Après de multiples agressions et injures racistes de la part de ses voisins pendant quatre ans, Carolle Amorrich, décoratrice d’intérieur à Grasse (06), décide de porter plainte. Ce reportage raconte son combat, jusqu’à son procès -victorieux !-, mais aussi celui de toutes les personnes victimes de discriminations venues la soutenir pour répliquer au racisme virulent de la Côte d’Azur. Après de multiples agressions et injures racistes de la part de.. Read More
Après de multiples agressions et injures racistes de la part de ses voisins pendant quatre ans, Carolle Amorrich, décoratrice d’intérieur à Grasse (06), décide de porter plainte. Ce reportage raconte son combat, jusqu’à son procès -victorieux !-, mais aussi celui de toutes les personnes victimes de discriminations venues la soutenir pour répliquer au racisme virulent de la Côte d’Azur.
Après de multiples agressions et injures racistes de la part de ses voisins pendant quatre ans, Carolle Amorrich, décoratrice d’intérieur à Grasse (06), décide de porter plainte. Quarante fois elle se rend au commissariat. La police et la justice n’ont daigné réagir que très tardivement et il y a finalement eu un procès ce jeudi 3 avril 2025. L’accusée est reconnue coupable : deux mois de prison avec sursis, 6 000 euros d’amende et affichage en mairie du jugement.
Notre reportage raconte le combat de Carolle, mais aussi du collectif Contre attaque antiraciste et des personnes victimes de discriminations venues soutenir Carolle pour répliquer au racisme virulent de la Côte d’Azur.
Des membres locaux de la France insoumise comme Leïla Tonnerre, native de Grasse, mais aussi Raphaël Arnault et Manuel Bompard, se sont mobilisés pour « faire baisser les yeux aux racistes » selon l’expression du député insoumis du Vaucluse.
Numéro 55 mars-avril 2025, intergénérationnel-les, chaque génération est un peuple Vendredi 18 avril à partir de 18h30, les diables bleus, 28 route de Turin, Nice
Durant un mois, le photographe niçois Olivier Baudouin sera en résidence artistique à Bethléem, dans les Territoires palestiniens occupés, au sud de Jérusalem. Retrouvez donc, chaque semaine, pour Mouais, son carnet de bord, au cœur de la vie qui s’obstine à être. « C’est incroyable de devoir se cacher pour pouvoir parler de ce qu’il se passe réellement sur place…» Mercredi 2 avril 2025 Une rue vide de Bethléem à.. Read More
Durant un mois, le photographe niçois Olivier Baudouin sera en résidence artistique à Bethléem, dans les Territoires palestiniens occupés, au sud de Jérusalem. Retrouvez donc, chaque semaine, pour Mouais, son carnet de bord, au cœur de la vie qui s’obstine à être. « C’est incroyable de devoir se cacher pour pouvoir parler de ce qu’il se passe réellement sur place…»
Mercredi 2 avril 2025
Une rue vide de Bethléem à la fin du ramadan
À quel moment exactement, puis-je dire que ce voyage a commencé ? Je ne suis pas capable de répondre avec assurance et certitude. Un peu comme d’essayer de dire que les conflits dans la région du monde où je me rends ont commencé à telle ou telle période de notre histoire. Je pense qu’il est vain d’essayer d’y répondre.
Alors je décide de commencer ce récit le 2 avril 2025 à 9 heures. C’est le moment où j’ai rejoint le premier contrôle à l’aéroport de Nice.
Avant le 7 octobre 2023, deux compagnies proposaient un vol direct Nice – Tel Aviv. Depuis une seule les a maintenus, c’est la compagnie nationale de mon lieu de destination. Par soucis de commodité, d’efficacité et d’économies j’ai décidé de l’utiliser. En faisant ce choix, je savais que je subirai plus de contrôles, et ce, dès le départ en France. Je n’ai pas été déçu … Et vraiment dès ce moment, j’avais déjà un pied dans ma destination. Les agent contrôleurs sont Israéliens et comme je connais bien leur pays, la communication est fluide, tellement que je vois leur pièges se tisser autour de moi. Je les détricotes méticuleusement. C’est des malins… Mais moi aussi … Et au final, on rigole plutôt. Alors ils décident de me laisser prendre mon vol.
En rejoignant ma compagne après ce premier obstacle, elle me raconte qu’ils sont venus également la contrôler alors qu’elle patientait dans le hall de l’aéroport, ils vérifiaient la véracité de mes propos car je l’avais nommée et montrée du doigt en réponse à la question « vous êtes venu seul ? ».
Au moment de l’embarquement je revois un des agents de sécurité du premier contrôle, on échange quelques mots (presque) amicaux. Il prendra le vol suivant. Dans l’avion, je côtoie une société israélienne équipée de lunettes de luxe, de téléphones avec des housses de protection incrustées de faux diamants, je vois les kippa rangées dans la poche à Nice se placer sur les têtes. Mon voisin est très sympa, il me fait passer les petits plats, boissons et pâtisseries incluses dans le prix du billet. Le voyage est très agréable. Mais je ne peux pas empêcher d’éprouver un sentiment douloureux. J’observe toujours la même chose, comme une sorte sociopathie non diagnostiquée… Ce n’est pas ce bien-être ou ce luxe qui me dérangent, c’est le fait de le savoir construit sur la misère d’un autre et de voir des lunettes de luxe à large branches portées par des nanas sexy et élégantes qui partent dans un pays en guerre et sous occupation qui me provoque un drôle de sentiment.
Mais en même temps, cette observation peut s’étendre à l’entièreté du rapport des humains au monde. Se créer une illusion de vie parfaite dans un champ de ruine. On est des spécialistes de la chose.
Je sors de l’avion rapidement. Le long du trajet qui mène aux contrôles de papiers sont exposées les photos des otages Israéliens détenus à Gaza libérés et/ou décédés. Autour de certaines photos des objets sont déposés, probablement par des membres de leur famille ou d’amis. C’est une installation émouvante.
La remise du visa touristique prend quelques secondes. Je me retrouve devant l’aéroport, tous les contrôles franchis. Un poids tombe de mes épaules. Le voyage va pouvoir réellement commencer. Je retire veste et pull.
Il me reste un train, un tram et un bus à prendre pour arriver à Bethléem. Je ne sais pas du tout comment cela va se passer. Les points de contrôle entre Israël et la Cisjordanie sont-ils ouverts ? Je verrai…
L’étape train est rapide. En trente minutes environ je suis à Jérusalem. Je sors de la gare, il fait froid. Je remets le pull et la veste.
