08.04.2025 à 23:33
startuffenation
Parce qu’il est urgent de reprendre le contrôle sur les infrastructures du numérique, plusieurs communautés s’organisent déjà pour résister. Un collectif de responsables d’associations, de syndicats et de militants demande un moratoire sur la construction de nouveaux «datacenters» ainsi que la mise en place de débats publics.
Cette tribune a d’abord été publiée sur Libération.fr.
Du 8 au 11 avril, l’Assemblée nationale débat du projet de loi de simplification de la vie économique (PLS). On y trouve de nombreuses mesures dérogatoires au droit commun, une perte de pouvoir de la Commission nationale du débat public, un retour en arrière sur la loi Zéro artificialisation nette, sur la protection des espèces menacées, une perte des compétences des collectivités territoriales. Il s’agit d’un démantèlement lent mais assuré des maigres législations écologiques et démocratiques qui encadraient encore les élans du capitalisme technologique.
Le PLS concerne aussi la facilitation des installations industrielles notamment minières, prétendument de transition énergétique et paradoxalement associées aux infrastructures du numérique, comme les data centers, dont il s’agirait de faciliter l’installation en France pour une supposée souveraineté numérique.
Les infrastructures du numérique, qui permettent à l’information numérique de circuler et aux services du cloud d’apparaître sur nos écrans, sont organisées en data centers interconnectés par les câbles de fibres optiques sous-marins. Et pour faire des data centers, des câbles et les usines de production énergétique pour les alimenter, il faut des mines, d’où sont extraits les minerais qui composeront les puces des serveurs et des cartes graphiques, nécessaires au fonctionnement desdites intelligences artificielles.
Le cloud était sous nos pieds : le déploiement des infrastructures du numérique est soutenu par une relance débridée de l’extractivisme et des prédations qui y sont liées. Elles sont les nouvelles infrastructures de la domination impérialiste : il faut en être pour continuer à faire partie des grandes puissances mondiales, quitte à ouvrir grand les portes à tous ces investisseurs privés pour faire de la France une «data center nation». Alors que les dépendances technologiques envers les multinationales étasuniennes alignées derrière le programme d’extrême droite de Donald Trump sont croissantes, le temps ne peut pas être à la dérégulation.
Le projet de loi Simplification propose de conférer aux data centers le statut de projet d’intérêt national majeur. Par là, il faut entendre le statut de raison impérative pour rester dans la course à l’IA. Tant pis si vous devez attendre dix ans de plus l’électrification d’activités polluantes ; tant pis si les massacres en République démocratique du Congo redoublent d’intensité ; tant pis pour les terres que les paysannes abandonnent, faute d’eau disponible, tant pis si on ne sait toujours pas réemployer les puces et si les décharges de déchets du numérique s’étendent à perte de vue ; tant pis si les data centers dans lesquels on stocke les données de l’Etat sont soumis aux lois états-uniennes ; tant pis si la vitalité des quartiers populaires est sacrifiée aux chaleurs produites des réfrigérateurs géants. Il n’y a pas de négociations à avoir. Au contraire, le gouvernement propose de graver dans la loi une fiscalité allégée et un accès prioritaire au réseau électrique public. Le numérique dominant s’impose, rendant obsolète nos machines, nos compétences et parfois même nos corps.
Nous pensons que le moment est venu de reprendre le contrôle collectivement sur les infrastructures du numérique. La souveraineté numérique, ça ne peut pas être de tenter désespérément d’arracher un segment d’une chaîne de valeur contrôlée par des multinationales étrangères en les attirant sur le territoire français avec une législation et une fiscalité aguicheuse.
Partout sur le territoire et à l’étranger, de nombreuses communautés s’organisent déjà pour résister à ce numérique dominant : collectifs en lutte contre les projets miniers, contre les fonderies de puces microélectroniques dédiées à l’armement et aux gourdes connectées, contre les implantations de data centers s’appropriant l’eau des rivières ou l’eau potable, ou les importations croissantes des minerais de sang ; riverain·e·s qui suffoquent déjà trop de la toxicité de ce monde industriel, qui voient des projets d’intérêt général rendus impossibles par la saturation des réseaux d’électricité ou qui cherchent à privilégier des lieux de vie où on privilégie l’humain ; comme les chercheur·euse·s qui documentent les impacts écologiques du numérique, les déchets produits, qui étudient la déchéance des utopies d’Internet ou encore les dimensions géopolitiques croissantes ; comme les artistes et designers qui cherchent à fabriquer d’autres récits et d’autres manières d’hériter de ce monde abîmé, ou qui inventent des réseaux sociaux qui tiennent avec un téléphone portable pour serveurs ; comme les communautés de logiciels libres et leshackerspacesqui fabriquent des serveurs low tech.
