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22.07.2025 à 11:06

Nahel Merzouk : du nom propre au coup de feu - anatomie d'une impunité

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(Souveraineté policière • Violence d'État • Interruption benjaminienne)

- été 2025 / , ,
Texte intégral (8439 mots)

Deux ans après le meurtre du jeune Nahel qui avait déclenché une vague d'émeutes à travers toute la France, le policier mis en examen pour homicide volontaire vient d'être muté à sa demande au Pays basque. À partir de ce qui pourrait être une « anecdote » dans le continuum de l'impunité policière en France, Sylvain George propose de « rouvrir le dossier Nahel » et de lire et relier les évènements à travers le travail de Judith Butler et Didier Fassin, jusqu'à tenter de les dénouer grâce à l'oeuvre de Walter Benjamin.

De l'affectation de Florian M. à la critique d'une souveraineté policière

En mars 2025, Florian M., policier mis en examen pour homicide volontaire après le tir mortel qui a coûté la vie à Nahel Merzouk, 17 ans, à Nanterre en juin 2023, est officiellement réintégré dans les effectifs de la police nationale et muté au Pays basque, région dont il avait lui-même exprimé le souhait de rejoindre. Cette décision, obtenue via une procédure dérogatoire dite « dans l'intérêt du service », avec le soutien du préfet de police de Paris, contrevient aux principes de neutralité, de précaution et de responsabilité que devrait imposer une mise en examen pour homicide. Elle s'inscrit dans un enchaînement de mesures (maintien de salaire, prise en charge intégrale des frais juridiques, défense publique orchestrée par les syndicats) qui ne relèvent plus de l'exception, mais d'une politique structurelle de soutien institutionnel à des violences policières reconnues comme telles par la justice.

Ce fait, aussi récent qu'insoutenable, ne saurait être lu isolément. Il nous oblige à rouvrir le dossier Nahel, non comme une simple « affaire », mais comme un symptôme d'un durcissement des orientations structurelles déjà à l'œuvre dans les formes contemporaines de souveraineté à l'œuvre dans l'appareil d'État. Loin de signaler une défaillance ponctuelle ou un dysfonctionnement isolé, l'ensemble du traitement réservé à ce crime d'État révèle un régime d'impunité structurée, à la croisée de plusieurs logiques : privilége accordé à la force sur le droit, naturalisation des hiérarchies raciales, disqualification morale des victimes, et fétichisation de l'ordre comme horizon ultime de la politique.

C'est dans cette perspective que le présent article entend se situer en analysant l'affaire Nahel non comme un fait divers tragique, mais comme le point de condensation d'une rationalité politique contemporaine où la violence d'État se pense, se justifie et se reproduit. Nous mobiliserons ici, à la fois des données factuelles et une approche philosophique, afin de décrire les logiques à l'œuvre et les conceptions de la souveraineté qu'elles engagent.

Pour ce faire, nous nous appuierons notamment sur les analyses de Walter Benjamin dans Critique de la violence [1], sur les travaux de Judith Butler (Ce qui fait une vie [2], La force de la non-violence [3]), de Didier Fassin (La Force de l'ordre [4], Punir), ainsi que sur un corpus de réflexions critiques contemporaines sur le pouvoir policier, la racialisation des vies, et les mutations de l'État de droit. [5]

Ce cadre théorique permettra de mieux comprendre en quoi la mort de Nahel Merzouk, et plus encore la gestion institutionnelle de ses suites, met en crise les fondements même d'une démocratie supposée garantir l'égalité, la responsabilité et la désacralisation de la violence légitime. Elle invite à une interrogation plus vaste : celle de la permanence d'une souveraineté policière qui décide, frappe et s'auto-légitime, au nom d'un ordre que ni la loi, ni la justice, ni la vie humaine ne semblent plus pouvoir interrompre.

1. Du tir à bout portant à la réhabilitation : chronologie et faits

Le 27 juin 2023, à 8h16 du matin, Nahel Merzouk, 17 ans, est abattu par un tir à bout portant d'un policier motocycliste, alors qu'il se trouve au volant d'un véhicule Mercedes AMG loué, à Nanterre. La scène est filmée par un témoin depuis un angle latéral. Les images montrent clairement que Nahel n'avance pas vers les policiers avec une vitesse ou une trajectoire menaçante, mais qu'il tente de repartir sans chercher à percuter les agents. Le coup de feu est tiré alors que le véhicule redémarre lentement. La balle atteint Nahel à la poitrine. Il décèdera quelques instants plus tard, malgré l'intervention des secours.

La diffusion quasi immédiate de la vidéo, relayée par les réseaux sociaux et les médias d'information, vient contredire la version initiale de la police, qui affirmait dans un premier temps avoir agi en état de légitime défense. La procureure de la République ouvre une information judiciaire pour homicide volontaire. Le policier, Florian M., est placé en garde à vue, mis en examen, puis incarcéré à la prison de la Santé.

