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17.09.2025 à 07:00

Alliances inavouables. La lettre du 16 septembre 2025

C'est la lettre de rentrée de l'Observatoire des multinationales !
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Bonne lecture
Dérégulation à gogo
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Texte intégral (1651 mots)

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Dérégulation à gogo

« L'écologie semble devenue le bouc-émissaire idéal pour cette nouvelle alliance entre la droite et l'extrême-droite. ». Au Parlement européen, les députés RN et leurs alliés ont noué une alliance de fait avec le groupe conservateur du Parti populaire européen pour saborder les régulations et les objectifs du Pacte vert.

Barnabé Binctin s'est plongé dans la tambouille bruxelloise où le RN et ses alliés se réjouissent de leur nouveau rôle de « faiseurs de roi » et où de nombreuses forces – droite et extrême droite, mais aussi gouvernements comme ceux de la France et de l'Allemagne et think tanks pro-Trump – s'entendent en pratique pour orchestrer une vaste régression sociale et écologique.

À lire : Au centre du jeu bruxellois, l'extrême droite sonne la charge contre l'écologie et le climat

Son enquête montre que le RN ne rechigne pas – à rebours de ses discours en France – à faire les yeux doux aux industriels et aux « lobbys bruxellois ». En témoignent les rendez-vous de TotalEnergies et d'autres acteurs pétroliers avec une eurodéputée RN autour de la directive devoir de vigilance des multinationales, en cours de démantèlement.

L'extrême droite et ses alliés de fait accumulent les victoires, avec la nomination en juillet d'un eurodéputé du groupe « Patriotes » comme rapporteur sur la loi climat 2040, et surtout avec une vague de dérégulations dans le domaine du climat, de l'écologie et de la responsabilité des multinationales, mais aussi de la finance, du numérique, du social, de l'agriculture, de l'alimentation, de la défense... La liste des reniements en cours et à venir au niveau de l'UE est longue, très longue.

Lire à ce sujet l'article de Séverin Lahaye : Climat, responsabilité des multinationales, finance, social : l'Union européenne en pleine frénésie de dérégulation

Aides publiques aux entreprises : 211 milliards et bientôt des avancées ?

La commission d'enquête sénatoriale sur les aides publiques aux grandes entreprises a rendu son rapport le 8 juillet dernier, suite à plusieurs mois d'auditions (dont celle de l'Observatoire des multinationales) dont nous avons abondamment rendu compte (nos articles sont ici).

Première conclusion : les aides publiques aux entreprises représentent au moins 211 milliards d'euros par an. Le pouvoir exécutif se refusant depuis des années à faire réaliser la moindre étude fiable sur le sujet, les sénateurs ont pris les devants et procédé à leur propre estimation (qui n'inclut pas les aides régionales ni européennes).

Au-delà de ce chiffrage, les sénateurs de droite et de gauche se sont mis d'accord sur des propositions assez ambitieuses en matière de transparence et de suivi, mais aussi - ce qui était peut-être plus inattendu - en matière de conditionnalités, y compris de lier dans certains cas aides publiques et emploi, et aides publiques et versement de dividendes

La question est maintenant : quelles suites politiques ? Avec le débat budgétaire actuel, les propositions se focalisent sur des propositions de réduction du montant global des aides publiques, mais il y a aussi une question de fond, sous-jacente à beaucoup des débats qui ont eu lieu lors des auditions au Sénat : l'augmentation massive des aides aux entreprises a-t-elle vraiment aidé à la « compétitivité » de la France et de ses entreprises ? Et comment ces sommes massives pourraient être utilisées autrement, au service d'une transformation écologique et sociale ?

Lire l'article de Pauline Gensel : 211 milliards d'aides aux entreprises : les propositions des sénateurs pour remettre le système sous contrôle

Nous continuerons à suivre ce dossier sur lequel nous avions été parmi les premiers à sonner l'alarme avec notre initiative « Allô Bercy ».

