier systématiquement les récits promus sur les réseaux sociaux par les différentes communautés et leurs évolutions dans le temps. 

Depuis un an, les différentes communautés intervenant autour du conflit publient trois types de contenus assez différents. Un premier type de messages consiste en des appels à la mobilisation, à l’action et aux manifestations — en soutien à la cause palestinienne ou à Israël, même si les premières sont bien plus nombreuses que les secondes. Les messages sont majoritairement publiés sur Telegram. Ils relayent :

  1. des appels purs et simples à manifester ;
  2. des informations logistiques sur les rassemblements en question ; 
  3. le nombre des participants, les éventuels mots d’ordre ou éléments de langage à diffuser. 

Le deuxième type de contenus sont les « chaînes » sur les réseaux sociaux qui proposent des flots continus d’information documentant la situation sur le terrain. La plupart des « feeds » suivent des focales spécifiques, que l’on regroupe en trois catégories principales :

  1. celles insistant sur la dimension strictement militaire de l’actualité ;
  2. celles se focalisant sur les conséquence de la guerre, les morts — avec un accent sur les pertes civiles et notamment sur les enfants — et les dégâts (la plupart du temps causés par l’invasion israélienne) ;
  3. celles abordant la dimension internationale ou diplomatique du conflit, relayant par exemples les positions des dirigeants arabes ou étrangers et les déclarations officielles des porte-paroles.

L’ensemble de ces contenus, qu’ils soient défavorables ou non à Israël, se limitent à des retweets ou comportent des apports éditoriaux mineurs. Cependant, même court, les messages sont souvent orientés de façon à  : 1) conditionner d’une phrase, d’un mot, d’un emoji, la réception de l’information partagée ; 2) jouer un rôle de filtre émotionnel pour indiquer à l’observateur comment traduire l’information partagée et 3) entretenir le feu émotionnel, maintenir les effets de sidération et d’indignation causés par la guerre.

L’Iran dans la guerre informationnelle 

Les comptes pro-iraniens et pro-Hamas sont très rodés à ces techniques, de plus en plus mobilisés aussi en 2024 au sein des communautés en soutien à l’action militaire israélienne.

Ces méthodes participent d’une mise en récit subtile mais massive de l’actualité. Elles renforcent l’indignation et associent une forte charge émotionnelle à l’information qu’elles conditionnent.

En terme de volume, l’Iran est l’acteur qui investit le plus massivement la guerre informationnelle, notamment dans les premiers mois après le 7 octobre 2023 — nous aurons l’occasion de l’évoquer en détail dans un article dédié. Les relais de la République islamique au sein de « l’axe de la résistance » sont présents sur tous les réseaux et actifs en différentes langues — farsi, arabes, français, anglais notamment. En français, ils s’affairent aussi bien à relayer des appels à manifester que la promotion de contenu religieux et politique.

Les contenus poussés par les réseaux iraniens, russes et turcs tendent à résonner fortement entre eux, notamment dans leur dimension anti-occidentale. Ils produisent un champ de force discursif sur les réseaux sociaux qui insistent notamment sur l’illégitimité et l’immoralité de l’action des capitales européennes. Ces récits sont d’autant plus « convaincants » qu’ils font mouche et qu’ils sont repris et martelés par des relais importants dans des communautés politiques et religieuses très différentes en Europe et au Moyen-Orient. Leur dissémination massive donne l’impression d’une vérité indiscutable à ceux qui chercheraient à s’informer candidement sur les réseaux sociaux.

En terme de volume, l’Iran est l’acteur qui investit le plus massivement la guerre informationnelle, notamment dans les premiers mois après le 7 octobre 2023.

Antoine Jardin et Hugo Micheron

Les réseaux pro-russes, comme leur homologues iraniens, s’activent dans toutes les langues. De manière générale, ils exploitent la situation à Gaza pour affaiblir les positions diplomatiques et discursives de l’Union européenne et des États-Unis.

La Russie et le sous-texte ukrainien

La guerre en Ukraine apparaît en filigrane de quasiment tous les récits poussés par ces canaux.

Les réseaux pro-russes tendent ainsi à promouvoir une couverture de la guerre à Gaza qui incrimine les positions de l’Occident. Les contenus dénonçant le « deux poids, deux mesures » de l’Occident — chers également aux réseaux pro-turcs et pro-iraniens — sont les plus évidents. Les prises de positions des responsables européens sont ainsi fréquemment dénoncées pour leur « indignation sélective » — s’émouvant davantage de la situation sur le front ukrainien et que du sort des Palestiniens à Gaza. Les messages insistant sur le fait que la situation au Proche-Orient serait une priorité absolue — par opposition à l’Ukraine qui ne serait qu’un sujet secondaire — reviennent également de façon récurrente. Autre aspect des récits pro-russes, ils visent à associer directement les actions d’Israël à celles des puissances occidentales. L’idée que les soutiens d’Israël sont les mêmes que ceux de l’Ukraine est par exemple martelée à longueur de messages. Enfin, ces communautés vantent plus ou moins subtilement la diplomatie russe au Proche-Orient — surtout dans les contenus en arabe. Elle est présentée comme efficace et fiable par opposition à une diplomatie occidentale jugée immorale, injuste et improductive.