L'autopsie confirme que la balle a été tirée en direction de la poitrine, à très courte distance. L'analyse balistique et les reconstitutions indiquent qu'aucune menace directe ne justifiait un tel tir. Les deux juges d'instruction saisis estiment, dans une ordonnance datée de septembre 2023, que l'usage de l'arme était disproportionné et non conforme aux principes de stricte nécessité et de proportionnalité de la force. Florian M. est donc renvoyé devant la cour d'assises pour homicide volontaire, un fait extrêmement rare dans la jurisprudence française concernant les forces de l'ordre.

Parallèlement, l'administration prend une série de décisions qui détonnent avec la gravité de la mise en examen : maintien intégral du salaire pendant la détention provisoire, suspension à plein traitement, et surtout, prise en charge de l'intégralité des frais de défense (estimés à 15 000 euros) par la préfecture de police. Le syndicat Alliance Police Nationale publie plusieurs communiqués de soutien, évoquant une « injustice » faite à un agent « exemplaire » [6], tandis que plusieurs figures politiques, dont Éric Ciotti, Laurent Wauquiez, et Marine Le Pen, dénoncent une « mise en accusation de la police républicaine ». [7]

Le 17 mars 2025, Florian M. est réintégré dans les effectifs et muté au Pays basque. Cette mutation, pourtant en contradiction avec l'article 86 de la loi du 26 janvier 1984 sur le statut de la fonction publique (qui interdit en principe toute affectation en cas de mise en examen pour crime), est rendue possible par une procédure dite « dans l'intérêt du service ». Cette clause, normalement réservée à des situations de pénurie ou de nécessité exceptionnelle, est ici activée avec le soutien explicite du préfet de police de Paris. Elle permet au mis en examen de reprendre ses fonctions dans une région qu'il avait lui-même sollicitée.

Cette affectation, par son caractère à la fois symbolique et concret, marque une rupture dans l'économie ordinaire de la responsabilité publique. Elle ne se contente pas de minimiser l'acte, elle le requalifie tacitement en geste acceptable, voire méritoire. Elle manifeste une reconfiguration profonde des critères d'évaluation de la légitimité policière, et confirme la thèse d'un régime d'impunité structurée, où la violence étatique, même reconnue comme abusive, trouve des voies de reconduction administrative et morale.

« On n'est pas sérieux quand on a 17 ans », écrivait Rimbaud. Et pourtant, à 17 ans, Nahel est mort sous les balles de la République. Non pour ce qu'il avait fait, mais pour ce qu'il représentait. Une silhouette, une altérité, une cible.

Cette mise à mort s'inscrit dans une série longue de décès causés par l'intervention policière, dont les récurrences dessinent moins une succession d'exceptions qu'un régime d'expérimentation et de reconduction. Il n'est pas inédit. Dans l'histoire récente, de nombreux morts aux mains des forces de l'ordre ont connu ce même double effacement, dans l'action comme dans le récit. De Zyed Benna et Bouna Traoré en 2005, morts électrocutés après une course-poursuite avec la police à Clichy-sous-Bois, à Adama Traoré, mort en 2016 dans les locaux de la gendarmerie de Persan, en passant par Lamine Dieng, Amadou Koumé, Cédric Chouviat, Souheil El Khalfaoui, Mohamed Gabsi ou encore Ibrahima Bah, les cas s'accumulent. [8] Tous ont en commun une origine sociale ou raciale stigmatisée, une mise en récit policière initiale contestée, et, dans la plupart des cas, une absence de condamnation pénale. Ce n'est pas seulement la responsabilité individuelle des agents qui est ici en jeu, mais bien la structuration d'un champ d'impunité, dans lequel certaines vies sont rendues plus exposées à la violence, et plus aisément effaçables du deuil légitime.

2. Régimes de l'impunité : droit, administration et opinion publique

Le traitement administratif et symbolique réservé à l'auteur du tir révèle un régime d'impunité à la fois formel et informel. Alors même qu'une mise en accusation est en cours, Florian M. est non seulement protégé par l'administration, mais soutenu par la hiérarchie policière. Bien qu'incarcéré provisoirement, le policier bénéficie d'un maintien de traitement, de la couverture de ses frais juridiques par la préfecture (15 000 euros), et d'une réintégration rapide dans les effectifs par une procédure dérogatoire. Ces gestes administratifs, loin d'être neutres, instituent une reconnaissance implicite de la légitimité du geste. La mutabilité du droit administratif, ici mobilisée au nom de « l'intérêt du service », sert à reconduire la protection de l'appareil répressif.

Dans les heures qui suivent le drame, une cagnotte en ligne est lancée sur le site Leetchi pour soutenir le policier mis en examen. Elle atteint plus de 1,6 million d'euros en quelques jours. Relayée par Jean Messiha, ancien cadre du Rassemblement national, et largement soutenue par l'extrême droite ainsi qu'une partie de la droite radicalisée, cette initiative consacre symboliquement l'inversion du coupable et de la victime. Le tireur devient héros, la victime menace. Ce chiffre, en lui-même, acte une forme d'adhésion morale au récit sécuritaire dominant. Il transforme un tir mortel en geste défendable, presque exemplaire. Cette impunité symbolique est renforcée par le soutien public de plusieurs syndicats de police, tels qu'Alliance et UNSA, qui dénoncent une prétendue « criminalisation de la police » et appellent à instaurer une « présomption d'honneur ». [9] Ce lexique, emprunté à la logique judiciaire mais renversé en son principe, révèle une volonté d'immuniser les forces de l'ordre contre toute mise en cause, même en cas d'homicide avéré.

