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20.11.2024 à 19:56

« Poutine pourrait bombarder le bureau du président Zelensky » : après les ATACMS, les nouvelles « lignes rouges » du Kremlin

Matheo Malik

Vue de Russie, la décision sur les ATACMS est-elle un tournant ?

L’autorisation fournie par l’administration Biden à l’Ukraine de frapper le sol russe avec des missiles américains est la dernière d’une longue série de « lignes rouges » franchies depuis février 2022. Si cette nouvelle capacité ne provoquera pas un bombardement russe des États-Unis ou de la Pologne, elle est susceptible de conduire à des attaques russes contre l’Ukraine encore plus brutales selon l’analyste Anton Barbašin interrogé par Meduza dans cet entretien inédit.

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Texte intégral (4086 mots)

Mardi 19 novembre, le ministre russe de la Défense a déclaré que les forces armées ukrainiennes avaient attaqué la région de Briansk avec six fusées ATACMS, missiles supersoniques pouvant atteindre une portée de 300 kilomètres. Pour leur part, les médias ukrainiens ont objecté que l’état-major du pays « ne disposait d’aucune information sur cette frappe » — bien que l’agence de presse RBK-Ukraina, s’appuyant sur une source anonyme, ait auparavant évoqué l’usage de ces missiles. Cette frappe faisait immédiatement suite à l’annonce, la veille, de la décision du président des États-Unis Joe Biden autorisant Kiev à effectuer de telles attaques, en réponse aux demandes répétées de Volodymyr Zelensky en ce sens.

Le même jour, le président de la Fédération de Russie signait un oukase sur la dissuasion nucléaire apportant des modifications substantielles à la version antérieure du texte, datée de juin 2020. Les ajouts en question se veulent menaçants  : ils ont essentiellement pour objet de souligner que toute aide militaire apportée par l’Occident à l’Ukraine qualifient ce dernier, aux yeux de la Russie, comme un cobelligérant, susceptible à ce titre de faire l’objet de représailles nucléaires. Le 9e paragraphe de l’oukase s’est ainsi vu adjoindre la précision suivante  : « La dissuasion nucléaire s’applique également aux États qui mettent à disposition leur territoire, leur espace aérien et/ou maritime, ainsi que leurs ressources en vue de la préparation ou de la mise en œuvre d’une agression contre la Fédération de Russie ».

Deux autres paragraphes importants de cette nouvelle mouture du texte ont vocation, quant à eux, d’annoncer à l’OTAN et à l’Union que toute attaque de l’un de leurs États membres à l’encontre de la Fédération de Russie appellerait des représailles contre l’ensemble des pays du Traité ou de l’Union  :

10. Une agression déclenchée par tout État membre d’une coalition militaire (bloc, union) contre la Fédération de Russie et/ou ses alliés sera considérée comme déclenchée par cette coalition (bloc, union) dans son ensemble.

11. Une agression contre la Fédération de Russie et/ou ses alliés déclenchée par tout État non doté d’armes nucléaires, avec la participation ou le soutien d’un État doté d’armes nucléaires sera considérée comme une attaque conjointe de ces deux États.

Pour éclairer cette situation, Anton Barbašin, analyste politique et directeur de rédaction du centre d’analyses Riddle, a donné un entretien au média d’opposition Meduza sur la manière dont le recours aux missiles américains longue portée en direction du territoire russe pourrait altérer le cours de la guerre.

Les autorités ukrainiennes ont inlassablement demandé aux dirigeants occidentaux l’autorisation de faire usage de missiles longue portée à l’encontre du territoire de la Fédération de Russie. Toutes ces demandes se sont vu opposer un refus net. Pourquoi les pays occidentaux, à commencer par les États-Unis, refusaient-ils d’envisager cette possibilité  ?

Ils craignaient tout d’abord une escalade côté russe et avaient du mal à percevoir clairement où se situaient les « lignes rouges » si souvent évoquées par Sergueï Lavrov, Vladimir Poutine et d’autres responsables russes. Je pourrais dénombrer une quinzaine de ces « lignes rouges » qui ont d’ores et déjà été franchies depuis le début du conflit  : la livraison à l’Ukraine de chars occidentaux et de systèmes de missiles HIMARS, mais aussi les frappes sur les territoires de Crimée annexés en 2014, la livraison d’avions F-16, ou encore les envois de chars soviétiques ou de MiG d’Europe centrale et orientale.

