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Organisme national, l'OPC travaille sur l’articulation entre l’innovation artistique et culturelle, les évolutions de la société et les politiques publiques au niveau territorial

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10.04.2024 à 17:25

Malraux et la création du ministère des Affaires culturelles

Aurélie Doulmet

1959 : le ministère des Affaires culturelles est créé. Le général de Gaulle en confie le pilotage à André Malraux, grande figure de l’intelligentsia de gauche. Pourquoi un ministère des Affaires culturelles et non un ministère de la Culture ? Quel bilan tirer de ces débuts ? Quelle empreinte Malraux laissera-t-il sur la politique culturelle française ? De […]

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1959 : le ministère des Affaires culturelles est créé. Le général de Gaulle en confie le pilotage à André Malraux, grande figure de l’intelligentsia de gauche. Pourquoi un ministère des Affaires culturelles et non un ministère de la Culture ? Quel bilan tirer de ces débuts ? Quelle empreinte Malraux laissera-t-il sur la politique culturelle française ?

De la valorisation du patrimoine à l’attention portée aux artistes, en passant par la création des maisons de la culture, Guy Saez relate dans ce 7e épisode les débuts de cette institution. Une véritable politique culturelle – dont de nombreux principes sont toujours opérants aujourd’hui – est alors en train de prendre forme.

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Un podcast imaginé par l’OPC et le Comité d’histoire du ministère de la Culture.

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05.04.2024 à 09:38

Un diagnostic pour aiguiller et accompagner le secteur culturel dans ses transitions

Frédérique Cassegrain

À quelles mutations doivent faire face les arts visuels, musées et arts appliqués, mais aussi l’ingénierie culturelle ? Et quelles sont les conséquences sur les métiers et besoins en formation ? C’est à ces questions que répond le diagnostic Culture et création en mutations (2CM) coordonné par Lucie Marinier, professeure au Cnam. Transitions écologiques, numérique, évolution des lieux de culture et droits culturels sont étudiés à la loupe. Il en ressort 180 pistes pour servir de boussole au plan France 2030.

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Texte intégral (2749 mots)
Marches d'escaliers collées à un mur
Photo © Kanhaiya Sharma – Plateforme Unsplash

Pouvez-vous resituer cette étude dans le contexte plus large du plan France 2030 ? 

France 2030 est un plan global de soutien dont l’objectif est d’accélérer la transformation d’un certain nombre de secteurs professionnels identifiés pour leur rôle clé d’un point de vue économique et d’innovation, notamment s’agissant des mobilités durables ou de la décarbonation de l’industrie.

Dans ce cadre, le Programme d’investissement d’avenir englobe le dispositif Compétences et métiers d’avenir qui vise, à travers des diagnostics d’une part et des projets de formation d’autre part, à comprendre la transformation des métiers et écosystèmes, les besoins en nouvelles compétences que cela implique et à proposer des modalités de formation qui permettent d’y répondre.

Parmi les priorités, l’attractivité des industries culturelles et créatives (ICC) françaises a été retenue afin de « placer la France en tête de la production des contenus culturels et créatifs ». Une « stratégie d’accélération des industries culturelles et créatives » a ainsi été établie, sur laquelle s’appuient les diagnostics relatifs à notre champ professionnel, dont Culture et création en mutations. Il est important de comprendre que le terme ICC concerne, pour le Secrétariat général pour l’investissement, l’ensemble des champs de l’art, de la culture, du patrimoine et de la création. Il ne s’agit donc pas des ICC au sens strict (cinéma, musique enregistrée, chaîne du livre). J’apporte cette précision parce que ce n’est pas forcément évident pour de nombreux acteurs, en particulier quand ils produisent, diffusent, conservent des œuvres d’art uniques dans un cadre public, comme c’est le cas pour une bonne partie des champs que nous étudions ici, à savoir les musées, les arts visuels, les arts appliqués (design, métiers d’art) et l’ingénierie culturelle en lien avec les enjeux de territoires.

