
15.12.2025 à 22:38
La décision des États membres de l’UE de geler indéfiniment les avoirs souverains russes ouvre la voie à un « prêt de réparation » pour l’Ukraine. Il faut désormais aller de l’avant.
<p>Cet article Utiliser les avoirs russes gelés en Belgique pour aider l’Ukraine est conforme au droit international a été publié par desk russie.</p>
Desk Russie reproduit une tribune collective publiée par le grand journal belge Le Soir. Les signataires affirment qu’au regard du droit international, l’usage des avoirs russes gelés pour financer l’aide à l’Ukraine est légal. Les objections d’Euroclear, du Premier ministre belge Bart De Wever et de son ministre des Affaires étrangères reposent sur des arguments infondés, soulignent les signataires. Nous saluons la décision des États membres de l’UE de geler indéfiniment les avoirs souverains russes, levant ainsi un obstacle majeur à la mise en œuvre d’un « prêt de réparation » de 210 milliards d’euros pour l’Ukraine. Mais il faut désormais aller de l’avant.
Comment financer l’aide à l’Ukraine ? La réponse a été donnée en mars dernier par 140 lauréats du Prix Nobel. Ils ont suggéré aux gouvernements détenteurs des actifs russes gelés « de débloquer ces fonds pour financer la reconstruction de l’Ukraine et l’indemnisation des victimes de la guerre afin que le pays puisse être rapidement reconstruit après la conclusion d’un accord de paix ». Une proposition allant dans ce sens est promue par la Commission européenne : un prêt de réparation de 140 milliards d’euros serait consenti à l’Ukraine, garanti par les avoirs de la Banque centrale russe bloqués depuis 2022. La Russie pourrait, en principe, recouvrer, une fois la paix signée, la propriété de ces actifs après avoir remboursé l’Ukraine, ce qui rendrait le prêt de réparations temporaire et réversible.
Lors du Conseil européen du 23 octobre, le Premier ministre De Wever s’y est opposé. La Belgique est en effet l’un des pays les plus concernés : une société belge, Euroclear, détient une grande partie des avoirs russes déposés en Europe, en l’occurrence 193 milliards d’euros. M. De Wever mettait en doute la légalité d’une telle mesure au regard du droit international et d’un contrat bilatéral passé par la Belgique avec la Russie. Par ailleurs, il refusait, non sans raison, que les risques d’une telle décision soient supportés par la seule Belgique.
Ses objections auraient dû être levées, le 24 novembre, par la déclaration de la Présidente de la Commission européenne, devant le Parlement européen. La proposition législative qui sera déposée au prochain Conseil européen (18-19 décembre), repose sur des bases juridiques solides, a-t-elle précisé. Et d’ajouter : « Je ne vois aucun scénario dans lequel les contribuables européens paieraient seuls la facture. » Le 27 novembre, M. De Wever a cependant confirmé son opposition, en avançant un nouveau motif : la proposition de la Commission serait de nature à perturber l’élaboration du « peace deal » en cours de discussion.
Il convient donc d’examiner la solidité de ses arguments, alors que le débat public est resté jusqu’ici très largement centré sur sa version et celle d’Euroclear.
Nombre de juristes ont depuis longtemps balayé l’argument de la supposée illégalité d’une telle mesure en droit international. En effet, la Russie a été reconnue par l’Assemblée générale des Nations Unies comme responsable de l’agression contre l’Ukraine. Elle tombe sous le coup de ce que le droit coutumier international a codifié comme « responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite ». La licéité de la proposition est fondée sur cette codification, élaborée par la Commission du droit international de l’ONU, qui reconnaît aux États le droit de recourir à des contre-mesures en réaction à un fait internationalement illicite.
La demande du Premier ministre d’une mutualisation des risques peut se comprendre. Il ne serait ni juste ni soutenable que la Belgique assume seule d’éventuelles conséquences financières d’une décision européenne. En présentant la proposition législative ce 3 décembre, la présidente de la Commission a affirmé que pratiquement toutes les préoccupations de la Belgique avaient été prises en compte, avec des mesures de sauvegardes très solides. « Une chose est sûre, nous partagerons le fardeau de manière équitable, comme le veut la tradition européenne. » D’autres pays européens non membres de l’UE pourraient d’ailleurs contribuer à garantir les risques.
L’un des principaux arguments consiste à affirmer que les banques centrales et les investisseurs perdraient confiance dans Euroclear, dans la Belgique, l’Union européenne et la zone euro. Cet argument mérite d’être nuancé. Les mesures envisagées ne visent pas des avoirs ordinaires, mais ceux d’un État reconnu comme responsable d’une agression armée par l’Assemblée générale des Nations Unies. De tels « faits internationalement illicites » sont, heureusement, rarissimes ; les contre-mesures qui y répondent n’ont donc pas vocation à être généralisées. Deux agences de notation viennent d’émettre l’avis que la décision n’affecterait pas la notation des États européens.
On peut se demander si, en affichant publiquement la crainte d’un discrédit, on ne contribue pas davantage à nourrir cette inquiétude. Invoquer le risque réputationnel dans ce contexte reviendrait à soutenir qu’il faudrait renoncer à saisir les avoirs bancaires de trafiquants de drogue ou les produits de la corruption, au motif que cela pourrait inquiéter les autres clients sur la sécurité de leurs fonds. C’est exactement l’inverse : ce qui fait la réputation d’un système financier, c’est sa capacité à distinguer les avoirs licites des avoirs illicites et à traiter ces derniers dans le respect du droit.
Le nouvel argument avancé selon lequel une décision de l’Union européenne serait de nature à mettre en péril le « peace deal » pose d’autres types de questions. Le plan américain prévoit notamment que les avoirs russes gelés en Europe seraient tout simplement débloqués, comme si la décision appartenait aux deux seuls protagonistes du deal et que la Russie pouvait être libérée de toute obligation de dédommagement. Une telle conception reviendrait à faire supporter l’essentiel du coût de la reconstruction par les contribuables occidentaux plutôt que par la Russie.