L’étape tram entre la gare et la porte de Damas est très simple aussi. Je n’ai pas eu besoin d’acheter de billet il restait du crédit sur ma carte du réseau de transport israélien. J’ai vraiment l’impression d’être à la « maison ».
Dernière étape : le bus pour Bethléem. Celui qui franchira la ligne verte, maintenant matérialisée par un mur en béton entre les deux entités. Je me renseigne, la réponse est simple, il fonctionne et les points de contrôle sont ouverts.
À 18h30 je sors du bus, je suis arrivé à destination. Onze heures après m’être réveillé ce matin. C’est un record, je ne suis jamais arrivé aussi vite.
Je fais à peine quelques pas en direction de la place de la Mangeoire que je rencontre un chauffeur de taxi que je connais bien, il me propose de me déposer, je dis non car j’ai envie de marcher, il insiste. Comme c’est un copain, je me dis que c’est aussi une bonne façon de m’immerger. Il me dépose à Star Street, ne veut pas de paiement et part. Je vais en premier voir la vieille dame qui m’a régulièrement accueilli pendant mes séjours, car cette fois-ci, je ne serai pas chez elle. On est très contents de se voir. Rapidement, elle m’explique que les Israéliens font des croix rouges sur des maisons dans les camps de réfugiés. Je l’interroge sur le motif. Elle ne sait pas trop, mais une maison qui a été « marquée » il y a quelques jours à été détruite par l’armée. Elle m’offre une infusion, nous parlons, elle semble aller bien. Mais elle est fatiguée, elle finit sa vie dans un conflit éternel, qui depuis quelques temps s’aggrave. Je ne sais pas comment ces gens tiennent Ici, cela me provoque un mélange de tristesse et d’admiration.
Je reprends à pied la direction de la place de la Mangeoire. C’est le nom réel de la place de la Nativité. C’est dans une mangeoire que le Christ est né !
Presque tout est fermé. Je ne sais pas encore si c’est à cause de la fin du ramadan ou à cause de la situation économique devenue catastrophique depuis le 7 octobre.
Je retrouve Wael, il va m’accompagner à mon logement. Je l’interroge sur les commerces fermés. Il confirme la deuxième hypothèse, celle de la crise économique. Puis je lui parle des croix rouges sur les maisons. Il m’explique que les Israéliens veulent effacer la notion de camps de réfugiés. Ils veulent les « ouvrir » pour les faire disparaître. Une sorte de « plan d’urbanisme » dans un territoire qui n’est pas le leur. Mais surtout pour ne plus entendre parler de « réfugiés ». Ils sont responsables de cet état de fait, alors ils veulent « l’effacer ». Le gars à la peau orange, avec son projet de Riviera, est totalement aligné avec eux.
Le contraste entre les lunettes à larges branches et les croix rouges sur les maisons me donne la nausée et cela confirme la pathologie de type sociopathie que je ressens depuis que je viens ici. Depuis que j’ai compris cela, j’ai également compris à quel point l’intégralité de la société humaine fonctionne sur le même modèle, et ce, sur tous les sujets. Celles et ceux qui tentent de faire autrement sont considérés comme des « fous » par des sociopathes en liberté.
Notre rapport à « l’autre » est faussé. Qu’on l’appelle, patriarcat, colonisation, fascisme, climato-scepticisme, peut importe, on parle de la même chose, on parle de sociopathie. Ici, simplement ça se voit plus qu’ailleurs. Et surtout, nous n’avons aucune leçon a donner, nous ne faisons pas mieux.
Je sais que le malaise que j’ai ressenti dans l’avion correspond à la conscientisation de ce cruel état de faits de mon espèce. J’en suis un membre, j’espère sincèrement faire partie de la caste des « fous ».
Samedi 5 avril
Une voiture, des enfants à la fenêtre à Bethléem
Après quelques jours sur place je suis très perplexe sur tout ce que j’observe.
La colère.
Après l’histoire des croix rouges dans les camps de réfugiés, Maria me raconte que des soldats équipés d’armes et de lampes frontales sont venu la nuit dernière dans la maison voisine, ils ont fait des prisonniers et sont partis. C’était vers 2 heures du matin. Maria habite en plein cœur de Bethléem, dans la vieille ville historique. Personne ne sait pourquoi cette opération a eu lieu. Du haut de ses 88 ans, elle me parle de son stress et de sa peur.
La tristesse.
J’ai retrouvé un ancien chauffeur de taxi, il est maintenant au chômage, la compagnie a récupéré le véhicule, ils ne peuvent plus laisser autant de véhicules en circulation. Cette histoire et bien d’autres, je les entends depuis que je suis arrivé.
L’agacement.
Pour la première fois depuis que je viens ici, je suis harcelé presque constamment par des demandes d’argent. Je ne peux bien sûr pas les satisfaire. Je ne suis pas riche. Et même si je l’étais, je n’aurais pas pour autant le pouvoir de régler le problème. Mais je crois que ce qui m’agace au delà du fait de ne pas pouvoir répondre à de telles demandes, c’est d’être vu comme un riche car je suis Européen. Une sorte de cliché en miroir des nôtres. Ça a pris certaines proportions et maintenant je redoute de sortir de chez moi, car je sais que mon trajet va être pénible. Dire non et être désagréable ne correspond pas à ma personnalité.
Les blocages.
Le samedi Ici ressemble à un lundi en Europe, c’est un jour très agité. De l’autre côté, c’est Shabbat. Le marché est bondé de monde, sa rue principale est saturée d’étales sur roulettes et de clients. Malgré cela de nombreux véhicules motorisés tentent la traversée. Cela offre le spectacle d’une « matière » qui se déforme et s’ouvre pour se refermer immédiatement après le passage. Cela se répète constamment. La circulation est pénible, autant pour les véhicules que pour les passants, sans parler les commerçants qui passent leur temps à déplacer leur marchandise. Mais tout se passe dans un certain calme. À l’extérieur du marché, les rues sont bloquées par un embouteillage à l’échelle de la ville. Bien qu’il y ait plusieurs cause à cela, mauvaise habitudes, cul collé à la voiture, amour certain pour les voitures, la principale raison qui amplifie cette relation aux véhicules à roues et à moteur, c’est la situation d’occupation de la Cisjordanie. La plupart des routes est contrôlée par Israël, obligeant les Palestiniens à emprunter des itinéraires compliqués pour éviter les colonies cela créant des trajets qui obligent les voyageurs à traverser les villes pour se déplacer d’une agglomération à l’autre. Par effet « boule de neige » il est actuellement inenvisageable d’interdire les accès aux centres historiques, les boulevard périphériques étant déjà saturés.
