07.11.2025 à 14:43
L'Observatoire des multinationales propose une nouvelle session de formation sur deux jours à l'enquête sur les grandes entreprises, les 6 et 7 janvier 2026 à Paris.
Filiales, dirigeants, actionnaires, comptes, rapports annuels, social et environnement... Cette formation vise à donner un aperçu des sources d'informations disponibles pour enquêter sur les multinationales, leur structuration, leurs propriétaires et dirigeants, leurs implantations, leurs finances, leur impact écologiques, (…)
L'Observatoire des multinationales propose une nouvelle session de formation sur deux jours à l'enquête sur les grandes entreprises, les 6 et 7 janvier 2026 à Paris.
Filiales, dirigeants, actionnaires, comptes, rapports annuels, social et environnement... Cette formation vise à donner un aperçu des sources d'informations disponibles pour enquêter sur les multinationales, leur structuration, leurs propriétaires et dirigeants, leurs implantations, leurs finances, leur impact écologiques, leurs pratiques sociales et leur lobbying.
Elle est conçue pour un public de journalistes et apprentis journalistes et de salariés et militants associatifs, et sera assurée par Olivier Petitjean et Olivier Blamangin.
Elle est proposée au tarif de 250€ pour deux jours, mais nous prenons en compte les situations personnelles. Une prise en charge au titre de la formation professionnelle est possible, merci de nous contacter.
Inscription sur le site de HelloAsso
Première journée (10h-17h)
Deuxième journée (10h-17h)
07.11.2025 à 08:54
Séverin Lahaye
Après une série de conférences climat organisées dans des États pétroliers comme Dubaï ou l'Azerbaïdjan, la COP 30 qui s'ouvre au Brésil bénéficie de l'image positive du gouvernement Lula, qui a fait de la protection de la forêt amazonienne une priorité.
- COP30 au Brésil : diplomatie climatique et intérêts économiques / Petrobras, TotalEnergies, Climat et greenwashing, Brésil, énergies fossiles, gaz à effet de serre, greenwashing, biodiversité
Après une série de conférences climat organisées dans des États pétroliers comme Dubaï ou l'Azerbaïdjan, la COP 30 qui s'ouvre au Brésil bénéficie de l'image positive du gouvernement Lula, qui a fait de la protection de la forêt amazonienne une priorité. La décision annoncée il y a quelques jours d'autoriser des forages d'hydrocarbures offshore dans la région illustre cependant les contradictions de la politique brésilienne.
L'annonce a sonné comme un coup de massue pour les associations écologistes brésiliennes. La major pétrolière Petróleo Brasileiro S. A., ou Petrobras, a obtenu, le 21 octobre 2025, l'autorisation d'explorer une parcelle océanique située à 500 km de l'embouchure de l'Amazone, au nord-est du pays. L'entreprise a précisé vouloir « commencer les forages immédiatement », et ce pour une durée de cinq mois. « À la veille de la COP 30, le Brésil se pare de vert sur la scène internationale, mais se couvre de pétrole chez lui », a dénoncé Mariana Andrade, la coordinatrice du front pour les océans de Greenpeace Brésil.
Petrobras, entreprises nationale détenue à 37 % par l'État brésilien, a déjà foré plus de 700 puits dans la vaste zone océanique appelée « marge équatoriale », au large du nord-est du pays. La licence d'exploration récemment obtenue l'autorise à sonder le sous-sol du bassin « Foz de Amazonas » (« bouche de l'Amazone »), le plus au nord. Celui-ci abrite une biodiversité aussi riche que fragile (coraux, mangroves, poissons) dont dépendent les communautés côtières de la région.
À la veille de la COP 30, le Brésil se pare de vert sur la scène internationale, mais se couvre de pétrole chez lui.