Outre leur rôle clé sur un plan économique et d’innovation, ces secteurs ont-ils été choisis au regard d’autres particularités ?

Nous avons choisi de nous pencher sur ces secteurs en particulier pour trois raisons. La première est qu’ils sont peu, ou imparfaitement, étudiés pour ce qui est de leurs compétences de métiers et de formation, comparativement au spectacle vivant ou aux ICC Par ailleurs, d’autres diagnostics ont été menés sur la même période dans le cadre du PIA, notamment sur les secteurs du spectacle vivant ou des jeux vidéo. Voir également l’étude Cunuco Lab « Accompagner la création à l’ère numérique ». au sens strict. Nous avons d’ailleurs cherché à en analyser les raisons. La multitude de statuts (une part des établissements relevant de l’État et l’autre des collectivités locales pour les musées publics notamment), l’absence de branche professionnelle et d’OPCO Les opérateurs de compétences ont pour missions de financer l’apprentissage, d’aider les branches à construire les certifications professionnelles (notamment au moyen d’études et d’observations) et d’accompagner les entreprises pour définir leurs besoins en formation. unique sont autant de freins à des études sectorielles exhaustives sur l’ensemble des structures et professions. Ce sont aussi des populations qui recourent beaucoup moins que d’autres dans le secteur culturel à la formation continue. Enfin, ils rencontrent des problématiques communes en matière d’emploi et de formation et, surtout, il semble qu’ils interagissent de plus en plus ensemble, entre autres dans le cadre des métiers de l’exposition ou encore de l’urbanisme culturel.

À quelles mutations sont confrontés ces secteurs professionnels ?

Notre étude examine quatre mutations. La première repose sur la transition écologique et concerne aussi bien les contenus artistiques, l’éco-responsabilité de la production que la responsabilité du champ de la culture dans la visibilité des enjeux environnementaux. Ensuite, nous nous sommes intéressés aux mutations induites par le numérique et l’innovation, qui touchent là aussi autant à la production artistique qu’à sa diffusion, aux contenus qu’aux pratiques culturelles. Troisième mutation : les nouvelles problématiques posées à la création et à l’ingénierie culturelle par les objectifs de diversité, de droits culturels et de participation. Et enfin, les mutations en cours des lieux et espaces de culture (qui découlent en partie des trois premières). Notre politique culturelle est quasi exclusivement assise sur la notion de lieux – nous sommes d’ailleurs incontestablement l’un des pays au monde le mieux doté et qui attache le plus d’importance à ses lieux de culture, souvent labellisés –, mais ce modèle est aujourd’hui interrogé dans plusieurs de ses dimensions : investissement de l’espace public, nouvelles missions des institutions culturelles, tiers-lieux, usages éphémères ou encore rapport entre diffusion en ligne/en présentiel ou coûts en énergie.

Ces quatre mutations sont liées puisqu’elles sont cumulatives et inter-agissantes. Elles ont des conséquences communes (que l’on retrouve dans les discours et les projets) sur les organisations, leurs missions, mais aussi le rôle des différents acteurs, leur position socio-économique, leurs besoins en compétences nouvelles. C’est pourquoi nous avons fait le choix d’étudier ensemble les métiers des ingénieur·es culturel·les (directeur·ices, producteur·ices, administrateur·ices, technicien·nes, DAC, consultant·es, scénographes…) et des artistes et créateur·ices.

Pour prendre en compte ces nouveaux paradigmes, il apparaît essentiel de créer, produire, diffuser, transmettre de manière davantage circulaire.

L’étude révèle que les professionnels interrogés se trouvent souvent dans des injonctions contradictoires qui ne leur permettent pas de s’adapter aux mutations en cours. De quelle nature sont-elles ?

