Au cours des prochaines semaines voire des prochains mois, l’armée russe devrait capturer les 35 km² restants dans l’oblast de Louhansk, plaçant sous son contrôle une deuxième région suite à l’annexion de la Crimée en 2014.
Si la capture de Louhansk serait érigée en victoire majeure par Moscou, c’est principalement dans la région voisine de Donetsk que la progression russe pose un réel danger pour le front ukrainien.
Le 24 juillet 2025, les forces ukrainiennes ne contrôlaient plus que 35 km² à l’intérieur des frontières administratives de la région de Louhansk, dans le sud-est du pays. Si la Russie parvenait à prendre le contrôle de la totalité de la région, ce qui semble très probable à court terme compte tenu du rythme de progression de son armée, il s’agirait de la deuxième région ukrainienne à tomber entièrement entre ses mains depuis 2014, après l’annexion de la Crimée.
La capture des régions de Donetsk et de Louhansk, qui forment le Donbass, constitue le principal objectif de guerre du Kremlin en Ukraine.
Moscou s’était rapproché de la capture de Louhansk à l’été 2022, quelques mois après le lancement de l’invasion à grande échelle, mais les forces ukrainiennes y avaient repris des positions lors de la contre-offensive de Kharkiv à l’automne.
Le chef de la république populaire de Louhansk — une organisation non-reconnue créée par la Russie en 2014 — Leonid Passetchnik, avait affirmé à la fin du mois de juin 2025 que le territoire de l’oblast avait « été entièrement libéré, à 100 % » 1.
Kiev maintient toutefois des positions dans deux « poches » situées à l’est des villages de Borova et de Yampil, dans les oblasts frontaliers de Kharkiv et de Donetsk.
Louhansk fait partie des quatre régions — aux côtés de Donetsk, Zaporijia et Kherson — dont « l’annexion » avait été annoncée par Moscou en septembre 2022, suite à des référendums non-reconnus par Kiev et la communauté internationale. Après plus de trois années de guerre, la Russie n’exerce toujours aucun contrôle sur ces oblasts dans leur totalité.
L’armée russe contrôle actuellement 77 % de l’oblast de Donetsk, 74 % de l’oblast de Zaporijia et 73 % de l’oblast de Kherson, selon une analyse géospatiale menée par la revue à partir des données vectorielles produites par l’Institute for the Study of War.
Moscou a toutefois étendu son offensive à d’autres régions de l’Ukraine qui n’étaient pas concernées par « l’annexion » annoncée par Poutine : Kharkiv (4,95 % contrôlé par l’armée russe), Soumy (0,12 %) et Tchernihiv (0,06 %), dans le nord de l’Ukraine.
Si la capture de l’oblast de Louhansk serait érigée en victoire majeure par Moscou, c’est principalement dans la région voisine de Donetsk que la progression russe pose un réel danger pour le front ukrainien. Les forces russes avancent rapidement au nord-est de Pokrovsk depuis quelques semaines, menaçant sérieusement la ville d’encerclement.
Si les forces russes parvenaient à couper l’accès à la route Т-05-15, qui relie Pokrovsk à Dobropillia, 20 kilomètres au nord, le commandement ukrainien pourrait être contraint d’envisager sérieusement l’évacuation de Pokrovsk, nœud logistique vital attaqué depuis plus d’un an.
Une telle victoire, bien qu’elle semble encore lointaine, serait susceptible de fragiliser la défense ukrainienne autour des autres bastions de la région : Kostiantynivka, Droujkivka, Kramatorsk et également Sloviansk.
Gérard Araud a vingt ans. Il est face au Parthénon. Il pleure de joie — la Grèce ne le quittera plus.
Aujourd'hui, à Hydra, il retrouve chaque année les coquelicots, les chemins de la ville à l'eau et les fantômes de l'île comme Leonard Cohen ou Jackie Onassis. Mais aussi l'esprit des exilés, de retour pour Pâques.
Grand Tour, notre historique série d’été est de retour pour une nouvelle saison.
Comme chaque année, nous vous invitons à explorer le rapport d’affinité entre des personnalités et des espaces géographiques où ils ne sont pas nés ou qu’ils n’ont pas vraiment habités — et qui ont pourtant joué un rôle crucial dans leur propre trajectoire intellectuelle ou artistique.