Ce soutien institutionnel et populaire n'est pas anecdotique. Il manifeste une tendance plus large : l'instauration, au sein même de l'appareil d'État, d'un régime d'impunité structurée, où la police agit non plus malgré le droit, mais avec l'assentiment explicite ou tacite des hiérarchies administratives. Ce phénomène, loin d'être spécifiquement français, entre en résonance avec les pratiques états-uniennes : la réhabilitation systématique des agents impliqués dans des homicides, la culture du « blue wall of silence » [10], l'élargissement du pouvoir discrétionnaire des forces de l'ordre, et la traque administrative des immigrés par l'ICE (Immigration and Customs Enforcement), dessinent un horizon commun de militarisation interne, de gouvernementalité sécuritaire et de gestion différentielle des vies par la peur.

Cette mobilisation s'est accompagnée d'un cadrage médiatique récurrent, où l'accent a été mis sur les antécédents de Nahel, les désordres urbains ayant suivi sa mort, et la « difficulté » du métier de policier. Le discours sécuritaire, en conjuguant émotion compassionnelle pour les forces de l'ordre et soupçon moral généralisé envers les jeunes des quartiers populaires, produit un effet d'inversion des responsabilités. Ce cadrage est relayé politiquement par des figures comme Éric Ciotti, Marine Le Pen ou d'autres membres de la droite conservatrice, qui dénoncent une prétendue « haine anti-flics ». [11] Ce dispositif d'impunité étendue ne se contente donc pas de protéger un individu, mais contribue à stabiliser un régime de gouvernementalité autoritaire où la force prime sur le droit, et où certaines vies sont structurellement disqualifiées. Comme l'écrit Judith Butler, la reconnaissance différentielle des vies produit une hiérarchie dans la possibilité même d'être pleuré. Ce que révèle l'affaire Nahel, c'est qu'il est possible en France, en 2025, de tuer un adolescent sans que cela n'entraîne ni rupture juridique, ni condamnation publique, ni suspension durable de fonction. Et que ce maintien en place est le signe de l'effondrement profond des principes démocratiques eux-mêmes, disjoints de toute exigence de justice ou de responsabilité.

3. Disqualification de la victime et retournement du récit

Nahel, lui, n'a pas eu droit à la mémoire.

À l'impunité accordée au tireur répond, de manière presque symétrique, une entreprise de délégitimation posthume de la victime. Dès les premières heures qui suivent la mort de Nahel Merzouk, s'engage dans les médias, les discours politiques et les réseaux sociaux une dynamique de disqualification visant à construire l'image d'un adolescent intrinsèquement dangereux, voire barbare, une figure menaçante dont la mort apparaîtrait non comme un scandale, mais explicable, voire inévitable, comme l'issue logique d'un comportement problématique.

Une série d'éléments biographiques, judiciaires et comportementaux sont exhumés, isolés, et instrumentalisés pour construire cette image : son âge réel (17 ans), son appartenance à un quartier populaire, son prénom, son origine maghrébine, sa pratique du rap, ses rapports antérieurs avec la justice des mineurs, sa conduite sans permis ou son refus d'obtempérer sont mobilisés comme autant d'indices à charge. L'objectif n'est pas tant de comprendre un événement que de produire une figure du « délinquant », du « sauvageon », du corps déjà coupable de sa propre mort.

Ce procédé, que Didier Fassin décrit comme une désingularisation du mort [12], substitue à l'individu concret - Nahel, adolescent, fils, vivant - une figure abstraite du désordre : celle du jeune de banlieue, racialement marqué, réputé porteur d'incivilité. Cette mise en circulation de signes disqualifiants produit un retournement symbolique : non seulement le tir devient compréhensible a posteriori, mais la victime elle-même se trouve désignée en coupable structurel. Le geste policier n'est pas interrogé en tant que tel, c'est l'existence même de la victime qui devient, rétrospectivement, la cause de sa propre élimination. Le soupçon éthique se déplace ainsi du geste du policier, de l'acte létal, vers la vie elle-même, l'existence même de l'adolescent abattu. Une vie jugée illégitime, excédentaire, étrangère.

La douleur de sa mère, Yasmina - une douleur visible, parfois criée, parfois tue - traverse ce refus. Elle n'est pas seulement personnelle. Elle est politique. Que dit-elle cette douleur ? Elle dit l'effondrement d'un monde. Elle dit la peur partagée par toutes celles et ceux qui savent que leurs enfants, leurs frères, leurs sœurs, peuvent, à tout moment, être perçus comme trop visibles, trop mobiles, trop jeunes, trop bruns, trop proches d'une voiture. Sa phrase, plusieurs fois répétée - « Il était mon souffle, ma vie » [13] - condense à la fois l'intime et le collectif. Ce n'est pas une simple plainte, c'est une parole de vérité qui ne cherche ni la consolation ni la réparation, mais nomme l'irréparable.