Je rappelle que le principe même d’une aide militaire directe à l’Ukraine représentait, à l’origine, une « ligne rouge », tout comme les incursions des forces ukrainiennes sur le territoire de la Fédération de Russie, que le Kremlin a aussitôt interprétées comme une manœuvre rendue possible par le renseignement, les instructions et les conseils des Occidentaux. Le recours aux données des services de renseignement occidentaux pour cibler les troupes russes était d’ailleurs, aux yeux de la Russie, une autre limite à ne pas outrepasser.

Or, toutes ces lignes rouges ont été franchies les unes après les autres, puis oubliées, au point que personne ne semble se souvenir qu’elles ont existé il y a peu de temps encore. Toutefois, les frappes directes sur le territoire russe demeuraient perçues par les dirigeants occidentaux comme une limite d’une tout autre nature  : d’où leur véto adressé à l’Ukraine.

L’armée ukrainienne avait déjà utilisé avant l’attaque du 19 novembre dans l’oblast de Briansk des missiles occidentaux (notamment Storm Shadow/Scalp) afin de frapper des cibles situées en Crimée, considérée par Moscou comme faisant partie intégrante de son territoire.

L’un des éléments qui ont fait évoluer la situation a été la participation de militaires nord-coréens à la guerre en Ukraine. Pour l’heure, nous n’avons pas connaissance des objectifs concrets qui leur ont été assignés, mais personne ne nie le fait qu’ils reçoivent une formation militaire en Russie et participent aux combats qui ont lieu dans la région de Koursk. Par son recours aux effectifs de la Corée du Nord, la Fédération de Russie a donc impliqué un pays tiers dans l’équation. Les dernières informations disponibles indiquent que la Corée du Nord serait prête à envoyer jusqu’à 100 000 soldats sur le front ukrainien. Cela représenterait un réel tournant pour la guerre, d’autant plus que le manque de soldats disponibles est aujourd’hui un problème majeur tant pour l’Ukraine que pour la Russie.

Le principe même d’une aide militaire directe à l’Ukraine représentait, à l’origine, une « ligne rouge », tout comme les incursions des forces ukrainiennes sur le territoire de la Fédération de Russie.

Anton Barbašin

À mon sens, le calcul des pays occidentaux est le suivant  : si rien ne vient empêcher cette expérience que tente Vladimir Poutine avec un premier contingent de 10 000 soldats nord-coréens, et si, de surcroît, cette expérience se révèle fructueuse, la Russie pourra les déployer non seulement à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues, mais aussi sur les territoires qu’elle occupe en Ukraine. L’Occident souhaite donc éviter cette participation directe d’un pays tiers dans ce conflit bilatéral — d’autant plus à proximité des frontières de l’OTAN.

L’arrivée sur le front de Koursk de militaires nord-coréens ces dernières semaines constitue l’une des escalades les plus significatives depuis le lancement de l’invasion à grande échelle en février 2022. Jusqu’à présent, aucun pays n’avait envoyé de combattants sur la ligne de front pour soutenir Moscou ou Kiev.

On entend dire que Joe Biden aurait pu autoriser l’Ukraine à employer les missiles longue portée pour des frappes visant la région de Koursk en raison de la défaite des démocrates aux élections états-uniennes, afin qu’il soit plus difficile pour à Donald Trump d’interrompre l’aide apportée à l’Ukraine dans un futur proche. Qu’en pensez-vous  ?

L’élection de Donald Trump et l’ensemble de sa rhétorique en direction de l’Ukraine ont assurément été un facteur de poids dans cette décision. Si l’on en croit les journalistes américains, Donald Trump aurait demandé à Vladimir Poutine, lors d’une conversation récente, de faciliter son rôle de médiateur en n’aggravant pas d’ici-là la situation en Ukraine.