Depuis plus de dix ans, les projets d'exploration pétrolière dans cette zone se heurtaient à l'Institut brésilien de l'environnement et des ressources naturelles renouvelables (Ibama), Tout commence en 2013, lorsqu'un consortium formé de TotalEnergies, BP (British Petroleum) et Petrobras acquiert cinq concessions dans le bassin de l'Amazone (lire notre article). Mais les deux majors pétrolières étrangères décident tout à tour de se retirer, en 2020 pour TotalEnergies et en 2021 pour BP, après que l'Ibama a rejeté leurs licences environnementales, les jugeant incomplètes ou non conformes. Petrobras rachète alors les parts des deux entreprises étrangères et réitère sa demande d'exploration auprès de l'Ibama. Après un énième refus en 2023, l'entreprise pétrolière obtient enfin en mai 2025 un accord préliminaire pour l'exploration pour la parcelle FZA-M-59 (ou bloc 59), la plus à risque.
Petrobras a obtenu cette autorisation après la présentation d'un « plan de protection et d'assistance de la faune mazoutée » en cas d'accident (typiquement une marée noire) à l'agence environnementale. Mais d'après le média d'investigation brésilien Sumaúma, l'Ibama n'a pas tenu compte des réserves émises par ses propres experts. Les journalistes ont pu consulter leur rapport, qui évoque une « possible infaisabilité » du plan de protection de Petrobras, « compte tenu des énormes défis logistiques et environnementaux de la région ».
Cela n'a donc pas empêché l'Ibama d'octroyer le permis d'exploration définitif mardi 21 octobre 2025. Celui-ci était conditionné à la réussite d'un exercice grandeur nature, appelé « test pré-opérationnel », qui consistait à tester en conditions réelles la conformité du plan de protection de la faune soumis par Petrobras. Mais là encore, l'Ibama ne semble pas avoir écouté l'ensemble de ses techniciens présents lors de l'exercice, qui s'est déroulé fin août. D'après une enquête de CNN Brasil, « il n'y avait pas de consensus parmi les techniciens impliqués dans [le test]. […] Pour certains, la simulation a démontré le besoin d'ajustements du plan présenté par Petrobras. »
Associations écologistes et peuples amazoniens s'étaient mobilisés depuis des années afin d'empêcher la major pétrolière d'obtenir la licence d'exploration pour le bloc 59. Après sa délivrance, huit d'entre elles ont d'ailleurs déposé une nouvelle plainte auprès de la cour fédérale de l'État du Pará pour demander son annulation.
Pour les journalistes de Sumaúma, le changement d'opinion de l'Ibama s'explique par les « pressions politiques » qui pèsent sur l'agence. Et notamment celles qu'exercerait le gouvernement du président Luiz Inácio Lula da Silva. Ce dernier avait promis en mars dernier au sénateur de l'État d'Amapa, David Alcolumbre, qu'il « approuverait l'exploration pétrolière dans la marge équatoriale », rapporte le média CNN Brasil. Il a également critiqué sa propre administration lors d'un entretien à la radio : « L'Ibama est une agence gouvernementale, mais elle semble être une agence contre le gouvernement. » Ce soutien à l'exploration pétrolière transparaissait déjà dans un communiqué de presse du ministère des Mines et de l'Énergie paru en 2023, qui soutenait explicitement « l'octroi de licences environnementales pour les projets d'exploration et de production dans la marge équatoriale [qui] pourraient générer 200 milliards de dollars de recettes pour l'État ».
L'Agence nationale du pétrole a mis aux enchères en juin dernier 19 nouveaux blocs pétroliers dans le bassin de l'Amazone.
D'après les calculs de l'organisation non gouvernementale ClimaInfo, le sous-sol de la marge équatoriale renfermerait l'équivalent de 30 milliards de barils de pétrole qui, une fois consommés, ajouteraient dans l'atmosphère 13,5 milliards de tonnes équivalent CO₂. Soit à peu près ce que le Brésil, sixième pays le plus émetteur de gaz à effet de serre en 2024, émet en dix ans. Mais qu'importe : l'Agence nationale du pétrole (ANP), qui dépend du ministère des Mines et de l'Énergie, a mis aux enchères en juin dernier 19 nouveaux blocs pétroliers dans le bassin de l'Amazone, pour un montant total de 153 millions de dollars. Parmi les acquéreurs, on retrouve les multinationales états-uniennes Chevron et ExxonMobil, le groupe étatique chinois CNPC, et bien entendu Petrobras.
