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09.04.2025 à 17:00

La guerre d’Algérie à travers le regard des philosophes

hschlegel

La guerre d’Algérie à travers le regard des philosophes hschlegel mer 09/04/2025 - 17:00

Après des semaines de tension, la poignée de main entre le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot et le président algérien Abdelmadjid Tebboune est un geste hautement symbolique : le symbole d’une remise à plat des relations entre l’ancienne puissance impériale et son ex-colonie.

L’occasion de revenir, avec les philosophes contemporains de la guerre d’Algérie, sur la manière dont ils se sont engagés dans ce conflit – les uns défendant l’indépendance ou l’autonomie, les autres un État pluriel, critiquant ou justifiant la violence, mais tous happés par l’événement.

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Pour l’indépendance

Il n’y a pas de colon innocent : Jean-Paul Sartre (1905-1980), dans Situation V. Colonialisme et néo-colonialisme (Gallimard, 1964)

Sartre fut un critique acerbe de la domination coloniale française en Algérie, et l’un des plus vigoureux défenseurs occidentaux des mouvements d’indépendance. Le colonialisme, affirme-t-il dans Situations V (1964), « est notre honte, il se moque de nos lois ou les caricature ; il nous infecte de son racisme […] il oblige nos jeunes gens à mourir malgré eux pour les principes nazis que nous combattions il y a dix ans. » Si à ses yeux l’indépendance est la seule solution, c’est que le colonialisme forme un « système » de domination fondée sur un partage discriminant entre les groupes humains. « La colonisation n’est ni un ensemble de hasards, ni le résultat statique de milliers d’entreprises individuelles. […] Les réformes nécessaires ne peuvent être opérées ni par les bons colons ni par la “Métropole” elle-même, tant qu’elle prétend garder sa souveraineté en Algérie. Ces réformes seront l’affaire du peuple algérien lui-même, quand il aura conquis sa liberté. » Cette analyse structurelle conduit à une condamnation morale sans concession de tous les colons : « Il n’est pas vrai qu’il y ait de bons colons et d’autres qui soient méchants : il y a les colons c’est tout. […] Les colons n’ont rien à offrir aux colonisés que la misère, puisqu’ils les tiennent à distance, puisqu’ils en font un bloc inassimilable. » Les intérêts des colons sont « directement contraires à ceux des Algériens », ils conduisent à la « surexploitation » et « l’oppression pure et simple ». C’est dans la résistance à ce système oppressif que s’est forgée « une prise de conscience des masses », qui servira de fondement à l’Algérie de demain : « C’est par réaction à la ségrégation et dans la lutte quotidienne que s’est découverte et forgée la personnalité algérienne. […] Le nationalisme algérien n’est pas la simple reviviscence d’anciennes traditions, d’anciens attachements : c’est l’unique issue dont les Algériens disposent pour faire cesser leur exploitation. »

 

Pour l’indépendance

La culpabilité des Occidentaux : Simone de Beauvoir (1908-1986), dans La Force des choses II (Gallimard, 1963)

C’est sur un mode très personnel que Beauvoir aborde, dans La Force des choses II (1963), son rapport à la guerre d’Algérie. « Ce n’est pas de mon plein gré, ce n’est pas de gaieté de cœur que j’ai laissé la guerre d’Algérie envahir ma pensée, mon sommeil, mes humeurs », écrit-elle. Le conflit est, pour elle, un « drame personnel » : « Je suis complice des privilégiés et compromise par eux », les colons. « La guerre d’Algérie a porté au rouge l’horreur que m’inspire ma classe. » Même lorsque les Algériens fêtent leur indépendance – Beauvoir est alors « au siège des étudiants nord-africains, boulevard Saint-Michel » avec Sartre –, la joie de la philosophie est encore teintée de culpabilité. « Pour nous, Français, la situation où nous laissions l’Algérie n’autorisait pas la joie. Depuis sept ans nous souhaitions cette victoire : elle arrivait trop tard pour nous consoler du prix qu’elle avait coûté. » 

Pour l’indépendance

Une guerre totale : Mohand Tazerout (1893-1973), dans Histoire politique de l’Afrique du Nord (Subervie, 1961)

Philosophe et écrivain algérien, traducteur du Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler, Mohand Tazerout se montrera lui aussi sans concession au sujet de la domination coloniale. « L’obscurité relative qui règne aujourd’hui sur l’histoire de l’Afrique du Nord provient de ce qu’elle a toujours été écrite par des étrangers », écrit-il dans son Histoire politique de l’Afrique du Nord (1961). « Chacun de ceux-ci s’ingénie le plus naturellement du monde à décrier les envahisseurs précédents, sans jamais chercher à connaître pour autant la mentalité des autochtones, qu’il se borne à exploiter dans l’intérêt exclusif des conquérants momentanés. » De fait, « toute l’industrie algérienne (durant la colonisation), dans la faible mesure où elle existe, ne produit pas pour l’Algérie, mais pour la France et à l’étranger ». Cette oppression économique s’appuie, fondamentalement, sur la « répression raciste des peuples momentanément forts contre leurs adversaires momentanément faibles ». Les Algériens, en dépit de ce mépris colonial, résistent. Leur conscience collective instille pour Tazerout un ferment puissant de résistance : « Placé historiquement sous les régimes successifs de l’esclavage antique, du servage chrétien, de la piraterie internationale et du capitalisme colonisateur, le peuple nord-africain s’est toujours conduit en protestataire véhément, contre toutes les atteintes portées à sa liberté native d’homme égal aux autres hommes de la création adamique. » À ces résistances, la France répond, constate Tazerout, par une « guerre totale », qui légitime les violences des mouvements de libération : « Le FLN était acculé à la nécessité de se défendre depuis sept ans contre l’extermination lente du peuple algérien. » Il est « toujours vain d’accuser les autres des crimes qu’on commet soi-même au centuple. » 