Par ailleurs, rien ne permet d’affirmer que la Russie sortira victorieuse de la guerre, comme le soulignent des experts militaires. Conditionner la position européenne à un scénario aussi incertain reviendrait à affaiblir inutilement un important instrument de pression et à tourner le dos à un principe élémentaire de justice internationale : un État qui commet une agression ne peut pas espérer la paix à ses propres conditions, sans réparation pour les victimes.
Le texte de la proposition de la Commission n’est pas encore connu, mais il est temps qu’un débat contradictoire s’ouvre sur des analyses juridiques rigoureuses. Dès lors que la légalité de la proposition en droit international est établie et que la mutualisation des risques sera probablement actée, beaucoup des autres raisons d’inquiétude s’estompent. Il serait regrettable qu’en ne s’associant pas à la décision européenne, la Belgique perde de sa crédibilité en tant que soutien à l’Ukraine.
Francis Biesmans, économiste statisticien, professeur émérite, Université de Lorraine ; Samuel Cogolati, docteur en droit international (KU Leuven) ; Paul De Grauwe, professeur, John Paulson Chair in European Political Economy, London School of Economics and Political Science ; Pierre Klein, professeur, Centre de droit international, ULB ; André Lange, agent à la retraite d’une organisation internationale, membre du Conseil d’administration de l’association Pour l’Ukraine, pour leur liberté et la nôtre ; Gerard Roland, auparavant E. Morris Cox Professor of Economics and Professor of Political Science à UC Berkeley et à l’ULB.
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15.12.2025 à 22:38
Lecture de Léon Tolstoï, Le Royaume des cieux est en vous, traduit du russe en 1893 et réédité aujourd’hui.
<p>Cet article Tolstoï voit rouge a été publié par desk russie.</p>
Philosophe et critique littéraire, Christophe Solioz propose sa lecture de Léon Tolstoï, Le Royaume des cieux est en vous, traduit du russe en 1893 et réédité aujourd’hui4.
Tolstoï voit rouge un 9 septembre 1892. Son train croise un convoi de soldats en mission pour mettre au pas des paysans révoltés qui défendent une forêt, qu’ils considèrent comme un bien commun. Si la révolte est légitime, sa brutale répression ne l’est en rien. L’écrivain est ulcéré par cet événement qui lui sert de révélateur : « Comme par un fait exprès, le hasard, après deux ans de méditation sur le même objet, me faisait être témoin, pour la première fois de ma vie, d’un fait dont la réalité brutale me montrait, avec une évidence complète, ce que j’avais vu depuis longtemps très nettement en théorie, que notre organisation sociale est établie non pas, comme aiment à se le représenter des hommes intéressés à l’ordre des choses actuel, sur des bases juridiques, mais sur la violence la plus grossière, sur l’assassinat et le supplice. » (p. 143)
Après son livre-manifeste En quoi consiste ma foi ? (1884) qui expose le credo de l’auteur et dénonce toutes les formes d’oppression, l’écrivain met en chantier Le Royaume des cieux est en vous5. Commencé en mars 1891 comme un pamphlet religieux, le livre devient, suite à l’incident susmentionné, un texte engagé qui tire à boulets rouges sur l’État, la guerre et l’Église. La triple condamnation est sans appel : l’État est dénoncé pour se maintenir par la peur, l’impôt et la conscription ; l’armée n’est qu’une école du crime ; et l’Église, en légitimant la violence de l’État et des armées, trahit le message évangélique.
Le ton est vif, la charge est frontale. L’épouse de l’écrivain s’alarme des risques encourus, mais c’est plus fort que lui : « J’écris ce que je pense et qui ne saurait plaire ni aux États, ni aux gens riches. » Publié début 1893, le livre sera censuré en Russie mais traduit la même année en français sous le titre Le salut est en vous. C’est cette traduction, dans une version sensiblement allégée – mais avantageusement complétée par la correspondance entre Gandhi et Tolstoï – qui est publiée en 2010 et reprise aujourd’hui6.
Répondant au livre phare de Nikolaï Tchernychevski, Que faire ? (1863) que son essai éponyme de 1885 reprend, la réponse fuse : la « non-résistance au mal par la violence ». Si l’expression est maladroite, l’idée fera son chemin et trouvera avec Gandhi la formulation qui fera mouche : « résistance non violente ». Il s’agit tant pour l’un que pour l’autre de refuser de coopérer avec l’injustice non pas en renversant les institutions par la violence, mais en se tenant à l’écart de toute pratique impliquant la violence.