Ces enchères témoignent d'un regain d'intérêt des majors pétrolières pour les bassins du nord-est du Brésil, après le retrait de BP et TotalEnergies au début des années 2020. La multinationale française n'y a cependant pas participé, préférant continuer à développer ses activités dans les bassins maritimes de Santos et Campos, au sud-est du Brésil, où elle détient onze concessions. Elle y opère plusieurs champs pétroliers pour une production totale estimée à 200 000 barils de pétrole par jour.
TotalEnergies et Petrobras détiennent conjointement plusieurs concessions pétrolières et gazières au Brésil et dans le reste du monde.
TotalEnergies a annoncé en 2024 l'extension de deux d'entre eux, Atapu et Sépia, qu'elle exploite en partenariat avec Petrobras. En 2018, le groupe français avait également acquis un pourcentage des parts de l'entreprise brésilienne dans les champs de Lara et Lapa, pour un montant total de 2,2 milliards de dollars. TotalEnergiess et Petrobras détiennent aussi conjointement plusieurs concessions pétrolières et gazières dans le reste du monde (Nigéria, Golfe du Mexique, Bolivie…) Le résultat d'une « alliance stratégique » lancée en 2017 entre les deux majors, et saluée par Patrick Pouyanné, le dirigeant de TotalEnergies : « Nous comptons poursuivre le renforcement de notre alliance stratégique avec Petrobras, grâce à notre engagement pour élargir notre coopération technique dans les domaines de l'exploitation, de la recherche et de la technologie. » Un partenariat incontournable pour qui veut investir dans les hydrocarbures au Brésil.
« Au Brésil, le pétrole était considéré comme une ressource d'État qui pourrait permettre de s'émanciper des puissances étrangères, dans une vision post-coloniale », explique l'historienne Nathalia Capellini. « Une campagne intitulée “Le Pétrole est à nous” [« O Petróleo é Nosso »] a émergé dans la société civile brésilienne, après la découverte des premiers puits de pétrole en 1938. Elle rassemblait des professeurs, des scientifiques, beaucoup de femmes, des étudiants aussi, qui s'engageaient pour défendre l'idée que le pétrole devait être nationalisé, et qu'une entreprise nationale de pétrole devait voir le jour », relate la chercheuse. Chose faite avec la création de Petrobras en 1953 par le président Getúlio Vargas, qui confère à l'entreprise « un monopole national sur l'industrie pétrolière », de la prospection à l'exportation.
Après la découverte d'importants gisements de pétrole autour des années 1970, « Petrobras développe ses activités à l'international, principalement en Afrique et au Moyen-Orient », poursuit Nathalia Capellini. Malgré la privatisation d'une partie de son capital dans les années 1990, sous l'impulsion de politiques néolibérales, Petrobras reste encore dans le giron du gouvernement, qui contrôle 37 % de son capital et surtout la majorité des droits de vote au sein du conseil d'administration. « La Petrobras est le joyau de la couronne de l'État brésilien », résume le géographe François-Michel Le Tourneau.
La découverte en 2006 d'immenses gisements offshore a permis au Brésil de doubler sa production de pétrole en 15 ans, faisant de lui le huitième producteur mondial de pétrole. Jusqu'en 2016, Petrobras bénéficiait d'un accès privilégié à ces champs pétroliers situés en eau très profonde, sous une épaisse couche de roches et de sel. La loi brésilienne lui octroyait une participation minimale de 30 % au sein de toutes les concessions.
Ce succès économique a pourtant failli être annihilé en 2016 par un scandale de corruption qui a ébranlé tout le pays, connu sous le nom de « Lava Jato » (« lavage express »). Ce qui n'était initialement en 2014 qu'une simple enquête sur du blanchiment d'argent dans des stations-service a abouti à la condamnation de 174 personnes, dont des responsables publics et des chefs d'entreprise dans toute l'Amérique latine.