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En bref

Grandes écoles sous influence. Le mercredi 17 septembre, nous dévoilerons une enquête inédite sur le place des grandes entreprises à Polytechnique. Malgré l'échec des deux tentatives hautement symboliques de TotalEnergies puis de LVMH de s'implanter directement sur le campus, multinationales françaises et étrangères continuent de tisser leur toile à tous les niveaux de l'école (gouvernance, financement, recherche, vie étudiante). Et il n'y a pas que Polytechnique, comme le montrera la cartographie des liens entre grandes entreprises et enseignement supérieur réalisée par le collectif Eies (avec le soutien de l'Observatoire des multinationales) qui sera dévoilée ce même jour. Rendez-vous à l'Académie du climat à 18h30 pour en débattre (programme ici et inscriptions ).

Ad hominem. Agression, étalage de son sentiment d'impunité, ou hommage du vice à la vertu ? Durant l'été, Pierre-Édouard Stérin a créé une nouvelle holding où il a placé l'essentiel de sa fortune. Il l'a baptisée du nom de Thomas Lemahieu, le journaliste qui a révélé l'existence du projet Périclès (150 millions d'euros pour faire gagner l'extrême droite). Au-delà de la provocation et du ciblage personnel d'un journaliste, l'opération est une nouvelle étape dans ce jeu de meccano par lequel le milliardaire se met en ordre de bataille pour mener sa bataille culturelle et politique. Ce n'est probablement pas la dernière. Lire nos explications.

Business is business. Mediapart s'est procuré en avant-première le dernier rapport sur les ventes d'armes françaises, élaboré par le ministère des Armées. On y apprend que les industriels de la défense ont exporté pour 21,6 milliards d'euros d'armement en 2024, soit leur deuxième meilleure année de l'histoire après 2022 (27 milliards). Un chiffre tiré notamment par les ventes du Rafale en Indonésie et en Serbie. Les ventes aux pays européens (UE et hors UE) représentent plus de la moitié du total, tandis que 2,4 milliards d'exportations étaient destinées à la région Proche et Moyen-Orient, traditionnellement un client important de la France. Parmi ces dernières, 27,1 millions d'euros d'exportations pour Israël – un montant moindre que pour d'autres pays mais qui pose plus question que jamais à l'heure où Israël se prépare à écraser la population de Gaza. Lire l'article complet

Ouganda : TotalEnergies met à mal (aussi) ses travailleurs. Les projets pétroliers de TotalEnergies en Ouganda – les forages dans la région du lac Albert et l'oléoduc EACOP destiné à transporter le brut jusqu'à l'océan – sont depuis plusieurs années sous le feu des projecteurs et des critiques. En cause : les émissions massives de gaz à effet de serre qu'occasionneront ces projets souvent qualifiés de « bombe climatique », les risques pour la biodiversité et l'approvisionnement en eau de toute la région, et les atteintes aux droits des populations qui ont le malheur de se trouver sur le chemin du géant français. Les Amis de la Terre viennent de rajouter une nouvelle pièce au dossier en récoltant le témoignages de travailleurs engagés par des sous-traitants de TotalEnergies sur place. Accidents, harcèlements, intoxications, licenciements abusifs... Le groupe français n'a pas manqué d'invoquer, face aux critiques, les emplois créés par ses projets, mais comme souvent la réalité sur le terrain est bien moins reluisante. Lire les témoignages.

Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.

17.09.2025 à 07:00

Polytechnique, une école d'État sous emprise

Organes de gouvernance, chaires, partenariats, start-ups, associations d'élèves… Les grandes entreprises sont omniprésentes à l'École polytechnique.

- Polytechnique, une école d'État sous emprise / , , , , , , ,
Texte intégral (607 mots)

Organes de gouvernance, chaires, partenariats, start-ups, associations d'élèves et d'anciens élèves… La place croissante des grandes entreprises à tous les niveaux de l'École polytechnique et leur influence sur le contenu de la recherche et de l'enseignement posent question dans un contexte d'urgence climatique.

La tentative de Total d'implanter un bâtiment sur le campus de l'École polytechnique, puis celle de LVMH deux ans plus tard, ont suscité d'importantes mobilisations de la part des élèves, du personnel et de la société civile.

Dans son rapport Polytechnique : une école d'État sous emprise, l'Observatoire des multinationales montre que derrière ces affaires médiatisées, les grandes entreprises françaises et étrangères continuent de tisser leur toile à tous les niveaux de l'École polytechnique, influençant le contenu de la recherche et de l'enseignement.