À quand remonte votre première rencontre avec la Grèce ?
Je suis allé pour la première fois en Grèce à l’âge de vingt ans. Nous étions partis en 2 CV, avions descendu la côte yougoslave et fait le tour de l’Albanie communiste jusqu’à Thessalonique.
Nous sommes arrivés un soir à Athènes. Nous nous sommes précipités à l’Acropole où il n’y avait plus grand monde. J’étais seul face au Parthénon et j’ai pleuré doucement de bonheur. J’avais vingt ans et j’ai senti que ce lieu était une partie de moi-même. Ce sentiment ne m’a jamais quitté.
Pourquoi selon vous ?
Cet attachement trouve son origine dans mon enfance marseillaise.
Au lycée Thiers, comme les gens de ma génération, j’avais étudié le latin à partir de la sixième et le grec à partir de la quatrième. Mon professeur de quatrième nous avait accueillis en disant : « Messieurs, tout ce qui a été dit de beau et de grand l’a d’abord été en grec. » C’était évidemment occidentalo-centré. Nous étions des enfants d’autrefois : nous faisions entre camarades des compétitions entre Athènes et Rome, nous organisions des concours autour de la rivalité entre les deux civilisations. Dans ces joutes enfantines, j’étais toujours passionnément athénien.
Depuis, je n’ai cessé d’être fasciné par la culture grecque. Il est vrai qu’il est facile de tomber dans l’anachronisme en analysant le Ve siècle av. J.-C. avec une perspective du XXIe siècle, en y projetant ses propres fantasmes ou idées. Toutefois, en prenant ces précautions, la littérature grecque m’a toujours semblé aller à l’essentiel de la condition humaine. C’est Antigone, ce sont les mythes de la Grèce, le théâtre d’Eschyle. Dans Les Perses, Eschyle fait parler les ennemis, les vaincus — et le fait avec dignité et respect.
On puise dans ces textes la vision d’un homme face à Dieu, face au malheur, mais aussi libre et maître de son propre destin.
C’est cette Grèce humaniste que j’ai ancrée au plus profond de moi. Aujourd’hui, tous les 29 mai, je suis en deuil de la chute de Constantinople.
C’est aussi la fascination pour Alexandre, le météore qui va fonder une ville à son nom au bout du monde, là où se trouve aujourd’hui l’Ouzbékistan.
Ces souvenirs du grec ancien me permettent aujourd’hui de jouer avec la langue grecque contemporaine, avec affection. Lorsque j’entends « kalimera » (bonjour), je ne peux m’empêcher de penser que « kalos » et « himera » sont des mots qui figuraient dans l’Iliade — il y a trente siècles. Lors de mon premier séjour grec, j’ai vu un journal nommé Kathimerini, que je devinais vouloir dire « le quotidien ». C’est un petit jeu personnel entre la Grèce, la langue grecque et moi.
Tous les 29 mai, je suis en deuil de la chute de Constantinople.
Gérard Araud
Enfin, j’ai été marqué à 15 ans par le film Z de Costa-Gavras, qui m’a fortement ému.
Il raconte l’histoire d’un député de gauche dont l’assassinat par un nervi d’extrême droite est présenté par la police comme un accident. Un jeune juge, joué par Jean-Louis Trintignant, remonte la piste et découvre la vérité. Le film se termine par un coup d’État. On voyait alors apparaître au générique du film la liste des choses que les militaires avaient interdites. Parmi elles, celle des « mathématiques modernes » avait — je ne sais trop pourquoi rétrospectivement — perturbé et marqué l’adolescent que j’étais alors. D’ailleurs, c’est la seule dont je me souvienne.
En somme, je vois dans la littérature et la culture grecques les signes toujours renouvelés d’une humanité universelle, éprise de liberté.
Depuis trente ans, vous passez vos vacances en Grèce sur une île. Quelle est « votre île grecque » ?
En tant que Méditerranéen, je suis incapable de me baigner dans une eau à moins de 24 degrés Celsius : mes vacances ne peuvent donc se dérouler qu’en Grèce ou en Italie. Nous arrivons ici à une seconde Grèce, la Grèce moderne, et à « mon île » — Hydra — où je passe mes vacances depuis trente ans et où je possède une maison.