L'opération « Lava Jato » a failli mener Petrobras à la banqueroute. Une trentaine de dirigeants de l'entreprise ont été arrêtés.
L'enquête a mis au jour un gigantesque système de corruption dans lequel Petrobras jouait un rôle central : elle surfacturait des chantiers à des entreprises du BTP pour financer des partis politiques. Lula, le président actuel du Brésil, a été condamné à plus de neuf ans de prison avant d'être finalement blanchi en 2021, après qu'une contre-enquête a révélé des irrégularités de procédures et les liens plus ou moins légaux entretenus par les enquêteurs brésiliens avec leurs homologues états-uniens.
Considéré comme « le plus grand scandale international de corruption de l'histoire » par le Département de la Justice des États-Unis, l'opération « Lava Jato » a failli mener Petrobras à la banqueroute. Une trentaine de dirigeants de l'entreprise ont été arrêtés, dont son ancien directeur, Paulo Roberto Costa. Sa dette a explosé, le cours de son action s'est écroulé, les licenciements se sont multipliés. Dans sa chute, Petrobras a entraîné l'entièreté de l'économie brésilienne, plongeant, par ricochet, des millions de Brésiliens au chômage.
Petrobras s'est alors recentrée sur ce qu'elle sait faire de mieux : exploiter le pétrole offshore. Une stratégie payante, car malgré la cession d'une partie de ses actifs (stations-service, raffineries, pipelines…) sous la présidence de Jair Bolsonaro, ses revenus nets sont repassés dans le vert depuis 2018. En 2022, elle a même enregistré un profit record de 36 milliards de dollars.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donLa gestion de cette manne financière est un enjeu éminemment politique au Brésil. Les chefs d'État successifs ont toujours cherché à mettre au sommet de Petrobras une personne alignée avec leurs intérêts, quitte à la licencier au moindre écart. En moyenne, les dirigeants de Petrobras ne restent qu'un an et demi à la tête de l'entreprise. Sa dirigeante actuelle, Magda Chambriard, a affirmé dès sa nomination vouloir « continuer l'exploration pétrolière sur la côte brésilienne », allant jusqu'à reprendre le slogan « Drill, baby, drill » du président des États-Unis, Donald Trump.
Ce discours résonne avec le rêve assumé de Lula de faire de Petrobras « la plus grande compagnie pétrolière du monde ». « Lula est l'homme d'une génération qui a baigné dans un nationalisme pétrolier, avance le géographe François-Michel Le Tourneau. Cette idéologie reste très prégnante dans la classe politique de sa génération. Le pétrole a toujours été une priorité pour lui. Ses premiers mandats [de 2003 à 2010] avaient d'ailleurs été marqués par l'essor considérable de l'exploitation pétrolière au large de Rio de Janeiro, pour financer ses politiques sociales. »
La priorité de Lula a toujours été d'améliorer la situation du travailleur brésilien avant toute chose.
Le président brésilien veut désormais utiliser les revenus issus du pétrole pour « financer la transition écologique », comme il l'expliquait en juin dernier dans une interview au Monde. Pour cela, il compte utiliser Petrobras pour investir dans les énergies renouvelables, la pétrochimie ou les engrais. Son ambition est claire pour François-Michel Le Tourneau : « Faire passer un seuil de développement économique au Brésil. Sa priorité a toujours été d'améliorer la situation du travailleur brésilien avant toute chose. »
Pour atteindre cet objectif, Lula compte donc s'appuyer sur les revenus générés par Petrobras, quitte à ce que ceux-ci proviennent des énergies fossiles. D'après une étude publiée par Oil change International, le Brésil compte augmenter sa production de pétrole et de gaz de 36 % d'ici 2035. Pour favoriser cette politique, le gouvernement de Lula a augmenté les exonérations fiscales pour les entreprises du secteur pétrolier. Et même si les subventions aux énergies renouvelables ont elles aussi aussi augmenté, elles restent largement inférieures. D'après une étude de l'Institut d'études socio-économiques (Inesc), « les subventions aux énergies fossiles sont 4,5 fois supérieures à celles dirigées vers les énergies renouvelables ».