Ainsi :

  • Les représentants d'un tout petit nombre de très grandes entreprises occupent une place importante dans les organes de gouvernance de l'École polytechnique (conseil d'administration, fondation, association des anciens). Ce petit monde, lié par des parcours communs et une culture partagée, pèsent sur les orientations de l'École et façonnent son image.
  • La montée en puissance des financements privés renforce cette orientation. Ces derniers représentent aujourd'hui plus de 15% des ressources de l'École, une proportion appelée à croître. Ces financements se font sans transparence ni contrôle démocratique alors même qu'ils en grande partie défiscalisés, et contribuent à influencer les directions prises même par la recherche financée sur fonds publics.
  • La prise en compte des enjeux écologiques et sociaux dans les cursus dans la recherche et sur le campus reste marginale. Initié il y a un an seulement, un seul cours obligatoire est consacré aux enjeux écologiques, qui représente 3% du cursus. Malgré une communication croissante sur ces enjeux, l'École polytechnique continue de promouvoir une vision technologique et orientée vers la croissance économique.
  • L'innovation, devenue un pilier stratégique de Polytechnique, consiste essentiellement à promouvoir des start-ups d'une utilité sociale contestable ou marginale. Aucune des start-ups vantées par l'Ecole ne propose de véritables solutions transformatrices à la crise écologique. Celles qui sont qualifiées de "greentech" prétendent au mieux rendre plus "efficient" le système industriel actuel, sans remettre en cause l'expansion programmée de secteurs intrinsèquement polluants (espace, transport maritime, logistique).
  • Les critiques et tentatives de débats autour de ces orientations sont disqualifiées ou réprimées. Les interrogations croissantes des étudiants et du personnel sur les partenariats avec des entreprises sont étouffées et les demandes de transparence refusées, minant la possibilité d'un débat public sur les finalités de cette institution.

Le cas de l'École polytechnique n'est pas isolé. Il reflète une dynamique plus large à l'œuvre dans de nombreuses grandes écoles, universités et institutions publiques. Ce rapport révèle les moyens d'influence et les réalités du fonctionnement de cette institution d'élite, loin de ses discours officiels sur l'écologie et le climat et sur sa mission d'intérêt public.

12.09.2025 à 07:30

Au centre du jeu bruxellois, l'extrême droite sonne la charge contre l'écologie et le climat

Barnabé Binctin

Au Parlement européen, les députés RN et leurs alliés ont noué une alliance de fait avec la droite pour saborder les régulations et les objectifs du Pacte vert. Et ne rechignent pas – à rebours de leurs discours en France – à faire les yeux doux aux industriels et aux lobbys patronaux.
Ils n'avaient peut-être pas rêvé plus beau cadeau d'anniversaire. Fondé officiellement le 8 juillet 2024 à l'issue des élections européennes, le groupe des Patriotes pour l'Europe (PfE), présidé par (…)

- FAF40. Enquêtes sur l'extrême droite, les grandes fortunes et les milieux d'affaires / , , , ,
Texte intégral (4932 mots)

Au Parlement européen, les députés RN et leurs alliés ont noué une alliance de fait avec la droite pour saborder les régulations et les objectifs du Pacte vert. Et ne rechignent pas – à rebours de leurs discours en France – à faire les yeux doux aux industriels et aux lobbys patronaux.

Ils n'avaient peut-être pas rêvé plus beau cadeau d'anniversaire. Fondé officiellement le 8 juillet 2024 à l'issue des élections européennes, le groupe des Patriotes pour l'Europe (PfE), présidé par l'eurodéputé du Rassemblement national Jordan Bardella, s'est vu offrir, un an plus tard à la surprise générale le poste stratégique de rapporteur sur la loi climat 2040, censée garantir l'objectif de 90% de réduction des émissions de gaz à effet de serre à cet horizon. « Pompier pyromane », « loup dans la bergerie », « balle dans le pied » : les métaphores ont presque fini par manquer pour dénoncer l'invraisemblable scénario qui s'est joué à Strasbourg le 8 juillet dernier. « On a tout simplement confié l'un des textes climatiques les plus importants de l'Union européenne pour les années à venir aux mains des fossoyeurs de l'écologie », résume l'eurodéputée écologiste Marie Toussaint.