Le secteur culturel a toujours été soumis à des injonctions contradictoires, ne serait-ce qu’en lien avec son coût. Mais de nouvelles contradictions apparaissent : comment baisser l’impact écologique quand les indicateurs de réussite restent le nombre d’artistes et d’expositions diffusés et le nombre de visiteurs ? Comment garantir la liberté artistique et de programmation et les concilier avec la participation des publics ? Comment développer les contenus en ligne et privilégier la venue au musée ? Or, pour prendre en compte ces nouveaux paradigmes, il apparaît essentiel de créer, produire, diffuser, transmettre de manière davantage circulaire : permettre la participation des publics en amont du processus de programmation, penser l’impact écologique de la production dès la création, intégrer les équipes techniques et numériques dès la conception. Tout cela nécessite de nouveaux modes d’organisation, l’intervention de tous les acteurs à différentes étapes et qu’ils soient légitimes pour le faire. Cela implique de repenser profondément les modes de coopération entre les acteurs : concrètement, on ne peut pas considérer qu’un scénographe est un simple prestataire quand il doit participer à la solution de l’éco-conception, que les professionnels de la médiation ou les relais de la population n’interviennent qu’une fois le projet terminé (prêt à la diffusion), et que l’artiste ne participe pas au modèle économique de production, etc.

La grande pluridisciplinarité ou hybridité des projets et des équipes qui prédomine aujourd’hui dans la culture, appelle-t-elle à repenser des politiques culturelles plus intersectorielles ?

Oui évidemment, d’autant que cela peut induire des frontières plus poreuses entre, par exemple, la création ou l’exposition d’une œuvre unique (dans le contexte classique du musée ou des arts visuels) et le développement de projets à « valeur d’usage » (qui relève davantage de la culture, par exemple du design). Mais, en réalité, il s’agit surtout de reconnaître ce qui existe déjà depuis très longtemps, en particulier du côté des artistes qui exercent souvent, pour des raisons économiques notamment, plusieurs métiers au sein de la chaîne de valeur de la culture. En ce qui concerne les politiques culturelles, nationales mais aussi territoriales, un autre enjeu est apparu de manière assez forte pendant l’étude : il semble qu’il y ait moins de consensus depuis quelques années sur la légitimité à promouvoir et financer des politiques culturelles autonomes des autres politiques et enjeux d’intérêt général (éducation, urbanisme, attractivité). Cela ne veut pas forcément dire une baisse des budgets globaux consacrés à la culture qui, comme le montre le Baromètre sur les choix et dépenses des collectivités, sont plutôt stables (avec, toutefois, des acteurs qui ont moins de marge du fait de l’augmentation des coûts). Le développement des modes de soutien, sous la forme d’appel à projets, préoccupe particulièrement les acteurs culturels, même si cela favorise peut-être les liens entre la politique culturelle et d’autres projets. Là aussi des compétences nouvelles sont nécessaires pour y répondre.

Justement, concernant l’acquisition de ces nouvelles compétences, quels besoins en formation avez-vous identifiés ?

Nous avons d’abord constaté que les acteurs se forment déjà depuis un certain temps sur l’ensemble des questions soulevées par ces mutations, de manière plutôt autonome ou informelle – via leurs réseaux, qui sont très développés dans les métiers culturels – sans forcément trouver de contenus, de cadre ou de financement de formation permettant de dépasser la simple sensibilisation pour acquérir des compétences à la fois mobilisables et reconnues. Outre les sujets des mutations, la formation aux conduites du changement, en particulier pour les cadres dirigeants et décideurs de la culture (directeur·ices, DAC, administrateur·ices, directeur·ices techniques, élu·es), semble manquer.