Mais c'est surtout le cœur de l'argumentaire de Lula, liant exploitation pétrolière et financement de la transition énergétique, qui soulève le plus d'interrogations. Le chercheur Shigueo Watanabe a tenté de comprendre comment le gouvernement brésilien utilise l'argent issu des hydrocarbures fossiles. D'après ses recherches, l'État a perçu en 2023 environ 240 milliards de réaux brésiliens (soit 45 milliards de dollars) de l'ensemble du secteur pétrolier et gazier, principalement via des redevances (des compensations financières), des impôts, et grâce aux dividendes de Petrobras (15 % du total). Mais seule une infime partie de cette somme alimente le Fonds pour le climat « créé en 2009 pour soutenir les actions d'atténuation et d'adaptation au changement climatique », explique le chercheur. Entre 2018 et 2025, le Fonds a investi moins d'un milliard de réaux brésiliens dans des projets écologiques. Le gouvernement brésilien a alloué en sept ans seulement 0,06 % des ressources issues du pétrole à des projets liés à la transition énergétique. En réalité, d'après Shigueo Watanabe, le gouvernement utilise la majeure partie des recettes pétrolières pour rembourser la dette publique.
Seule une infime partie des revenus du pétrole alimente le Fonds pour le climat.
De son côté, Petrobras a engagé un plan d'investissement de 111 milliards de dollars pour 2025-2029, dont 83 % (92 milliards) est dédié aux hydrocarbures, chiffre l'Observatoire du climat, qui rassemble plusieurs ONG environnementales brésiliennes. Moins de 15 % seront alloués à la transition énergétique. D'après l'initiative CarbonBombs, actualisée lundi 27 octobre 2025, l'entreprise prévoit d'ouvrir dans les années à venir cinq bombes carbone (sites pouvant émettre plus d'un milliard de tonnes équivalent CO₂ sur l'ensemble de leur durée de vie) et 28 nouveaux sites d'extraction d'énergies fossiles.
Pour masquer la réalité de ses investissements, la major pétrolière a lancé une vaste campagne de greenwashing sur les réseaux sociaux, en rémunérant des influenceurs pour parler de ses projets de recherche liés à la transition énergétique. D'après une enquête de Agência Pública, un média d'investigation brésilien, Petrobras a créé une équipe de sept influenceurs qui alimentent les comptes Instagram et TikTok de l'entreprise. « Depuis début juillet, l'équipe d'influenceurs a cumulé plus de 200 millions de vues sur leurs publications Instagram liées au compte de Petrobras », constatent les journalistes. L'objectif ? Verdir l'image de l'entreprise étatique auprès des jeunes Brésiliens, à quelques jours de l'ouverture de la COP 30 à Belém.
Le soutien du gouvernement brésilien et de son président à la production de pétrole risque de « menacer le leadership environnemental du Brésil lors de la COP », reconnaît le géographe François-Michel Le Tourneau. « Le timing de l'annonce n'est pas bon, admet également Gustavo Westmann, conseiller spécial aux affaires internationales auprès du président Lula. Cela risque de nuire fortement à l'image du gouvernement et de Petrobras. » Pour Marta Torres-Gunfaus, directrice du programme Climat de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), « le Brésil devrait traiter ce sujet au niveau national avant l'ouverture de la COP 30, pour être crédible au niveau international ».
L'engagement contre la déforestation peine à masquer les contradictions des politiques environnementales brésiliennes.