Dans la guerre mondiale informationnelle, les stratégies d’influence opèrent subtilement. Les récits employés ne sont pas toujours rattachables à la politique des pays en question. Ils sont souvent pensés de façon à être récupérables par d’autres communautés politiques et devenir viraux en leur sein. C’est ainsi qu’autour du conflit en cours au Proche-Orient peuvent s’amalgamer si facilement des enjeux de politique intérieure et extérieure.

Faire face à la guerre informationnelle : le grand contexte numérique du 7 octobre

Pour comprendre le choc du 7 octobre, il faut le replacer dans son grand contexte et revenir sur les coordonnées de l’atmosphère informationnelle dans laquelle il advient. L’étude des phénomènes de viralité permet de dégager cinq grandes tendances.

Une polarité active : l’installation d’un climat d’insurrection intellectuelle

La première d’entre elles résulte de la très forte polarisation, qui configure un climat d’insurrection intellectuelle. Celui-ci est palpable au quotidien sur les réseaux sociaux sur lesquels s’affrontent des « communautés » militantes plus ou moins bien organisées. Il perle aussi dans la multiplication des épisodes émeutiers — des gilets jaunes en 2018 aux affontements en Angleterre à l’été 2024, en passant par les manifestations virulentes en Allemagne et en Grande Bretagne après le 7 octobre 2023 ou aux émeutes en France à l’été 2023 après la mort de Nahel.  

Le climat d’insurrection intellectuelle se matérialise aussi dans une tendance à la remise en cause des résultats issus des urnes.

L’assaut du capitole le 6 janvier 2021 aux États-Unis, largement provoqué par une surenchère sur les réseaux sociaux contestant l’élection de Joe Biden, constitue la matérialisation la plus grave de ce phénomène. Dans les contextes politiques polarisés, les enjeux des scrutins sont considérablement relevés et la victoire d’un camp est synonyme non pas de défaite électorale pour l’autre camp mais de catastrophe inacceptable. La tentation est grande alors pour les perdants de refuser la légitimité démocratique aux vainqueurs et de préférer croire à des résultats truqués, par des modes de scrutin biaisés.

Polarisation et paralysie : la neutralisation des capacités d’action politique

L’une des conséquences les moins bien comprises de la polarisation politique et du climat d’insurrection intellectuelle qui s’ensuit est la neutralisation des capacités d’action politiques par les gouvernements élus.

En effet, si la légitimité d’une élection est immédiatement remise en question par une forte minorité de l’électorat — comme cela tend à être le cas en France, aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe — la menace n’est pas qu’insurrectionnelle. En réalité, le risque premier est celui de la paralysie politique. Un président ou un chef de gouvernement mal élu ou fortement contesté voit sa marge de manœuvre réduite et donc, ses capacités d’action politique sur le plan intérieur en partie neutralisées. Pour les décideurs publics placés dans de telle situation, le coût de la prise d’initiative augmente tandis que celui de l’inaction baisse, chaque décision pouvant provoquer une réaction potentiellement violente. En témoigne le mouvement de contestation de la réforme des retraites en France : dans pareil contexte, l’inaction politique devient un confort enviable, voire une forme de sagesse qui fait écho à l’adage prêté à Henri Queuille selon lequel : « il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout ». Le risque de paralysie politique est inhérent à la polarisation toujours plus importante sur les réseaux sociaux.

L’Europe face à son décrochage économique : le risque de la « lente agonie »

Alors que l’hégémonie des régimes européens est remise en question partout, il n’a rarement paru aussi urgent d’agir.

Sur le plan économique, les préconisations de Mario Draghi publiées dans ces pages énoncent un constat implacable et ont suscité un débat continental. L’Union accuse  un retard dans la compétition économique mondiale face aux États-Unis et à la Chine, notamment en raison de retards technologiques et dans l’intelligence artificielle qui tendent à s’accumuler. Elle a moyen d’inverser la tendance et d’échapper à la « lente agonie » contre laquelle met en garde le rapport Draghi — mais le virage est serré. Au-delà de mesures sectorielles bien identifiées, il implique notamment des investissements considérables. En somme, sa mise en œuvre — qui sera peu ou prou la feuille de route de l’Union pour le cycle politique qui s’est ouvert avec les élections de cette année — repose sur un préalable : reprendre l’initiative et sortir de la paralysie politique.

Recul et isolément géopolitique : face à « l’astanaïsation » des crises

Car à l’inertie politique et économique s’ajoute le recul géopolitique de l’Union, observé de façon spectaculaire depuis le début de la crise en Syrie et dont il conviendrait un jour de tirer toutes les leçons 3.