Tolstoï pacifiste ? Certainement. Mais anarchiste ? Lisons son journal en date du 18 mai 1890 : « Les anarchistes ont raison en tout – et dans la négation de l’ordre existant, et dans l’affirmation qu’il ne peut être rien de pire que la violence du pouvoir étant donné les droits qui existent sans ce pouvoir. Ils se trompent seulement sur l’idée qu’on puisse instaurer l’anarchie par la révolution – institutionnaliser l’anarchie ! L’anarchie s’établira ; mais elle s’établira seulement par le fait qu’il y aura de plus en plus de gens à qui ne sera pas nécessaire la protection d’un pouvoir gouvernemental, et de plus en plus de gens qui auront honte d’appliquer ce pouvoir7. »
Si Tolstoï s’inscrit certes dans l’horizon d’un anarchisme chrétien8, il n’est pour autant ni militant ni acteur politique, comme le souligne Alain Refalo dans sa préface « Tolstoï prophète de la non-violence ». Et de préciser l’angle d’attaque du poète russe : « Tout le combat de Tolstoï sera de dénoncer les justifications de la violence derrière lesquelles les pouvoirs, l’État, l’armée, mais aussi les révolutionnaires s’abritent en permanence. » Et, comme une évidence : « Tolstoï anticipe des formes modernes de résistance non violente qui inspireront Gandhi, Martin Luther King ou encore les mouvements contemporains de désobéissance civile. »
La précision importe ici : si le poète prône l’insoumission non violente à l’État, c’est au nom d’une révolution personnelle. Dans la lignée d’un Kant, Tolstoï se pose en moraliste et en appelle à un perfectionnement moral : la révolution politique et sociale a pour condition « un état d’esprit moral qui suscitera chez les hommes la volonté d’agir envers les autres comme ils veulent qu’on agisse envers eux9. »
Tolstoï, l’essayiste comme l’écrivain, est sans concession : « “Comment !, s’écrieront ces hommes, vous voulez remplacer nos villes, avec leurs chemins de fer électriques, souterrains et aériens, leur éclairage électrique, musées, théâtres et monuments, par la commune rurale, forme grossière de la vie sociale depuis longtemps délaissée par l’humanité ?” Parfaitement, répondrai-je ; vos villes avec leurs quartiers de misérables, les slumsde Londres, de New-York et des autres grands centres, avec leurs maisons de tolérance, leurs banques, les bombes dirigées autant contre les ennemis du dedans que ceux du dehors, les prisons et les échafauds, les millions de soldats ; oui, on peut sans regret supprimer tout cela10. » Non conformiste, anarchiste, prônant la non-violence, le végétarisme, la frugalité, le retour à la nature et à un mode de vie plus simple, appelant à la décroissance, Tolstoï est d’une étonnante actualité.
Comme le démontre à l’envi Le Royaume des cieux est en vous, il n’en demeure pas moins que le moraliste prend le dessus sur un anarchiste dont on attendrait plus. Le refus de toute action collective ou engagement politique pourrait passer pour une limite de la pensée exposée dans ce maître-livre s’il n’avait inspiré le mahatma Gandhi, qui le lira comme une révélation. Avec Gandhi, le manifeste spirituel se métamorphose en une stratégie de lutte collective victorieuse. Gandhi transforme l’essai en montrant que la non-violence peut infléchir le cours de l’histoire, illustrant de belle façon qu’en définitive, c’est le lecteur qui « fait » le livre.
Il n’en demeure pas moins qu’après Sarajevo, Kyïv et Gaza, on peut douter que la vie de l’humanité soit « un mouvement incessant de l’obscurité vers la lumière » comme l’affirme Tolstoï non sans quelque naïveté. Quand bien même l’insoutenable se situe au-delà des mots et exige un engagement qui, de toute évidence, ne soit pas de salon et de notoriété, reste l’inconfortable question tolstoïenne : peut-on vraiment lutter contre le mal sans devenir complice de la violence que l’on combat ? Retenons de notre auteur le refus de toute irresponsabilité morale et la suggestion d’une ligne de conduite pour arpenter les chemins de l’après-guerre : « La condamnation de la violence ne saurait empêcher l’union des hommes ; toutefois, les unions fondées sur l’accord mutuel ne peuvent se former que lorsque seront détruites les unions fondées sur la violence11. »
<p>Cet article Tolstoï voit rouge a été publié par desk russie.</p>
15.12.2025 à 22:38
La militante russe raconte son combat pour informer le monde sur le sort réservé aux cvils ukrainiens dans les territoires occupés.
<p>Cet article Evguenia Tchirikova : « Reconnaître le FSB comme une organisation terroriste » a été publié par desk russie.</p>
Entretien réalisé par Galia Ackerman
La défenseuse russe des droits humains Evguenia Tchirikova raconte son combat pour informer le monde sur le sort réservé aux patriotes ukrainiens, mais aussi aux victimes civiles aléatoires, dans les territoires occupés de l’Ukraine. Elle sera notre invitée le 15 janvier 2026 et son film, Les Prisonniers. Le système de la terreur, sera projeté à l’auditorium de l’Hôtel de Ville.
Racontez-nous comment vous avez commencé votre activité.
C’était lié à la forêt de Khimki, il y a près de 20 ans.
Je vivais alors à Khimki, une petite ville près de Moscou. Nous cherchions un endroit calme pour vivre avec nos enfants. Et nous avons choisi Khimki précisément grâce à sa forêt.
Mon mari et moi avions notre propre entreprise, une société de conseil en ingénierie. Nous payions nos impôts et je comprenais bien le fonctionnement du système public. Mon mari et moi nous promenions souvent dans la forêt. J’étais alors enceinte de mon deuxième enfant.
Nous y avons rapidement découvert d’étranges traces de déboisement. Nous avons très vite appris qu’il y avait un projet de nouvelle autoroute à péage entre Moscou et Saint-Pétersbourg. Elle devait passer exactement au milieu de la forêt, et de chaque côté de cette route, trois kilomètres étaient réservés aux infrastructures de transport et commerciales. Deux mille hectares de cette forêt, une propriété communale, allaient être cédés à ce qu’on appelle les infrastructures et le développement.
Cela nous a profondément indignés, car nous savions à l’époque que c’était la dernière forêt de cette taille au nord de Moscou, le dernier poumon de la ville. C’était une décision tout à fait criminelle. Nous avons d’abord cru que les autorités russes n’avaient tout simplement pas compris. Nous étions naïfs il y a 20 ans. Nous avons donc décidé de porter cette information à la connaissance des citoyens.
Nous avons imprimé des tracts chez moi, sur mon imprimante personnelle. Puis j’ai eu un enfant, ce qui était très pratique. Je prenais la poussette, je me promenais en ville et je distribuais ces tracts, je laissais mon numéro de téléphone, j’expliquais que notre forêt était en danger. Que l’on pouvait me contacter par téléphone. C’est ainsi que s’est constitué notre groupe de militants, qui s’est occupé de la protection de la forêt de Khimki. C’était ma première expérience militante.
