15.04.2025 à 17:00
nfoiry
« “J’ai un grand besoin de spiritualité, en ce moment.” En discutant de la troisième saison de The White Lotus avec une amie, autour d’un verre de bergerac, je me suis rendu compte qu’elle parlait un langage que je ne comprenais pas. J’ai beau lire de la philo, écouter de l’ASMR et penser à la mort à peu près tous les jours, je ne me définis pas comme quelqu’un de spirituel. Je dirais même que je me situe plutôt aux antipodes. Serais-je vide intérieurement ?
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Nombre de mes proches ont des pratiques destinées à nourrir leur spiritualité. Yoga, méditation, jeûne, réunions de “cercles de femmes”, lithothérapie, lectures sur les pensées extrême-orientales, “constellations familiales”, astrologie, voire cérémonies planantes à l’ayahuasca pour les plus téméraires… À côté d’eux, mes quelques années de psychanalyse sont les seuls faits d’armes que je peux brandir pour dire : “Moi aussi, j’ai une vie intérieure trépidante !” J’ai bien essayé de méditer, il y a quelques années, mais cela m’a affreusement ennuyée. Le reste de ces activités estampillées “spiritualité” m’est pareillement tombé des mains, des yeux, du cerveau. Je n’ai pas de réticences a priori, je remarque juste que cela ne me parle pas. Je ne sais pas comment m’y prendre, j’ai l’impression de jouer un rôle qui ne me correspond pas.
Qu’est-ce que la spiritualité ? “C’est la vie de l’esprit”, résume André Comte-Sponville dans L’Esprit de l’athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu (Albin Michel, 2006). Philosophe matérialiste, convaincu qu’il n’existe rien d’autre que la vie ici-bas, André Comte-Sponville est un fervent défenseur de l’athéisme – ce qui nous fait un point commun. Dans ce livre, il tente de trouver un espace où, bien qu’ayant tourné le dos au dieu monothéiste et aux dogmes chrétiens de son enfance, la vie de son esprit puisse se déployer. “Qu’est-ce qu’un esprit ? poursuit-il. ‘Une chose qui pense’, répondait Descartes, c’est-à-dire une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. J’ajouterai : qui aime, qui n’aime pas, qui contemple, qui se souvient, qui se moque ou plaisante.” La cartésienne que je suis ne peut qu’approuver.
Cependant, cette définition ne rejoint pas tout à fait l’idée de “spiritualité” telle qu’on l’entend aujourd’hui. André Comte-Sponville le sait et précise donc sa pensée. “Lorsqu’on parle de spiritualité, c’est le plus souvent pour désigner une partie somme toute restreinte de notre vie intérieure : celle qui a rapport avec l’absolu, l’infini ou l’éternité.” C’est là que l’on commence un peu à perdre Descartes. Autant l’auteur des Méditations métaphysiques attribue à l’esprit des qualités infinies (dont la volonté et l’immortalité), autant la notion d’absolu ou de grand “Tout” ne fait pas vraiment partie de son vocabulaire. “Nous sommes des êtres relatifs, ouverts sur l’absolu, insiste Comte-Sponville. Cette ouverture, c’est l’esprit même. La métaphysique consiste à la penser ; la spiritualité à l’expérimenter, à l’exercer, à la vivre. Être athée, ce n’est pas nier l’existence de l’absolu ; c’est nier que l’absolu soit Dieu.”
Pourquoi tenir autant à cette idée d’absolu ? Dérivée du latin absolutus qui signifie “achevé”, elle désigne ce qui a sa raison d’être en soi-même et n’a besoin de rien d’autre pour exister. Autant dire qu’elle qualifie, potentiellement, une chose tellement grande, inimaginable et puissante qu’elle risque d’échapper à la connaissance humaine. Descartes reconnaît l’existence de telles entités, comme l’univers, mais préfère parler de choses “indéfinies”. De son côté, André Comte-Sponville se réfère plus volontiers à une rhétorique mystique : “C’est dans le monde que le mystère est le plus grand. Mystère de quoi ? Mystère de l’être : mystère de tout !” Chez Descartes, il n’y a pas de mystère, tout au plus des énigmes scientifiques à résoudre. Rien n’est caché ni secret (par qui ou quoi le serait-ce, d’ailleurs ?). L’esprit humain tente d’illuminer le monde de sa lumière naturelle ; ce qui reste dans la pénombre n’a pas vocation à le rester éternellement.
Pour cette raison, les Méditations métaphysiques de Descartes sont un texte qui porte un drôle de nom. Descartes ne médite pas au sens où il tenterait d’entrer en contact avec une transcendance, une présence non divine ou une sorte d’écho souterrain du monde. Il ne cherche pas non plus à découvrir ce à quoi son Moi profond aspire. Descartes procède à une démonstration implacable, saturée de raison. Il part précisément en guerre contre le mystère. Pourtant, Descartes croit en Dieu… Est-il possible de chasser de son esprit et Dieu et le mystère ? Si j’en crois mon expérience, oui. Je conçois qu’elle puisse être jugée peu palpitante, mais c’est, il me semble, la meilleure manière de vivre pleinement son athéisme. »
avril 202515.04.2025 à 15:34
nfoiry
Poutine s’inspire, pour justifier sa politique, de philosophes impérialistes, identitaires et conservateurs. Mais une école de pensée soviétique, le Cercle de méthodologie de Moscou, qui s’appuie sur la logique pour gérer d’immenses espaces, irrigue également le sommet de l’État russe. Et rejoint certains penseurs américains actuels. Enquête.
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Le 27 octobre 2022, Vladimir Poutine prononce un discours au « Club Valdaï », un forum réunissant des spécialistes de la Russie sympathisants du régime. Lors de ce rendez-vous annuel, le président russe parle d’idéologie, cite des écrivains et des philosophes pour donner de la substance à son projet politique. Ce jour-là, il critique l’Occident « agressif, cosmopolite, néocolonial, utilisé comme une arme des élites néolibérales » contre la Russie et le Sud global. À l’appui de sa démonstration, il cite le Discours de Harvard d’Alexandre Soljenitsyne, ou encore le philosophe néo-slavophile du XIXe siècle Nikolaï Danilevski, auteur de La Russie et l’Europe (1869, inédit en français).
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Il s’appuie également sur un auteur dont il n'a jamais encore prononcé le nom : « J’aimerais ici évoquer un autre philosophe russe, Alexandre Alexandrovitch Zinoviev, dont nous allons célébrer le centenaire de la naissance ces jours prochains, le 29 octobre. Il y a plus de vingt ans, il disait que, pour que la civilisation occidentale puisse survivre au niveau qu’elle a atteint, “toute la planète est indispensable comme milieu d’existence, il lui faut toutes les ressources de l’humanité”. L’Occident y prétend. C’est un fait. » Puisque les ressources naturelles sont limitées et que l’Occident veut conserver son niveau de vie et sa domination mondiale, il cherche à piller celles des autres, notamment des Russes. C’est ce qui explique, d’après Poutine, l’hostilité structurelle des Américains et de leurs « vassaux » à l’endroit de la Russie, si riche en ressources naturelles. Convaincu par cette idée depuis des décennies, Vladimir Poutine a découvert un nouveau soutien dans la figure de Zinoviev, dont il célèbre deux jours plus tard le centenaire en saluant « un savant talentueux, un écrivain, un penseur atypique et original, un vrai patriote et citoyen ».