Ce brouillage narratif opère dans un espace idéologique balisé par une grammaire sécuritaire banalisée qui oppose les « honnêtes gens » aux « barbares », les citoyens « intégrés » aux éléments « incontrôlés », la société « civile » aux « zones de non-droit ». Cette rhétorique, reprise par plusieurs responsables politiques, dont Bruno Retailleau, en tête, rejoue un clivage civilisationnel aux accents coloniaux : l'ennemi n'est plus extérieur mais intérieur, et il ne relève plus seulement du comportement mais de l'essence supposée. Dans une interview sur France Info, Retailleau ira jusqu'à évoquer, à propos des jeunes issus de l'immigration postcoloniale, une « régression vers les origines ethniques » [14], assignant à ces corps un destin d'inassimilabilité ontologique. Ce dualisme anthropologique, pourtant déconstruit par les sciences humaines [15], resurgit ici sous sa forme la plus brutale. Il ne justifie pas seulement la répression : il naturalise l'inhumanité. Il produit un langage de l'ordre où certains ne sont jamais tout à fait des citoyens, ni même tout à fait des vivants.

On retrouve presque mot pour mot cette logique dans les propos de Donald Trump justifiant la présence de suprémacistes blancs à Charlottesville en 2017, affirmant qu'il y avait là aussi « de très bonnes personnes » (« very fine people »). [16] Dans les deux cas, le langage politique rejoue un clivage moral entre citoyens respectables et figures déviantes. Ce clivage ne relève pas seulement du discours car il produit des effets matériels et affectifs, en naturalisant l'exclusion de certaines vies du champ du deuil et de la compassion.

Judith Butler désigne ce processus comme une « production différentielle du deuil ». [17] Selon elle, certaines morts ne suscitent ni scandale, ni commotion, car elles ne sont pas reconnues comme pertes. Nahel Merzouk, dans cette perspective, n'a jamais été pleinement inscrit dans l'ordre symbolique de la nation. Il n'est ni un fils, ni un élève, ni un adolescent tragiquement disparu, mais un corps de trop, un excès, un résidu.

Ce retournement du récit, du deuil à la mise en accusation, joue un rôle décisif dans la reconduction de la violence d'État. Il inverse la chaîne des responsabilités, décharge les institutions de leur dette morale, et réinscrit la mort d'un adolescent racisé dans une narration pacifiée : celle du chaos que seule la force publique serait à même de contenir. Ce basculement narratif est soutenu par des relais politiques et médiatiques puissants, et conforté par une évolution législative qui consacre le paradigme du soupçon comme principe d'action. L'article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure, adopté en 2017, autorise l'usage des armes à feu en cas de « refus d'obtempérer » jugé dangereux. Mais le critère de dangerosité est laissé à la seule appréciation de l'agent, dans l'instant. Autrement dit, ce n'est plus l'acte qui déclenche la violence d'État, mais une perception, une croyance, un soupçon. Et ce soupçon, dans un contexte postcolonial, se racialise. [18]

Nahel, au volant d'une voiture de location, dans une zone urbaine surveillée, devient alors une figure à haut potentiel de projection, un possible perturbateur, un suspect latent, un sujet à neutraliser. Le tir n'est plus une exception mais la conséquence logique d'un système policier structuré par la gestion préventive des corps « à risque ». Ce paradigme, décrit par Didier Fassin dans ses recherches empiriques et théoriques [19] repose sur un soupçon généralisé : la dangerosité n'est plus induite par des faits, mais par une présence, une apparence, un déplacement. Ce qui s'expérimente dans les quartiers populaires racisés déborde peu à peu ainsi que peuvent en témoigner les Gilets jaunes éborgnés, les manifestants pro-palestiniens empêchés, les lycéens mobilisés sanctionnés, les syndicalistes brutalisés… La violence policière, d'abord localisée, tend à se généraliser. Elle devient langage, puis norme.

Cette logique du soupçon, et cette disqualification, s'étendent également à celles et ceux qui revendiquent justice. Les mobilisations, les marches blanches, les soulèvements qui ont suivi sont interprétés non comme une réponse à une injustice manifeste, mais comme symptômes d'une haine anti-police, d'un refus d'intégration, voire d'une menace ethnique. Toute forme de dissensus se trouve ainsi rabattue sur le terrain de la déviance ou de la criminalité, vidée de sa portée politique.

Dans ce contexte, l'ordre du récit devient un enjeu politique central. Car en inversant les positions où le tireur devient victime, et la victime devient menace, le pouvoir renforce son monopole d'interprétation de la violence. Il reconduit sa propre impunité. Il installe l'idée selon laquelle les morts causées par l'État ne seraient que les dommages collatéraux d'une société à protéger. Il faut ici rappeler ce que Walter Benjamin écrivait en 1921 dans son grand texte Critique de la violence que la police est le point où se manifeste le plus clairement la structure mixte, fondatrice et conservatrice, de la violence l'État. [20] . Elle ne se contente pas d'appliquer le droit : elle le produit tacitement en même temps qu'elle prétend le faire respecter. Elle incarne ainsi une forme de souveraineté diffuse, sans légitimation démocratique directe, qui opère par enchevêtrement de normes implicites, d'exceptions permanentes et de contraintes indiscutées. Autrement dit, elle décide à la fois de la norme et de l'exception, et légitime par son propre geste ce qu'elle prétend empêcher, produit le trouble qu'elle prétend réprimer. En disqualifiant la victime, l'État ne se borne pas à défendre l'un de ses agents, mais défend surtout sa capacité à nommer ce qui est juste et ce qui ne l'est pas, à produire la loi comme à l'interrompre ; il défend le monopole d'interprétation de sa propre violence ; il défend le droit de tuer sans que cela ne trouble le récit national.