Nous avons commencé par étudier ce que faisaient les militants occidentaux. En bref, nous avons essayé toutes les méthodes de l’activisme civique dans notre combat, c’est-à-dire la collecte de signatures, les rassemblements, les piquets de grève. Et nous avons fini par organiser un camp dans la forêt de Khimki. Et comme nous menions un combat très systématique et que nous avions étudié en détail comment faire, nous avons réussi à attirer l’attention de la presse.
Nous avons réussi à lancer un mouvement populaire assez important pour la défense de la forêt de Khimki, le premier en Russie. Je précise ici que nous avons également découvert un système de corruption dans lequel était impliquée la société française Vinci, le concessionnaire du projet d’autoroute Moscou-Saint-Pétersbourg.
Nous avons découvert que les autorités russes blanchissaient de l’argent par l’intermédiaire de Vinci, via Arkadi Rotenberg12. Nous avons pu transmettre cette information au parquet français, qui a même ouvert une enquête. Celle-ci n’a toutefois pas abouti car, après m’avoir interrogée, ainsi que d’autres témoins, les enquêteurs ont été contraints de s’adresser aux autorités russes. Et quand on s’adresse à des criminels, il ne faut pas s’attendre à ce qu’ils vous aident à enquêter sur eux-mêmes.

La bataille pour la forêt de Khimki, que vous avez menée pendant cinq ans, vous l’avez finalement perdue. Les forces en présence étaient trop inégales. Mais vous avez acquis une expérience précieuse.
Nous avons créé une plateforme médiatique spéciale pour les militants, appelée Activatica, et nous avons ainsi donné une tribune aux militants qui n’avaient pas d’expérience dans le domaine du journalisme. Nous avons aidé à organiser des campagnes et, avec le temps, nous avons commencé à organiser une assistance juridique.
Nous avons donc apporté un soutien complet au mouvement civique en Russie. Nous avons soutenu ceux qui luttaient pour leurs droits environnementaux, pour leur propriété privée, pour les droits de l’Homme. Nous nous intéressions à toutes les activités citoyennes, y compris par exemple lorsque des personnes se présentaient aux élections en tant que candidats indépendants. Nous avons progressivement compris que le principal problème venait de notre gouvernement russe, car il est absolument inamovible. Nous avons compris que nous n’étions pas maîtres dans notre propre pays, c’est pourquoi nous nous sommes joints aux manifestations pour des élections justes.
Vous avez pris une position active en 2011-2012…
J’ai personnellement été observatrice lors des élections de 2012, où Poutine s’est attribué la victoire, et j’ai vu de mes propres yeux que ce scrutin avait été truqué avec l’aide des forces de l’ordre. J’ai été élue membre du Conseil de coordination de l’opposition avec Boris Nemtsov et Alexeï Navalny, et nous avons exigé des élections justes, nous avons exigé la démission de Poutine. En vain.
Qu’est-ce qui a motivé votre départ de Russie ?
L’annexion de la Crimée a été pour moi un véritable deuil personnel. Honnêtement, je m’attendais à ce que les Russes ne l’acceptent pas, à ce qu’ils aient la même réaction que moi, c’est-à-dire un choc total : comment peut-on s’approprier ce qui n’est pas à soi ? Cela ne rentre dans aucun cadre moral.
Quelle n’a pas été ma stupéfaction lorsque j’ai compris que nos manifestations contre l’annexion, contre la guerre, n’étaient qu’une goutte d’eau dans l’océan, et que la plupart des gens se réjouissaient follement ! Dans les rues de Moscou, les gens brandissaient des pancartes affichant «Tu veux que la Russie s’agrandisse encore ? C’est toi qui décides dans quelle mesure ». Ils collectaient de l’argent pour aider les bandits des républiques de Donetsk et de Louhansk, qui ont attisé la guerre.
Activatica a alors été qualifié d’ « agent étranger », car nous avons été parmi les premiers à dire que l’annexion de la Crimée était un crime. En même temps, mes camarades du Conseil de coordination de l’opposition ont commencé à être soit expulsés du pays, soit emprisonnés, soit, comme Boris Nemtsov, tout simplement assassinés. Avant cela, j’avais déjà eu des problèmes avec le FSB. Ils ont essayé de m’enlever mes enfants. Des agents du FSB, du Centre de lutte contre l’extrémisme et des services sociaux sont venus me voir. Heureusement, je ne leur ai pas ouvert ma porte. Ils sont alors allés voir mes voisins et ont essayé d’obtenir leur signature sur des documents affirmant que j’étais une mauvaise mère, que je maltraitais mes enfants, etc. Mes voisins m’ont prévenue, ce sont des gens formidables.
La mobilisation publique a sauvé mes enfants, car cela a fait un grand scandale, et le médiateur pour les droits des enfants lui même a ensuite présenté ses excuses. Nous avons compris que les médias étaient un outil puissant pour les militants. Dans un régime totalitaire et autoritaire, cela peut être le seul moyen de se défendre : la publicité.
Conscients des problèmes que nous avions rencontrés, de mes points faibles – mes enfants – et du fait qu’on ne me laisserait tout simplement pas travailler en Russie, nous avons décidé de changer notre mode de fonctionnement et j’ai déménagé en Estonie avec ma famille. Nous y avons installé le siège de notre organisation, qui a conservé un grand nombre de militants dans 19 régions russes. Nous avons continué, tout au long de l’invasion militaire, à soutenir des mouvements populaires très différents et couronnés de succès.