Les trois vies d’Alexandre Zinoviev
Alexandre Zinoviev (1922-2006), vers la fin de sa vie, est effectivement devenu un anti-occidentaliste convaincu, un défenseur de Staline et un adepte de la « nouvelle chronologie », une théorie pseudo-scientifique remettant en cause la datation des événements historiques. Mais cet auteur a eu deux autres vies antérieures. Dans les années 1950, il a été l’un des plus brillants logiciens soviétiques. Il était alors le chef informel d’un mouvement de pensée essentiel, celui des « méthodologues », comme on les appelait. Mais en 1976, il change complètement de registre et fait publier en Europe occidentale Les Hauteurs béantes (trad. fr . L’Âge d’homme), un ouvrage au ton satirique, cynique et grossier, dénonciation de l’idéologisme et de la médiocrité soviétiques – et notamment de sa nullité en matière de gestion rationnelle des ressources. Zinoviev devient soudain une figure de la dissidence intellectuelle au régime. Ses livres sont traduits dans le monde entier. Il doit, pour ne pas se faire arrêter dans son pays, s’exiler en Allemagne. Mais cet homme passionné et anticonformiste évolue encore. Après l’arrivée de Mikhaïl Gorbatchev au pouvoir, il étrille la Perestroïka, la nouvelle politique économique qui tente de sauver ce qui peut encore l’être dans une économie administrée. Et en 1999, ulcéré par l’intervention militaire de l’Otan en ex-Yougoslavie, Zinoviev retourne vivre en Russie où il devient de plus en plus critique vis-à-vis de l’Occident.
C’est ce Zinoviev-là que célèbre aujourd’hui Poutine. Mais derrière le théoricien de la haine de l’Ouest se cache un logicien (qui transparaît d’ailleurs dans ses satires). Or cette spécialité, pour comprendre le poutinisme, a aussi son importance.
Et Staline réhabilita la logique formelle
Ce n’est pas uniquement la haine de l’Occident qui relie Zinoviev à Poutine. Car le philosophe a été l’animateur d’un courant de pensée, méconnu en Occident, mais décisif dans l’évolution de l’URSS de l’après-guerre : le Cercle méthodologique de Moscou. Dans une thèse de doctorat adaptée en ouvrage, la chercheuse en sociologie Svetlana Tabachnikova en raconte la singulière histoire. Elle explique pourquoi et comment une philosophie libre, dégagée de toute idéologie a pu naître entre les murs de l’institution académique la plus prestigieuse du pays, l’Université de Moscou, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale.
“La logique formelle ne dépend pas de la matrice idéologique de la lutte des classes. Elle est de la pensée pure”
Le point de départ de cette folle histoire serait une rencontre entre un célèbre philosophe de l’époque, Valentin Asmus, et Staline, qui le convoque une nuit de 1942, en pleine guerre. Le guide a une demande à faire (ou plutôt un ordre à donner) au philosophe : « Mes officiers ne savent ni penser, ni s’exprimer d’une manière logiquement correcte. Pourriez-vous leur apprendre la logique ? » « Laquelle ? », demande Asmus. « La logique formelle, bien entendu », répond Staline. La décision nocturne du chef suprême marque la fin de l’idéologisation marxiste-léniniste dans le domaine essentiel de la logique. Depuis les années 1920, en effet, les bolcheviques prétendaient élaborer de nouvelles sciences et une nouvelle philosophie, prolétariennes, c’est-à-dire reconstruites à partir de la pratique humaine, au nom de la fidélité à la pensée de Marx. Ce projet a donné naissance à un jargon sans rigueur et à des erreurs scientifiques majeures, qui ont fait prendre du retard à l’URSS. Erreur corrigée, en partie seulement, par Staline.
La logique formelle, elle, présente l’avantage de ne pas dépendre de la matrice idéologique de la lutte des classes. Elle est de la pensée pure, qui consiste à bien décrire les opérations de l’esprit rationnel. Après la victoire soviétique sur le nazisme, quatre étudiants en philosophie s’engouffrent dans cette brèche. À cette époque de soulagement après l’immense sacrifice du peuple soviétique, un peu d’oxygène pénètre dans les institutions académiques. Il s’agit donc d’Alexandre Zinoviev, l’aîné du groupe et son premier leader, d’un jeune homme originaire de la Géorgie soviétique, Merab Mamardachvili, de Boris Grouchine, qui allait devenir l’un des premiers sociologues soviétiques, et enfin de Gueorgui Chtchedrovitski, l’âme de ce qui allait devenir, jusque dans les années 1980, le Cercle méthodologique de Moscou.
Une autre bande des quatre
Pour ne pas risquer de passer pour des penseurs hétérodoxes et ainsi risquer leur carrière, les quatre amis se mettent à étudier d’arrache-pied la structure logique… du Capital de Marx. C’est à peu près le seul texte philosophique accessible et autorisé du XIXe siècle. Mais, s’ils croient encore à l’avènement du socialisme, les jeunes gens restent libres par rapport à l’idéologie. De séminaires en soutenances de thèse, ils développent l’idée suivant laquelle la pensée est un processus, qui va de l’abstrait au concret. Ils se soutiennent les uns les autres, bataillent, polémiquent, prennent des risques et gagnent en influence, sans jamais dépasser la ligne rouge de la critique de la pensée officielle.
“Les passionnés qui participent à ces séminaires s’élèvent si haut dans l’abstraction que les censeurs et les idéologues ne peuvent les suivre ni les arrêter”
Le groupe des quatre se distendra vers la fin des années 1950, au fur et à mesure que chacun déploie son propre système de compréhension de la pensée et du monde. Gueorgui Chtchedrovitski devient le leader du Cercle méthodologique de Moscou et poursuit les premières recherches. Considérant la pensée comme une activité, et non comme un système fixe de règles gravé dans l’esprit humain, Chtchedrovitski accueille des curieux de plus en plus nombreux dans ses séminaires (il en existe un ouvert et un fermé). Ces passionnés étudient la logique de la découverte scientifique, s’intéressent de près à la cybernétique, à la linguistique, à l’économie. Ils étudient Aristote, Galilée, Descartes, un Marx très différent du matérialisme dialectique officiel, Russell ou Wittgenstein. Ils déploient des schémas formels sophistiqués, utilisant les concepts de signe, d’objet, de représentation, de communication… Ils s’élèvent si haut dans l’abstraction que les censeurs et les idéologues ne peuvent les suivre ni les arrêter.
Penser par temps de gel bréjnevien ?