Pour l’indépendance

Colonisation et colonisabilité : Malek Bennabi (1905-1973), dans La Lutte idéologique en pays colonisé (1957)

Le philosophe Malek Bennabi proposa une analyse moins unilatérale de la situation algérienne que son compatriote Tazerout dans La Lutte idéologique en pays colonisé (1957). Bennabi met en effet en regard « les efforts du colonialisme, d’une part, et tout ce qui a trait à l’apathie de la colonisabilité, de l’autre ». De son point de vue, « la colonisation n’est pas un caprice politique, quoiqu’elle puisse paraître cela, c’est une fatalité de l’histoire. On ne cesse d’être colonisé qu’en cessant d’être colonisable, c’est une loi immuable. […] Pour cesser d’être colonisé, il faut cesser d’être colonisable. » Si l’Algérie a été colonisée, c’est qu’elle était dans une certaine mesure colonisable. Au moment de la conquête, l’Algérie était la terre d’« un peuple somnolent depuis des siècles ». Il y eut bien sûr très tôt des défenseurs de l’indépendance. Mais tant que cette « idée exprimée » était le seul fait de quelques leaders, la force brute et l’alliance avec des chefs locaux suffisait à la contenir. La « naissance de la conscience politique du peuple algérien » après la Première Guerre mondiale change la donne. De plus en plus, l’idée exprimée devient « “idée imprimée”, logée celle-là dans la conscience du peuple ». « Le colonialisme a senti le danger de perdre les procédés qui lui permettent d’exercer l’influence et le contrôle sur la politique du pays. » Le pouvoir colonial prend conscience que « l’emploi de la force […] échouera inévitablement et à plus forte raison dans la lutte engagée contre l’idée imprimée ». Une « lutte idéologique » lancinante s’installe. Le colonialisme change de stratégie : il « attise l’ire aveugle des masses et alimente, avec démesure les ambitions de leurs dirigeants », il manipule les comportements par un travail d’« insinuation » idéologique. « Il est clair que ce procédé demeurera invisible parce qu’il est logé au fond de nous-mêmes, il s’y insère grâce à nos prédispositions à recevoir passivement les inspirations et les insinuations susceptibles d’orienter nos comportements […] Le problème de l’homme musulman face à la lutte idéologique est que son comportement reste assujetti au réflexe conditionné tel que défini par Pavlov, si bien qu’il ne peut disposer librement de sa réflexion ni de son action […] La manœuvre poursuivie par le colonialisme repose en effet sur des objectifs à atteindre par la voie des règles issues de la théorie de Pavlov. »

 

Pour l’indépendance

Résister à la déshumanisation coloniale : Frantz Fanon (1925-1961), dans L’An V de la révolution algérienne (François Maspero, 1959)

Proche de Sartre, Frantz Fanon (qui s’engagea aux côtés du FLN dès 1954) partage ses analyses sur la dimension systémique de la lutte anti-coloniale, qui ne peut déboucher que sur l’indépendance. Dans L’An V de la révolution algérienne (1959), il écrit : « Cette guerre a mobilisé le peuple dans sa totalité, l’a sommé d’investir en bloc ses réserves et ses ressources les plus cachées. Le peuple algérien ne s’est pas donné de répit, car le colonialisme auquel il est confronté ne lui en a laissé aucun. La guerre d’Algérie, la plus hallucinante qu’un peuple ait menée pour briser l’oppression coloniale. » Une certaine violence est nécessaire pour y parvenir, Fanon ne le nie pas. Mais il dénonce les adversaires de l’indépendance qui « aiment affirmer que la Révolution algérienne est composée de sanguinaires ». « Non, ce n’est pas vrai que la Révolution soit allée aussi loin que le colonialisme », tranche-t-il. Le colonialisme, qui nie l’humanité des Algériens, est au contraire pour Fanon une violence sans aucune mesure avec celle des mouvements de libération : « Le Front de libération nationale n’a pas craint, dans les moments où le peuple subissait les assauts les plus massifs du colonialisme, de proscrire certaines formes d’action et de rappeler constamment aux unités engagées les lois internationales de la guerre. Dans une guerre de libération, le peuple colonisé doit gagner, mais il doit le faire proprement, sans “barbarie”. […] Le peuple sous-développé doit à la fois prouver, par la puissance de son combat, son aptitude à se constituer en Nation, et par la pureté de chacun de ses gestes, qu’il est, jusque dans les moindres détails, le peuple le plus transparent, le plus maître de soi. » Tel est l’enjeu paradoxal d’une révolte qui, pour être radicale, doit en même temps s’interdire les plus terribles extrémités. Résister à la barbarie, c’est résister à la « brutalité presque physiologique que fait naître et qu’entretient une oppression séculaire », celle colonialisme, qui s’efforce de réduire le colonisé au rang de bête sauvage.