Au final, flâner dans les rues n’est pas une option imaginable. Car si par miracle une rue est presque vide, un scooter ou une voiture arrivera à une vitesse très très inadaptée… Avec, bien sûr, la musique à fond. Ce qui, au moins, donne la possibilité de les entendre arriver de loin.
Dimanche 6 avril
Soir de fête à la fin du ramadan sur la place de la Mangeoire (là où est né le Christ) et la mosquée d’Omar au fond.
Visioconférence. Avec beaucoup de bruits de fond et de l’écho les écrans s’allument. Je suis accompagné de quatre Palestiniens, on s’adresse à un groupe de personnes situées dans le Var. C’est le groupe Attac Vars-Est qui a organisé une journée de soutien à la Palestine. On fait partie des « événements » de la journée. Une discussion directe avec la Palestine est proposée aux personnes présentes à l’Usine de la Redonne à Flayosc. Je commence. J’explique la raison pour laquelle je passe un mois à Bethléem, je partage mes premières impressions étant arrivé quelques jours plus tôt.
Puis je donne la parole aux personnes qui m’accompagnent, Mariam, Rima, Saïf et Yasser (le mari de Rima). Ils racontent leur quotidien, la dégradation des revenus, l’augmentation des tarifs, la pression de l’occupant qui augmente, les incertitudes liées aux points de contrôle qui se sont multiplié et qui ferment et ouvrent au gré de leur fantaisie. Comment les temps de trajets ont fortement augmenté et comment les incertitudes de passage sont devenues les règles de base.
La première question posée par une participante à Flayosc est : « Qu’est-ce qu’on peut faire pour vous aider ? » Mariam répond : « Ne surtout pas nous oublier ». Elle et Rima ne peuvent retenir une larme de couler. L’émotion gagne tout le monde.
Un moment de silence suit.
Puis la discussion se poursuit autour des différentes stratégies de l’occupant pour chasser les Palestiniens de chez eux. La conversation s’attarde sur une stratégie devenue courante, mais amplifiée par la crise économique. Il s’agit simplement de payer des Palestiniens pour qu’ils achètent des biens à d’autres Palestiniens puis qu’il les « revendent » ensuite à des Israéliens. Inutile de dire qu’en plus de l’aspect mafieux du procédé, cela crée une méfiance entre les Palestiniens eux-mêmes, fragilisant de fait un peu plus la société.
Après l’événement une organisatrice me contacte pour nous remercier de notre intervention. Ce moment d’échange a beaucoup ému les personnes présente à Flayosc. Compte tenu du caractère isolé du lieu, de nouvelles personnes sont venues participer et ont (re)découvert la situation. C’est incroyable de devoir se cacher pour pouvoir parler de ce qu’il se passe réellement sur place. Ce n’est pas un fait nouveau, on le sait. Celles et ceux qui s’exposent, quel qu’en soit le niveau en subissent plus ou moins les conséquences. Et ce, de partout, en Israël compris.
« Captivant » sur le mur de séparation. Camp de réfugiés d’Aïda en périférie de Bethléem
Lundi 7 avril
Rue vide de Bethléem le jour de la grève internationale de soutien à Gaza
Global strike Day pour Gaza – Journée de grève mondiale pour Gaza
Ce matin c’est le chant des oiseaux qui me réveille. C’est très calme, je me souviens, c’est grève aujourd’hui. Quand je sors, les rues sont désertes et silencieuses. Le vieux Bethléem m’apparaît splendide. Comme un musée et la beauté morte d’une monstration immobile !
Justement, ce jour est là pour s’en rappeler de la mort.
Ce n’est pas la première fois que je suis en Palestine un jour de grève. Ici c’est très respecté. L’engagement n’est pas une parole en l’air. Mais là c’est plus profond que d’autres fois. Plus grave aussi. Seuls les pharmacies et les boulangeries restent ouvertes. Tout, absolument tout, est fermé, presque aucune circulation, pas de taxis jaunes, pas de bus. Pas de gens. C’est impressionnant. Mais la vie reste la vie …
Je vois arriver une voiture en trombe de type Allemand qui commence par B et finit par W, elle fait une accélération sur ses roues arrières motrices, fait une pointe avec une odeur de gomme et d’essence. Puis une autre. Suivi d’une moto. L’aubaine des rues désertes est irrésistible pour les propriétaires de véhicules à jantes taille basse et à enceintes acoustiques avec caisson de basses.
À ce propos, en mars 2023, j’avais écrit ce texte :
« Le crissement des pneus de voiture / celui des trottinettes électriques, des vélos, / des scooters, des motos. / Les glissades en rond, les traces de gomme / sur l’asphalte. / Le tuning des voitures. / Toute la playlist de la variété palestinienne, / qui sort des enceintes sur-boostées des / voitures aux jantes élargies. / Des basses qui font vibrer la cage thoracique. / Le beat des klaxons incessants. / L’heure de la promenade. / La rumeur d’un centre de détention. C’est ce / que j’entends. / Les contrôles vers Israël plus légers, les / autorisations de travail facilitées. / Des enfants abattus à bout portant par des / adultes. / Le rêve de voyage, autorisé depuis Amman. / Blocus sur Jéricho, rêve impossible. / Blocus levé, passage possible vers la Jordanie. / Rêve possible. / Le prix de la traversée est supérieur à celui / de mon billet aller-retour Nice/Tel Aviv. / L’argent qui part en traces noires, en gaz / d’échappement, en fumée. / La soumission ultime. »
J’étais dégoûté de voir un tel gaspillage d’argent. Et en même temps je ne peux que le comprendre quand on vit dans une prison à ciel ouvert. Un commerçant m’alpague quand même, c’est trop tentant également… Il me fait passer par des chemins très tordu pour m’emmener dans sa boutique sans être vu. À défaut de respecter strictement la grève, il faut au moins en donner l’illusion.
Puis en rentrant chez moi j’observe que la porte de certaines boutiques n’est pas vraiment fermée à double tour, j’entends des voix à l’intérieur. Je ne peux pas m’empêcher de sourire en le constatant.