A l’opposé de cette loi, nous demandons collectivement un moratoire sur la construction de nouveaux data centers et la mise en place de débats publics, qui pourraient prendre la forme de conventions citoyennes, ainsi qu’un soutien aux projets de recherches actions ayant pour objectif de mettre au travail des alternatives réelles et de célébrer la joie qui circule quand on parvient à penser ensemble.
Contre la fuite en avant, ralentissons et osons faire monde commun.
Signataires : Julie Ferrua Codéléguée générale de l’Union syndicale Solidaires Raquel Radaut Porte-parole de la Quadrature du Net Ophélie Coelho Chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques(Iris), Centre Internet et Société, autrice Baptiste Hicse Membre du collectif StopMicro Annick Ordille Membre du collectif le Nuage était sous nos pieds Sébastien Barles Adjoint au maire de Marseille, en charge de la transition écologique Camille Etienne Autrice et militante écologiste David Cormand Député européen écologiste Clément Marquet Chargé de recherches en sciences techniques et société, Mines Paris-PSL David Maenda Kithoko Président deGénération Lumière Aurora Gómez Delgado Porte-parole du collectif TuNubeSecaMiRío Manuel Bompard Député des Bouches-du-Rhône (LFI), Adrien Montagut Codirigeant de la coopérativeCommownen charge des affaires publiques Lou Welgryn Secrétaire générale de Data for Good Jérôme Moly Président de l’association GreenIt…
La totalité des signataires est ici.
04.04.2025 à 18:31
robinson
Le 11 mars dernier, on publiait un article avec un zeste de réjouissance dans un grand seau de prudence : la commission des Lois de l’Assemblée nationale avait supprimé la plupart des articles les plus liberticides de la loi « Narcotrafic ». Cette réaction des député·es ne venait pas de nulle part, vous avez agi en nombre pour les interpeller — bravo et merci ! Mais si des mesures désastreuses avaient sauté en commission (on pense en particulier à la menace qui pesait sur le chiffrement des messageries), d’autres mesures étaient malheureusement restées, et on s’attendait à ce que les pires reviennent par amendements du gouvernement au moment de la discussion dans l’Hémicycle. Badaboum, ça n’a pas raté.
Le gouvernement, représenté par le ministre de l’Intérieur Retailleau et soutenu par quelques députés de la droite et de l’extrême-droite, a de nouveau défendu l’idée d’une « backdoor » pour la police et le renseignement dans les messageries chiffrées, en camouflant cette rupture du chiffrement sous des appellations alambiquées (un « utilisateur fantôme » qui s’inviterait dans les conversations, par exemple). Heureusement, les député·es ne se sont pas laissé avoir, pour le plus grand dépit des défenseurs de la mesure qui ont même dénoncé un « concours des geeks ». La compromission du chiffrement a été rejetée.
Mais il reste le reste. L’activation à distance des appareils numériques (micros et caméras) pour les transformer en mouchards : adoptée. L’extension du périmètre des « boîtes noires » de renseignement qui analysent le réseau pour trouver les comportements « suspects » : adoptée. La création d’un « dossier coffre », c’est-à-dire que les procès-verbaux d’instruction ne décriront plus les méthodes de surveillance utilisées : adoptée. Les personnes visées par la définition large et mouvante de la « criminalité en bande organisée » pourront donc être surveillées par tous les moyens et ne pourront plus contester la légalité de ces moyens devant le tribunal (lieux de vie « sonorisés », etc.). La main sur le cœur, en jurant de s’attaquer aux « narcotrafiquants », les parlementaires ont validé des mesures qui pourront être utilisées contre des militants politiques, des activistes écologiques, des opposants à l’industrie polluante et aux autoroutes inutiles, des syndicalistes qui préparent une manifestation ou une occupation d’usine. Et ce faisant, ils ont réduit les droits politiques de tout le monde.
Comme le texte voté par l’Assemblée nationale n’est pas identique à celui que le Sénat avait adopté, il y aura une commission mixte paritaire (CMP) dans le courant du mois d’avril et un nouveau vote dans les deux chambres à la fin du mois. On suit ça de près et on vous tient au courant !