Le nombre de ces groupes militants a augmenté de manière exponentielle avant 2022. Il y en avait des centaines et des centaines sur tout le territoire russe. La lutte pour la forêt de Khimki a été pour nous un exemple d’action appropriée. Nous avions adopté la stratégie selon laquelle les gens qui luttent pour leurs droits doivent s’unir, utiliser leur solidarité pour atteindre leurs objectifs civiques, ne pas se laisser piétiner par les autorités, se faire respecter, car ils ont leur dignité, ils sont des citoyens. C’est le message que nous portons.

Comment le début de la guerre à grande échelle a-t-il influencé votre travail ?
L’année 2022 a été un tournant dans ma vie, car je ne m’attendais pas à une telle attaque fasciste. Ils bombardaient et bombardent encore des civils, qui sont paniqués et terrifiés.
Presque immédiatement après cela, nous avons compris que nous étions dans une position unique. Pourquoi ? Nous étions en Estonie depuis dix ans déjà. Nous avions des relations aussi bien en Russie qu’en Estonie et dans d’autres pays occidentaux.
Nous avons été les premiers à évacuer des Ukrainiens des territoires occupés. Car lorsque les occupants russes sont entrés sur le territoire ukrainien, ils avaient en réalité déjà des listes, ils avaient déjà mis en place des camps de filtration, ils s’étaient préparés pour l’occupation, contrairement à la population. Et que s’est-il passé ensuite ? Les occupants ont organisé des camps de filtration et ont envoyé des milliers de personnes des territoires occupés dans ces camps.
Après la filtration, certains ont été envoyés dans des geôles dans les territoires occupés, d’autres ont été envoyés sur le territoire russe, après avoir été passés au crible. Et les personnes qui se retrouvaient sur le territoire russe étaient complètement dépourvues de ressources.
Il s’agissait donc de personnes qui avaient été bombardées, qui avaient subi les bombardements, dont les papiers avaient souvent brûlé, qui n’avaient plus rien, qui n’avaient plus d’argent et qui étaient dans un état de panique terrible en se retrouvant sur le territoire du pays agresseur, sans aucun droit. Nous avons compris que notre mission était de sauver et d’évacuer ces personnes. C’est alors qu’un formidable travail de réseau a commencé, pour mettre en place d’un réseau de militants russes et occidentaux et de bénévoles.
Nous avons commencé à évacuer les gens des territoires occupés et du territoire russe pour les emmener dans des pays sûrs. Nous avons accueilli ici, en Estonie, des réfugiés ukrainiens. Naturellement, comme nous avions un projet journalistique, nous les avons interrogés, nous leur avons posé des questions sur la filtration.
Ce qu’ils racontaient ne nous a pas seulement inquiétés, cela nous a indignés. Nous avons immédiatement envoyé des informations sur les camps de filtration à toutes les ambassades et à l’ONU. Nous avons essayé de diffuser ces informations terribles partout. Et nous avons continué à travailler avec les réfugiés ukrainiens. À ce moment-là, nous avions mis en place tout un programme. Il s’agissait d’une aide logistique, c’est-à-dire que si quelqu’un voulait, par exemple, se rendre d’Estonie en Pologne, en Allemagne, voire en Irlande ou au Canada, nous nous occupions de tout organiser, car ces gens n’avaient plus d’argent. Nous avons organisé des soins médicaux, des hébergements temporaires. Nous avions plusieurs hébergements de ce type à travers le monde. En Estonie, en Allemagne, en Pologne, et même en Arménie et en Géorgie. Nous les avons aidés avec de la nourriture, des vêtements, des produits ménagers. Nous avions donc un programme d’aide aux réfugiés ukrainiens très vaste et complet.
Mais vous avez également adopté une position politique claire.
Étant donné que je participe très activement au Forum pour une Russie libre avec Garry Kasparov, nous discutons régulièrement avec nos collègues de la manière dont nous, Russes, pouvons influencer cette situation. Tout d’abord, nous avons compris une chose importante : l’Ukraine est notre principal allié. Ce sont les Ukrainiens qui luttent les armes à la main contre le régime de Poutine. Notre mission la plus importante aujourd’hui est d’aider l’Ukraine autant que nous le pouvons. Il y a environ deux ans, nous avons organisé une conférence importante du Forum à Tallinn. J’y ai déclaré que notre tâche était d’aider l’armée ukrainienne, car c’est elle qui lutte contre le régime de Poutine. Le forum a ensuite pris la décision cruciale d’aider l’armée ukrainienne. Nous avons convenu d’organiser une vente aux enchères pour soutenir les Russes qui sont partis se battre pour l’Ukraine.
Il s’agit de volontaires qui ont décidé, avec leur passeport russe et leur citoyenneté toxique, de se battre aux côtés de l’Ukraine. J’ai accepté d’animer cette vente aux enchères. Nous avons alors récolté 50 000 euros, que nous avons envoyés aux volontaires du régiment.
En tant que volontaires, ils font partie des forces armées ukrainiennes. Des poursuites pénales pour terrorisme ont été immédiatement engagées. Garry Kasparov, Ivan Tioutrine et moi-même nous sommes retrouvés impliqués dans la même affaire pénale. Nous avons été arrêtés par contumace. Pour une personne ordinaire, devenir soudainement un terroriste est bien sûr désagréable, pour ne pas dire plus. Ce fut un choc. Beaucoup de gens ont commencé à avoir peur de simplement communiquer avec moi. Mais d’un autre côté, j’ai immédiatement reçu le feu vert de la part des Ukrainiens. J’ai reçu une invitation à venir en Ukraine. J’ai réussi à m’y rendre et à réaliser un reportage sur les crimes commis par l’armée russe dans les petites villes frontalières. À Tchouhouïev, à Koupiansk. J’ai montré comment les Russes bombardent jour et nuit une ville ordinaire, où vivent des gens qui, sous ces bombes, nourrissent leurs chats et déblaient les décombres.