 

Pour l’indépendance

L’impensable négation des droits humains : Aimé Césaire (1913-2008), dans son discours du 22 janvier 1956 (paru dans la revue Les Temps modernes, vol. 11)

Grand admirateur de Fanon (« celui qui vous empêche de vous boucher les yeux et de vous endormir au ronron de la bonne conscience », celui dont la vie est « un appel à vivre »), Césaire fut lui aussi un défenseur acharné de l’indépendance. Dans le discours qu’il prononce lors du meeting organisé par le Comité pour la fin de la guerre en Afrique du Nord le 22 janvier 1956, et publié dans Les Temps modernes aux côtés de celui de Sartre, il lance : « Je ne dis pas de la réforme, je dis de l’abolition pure et simple du régime colonial. On voit ce que cela signifie dans le cadre algérien : cela signifie, dans l’immédiat, la restitution de ses droits à l’homme algérien traqué, séquestré, torturé. Cela signifie la fin de la guerre et la fin de la répression. Cela signifie la parole donnée et pour la première fois depuis 1830 au peuple algérien, et l’assurance qu’il pourra librement orienter ses destinées. » Et de souligner combien l’hostilité des États européens à la libération des peuples est un oubli de l’histoire : incompréhensible est « la croyance qu’à l’époque où nous sommes, dix ans après la fin d’une guerre que les peuples européens ont menée pour la liberté […], on peut encore maintenir par la force et la terreur des empires fondés sur la négation des droits de l’homme et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». L’engagement de Césaire, cependant, est indissociable d’un profond humanisme, et d’un optimisme sincère. Car à ses yeux, l’indépendance algérienne « signifie la naissance ou la renaissance d’un État algérien, uni avec la France par des lois d’amitié et de solidarité, et non plus par des liens de sujétion et de domination ».

 

Pour une Algérie plurielle associée à la France

Je préfère ma mère à la justice : Albert Camus (1913-1960), dans Actuelles III. Chroniques algériennes 1939-1958 (Gallimard, 1958)

Par rapport à Sartre ou Fanon, Camus – lui même né en Algérie – défendit dans différents articles de presse (regroupés dans le volume Actuelles III. Chroniques algériennes 1939-1958, paru en 1958) une position plus ambigüe, sensible au sort des pieds-noirs, ce qui lui sera parfois reproché. « “Il faut choisir son camp” crient les repus de la haine. Ah ! Je l’ai choisi ! J’ai choisi mon pays. J’ai choisi l’Algérie de la justice, où Français et Arabes s’associeront librement ! » Le philosophe, plutôt que de défendre un camp ou l’autre, croit à la possibilité d’une « Algérie plurielle » où serait possible « ce peuple de neuf millions d’Arabo-Berbères et d’un million d’Européens et de Juifs ». Et d’ajouter : « J’ai essayé de définir clairement ma position : une Algérie constituée par des peuplements fédérés, et reliée à la France. […] J’ai été et je suis toujours partisan d’une Algérie juste, où les deux populations doivent vivre en paix et dans l’égalité. » Camus déplore « le malheur algérien comme une tragédie personnelle ». « Ce grand pays se brise en deux. […] L’éternelle querelle du premier responsable perd alors son sens. » Contrairement à bon nombre de ses contemporains qui condamnent d’abord le colonialisme, il dénonce fermement les exactions des mouvements de libération : « Si je peux comprendre et admirer le combattant d’une libération, je n’ai que dégoût devant le tueur de femmes et d’enfants. La cause du peuple arabe en Algérie n’a jamais été mieux desservie que par le terrorisme civil pratiqué désormais systématiquement par les mouvements arabes. » Camus refusera toujours de se « réjouir d’aucune mort, quelle qu’elle soit », et condamnera, dans un camp comme dans l’autre, ceux qui, exaltés par l’enthousiasme d’une cause, dérogent à cette règle éthique. « Je crois à la justice […] mais je défendrai ma mère avant la justice », dira-t-il. « Si un terroriste jette une grenade au marché de Belcourt que fréquente ma mère et s’il la tue, comment accepter cette mort ? » 

Pour une autonomie interne

Le colonialisme a déjà disparu en Algérie : Maurice Merleau-Ponty (1908-1961), dans Signes (Gallimard, 1960)