On constate que ces métiers de l’encadrement et de l’ingénierie culturelle sont « sous pression » du fait des enjeux évoqués. D’autre part – ce qui est peut-être lié – leur attractivité baisse. Il faut donc développer la formation de ces dirigeants de la culture en tenant compte des transitions en cours. Le besoin de former ensemble ces professionnels – ceux qui relèvent de la direction/programmation/création avec ceux qui sont du côté de la gestion/production/diffusion/médiation, les DAC et les responsables de lieux, voire les élus – et non plus de manière séparée, ressort dans le diagnostic. Il s’agit justement de revoir les modes de construction des projets, de construire de nouvelles coopérations mais aussi de nouveaux objectifs et indicateurs. Il est également nécessaire d’identifier des moments de la carrière qui nécessitent des soutiens en formation particuliers et adaptés : sortie des écoles pour l’insertion professionnelle, milieu de carrière pour la « découvrabilité » des contenus, prise de direction… Par ailleurs, la diversification de la population des cadres de la culture reste un impensé et les nouvelles modalités de formation doivent permettre l’arrivée et la légitimation de nouveaux profils. Enfin, il y a la question du temps. Se former en demande beaucoup. Il faut permettre, grâce aux modalités pédagogiques, de disposer à la fois de contenus asynchrones facilement accessibles, de temps de cours, d’ateliers entre pairs, de formation/accompagnement en équipe entière, etc. C’est aussi le monde de la formation qui doit évoluer. Il faut également aider à construire la dissémination et les modèles économiques des formations, anticiper et encourager le développement d’un cadre réglementaire (sur certains sujets comme l’éco-responsabilité ou la responsabilité numérique) qui impliquerait de la formation.

De nombreuses préconisations ressortent de ce diagnostic. Quels sont les prochains pas ?

Les 180 préconisations du rapport répondent à l’ambition des diagnostics du Programme d’investissement d’avenir : elles sont en open source (qu’il s’agisse des préconisations générales ou par secteur) et il est intéressant que les acteurs puissent s’en emparer. Pour notre part, avec une douzaine de partenaires AFDAS, Campus de la mode, du design et des métiers d’art, Sorbonne nouvelle, le Centquatre-Paris, l’Institut national du patrimoine, l’Observatoire des politiques culturelles et plusieurs réseaux professionnels. , nous souhaitons, à travers le dépôt d’un projet dans le cadre du PIA compétences et métiers d’avenir volet formation, nous concentrer sur quatre axes : la connaissance des métiers et des besoins en compétences par la donnée et la recherche, l’intégration des mutations étudiées dans des formations axées sur les compétences mobilisables, le développement de la diversité, la mobilité des professionnels et le renforcement de la professionnalisation.

Pour ce faire, nous allons porter quelques projets spécifiques : d’abord un cadre d’observation pour poursuivre l’étude des métiers. Ensuite la création, au Cnam, d’une école de la culture et de la création qui offrira un cadre souple pour porter les projets de recherche et de formation sur l’ingénierie de la culture mais aussi le design, la diffusion de la culture scientifique et technique ou les métiers de l’image et du jeu vidéo. S’agissant des formations, nous envisageons pour les dirigeants de la culture des modules aux conduites du changement, un certificat de spécialisation sur les enjeux de l’exposition, une cocertification et de la formation de formateurs sur les transitions socio-écologiques, des microcertifications sur les enjeux numériques, des formations/accompagnements à la sortie d’écoles d’art et arts appliqués en vue de l’insertion économique et en milieu de carrière des artistes et créateurs ou encore une formation sur l’urbanisme culturel, l’ingénierie et l’innovation en lien avec les enjeux artistiques.

Ce diagnostic, publié en 2023, s’inscrit dans le Plan d’Investissement d’Avenir – Compétences et métiers d’avenir de France 2030. Il est porté par HESAM université et réunit en consortium le Cnam, l’AFDAS, le Campus des métiers d’art de la mode et du design, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, les Augures et le Centquatre.

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28.03.2024 à 09:15

L’urbanisme culturel et transitoire : un contre-modèle à la ville créative ?

Frédérique Cassegrain

Les politiques inspirées par la notion de « ville créative » ont donné une place de choix à l’art et la culture pour revitaliser des métropoles post-industrielles, en les rendant dynamiques et attractives. Mais face aux crises sociétales actuelles, notamment écologiques et démocratiques, ce modèle n’est plus aussi prisé. Parmi les voix critiques, s’élèvent celles d’acteurs et actrices qui œuvrent à la croisée de l’urbanisme et des enjeux culturels, sociaux et citoyens. Le Média de l’OPC a recueilli les témoignages de Fanny Broyelle et Jules Infante qui opèrent sur le territoire nantais à partir de logiques culturelles et urbaines alternatives.