Hydra est une île très particulière.
Elle illustre une autre facette de l’histoire : l’artificialité des identités nationales, en Grèce comme ailleurs. J’ai fait quelques recherches sur son histoire. Le consul de France de l’époque, qui était basé à Smyrne, la décrivait au début du XIXe siècle comme albanaise ! Beaucoup plus tard, dans le journal du diplomate britannique Nicholson, pendant les négociations du traité de Versailles, je découvre qu’un des représentants de la Grèce, originaire d’Hydra, lui explique qu’au Conseil des ministres de la Grèce, quand il veut dire des choses secrètes à l’un de ses collègues lui-aussi hydriote, il lui parle en albanais.
C’était donc une île dont les populations étaient albanophones mais aussi orthodoxes — et elles écrivaient en grec. Ce phénomène de diglossie, voire de trilinguisme, était courant dans les sociétés paysannes de l’époque. Hydra était donc une île grecque albanophone ce qui rend d’autant plus ironique le fort sentiment de rejet qu’éprouvent aujourd’hui les habitants d’Hydra envers les Albanais actuels. Un ami installé dans l’île depuis un demi-siècle m’a d’ailleurs affirmé avoir connu de vieux habitants albanophones.
À mesure que l’Empire ottoman sombrait dans l’anarchie au XVIIIe siècle, des réfugiés ont quitté le continent pour s’abriter dans l’île. Beaucoup sont devenus commerçants et contrebandiers à la faveur du blocus continental de l’Empire français, qui a contribué à en faire une plaque tournante de la contrebande méditerranéenne.
Hydra, qui compte aujourd’hui 3 000 habitants, a pu alors atteindre une population de 20 000. Lors de l’insurrection contre les Turcs en 1821 par exemple, l’île aurait fourni le tiers de la flotte grecque. Historiquement, il s’agit donc d’une île longtemps prospère, où vivaient des familles d’armateurs qui ont joué un rôle important au cours des premières décennies de la vie politique du pays. Nous avons d’ailleurs acheté notre maison à une famille qui a fourni un Premier ministre et des amiraux à la Grèce à cette époque.
En tant que Méditerranéen, je suis incapable de me baigner dans une eau à moins de 24 degrés Celsius : mes vacances ne peuvent donc se dérouler qu’en Grèce ou en Italie.
Gérard Araud
Hydra est redevenue à la mode dans les années 1960, une sorte de Saint-Tropez grec qui attirait des célébrités comme Jackie Onassis, les Agnelli, des viveurs et des artistes comme Leonard Cohen — dont les enfants possèdent encore une maison sur l’île.
Aujourd’hui, l’île est classée et protégée : il est interdit d’y construire des bâtiments modernes et il n’y a pas de voitures. Tout se fait à pied ou à dos de mulet. C’est pourquoi on mesure l’accessibilité d’une maison au nombre de marches qu’il faut monter pour y accéder. Ma première maison était à 280 marches, celle-ci à 150.
Il n’y a pas une seule faute de goût sur cette île où tout est beau. Nous avons une maison « arkhontiko » pour l’archonte, la maison du seigneur, un « manoir » qui est en fait un simple cube de pierre de deux étages. D’autres maisons contiennent notamment de magnifiques décors peints. Mais la Grèce était pauvre : rien qui ne puisse rivaliser avec nos châteaux.
Quels sont les lieux qui vous sont chers sur Hydra ?
J’aime parcourir le chemin qui suit la côte et mène à un deuxième port.
Il y a également un fort qui a été transformé en restaurant par une de nos amies. Le soir, face à la mer, c’est un plaisir de s’y retrouver et de profiter de sa chaleur grecque si caractéristique.
Dans les années 1960, Hydra était une île bohème et bourgeoise.
Gérard Araud
Il y a aussi des monastères, comme celui situé en haut du mont Eros. La marche pour y accéder est magnifique. On peut y voir des ruines de maisons du XIXe siècle, vestiges d’une époque où l’île comptait une population plus nombreuse. Les coquelicots, un poulet qui court à côté d’un mulet seul, confèrent à certains endroits une atmosphère mélancolique d’abandon.