Jordan Bardella lui-même n'en a pas fait mystère : il s'est dit « résolument opposé » à cet objectif des 90% en 2040. Dans un communiqué de presse, le RN et ses alliés européens affichent clairement leurs intentions : « une véritable refonte de la politique climatique de l'Union » par rapport à sa trajectoire actuelle, « dictée par une idéologie qui méprise les réalités économiques, les intérêts nationaux et la voix des peuples ».

Le grand principe du cordon sanitaire est rompu pour de bon, et l'écologie semble devenue le bouc-émissaire idéal pour cette nouvelle alliance entre la droite et l'extrême-droite.

Pour la première fois dans l'histoire du Parlement européen, l'extrême droite se retrouve ainsi aux manettes pour piloter un dossier clé en matière d'écologie. Quelques jours auparavant, c'était le groupe des Conservateurs et réformistes européens (ECR), emmené par le parti post-fasciste Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni, qui avait obtenu un autre rapport sur l'immigration. Ces coups de force n'ont été rendus possibles que par l'assentiment du Parti populaire européen (PPE), la toute première force politique de l'hémicycle, dirigé par l'allemand Manfred Weber. Et si ce dernier continue à nier officiellement tout pacte avec l'extrême droite, les faits sont têtus : la droite européenne a bel et bien fait le jeu du groupe PfE – d'abord en ne désignant pas de candidat au fameux poste de rapporteur et en laissant ainsi le champ libre à Bardella et consorts, puis en votant contre la « procédure d'urgence » engagée le lendemain par l'opposition [1] (manœuvre qui aurait, en substance, privé le rapporteur de son pouvoir). Un « inimaginable renversement institutionnel au sein de l'Union », estime Marie Toussaint, qui tire deux principaux enseignements de la séquence : « D'une part, le grand principe du cordon sanitaire est rompu pour de bon, et d'autre part, l'écologie semble devenue le bouc-émissaire idéal pour cette nouvelle alliance entre la droite et l'extrême-droite. »

Une année de « backlash » anti-écologie

Cet épisode ne fait que parachever une première année de mandature européenne placée sous le signe d'un véritable backlash écologique et climatique. À l'automne 2024, le report d'un an de la loi contre la déforestation importée en Europe [2], approuvé de concert par la droite et l'extrême droite, avait annoncé la couleur. Une sorte d'échauffement avant la grande œuvre amorcée depuis le début de l'année 2025 : le détricotage tous azimuts du Pacte vert ou « Green Deal » européen, cet ensemble de mesures adoptées par la précédente Commission visant à atteindre la neutralité carbone de l'Union européenne d'ici 2050.

En janvier, Jordan Bardella se fendait d'une lettre adressée aux deux autres groupes d'extrême droite et au PPE pour former une coalition afin de suspendre temporairement le Pacte vert. Si l'offre n'a jamais été officiellement acceptée par les conservateurs, elle n'a pas tardé à se matérialiser dans les faits.

Le 28 janvier, Jordan Bardella se fendait d'une lettre adressée aux deux autres groupes d'extrême-droite – ECR, ainsi que l'Europe des Nations Souveraines (ESN), groupe formé en majorité des eurodéputés du parti allemand de l'AfD – mais aussi au PPE, pour leur proposer d'unir leurs forces et former ensemble une coalition afin de « suspendre temporairement le Pacte vert ». Si l'offre n'a jamais été officiellement acceptée par les conservateurs, elle n'a pas tardé à se matérialiser dans les faits. En avril, ces partis se sont rassemblés pour voter le report de l'entrée en vigueur de plusieurs textes importants du Pacte vert, dont celui sur le devoir de vigilance (dit CSDDD), qui vise à prévenir et réparer les atteintes aux droits humains et à l'environnement commises par les multinationales. Autre dispositif phare du Pacte vert ajourné : l'obligation de reporting en matière de durabilité pour les entreprises (dit CSRD).