Les années passant, Chtchedrovitski et ses collègues passent de l’étude de la pensée à celle de l’activité en général. Leurs théories deviennent de plus en plus complexes. Ils considèrent que l’activité humaine est une « polystructure » qui réunit en elle des ordres eux-mêmes systématiques, avec leurs lois propres. Il n’est pas étonnant que ces esprits férus d’abstraction prétendent à un rôle de plus en plus important dans leur pays. Car l’Union soviétique est un monde à part, qui a ses lois propres et qu’il s’agit de maîtriser pour avancer vers la pleine réalisation du socialisme – ou au moins sa survie.
“L’objectif du Cercle n’est pas de renverser le mastodonte totalitaire mais de prouver qu’on peut y penser librement”
Le Cercle s’intéresse de plus en plus à la société, à l’économie, tout en évitant, autant que possible, la dissidence politique qui prend son essor au début des années 1960. Son objectif n’est pas de renverser le mastodonte totalitaire mais de prouver qu’on peut y penser librement. Après la mort de Staline, puis le bref « dégel » khrouchtchévien, arrive en effet le temps de la « stagnation » brejnévienne. Plus personne ne croit au communisme ni à une quelconque évolution du régime. Le cynisme, le carriérisme, l’alcoolisme aussi, prolifèrent sous le règne de la gérontocratie. Seuls les petites blagues, l’espoir de parvenir à posséder un appartement ou une voiture, de progresser dans une carrière inutile, la perspective de faire un bref séjour à l’étranger motivent l’« Homo sovieticus » cruellement dépeint par Zinoviev.
Zinoviev, justement, est devenu un écrivain antisoviétique et a dû s’exiler. Grouchine a quitté la partie. Mamardachvili déploie, dans des séminaires itinérants, une pensée très originale inspirée par Descartes ou Marcel Proust, et de plus en plus critique du totalitarisme. Mais les séminaires du Cercle, animés par Chtchedrovitski, intéressent de plus en plus de monde. S’y pressent des philosophes, des scientifiques, des économistes, des ingénieurs… Comme le cœur de la doctrine des méthodologues est le lien entre la pensée et l’action, les représentants de diverses spécialités y cherchent aussi des méthodes pour faire fonctionner cet énorme corps, pourvu d’armes atomiques et s’efforçant de nourrir sa population, qu’est devenue l’URSS vieillissante. Peut-on changer le pays, l’améliorer de l’intérieur ? Telle est le défi qu’entendent relever ces méthodologues, qui se considèrent volontiers comme l’élite intellectuelle de leur pays.
Jouer à organiser l’État
À la fin des années 1970, Chtchedrovitski décide, conformément à sa démarche philosophique qui s’oriente de plus en plus de la pensée pure à la pratique, de joindre le geste à la parole. Après avoir participé, avec des collègues du Cercle, à la formation de sportifs de haut niveau pour les jeux Olympiques de Moscou en 1980, il a l’idée de créer une nouvelle forme de « pensée-action ». Il crée des « jeux d’organisation », qui mobilisent des dizaines, voire des centaines de membres de son séminaire, aux quatre coins de l’Union soviétique. Les participants se retrouvent, pour plusieurs jours, à Novossibirsk, à Sverdlovsk ou à Odessa (avoir du temps et parcourir l’espace n’est pas vraiment un problème à cette époque en URSS), et découvrent l’intitulé du problème qu’ils auront à résoudre.
Mais le but du jeu n’est pas imaginaire. Et il est loin d’être gratuit ! Un organisme d’État veut, par exemple, savoir comment parvenir à une juste définition des catégories de marchandises de consommation courante dans une région du centre du pays. Le Cercle retraduit la question en « technique de résolution des problèmes et des tâches complexes dans des situations d’information incomplète et d’action collective ». En proposant à des personnes non spécialisées de résoudre ces problèmes, Chtchedrovitski présente ces stages comme un jeu, convaincu qu’un groupe de personnes intellectuellement armées sauront diagnostiquer les difficultés, faire dialoguer les parties présentes, proposer des solutions originales et créatives. Comme le dit le philosophe, « on va faire comme si on pouvait », et relever ces défis.
Les premiers consultants en gestion de l’URSS
Un autre exemple illustre la confiance accordée au Cercle et sa popularité dans le pays. En 1981, un réacteur nucléaire d’un site de l’Oural est en difficulté. Son directeur risque d’être muté. Les méthodologues ne sont pas des experts nucléaires, mais ils débarquent en masse pour faire dialoguer les ingénieurs, les cadres, les techniciens. Une première séquence de neuf jours est consacrée au diagnostic. On se rend compte qu’il est impossible, pour des raisons techniques, d’arrêter le réacteur. Dans un deuxième temps, le personnel tente de formuler, seul, toutes les solutions possibles. Enfin, les méthodologues-joueurs reviennent pour neuf jours supplémentaires afin d’examiner les solutions proposées. Celle qui est finalement retenue est de réduire au maximum l’activité du réacteur afin d’en faire un outil de formation pour les spécialistes.
“L’URSS a inventé sa propre version de l’audit et des séminaires d’entreprise ‘inspirants””
Grâce à ces jeux, les méthodologues font voir les problèmes sous un jour neuf, rassemblent les spécialistes qui ne se parlaient plus, décloisonnent les spécialités, redéfinissent les termes du débat, le tout dans une atmosphère de libre discussion, où la critique est présente, mais constructive. Il faut imaginer ces super-intellectuels débarquer dans une usine lointaine pour tenter de lever les blocages. L’URSS a inventé sa propre version de l’audit, de la gestion et des séminaires d’entreprise « inspirants ». Le pays avait besoin des méthodologues pour essayer de continuer à faire fonctionner le plus vaste État du monde, gérer les personnels, les flux, les masses. Ceci n’évitera pas l’affaissement de la patrie du socialisme. Les méthodologues ont bien voulu aider, mais ils ne sont ni des révolutionnaires, ni des fanatiques d’un soviétisme dont ils connaissent parfaitement les travers.
Les méthodologues au pouvoir ?
Après la Perestroïka, le Cercle se dissout, mais on retrouve ses anciens membres dans les entreprises privées, la haute administration, l’appareil d’État. C’est l’époque où apparaissent le capitalisme sauvage, les relations publiques, les processus électoraux. La nouvelle Russie a cruellement besoin, dans une période de désorganisation totale, de gestionnaires responsables (et pas trop avides), de spécialistes formés et ouverts, de personnes capables de penser une complexité qui frise le chaos. Les méthodologues ont été formés pour ça. Mais ils doivent s’adapter – ou refuser, ce qui est le cas de nombreux d’entre eux – un discours qui prend corps dans les années 2000 et qui s’oriente vers le nationalisme et l’impérialisme. Vladimir Poutine a en effet été élu et entend montrer au monde que la Russie peut être crainte autant que l’était l’URSS. On voit alors certains anciens méthodologues mêler leur goût de l’abstraction formelle et l’idéologie poutinienne.