Les églises de l’île sont belles, mais elles sont souvent fermées, car elles appartiennent à des familles qui ont quitté Hydra. Elles ne s’ouvrent que le jour de la fête du saint, lorsque la famille revient pour l’occasion et offre un cocktail après l’office. Ce sont des moments à ne pas rater puisqu’ils permettent seuls de les découvrir. Or certaines sont couvertes de fresques magnifiques. J’essaye de convaincre le maire de créer un parcours des églises, mais les suggestions de non-insulaires connaissent un succès limité.
Mais c’est à Pâques qu’il faut véritablement découvrir Hydra.
L’île, couverte de fleurs, célèbre la Résurrection dans ce qui est, en réalité, la vraie fête nationale grecque à défaut d’en être l’officielle. Tous les Hydriotes d’origine sont de retour. Le vendredi soir, chaque paroisse suit à travers les rues de l’île la procession derrière « l’épitaphe », le symbole du tombeau du Christ. L’une d’entre elles se rend à un petit port où les porteurs entrent dans l’eau jusqu’au torse tandis qu’ils sont bénis du rivage. Je me rappelle alors que, dans l’Antiquité, on faisait de même au printemps avec la statue d’Isis pour marquer le retour de la navigation. Le samedi soir, tout le monde se retrouve dans la cathédrale, un cierge éteint à la main, qu’on allume à minuit lorsque le prêtre qui lit l’Évangile de la Résurrection s’exclame : « Xristos anesti ! » (Le Christ est ressuscité !) — auquel on répond : « Alithos anesti » — Il est vraiment ressuscité. C’est un moment de joie auquel tous, jeunes et vieux, croyants et incroyants, participent. Le dimanche, enfin, c’est la fête dans les rues. On danse, on chante et on boit, tout en dégustant les plats traditionnels. De la musique et des danses grecques, bien sûr, et une ambiance bon enfant.
C’est aussi une île connue pour avoir été celle de Leonard Cohen.
Dans les années 1960, Hydra était une île bohème et bourgeoise.
Leonard Cohen faisait partie de ce cercle. Lorsque la marée se retire, elle laisse des traces et de même, lorsque je suis arrivé sur l’île en 1995, il en restait encore de cette époque, avec des Anglais et des Américains qui y vivaient toujours. J’ai acheté ma première maison à un couple d’Australiens, les derniers survivants de cette époque.
Quelles sont vos lectures grecques ? Quelles traductions recommandez-vous ?
Il y a une intemporalité humaine dans la culture grecque : l’apparition d’Œdipe sur scène après s’être aveuglé, le récit des malheurs de la reine Atossa, dans Les Perses sont intemporels. Les traductions modernes n’ont pas toujours rendu justice à ces textes.
L’été dernier, je relisais L’Iliade. J’étais bouleversé par la richesse, la poésie des comparaisons. « Comme on voit les abeilles, par troupes compactes, sortir d’un antre creux, à flots toujours nouveaux, pour former une grappe, qui bientôt voltige au-dessus des fleurs du printemps, tandis que beaucoup d’autres s’en vont voletant, les unes par-ci, les autres par-là ; ainsi, des nefs et des baraques, des troupes sans nombre viennent se ranger, par groupes serrés, en avant du rivage bas, pour prendre part à l’assemblée » 1 en permanence, on trouve des références à la nature d’une très grande intensité.
Je pense aussi à : « Ah que je meurs et que la terre à jamais me recouvre, plutôt que d’entendre tes cris et te voir enlever. »
Ma traduction préférée est celle des éditions Actes Sud, que je trouve vraiment excellente, par Frédéric Mugler.
J’ai aussi lu trois fois La Guerre du Péloponnèse de Thucydide.
La première fois, on saute les discours pour y voir une histoire de batailles. Maintenant, je lis surtout les discours, car c’est un véritable cours de morale et de géopolitique. On y trouve le fameux discours mélien dans lequel les Athéniens disent aux Méliens : « Vous avez le droit de votre côté, mais ce sont les forts qui imposent leur volonté aux faibles ». Le recours contemporain régulier à Thucydide est à cet égard révélateur — puisqu’il vivait à un monde de fer, où l’on massacrait sans hésiter les prisonniers.