Puis je vois les messages d’un groupe dans lequel je suis. À Nice, là d’où je viens il y a deux valeureux militants au milieu de la place Masséna qui agitent le drapeau Palestinien en marque de soutien à cette journée internationale d’action. Chacun fait comme il peut avec l’inacceptable.
Le carnet de bord sera également disponible dans notre version papier, à retrouver tous les deux mois dans votre boîte aux lettres : https://mouais.org/abonnements2025/
S’il semble se dégager une majorité dans la population favorable au projet de loi sur la fin de vie (92% pour selon un sondage Ifop pour l’ADMD de mai 2024), il existe également des oppositions, notamment de collectifs pour les droits des handicapés, ainsi que de médecins. Nous avons interrogé Charles-Henry Canova, cancérologue ainsi que Elisa Rojas, avocate et militante handi. Par Edwin Malboeuf Validiste et eugéniste (lire plus bas)... Read More
S’il semble se dégager une majorité dans la population favorable au projet de loi sur la fin de vie (92% pour selon un sondage Ifop pour l’ADMD de mai 2024), il existe également des oppositions, notamment de collectifs pour les droits des handicapés, ainsi que de médecins. Nous avons interrogé Charles-Henry Canova, cancérologue ainsi que Elisa Rojas, avocate et militante handi.
Par Edwin Malboeuf
Validiste et eugéniste (lire plus bas). C’est ainsi qu’ Elisa Rojas, avocate et militante pour les droits des personnes handicapées, a qualifié le projet de loi sur la fin de vie. Dans une tribune parue dans Le Monde le 13 février 2025, elle s’est prononcée contre. Pourquoi ?« Il est clair que le texte de loi sur la fin de vie relève d’une logique validiste et eugéniste dans le sens où tous les raisonnements faits pour le justifier s’appuient sur le postulat que toutes les vies ne se valent pas, qu’il est logique que les personnes malades et/ou handicapées veuillent mourir et qu’il n’y a pas, comme on le ferait pour des personnes valides, à interroger leur environnement, à questionner les véritables causes de leur désir de mort, ni à les dissuader de recourir au suicide mais qu’il faut, au contraire, leur faciliter le passage à l’acte. Sans le dire expressément, il y a aussi l’idée sous-jacente qu’au fond les personnes malades et/ou handicapées étant des poids pour la société, leur mort ne serait pas un drame mais une libération pour elles-mêmes et surtout l’ensemble de la collectivité ».
Pourtant, les partisans du projet de loi insistent sur le dernier mot laissé au patient, pour ne pas craindre d’incitation à la mort pour des patients en soins palliatifs. « Cette présentation est très hypocrite. Il y a une multitude de pressions qui pourront s’exercer sur les patients en cause, notamment sociales, familiales et médicales. Comme je l’ai dit, nous vivons dans une société qui hiérarchisent les vies et considèrent les personnes malades comme des fardeaux pour leurs proches et l’ensemble de la collectivité. Il est évident que le texte lui-même constituera une pression supplémentaire et une incitation au suicide pour les personnes malades et handicapées, notamment les plus fragilisées », détaille Elisa Rojas. Pour l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (lire précédemment) il faut à la fois mieux prendre en charge ces soins palliatifs et également pouvoir choisir librement sa mort. « Le fait de lier suicide assisté/euthanasie et soins palliatifs en affirmant qu’ils peuvent coexister, et que l’un est le prolongement de l’autre, est une manipulation grossière de la part de cette association. Provoquer la mort n’est pas un soin, puisque le soin vise, au contraire, à améliorer, maintenir et protéger la santé physique ou mentale. Mélanger les deux sujets dans le texte de loi visait, en outre, à empêcher ceux qui ont des doutes sur l’opportunité de légaliser « l’aide active à mourir » de voter contre sans risquer de mettre en péril le financement des soins palliatifs. Il s’agissait ni plus ni moins d’un chantage. En réalité, ce qui est constaté dans les pays qui ont légalisé ce type de dispositif, comme le Canada, c’est que parallèlement à cette légalisation la qualité des soins palliatifs s’est dégradée. Or, la qualité des soins palliatifs et leur financement à hauteur des besoins, comme tout ce qui contribue à soulager la douleur, devrait être la priorité pour les malades en fin de vie. D’ailleurs, lorsque ces derniers sont bien pris en charge, ils ne demandent plus à mourir, comme l’a confirmé la mission d’évaluation des lois Claeys-Leonetti de 2023 ».
Elisa Rojas estime également que le but de la convention citoyenne créée pour l’élaboration du projet de loi « était clairement de donner un semblant de légitimité à un texte qui en réalité ne répond à aucune urgence, ni même à aucun besoin. Or, les conclusions de cette Convention, selon lesquelles 75,6 % des participants se sont déclarés favorables à une évolution du droit vers une « aide active à mourir » sont des plus contestables ». Elle relève « qu’il a été demandé à des personnes majoritairement valides de se prononcer en se projetant de façon fictive dans des réalités (la maladie, la dépendance, le handicap, la souffrance physique et morale, la proximité de la mort) qu’elles ne vivent pas mais craignent sans les connaître, tandis que la voix de celles et ceux qui font déjà l’expérience concrète de ces réalités, et dont la vie sera possiblement écourtée par la réforme, a été opportunément écartée ou minorée, tant dans le choix des participants que lors des tables rondes organisées. »
L’euthanasie : un progrès ?