Il est tout à fait possible que, d’ici l’investiture de Donald Trump le 20 janvier, la situation sur le terrain change du tout au tout. Si l’Ukraine persiste à viser le territoire de la Russie avec des missiles ATACMS, la Russie multipliera les attaques contre les infrastructures civiles et énergétiques ukrainiennes. Ainsi, l’escalade militaire, l’intensification des représailles russes et l’augmentation du nombre de victimes civiles rendraient impossible tout revirement du côté de Donald Trump en matière d’aide à l’Ukraine  : il se verrait factuellement contraint de poursuivre la ligne Biden.

Les États-Unis ont-ils les moyens, en tant que fournisseurs de ces armes, d’imposer des restrictions au niveau des cibles à attaquer ?

Il semblerait que les conditions posées par les États-Unis autorisent à prendre pour cible uniquement les zones qui constituent actuellement un théâtre d’opérations militaires, comme la région de Koursk, tout en interdisant les frappes en profondeur sur le territoire russe. Comme c’est le cas pour toute aide militaire ou toute livraison de matériel de la part de l’Occident, la principale restriction porte sur la nature de ces cibles, laquelle doit être exclusivement militaire.

Avec 56,8 milliards d’euros entre janvier 2022 et fin août 2024, les États-Unis sont les principaux contributeurs à l’assistance militaire à l’Ukraine. Depuis le lancement de l’invasion russe à grande échelle, l’administration démocrate, appuyée par le Congrès, s’est « débarrassée » des procédures qui limitaient et ralentissaient l’assistance militaire que Washington est en mesure de fournir à des pays faisant face à des situations d’urgence.

Les sociétés occidentales sont des sociétés démocratiques dans lesquelles tout se déroule sous le regard et la surveillance des électeurs. Si une frappe d’un missile ATACMS entraînait d’importantes pertes civiles en Russie, cela aurait des répercussions politiques énormes en Occident. Aussi les cibles militaires sont-elles les seules considérées comme légitimes, qu’il s’agisse des bases militaires, des centres logistiques ou des points de concentration de troupes.

Si l’Ukraine persiste à viser le territoire de la Russie avec des missiles ATACMS, la Russie multipliera les attaques contre les infrastructures civiles et énergétiques ukrainiennes.

Anton Barbašin

Est-il possible, à votre avis, que l’Ukraine soit autorisée à diriger ses missiles sur les infrastructures énergétiques russes  ?

Non. Tous les dommages infligés aux dépôts de carburant et usines de raffinage sur le territoire russe ont été le résultat d’attaques de drones, de saboteurs, d’agents recrutés par l’Ukraine ou des services spéciaux ukrainiens. Il ne fait aucun doute que l’usage d’armements américains en direction d’infrastructures civiles poserait de sérieux problèmes. Tout porte donc à croire que les autorisations se limiteront strictement aux cibles militaires.

En mars 2024, face à la crainte de la répercussion de l’augmentation du prix du brut sur le gallon d’essence payé par les Américains après des frappes de drones ukrainiens sur le secteur pétrolier russe, la Maison-Blanche avait « exhorté l’Ukraine à cesser ses attaques contre les infrastructures énergétiques russes ». Au-delà de l’impact de ces attaques sur les marchés, l’administration démocrate avait également mis en garde Kiev contre des risques de « représailles » de la part de la Russie.

En réponse, la Russie n’ira pas bombarder les États-Unis ou la Pologne. Elle visera plutôt les infrastructures ukrainiennes elles-mêmes. Les cibles potentielles au niveau des infrastructures civiles en Ukraine sont loin d’avoir été épuisées, sans compter qu’il reste encore un certain nombre de « centres de décision » que la Russie pourrait prendre pour cible — Vladimir Poutine pourrait envoyer quelques missiles directement sur le bureau du président Zelensky, rue Bankova.

Il est évident pour l’Ukraine, comme pour les pays occidentaux d’ailleurs, que la Russie peut tout à fait poursuivre la guerre en cours, en lui donnant un aspect encore plus brutal. Il est clair aussi que si l’Ukraine s’en tient à des cibles strictement militaires, avec des moyens militaires, la réaction russe sera un peu moins brutale.

Il ne fait aucun doute que l’usage d’armements américains en direction d’infrastructures civiles russes poserait de sérieux problèmes.