Avant, je transportais dix kilos de livres, mais grâce à ma liseuse, la montée des 150 marches est désormais plus facile.
Gérard Araud
En ce qui concerne La guerre du Péloponnèse, Donald Kagan, père de Robert Kagan, en a écrit un commentaire extrêmement détaillé et passionnant en quatre volumes : The Outbreak of the Peloponnesian War (CUP, 1969), The Archidamian War (CUP, 1974), The Peace of Nicias and the Sicilian Expedition (CUP, 1981), The Fall of the Athenian Empire (CUP, 1987).
Cette œuvre remarquable a été publiée récemment en quatre volumes aux Belles Lettres.
Quels sont vos conseils de lecture sur la Grèce ?
Je recommande chaudement Battling the Gods. Atheism in the Ancient World, de Tim Whitmarsh, que je lisais récemment (Faber & Faber, 2017).
Il y explique qu’au Ve siècle avant Jésus-Christ, dans les cités de l’Ionie grecque, on parlait d’un monde sans dieu. Le dieu d’Aristote lui-même est si éloigné qu’on peut se demander s’il existe vraiment.
L’Antiquité est fascinante, car elle ne correspond pas à ce qu’on pourrait imaginer.
C’est pourquoi les livres d’histoire antique sont aussi importants. Je raffole bien entendu de L’Empire gréco-romain de Paul Veyne, qui montre comment la grandeur de la Grèce a survécu à la chute d’Athènes, et de Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ? Comme le dit la phrase célèbre d’Horace : « La Grèce vaincue a conquis son vainqueur. » Les derniers mots de Jules César furent dits en grec : « Kai su, teknon » (Toi aussi, mon enfant). Même Caton l’Ancien avait fini par apprendre le grec.
Une grande douleur pour moi est que nous ayons perdu la peinture de l’Antiquité.
Gérard Araud
Récemment, je lisais aussi de Paulin Ismard le très beau La démocratie contre les experts, dans lequel il montre en somme que les énarques de l’époque étaient en fait des esclaves. Certains disent qu’il exagère, mais je trouve son travail passionnant. Paulin Ismard a également co-écrit avec Vincent Azoulay Athènes 403. Une histoire chorale, qui m’avait particulièrement plu.
Dans un registre plus léger, j’ai fort goûté récemment à Courtesans and Fishcakes. The Consuming Passions of Classical Athens, de James Davidson, qui revient notamment sur la vie quotidienne des Grecs, la consommation, parfois excessive, de poisson et d’alcool dans la Grèce antique…
Avant, je transportais 10 kilos de livres, mais maintenant, grâce à ma liseuse, la montée des 150 marches est plus facile.
Vous avez également un attachement particulier à la peinture grecque.
En Grèce, les musées sont magnifiques. Par exemple, le musée de l’Acropole à Athènes a une frise complète, y compris les parties qui sont au British Museum. Le musée archéologique d’Athènes est également magnifique.
Une grande douleur pour moi est que nous ayons perdu la peinture de l’Antiquité. Un professeur disait que connaître la peinture antique à travers les fresques de Pompéi, c’est comme connaître la peinture française à travers la décoration de Deauville. La perspective n’a pas été inventée au XVe siècle, mais existait déjà sous une forme particulière dans l’Antiquité.
On voit réapparaître les personnages de l’Antiquité dans les peintures byzantines, représentés en volume, mais pas dans un espace volumétrique. C’est intéressant de voir cette survivance de la peinture antique qui passe par la Grèce et revient finalement par Sienne, avec une forte influence de l’art grec.
Quel regard portez-vous sur la Grèce moderne ?
Je parlais du miracle grec, mais en tant que passionné d’histoire, je vois aussi une tragédie grecque, qui me plonge dans une certaine mélancolie.