4. La violence policière comme puissance théologico-politique (Walter Benjamin)

Walter Benjamin, dans Critique de la violence, propose une typologie fondatrice pour penser les formes modernes de la violence : la violence fondatrice du droit (rechtsetzende Gewalt), qui institue un ordre légal nouveau ; et la violence conservatrice du droit (rechtserhaltende Gewalt), qui en assure le maintien par l'usage de la force. Mais il ajoute une forme de violence singulière, propre à la police, qui ne se laisse pas entièrement subsumer sous ces deux catégories. Cette violence policière agit précisément dans l'interstice et intervient là où la loi est silencieuse, incomplète ou suspendue, là où ni la fondation du droit ni sa conservation ne peuvent pleinement justifier l'usage de la force. Elle n'est ni pleinement fondatrice, ni strictement conservatrice : elle opère dans un entre-deux instable, une zone grise où la puissance policière se substitue à la norme explicite. En ce sens, elle est une violence d'exception, une violence sans fondement légal explicite, mais pourtant autorisée. Cette violence policière incarne selon Benjamin un résidu théologico-politique du pouvoir souverain, une figure survivante du droit divin des rois, où la capacité de décider de l'exception vaut fondement de l'autorité. La police n'est pas une « troisième » violence en soi, mais le lieu de contamination ou de confusion entre les deux premières, le point où se brouille la frontière entre création et conservation du droit, entre norme et exception, entre légalité et souveraineté nue.

Dans l'affaire Nahel, cette dimension théologico-politique est pleinement active. Le tir mortel ne repose sur aucune menace immédiate. La vidéo est explicite ! L'adolescent tente de s'éloigner, et le tir survient sans qu'aucune légitime défense ne puisse être retenue. Pourtant, le policier reçoit rapidement le soutien des plus hautes sphères du pouvoir exécutif et syndical. La réintégration de l'agent, facilitée par une procédure administrative exceptionnelle, produit un effet d'effacement du crime. Ce geste n'est pas seulement bureaucratique, maist aussi performatif. Il transforme le sens de l'acte, le requalifie symboliquement comme geste légitime, voire nécessaire.

C'est en ce sens que la souveraineté policière se manifeste ici comme puissance d'exception : celle de pouvoir décider, frapper, puis être réintégré, sans que le droit ne vienne entraver cette chaîne d'impunité. On retrouve ici une logique schmittienne selon laquelle la souveraineté, c'est celui qui décide de l'exception. Or, la police contemporaine semble cumuler, dans certains cas, les trois fonctions du pouvoir souverain que sont le fait de juger (évaluer la menace), de décider (de tirer), et d'exécuter (l'acte létal). Elle ne se contente pas d'appliquer la loi, elle décide de son application, voire de sa suspension. Elle occupe l'interstice entre normativité juridique et urgence morale, en se conférant à elle-même la légitimité d'intervenir.

Cette configuration est d'autant plus inquiétante qu'elle se consolide par des dispositifs symboliques et médiatiques qui empêchent toute remise en question. La violence, ici, n'est pas seulement un écart ponctuel ou une bavure, mais un opérateur de l'ordre qui désigne, hiérarchise, et impose un sens. Elle fonctionne selon une logique sacrificielle, celle d'une vie tuée pour rappeler à toutes les autres leur place.

On pourrait dire, avec Benjamin, que la police contemporaine n'a plus besoin d'invoquer la loi et qu'elle est devenue, en elle-même, la loi en acte. Elle ne tire pas seulement pour faire respecter l'ordre, mais pour affirmer que seul son geste fait autorité. Le droit ne vient qu'après, pour constater ou couvrir. La souveraineté policière est ici cette instance qui produit, en un seul acte, la norme, la faute et la sanction. C'est là le cœur de sa puissance théologico-politique.

En cela, l'affaire Nahel ne constitue pas une rupture, mais un révélateur. Elle rend visible ce que le quotidien tend à invisibiliser, la manière dont, dans les États modernes, le monopole de la violence légitime se transforme peu à peu en monopole de l'interprétation légitime de la violence. Loin d'être un abus, la souveraineté policière contemporaine opère comme un régime discursif et pratique, où la violence devient la langue naturelle du pouvoir.