J’ai publié ce reportage. Et j’ai immédiatement été accusée d’un nouveau délit : diffusion de fausses informations sur l’armée russe.
J’ai parcouru pratiquement toute l’Ukraine. Mon Dieu… j’ai vu un nombre incroyable de cimetières où flottaient des drapeaux, car chaque tombe d’un soldat mort à la guerre était surmontée d’un drapeau. Des kilomètres de drapeaux. Je me suis promenée dans un cimetière à Kharkiv. J’ai été complètement bouleversée par ce que j’ai vu : des jouets d’enfants sur les tombes de jeunes soldats, âgés d’une vingtaine d’années. Ces jeunes gens sont partis mourir pour leur patrie, et leurs parents ont déposé leurs jouets d’enfance sur leurs tombes. J’ai montré que l’Ukraine se battait vraiment, que les gens se battaient pour leur pays. C’est pourquoi, je pense, cela a tellement blessé les partisans de Poutine, et ils ont décidé d’ouvrir une nouvelle affaire pénale contre moi.
Et comment avez-vous commencé à vous intéresser aux personnes enlevées ?
Notre avocat m’a informée que plusieurs bénévoles ukrainiens dans les territoires occupés avaient été incarcérés. J’ai été frappée par la cruauté des conditions dans lesquelles ils se trouvaient. J’ai suivi le sort d’un homme qui a perdu 50 kilos. Il était simplement bénévole, il distribuait de l’eau. C’était un homme déjà âgé, il a été arrêté dans un territoire occupé, les forces de sécurité russes l’ont envoyé en prison, et là, en fait, il n’a reçu aucune assistance médicale. Dieu merci, notre avocat l’a remarqué et a commencé à l’aider activement. Nous avons même réussi à l’échanger par la suite, mais cela a été un processus compliqué, incroyablement difficile. En deux ans et demi, nous n’avons réussi à échanger que trois personnes. Je ne savais pas combien il y avait de personnes dans cette situation, je pensais qu’il y en avait quelques dizaines, voire quelques centaines.
La mort de Tania Platchkova m’a fortement incitée à mener une enquête sérieuse. C’était une femme tout à fait ordinaire, elle tenait un petit restaurant avec son mari à Melitopol, elle organisait des fêtes, des banquets, elle était tout simplement l’âme de la ville, et bien sûr, pendant l’occupation, elle était bénévole, elle aidait les autres à survivre, c’était une personne ouverte, lumineuse. Voilà qu’elle est enlevée un jour de chez elle avec son mari par les forces de sécurité et qu’elle se retrouve dans un camp de concentration. Nous essayons d’échanger Tania, et je suis alors convaincue que nous y parviendrons, car Tania a mon âge – elle a environ 50 ans –, elle n’est pas militaire, elle ne connaît aucun secret militaire, pourquoi auraient-ils besoin d’elle, me disais-je. Et là, je reçois des informations de mon avocat : Tania, complètement nue, couverte d’hématomes, a été transportée dans le coma de la prison à l’hôpital de Melitopol. Elle a immédiatement été prise en charge, mais n’a pas repris connaissance. Notre avocat s’est mobilisé, il a essayé de la faire libérer, et nous avons même obtenu l’accord du Comité d’enquête, mais cet enquêteur répugnant, un fasciste tout simplement, un agent du FSB, qui s’occupait du dossier de Tania, a semé toutes sortes d’obstacles et a finalement réussi à empêcher l’échange de Tania, qui est morte à l’hôpital sans avoir repris connaissance. Quant à Oleg Platchkov, son mari, nous sommes à sa recherche depuis deux ans déjà, sa fille le cherche, tous les défenseurs des droits de l’Homme le cherchent, mais nous ne le trouvons nulle part.
La mort de Tania a eu un impact énorme sur notre équipe. Nous nous sommes réunis et avons décidé de faire des films, d’attirer l’attention et de comprendre ce qui se passe dans les territoires occupés.

C’est donc le sort de Tania Platchkova qui vous a poussée à créer une série de films sur les personnes enlevées ?
La mort de Tania Platchkova a été, pour ainsi dire, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Nous n’avions jamais fait de journalisme d’investigation, il fallait donc réfléchir à cette décision, acquérir de nouvelles connaissances et se lancer dans une nouvelle profession.Nous avons immédiatement contacté le Centre pour les libertés civiles, la plus grande organisation ukrainienne de défense des droits humains, qui nous a communiqué les coordonnées des proches de plusieurs prisonniers ukrainiens. Nous avons alors commencé à réaliser de longs entretiens avec eux, et c’est ainsi qu’est né notre premier film, Prisonniers. C’était en novembre 2024, et à ce moment-là, selon les données du Centre pour les libertés civiles, il s’agissait de sept mille prisonniers civils qui avaient été enlevés par les forces de sécurité russes et détenus dans des geôles russes, tant dans les territoires occupés que sur le territoire russe. Le film montre le sort de trois familles. En plus de l’histoire des Platchkov, il y a la famille Kozlov. Le père de famille, Ivan Kozlov, a été emmené sous les yeux de sa femme et de ses deux jeunes enfants lors d’un filtrage, et ils ne l’ont plus jamais revu. Il a été torturé au point d’avoir fait plusieurs tentatives de suicide en prison. C’est une véritable tragédie, car lorsque le père d’Ivan a appris que son fils était tombé entre les mains de ce système, il a eu une crise cardiaque et est décédé, tandis que son autre fils, qui combattait au front, a également perdu la vie. La troisième histoire que nous avons montrée est celle de Damian Omelianenko. Je travaille actuellement en étroite collaboration avec sa mère, Tania, qui se bat pour son fils. C’est un jeune homme, étudiant, diplômé d’une école militaire, il n’a pas combattu, il a été enlevé par les forces de sécurité. Il s’identifie comme ukrainien et patriote ukrainien, et c’est pour cela, parce qu’il ne cède pas, parce qu’il ne veut pas s’incliner devant ses bourreaux, parce qu’il ne veut pas chanter l’hymne russe et glorifier Poutine, qu’on le bat tellement qu’il est devenu handicapé : on l’a torturé à l’électricité, on lui a cassé toutes les dents, il a un ulcère à 24 ans, il a perdu 30 kilos. Tania ne sait même pas à quoi il ressemble maintenant, il se trouve actuellement dans le centre de détention terrifiant de Taganrog, le SIZO-2, dont nous parlons dans nos films.