Lors des débats organisés à Strasbourg à ce sujet, l'eurodéputée RN Julie Rechagneux résumait ainsi la ligne de son groupe, en critiquant l'excès de normes et la « logique bureaucratique » du Pacte vert : « Qui peut croire que l'on sauvera l'industrie européenne avec des formulaires ? (...) Aujourd'hui, la mise en conformité coûte 3 à 4 % du PIB, et une entreprise européenne dépense 2,5 fois plus en formalités qu'une entreprise américaine. L'éléphant dans la pièce, c'est ce bloc de réglementations vertes, qui nous prive de croissance. »

Depuis, les mêmes flèches ont été adressées à la directive dite « anti-greenwashing », qui entend lutter contre l'écoblanchiment en obligeant les entreprises à faire vérifier par un organisme tiers indépendant la véracité de leurs allégations environnementales avant la mise sur le marché d'un produit. Le retrait pur et simple du texte aurait ainsi été réclamé, fin juin, par trois lettres envoyées simultanément à la Commission européenne par les groupes PPE, ECR et PfE. Dans les prochains mois, d'autres textes importants, tels que l'interdiction des voitures thermiques en 2035, la règlementation sur les produits toxiques ou bien encore le Pacte pour une industrie propre pourraient faire les frais de l'alliance de fait entre droite et extrême droite au Parlement.

Retarder plutôt que nier : la nouvelle stratégie climatique de l'extrême-droite

Interrogée par l'Observatoire, l'eurodéputée Mathilde Androuët, l'une des plus actives – si ce n'est la seule – sur les questions environnementales du côté du RN au Parlement, assume cette entreprise de « dégraissage » du Green Deal : « La hiérarchie est claire : nous, on pense qu'il y a une urgence économique avant qu'il y ait une urgence climatique. On partage les objectifs de décarbonation et d'amélioration de nos environnements de vie, mais pas la manière dont on s'y prend. La philosophie, c'est de ne pas faire mourir nos industries, l'environnement ne doit pas être une contrainte. »

Ces antiennes illustreraient une nouvelle stratégie de l'extrême-droite en matière de lutte contre le changement climatique, conceptualisée par une équipe de chercheurs européens sous le terme de « discourses of climate delay » (« discours de retardement de l'action climatique »). « Désormais, l'existence du changement climatique n'est plus directement remise en cause, mais on tente plutôt de décourager l'action climatique, en soulignant par exemple que d'autres polluent davantage, qu'il existe des solutions technologiques ou que les politiques climatiques sont inefficaces, trop coûteuses ou perdues d'avance », explique William Lamb, le coordinateur de ces travaux qui mettent en exergue une liste de douze catégories d'excuses justifiant l'inaction climatique [3].

Des nuances qui restent somme toute bien dérisoires pour Pascal Canfin, eurodéputé Renew et artisan du Green Deal, lorsqu'il présidait la commission ENVI sous le mandat précédent : « C'est peut-être moins du climato-scepticisme à l'état brut que de l'‘obstructionnisme', mais cela revient au même in fine : retarder, et si possible, supprimer chaque mesure visant à lutter contre le changement climatique. »

Des formes de climatoscepticisme « ordinaire » refont d'ailleurs régulièrement surface. Ainsi, le 20 janvier 2025, l'eurodéputé RN Gilles Pennelle commençait-il de la sorte son intervention dans le cadre d'un débat portant sur les actions à entreprendre pour lutter contre le réchauffement climatique, à la suite des records de chaleur observé au cours de l'année 2024 : « Monsieur le Président, les changements climatiques existent, ils ont toujours existé (sic). Par contre, ce qui est inacceptable, c'est ce catastrophisme climatique des Khmers verts, parce qu'il permet de justifier des tsunamis de contraintes, de normes, de règlements qui pénalisent l'économie de l'Union européenne. »

« On veut tuer le Green Deal, mais si vous pouviez être l'assassin… »

Les planètes se sont alignées pour ouvrir grande la fenêtre d'Overton de l'écolo-bashing.