Le droit de choisir sa mort ne représente-t-il pas un progrès ? « Je m’étonne que le droit de choisir sa mort ne soit revendiqué que pour les personne malades et handicapées mais jamais pour justifier le suicide des personnes valides et « bien portantes. » Je m’étonne également que les défenseurs du texte qui, pour la plupart, ne s’offusquent jamais du fait que la plupart des personnes malades et handicapées vivent actuellement privées du droit de choisir leurs conditions de vie (par exemple, l’endroit où ils vivent, avec qui, leurs activités, leurs repas), soient soudainement préoccupées par le fait de donner d’urgence à ces mêmes personnes le droit de choisir leur mort. Le suicide est déjà une liberté pour tout un chacun et il existe, par ailleurs, les lois Claeys-Leonetti (2005 et 2016) pour répondre de façon raisonnable aux besoins des malades en fin de vie, avec le refus de l’acharnement thérapeutique, le droit à la sédation profonde jusqu’au décès et la possibilité de directives anticipées. »
L’avocate et militante pour les droits des personnes handicapées s’interroge sur la notion de progrès. « Pour ce qui est de savoir si légaliser le suicide assisté et l’euthanasie est un progrès, tout dépend de la définition que vous avez du progrès. Pour ma part, je ne pense pas que le progrès se mesure uniquement au regard des libertés individuelles et de leurs avancées, il faut aussi tenir compte d’autres paramètres comme celui de l’égalité et de la solidarité. En ce sens, en termes d’égalité et de solidarité ce projet de loi ne constitue pas un progrès. Au contraire, il ne constitue rien d’autre que le parachèvement d’une politique capitaliste et néolibérale mortifère qui détruit d’abord les droits des personnes malades et handicapées, détériore leurs conditions de vie, d’accès aux aides et aux soins, les abandonne à leur sort, pour ensuite leur proposer – presque cyniquement – la mort comme solution à leurs difficultés ».
Un risque d’élargissement à craindre
Même avec des garanties et des critères très restrictifs, Elisa Rojas se prononce contre le projet de loi. « Aucune garantie n’est de nature à contenir les dérives et à faire échec aux risques considérables qu’il représente pour les personnes malades et handicapées. L’extension du dispositif au-delà des personnes malades au pronostic vital engagé à court terme est inévitable. Il est même consubstantiel au texte dans la mesure où il s’agit de créer un nouveau droit, dont l’un des critères d’attribution est la souffrance, il y aura toujours des gens en grande souffrance pour dénoncer le fait qu’ils sont injustement exclus de ce droit d’accès au suicide médicalisé et pour revendiquer son application à leur situation. C’est ce qu’il s’est passé au Canada et la raison pour laquelle, rien n’a pu empêcher l’élargissement rapide de la liste des « bénéficiaires. »
Observe-t-on dans les pays où l’euthanasie est légalisée une hausse des morts de personne en situation de handicap ? « Le simple fait que des personnes handicapées puissent demander à mourir via ce dispositif non pas par souhait de mettre fin à leurs jours, mais à défaut de pouvoir vivre et se soigner dans de bonnes conditions est totalement inacceptable. On sait que de telles demandes ont été faites et ont été validé dans les pays qui ont légalisé le suicide assisté et l’euthanasie. Qu’elles soient majoritaires ou pas n’est même pas la question. Ceux qui défendent le projet de loi semblent considérer que les morts qui ont été provoquées dans ces circonstances sont un moindre mal, qu’il ne s’agit que de simples « dommages collatéraux », ce n’est pas mon cas. La vie des personnes malades et handicapées compte et il me semble tragique qu’une société soit inhumaine au point de suggérer l’inverse. »
Garantir d’abord l’accès aux soins palliatifs
Charles-Henry Canova, cancérologue, se veut plus mesuré dans son approche du projet de loi. « Il n’y a pas de pour ou de contre. C’est plus compliqué que cela ». Que pense-t-il du projet de loi en cours ? « Je pense qu’il faut le scinder en deux [comme proposé par François Bayrou – N.D.L.R.]. Car il y a deux sujets différents. Déjà, l’accès aux soins palliatifs n’est pas garantie équitablement sur le territoire. Idéalement, la meilleure façon de mourir est à son domicile avec ses proches et pas dans un endroit institutionnalisé qui t’est étranger. Il faudrait proposer un accompagnement à domicile avec la structure qu’il faut. Le problème est qu’il n’y a plus beaucoup d’infirmières et de médecins qui se déplacent à domicile. Aujourd’hui, ce n’est pas applicable. Il faudrait déjà que chaque département puisse bénéficier de soins palliatifs et qu’ils soient accessibles. Ce sont des services qui ne sont pas rentables et on ne devrait pas y chercher de la rentabilité. Il faut beaucoup de personnel soignant pour peu de patients ».
Que recouvre l’appellation soins palliatifs qui devrait faire l’objet d’un texte séparé de celui sur l’aide active à mourir en mai 2025 à l’Assemblée nationale ? « On utilise beaucoup le terme de soins de confort, plus générique et plus global, explique Charles-Henry Canova. On est dans l’ère de l’accompagnement du patient, de lutte contre la douleur, du soutien psychologique. Un accompagnement global du corps et de l’esprit, des soins de confort en parallèle de la prise en charge médicale. Par exemple, en plus de la chimiothérapie, un accompagnement nutritionnel, social, psychologique et physiologique, des proches. Très peu d’endroits sont structurés pour garantir tout cela. Pourtant, de nombreuses études ont montré une amélioration de la survie lorsqu’il y a des soins de confort en plus de la chimiothérapie. » Pour le médecin, « ce qui est effrayant pour l’aide à mourir dans le cas des personnes atteintes de cancer, c’est qu’on peut se trouver parfois dans des situations d’urgence où il s’agit simplement d’un cap aigu à passer et d’aider le patient à partir. J’ai des patients toujours en vie trois ans après des soins palliatifs. C’est un vrai danger de simplifier des process. Quel humain en 2025 et plus tard pourra dire : ce patient-là, c’est fini, il faut abréger ses souffrances. »
Le docteur Canova porte aussi l’attention sur un facteur négligé selon lui dans le cas d’une fin de vie. « La dépression est très fréquente chez les personnes atteintes de cancer, ce qui aggrave le pronostic. Lorsqu’on est dépressif, on peut manifester plus vivement l’envie de mourir. Le niveau de la psychiatrie en France se dégrade, car ce n’est pas très rentable. Il faudra une évaluation psychiatrique pour les patients souhaitant mourir, car certains sont brisés et leur situation peut s’améliorer avec une psychothérapie et des antidépresseurs. On néglige trop cet aspect. » Selon lui, il faut prioriser le soin et les structures d’abord. « Avant d’aider les patients à mourir, il faut pouvoir diagnostiquer et dépister précocement, traiter des dépressions, encadrer psychologiquement les patients. Il faut instaurer des parcours de soins pour toutes les pathologies, avec des intervenants identifiés et disponibles. Faire cette loi sans les ressources humaines nécessaires n’a pas de sens. » Il réfute également l’argument de l’alignement sur les voisins européens pratiquant déjà l’euthanasie. « Le fait que l’euthanasie existe chez nos voisins ne veut pas dire qu’il faut s’aligner. On se demande comment aider les gens dans ces situations, et aucun médecin n’a la réponse idéale. Il est sûr que cela peut rassurer lorsqu’on connaît son futur très péjoratif de savoir qu’on peut ne pas aller jusqu’à ce point de souffrance. Il faut faire attention à ce que ce ne soit pas élargi à des pathologies qui n’engagent pas le pronostic vital, comme des dépressions résistantes par exemple ».