La guerre civile syrienne (2011-2019) constituait la dernière grande crise au Moyen-Orient jusqu’à l’actuelle, déclenchée par les attaques du 7 octobre et la guerre en cours à Gaza et au Liban. La crise syrienne a été un moment charnière pour l’Europe : entre son début en 2011 et son règlement partiel en 2019, l’Union est passée en moins d’une décennie du statut de puissance active dans la région à celui de témoin passif. Cela même alors que le continent a été affecté par les dynamiques qui y ont pris forme, en particulier la crise des réfugiés de l’été 2015 et le djihadisme de Daech — auquel ont participé 6000 Européens et qui s’est traduit dans une campagne d’attentats sans précédent.

Si l’influence européenne sur le cours des événements en Syrie s’est évanouie, c’est aussi le produit d’une stratégie mise en place par les rivaux géopolitiques de l’Union. En 2018, la Russie, l’Iran et la Turquie réunis à Astana au Kazakhstan pour négocier une issue aux conflits syriens trouvent un terrain d’entente. Le préalable qu’ils posent à toute discussion est simple : les puissances européennes doivent être exclues du cadre du règlement du conflit syrien. Un accord qui allait être transposé à d’autres crises, et qui se traduit depuis lors par une « astanaïsation » des relations internationales. De la Libye au Sahel, en passant par l’Afrique de l’Ouest,  l’exclusion des puissances européennes des cadres d’intervention et de résolution politique des conflits s’étend vers d’autres zones du monde.

À l’heure de la guerre à Gaza et au Liban, l’Europe a perdu sa capacité d’influer sur les positions en présence alors même que la situation au Proche-Orient rétroagit encore une fois fortement sur les débats publics européens. Comme nous le rappelions plus haut, le 7 octobre est de ce point de vue un catalyseur des dynamiques précédentes.

Le retour de flamme par la guerre informationnelle

En perdant son influence sur le cours des événements dans son environnement immédiat, l’Europe tend à devenir l’objet des transformations qui s’y produisent.

En plus de tenter proactivement d’exclure l’Union des cadres de règlements des crises qui affectent directement l’Europe, les rivaux géopolitiques et ennemis déclarés de l’Occident cherchent aussi à exploiter le climat d’insurrection intellectuelle. 

À travers les méthodes dites de guerre informationnelle, ces acteurs tentent d’appuyer sur les clivages et les lignes de faille identifiés dans les débats démocratiques occidentaux 4. Par le biais de multiples campagnes de désinformation ou d’amplification de récits et de tropes déjà présents sur les réseaux sociaux, ils cherchent à renforcer les dynamiques de fragmentation et polarisation politique à l’œuvre dans le champ politique 5.

À l’heure de la guerre à Gaza et au Liban, l’Europe a perdu sa capacité d’influer sur les positions en présence alors même que la situation au Proche-Orient rétroagit fortement sur les débats publics européens.

Antoine Jardin et Hugo Micheron

La Russie a largement recours à ces méthodes — de l’instrumentalisation de la polémique autour des punaises de lit à Paris à l’automne 2023 à l’orchestration de faux actes antisémites quelques jours après le 7 octobre. L’initiative d’un autre pays d’Asie centrale retient peu l’attention en Europe malgré sa forte activité  : l’Azerbaïdjan. Hostile à l’action de l’Union, notamment en raison du soutien français à l’Arménie, le pays est à l’origine du Groupe d’initiative de Bakou (GIB) dont le but est de soutenir la lutte des peuples « mal-décolonisés ». Via les mécanismes de campagne informationnelle sur les réseaux sociaux décrites précédemment, le GIB s’est par exemple explicitement impliqué dans l’amplification des contenus hostiles à l’État français en Nouvelle-Calédonie, soutenant activement l’indépendance de l’île et le départ de ce que ses soutiens appellent des « forces d’occupation françaises ».

Devenir des ingénieurs de la démocratie

La polarisation politique, l’essor d’un climat d’insurrection intellectuelle, le décrochage économique et géopolitique de l’Union et la multiplication des campagnes informationnelles se sont développés de concert au cours des quinze dernières années. 

Ces tendances se nourrissent les unes des autres et définissent les forces centrifuges qui menacent aujourd’hui la stabilité des démocraties occidentales : elles ont pris forme concomitamment à l’affirmation des réseaux sociaux comme lieux privilégiés de conscientisation et de socialisation politique.

Hautement politique, la problématique technologique ne peut être abordée sous le seul aspect technique. Elle se doit à ce titre d’être traitée par les sciences politiques et c’est là qu’intervient une ultime contrainte. Les défis posés par les tendances précédemment décrites sont extrêmement délicats à quantifier, à qualifier et donc, à objectiver. Si bien qu’il arrive souvent d’être d’accord sur un constat — celui de la fragmentation politique des pays démocratiques européens par exemple — sans pour autant parvenir à établir fermement et implacablement le constat lui-même.