Surtout que le Brésil compte sur cette COP, prévue du 10 au 21 novembre 2025 à Belém, pour affirmer sa position de défenseur de l'environnement. « La diplomatie environnementale est un axe de géopolitique stratégique pour le Brésil sur la scène internationale, car elle lui permet de masquer certaines positions plus controversées, comme sur la guerre en Ukraine par exemple », expose François-Michel Le Tourneau. Cette image d'un Brésil pro-environnement persiste grâce notamment à l'action du président Lula en faveur de la forêt amazonienne. Entre août 2024 et juillet 2025, la déforestation de l'Amazonie a reculé de 11 %, soit la baisse la plus faible depuis 11 ans. « Lula a simplement fait appliquer la loi en redonnant des moyens aux agences environnementales », explique le géographe.
Mais cet engagement contre la déforestation peine à masquer les contradictions des politiques environnementales brésiliennes, symbolisée par les déclarations du président de la COP 30, André Corrêa do Lago, au Financial Times : « Nous envisageons un objectif « zéro émission nette » qui inclut la poursuite de l'utilisation du pétrole pendant quelques années. La transition [vers l'abandon des combustibles fossiles] offre une flexibilité considérable. » Sa position tranche avec celle défendue par le secrétaire général de l'Organisation des nations unies (ONU), Antonio Guterres, qui affirmait en juillet dernier que « les pays qui comptent sur les hydrocarbures fossiles pour s'alimenter en énergie sabotent leurs économies ».
31.10.2025 à 07:00
Séverin Lahaye
Alors que les débats parlementaires font rage sur le budget 2026, la proposition de « taxe Zucman » concentre une grande partie des critiques. Si personne n'ose attaquer son objectif de corriger les injustices actuelles qui permettent aux plus riches d'échapper à l'impôt sur le revenu, beaucoup s'inquiètent de ses conséquences sur l'économie française. Selon ses détracteurs, une telle taxe ferait fuir hors de France les milliardaires, qui continuent d'être présentés comme des piliers de (…)
- Debunk / fiscalité, emploi, dividendes, dirigeants, actionnaires, France, LVMH, Kering, Hermès, Pernod Ricard, Michelin, Stellantis, L'Oréal, Bouygues, Dassault Systèmes
Alors que les débats parlementaires font rage sur le budget 2026, la proposition de « taxe Zucman » concentre une grande partie des critiques. Si personne n'ose attaquer son objectif de corriger les injustices actuelles qui permettent aux plus riches d'échapper à l'impôt sur le revenu, beaucoup s'inquiètent de ses conséquences sur l'économie française. Selon ses détracteurs, une telle taxe ferait fuir hors de France les milliardaires, qui continuent d'être présentés comme des piliers de l'emploi. Une crainte très peu fondée.
Le texte complet de la question était le suivant :
Est-il vrai, comme on le dit contre la taxe Zucman, que sans grandes fortunes il y aurait moins d'emploi en France ?
C'est l'un des arguments que l'on entend sans cesse dès qu'on évoque la fiscalité pesant sur les milliardaires français. Non, il ne faut pas les taxer davantage, car grâce à leur fortune et à leurs entreprises, ils « créent des emplois ». Et font donc vivre des milliers de personnes, en France et dans le monde.
La taxe Zucman, du nom de l'économiste Gabriel Zucman, a remis cette question au premier plan du débat politique français dans un contexte de fortes tensions budgétaires. Sa proposition est simple : instaurer un taux d'impôt minimum de 2 % sur la fortune des foyers fiscaux disposant de plus de 100 millions d'euros de patrimoine. L'économiste veut notamment s'attaquer à leurs revenus dits « professionnels », qui correspondent à l'argent issu de leurs entreprises, accumulé dans des holdings non imposées. Cette proposition rétablirait un peu d'équité fiscale, car d'après les calculs de l'économiste, les milliardaires français (les 0,0002 % plus riches fortunes de France) ne versent qu'environ 25 % de leurs revenus tous prélèvements confondus. Soit deux fois moins que la moyenne des Français.