Cette stratégie obstructionniste est loin d'être l'apanage de la seule extrême droite, comme le souligne volontiers Mathilde Androuët : « Regardez les dernières prises de position d'Emmanuel Macron, sur le devoir de vigilance par exemple [4] : tout le monde est en train de se rendre compte que l'on a fixé des objectifs intenables dans le temps imparti – ou alors, à quel prix ! S'il y a une révolution, elle ne se trouve pas tant chez nous qu'au PPE. En façade, cela reste difficile pour eux d'assumer le détricotage du Green Deal, qui reste le bébé de von der Leyen. Mais dans les couloirs, certains nous le disent très clairement : 'On veut tuer le Green Deal, mais on ne veut pas porter le chapeau, donc si vous pouviez être l'assassin, ça nous arrangerait !' »

De fait, la véritable bascule s'observe du côté des conservateurs. Lors de la précédente mandature, ceux-ci avaient travaillé de concert avec les autres groupes – Renew, S&D, Greens – pour bâtir le Pacte vert. La présidente de la Commission Ursula von der Leyen, elle-même issue des rangs du PPE, en avait fait un enjeu de premier plan. Mais la donne a changé, constate le politologue Théodore Tallent, doctorant au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po : « L'écologie est en train de re-devenir un très fort objet de conflictualité politique, là où son enjeu faisait globalement consensus, y compris chez les conservateurs. Jusqu'à récemment encore, de la même manière que pour le chômage ou la criminalité, tout le monde s'accordait à dire qu'il fallait prendre le problème à bras-le-corps, quand bien même les réponses à y apporter ne sont pas les mêmes. Désormais, de plus en plus de voix s'élèvent, au sein de la droite européenne et à l'unisson avec l'extrême-droite, pour remettre en cause toutes ces régulations environnementales, au prétexte qu'elles sont injustes pour les industriels, les agriculteurs, les citoyens. »

En cause, une conjoncture particulièrement défavorable sur les plans économique (inflation) et géopolitique (guerre en Ukraine, victoire de Donald Trump), qui a relégué les enjeux écologiques à l'arrière-plan. Dans un tel contexte, les efforts exigés par la mise en œuvre des premières grandes mesures de transformation de nos modèles productifs passent plus difficilement, estime Pascal Canfin : « Jusqu'à présent, l'extrême droite ne faisait pas de l'anti-écologie un élément constitutif de son identité politique pour la simple et bonne raison qu'elle n'en voyait pas encore les effets. En Europe, on n'avait pas encore amorcé la véritable transition sur les moteurs thermiques, ni changé les règles de la PAC ; en France, on n'avait pas encore mis en place les ZFE [zones à faibles émissions], ou les ZAN [zéro artificialisation nette]… »

Sur l'Ukraine ou sur plein d'autres sujets, cela reste encore difficile d'imaginer voir voter ensemble le PPE et l'extrême-droite. Mais sur le climat, on voit leurs discours se rapprocher.

Les planètes se sont alignées pour ouvrir grande la fenêtre d'Overton de l'écolo-bashing. La forte poussée électorale de l'extrême droite lors du scrutin en juin 2024 lui offre plus de latitude pour polariser les débats, en même temps qu'un rôle tout nouveau au cœur du jeu politique. Avec 85 députés, les Patriotes pour l'Europe (PfE) constituent aujourd'hui le troisième groupe politique de l'hémicycle et se découvrent « une capacité de peser et d'influer par nos voix sur le vote final », reconnaissait lui-même le président du groupe, Jordan Bardella, le 18 juin dernier à Strasbourg. Il en va de même pour le groupe ECR, quatrième force politique du Parlement (avec 78 eurodéputés dont une forte délégation du parti de Giorgia Meloni), qui entend désormais incarner un partenaire « raisonnable », au centre du jeu institutionnel à Bruxelles. « Désormais, le PPE est sous la pression de l'extrême droite, qui sait parfaitement manoeuvrer pour le mettre en situation inconfortable », témoigne de l'intéreur Philippe Lamberts, ancien eurodéputé des Verts devenu conseiller d'Ursula Von der Leyen sur tous les enjeux relatifs au Green Deal.

Si les trois groupes d'extrême-droite ne sont pas parvenus à s'unir, pour des raisons autant idéologiques que de leadership, pour la première fois ils peuvent obtenir des majorités parlementaires en s'alliant avec le PPE. « Sur l'Ukraine ou sur plein d'autres sujets, cela reste encore difficile d'imaginer voir voter ensemble le PPE et l'extrême-droite. Mais sur le climat, on voit leurs discours se rapprocher », observe Pascal Canfin.