Cet hellénisme, qui s’est étendu à l’époque d’Alexandre jusqu’en Afghanistan et en Inde, a vu la langue grecque devenir celle de la Palestine et de la Syrie au temps du Christ avec l’araméen. Même l’Anatolie était entièrement grecque. On ne trouve pas de textes non-grecs en Anatolie à partir du VIe siècle. Cet hellénisme se rétrécira peu à peu comme une peau de chagrin. Il y a eu la phase ottomane — la turcocratie comme on dit en grec — qui a permis la survie au moins partielle de l’hellénisme, grâce à une association inégale et parfois douloureuse dans le cadre d’un empire multiculturel, multi-religieux et multi-ethnique. Au XIXe siècle, cet hellénisme diasporique a été pris en étau entre les nationalismes grec et turc. Il a été balayé. Ce sont les tragédies du XXe siècle : l’expulsion des Grecs d’Anatolie et le massacre des Grecs du Pont.
À la radio, j’aime n’entendre que de la musique grecque.
Gérard Araud
Il est vrai que les Grecs en 1920 ont eu la mauvaise idée d’essayer d’envahir la Turquie, profitant de la chute de l’Empire ottoman, pour reconstituer l’Ionie. Ils ont été battus par Mustafa Kemal. Plus d’un million de Grecs ont été expulsés, alors que la Grèce en 1920, un pays pauvre, qui les a accueillis comptait seulement quatre millions et demi d’habitants. Ensuite, est venue la tragédie chypriote en 1974 là encore à la suite d’une initiative malheureuse grecque. Le résultat est ce petit pays de 10 millions d’habitants. J’éprouve donc une certaine tristesse, en observant la Grèce contemporaine avec l’idée du passé glorieux que je connais.
Quelles sont les coutumes que vous appréciez tout particulièrement, lors de vos vacances grecques ?
Je trouve charmante la permanence d’une culture nationale forte en Grèce.
On pourrait imaginer ce petit pays soumis à une forte influence étrangère, mais ce n’est pas le cas. À la radio, j’aime n’entendre que de la musique grecque. Les Grecs ont encore tous ces liens avec les villages, les maisons, les grands-mères, les grands-tantes.
Quels sont les autres lieux, en Grèce, que vous appréciez particulièrement ?
J’ai toujours commencé par dire qu’en Grèce, on n’est jamais loin de la mer, toujours à 30 ou 50 kilomètres tout au plus. Je suis particulièrement sensible à cette Grèce des îles.
Dans le Péloponnèse, je pense à Mystras, un site extraordinaire perché au-dessus de Sparte, qui fut le dernier bastion byzantin à tomber — trois ou quatre ans après la chute de Constantinople.
Cependant, certains endroits à l’intérieur des terres sont un peu défigurés. Il y a des usines mal placées. Mais ce qui caractérise la Grèce, ce sont ses paysages et surtout la mer. La Grèce, c’est la mer.
Je n’ai toujours pas résolu le problème suivant : en grec ancien, il n’existe pas de mot pour désigner la couleur bleue. Chaque fois que je suis face à la mer, je me demande : comment faisaient-ils ? Lorsque vous lisez l’Iliade et l’Odyssée, l’eau est décrite comme couleur de vin, verte, noire — jamais bleue.
En tant qu’hellénophile, comment avez-vous vécu la crise économique grecque en 2008 ?
Cette expérience fut douloureuse. La manière dont la Grèce a été traitée est honteuse. En gros, nos banques ont été remboursées. L’argent des contribuables européens est allé au Crédit Agricole ou à la Deutsche Bank, remboursant les folies des banquiers français et allemands.
Pour les Grecs, ce fut une tragédie. La retraite d’une amie est passée de 900 à 600 euros. Des gens pleuraient, d’autres sont partis en Allemagne, en Espagne, aux États-Unis.
En grec ancien, il n’existe pas de mot pour désigner la couleur bleue. Chaque fois que je suis face à la mer, je me demande : comment faisaient-ils ?
Gérard Araud
Les Allemands n’ont pas voulu faire ce qu’il fallait, c’est-à-dire un bail-out. Les Européens auraient pu le faire une bonne fois pour toutes, mais ils ont préféré faire souffrir les Grecs, les stéréotypant comme des fainéants profitant du soleil.
En 2009, on avait l’impression qu’une guerre civile venait d’avoir lieu. Un magasin sur deux était fermé. Les gens allaient très mal.