Merleau Ponty se montera lui aussi prudent au sujet de la guerre d’Algérie, et sceptique quant à la possibilité d’une solution satisfaisante : « On a laissé pourrir le problème », condamnant des issues qui auraient auparavant été viables. Le philosophe s’en tiendra à quelques engagements. « Je suis inconditionnellement contre la répression et en particulier la torture », écrit-il dans Signes (1960). Quant à l’avenir de l’Algérie, il se montre hostile à l’idée d’une indépendance sans délai : « Je ne souhaite pas que l’Algérie, l’Afrique noire et Madagascar deviennent sans délai des pays indépendants parce que l’indépendance politique, qui ne résout pas les problèmes du développement accéléré, leur donnerait par contre les moyens d’une agitation permanente à l’échelle mondiale, aggraverait la tension entre l’U.R.S.S. et l’Amérique sans que ni l’une ni l’autre ne puissent apporter une solution aux problèmes du sous-développement tant qu’elles poursuivront leur effort d’armement. Je souhaite immédiatement des régimes d’autonomie interne ou de fédéralisme, comme transition vers l’indépendance, avec des délais et des étapes prévue. » Le phénoménologue ajoute qu’à ses yeux, « le colonialisme, en toute hypothèse, est aux trois quarts fini. […] Quand l’administration française en Afrique était encore dominée par les grandes compagnies, il y avait un colonialisme. » Mais les choses ont changé. Pour Merleau-Ponty, « il n’y a pas à poser en principe que les Blancs doivent rentrer chez eux, car en Afrique aujourd’hui, ils sont autre chose que ce colonialisme-là […] Pour 1.200.000 non-musulmans, il y a en Algérie 19.000 colons au sens strict dont 7.000 sont de pauvres gens, 300 riches et une dizaine extrêmement riches. Le reste des Français d’Algérie sont des salariés, des ingénieurs, des commerçants qui représentent les trois quarts de l’infrastructure économique du pays. […] Je constate que cette relation-là entre l’Algérie et la France n’a rien à voir avec le colonialisme. Pendant ce temps, 400.000 ouvriers algériens travaillent en France et nourrissent en Algérie même deux millions d’Algériens ». 

Pour un État algérien autonome

Préparer l’autonomie, envisager l’indépendance : Raymond Aron (1905-1983), dans La Tragédie algérienne (Alon, 1957)

Grand historien, ami puis adversaire de Sartre, Aron aborde la guerre d’Algérie avec réalisme et s’interroge sur les différentes issues possibles dans La Tragédie algérienne (1957). Il remarque d’abord que « moins que jamais la pacification telle qu’elle est menée depuis des mois promet la paix ». Et d’ajouter que « plus la pacification-guerre se prolonge, plus les chances de cohabitation pacifique entre les deux communautés diminuent ». Il est donc urgent de changer de politique. Faudrait-il, comme le proposent certains, opérer un partage des terres entre colons et colonisés ? Impossible pour Aron : « Les Français d’Algérie ne forment pas une population capable de se suffire à elle-même, répartie entre les divers métiers selon les exigences d’une collectivité intégrale ; ils se mêlent aux musulmans, ils les encadrent. Le partage romprait cette symbiose et paraîtrait odieux, contre nature, aux uns et aux autres. » La seule solution viable semble être « l’acceptation en principe d’un État algérien sans exclure la “vocation à l’indépendance” de cet État », mais pas dans un avenir immédiat. Mieux vaut prendre le temps de préparer de concert une véritable autonomie, et une potentielle indépendance, que de risquer que cette dernière se produise brutalement – ce qui serait dramatique notamment pour les pieds-noirs, dont le sort préoccupe particulièrement Aron (« moins que jamais on ne peut abandonner les Français d’Algérie et les Algériens fidèles à la France à la fureur des fanatiques »). L’indépendance, sans doute, est un risque, mais c’est un risque qu’il faut prendre. Les résistances sont toutefois nombreuses. Elles ne sont pas tellement économiques, du point de vue d’Aron : « L’autonomie de l’Algérie n’est pas contraire aux intérêts français à long terme », étant donnés les liens qui s’établiront entre les deux pays. Les résistances sont d’abord symbolique : « Le débat porte sur un point, et un seul : la France accepte-t-elle de perdre un jour la souveraineté » sur ces terres au-delà de la Méditerranée ? 

Pour l’indépendance

Pourquoi l’indépendance est impensable pour les colons : Pierre Bourdieu (1930-2002), dans « L’unité de l’Algérie » (in : Le Monde diplomatique, 1961)