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« L'extrême-droite sait qu'elle n'est jamais arrivée au pouvoir sans alliance avec le grand patronat »

Et s'il y en a qui n'ont pas manqué de remarquer ce changement structurel dans les rapports de forces au Parlement européen, ce sont évidemment ces acteurs clés de la scène bruxelloise que sont les lobbys. Mathilde Androuët l'a constaté d'elle-même : « Au Rassemblement national, on a vraiment ressenti une différence à l'été 2024, après notre victoire aux élections européennes puis l'élection de 126 députés à l'Assemblée nationale, dans la foulée. On sent qu'on est devenu un interlocuteur important aux yeux des représentations professionnelles, qui veulent travailler avec nous. Le Parlement européen est un univers ultra-concurrentiel de lobbys en tout genre, et on y a forcément plus de poids dès lors que l'on devient faiseur de roi sur certains sujets… »

En contradiction totale avec ses discours en France, où Marine Le Pen n'a de cesse de dénoncer le poids des lobbys bruxellois, les eurodéputés du RN ne se privent pas d'ouvrir leurs portes aux représentants d'entreprises ou de fédérations patronales. Exemple avec Pascale Piera, nommée en avril rapportrice fictive en charge des négociations sur les directives CSRD et CSDDD pour le groupe des Patriotes. Dans le cadre de cette mission, la députée ne renseigne que quatre rendez-vous avec des représentants d'intérêts privés sur sa page officielle, en mai et juin dernier. Parmi lesquels une rencontre avec TotalEnergies, une autre avec l'International Association of Oil & Gas Producers Europe – un lobby des énergies fossiles particulièrement actif sur les politiques environnementales européennes –, et une autre encore avec Nove, une agence de relations publiques qui travaille pour de grosses entreprises pétrolières [5] (la dernière réunion étant avec l'European Council of Shopping Places, le lobby des centres commerciaux). « Pas vraiment les entreprises les plus réputées pour porter la voix du climat », euphémise Olivier Guérin, chargé de plaidoyer sur la règlementation européenne au sein de l'ONG Reclaim Finance.

Dès le mois de mars, l'ONG avait alerté sur la « capture » de la directive Omnibus (nom donné au paquet de propositions règlementaires européennes visant la simplification de plusieurs textes dont la CSRD et la CSDDD) par les lobbys, en constatant « une très forte similarité entre son contenu [conçu par la Commission européenne] et les souhaits des lobbys industriels », pointant notamment un « copier-coller » de certaines demandes émanant de groupes comme le MEDEF, la Fédération bancaire française ou Business Europe [6]. Lors de l'examen de cette proposition au Parlement, les eurodéputés d'extrême droite sont allés encore plus loin dans le même sens, observe Olivier Guérin : « En élevant les seuils d'application de ces mesures à des niveaux délirants qui excluent de fait la majorité des entreprises européennes, ou en demandant tout bonnement l'abrogation pure et simple des mesures de reporting et du devoir de vigilance, les amendements de l'extrême droite ont repris les grandes antiennes des lobbys sur le sujet, en utilisant souvent les mêmes registres d'argument. »

Rien de bien nouveau, certes : lors de la précédente mandature, l'extrême porosité du Rassemblement national aux intérêts des grands groupes industriels avait été démontrée de façon implacable par l'équipe de contre-lobbyistes de Jevotelobby.fr, un site internet lancé au printemps 2024, qui révélait plusieurs cas concrets où le RN s'était ainsi aligné avec les intérêts de Total, McDonalds, ou Monsanto.

Peut-on pour autant dire que les votes du RN à Bruxelles sont directement inspirées par les lobbys ? « L'extrême-droite n'a pas vraiment besoin de conseils pour se montrer anti-écolo, tempère Hans Van Scharen, chercheur au Corporate Europe Observatory (CEO). Au niveau européen, elle partage l'agenda néolibéral de Business Europe dans les très grandes largeurs. C'est là tout le succès de la grande magouille politique de quelqu'un comme Marine Le Pen : en France, elle arrive à se faire passer pour une défenseuse du peuple, attachée aux politiques sociales, alors que dans les faits, l'extrême-droite défend le système actuel, avec son ordre industriel puissant. »

En France, Marine Le Pen arrive à se faire passer pour une défenseuse du peuple, alors que dans les faits, l'extrême-droite défend le système actuel, avec son ordre industriel puissant.