Prenons l’un des plus éminents hauts fonctionnaires russe, Sergueï Kirienko, né en 1962. Éphémère premier ministre en 1998, sous Boris Eltsine, il a été de 205 à 2008 secrétaire général de Rosatom, l’agence fédérale d’énergie atomique. Depuis 2016, il est directeur adjoint de l’administration présidentielle et s’occupe de la politique intérieure, c’est-à-dire de dossiers aussi cruciaux que l’organisation des élections et la création de partis afin d’assurer le soutien à la politique de Poutine. Il s’occupe des mouvements de jeunesse et contrôle l’Internet. Depuis 2002, il est très actif dans l’intégration des territoires ukrainiens occupés et annexés par la Russie. Il est l’un des hommes-clés de la politique russe, son technocrate par excellence. Or Kirienko passe pour un héritier du Cercle méthodologique, un élève de son fondateur Gueorgui Chtchedrovitski, mort en 1994. Son talent d’ingénieur des masses et des flux lui vient peut-être de la solidité de sa formation de méthodologue.
Dessine-moi un “monde russe”
D’autres héritiers du Cercle développent un autre concept, qui existait déjà mais qui deviendra l’un des fers de lance du discours poutinien : le « monde russe », c’est-à-dire tous les russophones dispersés dans le monde, et qui devraient, aux yeux du Kremlin, soutenir sa politique. Au début des années 1990, en effet, l’empire soviétique s’effondre. Des millions de Russes ou de russophones se retrouvent citoyens de nouveaux États indépendants, comme l’Ukraine, le Kazakhstan, la Lettonie... D’autres émigrent dans le monde entier, à la suite des nombreuses vagues d’émigrations du passé. Ces Russes, russophones ou héritiers de certains traits de la culture russe doivent-ils être considérés comme des étrangers ou comme les porteurs d’une part de la Russie ?
En 1999 paraît un article intitulé « La Russie : le pays qui n’a pas existé ». Ses auteurs sont Efim Ostrovski et Piotr Chtchedrovitski. Le premier, né en 1968, se présente comme « technologue humanitaire » et est considéré comme proche des méthodologues. Le second n’est autre que le fils de l’animateur principal du Cercle, Gueorgui Chtchedrovitski, évidemment influencé par son père. Dans un style très « méthodologique » (« les technologies humanitaires sont un ensemble de technologies visant à créer, former, traiter ou modifier les règles et les cadres de communication et de relations entre les personnes en fonction des défis d’un environnement extérieur (social et naturel) changeant »), les auteurs affirment, désirant modifier l’image de la Russie dans le monde :
« N’importe quel pays qui prétend au statut de […] puissance mondiale s’efforce non seulement à satisfaire les intérêts de ses concitoyens, mais doit travailler aux intérêts de citoyens d’autres États et d’autres pays. Plus la Russie sera nécessaire à un nombre important de citoyens d’autres États, et plus la Russie aura une position pérenne dans le monde. La gouvernance russe peut et doit chercher les fondements de sa durabilité et de sa nécessité dans les limites du Monde Russe, dans une politique de développement constructif de ses réseaux mondiaux. »
Considérant qu’« à peine la moitié du “Monde russe” vit dans le territoire délimité par les frontières administratives de la Fédération de Russie », les auteurs imaginent un schéma dans lequel la Russie tisserait des liens avec ces personnes qui « pensent et parlent russe » en dehors de ses frontières.
Il voit des Russes partout !
Dès son discours d’investiture en 2000, Vladimir Poutine reprend l’idée en soulignant l’importance de « protéger le citoyen russe partout, et dans notre pays, et à l’extérieur de ses frontières ». Il élargit la notion de ce qu’est un Russe dans les années suivantes, en distribuant des passeports à des anciens émigrés désormais appelés « compatriotes ». Et il lance en 2001 : « La communauté russophone, avec les citoyens de Russie, occupe la cinquième place dans le monde. Des dizaines de millions de personnes, qui parlent, pensent, et peut-être – c’est encore plus important – sentent en russe, vivent hors des frontières de la Fédération de Russie ».
“C’est la russité supposée de l’Ukraine orientale qui a permis à Vladimir Poutine de mener sa guerre depuis 2014”
Il cite presque l’article des deux méthodologues, mais lui donne une signification de plus en plus nationaliste. Un programme officiel consacré au « Monde russe » voit le jour en 2007. Son champ d’application se veut plus large que la défense des minorités russophones dans l’ex-URSS ou l’exaltation des valeurs culturelles et spirituelles de l’émigration. Structure de promotion de la langue russe, dirigée par Viatcheslav Nikonov, le petit-fils de Molotov (le proche de Staline, signataire du pacte germano-soviétique), « le Monde russe » devient un vecteur d’influence majeur de la Russie dans le monde. C’est bien la russité supposée de l’Ukraine orientale qui a permis à Vladimir Poutine de mener sa guerre depuis 2014. Il est intéressant de voir de quelle manière un concept abstrait et formel mis en avant par des proches (non nationalistes) des méthodologues s’est vu orientée dans un sens ultra-nationaliste.
Un autre héritier supposé du Cercle méthodologique est devenu célèbre au début de l’offensive massive en Ukraine de 2022. Le jour de la découverte des massacres de Boutcha en Ukraine, Timofeï Sergueïtsev signe, sur le site de l’agence de presse RIA Novosti, un article sur le sort à réserver à l’Ukraine. « Ce que la Russie devrait faire de l’Ukraine » affirme que la « dénazification » nécessaire de ce pays ne concerne pas uniquement son personnel politique et militaire mais également une bonne partie du peuple ukrainien : « La dénazification doit en réalité consister en une ‘désukrainisation’ ». La violence du propos est très éloignée de l’abstraction conceptuelle de l’école de méthodologie. Elle dénote plutôt la dérive ultra-nationaliste d’une partie de l’intelligentsia russe, soucieuse d’utiliser des mouvements philosophiques vers une rhétorique génocidaire.
Vers une théorie de la gestion autoritaire des ressources ?
Le Cercle méthodologique de Moscou est un courant très peu connu en dehors des frontières de l’ex-URSS et n’existe plus en tant que tel. Pourtant, son ambition – celle de bien penser le réel pour le gérer et le transformer efficacement – entre en résonance avec le projet poutinien. Le projet de l’inamovible président russe consiste en effet à reconstituer une Russie impériale, s’agrandissant aux dépens de ses voisins et, si ce n'est pas le cas, les dominant comme sous les tsars ou les communistes. Il se présente comme l’administrateur efficace du plus grand pays du monde, qui devrait faire face aux appétits occidentaux (mais en oubliant la Chine…). Il hérite donc, dans la structure de sa vision du monde, d’un schéma qu’ont élaboré les méthodologues. Seulement il « remplit » cette forme d’un contenu impérialiste. Les méthodologues, amoureux de logique, des années 1950, n’étaient pas des anti-Occidentaux forcenés. Mais leur ambition de donner des outils formels et organisationnels à l’URSS a amené certains de leurs héritiers à collaborer avec le poutinisme.
Des méthodologues “made in USA” ?