Ce qui ressort de cela est que les transformations technologiques nous obligent à adapter nos cadres de pensée traditionnels afin de pouvoir comprendre leurs effets sur le politique. Ces problématiques ne pourront trouver de réponse, sans pouvoir au préalable : 

  1. objectiver les tendances précitées ;
  2. les analyser et les comprendre, aussi bien dans leur matérialisation, dans leur fonctionnement que dans les effets qu’elles produisent ;
  3. être capable d’en produire des éléments de constat intelligibles et partageables sur la base desquels produire un discours et une action politique.

Y répondre permettrait de mettre un terme à la désynchronisation du politique et du technologique — l’un se développant plus vite que la capacité de l’autre à l’absorber et à le réguler. Les deux premiers points sont des défis majeurs pour les démocraties européennes que peuvent et que doivent relever les sciences humaines et sociales. Pour y parvenir, il est nécessaire au préalable de produire des outils à la mesure de ces défis et d’exploiter le plein potentiel de l’IA pour produire les outils de la recherche augmentée. Dont acte. 

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07.10.2024 à 09:57

« Depuis le 7 octobre, nous menons plusieurs guerres à la fois », une conversation avec Nitzan Horowitz

Matheo Malik

« Les Israéliens ont tort mais voici l’opinion générale : nous ne pouvons plus faire confiance à nos voisins. »

Dans le deuil et l’effroi, un consensus de la rage s’est installé à bas bruit dans le pays. Alors que les bombardements israéliens ont fait des dizaines de milliers de morts à Gaza, le sentiment de menace existentielle s’est étendu partout en Israël depuis le 7 octobre. Comment sortir de cette spirale ?

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Texte intégral (1981 mots)

Depuis un an, la revue cartographie la nouvelle phase dans laquelle est entré le Moyen Orient à partir du 7 octobre 2023. Si vous nous lisez, que vous pensez que ce travail mérite d’être soutenu et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent

Au lendemain des attaques du 7 octobre, vous vous montriez très critique à l’égard du gouvernement de Benjamin Netanyahou, dont vous expliquiez la responsabilité par sa politique générale et par son impréparation à Gaza. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur la situation stratégique d’Israël ? Qu’est-ce qui a changé depuis un an ?

Tout d’abord, je voudrais préciser que si j’ai été ministre de la santé dans l’ancien gouvernement, je ne suis plus en politique aujourd’hui. Je ne représente donc en aucune manière le gouvernement israélien actuel et mes opinions n’appartiennent qu’à moi. 

Depuis cette journée du 7 octobre, il y a un an exactement, nous vivons dans un cauchemar permanent. 

La guerre s’étend désormais sur sept fronts : à Gaza, au Liban, en Iran, au Yémen, en Cisjordanie, en Israël et, pour les communautés juives qui sont visées, partout à travers le monde. Lorsque des centaines de missiles balistiques ont été lancés depuis l’Iran sur Tel Aviv, ma mère était chez elle, dans son immeuble, sans abri anti-bombe. Au moment des frappes, elle m’a téléphoné depuis son armoire et m’écrit sans arrêt depuis. Tout cela me touche très personnellement. Mardi, 8 personnes sont mortes dans un attentat à Jaffa. 

C’est donc un tout : depuis le 7 octobre, nous menons plusieurs guerres à la fois.

Il faut ajouter à cette situation les problèmes que connaît Israël en interne depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Netanyahou, qui se place résolument contre la démocratie. En parallèle de la guerre extérieure imposée à Israël, il y a un mouvement civique considérable contre le gouvernement. Il s’agit à mon sens de la crise la plus profonde que mon pays ait subie depuis sa création en 1948. Les gens sont inquiets, bouleversés, abasourdis et choqués. Tous les jours, les nouvelles sont horribles. 

De la fumée s’élève du site d’une frappe aérienne israélienne à Dahiyeh, Beyrouth, Liban, jeudi 3 octobre 2024. © AP Photo/Hassan Ammar

Qu’est-il encore possible d’espérer ? 

En ce qui concerne la question palestinienne, je suis convaincu, plus que jamais, que la seule solution viable est la solution à deux États ; c’est à dire un État palestinien à côté de l’État d’Israël ; un État palestinien formé par la Cisjordanie et Gaza, et Israël à côté. Nous avons déjà un cadre avec l’autorité palestinienne, les accords d’Oslo, qui sont toujours en vigueur — mais il faut aller plus loin.

Est-ce possible ?

Il est très difficile en ce moment de faire des prédictions. 

Beaucoup d’Israéliens sont déçus de nos partenaires palestiniens mais je crois que dans ce petit pays où il y a deux peuples, juifs et arabes, israéliens et palestiniens, il faut avoir deux États. 

En ce qui concerne la question palestinienne, je suis convaincu, plus que jamais, que la seule solution viable, c’est la solution à deux États. 