Une proposition de loi établissant une version de la taxe Zucman avait été adoptée en février dernier à l'Assemblée nationale, mais le Sénat, à majorité conservatrice, l'avait rejetée quelques mois plus tard. Le Premier ministre, Sébastien Lecornu, n'a pas souhaité intégrer cette taxe dans son projet de loi de finances actuellement débattu au Parlement, la jugeant « dangereuse pour l'économie et l'emploi ». Elle a néanmoins été mise à l'ordre du jour par la gauche par voie d'amendements.
Les opposants à la taxe Zucman avancent surtout le risque qu'elle fait peser sur l'emploi.
Comme le Premier ministre, les opposants à la taxe Zucman avancent surtout le risque qu'elle fait peser sur l'emploi. Sur Sud Radio, le député Renaissance Sylvain Maillard s'y est lui aussi opposé car elle ferait selon lui « fuir les emplois de France ». Elle aurait pour objectif, selon l'ancien président du Medef, Pierre Gattaz, interrogé par Le Figaro, « de faire de nous, patrons, des pestiférés, de nous prendre en otage, de nous punir, alors que nous sommes les vrais créateurs de richesse et d'emplois pour la France et les Français ».
À chaque fois, le raisonnement est similaire : taxer la fortune des milliardaires réduirait leur investissement dans l'économie, et détruirait de ce fait des milliers d'emplois. Un argument qui peut sembler être frappé du sceau du bon sens, mais qui soulève une vraie question : les grandes fortunes sont-elles bonnes pour l'emploi ?
Pour répondre à cette question, nous avons choisi d'étudier les grandes entreprises cotées en bourse qui comptent des milliardaires français et leur famille parmi leurs principaux actionnaires. Au sein du CAC 40, nous avons répertorié neuf multinationales qui entrent dans cette catégorie : Bouygues (famille Bouygues), Dassault Systèmes (famille Dassault), Hermès (famille Hermès), Kering (famille Pinault), L'Oréal (famille Bettencourt), LVMH (famille Arnault), Michelin (famille Michelin), Pernod-Ricard (famille Ricard) et Stellantis (famille Peugeot, deuxième actionnaire derrière la famille Agnelli) [1].
Si l'on compare les chiffres de l'emploi au sein de ces groupes au niveau mondial à la fin de l'année 2019, juste avant la pandémie de Covid, avec les dernières données en date (fin 2024 dans la plupart des cas), on observe en effet des augmentations d'effectifs dans beaucoup de ces groupes. +53 % pour Bouygues, +29 % pour Dassault Systèmes, +63 % pour Hermès, +23 % pour Kering, +32 % pour LVMH et même +116 % pour Stellantis ! Seule exception, le groupe Pernod-Ricard affiche des effectifs mondiaux en baisse de 3 %.
| Nombre d'employés en 2019 | Nombre d'employés en 2024 | Variation | |
|---|---|---|---|
| Bouygues | 130 450 | 200 234 | +53 % |
| Dassault Systèmes | 19 361 | 25 000 | +29 % |
| Hermès | 15 417 | 25 185 | +63 % |
| Kering | 38 068 | 46 936 | +23 % |
| L'Oréal | 87 974 | 95 023 | +8 % |
| LVMH | 163 309 | 215 637 | +32 % |
| Michelin | 127 187 | 129 832 | + 2 % |
| Pernod-Ricard | 18 776 | 18 224 | -3 % |
| Stellantis | 115 030 | 248 883 | +116 % |
On pourrait penser qu'on a là la meilleure illustration possible des avantages qu'il y a à laisser croître sans entraves des grandes fortunes faiblement taxées. Sauf que ces chiffres cachent parfois une réalité moins reluisante. La première place du classement est ainsi occupée par le groupe automobile Stellantis, qui a vu son nombre d'employés grimper de 116 % en cinq ans. Mais cette hausse s'explique par la fusion intervenue en 2021 entre le groupe PSA (Peugeot, Citroën, Opel…), et son homologue Fiat-Chrysler (Fiat, Alfa Romeo, Maserati, Jeep…) pour former Stellantis. Entre 2020 et 2021, l'emploi a donc bondi de 112 000 à presque 300 000 personnes, mais pour descendre ensuite – comme souvent en cas de fusion – à moins de 250 000 salariés.