5. Penser l'interruption : vers une politique profane du vivant

Face à la violence mythique décrite par Walter Benjamin, cette violence fondatrice et conservatrice qui sous-tend les régimes de droit, naturalise l'ordre établi et autorise la mise à mort, il existe, selon lui, une forme antagoniste, inassignable à la logique du commandement : une violence divine [21], non sanglante, sans finalité ni fondement juridique, qui ne vise ni à instaurer un nouvel ordre ni à perpétuer l'existant, mais à interrompre. Interrompre le continuum de l'histoire, suspendre le droit comme pouvoir et comme obligation, désactiver la machine normative qui transforme la vie en objet de gestion ou d'élimination. Cette Gewalt singulière, que Benjamin distingue avec soin, ne relève pas d'une transcendance religieuse, mais incarne une puissance immanente d'interruption, un geste profane capable de suspendre les chaînes de la domination et de l'évidence.

Penser la mort de Nahel dans cette lumière, ce n'est pas chercher à y discerner une forme de rédemption - rien, ici, ne peut être sauvé ! - , mais tenter de faire apparaître, dans l'épaisseur du crime, les conditions d'une rupture. Car ce qui s'est joué dans cette séquence n'est pas seulement une décision létale, mais une organisation de l'indifférence, une production systématique de l'oubli. La réintégration de l'agent tireur, l'inversion du récit, la disqualification du deuil et la restauration symbolique de l'ordre policier constituent ensemble un processus de désactivation de la mémoire et de reconduction de la violence. Interrompre cela, même symboliquement, exige une pensée capable de faire trembler les cadres de reconnaissance qui rendent ces morts acceptables, voire nécessaires.

C'est pourquoi une politique véritablement profane, au sens benjaminien, ne peut s'adosser à une demande de réforme ou de reconnaissance par l'appareil d'État. Elle doit opérer une désacralisation radicale de ses principes : désacraliser le monopole de l'interprétation qu'exerce la police ; désacraliser la hiérarchie des vies qu'entérine le droit ; désacraliser le récit républicain qui enveloppe de légitimité la mise à mort des corps racisés au nom de l'ordre.

Le geste d'interruption est ici à la fois analytique, éthique et politique. Analytique, car il oblige à sortir des schémas causaux et utilitaristes qui rationalisent la mort. Éthique, car il refuse la logique de l'acceptabilité statistique. Politique, enfin, parce qu'il ouvre une brèche dans le temps : un Jetztzeit, un temps-jeté, où les certitudes vacillent, où le scandale est rendu audible, où les morts réapparaissent non comme anomalies, mais comme révélateurs.

Ce que Benjamin appelle violence divine n'est pas un programme mais un geste d'interruption, une désarticulation des chaînes causales qui lient violence, droit et légitimité. Une telle politique ne repose ni sur la représentation, ni sur la délégation, mais sur la profanation de ce qui se présente comme naturel : le monopole de l'État sur la vie et la mort, la distinction entre vies grévées d'avance et vies dignes d'être pleurées, la fiction d'un ordre qui protège quand il tue.

Loin d'être abstraite, cette pensée de l'interruption traverse les révoltes qui ont suivi la mort de Nahel. Dans leur refus immédiat de l'oubli, dans leur cri sans médiation, elles opèrent une désactivation des récits dominants. Elles ne demandent pas une place dans le cadre, mais en font apparaître l'injustice structurelle. Elles ne plaident pas pour un droit de cité, mais posent la question de ce qui, dans la cité, légitime la mise à mort de certains de ses membres. En cela, elles incarnent une forme de politique profane, sans transcendance, mais chargée d'une puissance de désajustement du réel.

C'est cette puissance d'interruption qu'il faut entendre et relayer. Non pour en faire un nouveau fondement, mais pour qu'elle persiste comme trouble, comme reste, comme mémoire désobéissante. C'est à partir d'elle, et non des institutions qui l'étouffent, que peut se penser un autre rapport au vivant non plus fondé sur la capture, la suspicion ou l'élimination, mais sur une attention radicale à ce qui, dans chaque vie, excède les catégories de l'ordre et résiste à son inscription dans un régime de légitimité létale ; à ce qui, dans chaque vie, excède la norme, et échappe au droit de tuer.

Dissensus et contre-récits

Ce que les autorités publiques ont qualifié d'« émeutes » dans les jours suivant la mort de Nahel Merzouk mérite d'être appréhendé non comme une dérive chaotique ou une réaction émotionnelle débridée, mais comme une forme d'expression politique. Ce soulèvement massif, multiforme, situé dans les quartiers populaires mais aussi relayé au-delà, constitue un moment de dissensus, au sens que Jacques Rancière donne à ce terme, c'est-à-dire une mise en crise du partage dominant du sensible, une interruption de l'ordre discursif et symbolique qui désigne certaines vies comme indignes d'être pleurées.

Contre le récit institutionnel dominant, qui tend à criminaliser les colères urbaines et à les rabattre sur la figure de l'ennemi intérieur, ces mobilisations produisent un contre-récit. Elles refusent la hiérarchie implicite entre les morts qui appellent le deuil public – les policiers tués en service, les victimes de terrorisme - et ceux dont la disparition est immédiatement relativisée, excusée, ou redéfinie comme effet de leur propre conduite. Elles affirment, dans les gestes, les mots, les rassemblements, la nécessité de nommer la violence, de refuser l'oubli organisé, de contester la normalisation de l'impunité.