Les partisans du projet de loi sont pour que deux critères importants préviennent de ces dérives : le consentement libre et éclairé du patient, ainsi que l’établissement d’un pronostic vital engagé à court ou moyen terme. « Pour moi, moyen terme ne veut pas dire grand-chose. Il faut être précis. Moyen terme peut être long. Est-ce trois ou quatre ans avant la date du décès ? Le consentement libre et éclairé existe-t-il chez des patients dépressifs, pas bien entourés ? On veut écrire un texte générique pour des milliers de situation différente. C’est très difficile d’en évaluer la pertinence. Et il faut des moyens humains et financiers avant les textes. Est-ce que parce qu’on manque de soins palliatifs on va aider les gens à mourir plus facilement ? » Pour conclure, Charles-Henry Canova réitère son souhait de voir les soins palliatifs en ligne de mire avant le reste. « Le plus grand progrès sera l’accompagnement. S’il y avait des soins palliatifs partout et accessible, je ne sais pas si on se poserait la question de l’aide à mourir ».
Validisme et eugénisme, c’est quoi ?
Elisa Rojas définit ainsi ces deux termes : « Le validisme est le système d’oppression mis en place par les personnes valides qui infériorise et déshumanise les personnes handicapées. C’est une structure de différenciation et de hiérarchisation sociale qui repose sur le principe que les personnes valides sont la norme ou l’idéal à atteindre et que toute personne qui ne correspond pas à cette norme se trouve dans une position inférieure qui justifie sa mise à l’écart et sa marginalisation de la société. Quant à l’eugénisme, c’est l’ensemble des méthodes et pratiques qui vise à sélectionner les individus pour améliorer l’espèce humaine. Il conduit à ne retenir que ceux dont les caractéristiques, par exemple le patrimoine génétique ou la santé, sont considérées comme les meilleures et à écarter les autres, en empêchant leur venu au monde ou en les éliminant par exemple ».
Jonathan Denis est président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), qui existe depuis 45 ans. Il milite pour l’aide active à mourir et se dit bien évidemment favorable au projet de loi en la matière. Entretien. Par Edwin Malboeuf Qu’y a-t-il de plus intime que notre rapport à la mort ? Si nous considérons l’intime comme politique, alors sans doute faut-il légiférer sur la fin de.. Read More
Jonathan Denis est président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), qui existe depuis 45 ans. Il milite pour l’aide active à mourir et se dit bien évidemment favorable au projet de loi en la matière. Entretien. Par Edwin Malboeuf
Qu’y a-t-il de plus intime que notre rapport à la mort ? Si nous considérons l’intime comme politique, alors sans doute faut-il légiférer sur la fin de vie afin d’offrir une mort digne, sans souffrances exacerbées et éviter la clandestinité des pratiques pouvant mettre en danger soignants et patients. Néanmoins, de par la diversité des cas existants, d’un souci éthique majeur, d’un hôpital public lui aussi en fin de vie, détruit par les politiques néolibérales et d’une approche qualifiée de validiste et eugéniste par les opposants au projet de loi en cours, il faut s’attaquer à ce sujet avec des pincettes. Jonathan Denis, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité a accepté de répondre à nos questions pour comprendre les arguments favorables au projet de loi.
Pouvez-vous présenter l’Association pour le droit de mourir dans la dignité ?
L’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) a été créée il y a quarante-cinq ans. Elle compte près de 80 000 adhérents bénévoles, c’est une association à la fois militante pour une nouvelle loi sur la fin de vie qui incorpore à la fois un accès universel aux soins palliatifs et la légalisation de l’aide active à mourir (euthanasie et suicide assisté) dans des cas bien précis. Notamment pour des personnes atteintes d’une infection grave et incurable en phase terminale avancée, avec des souffrances physiques ou psychologiques qu’elles jugeraient insupportables. C’est aussi une association d’entraide et de solidarité, avec des représentants d’usagers une commission juridique, soignante, une ligne d’écoute et un fichier des directives anticipées que nous gérons.
Quelle est la sociologie de l’association ?
Il n’y a pas de typologie type. Nous avons des adhérents atteintes d’une maladie grave et incurable, mais aussi des proches qui ont du les accompagner, notamment dans des cas d’euthanasie clandestine en France comme c’est mon cas personnel, ou à l’étranger. Des personnes qui ont raisonné de façon philosophique à la question, des soignants conscients de la réalité et des insuffisances de la loi. Nous avons tous les âges, dont un groupe de jeunes, les moins de 35 ans.
Quel type de militantisme exercez-vous au sein de l’ADMD ?
Nous sommes une association en responsabilité donc nous rencontrons le Président de la République, le Premier ministre, députés, sénateurs, sénatrices et élus locaux. On rencontre tous les élus favorables ou non, on est là pour discuter, car on veut une loi qui respecte toutes les consciences. On organise également des réunions publiques avec les délégués départementaux.
Euthanasie, suicide assisté, aide active à mourir : est-ce la même chose ?
On parle de la même chose. Cela dépend des législations. Je suis pour assumer les mots. Derrière la notion d’aide active à mourir, vous avez l’euthanasie. C’est un médecin qui fait un geste létal auprès d’une personne malade d’une infection grave et incurable mais toujours à la demande de la personne. Le suicide assisté, c’est la personne qui va faire elle même le geste. Aux Etats-Unis, la personne récupère une “kill pill”, une pilule létale qu’elle peut prendre seule chez elle. En Suisse, ce sont des associations qui accompagnent la personne mais c’est toujours la personne qui fait le geste. Et puis, il y a des pays où c’est le soignant qui est autour. La différence entre euthanasie et suicide assisté dépend de qui réalise le geste létal.
Comment se positionne l’ADMD sur ce geste ?
On est pour une liberté de choix du patient, qu’il décide de réaliser le geste, ou qu’il le délègue à un médecin.
Que pensez-vous du débat public en la matière ?