Pour Bourdieu, qui enseigna plusieurs années à Alger, la difficulté de la France à accepter l’indépendance de l’Algérie est indissociable de la structure, systémique, de la domination coloniale elle-même, comme il l’explique dans son article « L’unité de l’Algérie » (1961) : « La conscience que le système colonial ne saurait être que détruit ou maintenu en totalité est tout aussi aiguë chez les membres de l’une ou de l’autre communauté. Aussi, nombre d’Européens, parce qu’ils lient leur existence à l’existence du système colonial, ne conçoivent pas d’autre ordre possible que l’ordre actuel ou bien leur propre disparition. Si l’idée d’une nation algérienne n’est pas pensable pour la plupart d’entre eux, c’est qu’ils la vivent comme leur propre négation, comme leur propre anéantissement. » C’est pourtant la domination coloniale elle-même qui a accéléré la constitution du nationalisme algérien culminant dans la guerre : « La situation coloniale, en suscitant des conduites collectives de refus, a agi dans le sens de l’effacement des particularismes » locaux. Avec un certain espoir, Bourdieu envisage que, là où le système colonial instaurait un clivage brutal, sa disparition pourrait apaiser la situation : « Est-il absurde de penser que, précisément parce [que les colons] conçoivent ainsi leur propre avenir, la simple expérience de la persistance du train ordinaire de la vie quotidienne au sein d’un ordre jusque-là impensable et inimaginable, pourra apparaître à beaucoup comme un miracle et susciter des “conversions” miraculeuses ? » Cet espoir n’est pas seulement une chimère pour Bourdieu. Il s’enracine dans le fait que « les deux communautés présentent des parentés ou des affinités culturelles indéniables, résultats d’emprunts le plus souvent inconscients et involontaires qui ont créé, par-delà les oppositions les plus brutales liées à l’existence du système colonial, une complicité d’autant plus forte et plus profonde peut-être qu’elle reste communément inavouée et pour certains inavouable ». 

Pour l’indépendance

Un syncrétisme de luttes : Edgar Morin (né en 1921), dans « La révolution algérienne et la gauche française » (in : Arguments, n°10, 1958)

Au-delà de son engagement pour l’indépendance (« nous sommes radicalement ennemi de tout système colonial et de toute domination raciale »), c’est en sociologue qu’Edgar Morin s’est intéressé à la guerre d’Algérie – il anime d’ailleurs, à partir de 1955, le Comité contre la guerre d’Algérie. Dans l’article « La révolution algérienne et la gauche française » (1958), il écrit : « C’est dans ce syncrétisme que réside l’originalité des révolutions coloniales. Elles ne sont pas des révolutions bourgeoises proprement dites, elles ne sont pas non plus des révolutions prolétariennes ou socialistes, et ce ne sont pas non plus des tentatives de restauration pure et simple du passé autochtone. Mais ce syncrétisme est évidemment instable. » Cette instabilité fait vaciller les cadres conceptuels traditionnels. Difficile d’anticiper le nouveau monde ouvert par la guerre d’Algérie. « La guerre d’Algérie a modifié et accéléré l’évolution de l’Afrique dans son mouvement vers l’indépendance, a modifié et accéléré l’évolution de la France, et de là de l’Europe, retentit sur les États-Unis et sur l’U.R.S.S. […] C’est ce qui obscurcit nos visions d’avenir, et nous empêche de formuler autre chose que des souhaits pieux ou de vagues schémas. » Sans doute peut on penser que « des chaos, des conflits, des crises, des dictatures, des oppressions se préparent ». Mais pas seulement.

 

Pour une paix négociée

Les métamorphoses de l’armée dans le combat colonial : Claude Lefort (1924-2010), dans Le Temps présent. Écrits 1945-2005 (Belin, 2007)

C’est en particulier au rôle singulier de l’armée dans la guerre d’Algérie que s’est intéressé Claude Lefort, proche de Morin au sein du groupe « Socialisme ou barbarie ». Point de départ, développé dans un long article paru dans Le Temps présent (2007) : « La société colonisée est […] destructurée par les colonisateurs. » « Dans de telles circonstances, la guerre, si elle s’allume, engendre immédiatement une reconversion sociale, c’est‑à‑dire qu’elle arrache à des cadres traditionnels […] des éléments divers, qui constituent une nouvelle hiérarchie. Celle‑ci tend à se subordonner tous les rapports sociaux existants. […] Le FLN, bien qu’il soit dans l’incapacité de faire passer sous son contrôle des régions entières et de les transformer, pendant la guerre elle‑même […], se comporte à la fois comme une armée, un parti, une administration d’État. » Cette évolution du mouvement de libération rétroagit sur le fonctionnement l’armée colonisatrice : « Engagée dans une guerre d’une telle nature, l’Armée voit ses tâches se transformer. Elle ne peut combattre efficacement qu’en disputant au FLN le contrôle de la population, qu’en tentant de restructurer les activités sociales autour de son pouvoir, qu’en jouant tous les rôles que la situation impose – de la terreur à l’éducation des enfants dans les écoles en passant par la propagande politique. » De ce point de vue, l’armée acquiert de plus en plus « une autonomie croissante vis‑à‑vis du pouvoir d’État ». Ce qui n’est pas sans rapport avec les nombreuses exactions qu’elle commettra pendant le conflit. 