Ces expressions collectives, bien que souvent disqualifiées par le pouvoir comme des atteintes à la République, s'en revendiquent pourtant de manière explicite. Elles rappellent que la promesse républicaine d'égalité ne vaut que si elle s'applique à tous ; que la justice ne peut être un privilège de statut ou de couleur de peau ; que la police, pour être légitime, doit être soumise au droit, et non s'en extraire. Ce n'est pas une révolte contre la République, mais une révolte depuis la République, contre sa trahison, pour rappeler que l'égalité n'est pas un slogan, mais une exigence.

Le rôle des médias dominants, dans ce contexte, n'est pas secondaire. Par le choix des images, par la focalisation sur les violences matérielles, par l'occultation des causes profondes, ils participent à une mise en récit qui disqualifie la parole des manifestants et requalifie la violence d'État comme réponse nécessaire au « désordre ». Ce cadrage n'est pas neutre bien sûr, et permet de reconduire les logiques de domination comme d'invisibiliser les demandes de justice.

Face à cette configuration, les contre-récits portés par les mobilisations populaires, les familles de victimes, les artistes, les intellectuels critiques, apparaissent comme des tentatives fragiles mais décisives de reconquérir un espace de narration. Il s'agit de restituer à Nahel Merzouk son nom propre, son visage, son histoire ; de le soustraire à la logique de l'abstraction punitive qui le transforme en catégorie - « délinquant », « sauvageon », « refus d'obtempérer » - pour en faire une figure de l'exclusion.

Ce que disent ces colères, aussi peu audibles soient-elles dans les médias dominants, c'est qu'il n'est plus possible d'accepter la partition entre les vies qui comptent et celles qui ne compteraient pas. Ce que disent ces colères, dans la langue des corps, des cœurs et des braises, c'est qu'un monde sans justice est un monde inhabitable. Ce que disent ces colères c'est que le silence ne protège rien : il perpétue. Il ne s'agit pas là de morale, mais de politique. D'un choix à faire entre un ordre fondé sur la peur, la punition, la mise à mort ; ou une politique du vivant, du refus, de l'interruption.

La question centrale posée par cette affaire est donc celle-ci : qui a le droit de raconter ? Qui a le pouvoir d'interpréter la mort ? Et selon quels régimes de légitimité ? Le dissensus, ici, n'est pas une simple opposition de points de vue mais une lutte pour l'accès à la parole publique, à la visibilité, à la capacité de faire sens.

C'est pourquoi toute communauté politique digne de ce nom ne commence pas par la réconciliation, mais par la reconnaissance du tort, la restitution du nom, et l'inscription des injustices dans une mémoire commune. Elle suppose que l'État cesse de produire des morts en silence, et que les citoyens exigent que ces morts soient dites, comprises, et politiquement situées.

Nahel Merzouk n'est certainement pas un symbole. Il est un adolescent tué par une institution qui agit sans contrôle effectif. Et ce sont les voix qui se sont élevées pour dire non à cette mort - non au silence, non à l'effacement, non à l'oubli institutionnel - qui ont posé, dans le tumulte, les linéaments d'un autre récit possible, non plus dominé, mais insurgé ; un récit où la justice ne serait pas une promesse lointaine, mais une exigence immédiate ; une politique profane, au sens benjaminien, qui ne sacralise ni l'État, ni la police, ni la mort.

Et qui, face au silence organisé, persiste à dire le nom de Nahel.

Sylvain George


[1] Walter Benjamin, « Critique de la violence, in Œuvre I, Paris, Gallimard, coll. Essais, 2000.

[2] Judith Butler, Ce qui fait une vie. Essai sur la violence, la guerre et le deuil, Paris, Zones, 2010.

[3] Judith Butler, La force de la non-violence, Paris, Fayard, 2021.

[4] Didier Fassin, La force de l'ordre : Une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Seuil, 2011.

[5] Pour une critique du pouvoir policier et une mise en perspective postcoloniale et décoloniale de ces mutations, on pourra se référer notamment à : Ruth Wilson Gilmore, Golden Gulag : Prisons, Surplus, Crisis, and Opposition in Globalizing California, Berkeley, University of California Press, 2007 ; Angela Davis, La liberté est une lutte constante, Paris, Éditions Libertalia, 2017 ; Elsa Dorlin, Se défendre. Une philosophie de la violence, Paris, La Découverte, 2017 ; Wendy Brown, Les habits neufs de la politique mondiale. Néolibéralisme et imaginaires politiques, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007 ; Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre, paris, La Découverte, 2002 ; Achille Mbembe Critique de la raison nègre, Paris, La Découverte, 2013 et Politiques de l'inimitié, Paris, La Découverte, 2016 et Nécropolitique, Paris, La Découverte, 2020 ; Mohamed Amer Meziane Des empires sous la terre, paris, La Découverte, 2021 ; Saidiya Hartman, Scenes of Subjection, Oxford University Press, 1997 ; Fred Moten, In the Break : The Aesthetics of the Black Radical Tradition, Minneapolis, University of Minnesota Press, 2003. Ces travaux montrent comment les logiques de surveillance, de racialisation et de hiérarchisation des vies dans les États contemporains s'enracinent dans des dispositifs coloniaux réarticulés.