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Texte intégral (3443 mots)
Scène de foule à Transfert. Paquebot festif
Ouverture de Transfert. Photo @ Alice Grégoire

Fanny Broyelle est directrice de projets artistiques, culturels et d’urbanisme culturel, et sociologue. Pendant cinq ans, elle a contribué au projet Transfert (Pick Up Production), parc urbain expérimental, zone libre d’art et de culture, espace éphémère d’urbanisme transitoire, installé sur le terrain désert des anciens abattoirs de Rezé. Jules Infante a fondé, à Nantes, Territoires InterStices qui travaille pour le développement des arts de rue. Dans cette dynamique, l’association a créé les Ateliers Magellan (Nantes), une friche qui réunit un atelier d’auto-réparation de vélos, un bar, un jardin partagé, un espace de résidence artistique et de fête.

Jules comme Fanny plaident pour la fabrique d’une urbanité plus conviviale, permissive et hospitalière.

Quelles critiques des politiques culturelles urbaines inspirées du modèle de la ville créative pouvez-vous formuler ?

Fanny Broyelle – J’aimerais reprendre les trois axes critiques de la ville créative exposés entre autres par les chercheurs Elsa Vivant et Luca Pattaroni E. Vivant, Qu’est-ce que la ville créative ?, Paris, PUF, 2009 ; L. Pattaroni, La Contre-culture domestiquée. Art, espace et politique dans la ville gentrifiée, Genève, MētisPresses, 2020.. Le premier point concerne l’instrumentalisation des artistes : mobilisés pour redorer des environnements délaissés, ils sont ensuite évincés des espaces qu’ils ont contribué à réhabiliter, par un phénomène d’augmentation de la valeur du foncier. Le deuxième aspect porte sur le processus de gentrification, c’est-à-dire le remplacement d’une population de classe populaire par une autre, de classe moyenne voire supérieure, transformant un quartier populaire en quartier hype. Il s’agit d’une forme de destruction de la mixité sociale au sein des villes. La troisième critique renvoie à la question du marketing territorial et du storytelling. Un nouveau récit est produit et efface certaines identités passées. La richesse immatérielle – que sont la mémoire, la poésie, les liens, c’est-à-dire tout ce qui n’a pas de valeur financière – disparaît au profit d’une vision marketée de la ville, qui cherche à se vendre comme un produit.

Jules Infante – Je partage cette analyse et ajoute que, dans ce processus de gentrification, il y a aussi une réécriture de la culture populaire, vernaculaire, de lutte. L’identité et la mémoire des lieux sont retravaillées. Les artistes, malgré eux, contribuent à remodeler ces histoires et à en effacer des passages devenus gênants, sous couvert de commande publique et par nécessité d’obtenir des financements.

L’île de Nantes est un bon laboratoire pour observer la manière dont les espaces se modifient après l’installation d’artistes dans des friches. Le patrimoine industriel est réinvesti, mais en ne mettant en avant que son aspect esthétique. Il est aussi intéressant de rappeler qu’à Nantes l’entité qui a la compétence sur ce qui relève de la sphère créative est un aménageur : la Samoa (Société d’aménagement de la métropole Ouest Atlantique). Et force est de reconnaître qu’ils font ça très bien depuis trente ans. Ils sont à l’avant-garde du développement de l’aspect dit « créatif », avec tout ce que ce terme peut recouvrir : les nouvelles technologies, la smart-city, les « nouvelles démocraties »… et ne se cantonnent pas au champ dit « culturel ».

F. B. – Pour compléter ce qu’évoque Jules, il y a aussi un changement de vocabulaire. On ne parle plus d’« action culturelle » mais d’« industrie créative ». Il y a un glissement marketing d’un lexique issu au départ de l’éducation populaire, de la médiation et de la politique de la relation, vers des choses qui relèvent du monde marchand et de l’économiquement viable.