Anton Barbašin

Tout le problème ici est que les frontières sont floues. Souvent, lorsque la Russie annonce avoir effectué des frappes sur une cible militaire en Ukraine, il se trouve que ses missiles s’abattent sur des habitations civiles [comme, il y a dix jours, cet immeuble entièrement détruit à Kryvyï Rih, dans la région de Dnipropetrovsk]. Il est toujours difficile de savoir si cela a été fait intentionnellement, s’il s’agit d’une erreur de ciblage ou encore d’un débris de missile intercepté. Quoi qu’il en soit, il est probable que ces erreurs, délibérées ou non, se multiplient en cas d’attaques ukrainiennes contre des cibles civiles en territoire russe.

Quelles pourraient être les conséquences si l’Ukraine décidait tout de même d’employer ses missiles pour viser non seulement des zones frontalières, mais aussi d’autres territoires russes  ?

L’Occident reste maître de la situation  : l’Ukraine dépend directement de la poursuite des livraisons d’armement, d’autant plus qu’elle est loin d’avoir reçu l’intégralité de l’aide promise par Joe Biden. Le principal mécanisme de dissuasion consisterait à suspendre les livraisons à venir ainsi que l’aide financière. L’ensemble du processus peut être interrompu à tout moment, et l’Ukraine se verrait privée d’une aide sur laquelle elle compte déjà.

Fin octobre, les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales des pays du G7 ont finalisé l’accord qui permettra de débloquer un prêt de 50 milliards de dollars à Kiev d’ici la fin de l’année. Concrètement, les soutiens de l’Ukraine ayant contribué au prêt devraient utiliser les bénéfices générés par les 280 milliards de dollars d’actifs de la Banque centrale russe gelés dans les pays du G7 (majoritairement dans l’Union) afin de rembourser leurs contributions. Selon nos estimations, ces actifs pourraient générer jusqu’à 5 milliards d’euros par an.

Au début de l’automne, Vladimir Poutine annonçait que l’emploi de missiles américains en direction du territoire de la Fédération de Russie serait interprété comme une participation directe de l’OTAN à la guerre. Maintenant que ce scénario prend forme, comment la Russie peut-elle y réagir  ?

La Russie avait déjà déclaré qu’elle considérait l’Occident comme pleinement impliqué dans cette guerre, ne serait-ce qu’en raison de son partage de données du renseignement militaire avec l’Ukraine. Je pense que la Russie a les moyens techniques d’aggraver la situation  : elle pourrait s’en prendre aux voies d’approvisionnement en armes occidentales entre la Pologne et l’Ukraine, c’est-à-dire réaliser des frappes dans les environs de Lviv. Elle pourrait aussi intensifier ses bombardements sur Kiev, d’autres villes, ou les infrastructures militaires. Elle pourrait décider de viser encore moins précisément qu’aujourd’hui ses différentes cibles ou multiplier les actes de sabotage ou les cyberattaques en Europe. Si la situation continuait à dégénérer, allant jusqu’au seuil de la guerre nucléaire, la Russie pourrait déclencher une catastrophe technologique pour paralyser temporairement l’ensemble des opérations.

Quoi qu’il en soit de ces divers scénarios, le plus probable est à mon avis une poursuite de la tendance actuelle, avec une destruction accrue d’infrastructures civiles et une aggravation du bilan humain.

Il y a trois jours de cela, le chancelier allemand Olaf Scholz a téléphoné à Vladimir Poutine (pour la première fois en près de deux ans). À en croire les informations de Bild, cet appel téléphonique a été approuvé par d’autres dirigeants occidentaux et le président Zelensky en avait lui aussi été informé. Or, cette temporalité coïncide avec le moment où les États-Unis ont informé l’Ukraine de la décision de Joe Biden concernant l’usage des missiles longue portée dans la région de Koursk. Enfin, c’est précisément après cet appel de Scholz que l’Ukraine a subi le bombardement le plus intense de ces trois derniers mois. Pensez-vous que ces trois événements soient connectés  ?