Nitzan Horowitz

Pour l’instant, Israël occupe la plupart de la bande de Gaza. J’ai bon espoir qu’en cas d’accord, Israël se retirera. Je ne peux pas dire que je suis optimiste pour l’instant parce que la situation est vraiment très dure et que les émotions sont extrêmement fortes

Concernant le Liban, il faut être clair : depuis 25 cinq ans, il n’y a pas de sujets territoriaux entre le Liban et Israël. Israël s’est retiré du territoire libanais en 2000. Depuis, au cours de mon mandat même, Israël a signé un accord avec le Liban sur le gaz naturel et sur la ligne maritime internationale. Il n’y avait donc aucune raison pour le Hezbollah d’attaquer Israël au lendemain du 7 octobre.

J’habite dans le nord d’Israël, à côté de la frontière libanaise. Depuis le 7 octobre, à cause des attaques du Hezbollah, notre région est bombardée sans arrêt, tous les jours. Les gens l’ignorent peut-être, mais depuis un an, quelques 100 000 Israéliens de tous les villages, villes, kibboutz, tout au long de la frontière libanaise, ont été évacués. Israël a abandonné toute la Galilée à cause des tirs. Ce qui se passe maintenant, c’est une démarche menée par le gouvernement de Netanyahou pour repousser le Hezbollah. Qu’est-ce-que cela va donner ? Je ne sais pas.

Cette combinaison de guerres externes avec une crise interne place Israël dans une position unique. Je fais confiance à la solidarité entre les gens et à la capacité d’Israël à se reconstruire. J’espère, personnellement, que nous obtiendrons enfin la paix et la stabilité — pas seulement pour nous, mais pour toute la région. 

Comment voyez-vous l’évolution des rapports entre Israël et un certain nombre de ses voisins arabes et musulmans, avec lesquels les relations étaient en cours de normalisation ? 

Avant le 7 octobre, nous étions effectivement sur une voie, je ne dirais pas de paix, mais de normalisation de nos relations avec la région. Les accords d’Abraham avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc ou le Soudan s’inscrive dans la longue histoire de la reprise des relations avec l’Égypte de Sadate, la Jordanie du roi Hussein, le Liban, ou les accords d’Oslo avec les Palestinien… Israël était en train de normaliser ses relations et d’être accepté dans la région.

Depuis le 7 octobre, nous menons plusieurs guerres à la fois.

Nitzan Horowitz

Le 7 octobre a violemment bouleversé cette dynamique. La voie de la normalisation, de la paix, a été brisée en petits morceaux. Depuis un an, nous sommes en guerre.

Pourquoi est-on tellement choqués, déstabilisés par le 7 octobre ? Dans mon livre Les Assiégés. Dans l’enfer du 7 octobre co-écrit avec Hervé Deguine, nous racontons l’histoire d’un groupe de 27 personnes qui sont allées faire la fête pendant ce shabbat. Tous étaient très jeunes. Ils se sont réfugiés dans un petit abri à côté de la route et ont été visés, massacrés par le Hamas. Quatre ont été enlevés. Trois personnes sont toujours en captivité à Gaza. Aujourd’hui il y a plus de 100 otages israéliens détenus à Gaza.

Les feux d’un hélicoptère Apache israélien près de la frontière israélo-libanaise, vue du nord d’Israël, mercredi 2 octobre 2024. © AP Photo/Baz Ratner

Le choc que nous avons subi en écoutant ces histoires nous a obligés à briser cette voie de normalisation. Les Israéliens ont tort mais voici l’opinion générale : nous ne pouvons plus faire confiance à nos voisins. C’est impossible et inutile d’avoir des accords de paix. Il faut juste avoir recours à la force. Personnellement, je suis convaincu qu’au moment où la guerre va se terminer, les intérêts fondamentaux de tous les pays de la région — y compris ceux d’Israël, du Liban, d’Égypte et des Palestiniens… — nous forceront à reprendre la voie de la normalisation. Il n’y a pas d’autre solution. Autrement, on se trouvera en permanence dans cette situation, avec des guerres sur tous les fronts et peut-être plus.

Les Israéliens ont tort mais voici l’opinion générale : nous ne pouvons plus faire confiance à nos voisins. 

Nitzan Horowitz

Israël est un pays très fort avec beaucoup d’atouts et de capacités. En même temps, le gouvernement israélien doit comprendre que nous ne pouvons pas effacer ou éliminer la question palestinienne ou régler tous les problèmes par la force. Il faut revenir à la logique d’Oslo, aux négociations, au processus de paix. C’est la seule voie possible. 

Comment voyez-vous l’état de la relation entre Israël et les États Unis ? On a l’impression que les États Unis ont perdu de leur capacité de pression qu’ils avaient historiquement sur le gouvernement israélien.  

Le président Joe Biden, et sa Vice-présidente Kamala Harris font ce qu’ils peuvent pour empêcher une guerre régionale totale, voire une guerre mondiale.