Aux premiers postes depuis le Parlement européen, Pascal Canfin livre sa grille de lecture : « L'écologie offre à l'extrême droite un bouc-émissaire idéal pour reproduire sa grille de lecture favorite, celle du populisme. Elle surfe sur la colère et le mécontentement du ‘on ne peut plus rien faire', avec cette idée d'un clivage entre une élite qui impose ses normes au peuple. Les extrêmes-droites excellent à se faire aujourd'hui passer pour les grandes défenseuses de la liberté. C'est aussi une stratégie électorale : ça leur permet de parler aux petits patrons, aux artisans et commerçants, aux agriculteurs, etc. Mais ce discours anti-normes, autour de l'idée de simplification, n'est pas un registre propre à l'extrême droite, cela rejoint aussi le logiciel de la droite traditionnelle et libérale, avec qui elle cherche à entrer en compétition électorale. L'extrême droite est devenue beaucoup plus pro-business et pro-libérale qu'elle ne l'était avant – en France, Bardella est beaucoup plus proche de la droite classique sur ces questions-là que ne l'est Marine Le Pen, par exemple. C'est aussi parce que l'extrême-droite sait qu'elle n'est jamais arrivée au pouvoir sans alliance avec le grand patronat. »

L'eurodéputé voit dans la nouvelle alliance à l'œuvre au Parlement européen les prémices d'une nouvelle « Internationale réactionnaire » : « anti-climat, anti-migrants, anti-woke : voilà les trois fondements principaux de cette nouvelle union des droites, sorte de trumpisme européen ». De fait, les dirigeants de l'extrême droite européenne affichent de plus en plus leur proximité avec leurs homologues américains, qui de leur côté, à l'instar du Heartland Institute, think tank pro-Trump, ciblent de plus en plus ouvertement les règles européennes et notamment la directive sur le devoir de vigilance [7]. Dans le cadre de l'accord annoncé par Ursula Von der Leyen et Donald Trump à Turnberry le 27 juillet dernier sur les droits de douane, la Commission se serait engagée à réexaminer une série de textes environnementaux, parmi lesquels la CSRD et la CSDDD mais aussi le règlement sur la déforestation ou le mécanisme sur l'ajustement carbone aux frontières. Hans van Scharen sonne l'alarme : « L'avalanche de dérégulations massives de toutes les protections sociales et écologiques sert le grand dessein de Trump, qui est désormais très clair : il veut faire de l'Union européenne une force politique fascisante comme le sont devenus les États-Unis. » Les eurodéputés RN et leurs alliés ne semblent que trop disposés à se mettre au service de ce projet.

Cette publication s'inscrit dans le cadre l'enquête transfrontalière « Du déni au retardement : comment l'extrême droite européenne s'adapte à la crise climatique » et a été réalisée avec le soutien du Journalismfund Europe.


[1] Lancée par le groupe des Verts européens, l'initiative était soutenue par les libéraux de Renew et les sociaux-démocrates (S&D).

[2] Ce règlement a pour but d'interdire la commercialisation, au sein de l'Union Européenne, de certains produits (cacao, café, soja, etc.) provenant de terres déboisées.

[3] Voir ces 12 registres de discours et l'intégralité de cette recherche, publiée en anglais dans la revue de l'Université de Cambridge.

[4] « La CS3D (devoir de vigilance, ndlr) et quelques autres régulations ne doivent pas être simplement repoussées d'un an, mais écartées », a déclaré le président de la République, le lundi 19 mai.

[5] Selon le registre de transparence européen, Nove déclare notamment collabore avec Exxon (pour 100 à 200 000 euros/an), l'International Association of Oil & Gas Producers Europe (pour la même fourchette) ou encore TotalEnergies (50 à 100 000 euros/an).

[6] Pour aller plus loin, lire l'analyse complète réalisée par Reclaim Finance, selon laquelle 70% des demandes du MEDEF auraient ainsi été obtenues.

[7] Voir à ce sujet l'édifiante enquête publiée par le média anglais DeSmog.

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