La page de la campagne : Contre la loi surveillance et narcotraficotage
Article du 11 mars : Loi « Narcotraficotage » : la mobilisation paye alors ne lâchons rien
Article du 18 mars : Le gouvernement prêt à tout pour casser le droit au chiffrement
Le 18 mars dernier, avant de commencer l’examen de la loi « Narcotrafic », l’Assemblée nationale a voté la loi « Transports ». Quel rapport ? Encore des mesures de surveillance numérique. Cette loi sur « la sécurité dans les transports » a donc été le véhicule choisi par le gouvernement pour prolonger l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) qui avait été mise en place à l’occasion de la loi «Jeux Olympiques ». Autorisée au départ jusqu’à mars 2025, cette expérimentation aux résultats pourtant très décevants est donc prolongée de deux ans, jusqu’en mars 2027, au mépris du processus d’évaluation pourtant défini un an avant par la même Assemblée. Ce passage en force n’est malheureusement qu’un signe supplémentaire du mépris de l’exécutif pour les institutions et tout ce qui le gêne. Un article sombre et énervé à lire sur notre site.
Article du 17 mars : Prolongement de la VSA : la petite danse autoritaire du gouvernement
Quand on pense à l’intelligence artificielle, on n’imagine pas d’abord les bétonnières, les pylônes électriques et les rivières à sec. C’est pourtant un aspect non négligeable de la course mondiale aux serveurs et aux centres de données géants. Lors du Sommet de Paris sur l’IA en février dernier, Emmanuel Macron a mis en avant l’électricité nucléaire française, moins chère et moins carbonée, et invité les opérateurs étrangers à venir en profiter, son « Plug, baby, plug » répondant au « Drill, baby, drill » lancé par Donal Trump en direction des compagnies pétrolières.
Après les annonces en grand pompe, il faut tenir ses promesses. La « loi pour la simplification économique », en discussion à l’Assemblée après son adoption par le Sénat, est justement là pour lever un certain nombre de contraintes réglementaires, administratives et fiscales et faciliter la vie des investisseurs et des industriels. L’article 15 concerne précisément la construction des centres de données géants : l’État prendrait la main sur les pouvoirs locaux pour imposer ces grands chantiers, y compris au mépris des règles environnementales.
Dans le cadre de notre travail sur l’IA et de la coalition Hiatus pour résister à l’IA et son monde, nous appelons donc à la mobilisation contre cette loi et son article 15, et nous demandons un moratoire de deux ans sur la construction de centres de données géants, le temps de discuter de leur encadrement. Contre la fuite en avant techno-n’importe quoi, contre la course économique des poulets sans tête, exigeons un débat démocratique sur les besoins et les moyens de notre développement collectif.
Article du 21 mars : Loi « simplification » : un déni de démocratie pour mieux imposer les data centers
Page de campagne pour peser sur le vote des : Mobilisation pour un moratoire sur les gros data centers !
Oui, le blocage de TikTok en Nouvelle-Calédonie en mai 2024 était illégal. On le disait déjà, et c’est le Conseil d’État qui le confirme dans sa décision du 1er avril. Malheureusement, la décision est aussi très inquiétante. Car si le blocage est jugé disproportionné, le principe de couper un réseau est, en tant que tel, validé. Dans sa décision, le Conseil d’État explique ce que le gouvernement aurait dû faire pour justifier le blocage de l’application et donne par là un mode d’emploi très simple à tous les gouvernements, présents ou à venir, qui voudraient s’en prendre à la liberté d’expression. Qui pourra se plaindre quand un gouvernement RN fera ce qu’il voudra en brandissant la décision du CE ?
Si vous avez l’intention de prendre le pouvoir, d’invoquer des circonstances exceptionnelles et de censurer des services numériques, ne vous lancez pas dans le vide : lisez d’abord notre article, on vous explique le raisonnement du Conseil (pour la censure) d’État.
Article du 2 avril : Blocage de Tiktok en Nouvelle-Calédonie : le Conseil d’État se dérobe en faveur de l’arbitraire
Notre campagne de soutien pour 2025 est toujours ouverte ! Nous avons récolté environ 50% de notre objectif pour l’année. En prenant en compte les dons mensuels, on arrive environ à 80% de l’objectif. Aidez-nous à boucler le budget 2025 ! Vous pouvez nous faire un don sur notre site.
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