Il est également intéressant de noter que le courant incarné par les méthodologues se retrouve chez certains inspirateurs du trumpisme. Dans un monde aux ressources limités, comme le montre l’économiste Arnaud Orain dans Le Monde confisqué. Essai sur le capitalisme de la finitude, la priorité est de s’en emparer le premier. La Russie, la Chine vont être rejoints par des États-Unis obsédés par la perte de leur puissance. Leur course aux ressources peut, aux yeux de certains idéologues, se passer de la démocratie. Le blogueur Curtis Yarvin semble inspirer le vice-président J. D. Vance et certains courants du trumpisme. Dans son style volontiers familier et érudit en même temps, il avance des idées que n’auraient pas renié certains méthodologues. Peut-être connaît-il, au moins, Alexandre Zinoviev. Le cas échéant, le logicien-pamphlétaire-antidémocrate l’intéresserait à coup sûr. Le « Manifeste formaliste » de Curtis Yarvin, publié sur son blog en 2007 et repris dans le nouveau volume de la revue Le Grand Continent intitulé L’Empire de l’ombre, considère que la question essentielle que doit prendre en compte une idéologie politique, celle de la réduction de la violence, est « un problème d’ingénierie ». Pour « réparer les États-Unis », il faudrait « laisser derrière soi la potion magique, le culte des saints et les chants de guerre », et désigner un pouvoir fort, capable de gérer le pays comme une entreprise, sur le modèle des États-entreprises que sont Singapour ou Dubaï. Mais pour que cela fonctionne, il faut abandonner l’idée démocratique, porteuse d’après Yarvin de désordres sans fin. La nouvelle oligarchie trumpienne est peut-être en train de réaliser son rêve.
Née sur les décombres encore fumants du stalinisme, le Cercle méthodologique de Moscou a voulu clarifier les problèmes logiques afin d’élaborer des outils efficaces de gestion des ressources, des flux, des populations, au sein d’un vaste espace, par un immense empire. Sans la démocratie. Si l’on veut comprendre ce qui se passe sous nos yeux dans les nouveaux empires, il n’est sans doute pas inutile de se replonger dans les savants écrits des méthodologues et leurs drôles de jeux.
avril 202515.04.2025 à 12:30
nfoiry
Les philosophes adorent inventer des termes étranges, mais qui sont essentiels pour comprendre leur projet. Par exemple, la théodicée, mot inventé par Leibniz. Ou comment concevoir un Dieu de bonté… qui, pourtant, laisse faire le mal sur Terre. Décryptage pour tout comprendre !
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L’étymologie du mot théodicée réunit Dieu (en grec, theos) et la justice (dike). C’est Leibniz qui crée ce néologisme en 1696. Pour lui, il s’agit en quelque sorte de justifier Dieu. Il en fait le titre d’un de ses ouvrages les plus connus : Essais de Théodicée (1710). Selon le philosophe allemand, l’idée de Dieu doit faire face à l’objection du mal : comment peut-on se référer à un Dieu qui laisse faire les catastrophes, les guerres et les meurtres. N’est-ce pas une bonne raison de perdre la foi ? Ce laisser-faire ne rend-il pas caduque l’idée d’un Dieu ? Dans la tradition occidentale, en effet, Dieu est défini par trois attributs essentiels : l’omniscience (Dieu sait tout), l’omnipotence (Dieu peut tout) et la parfaite bienveillance (Dieu veut toujours le Bien).
Or le mal semble rendre ces attributs incompatibles. Car si le mal existe, soit Dieu ne peut l’empêcher – et il n’est plus omnipotent –, soit il pourrait l’empêcher mais ne le veut pas, et alors il n’est plus parfaitement bienveillant et peut même passer pour indifférent, voire sadique. La solution de Leibniz à l’objection, puissante, du mal consiste à dire que « Dieu veut antécédemment le bien et conséquemment le meilleur (optimum) ». Pour lui, Dieu ne peut faire exister que le meilleur des mondes possibles (sans quoi il ne serait pas parfaitement bienveillant). Aussi, tout mal, qu’il soit physique ou moral, n’est qu’un moindre mal. Autrement dit : tout autre monde que le nôtre aurait contenu plus de maux que ceux que nous constatons autour de nous. Dans un monde moins bien imaginé par Dieu, il y aurait encore plus de cataclysmes, de viols et de désastres.
Un “Deus calculator” ?
Cette démonstration, qui s’appuie sur la logique et sur le principe de « raison suffisante » (selon lequel tout ce qui existe a sa raison d’être), fait de Dieu un Deus calculator (une sorte de machine qui calcule toutes les possibilités et n’accorde l’existence qu’au meilleur résultat) et de notre monde le fruit d’une « harmonie préétablie ». Pour illustrer sa théorie, Leibniz donne, dans ses Essais de Théodicée, l’exemple fictif d'une pyramide sans base divisée en chambres. Un voyageur nommé Théodore est invité par la déesse Pallas Athénée à visiter quelques-unes de ces chambres. En montant d'étage en étage, il s'aperçoit que les chambres sont de plus en plus belles. Or ces chambres représentent tous les mondes possibles. La déesse explique alors à Théodore qu'il se trouve dans le « palais des destinées » et que « la pyramide descend à l'infini », car il y a toujours un monde qui comporte moins de biens qu'un autre. En revanche, il n'existe qu'un seul monde qui soit le meilleur de tous : celui que symbolise la chambre se trouvant sous la pointe de la pyramide et qui comporte le maximum de perfection. Lorsqu'on entre dans cette dernière chambre, on passe du possible au réel : « Nous sommes dans le vrai monde actuel, dit la déesse », celui qui est le plus harmonieux.
Trois fissures dans l’harmonie leibnizienne
Mais, pour séduisante qu’elle soit, la théodicée de Leibniz donnera lieu à de nombreuses critiques, toutes centrées sur l’idée que le mal est absolu, et ruine cette idée de « meilleur des mondes possibles ». Retenons en trois.
D’abord celle de Voltaire, qui ,dans Candide ou l’Optimisme (1759), accumule les mésaventures de son héros Candide pour objecter à Leibniz que le mal est partout (guerre, tremblement de terre de Lisbonne, autodafé, piraterie, esclavage, viol, petite vérole, corruption des grands…). Le personnage vraiment naïf de ce conte philosophique n’est pas tant Candide que Pangloss, porte-parole de Leibniz, qui s’aveugle en répétant que « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ».Ensuite, celle de Schopenhauer, champion du pessimisme, qui soutient dans Le Monde comme volonté et comme représentation (1819) que « nous vivons dans le pire des mondes possibles » et – en 1851, dans Sur la religion – que la seule sagesse viable est celle adoptée par le bouddhisme : se déprendre de son individualité, source de souffrances irrémédiables, en s’évadant dans le nirvana, c’est-à-dire en niant la réalité d’un monde qui n’a ni Créateur ni sens.Enfin, celle de Hans Jonas, qui, dans Le Concept de Dieu après Auschwitz (1948), cherche à comprendre comment Dieu a pu laisser advenir la Shoah, sommet de l’horreur. Il en arrive à la conclusion qu’en se donnant totalement dans son acte créateur, Dieu a renoncé à sa toute-puissance. En nous rendant libres, il nous a aussi rendus responsables, parce qu’il exige de nous de renoncer au miracle, c’est-à-dire à son interventionnisme. Bref, il imagine un Dieu faible et faillible.Ces objections contre la théodicée – mot qui entrera dans les programmes de philosophie en France au XIXe siècle, sous l’impulsion de Victor Cousin, philosophe et ministre de l’Instruction publique, pour chapeauter toutes les questions relatives à Dieu – ne sont pas tant des professions de foi d’athéisme que des réflexions sur l’énigme du mal. Au fond, il importe peut-être moins de garder à tout prix l’idée d’un Dieu tout-puissant mais de réfléchir à ce que le philosophe Jean Nabert définissait comme « l’injustifiable » (Essai sur le mal, 1955) : le mal.