Nantes s’est transformée en s’appuyant sur des liens forts entre culture et développement urbain. Les politiques publiques volontaristes et leur mise en récit ont rendu cette métropole particulièrement attractive. Quelles évolutions constatez-vous aujourd’hui ?

J. I. – Ce phénomène d’attractivité a entraîné de véritables tensions liées au foncier et au bâti à Nantes. Tout n’est pas saturé, mais il y a moins d’aisance dans le champ des possibles que dans les années 1980-1990 quand il y avait des friches partout. Aujourd’hui, les espaces vacants sont plutôt des zones industrielles ou commerciales qui font moins rêver. Il faudrait d’ailleurs peut-être qu’on apprenne à se défaire d’une forme d’esthétique romantique qu’on a pu avoir vis-à-vis des grandes friches pour s’investir dans ces espaces.

F. B. – Le récit autour du développement métropolitain à Nantes est en train de changer. On passe de la ville créative à la ville nature, la ville accessible, la « ville du quart d’heure » La ville du quart d’heure est le modèle d’une ville où tous les services essentiels sont à une distance d’un quart d’heure à pied ou à vélo, concept relancé sous cette dénomination en 2015 par Carlos Moreno, un urbaniste franco-colombien, afin de réduire les transports motorisés et ainsi limiter les émissions de gaz à effet de serre (source Wikipédia).. Dans le discours de lancement du Grand Débat « Fabrique de nos villes », organisé de mars à juillet 2023 par Nantes Métropole, la dimension culturelle comme levier d’attractivité du territoire n’était quasiment pas présente. C’est assez symptomatique d’un changement de storytelling.

J. I. – J’ajoute que l’île de Nantes est devenue le nouvel hypercentre et, à mon sens, il y a un trust de l’aspect culturel et créatif par la Samoa sur cette portion de territoire ; tandis que la politique publique de la culture travaille en périphérie, dans les quartiers. Une segmentation s’est opérée. On le voit d’ailleurs dans le fait que la compétence « culture » est municipale alors que la métropole a la compétence « tourisme et attractivité », avec Le Voyage à Nantes.

Ce qui motive vos engagements professionnels et militants pour un autre modèle de fabrique de la ville relève-t-il encore du champ culturel et artistique ?

J. I. – Aux Ateliers Magellan, ce qui nous porte depuis longtemps est de ne plus être dépendants des subventions du secteur culturel pour vivre. Nous pensons que la culture ne peut pas répondre à tous les enjeux et valeurs que l’on souhaite défendre. En revanche, elle va être un très bon liant pour toucher à une multitude de sujets tels que l’hospitalité qui nous tient à cœur.

Mais de ce fait, on a beaucoup de mal à présenter le projet Magellan : est-ce un tiers-lieu, un espace de friche artistique et culturelle, un local associatif à destination du quartier… ? C’est tout cela à la fois.

F. B. – Le champ qui m’intéresse est celui des espaces publics et la manière dont la ville évolue, dans un mouvement permanent. La ville créative a des bons côtés mais entraîne aussi vers ce que Luca Pattaroni appelle la « domestication » ou l’« encaissement » de l’art dans l’espace public M. Piraud, L. Pattaroni, « Le droit à la ville comme politique culturelle : post contre-culture et lignes de fuite », L’Observatoire, no 59, avril 2022.. Il veut dire par là que le caractère subversif de certaines interventions artistiques n’est souvent pas accepté, voire gommé par les pouvoirs publics. Or beaucoup d’artistes aspirent à se frotter à des choses rêches, qu’on n’a pas envie de voir et qui vont à l’encontre du storytelling des villes. À cet endroit du subversif, il y a un angle mort de la ville créative.

J. I. – C’est vrai du côté des pouvoirs publics, mais je regrette aussi que cette volonté de subversion ne soit pas plus présente et affirmée par les artistes. Beaucoup d’entre eux ont été biberonnés à l’appel à projets, à l’aide à l’émergence. Pour moi, la gentrification s’est faite au sein même de la classe artistique.