Ce film a été le début d’une série…
Nous avons rapidement compris que nous devions poursuivre notre travail, car en rassemblant ces informations, nous avons réalisé qu’il ne s’agissait pas de trois familles, ni de dizaines, mais de milliers de cas. Nous avons commencé à comprendre comment fonctionnait ce système de terreur, car il ne s’agit ni d’excès commis par des exécutants, ni de cas isolés. Nous avons alors commencé notre deuxième film, que nous avons intitulé Prisonniers. Le système de la terreur.
Nous avons commencé à rechercher des civils qui avaient été dans des camps de concentration, comme Oleksandr Tarassov, qui avait organisé des manifestations à Kherson contre l’occupant, i avait été enlevé et affreusement torturé. Il a réussi à être libéré par miracle, grâce au fait qu’il était un journaliste connu, et que des gens avaient pris sa défense. Au début de l’occupation, le système n’était pas encore aussi puissant. Aujourd’hui, nous travaillons beaucoup avec Tarassov. Notre deuxième film a été présenté au Parlement européen le 1er juillet 2025, et il a fait une telle impression que dès le 9 juillet, les eurodéputés ont adopté une résolution condamnant la terreur et exigeant la libération des prisonniers civils ukrainiens des camps de concentration russes. Dans ce film, nous reprenons un long commentaire de l’un des dirigeants de Memorial, Oleg Orlov, qui explique que cette pratique n’est pas nouvelle, que le système de la terreur avait été mis en place pendant les guerres de Tchétchénie, où des civils avaient été enlevés, torturés de manière monstrueuse, puis tous assassinés. Comme on n’a pas prêté suffisamment attention à la terreur qui sévissait en Tchétchénie, ces gens ont tous péri, sans que personne n’en ait été tenu pour responsable.
Et le plus grave, le plus effrayant, c’est que l’armée russe forme des bourreaux à partir de ces Tchétchènes désormais soumis. Autrement dit, ils participent aux tortures, ils participent à cette guerre répugnante et agressive. Et que font les Russes aujourd’hui lorsqu’ils arrivent dans les territoires occupés ? Ils commencent immédiatement à recruter des Ukrainiens pour les mêmes sales besognes !
C’est leur méthode. Ils organisent la terreur, ils mettent en place un système de camps de concentration, un système de camps de filtration, ils enlèvent des gens, torturent les plus actifs, intimidant ainsi la population locale et paralysant toute activité. Et en même temps, ils forment une armée à partir de ces personnes déjà soumises et brisées.
C’est cela qui est effrayant. Si nous n’aidons pas l’Ukraine à résister, si nous ne l’aidons pas à libérer ses territoires des occupants, demain les Russes viendront chez nous, dans les pays baltes, en Europe. Et ces Tchétchènes, ces Ukrainiens y participeront.
Autrement dit, la Russie incorpore dans ses rangs des personnes issues des peuples avec lesquels elle était encore en guerre hier. C’est la méthode de la Fédération de Russie.
C’est ainsi depuis longtemps. Sous le tsarisme comme sous le régime soviétique.
Tout à fait. Mais il faudra y mettre un terme un jour. Et aujourd’hui, alors que ces soi-disant négociations de paix sont en cours et que l’on dit qu’il faut donner ces territoires occupés à la Russie, et même d’autres territoires, pour mettre fin à cette guerre, je proteste.
Non, mes amis, cela revient à soutenir la terreur qui sévit actuellement dans ces territoires occupés. Cela signifie que vous fermez les yeux sur cette terreur. Il faut chasser l’occupant russe des terres ukrainiennes. C’est la seule façon d’arrêter la guerre. Il n’y a pas d’autre solution. C’est pourquoi nous lançons actuellement une campagne pour attirer l’attention sur le terrorisme dans les territoires occupés. Pour qu’il soit impossible de conclure des accords et de céder les territoires ukrainiens occupés à l’agresseur. C’est très dangereux pour le reste du monde.
Le 18 décembre, le Sénat italien tiendra une audience publique sur le thème du terrorisme dans les territoires occupés d’Ukraine. Notre film Prisonniers. Le système de la terreur y sera projeté. De nombreux proches des civils ukrainiens actuellement prisonniers dans des camps de concentration seront présents. Ils prendront tous la parole. Je présenterai un rapport spécial et demanderai que des structures telles que la Rosgvardia, le FSIN [service pénitentiaire, NDLR] et le FSB, qui ont directement participé à la création du système de terreur, aux enlèvements et aux tortures de civils ukrainiens, soient reconnues comme des organisations terroristes. Je pense que c’est ce que nous devons obtenir maintenant.
Qu’est-ce que cela changera pour ces organisations ?
Si nous parvenons à attirer véritablement l’attention sur le thème du terrorisme et à montrer que la Russie se comporte comme l’Allemagne hitlérienne, cela changera beaucoup de choses pour les personnalités politiques occidentales. Il faut leur montrer que nous sommes confrontés à un nouvel Holocauste. Dans ce cas, ni Jared Kushner ni aucun autre proche de Trump ne pourra se résoudre à céder des territoires à la Russie. J’essaie de faire en sorte que toute possibilité de poursuivre le terrorisme au détriment de la vie des Ukrainiens et toute cession de territoires ukrainiens à l’agresseur soient considérées comme indécentes.