C’est tout à fait possible, mais nous n’en saurons rien tant que les documents pertinents n’auront pas été déclassifiés. Je n’ai pas d’informations internes à ce propos, mais je dois dire que, dans l’ensemble, cet appel téléphonique m’a semblé étrange. D’après les éléments disponibles sur le site du Kremlin, Vladimir Poutine aurait tout simplement répété à Scholz ses conditions habituelles  : « Tout ce conflit est une agression de l’OTAN, nous exigeons une capitulation totale de l’Ukraine ».

J’ai du mal à saisir la logique de Scholz, qui risque fort de perdre son poste. Quel était le but de ce coup de fil  ? Qu’espérait-il en retirer  ? Il y a là quelque manœuvre diplomatique sur laquelle nous manquons cruellement d’informations pour établir l’enchaînement précis des événements.

Peu de temps avant de contacter Vladimir Poutine, Olaf Scholz s’est également entretenu avec Donald Trump, qui affirme vouloir endosser un rôle de médiateur dans les négociations de paix. Comment, selon vous, la décision de Joe Biden sur les missiles longue portée pourrait-elle influencer la position de la Russie au niveau de ces négociations  ?

J’ignore en quoi consiste le plan de paix de Donald Trump, mais je doute qu’il facilite significativement les choses pour Vladimir Poutine. En l’état, si l’on en juge par les dernières déclarations, il semblerait que les États-Unis soient réellement déterminés à réduire l’aide accordée à l’Ukraine, à condition que la Russie accepte des concessions. Or on ne voit à l’heure actuelle aucun signe de compromis du côté de Moscou.

Si l’on en juge par les dernières déclarations, il semblerait que les États-Unis soient réellement déterminés à réduire l’aide accordée à l’Ukraine, à condition que la Russie accepte des concessions. Or on ne voit à l’heure actuelle aucun signe de compromis du côté de Moscou.

Anton Barbašin

Vladimir Poutine démontre de toutes les façons possibles qu’il ne compte absolument pas renoncer à ses exigences originelles, dont l’obtention d’un statut neutre pour l’Ukraine et la « rétrocession » des territoires que la Russie considère comme siens. Il est clair qu’en dépit des pertes considérables qu’elle enregistre, l’armée russe progresse sur le terrain  : or, son but n’est clairement pas de consolider la ligne de front existante et de s’arrêter là.

Je ne crois pas que l’équipe de Donald Trump dispose d’ores et déjà d’un plan de paix bien établi. Nous avons bien vu l’ancien président des États-Unis se réconcilier avec la Corée du Nord lors de son précédent mandat  : il avait fait le déplacement, s’était fait prendre en photo avec Kim Jong-un, mais est-ce que cela a changé quoi que ce soit au comportement de la Corée du Nord  ? Pas du tout.

Début septembre, le colistier de Donald Trump, J.D. Vance, avait dévoilé ce que pourrait être le plan du candidat pour « mettre fin à la guerre en Ukraine en 24 heures », comme celui-ci l’a répété à de multiples occasions. Lors du débat contre Harris, Trump était allé plus loin en avançant que, s’il est élu, il mettrait fin au conflit « avant même de devenir président » — ce qui ne s’est, de toute évidence, pas produit, deux semaines après son élection.

Vance avait alors déclaré : « Je pense donc que Trump va s’asseoir et dire aux Russes, aux Ukrainiens et aux Européens : vous devez déterminer à quoi ressemble un règlement pacifique. Et cela ressemble probablement à quelque chose comme : la ligne de démarcation actuelle entre la Russie et l’Ukraine devient une sorte de zone démilitarisée. Elle sera lourdement fortifiée afin que les Russes ne l’envahissent pas à nouveau et que l’Ukraine conserve sa souveraineté indépendante. La Russie obtient la garantie de neutralité de l’Ukraine, elle n’adhère pas à l’OTAN, à ce genre d’institutions alliées ».

Ainsi, même avant l’autorisation d’utiliser les missiles ATACMS, je craignais que les tentatives de Donald Trump n’aboutissent à rien. Il fera son possible, ce sera un échec et tout continuera comme avant.

En d’autres termes, vous pensez que la probabilité que la Russie soit prête à revoir ses conditions préalables à un accord de paix est proche de zéro  ?