 

Pour l’indépendance

L’expérience vécue de la domination coloniale : Hélène Cixous (née en 1937), dans La Jeune Née (Union générale d’éditions, 1975)

Hélène Cixous passa elle aussi son enfance en Algérie. Elle en tira une conscience aigüe des structures de domination qui conduiront à la guerre d’indépendance, comme elle le raconte dans un entretien de 2017 : « Mon expérience de l’Algérie, c’était la violence de la guerre, le pétainisme, une superposition hallucinante de racismes et l’exploitation monstrueuse d’un peuple. Il suffisait d’ouvrir les yeux pour voir que neuf millions d’inférieurs n’avaient pas de droits, ne votaient pas, n’étaient pas scolarisés. […] Les Algériens, qu’on appelait les Arabes, les indigènes, étaient un peuple en haillons qui avait faim. » Cixous développe dans La Jeune Née (1975) ce témoignage personnel qui permet d’appréhender, de manière incarnée, les racines de la guerre de libération : « Ce qu’était l’Algérie française, il faut l’avoir vécu, subi. Avoir vu les “Français” au “sommet” de l’aveuglement impérialiste se conduire sur une terre habitée par des humains comme si elle était peuplée de non-êtres, d’esclaves-nés. De ce premier spectacle, j’ai tout appris : j’ai vu comment le monde “blanc” (français) supérieur ploutocratique civilisé instituait sa puissance à partir du refoulement de populations soudain devenues “invisibles” […] bien sûr perçues en tant qu’instruments, sales, bêtes, paresseux, sournois, etc., grâce à la magie dialectique anéantissante. J’ai vu que les beaux grands pays “avancés” s’érigeaient en expulsant l’étrange ; en l’excluant mais pas trop loin : en l’asservissant. » 

 

Pour l’indépendance

Quand les Algériens parlent en leur nom : Jean-François Lyotard (1924-1998), dans La Guerre des Algériens (Galilée, 1989)

L’enjeu essentiel de la guerre anti-coloniale en Algérie tient pour Lyotard – qui enseigna plusieurs années à Constantine - en une réappropriation de la capacité des colonisés à parler en leur nom propre, comme il le souligne dans sa préface au livre La Guerre des Algériens intitulée « Le nom d’Algérie ». En dépit de la répression féroce qui les a fait taire pendant des décennies, « les Algériens “sortent”. Aussitôt, les ultras s’évanouissent, tirant ici et là dans les manifestants algériens, appelant les paras à la rescousse. Le vrai problème est posé. Tous ceux qui parlaient au nom de l’Algérie, c’est-à-dire à la place des Algériens, se taisent. Les Algériens “manifestent”, c’est-à-dire se manifestent, en chair et en os, collectivement. L’objet du litige intervient dans le litige, retirant à tout le monde la parole. » Les voix s’élèvent. Les Algériens recouvrent ce destin qui leur a été dérobé. « C’est aux seuls Algériens de savoir ce qu’ils veulent et d’imposer les solutions. Chacun a eu et continue d’avoir une expérience particulière de la situation révolutionnaire, a rencontré sous une forme concrète l’un ou l’autre de ces problèmes, lui a donné ou a songé à lui donner telle ou telle solution. C’est cette richesse de l’expérience accumulée […] que doit cristalliser le programme révolutionnaire, c’est d’elle qu’il doit tirer les leçons. » L’enjeu n’est pas, comme le pense y compris la gauche d’alors, l’affrontement des leaders, « des dirigeants, des “agitateurs” », entre lesquels les « masses » sont des « intermédiaires » muets. L’enjeu, c’est la mise en mouvement de tout un peuple qui réclame la maîtrise de son destin.

avril 2025

09.04.2025 à 12:37

Tim Ingold : “Il est urgent de réparer les liens entre les anciennes et les nouvelles générations”

hschlegel

Tim Ingold : “Il est urgent de réparer les liens entre les anciennes et les nouvelles générations” hschlegel mer 09/04/2025 - 12:37

Nous ne retrouverons confiance dans l’avenir qu’à condition de revoir entièrement notre conception du lien qui unit les différentes générations entre elles. C’est la proposition du très inventif anthropologue écossais Tim Ingold dans son dernier essai. Frédéric Manzini l’a rencontré lors de son passage à Paris, à l’occasion de la sortie de la traduction française de l’ouvrage sous le titre Le Passé à venir (Seuil, 2025).

[CTA2]

 

Le point de départ de votre livre consiste à repenser la manière dont nous concevons le rapport entre les générations…

Tim Ingold : Nous avons, en effet, pris l’habitude de penser les générations comme des cohortes de personnes qui se suivent les unes après les autres, dans un certain ordre, chaque cohorte se substituant à la précédente et étant destinée à être remplacée par la suivante. Aussi les différentes générations sont-elles comprises comme autant de couches qui se superposent les unes aux autres, qui ainsi s’accumulent et repoussent les plus anciennes toujours plus loin dans le passé. C’est une manière de voir, par strates et par succession de strates, qui me semble typique de la modernité. J’explique au contraire que nous devrions admettre que, même si elles appartiennent à des générations différentes, les vies des gens se chevauchent et s’entremêlent, de sorte que le futur est fait de toutes ces générations qui agissent ensemble au lieu de se retrouver séparées et isolées les unes des autres [cf. schéma illustré ci-dessous]. Un peu comme dans une famille, où il n’y a pas d’un côté les grands-parents, ensuite les parents et enfin les enfants mais où – et c’est une chose merveilleuse que nous ne valorisons pas suffisamment – les vies s’entremêlent, c’est-à-dire celles des parents avec celles des enfants et celles des grands-parents, toutes ensemble.