Il faut se rappeler que le débat existe depuis 45 ans. La première proposition de loi déposée l’a été par Henri Caillavet, qui fut président de l’ADMD par ailleurs, à la fin des années 1970. Puis, de multiples propositions de lois ont été déposées par tout groupe parlementaire sur plusieurs années. Enfin, il y a eu un engagement d’Emmanuel Macron, notamment avec cette convention citoyenne. Elle a fait un travail de fond formidable, avec 184 citoyens réunis, non-spécialistes de la question, qui ont bossé pendant 9 semaines, avec au final une majorité souhaitant améliorer la loi. Au-delà de cette convention citoyenne, le comité national d’éthique a également rendu son avis. Il y a eu une mission d’évaluation parlementaire sur la loi actuelle, montrant les insuffisances de celle-ci. Enfin, il y a eu un travail gouvernemental avec un projet de loi, une commission spéciale ayant étudié ce projet de loi, a voté certains amendements. Le texte a été débattu à l’Assemblée nationale, et voté en grande partie. Tout s’est arrêté avec la dissolution à quelques jours du vote.
Aujourd’hui, nous avons une grande déception suite aux déclarations de François Bayrou de vouloir scinder le texte en deux, sur ses convictions personnelles. Elles ne doivent pas être mises sur le devant de la scène et il doit respecter le travail démocratique qui a été fait, et la majorité des Français qui pensent qu’il faut un seul et même texte.
Il veut un texte sur l’aide à mourir, et un sur les soins palliatifs.
Oui. Alors que depuis le début nous travaillons sur un seul et même texte. La première partie s’appelle les soins palliatifs et soins d’accompagnement, et la deuxième sur l’aide à mourir, car nous considérons que c’est un continuum de soins. Tout le monde travaille dessus depuis deux ans et demi et François Bayrou arrive et en un éclair veut tout changer. En réalité, il est contre l’aide à mourir, et le choix de ces deux textes est celui de tous les opposants de l’aide à mourir. Ne soyons pas naïfs, ce discours est là pour enterrer le texte sur l’aide à mourir en pensant que les soins palliatifs seront suffisants.
Des opposants de gauche sont contre ce projet de loi qu’on présente pourtant comme progressiste.
Ce n’est pas une question politique. Dans chaque groupe parlementaire vous avez des personnes favorables et des opposants. Cela touche à l’intime et aux convictions de chacun. Nous demandons l’accès universel aux soins palliatifs ET l’aide à mourir. Je suis le premier à dire qu’il y a énormément à faire dans les soins palliatifs. Mais cette discussion peut se faire dans le cadre budgétaire du projet de loi de finances de la Sécurité sociale. Rappelons-nous quand le projet de loi, on a réussi à doubler le budget consacré aux soins palliatifs, d’un milliard à deux milliards. Il y avait un aspect sur la formation aux soins palliatifs, la création de maisons d’accompagnement, pour les personnes en souffrance et les proches. Maintenant il ne faut pas se mentir sur les soins palliatifs, plus de 20 départements n’ont pas d’unités de soins palliatifs, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de soins palliatifs dans ces départements. Mais 20 départements n’ont pas d’unité pour accompagner les cas les plus complexes, avec des personnes qui doivent faire des kilomètres pour trouver cet accompagnement, ce qui n’est pas normal. Il faut développer massivement les soins palliatifs à domicile, et les soins palliatifs pédiatriques. Il faut former, recruter, mieux répartir. Là-dessus, tout le monde est d’accord, mais je n’oppose pas les soins palliatifs à l’aide à mourir. Ce sont des choses complémentaires, comme ce qui est fait à l’étranger.
Pas de priorisation alors ?
Je regarde les choses en face, et ce faisant, je considère que les soins palliatifs ne peuvent pas tout. Même si demain tout le monde a accès aux soins palliatifs, certaines personnes ne voudront pas y aller. Ceux-ci ne peuvent pas soulager toutes les souffrances. Par exemple pour, des personnes atteintes de maladies neurodégénératives. Elles peuvent avoir envie de décider avant d’être en phase agonique. Les soins palliatifs ne pourront jamais répondre à tout.
Au-delà des soins palliatifs, il y a la loi Clays-Léonetti votée en 2016. Certains disent qu’elle prévoit déjà une aide active à mourir. Pourquoi est-elle si peu utilisée ?
Je pense que c’est une loi hypocrite. Elle a renforcé le rôle des directives anticipées, ce qui est très bien. Mais elle a aussi légiféré en créant une procédure autour de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Cela concerne des personnes atteintes de maladies graves et incurables, dont le pronostic vital est engagé à court terme. Elles peuvent être accompagnés dans le cadre de cette sédation. On va les endormir, on va altérer leur conscience et on va attendre. On arrête l’alimentation et l’hydratation. Vous avez des sédations qui se déroulent en quelques instants et certaines qui durent plusieurs jours, plusieurs semaines. Cette loi, lorsqu’elle a été votée quasiment à l’unanimité (436 voix pour 34 contre N.D.L.R.), personne n’a réfléchi à ce qu’était le court terme. Il a fallu attendre deux ans pour qu’on nous dise, le pronostic vital engagé à court terme, c’est de quelques heures à quelques jours. Quand on discute avec les députés qui ont voté la loi, ils nous disent que dans leur esprit ce n’était pas ça. Et c’est là l’hypocrisie. Pour eux, ça devait pouvoir accompagner d’autres personnes. Aujourd’hui on ne sait pas combien il y a de sédation en France, combien sont proposées et combien sont acceptées. Tout ce qu’on a, ce sont des retours de proche qui nous disent que cette sédation se passe très mal parfois. Je ne dis pas que c’est une mauvaise loi je dis qu’elle n’est pas suffisante. Elle ne répond pas à des cas qui peuvent se présenter.
C’est quoi une directive anticipée ?
Les directives anticipées, c’est le seul document aujourd’hui qui permet de dire ce que vous souhaitez ou ne souhaitez pas si vous n’êtes plus en état de vous exprimer dans le cas d’une fin de vie. Ce document est censé vous protéger, vous avez désigné des personnes de confiance qui vous représentent et faire valoir vos droits.
Il y a eu un examen de cette loi en 2023…
… qui a pointé les insuffisances de cette loi. C’est nébuleux. La différence entre une sédation profonde et continue jusqu’au décès et l’euthanasie, c’est une question de dosage, de protocole. Les opposants disent : dans la sédation, il ne s’agit pas de dater le décès mais de soulager les souffrances. Si on est honnête intellectuellement, on sait que cette sédation mène au décès. Il faut bien que toutes ces choses existent comme c’est le cas dans d’autres pays du monde. En revanche, nous sommes le seul pays à avoir une loi précise sur ce qu’est la sédation jusqu’au décès. Il y a peut-être des raisons.