La Russie pourrait accepter certains compromis, par exemple au niveau de l’armement et du matériel militaire que l’Ukraine serait autorisée à conserver après un accord de paix, mais ces accommodements ne pourraient concerner que des points secondaires. Les exigences essentielles de la Russie ne concernent pas tellement les territoires ukrainiens (d’autant qu’il s’agit aujourd’hui de véritables champs de ruines), mais bien plutôt la neutralité de l’Ukraine et son désarmement. Or, je vois mal comment l’Ukraine pourrait accepter ces conditions. On peut aussi se demander quelles garanties empêcheraient la Russie de relancer les hostilités dans un futur proche, pour renverser Zelensky ou s’emparer de Kiev.

Il est peu probable que la Russie revoit ses exigences au niveau de la neutralité et du contrôle de fait d’une partie de la souveraineté ukrainienne. Pourquoi de tels torrents de sang seraient-ils versés aujourd’hui, si Vladimir Poutine devait, à terme, se retrouver face à un État ukrainien fort, prêt à reconquérir ses territoires  ? Si cela ne se produit pas de son vivant, c’est toutefois ce qui ne manquera pas d’arriver après sa mort.

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20.11.2024 à 19:17

Aux États-Unis et en Europe, la production d’obus a considérablement augmenté depuis l’invasion de l’Ukraine de 2022

Marin Saillofest

En plus de 1 000 jours de guerre, les États-Unis ont plus que multiplié par 3 leurs capacités de production d’obus d’artillerie, qui est passée de 14 000 au début de l’invasion de l’Ukraine à 50 000 aujourd’hui. Les pays européens ont quant à eux envoyé près d’un million d’obus à Kiev depuis mars 2023.

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Texte intégral (1096 mots)

En février 2022, lorsque la Russie a lancé son invasion à grande échelle de l’Ukraine, les États-Unis ne produisaient que 14 000 obus de 155mm par mois — soit l’équivalent de ce que l’armée russe tire aujourd’hui en deux jours. Alors que le conflit a progressivement évolué vers une guerre de position, au sein de laquelle l’artillerie joue un rôle central, les soutiens de l’Ukraine ont dû prélever dans leurs réserves afin d’envoyer des obus à Kiev.

  • Après 1 000 jours de guerre, le nombre d’obus envoyés par les Européens et les Américains à l’Ukraine se compte en millions. À eux seuls, les États-Unis ont envoyé 3 millions d’obus depuis le lancement de l’invasion russe.
  • L’objectif de l’Union européenne fixé en mars 2023 d’envoyer à Kiev un million d’obus d’ici mars (il y a huit mois) sera quant à lui atteint d’ici la fin de l’année, selon Josep Borrell 1.

La production américaine, qui est aujourd’hui de 50 000 obus par mois (soit plus de trois fois supérieure à ses niveaux pré-février 2022), devrait atteindre 100 000 unités d’ici fin 2025, selon le sous-secrétaire d’État américain à la défense chargé des acquisitions et du soutien, William LaPlante 2. L’augmentation de la cadence de production a notamment été rendue possible par les crédits alloués par le Congrès à divers programmes, dont le Defense Production Act (DPA) et l’Ukraine Security Assistance Initiative (USAI) 3.

  • Les productions européennes et américaines, qui ont connu une augmentation significative depuis 2022, restent toujours en-deçà des besoins de l’Ukraine — et des capacités russes, qui est en mesure de produire environ 3 millions d’obus par an, selon des estimations de l’OTAN 4.
  • Certains industriels européens ont cependant réalisé des efforts considérables : Rheinmetall a récemment annoncé avoir multiplié par 10 sa production d’obus de 155 mm depuis le début de l’invasion russe en 2022 — passant de 70 000 à 700 000 aujourd’hui.

L’augmentation des capacités des soutiens de l’Ukraine a contribué à réduire significativement l’écart entre le nombre d’obus que l’armée russe et l’armée ukrainienne sont en mesure de tirer sur le front. De 1 obus ukrainiens pour 8 obus russes tirés au cours de l’hiver dernier, ce rapport est passé à 1 pour 3, selon le vice-ministre ukrainien de la Défense Ivan Havryliuk 5.