avril 202515.04.2025 à 08:00
nfoiry
Le mal dépossède le sujet, explique le philosophe Maxime Rovere dans son nouvel essai. Une expérience également au cœur du dernier récit de Christine Angot, qui voit resurgir, lors d’une nuit parmi la collection d’art de la Bourse du commerce, le souvenir de l’inceste qu’elle a subi. Dans notre nouveau numéro, Clara Degiovanni explore les liens qui unissent ces deux livres.
avril 202514.04.2025 à 18:00
hschlegel
« Faces aux dernières trumperies, une formule attribuée à l’historien Arnold Toynbee m’est soudain revenue à l’esprit : “Certaines civilisations ne meurent pas par meurtre, mais par suicide.” Il faut dire que j’étais en train d’écouter une chanson de Bowie1 sur le même thème… Personne n’a agressé les États-Unis. Mais en annonçant des droits de douane démesurés puis en les retirant sous la pression des marchés, ou en prétendant terminer une guerre que la Russie ne fait qu’amplifier, j’ai l’impression que le président américain n’est pas très loin de suicider le pays qu’il prétend faire renaître.
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Le grand œuvre de l’historien britannique Arnold Toynbee (1889-1975) s’intitule A Study of History et constitue, en douze volumes, une vision globale de l’histoire de l’humanité. Une version abrégée en français existe. Il a commencé à la publier quelques années après la parution du Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler, ouvrage qui inspire tous les apôtres de notre supposée décadence. Toynbee parle, lui aussi, de civilisation plutôt que d’États, et il s’intéresse aux causes de leur chute. Mais il ne partage ni le biologisme de Spengler – selon lequel les civilisations seraient des organismes vivants qui fleuriraient avant de mûrir et mourir –, ni sa conviction d’une décadence inexorable. Toynbee a été critiqué pour sa vision totalisante, notamment par le philosophe Karl Popper. Mais son idée de suicide d’une grande puissance ne peut pas ne pas nous intéresser.
En abîmant sa propre économie avec des droits de douane ahurissants, Donald Trump affole les bourses, fait craindre une sévère perte de pouvoir d’achat dans son pays et commence à mettre en colère une partie de ses électeurs. En les annulant, il dévoile sa faiblesse et celle de l’économie américaine, qui vit à crédit. En ciblant la Chine, il fragilise le commerce mondial et entame une confrontation qui nous emmène vers l’inconnu. En soutenant aveuglément la politique israélienne, en pactisant avec Poutine, en méprisant l’Europe, en prétendant annexer des territoires étrangers, il prive son pays de tout crédit moral et révolte bon nombre de ses alliés historiques. En attaquant les droits fondamentaux d’immigrés, de transgenres, d’étudiants, de citoyens, il ruine l’État de droit. Ses gesticulations et ses revirements sont dangereux… et absurdes, car ils risquent de détruire les États-Unis de l’intérieur. C’est un suicide, ou en tout cas une avancée rapide vers l’autodestruction. Toynbee l’a prévu et décrit – pour d’autres époques et d’autres régions. Spécialiste de la Grèce antique, il a par exemple analysé la manière dont la Grèce démocratique de Périclès, obsédée par son passé glorieux et incapable de remettre en question sa domination, avait fini par s’incliner devant Sparte. Son ouvrage abonde d’exemples similaires.
Et aux États-Unis, alors ? Les mots de Toynbee sont troublants tant ils semblent décrire la situation actuelle. L’historien analyse ces moments où la désorientation du peuple “conduit à un divorce entre les individus et les réalités de leur existence sociale et individuelle, les incitant à poursuivre des chimères pour remplacer un présent devenu intolérable”. Face aux défis climatiques, géopolitiques, sociaux et sociétaux, l’élection de Trump est, en ce sens, “une tentative pour arrêter une société à un point donné”, c’est-à-dire, selon l’historien, “une réaction catastrophique aux défis sociaux”. La communauté politique “tâchera de recouvrer […] la prétendue pureté d’une époque d’indépendance nationale, antérieure à celle où elle se voit incorporée dans la société plus vaste d’une civilisation supranationale” (dans la mondialisation, pour le cas qui nous concerne). Et comme elle a le plus grand mal à accepter les évolutions d’“un présent devenu intolérable”, elle se focalise sur un passé mythifié et un futur délirant. Toynbee évoque “un double mouvement d’archaïsme et de futurisme”. Cela rappelle fortement le président impérialiste de la fin du XIXe siècle William McKinley, que Trump a érigé en modèle, et le projet de conquête de Mars avant 2028. Bref, on se met à “la poursuite d’un monde idéal”, “tentative de retourner dans un ’âge d’or’ révolu [ou] tentative de faire un saut dans l’avenir”.
Or “défier les lois du temps et du mouvement doit provoquer, finalement, un désastre pour ceux qui la pratiquent, ainsi que pour leur société”. Jusqu’au suicide politique ? Je vous avoue que je n’y crois pas totalement, car je n’adhère pas au déterminisme historique. D’autant plus que Toynbee invente trois concepts intéressants pour comprendre ce qui pourrait se passer : celui de “minorité créatrice”, tout d’abord – qui est aujourd’hui celle que haïssent les électeurs de Trump. Celui de “prolétariat intérieur”, qui cherche à “s’accrocher aux restes de [son] patrimoine” en votant pour Trump. Et celui de “prolétariat extérieur”, qui attend son heure pour “supplanter la civilisation en ruine”. On pense évidemment aux travailleurs chinois. Mais, en ce qui concerne ces trois catégories, la messe est loin d’être dite : les minorités ne vont pas forcément se laisser brutaliser longtemps. Les classes populaires pro-Trump peuvent déchanter. Quant aux Chinois, ils ont fort à faire chez eux pour ne pas laisser chavirer leur propre économie. Bref, le colt utilisé par Donald Trump pour suicider son pays risque de s’enrayer. Ce ne sera pas forcément moins violent. Mais les Américains feront peut-être mentir Toynbee. On le leur souhaite. »
1 : Rock‘n’roll Suicide (1972)
avril 202514.04.2025 à 17:00
hschlegel
La condamnation de Marine Le Pen réactive une idée ancrée à l’extrême droite, l’opposition entre le « pays légal », celui des gouvernants hors-sol et des juges aux ordres, et le « pays réel », le peuple majoritaire et laborieux. Mais saviez-vous que ces termes étaient déjà utilisés par Victor Hugo au nom d’une République égalitaire – avant d’être captés par Charles Maurras et Maurice Barrès ? Voici l’histoire d’une dichotomie qui n’a pas disparu.