Depuis le 7 octobre Israël ressent une menace existentielle. Peut-être que, vu depuis l’Europe, vous trouvez cela exagéré ou injuste, mais ce que nous avons vécu le 7 octobre nous a montré que certains de nos voisins voulaient nous tuer, tout simplement. C’est malheureusement l’opinion qui domine aujourd’hui en Israël. 

Et si un pays fort, riche, comme Israël se trouve dans cette situation de menace existentielle, alors ce pays réagit. Il est très difficile de faire pression sur un pays qui ressent une menace existentielle. 

Je suis un homme raisonnable, j’ai lutté toute ma vie pour la paix. Je souhaite que la guerre s’arrête et qu’on puisse revenir à ce chemin très réel, très logique, très clair de normalisation. Nous avons des relations diplomatiques, commerciales, économiques avec plusieurs pays arabes. Il faut élargir ce cercle. Pour cela, il faut arriver à la solution à deux États.

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07.10.2024 à 05:00

Le tournant stratégique du 7 octobre : Israël dans la nouvelle géopolitique du Levant

Matheo Malik

Depuis l’attaque terroriste commencée il y a un an, le Moyen-Orient s’embrase. L’Iran est acculé. À Gaza, les bombes continuent de tomber. Au Liban, la guerre s'étend. Que nous disent la défaite de la coalition chiite et la persistance du Hamas ? Comment explique-t-on la passivité des pays arabes ? Quelle est la nouvelle stratégie d’Israël ? Olivier Roy dégage les tendances d’un grand contexte.

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Texte intégral (3715 mots)

Depuis un an, la revue cartographie la nouvelle phase dans laquelle est entré le Moyen Orient à partir du 7 octobre 2023. Si vous nous lisez, que vous pensez que ce travail mérite d’être soutenu et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent

Cette guerre qui a déjà un an a changé la donne. Elle n’est plus une guerre de basse intensité mais elle ne se transformera pas en conflit régional.

Jusqu’ici l’Iran s’abritait derrière des organisations militaires locales — Hezbollah, Hamas, Houthis — qui combattaient Israël tout en restant dans le cadre de « lignes rouges » censées empêcher une confrontation directe entre les deux pays. 

Contrairement au Hezbollah, le Hamas a conservé son autonomie décisionnelle par rapport à l’Iran, ce qui fait que l’ampleur du 7 octobre a pris même les Iraniens au dépourvu. Mais le Hamas ne peut survivre sans une conjonction des luttes qui oblige Israël à combattre sur plusieurs fronts. Ce dernier a donc décidé de hausser le niveau de la réponse : il s’agit non plus de contenir mais de réduire, voire d’anéantir, les alliés de Téhéran, tout en empêchant l’Iran de venir à leur secours, ou de faire peser sur Israël une pression telle que seules des négociations pourraient lui permettre de sortir de l’impasse

De son côté, le régime iranien est acculé et cherche à se présenter comme une puissance soucieuse de rétablir l’équilibre, se contentant de riposter dans les limites de sa nouvelle doctrine. Le régime se limite à chercher à sauver la face, en organisant ce qui paraît, par l’asymétrie des forces en place, un « show » balistique, tandis qu’Israël revendique au contraire sa volonté de se lancer dans une escalade.

Le tournant stratégique du 7 octobre

Le petit jeu qui fonctionnait depuis quarante ans — après l’invasion du Liban par Israël en 1982 —, un statu quo maintenu à coups de mini-crises, ne fonctionne plus. Pourquoi  ?

On peut y voir deux raisons  : un effondrement des capacités militaires de la coalition anti-Israël et un changement dans la vision stratégique d’Israël — que l’on ne saurait ramener à la simple volonté de Benyamin Netanyahou de prolonger la guerre pour éviter le tribunal.

Jusqu’ici, le petit jeu d’adaptation des deux camps à l’amélioration des capacités de l’autre camp permettait de revenir presque au point de départ après chaque crise : la résistance du Hezbollah à l’intervention israélienne au sud Liban en 2006 a réussi à la suite des progrès tactiques comme la construction de tunnels, mais l’usage massif par le Hezbollah et le Hamas de missiles de plus en plus sophistiqués s’est heurté à l’efficacité du dôme de protection anti-missiles mis en place par les Israéliens.

Par son ampleur, l’attaque terroriste du 7 octobre en territoire israélien a brisé cet équilibre.

Israël s’est lancé dans une opération d’éradication du Hamas. Mécaniquement, cela a entraîné une confrontation avec le Hezbollah — qu’Israël a cette fois-ci minutieusement préparée. La vraie cible de Tel Aviv devenant le Hezbollah et l’Iran, Israël fait de la question palestinienne un objectif plus lointain. L’important est d’éliminer aujourd’hui les acteurs extérieurs.