  • La Russie, malgré une production supérieure à celle des États-Unis et des pays européens, fait elle aussi face à des difficultés : la moitié des obus qu’elle tire en Ukraine sont désormais fournis par la Corée du Nord 6.
  • Séoul estime que la Corée du Nord avait envoyé 5,2 millions d’obus en Russie à la mi-juillet 2024 — un chiffre probablement encore plus important aujourd’hui 7.
  • Moscou a également fait appel à Pyongyang pour renforcer ses effectifs afin de repousser les forces ukrainiennes dans l’oblast de Koursk.

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20.11.2024 à 12:30

Depuis 1850, la Chine a émis plus de CO₂ que l’Union européenne

Marin Saillofest

L’an dernier, pour la première fois, les émissions historiques cumulées de CO₂ rejetées par la Chine ont dépassé celles des pays européens. Depuis que la liste des « pays développés » contribuant aux financements climats a été fixée en 1992, les émissions chinoises ont crû considérablement, tandis que celles des pays européens ont ralenti. À Bakou, où la COP29 est en cours, la Chine négocie toujours dans le bloc des « pays en développement ».

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À Rio de Janeiro, en juin 1992, un texte-clef a été adopté par 154 pays : la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Ce document, signé aujourd’hui par 198 Parties, reconnaissait le rôle historique joué par les « pays développés » dans la pollution planétaire depuis le XIXe siècle. Ces derniers s’accordaient alors sur la nécessité de « fournir des ressources financières nouvelles et additionnelles pour couvrir la totalité des coûts convenus encourus par les pays en développement » 1.

  • Suite au retrait de la Turquie en 2001, 23 pays figurent depuis sur la liste dite de « l’Annexe I » : 18 pays européens, l’Australie, le Canada, les États-Unis, le Japon et la Nouvelle-Zélande.
  • En 2009, à Copenhague, ces derniers se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 pour financer la lutte contre le changement climatique dans les pays les plus pauvres. Cet objectif a été atteint pour la première fois en 2022.

Le montant des financements climats fait l’objet d’intenses discussions à la COP 29, qui se déroule en ce moment en Azerbaïdjan. Depuis que la première cible a été fixée en 2009, le montant estimé nécessaire pour financer la transition a considérablement augmenté, et se situerait aujourd’hui entre 500 et 1 000 milliards par an. À Bakou, la cible de 200 milliards actuellement en discussion a été fermement rejetée par les principaux pays en développement 2.

La Chine, dont les émissions cumulées de CO₂ depuis 1850 ont dépassé pour la première fois l’an dernier celles de l’Union européenne, fait partie des pays « en développement » ayant qualifié cette cible « d’inacceptable ».

  • Selon les chiffres de la dernière mise à jour du jeu de données coordonné par le chercheur de l’université d’East Anglia Matthew Jones, la Chine a émis dans l’atmosphère 316 gigatonnes d’équivalent CO₂ depuis le milieu du XIXe siècle, contre 307 pour les pays européens 3.
  • Les États-Unis demeurent de loin le premier émetteur historique de CO₂, avec 536 GtCO₂eq depuis 1850. Les projections basées sur les chiffres du scénario STEPS de l’Agence internationale de l’énergie suggèrent que la Chine devrait cependant rattraper les États-Unis — sans pour autant les dépasser — d’ici 2075 4.

Bien que la Chine ne fasse pas partie des contributeurs aux financements climats reconnus par la CCNUCC, l’Overseas Development Institute (ODI) estime que Pékin a contribué à hauteur de 1,2 milliard de dollars aux financements climat en 2020 via des banques de développement multilatérales ainsi que divers fonds — soit plus que la Norvège, la Suisse ou l’Australie 5. Le chiffre final des financements climats apportés par la Chine est certainement plus élevé en prenant en compte les flux bilatéraux.

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20.11.2024 à 06:30

Commission von der Leyen II : Teresa Ribera devant le Parlement espagnol. À Bruxelles, bientôt un accord sur les nominations des  commissaires ?