Finalement, c’est une question de curseur. Y-a-t-il un calcul économique qui peut être fait également dans les motivations de cette loi ?
Personne ne réfléchit comme cela. Nous réfléchissons sur comment accompagner et ne jamais abandonner quelqu’un. Effectivement, les législations diffèrent : certaines sont sur le suicide assisté, d’autres sur l’euthanasie, d’autres sur les deux, définissent la durée du pronostic vital engagé pour décider etc. Le socle commun, c’est qu’à chaque fois il y a eu un renforcement des soins palliatifs. Vous avez des aides à mourir qui se pratiquent dans le cadre d’unités de soins palliatifs car on n’a pas opposé les deux. Et nous décidons, par le cas de François Bayrou d’opposer les deux de manière stérile et qui ne mène à rien.
Pour poursuivre sur les oppositions (lire “Projet de loi fin de vie : des risques eugénistes et validistes ?”), des collectifs alarment sur le risque validiste et eugéniste de cette loi, étant donné qu’un grand nombre de personnes atteintes de maladies graves et incurables sont porteuses de handicap et pourraient se voir proposer l’aider à mourir. Que répondez-vous à ça ?
Une chose simple : on ne se voit jamais proposer l’aide à mourir. C’est la personne qui demande. Ensuite elle rentre dans le cadre de la loi. Ensuite un médecin l’accompagne ou pas. Aucun pays au monde ne propose l’aide à mourir. Sébastien Peytavie, député écologiste et en situation de handicap, le dit fréquemment. Il n’est pas question qu’on se voit proposer l’aide à mourir simplement parce qu’on est porteur de handicap. Ce n’est pas du tout l’esprit du texte de loi. Ne commençons pas à travestir un texte qui n’est pas celui-ci.
Les craintes ne sont-elles pas légitimes avec l’accès à un nouveau droit d’ouvrir une boîte de Pandore, avec pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un choix de mourir légalement ?
Cette question de l’aide à mourir est très vieille. Déjà du temps des Grecs. Euthanasie vient du grec, qui veut dire “mort douce”. Aujourd’hui, vous avez des personnes qui partent en Suisse ou en Belgique et nous sommes incapables d’avancer car l’on se cache derrière différentes choses. Bien sûr qu’il faut se poser ces questions. Mais je n’aime pas le terme “boite de Pandore”. Il n’y a pas d’endroits où parce que vous êtes âgés vous pouvez demander une aide active à mourir. La vieillesse n’est pas une maladie, ni un naufrage.
Le nouveau Mouais (mars-avril 2025) est paru, avec un dossier consacré aux questions inter-générationnelle. Retrouvez l’édito de Lou Is On, adolescente d’aujourd’hui portant un regard vif et lucide sur notre époque : « Alors oui, dans ce monde où désormais tout va trop vite, peut-être avons-nous plus de mal à nous mélanger, nous, les différentes générations ». C’est fou de se dire que ceux que l’on caractérisent aujourd’hui de « jeunes ».. Read More
Le nouveau Mouais (mars-avril 2025) est paru, avec un dossier consacré aux questions inter-générationnelle. Retrouvez l’édito de Lou Is On, adolescente d’aujourd’hui portant un regard vif et lucide sur notre époque : « Alors oui, dans ce monde où désormais tout va trop vite, peut-être avons-nous plus de mal à nous mélanger, nous, les différentes générations ».
C’est fou de se dire que ceux que l’on caractérisent aujourd’hui de « jeunes » et de « vieux », ne le resteront pas et ne l’ont pas toujours été.
Il y a vingt ans, les Millenials devaient penser que le monde leur appartenait, ils représentaient la jeunesse et tout ce qu’elle implique. Certains disaient même qu’ils ne dépasseraient surement pas les trente ans, et il était alors préférable, selon eux, de prendre la vie par les deux bouts. Aujourd’hui, les engrenages continuent de tourner, et le cercle se referme peu à peu. C’est ainsi que le monde fonctionne, chaque génération attend son moment, celui où profiter de la vie est écrit en majuscules.
Et puis une fois cette période achevée, on s’ efface peu à peu, on se construit une vie pour combler le silence. Ce bruit blanc qui arrivera un jour, celui que toute génération confondue redoute, sans exception. Car malgré les différences, les fractures qui nous séparent, nous sommes concernés par grand nombre de choses. En effet, avant d’être un enfant , un quarantenaire ou un retraité, nous sommes des humains. Un point commun non négligeable. Alors oui, dans ce monde où désormais tout va trop vite, où les identités se confondent au milieux des likes, des cliques, des hashtags, ce monde où trouver une place devient de plus en plus éprouvant, où les âmes vides d’inconnues ressassent sans cesse comment les autres doivent mener leur vie, où ton existence même doit constamment dépendre de l’approbation des autres…effectivement, peut-être avons-nous plus de mal à nous mélanger, nous, les différentes générations.
Il y a ceux qui plongent tête la première dans ce tourbillon étourdissant, ceux qui se battent pour sauver un possible futur désastreux, et quelques-uns, au milieu, qui essaient de survivre entre les « c’était mieux avant » et les « qu’est ce qu’il va se passer plus tard ?». Au plus on avance, au plus on construit, mais il ne faut pas oublier que ce qui a déjà été construit peut toujours s’effriter sous l’érosion et les intempéries. Au bout d’un moment, l’effet domino nous rattrape, et le retour en arrière n’est plus possible.
Alors à défaut de construire plus vite pour semer la tempête, mieux vaut s’arrêter pour réfléchir. Réfléchir aux conséquences de nos actes, mais aussi à ce qui nous rassemble. Les différences, les fossés, les ravins, nous avons les moyens de bâtir les ponts pour les franchir. Même au milieu des guerres sans fin que mène l’humanité depuis la nuit des temps, et de la crainte que l’histoire ne se répète.
Et tandis que le monde bourdonne, papillonne, vrombit tout autour, s’active sans se soucier de notre présence, nous seul avons le pouvoir de fermer les yeux pour se retrouver face à nous-même.
Et de réfléchir à cette peur que nous avons…du bruit blanc.