“Les vies des gens se chevauchent et s’entremêlent. Le futur est fait de toutes ces générations qui agissent ensemble au lieu de se retrouver séparées et isolées les unes des autres” Tim Ingold

 

Votre conception de vies partagées vous conduit aussi à critiquer l’idée d’“héritage” entre générations.

Je tiens à établir une distinction entre « hériter » et « perdurer ». Qu’est-ce qu’hériter ? C’est soustraire quelque chose à quelqu’un, à qui cela appartenait, afin de le confier à quelqu’un d’autre : en héritant de tel ou tel bien de mes parents par exemple, je la retire de leur vie pour le transférer à la mienne, ce qui fait de moi désormais son propriétaire. La notion d’héritage repose donc sur une forme de transaction, c’est-à-dire de transfert de propriété – d’où le lien avec le capitalisme – qui ne fonctionne que parce qu’il y a un moment de rupture dans la propriété privée, individuelle. Perdurer, au contraire, c’est faire prolonger les différentes existences de manière continue. Si je peux hériter de mes parents au sens où j’hérite alors de quelque chose qui leur appartenait auparavant, je ne peux pas hériter de mes parents eux-mêmes. Je peux certes hériter de leur maison, mais je ne peux pas hériter du foyer que nous avons partagé. C’est autre chose qui se joue. Ce qui se passe en réalité, c’est que leur vie va perdurer à travers la mienne (entre autres) et va ainsi se prolonger, se poursuivre.

Schéma tiré du livre Le Passé à venir : dans une corde, les fils s’entremêlent comme autant de générations.

Que s’est-il passé qui nous a conduits à penser les générations séparées les unes des autres ? 

C’est un processus compliqué bien entendu, mais je pense que tout s’est noué vers l’aube de la modernité, autour une certaine idée du progrès. C’est sans doute en partie lié au développement de l’économie capitaliste, qui a éloigné géographiquement les différentes générations en dissociant les lieux de production et les lieux de consommation. Mais ce qui a joué un rôle plus décisif est sans doute le transfert de charge concernant l’éducation qui s’est opéré depuis les familles vers l’État : à partir de ce moment, le foyer n’était plus l’endroit où les compétences se développaient et où s’apprenaient les manières de vivre, puisque c’était une institution spécialisée, à savoir l’école, qui en assumait désormais la responsabilité. Dès lors, les nouvelles générations dépendaient moins des précédentes et la transmission s’effectuait différemment. Ce modèle, qui est né en Europe, s’est ensuite exporté partout dans le reste du monde.

 

Mais les origines que vous pointez sont profondes et bien installées… Est-il possible, par conséquent, d’échapper à cette manière erronée de considérer les choses ?

Non seulement nous le pouvons, mais nous le devons. Pas dans la perspective de retourner à l’ancienne manière de faire les choses, mais plutôt en commençant par reconnaître que notre manière actuelle de les faire ne peut pas durer, qu’elle n’est pas durable, c’est-à-dire tout simplement pas soutenable à long terme. Ce n’est même pas qu’elle serait fausse, mais surtout qu’elle est incompatible avec la possibilité pour la vie de perdurer. On peut alors dire qu’elle est fausse, mais seulement au sens pragmatique du terme, c’est-à-dire dans la mesure où ses effets sont délétères. Et Il nous faut trouver un moyen d’en sortir pour construire un futur ensemble. Et il est nécessaire, pour cela, de réparer les relations entre les anciennes et les nouvelles générations, par l’éducation notamment, de façon à restaurer des manières de vivre susceptibles de permettre aux différentes générations de cohabiter. Cela peut semble difficile parce que nous tenons le modèle actuel comme allant de soi, mais après tout, il n’a « que » 300 ou 400 ans. Relativisons, car ce n’est pas grand-chose à l’échelle de la totalité de l’histoire humaine !

“Il est indispensable et urgent de changer notre manière de penser les générations. Les voir séparées les unes des autres est incompatible avec la possibilité même pour la vie de perdurer” Tim Ingold

 

Si nous devons changer de paradigme, c’est pour faire face à la crise écologique qui s’annonce ? 

Nous voyons l’avenir comme un sorte de mur qui s’avance vers nous ou comme le ciel qui nous tombe sur la tête – et plus nous accélérons, plus nous sentons le danger se rapprocher, ce qui est évidemment effrayant ! Or je pense que si nous voyons l’avenir ainsi, c’est à cause de notre manière de penser le rapport entre générations. Penser autrement les générations ne va certes pas faire disparaître la crise, mais pourrait nous permettre de voir autrement les possibilités qui s’offrent à nous, avec davantage d’espoir. Par exemple, se demander « quelle planète allons-nous laisser à nos enfants ? » est une manière de poser la question en termes d’héritage, alors qu’on devrait plutôt se poser la question : « Comment pouvons-nous être de bons ancêtres pour nos descendants ? », car cela suppose que ce que nous faisons compte pour eux. Penser que le futur va simplement remplacer le présent, c’est-à-dire se substituer à lui, a tendance à nous rendre irresponsables.

 

Vous développez en ce sens une critique de ce que vous appelez la “Génération maintenant”. De qui parlez-vous ?