Le petit jeu qui fonctionnait depuis quarante ans — après l’invasion du Liban par Israël en 1982 —, un statu quo maintenu à coups de mini-crises, ne fonctionne plus.

Olivier Roy

Cette stratégie semble prendre pour une raison très simple. L’extraordinaire succès des opérations d’éradication des leaders et des cadres du Hezbollah. Jusqu’ici, leurs exécution apparaissait plus comme une sorte de vengeance, car le leader tué était immédiatement remplacé tandis que l’organigramme de l’organisation restait intact. L’affaire des « bipeurs » et des talkies walkies, en revanche, a brisé la chaîne de commandement du haut en bas, obérant la capacité de faire la guerre. Couplée avec l’assassinat de Haniyeh au cœur même de l’Iran des Pâsdârân, cette opération révèle, bien au-delà de la simple collecte de renseignements, la pénétration israélienne dans le Hezbollah et surtout dans l’appareil d’État iranien. Bien plus, son effet est multiplié par la paranoïa qu’elle entraîne dans les rangs du Hezbollah et des Pâsdârân  : tout le monde devient soupçonnable, même au plus haut niveau.

Comprendre la défaite de la coalition chiite

C’est sur le plan du renseignement et de ses nouvelles technologies que s’est jouée la défaite de la coalition chiite. Même s’il faut s’attendre à des attentats, c’est cette pénétration qui rend extrêmement difficile une contre-attaque iranienne soit contre Israël soit contre ses intérêts ou simplement contre des institutions juives à l’échelle du pays ou dans le monde.

Il faut remarquer que ce niveau de pénétration ne touche pas le Hamas. Elle a trait à la structure de commandement spécifique dans les rangs des Pâsdârân et du Hezbollah.

La hiérarchie des Gardiens repose sur une seule génération : ceux qui ont combattu dans les années 1980 surtout au Liban et, plus accessoirement, en Irak. Ils sont nés dans les années 1960, ils sont alors volontaires, militants, idéologiquement formés. Ils ont passé toute leur jeunesse dans la guerre et le dévouement à la cause, au détriment de leurs études. Mais ils vieillissent, fondent une famille et veulent que leurs enfants réussissent dans la paix plus que dans la guerre. Ils se lancent alors dans le business, et jouent sur la corruption du système. Certes il subsiste un noyau « pur » — comme le général Soleimani. Certes il y a de jeunes recrues, mais qui viennent plus par tradition familiale ou pour le besoin de trouver du travail — de toute façon on ne voit pas monter une nouvelle génération de leaders. À cela s’ajoutent les conflits personnels, les blocages de carrière et la fatigue militante. C’est un phénomène que l’on retrouve dans tous les mouvements révolutionnaires pris dans des guerres interminables : les sandinistes, les moudjahidines afghans, les guérillas colombiennes, le Vietcong, etc 1.

Aigris, désabusés, témoins de la corruption du régime, désireux que leurs enfants mènent une meilleure vie, ce sont des centaines voire des milliers de cadres qui ne demandent qu’à trahir — à condition bien sûr d’être payés. Et s’il n’y a pas de membre du Hamas, c’est parce que ces derniers restent au milieu du peuple palestinien et n’ont d’autres perspectives que la lutte — ceux qui veulent mener une autre vie partent rejoindre une diaspora plutôt prospère.

La défaite du Hezbollah et de l’Iran vient avant tout de l’effondrement de l’idéologie d’origine, à laquelle s’ajoute, surtout pour Téhéran, le vieillissement et le non-renouvellement des cadres.

Car, bien entendu, la population iranienne ne suit pas l’activisme régional du régime — au-delà de la protestation contre le voile ou contre la dictature. Les Pâsdârân sont des volontaires, mais l’armée est faite de conscrits  : jamais la population n’acceptera leur envoi à l’étranger ou même leur engagement dans une mauvaise guerre. Le régime est donc dans l’impasse : certes, il peut lancer une campagne terroriste à l’extérieur, mais cela ne fera que renforcer le soutien occidental à Israël. Et la bombe nucléaire, heureusement, n’est pas opérationnelle.

La défaite du Hezbollah et de l’Iran vient avant tout de l’effondrement de l’idéologie d’origine, à laquelle s’ajoute, surtout pour l’Iran, le vieillissement et le non-renouvellement des cadres.

Olivier Roy

La meilleure carte d’Israël, outre les bombes qui peuvent rendre obsolète la bunkerisation des sites nucléaires iraniens, c’est précisément que le régime de Téhéran ne connaît pas l’étendue de la pénétration du Mossad dans ses propres rangs — et peut donc craindre un nouveau coup venu de l’intérieur.

La nouvelle stratégie israélienne 

Le deuxième élément nouveau dans cette guerre, c’est que la stratégie israélienne va au-delà de la simple quête de la sécurité, qui en était la ligne directrice jusqu’au 7 octobre.