Ramona Bloj

La vice-présidente espagnole, ministre de la Transition écologique et du défi démographique, constitue le principal obstacle à la prise de fonction de la Commission von der Leyen II début décembre. Elle témoignera aujourd'hui, mercredi 20 novembre, devant le Parlement espagnol, sur la gestion des inondations à Valence, alors que les groupes politiques au Parlement européen se rapprochent d'un accord qui pourrait débloquer les vetos croisés du Parti populaire et des socialistes.

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Texte intégral (749 mots)

Teresa Ribera (S&D), actuelle vice-présidente, ministre de la Transition écologique et du défi démographique dans le gouvernement Sánchez et désignée au poste de Vice-présidente exécutive chargée d’une transition propre, juste et compétitive dans la Commission von der Leyen II, témoignera aujourd’hui, mercredi 20 novembre, devant le Parlement espagnol.

  • Le Parti populaire espagnol (PP), membre du PPE, l’accuse notamment d’être en partie responsable de l’impact catastrophique des inondations à Valence. Feijóo, le président du PP, a demandé à Pedro Sanchez de retirer sa candidature au poste de commissaire. 
  • Entre autres, le PP lui a demandé de présenter des excuses publiques et de s’engager à démissionner si elle était mise en examen pour négligence dans la gestion des inondations qui ont fait plus de 200 morts.
  • Le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, s’est également entretenu avec la présidente von der Leyen lors du G20 à Rio. Les socialistes espagnols ont indiqué qu’ils n’allaient pas remplacer Ribera, qui avait été tête de liste aux élections européennes de juin.

En parallèle, aujourd’hui, les dirigeants des groupes politiques au Parlement européen se réunissent pour une discussion à huis clos.

  • Si les conservateurs bloquent la nomination de Ribera, de son côté, le  S&D – mais aussi Renew — souhaite retirer le titre de vice-président au commissaire italien désigné par Giorgia Meloni, Raffaele Fitto (CRE).
  • Une source proche de la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a indiqué qu’elle était prête à trouver un accord et que l’objectif était que la Commission entre en fonction comme prévu, le 5 décembre. 
  • Les familles politiques seraient en effet proches d’un accord qui permettrait de débloquer la situation et d’approuver l’ensemble des vice-présidents ainsi que le commissaire hongrois Olivér Várhelyi, dont la nomination est également suspendue. 
  • « Il y a un principe d’accord sur le papier, il faut maintenant l’habiller politiquement. Ce n’est pas fait », a déclaré une source au fait des discussions au Grand Continent. 

Un diplomate consulté par le Grand Continent a qualifié la situation d’« embarrassante », soulignant que ce n’était pas le moment de faire de la petite politique : « Le PPE a vraiment fait monter les enchères en tentant de faire chuter Ribera. Il est curieux, parce que cette Commission dispose d’une majorité de commissaires PPE ». 

  • « Il est temps d’apaiser la situation, l’entrée en fonction de la Commission est en jeu », a déclaré une source parlementaire au Grand Continent.
  • Il n’est toutefois pas certain que l’accord confirmera un pacte législatif écrit. 
  • Les groupes S&D et Renew, qui ont voté pour Ursula von der Leyen en juillet, accusent en effet le PPE — qui dispose de suffisamment de députés pour former deux coalitions, soit avec l’extrême droite, soit avec les progressistes — de rompre l’engagement de ne pas travailler avec les groupes à sa droite. 
  • Le PPE a voté ouvertement cet automne avec des groupes d’extrême droite à plusieurs reprises, notamment sur le budget 2025 et le report d’un an de la loi anti-déforestation.

Le vote sur l’ensemble du collège des commissaires est programmé pour le 27 novembre, ce qui permettrait à la nouvelle Commission de prendre ses fonctions début décembre. Alors que l’Union essaie d’éviter une impasse institutionnelle dans un contexte tendu dû à l’élection de Donald Trump et à une intensification des combats sur le front ukrainien, en cas de désaccord, l’entrée en fonction sera décalée à janvier 2025.

L’article Commission von der Leyen II : Teresa Ribera devant le Parlement espagnol. À Bruxelles, bientôt un accord sur les nominations des  commissaires ? est apparu en premier sur Le Grand Continent.

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