Attention, mon ouvrage n’est pas un livre de sociologie qui s’efforcerait de décrire ou de dénoncer une expérience vécue particulière, circonscrite dans le temps et l’espace. Je ne vise ni une génération en particulier ni un groupe précis de personnes, mais plutôt une idée. Il s’agit pour moi de montrer comment, la plupart du temps, une fois qu’on a atteint un certain âge et qu’on est actif, on s’empare des commandes du présent, au sens où on a la prétention de commander aux jeunes (en décidant de la manière dont ils devront mener un avenir déjà tracé pour eux), de la même manière qu’on a celle d’organiser la vie des plus anciens (invités à se retirer). Comme si chaque génération devait éradiquer ce que la précédente avait établi, et comme si la suivante allait faire la même chose avec celle-ci, et ainsi à l’infini.

“Penser que le futur va simplement remplacer le présent, c’est-à-dire se substituer à lui, a tendance à nous rendre irresponsables” Tim Ingold

 

Vous dites que ce n’est pas un livre de sociologie. Mais est-ce pour autant un livre d’anthropologie à proprement parler, voire de philosophie ?

Je ne me suis pas soucié de cela au moment où je l’ai rédigé, et après tout, peu importe de quelle discipline il relève. Mais je dirais quand même que c’est un livre d’anthropologie au sens de l’anthropologie telle qu’elle devrait être (outre le fait que je fais référence à certains peuples comme les Tchouktches de Russie ou les Batek de Malaisie). La version courte de ma définition de l’anthropologie est que c’est « de la philosophie qui intègre les gens » [« philosophy with the people in »], pour la distinguer d’une certaine tendance des philosophes à se recroqueviller sur un nombre restreint de textes canoniques. Une philosophie en plein air, pour le dire autrement, qui discute avec le monde et avec les gens. Ma définition longue de l’anthropologie est que c’est une enquête généreuse, ouverte, comparative et critique sur les conditions et les différentes possibilités qu’offre la vie dans ce monde que, tous, nous habitons. C’est en ce sens qu’on peut considérer mon ouvrage comme un livre d’anthropologie, oui.

 

Vous vous référez à la conception du temps de Bergson, mais à vous lire, on pense aussi aux concepts de “vie liquide” de Zygmunt Bauman ou au “présentisme” de François Hartog par exemple…

Il y a des influences, peut-être... Pourtant, la vie à laquelle je pense quand je pense à la vie qui perdure, ce n’est pas ni une vie « liquide » ni une vie « solide » mais une vie « fluide », qui est en permanence en train d’évoluer. C’est ce que Bergson cherche à penser également – Bergson qui m’avait tellement fasciné quand je l’avais découvert : j’avais été extrêmement intéressé par sa conception d’une « évolution créative », et du pouvoir créatif de la vie qui peut devenir plus ou autre qu’elle est. Quant au « présentisme », il me semble qu’il consiste à faire encore du passé et de l’avenir des constructions du présent – or le passé perdure à travers le présent, et le présent ne peut s’en défaire. Nous sommes nous-mêmes des produits du passé, actifs au présent, et qui sommes appelés à l’avenir à appartenir au passé. C’est vraiment un point délicat mais fondamental : l’avenir est le passé, et le passé, l’avenir. Cette vision ouvre bien d’autres possibilités que celle qui s’enferme dans un prétendu pur présent.

“C’est un point délicat mais fondamental : l’avenir est le passé, et le passé, l’avenir” Tim Ingold

 

C’est d’ailleurs le titre donné à la version française de votre ouvrage, Le Passé à venir.

Le titre original, en anglais, est The Rise and Fall of Generation Now mais la traduction littérale, à savoir quelque chose comme Grandeur et décadence de la génération maintenant, n’était pas très claire en français. En italien non plus d’ailleurs, et le titre italien qui a finalement été retenu est l’inverse du titre français puisque c’est Il futuro alle spalle, c’est-à-dire « l’avenir derrière nous ». Ces deux titres semblent aller en sens inverse l’un de l’autre, mais je les trouve tout aussi bons l’un que l’autre !

 

Le Passé à venir. Repenser l’idée de génération, de Tim Ingold, vient de paraître aux Éditions du Seuil dans une traduction de C. Le Roy. 240 p., 18,90€, disponible ici.

avril 2025

09.04.2025 à 09:45

Péter Krekó : “Il est difficile de définir clairement un seuil, un moment où commence l'autocratie et où la démocratie s'arrête”

nfoiry

Péter Krekó : “Il est difficile de définir clairement un seuil, un moment où commence l'autocratie et où la démocratie s'arrête” nfoiry mer 09/04/2025 - 09:45

Contrairement à la dictature, la tyrannie ne naît pas forcément d’un coup de force. Elle s’insinuerait plutôt dans des structures démocratiques, comme l'affirment dans notre nouveau numéro des penseurs de Hong Kong, de Géorgie ou d’Argentine. L’économiste et politologue hongrois Péter Krekó décrypte ici la manière dont le gouvernement de Viktor Orbán a pris le contrôle des esprits.

avril 2025
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