La droite au pouvoir ne veut pas de deux États. Ses représentants plus extrêmes le disent et le répètent ouvertement. Elle veut la disparition des Palestiniens en tant que Palestiniens. Soit ils disparaissent — parce qu’ils meurent ou sont contraints à l’exil — soit ils ne sont plus que des Arabes comme les autres, en abandonnant toute prétention nationale — ce qui était la vision majoritaire entre 1948 et 1967. 

Les accords d’Oslo de 1993 avaient institué les Palestiniens comme peuple national, tout en les coupant du monde arabe. Ils ont aujourd’hui perdu sur les deux tableaux : la perspective des deux États est fermée et il n’y a pas et il n’y aura pas de soutien arabe à la cause palestinienne — même s’il y a une forte résonance émotionnelle dans la population arabe, surtout dans l’intelligentsia.

On compte trop en Occident sur le mouvement anti-Netanyahou en Israël. Si celui-ci présente une dynamique démocratique réelle, ce n’est en rien un mouvement de soutien aux Palestiniens 2. Il concerne d’une manière prépondérante les questions politiques internes à la société israélienne. Pour certains manifestants qui reprochent à Netanyahou de ne pas vouloir sauver la vie des otages, tuer 500 civils palestiniens pour un otage sauvé n’est pas un problème. Le sort des Palestiniens n’est pas leur affaire. 

La « gauche » israélienne n’a aucune stratégie à opposer à celle de la droite. Elle n’a jamais empêché les colons de grignoter les terres palestiniennes. C’est le pays tout entier qui glisse de la recherche d’un équilibre sécuritaire à un nettoyage ethnique de la Palestine. La première phase — isoler les Palestiniens — est un succès. La seconde phase sera de les « user », de les pousser dans des réduits puis à l’exil.

Si la droite israélienne le dit explicitement, la gauche se tait et laissera faire. Ce deuxième volet de la stratégie se fera sur le temps long. Depuis soixante-dix ans, par à-coups, Israël a étendu son territoire propre ainsi que les zones qu’il contrôle. Quand on est millénariste, on peut attendre quelques générations de plus…

Les limites d’une guerre

Un leitmotiv dans les médias internationaux est d’alerter sur la possible régionalisation du conflit. Mais c’est le contraire qui se passe. Il n’y a plus aucun État arabe qui soutienne activement — ou même politiquement — la cause palestinienne. Les États du Golfe, l’Arabie saoudite, le Maroc et l’Égypte ont tranquillement poursuivi leur politique de rapprochement avec Israël et blâment le Hamas pour avoir cherché la crise. Tous se réjouissent de voir l’Iran expulsé du Proche-Orient. Les discours indignés d’Erdoğan n’ont pas interrompu les ventes d’armes turques à Israël. Les milices pro-iraniennes n’ont nulle part, sauf au Liban, le monopole de l’accès aux armes  : en Irak comme en Syrie, elles doivent faire face à d’autres groupes armés — les Kurdes dans le nord-est syrien, le groupe Jolani à Idlib, les milices anti iraniennes en Irak. Quant au peuple syrien, la défaite du Hezbollah et de l’Iran ne peut que le réjouir : Bachar al-Assad ne mettra pas en jeu le peu de pouvoir qui lui reste.

La passivité des pays arabes acte la fin d’un panarabisme. A-t-il vraiment existé au-delà des slogans  ? L’Égypte n’est plus un pays leader et collabore avec Israël. Les deux poids lourds aujourd’hui sont l’Arabie saoudite et le Maroc : ils ne défendent que leurs propres intérêts nationaux. Par son soutien à Israël, le Maroc a renforcé sa position sur le Sahara occidental. Le Prince héritier saoudien met en avant un nationalisme purement saoudien et a mis au pas un clergé wahhabite souvent accusé de propager le salafisme dans le monde musulman. En promouvant désormais un islam « national et modéré » — le malékisme au Maroc —, ils s’opposent à tout mouvement qui pourrait pousser à un nouveau pan-islamisme — Frères musulmans, salafistes ou clergé iranien.

Le régime de Téhéran ne connaît pas l’étendue de la pénétration du Mossad dans ses propres rangs — et peut donc craindre un nouveau coup venu de l’intérieur.

Olivier Roy

Un an après le 7 octobre, deux limites à l’extension de cette guerre sont apparues. 

Sur le plan international d’abord, il paraît certain qu’il n’y aura pas de coalition contre Israël : ni panarabe, ni « sud global » — cette notion n’étant bonne que pour animer un débat « géostratékitsch » qui fait les délices des débats télévisés. 

En Europe et en Occident, enfin, l’impact du conflit se limitera à ce qu’il est aujourd’hui : une protestation morale cantonnée aux campus et aux lieux habituels de la révolte. L’intifada des banlieues est un fantasme que l’on peut mobiliser pour marquer des points sur le plan politique, mais qui n’a pas de consistance réelle.

Ces deux limites montrent une chose : Israël n’en a plus aucune.

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