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Une petite musique monte depuis quelques années à droite et à l’extrême droite. Elle culmine avec la peine d’inéligibilité prononcée à l’encontre de la cheffe du groupe RN à l’Assemblée, condamnée à quatre ans de prison dont deux fermes [lire notre article sur le « gouvernement des juges » en question, avec Jacques Krynen]. Si la décision est contestée d’un point de vue juridique, plusieurs cadres d’extrême droite n’hésitent pas à user d’une rhétorique qui emprunte au nationalisme de la fin du XIXe siècle. Lors d’une réunion organisée avec les députés du Rassemblement national le 1er avril à l’Assemblée, Marine Le Pen tempête : « L’élection présidentielle était l’objectif assumé des magistrats. L’exécution provisoire a été décidée pour m’empêcher d’être candidate à l’élection présidentielle. Qui est souverain ? Le peuple ou les magistrats ? Il me semble que c’est le peuple. » Elle pointe du doigt « le système », qui aurait « sorti la bombe nucléaire ». « On ne se laissera pas faire et nous défendrons le droit des Français de voter pour qui ils souhaitent », s’exclame-t-elle. Dans l’imaginaire de l’extrême droite, cette rhétorique est loin d’être nouvelle. Elle s’inscrit même dans une longue tradition, que le Rassemblement national perpétue. Sa source ? L’opposition entre un « pays légal » et un « pays réel ».
De la gauche vers la droiteDans l’histoire, l’opposition entre pays réel et du pays légal a été brandie par la droite aussi bien que par la gauche. Au XIXe siècle, son sens est flottant. Le slogan a d’abord été antimonarchiste avant de devenir antirépublicain et antisystème. Une des premières manifestations de cette opposition remonte à la critique du suffrage censitaire, réservé aux électeurs les plus aisés. Dans Les Misérables (1862), Victor Hugo peste contre le règne de Louis-Philippe sous la Monarchie de Juillet (1830-1848). Le « pays réel », sous la plume de l’écrivain, représente tous ceux qui ne peuvent pas payer le cens, l’impôt qui conditionne le vote. Durant cette période, seulement 300 000 citoyens, que Hugo décrit comme des « privilégiés », peuvent voter. « Le droit démocratique confisqué, les protestations de la rue réprimées violemment [...] l’absorption du pays réel par le pays légal, le gouvernement de compte à demi avec trois cent mille privilégiés, sont le fait de la royauté », assène-t-il. En 1834, dans un discours à l’Assemblée nationale, le libéral-conservateur et ministre de l’Instruction publique François Guizot défend la politique menée par Louis-Philippe : « Nous nous sommes adressés au pays légal ; notre prétention à nous est que le pays réel tout entier, la masse immense des cultivateurs, des pères de famille, des hommes honnêtes et laborieux est en parfaite harmonie avec le pays légal qui représente la France », indique-t-il. L’idée d’un peuple dépossédé trouve un écho dans les écrits de l’historien libéral-républicain Jules Michelet. Dans Le Peuple (1846), celui-ci considère que les classes laborieuses sont dotées d’une « chaleur vitale » qui manque aux privilégiés. La petite élite gouvernante n’est pas le peuple réel et légitime. « Pour les salons, je n’en suis sorti jamais sans trouver mon cœur diminué et refroidi », regrette-t-il. Ce qui lui fait dire qu’il « faut s’en aller dans les champs et causer avec un paysan ». Mais en 1873, dans La Légitimité, le penseur contre-révolutionnaire Antoine Blanc de Saint-Bonnet réactive l’opposition en la teintant d’un sens antirépublicain. Selon lui, c’est la République, construction abstraite, qui tend à faire disparaître le pays réel, composé de terroirs, de régions très diverses, d’êtres de chair et de sang. « Ne l’oublions pas, ce que l’on nomme ici une représentation de la France n’est qu’une représentation de tous les ambitieux de France. Le pays réel disparaît », rappelle-t-il. Pour le philosophe chrétien, la « représentation universelle » ne serait pour lui que le « tombeau des provinces », la suppression de l’individu incarné et la source du despotisme. « C’est par la province [...] qu’on brisera du même coup le despotisme et la Révolution. Rétablissons la nation, et non la lutte parmi ses éléments », affirme-t-il. Pour Blanc de Saint-Bonnet, la solution passe par la monarchie, qui tisse un lien entre les hommes et le roi, et qui réunit toutes les régions.
La grande idée de Charles MaurrasCharles Maurras reprendra cette opposition. Le théoricien néo-monarchiste publie en 1900 Enquête sur la monarchie, alors que l’affaire Dreyfus connaît encore des rebondissements. Cette affaire judiciaire est un tournant majeur dans l’histoire de la IIIe République. Elle radicalise une large partie de l’espace politique qui refuse de se ranger du côté du soldat accusé à tort. Charles Maurras et Maurice Barrès font partie des antidreyfusards. Maurras, résolument monarchiste, reprend les notions de « pays légal » et de « pays réel » en 1900 et s’en prend violemment à la IIIe République. Il oppose le peuple à une petite élite politique et parisienne, qu’il estime déracinée et dégénérée. C’est dans cet ouvrage qu’il développe sa théorie du « nationalisme intégral ».
Pour expliquer cette théorie, Maurras affirme que la Nation est aux mains des « Quatre États confédérés », dont l’affaire Dreyfus, selon lui, « avait établi depuis 1900 le règne sans partage » : les Juifs, les protestants, les métèques et les francs-maçons. « Il existe une démocratie active et régnante, une oligarchie démocratique, pour abuser, pour manœuvrer le sujet passif, électeur à qui l’on veut persuader qu’il est roi », indique-t-il. Et il appuie : « On peut dire aux républicains qui sont restés d’esprit français : vous avez renversé vos chefs-nés, fils de votre race ; vous subissez des chefs-nés étrangers, ou dénationalisés, et qui vous dénationalisent vous-mêmes. » La vision maurrassienne du pays légal est donc xénophobe, antisémite et complotiste. Ce pays « s’identifie au Gouvernement parce qu’il en retire l’aliment de sa vie » alors que le pays réel, qu’il qualifie de « pays vrai », « travaille et ne politique pas ». Cette opposition est le combat décisif, comme l’écrit Maurras dans le journal L’Action française au lendemain des émeutes d’extrême droite du 6 février 1934 : « La lutte continue entre le pays réel et le pays légal, entre la France et la République. »
Il y a dans le discours maurrassien une volonté de se faire passer pour la victime d’un système politique et judiciaire corrompu, tout en affirmant avoir le pays authentique de son côté. Ce qui mènerait, selon les nationalistes, à une dictature républicaine. Maurras évoque ainsi, en 1936, une dictature imposée par le « pays légal » pour museler l’opposition. Il cible le Parti radical socialiste et Édouard Daladier : « La dictature de gauche, il y a des années que nous la voyons venir et que nous l’annonçons. La question est de savoir si, venue du pays fictif que nous appelons le pays légal, elle sera supportée par le pays réel. » Contre les accusations de complot, le polémiste d’extrême droite a sa réponse. « Ces pauvres gens nous échafaudent un complot. Complot ? Leur complot contre la Patrie », tempête-t-il dans L’Action française.