Par ailleurs, à Nantes, je ne dénombre plus aucun squat dit « artistique » dans lequel se vit une marge, qui développe des espaces vraiment subversifs. Il y a des lieux, subventionnés, qui proposent des « esthétiques d’alternative », mais il n’y a pas de mouvement culturel underground structuré. Tandis que, dans le même temps, beaucoup de squats se montent pour répondre à d’autres besoins, moins pris en compte par la politique publique : hébergement, alimentation, scolarisation.

Je pense aussi que des personnes qui auraient pu épouser des carrières culturelles et artistiques ont préféré aller se frotter plus concrètement à des sujets de crise, en s’investissant sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes par exemple.

F. B. – J’aimerais souligner un autre angle mort de la ville créative, et sur lequel je m’engage : celui de l’intervention artistique dans la matrice de la fabrique urbaine, le hardware. J’entends par hardware la gouvernance et la conception des projets urbains, considérant que le software relève de l’animation, l’évènementiel, la décoration. J’essaye de faire en sorte que la création artistique ne soit pas seulement du saupoudrage, mais puisse être une des parties prenantes de la fabrique urbaine. Qu’elle soit au cœur de sa matrice, comme devraient l’être d’autres expertises : celles des mondes sociaux, de l’éducation, des habitants-citoyens…

Ateliers Magellan. Photo © Laura Severi

Urbanisme culturel, temporaire, transitoire… Ces notions recouvrent des caractéristiques différentes mais cherchent à repenser l’urbanisme classique en incluant notamment l’expertise habitante et en partant des besoins existants. Où vous situez-vous dans ce champ ?

J. I. – Même si on y travaille tous plus ou moins, j’ai rarement vu des expériences d’urbanisme transitoire à proprement parler, c’est-à-dire l’occupation d’un espace vacant dont les activités vont transformer son devenir pérenne. Il est rare que les décideurs politiques ou les aménageurs soutiennent ce que l’équipe de Patrick Bouchain a développé à l’Hôtel Pasteur à Rennes avec le « non-programme » « Hôtel Pasteur : les dix ans d’un lieu citoyen », 1er juin 2023, dans Le Média de l’Observatoire des politiques culturelles..

Je préfère donc parler d’urbanisme ou d’occupation « intercalaire », c’est-à-dire un entre-deux : occuper des lieux laissés vacants pour y développer des projets à différentes échelles, sans avoir la prétention d’élaborer ou de modifier le devenir du site. Mais ce n’est pas par manque d’ambition. Le fait de ne pas se projeter tout de suite permet de répondre à des besoins existants immédiats. L’aspect temporaire autorise aussi à être agile et à tester des choses qui seraient plus difficiles à réaliser dans un cadre classique. De ces zones grises d’un point de vue de la norme vont naître des espaces de liberté qu’on n’aurait pas dans des structures plus conventionnelles, avec des cahiers des charges. Je crois aussi beaucoup à la spontanéité de la programmation. Quand on occupe un lieu pendant un an, il faut aller vite.

F. B. – C’est aussi dans l’occupation, la présence in situ que l’urbanisme classique a beaucoup à apprendre. Aujourd’hui, rares sont les urbanistes qui vivent dans les lieux sur lesquels ils travaillent. L’expérience habitante n’est plus là. Avec Transfert, on a fait de l’« urbanisme de trottoir », qui implique de se placer à hauteur d’humain, parcourir la ville à pied, et ne plus la regarder d’en haut depuis un plan.

L’urbanisme culturel, intercalaire, éphémère, transitoire propose de procéder avec agilité à partir de la contextualisation immédiate d’un lieu par rapport aux besoins des gens qui y vivent, pour créer des ambiances et de l’interrelation.

La complémentarité entre une vue du ciel par des regards techniques, juridiques, normatifs, et une vue du sol, une permanence, une expérience habitante sensible et poétique, permettrait clairement d’avoir une autre vision de la fabrique de la ville. C’est ce couple-là qui manque aujourd’hui.