[6] Communiqué du 5 mars 2025, publié dans Le Figaro : « Alliance appelle ses membres à manifester suite à la requête de renvoi pour meurtre » ; Publication officielle sur X/Facebook (3 juillet 2023) : Alliance réaffirme « soutien sans ambiguïté à Florian M. »

[8] Pour ne s'en tenir qu'aux années 2000…

[9] Rachid Laïreche, « Mort de Nahel : l'UNSA Police demande une « présomption d'honneur » pour les policiers », in Libération, 5 juillet 2023. https://www.liberation.fr/societe/police-justice/mort-de-nahel-lunsa-police-demande-une-presomption-dhonneur-pour-les-policiers-20230705/

[10] Le terme désigne un code informel chez les forces de police (principalement aux États‑Unis) interdisant de dénoncer un collègue impliqué dans un comportement fautif ou violent. Il a été documenté depuis les années 1970 (Commission Knapp, Commission Christopher) et reste un obstacle persistant à l'accountability policière. https://en.wikipedia.org/wiki/Blue_wall_of_silence

[11] Rachid Laïreche, « Mort de Nahel : émeutes urbaines, tensions politiques et enquête sur le tir mortel », in Libération, 28 juin 2023.

https://www.liberation.fr/societe/police-justice/mort-de-nahel-emeutes-urbaines-tensions-politiques-et-enquete-sur-le-tir-mortel-20230628/ et Éditorial collectif, rubrique Politique, « Mort de Nahel : Marine Le Pen dénonce un laxisme dévastateur », in Le Figaro, 29 juin 2023. https://www.lefigaro.fr/politique/mort-de-nahel-marine-le-pen-denonce-un-laxisme-devastateur-20230629

[12] Didier Fassin développe la notion de « désingularisation du mort » pour désigner les processus par lesquels certaines vies, une fois détruites, sont privées de reconnaissance symbolique, et traitées comme des entités génériques, abstraites, voire suspectes. Cette opération consiste à substituer au défunt une figure stéréotypée — « délinquant », « fauteur de trouble », « barbare » — qui neutralise l'indignation, entrave le deuil et reconduit l'impunité. Voir Didier Fassin, La Vie : mode d'emploi critique, Paris, Seuil, 2018, p. 131-154. Voir également La Force de l'ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, Paris, Seuil, 2011, et Punir. Une passion contemporaine, Paris, Seuil, 2017.

[13] Citation rapportée dans Le Monde, le 28 juin 2023.

[14] Dans une interview accordée à France Info le 29 juin 2023, Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, déclare : « Une partie de notre jeunesse, notamment issue de l'immigration, est dans une régression vers les origines ethniques. » Cette déclaration, largement commentée, marque un basculement vers une lecture culturaliste et essentialisante des mobilisations postérieures à la mort de Nahel Merzouk. Source : France Info, https://www.francetvinfo.fr (consulté en juillet 2025).

[15] Sur la déconstruction du dualisme anthropologique, c'est-à-dire l'opposition essentialisante entre un « Nous » civilisé, rationnel, légitime, et un « Eux » sauvage, archaïque, irrationnel, voir notamment dans les champs de l'anthropologie, de la philosophie politique, des postcolonial studies et des études critiques de la race les travaux d'Etienne Balibar, Judith Butler, Didier Fassin, Achille Mbembe, Edward Said…

[16] Le 15 août 2017, au lendemain du rassemblement de suprémacistes blancs à Charlottesville ayant conduit à la mort d'une militante antiraciste, Heather Heyer, Donald Trump déclare lors d'une conférence de presse : « You had some very bad people in that group, but you also had people that were very fine people, on both sides. » Cette déclaration, largement critiquée, fut perçue comme une tentative de normalisation du suprémacisme blanc et d'effacement de la violence raciste. Vidéo et transcription disponibles sur : The New York Times, “Trump Gives White Supremacists an Unequivocal Boost,” 15 août 2017, https://www.nytimes.com.

[17] Judith Butler, Ce qui fait une vie. Essai sur la violence, la guerre et le deuil, opus cité, notamment chapitres 1 et 3.

[18] Le régime du soupçon, tel qu'il opère aujourd'hui à travers l'article L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure, peut être analysé comme un héritage transposé des logiques coloniales de maintien de l'ordre. Le quadrillage des quartiers populaires, la prévention par la peur, l'assignation spatiale et corporelle des 'indésirables' reprennent les structures d'encampement, de contrôle et d'exception qui organisaient l'administration policière des populations colonisées. Sur cette continuité, voir notamment Achille Mbembe, Politiques de l'inimitié, opus cité, et Didier Fassin, La Force de l'ordre, opus cité.

[19] Didier Fassin, Opus cité.

[20] Walter Benjamin, opus cité, pp.223-226.

[21] « (…) mais il faut rejeter toute violence mythique, la violence fondatrice du droit, qu'on peut appeler discrétionnaire. Il faut rejeter aussi la violence conservatrice de droit, la violence administrée qui est au service de la violence discrétionnaire. La violence divine, qui est insigne et sceau non point jamais comme moyen d'exécution sacrée, peut être appelée souveraine », Walter Benjamin, opus cité, p. 243.

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15.07.2025 à 23:59

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