Maurice Barrès et la critique du républicanisme kantienMaurice Barrès, devenu l’une des voix du nationalisme, s’éloigne de la critique du pays légal de Charles Maurras. Pour le célèbre homme de lettres, le problème de la République est qu’elle déracine l’individu. Il critique le républicanisme kantien et son impératif catégorique. Dans la Critique de la raison pratique (1788) Emmanuel Kant énonce son célèbre « Agis de telle sorte que la maxime de ta volonté puisse toujours valoir en même temps comme principe d’une législation universelle. » Pour Barrès, il y a dans cette règle morale « un élément de stoïcisme et aussi un élément de grand orgueil » : elle équivaudrait à dire que l’on peut « connaître la règle applicable à tous les hommes – et puis encore un germe d’intolérance fanatique –, car concevoir une règle commune à tous les hommes, c’est être fort tenté de les y asservir pour leur bien », explique-t-il dans Les Déracinés (1897). Paul Bouteiller, professeur de philosophie dans le roman, est l’archétype parfait du républicain kantien dont Barrès se sert pour critiquer le pays légal. Celui-ci, qui « n’a pas de sol ni de société », déracine ses élèves pour « les détacher du sol et du groupe social où tout les relie, pour les placer hors de leurs préjugés dans la raison abstraite ». Pour l’écrivain, la République jacobine déracine car elle « ne s’attache qu’à trouver des serviteurs à l’État » et méprise « un petit être accroché à sa famille ».
La rhétorique boulangisteDans L’Appel au soldat (1900), second tome du Roman de l’énergie nationale, l’écrivain nationaliste revient sur la montée en puissance du général Boulanger entre 1886 et 1891, pour qui il a pris fait et cause, et évoque la ferveur populaire qui l’entoure. Moment marquant qui a manqué de faire vaciller la République, Georges Boulanger est décrit par le chercheur Bertrand Joly (Aux origines du populisme. Histoire du boulangisme (1886-1891), CNRS Éditions, 2022) comme l’une des premières apparitions du populisme nationaliste. « Pendant qu’ils nouent des intrigues et dressent des embûches, et quand la politique c’est leur métier, il a trouvé le cœur du pays. Il se complaît à deviner la fureur de ces hommes indignes », déclare Barrès. Pour lui, tout Français s’intoxique « dans les verbalismes et la vacuité » du régime parlementaire, qu’il compare à un « poison du cerveau ». Pris dans la machine infernale du pays légal, le peuple, dans l’imaginaire de Maurice Barrès, n’a plus qu’à abdiquer et céder à la politique qui se fait censément contre lui. « Je suis un démocrate, et non pas un partisan de ce corps parlementaire où chacun pense à ses intérêts, jamais à ceux de la patrie », fait-il dire au général Boulanger. Le peuple est fétichisé en une « pauvre bête populaire » qui « plie les jarrets » face aux « capes tendues par des professionnels qui toujours se dérobent » et préfèrent au bien public les « intérêts privés ».
Pays ou peuple réel ?La rhétorique nationaliste du pays légal contre le pays réel est bien ficelée. Mais Maurras comme Barrès laissent peu de place à la notion de peuple, recouverte par celle de pays. Tout est ordonné dans l’imaginaire de l’extrême droite pour mettre en avant l’idée d’une « archipellisation » de la nation, d’un pays dans le pays qui aurait fait sécession d’une France réelle, éternelle, et par là légitime. Parler d’un pays jugé comme illégitime qui prolifère et joue contre les intérêts du pays légitime, c’est appliquer un modèle biologique à la société. Celle-ci est conçue comme un organisme vivant qui peut être contaminée par un corps étranger et peut ressentir le besoin de s’en purifier. Le pays légal est fait, comme le dit Maurras, de « la domination de l’Étranger de l’intérieur », tandis que le pays réel enveloppe un peuple considéré comme éternel, enraciné et besogneux – de souche. On comprend pourquoi une formule qui avait été utilisée par Victor Hugo dans un sens républicain vire à droite dans une vision de la France organique et enracinée. Surtout, sous la plume de Barrès et de Maurras, elle se détache du soutien à la République pour alimenter une rhétorique, déjà, antisystème. C’est cette vision que ce qu’on retrouve aujourd’hui chez Marine Le Pen condamnant une « république des juges », au nom de la volonté populaire.
Un imaginaire qui colle à la peauLe discours actuel du RN emprunte à l’imaginaire de Maurice Barrès et de Charles Maurras, avec une simple différence de degré. « Les convictions que Marine a au fond du cœur sont celles de millions de Français. Je n’ai aucune leçon à recevoir des gens qui se sont partagé le pouvoir depuis 30 ans », prévient Jordan Bardella. En 2017, Marine Le Pen charge Emmanuel Macron et estime qu’il est « déconnecté du pays réel ». En 2021, c’est encore elle qui estime que le RN est « le cœur politique du pays ». Le pays réel lepéniste est le même que le pays réel maurrassien, qui ne « politique » pas, constitue la masse laborieuse et s’affaire en silence. Maurras et Barrès donnent tous deux l’image d’un peuple taiseux, qui courbe l’échine et subit la pesanteur du « pays légal ». Quand Marine Le Pen, Jordan Bardella et d’autres pointent du doigt le « système », c’est toujours en prenant le parti du peuple, à qui l’on aurait confisqué quelque chose. Le député RN de l’Yonne Julien Odoul ne s’y trompe pas : « Le peuple vote tellement mal, pour cette petite caste, que des politiques et des juges expulsent le peuple de la décision », avance-t-il sur la chaîne de radio Europe 1. C’est encore au peuple pris à l’intérieur du « pays réel » qu’on en appelle pour se révolter contre la supposée dégénérescence du pouvoir politique.
Mais si dans la bouche des deux écrivains nationalistes, le pays légal est aux mains notamment de la communauté juive, ce n’est pas – ou plus – le cas dans la rhétorique du parti lepéniste. Pour autant, dans l’inconscient de l’extrême droite moderne, une sorte d’alliance objective entre le pays légal et les élites cosmopolites et mondialisées est à l’œuvre. Maurras dénonce la domination de l’étranger de l’intérieur, quand Marine Le Pen s’en prend à l’abandon du pays réel par le pays légal, qui regarde partout sauf au sein de sa patrie. En défendant le pays réel, le Rassemblement national n’a même plus besoin de désigner l’étranger. Il forme un implicite du discours d’extrême droite, un bouc émissaire qui devient la cause de tous les problèmes de la France pure et besogneuse – et ce depuis toujours.
avril 2025