Inauguration de Transfert. Photo © Kevin Charvo

Est-ce que le fait d’être identifiés comme des acteurs et actrices culturels a pu vous desservir pour porter des projets de développement urbain, notamment en termes de légitimité ? Si oui, quelle stratégie de « pas de côté » avez-vous mise en place ?

J. I. – Je vois trois stratégies de contournement. D’abord, quitter le champ culturel pour mieux y revenir à partir du champ social, notamment parce que c’est une thématique qui a pris de l’importance à Nantes. C’est la trajectoire que j’ai empruntée. Un autre moyen est de sortir de la métropole pour retrouver des zones de liberté en dehors d’un territoire saturé. On peut aussi se réapproprier des espaces en les achetant, monter des modèles économiques, juridiques et inventer les moyens de créer nous-mêmes notre commande.

Je prends pour exemple La Charpenterie, un nouveau lieu qui se développe à La Grigonnais (44). Une compagnie d’arts de la rue a acheté ce bâtiment de 3 600 m2 qui ne sera pas juste une résidence de travail pour eux. Ils souhaitent en faire un tiers-lieu en s’appuyant sur les problématiques du territoire, avec des espaces de convivialité, de coworking, etc. En prenant le parti d’être propriétaires du lieu, ils proposent un autre modèle et attirent l’attention des élus de la région qui viennent les voir et souhaitent maintenant les soutenir.

F. B. – Pour ma part, je me positionne encore comme une actrice culturelle qui a son mot à dire sur la question de la fabrique d’une ville conviviale En référence au principe de convivialité développé par Ivan Illich, La Convivialité, Paris, Seuil, 1973., à savoir donner aux sachants et aux non-sachants le même niveau de parole pour discuter d’un sujet qui les concerne tous. Mais le monde de l’urbanisme est très hermétique. On l’a vécu au premier plan avec Transfert. Même si, au départ, il y avait une vraie volonté d’associer le projet urbain à un projet culturel expérimental, les portes se sont refermées les unes après les autres et, au bout de cinq ans, il ne reste pas grand-chose : le projet urbain suit son cours et le projet culturel a complètement disparu du champ de vision…

J. I. – Oui, et je pense qu’il y a un problème d’acculturation des deux côtés et qu’il manque encore des structures intermédiaires comme les nôtres pour faire la traduction entre ces mondes. Là on a un rôle à jouer, ça nous donne une utilité et une raison d’être.

Les acteurs et actrices culturels demeurent donc selon vous de bons intermédiaires pour penser le développement d’une urbanité accueillante et hospitalière ?

F. B. – Oui ils restent de bons acteurs dans leur capacité à proposer des espaces conviviaux, mais encore une fois au sens d’Illich : qui donnent leur place à des personnes auxquelles on ne pense pas de prime abord. Ils développent souvent des projets dans un désir de mixité humaine avec un gros effort pour mélanger des personnes, des cultures, des manières de voir. Dans un projet urbain, par le prisme de l’art et de la culture, on catalyse de l’expression habitante qui sort du champ des concertations publiques. Cela peut permettre de dépasser les conflits et d’influer sur le projet initial en le faisant évoluer différemment. Et tout le monde en sort grandi. La culture et l’art sont des filtres intéressants pour entendre les controverses, les traduire, les esthétiser, voire les rendre universelles et pouvoir en faire quelque chose de constructif de manière pacifiée.

J. I. – Effectivement, mais selon moi le champ de la culture et des arts doit retrouver une place d’humilité et se mettre davantage « au service de ». C’est ce qu’on fait à Magellan : par le biais de l’accompagnement à la régie, à la mise en scène, à la fabrique d’un récit, on soutient des gens qui ont des choses à dire, qui ont besoin de rencontrer un public. Le drame c’est que les artistes sont devenus inaudibles à force de croire qu’ils avaient toujours un mot à dire et qu’ils avaient raison, alors qu’ils sont comme des citoyens lambda : ils ne maîtrisent pas plus les sujets que les autres…

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