J’essaie actuellement de convaincre l’opinion publique. À cet égard, la rencontre que vous organisez à la mairie de Paris le 15 janvier 2026 est extrêmement importante. La France est un pays essentiel de l’Union européenne. La France dispose d’institutions remarquables qui peuvent faire face à cette terreur. Notre tâche consiste à porter l’information sur la terreur d’État russe au niveau des dirigeants afin qu’ils en parlent. Car personne n’en parle nulle part.
À Anchorage, des tapis rouges ont été déroulés devant Poutine, et pas un mot n’a été prononcé sur le terrorisme. Parmi toutes ces discussions sur « la paix », pas un mot sur le terrorisme. Ma tâche est de faire en sorte que l’on en parle, qu’on le crie.
Et exiger que ces organisations soient reconnues comme terroristes est essentiel. Parce que reconnaître un phénomène, c’est le premier pas pour lutter contre ce phénomène.
Combien de civils ukrainiens sont détenus illégalement dans les prisons russes ?
Dans notre film, le chiffre de 15 000 prisonniers civils détenus dans des prisons situées sur les territoires occupés et sur le territoire russe est avancé. Mais les défenseurs des droits de l’Homme ukrainiens précisent que ce chiffre est sous-estimé. Sur le territoire russe, les Ukrainiens sont détenus dans 180 prisons. C’est énorme. Quant au nombre de prisons dans les territoires occupés, nous n’avons tout simplement pas les moyens de le connaître pour l’instant. Soit dit en passant, le Service fédéral des prisons russe a demandé l’équivalent d’un milliard de dollars en 2022 pour agrandir le système pénitentiaire dans les territoires occupés, rien que pour les bâtiments.
Aujourd’hui, les défenseurs des droits de l’Homme parlent plutôt de 30 à 40 000 prisonniers civils ukrainiens. Personne ne connaît le chiffre exact. Nous poursuivons notre enquête, nous recueillons des informations sur les tortionnaires. Nous allons sortir un film intitulé Les bourreaux, consacré à ceux qui commettent directement ces crimes. Le mal a un nom, un prénom, un patronyme, il faut le faire savoir au monde entier.
Dans le cadre de cette enquête, nous interrogeons naturellement les personnes qui ont été victimes. Nous continuons à interroger les proches des civils ukrainiens et ceux qui ont eux-mêmes été détenus dans ces camps de concentration. De plus, nous recevons actuellement des informations selon lesquelles certains civils ukrainiens se retrouvent réduits à l’esclavage. Ils sont contraints de creuser des tranchées pour les Russes, des villes souterraines entières, des fortifications. Et pratiquement tous ces Ukrainiens sont ensuite fusillés. Personne ne sait combien ils sont.
C’est là que réside la tragédie. Il n’y a aucun décompte du nombre de personnes enlevées, fusillées, torturées à mort, violées, transformées en esclaves, ou qui se sont suicidées. Personne ne le sait. C’est ce qu’on appelle le terrorisme. Je vais réaliser un film sur ce sujet. Nous avons donc plusieurs films en cours de réalisation, et en parallèle, le projet Activatica continue son travail.
Nous publions aussi des informations sur l’activisme citoyen, sur la manière dont les gens résistent, y compris dans les territoires occupés. Nous parlons des mouvements partisans tant sur le territoire russe que dans les territoires occupés. Nous parlons de ce qui se passe actuellement en Russie.
Oui, là-bas, la contestation a été réprimée et les personnes qui ont résisté se sont retrouvées en prison. Il faut aussi parler de ces personnes. Nous avons un projet sur TikTok intitulé « Voix derrière les barreaux », où nous donnons la parole aux Russes et aux Ukrainiens qui sont passé par l’horreur de la prison russe.
Le fait qu’on reconnaisse le FSB comme une organisation terroriste, le FSIN, etc. mettra-t-il fin aux enlèvements ? Que faut-il faire pour libérer le grand nombre de personnes qui se trouvent en prison, souvent dans des prisons spéciales ? Et comment mettre fin à cette terreur ?
Nous avons demandé à Oleg Orlov comment mettre fin à cette pratique. Je suis tout à fait d’accord avec sa réponse. Il n’y a qu’un seul moyen de mettre fin à la terreur. C’est de libérer les territoires occupés des occupants. C’est ce qu’on appelle la désoccupation. Et pour cela, la victoire militaire ukrainienne est nécessaire. C’est pourquoi j’appelle si souvent à soutenir l’armée ukrainienne.
La reconnaissance d’organisations telles que le FSIN, le FSB et la Rosgvardia comme organisations terroristes, ainsi que la reconnaissance du fait même du terrorisme, permettra aux politiciens occidentaux de comprendre pourquoi il est nécessaire de désoccuper ces territoires.
Comment aider les civils qui se sont retrouvés dans des camps de concentration ?
Il n’existe actuellement aucune procédure d’échange. Leur libération nécessite donc des efforts tout à fait particuliers : des efforts diplomatiques, des efforts de la part d’organisations de défense des droits de l’Homme, y compris de grandes organisations telles que l’ONU, la Croix-Rouge, etc. Toute discussion avec la Russie doit commencer par le sort des otages civils. Pas par un accord de paix, ni par des métaux rares ou des projets d’infrastructure. Tout doit commencer par des personnes. Une excellente campagne, lancée par le Centre pour les libertés civiles ukrainien, est actuellement menée, elle s’appelle People First. Et cette campagne doit être soutenue de toutes les manières possibles.
Traduit du russe par Desk Russie
<p>Cet article Evguenia Tchirikova : « Reconnaître le FSB comme une organisation terroriste » a été publié par desk russie.</p>