Quand les multinationales augmentent leurs effectifs, ce n'est pas forcément parce qu'elles créent des emplois, c'est souvent qu'elles rachètent d'autres entreprises.
De même, les chiffres flatteurs du groupe Bouygues masquent un changement majeur au sein de la multinationale : le rachat en 2021 d'Equans, une filiale d'Engie, qui propose différents services (électrique, maintenance, énergies renouvelables…). Cet élargissement a fait passer ses effectifs totaux de 125 000 salariés en 2021 à plus de 200 000 en 2024.
Il en va de même, à des niveaux moindres, pour d'autres groupes. L'effectif de Michelin a connu ainsi une augmentation en 2022 du fait d'acquisitions avant de reprendre son érosion. La hausse de l'emploi au sein de LVMH s'explique aussi par le rachat de Tiffany en 2021. Chez Hermès, en revanche, elle est plus directement liée à la croissance organique du chiffre d'affaires du géant du luxe, qui contrairement à ses rivaux, ne procède pas par acquisitions de maisons existantes.
Ainsi, quand les multinationales augmentent leurs effectifs, ce n'est pas forcément parce qu'elles créent des emplois, c'est souvent qu'elles rachètent d'autres entreprises. Nous reviendrons plus bas sur ce point important.
Un autre facteur doit conduire à relativiser ces chiffres : ils ne semblent pas foncièrement différents de ceux des autres groupes, qui n'ont pas de grandes fortunes dans leur actionnariat. Certains groupes de notre échantillon, comme Dassault Systèmes, Hermès ou Pernod-Ricard, ont d'ailleurs des effectifs assez faibles par comparaison avec les cadors du CAC 40.
La multinationale Capgemini, spécialisée dans les services numériques, emploie par exemple plus de 340 000 personnes dans le monde (+50 % par rapport à 2019). Soit légèrement plus que Carrefour, dont l'effectif frôle les 325 000 personnes. On peut également citer la multinationale TP (anciennement Teleperformance, qui vient tout juste de sortir du CAC 40), leader mondial des centres d'appels, qui rémunère près de 500 000 salariés dans le monde (également +50 % depuis 2019).
Qu'en est-il plus précisément de l'emploi de ces groupes en France ? C'est le point central des opposants à la taxe Zucman. Après tout, pourquoi s'opposer à une hausse de l'imposition en France, si les milliardaires concernés créent de l'emploi, mais ailleurs dans le monde ? Nous y serions doublement perdants.
Dans ce domaine, nous ne disposons pas de données aussi complètes qu'au niveau mondial, les entreprises étant souvent assez discrètes sur les chiffres réels de leurs effectifs pays par pays. Depuis l'entrée en vigueur de la directive européenne sur la transparence des multinationales (CSRD, aujourd'hui attaquée de toutes parts sous couvert de « simplification », voire notre article), la situation s'est un peu améliorée, de sorte que nous avons accès aux chiffres de 2024, et dans certains cas ceux de 2023.
| Nombre d'employés en 2023 (France) | Nombre d'employés en 2024 (France) | Variation | Part de l'emploi en France en 2024 | |
|---|---|---|---|---|
| Bouygues | 92 109 | 89 518 | -3 % | 45 % |
| Dassault Systèmes | 5 657 | 5 829 | +3 % | 23 % |
| Hermès | 13 723 | 15 556 | +13 % | 61 % |
| Kering | 4 801 | 4 731 | -1 % | 9 % |
| L'Oréal | 15 649 | 17 777 | +14 % | 19 % |
| LVMH | 39 351 | 39 856 | +1 % | 20 % |
| Michelin | ? | 20 839 | - | 16 % |
| Pernod-Ricard | ? | 2 981 | - | 16 % |
| Stellantis | ? | 39 797 | - | 16 % |
Premier constat : seul le groupe Hermès possède plus de la moitié de ses effectifs en France, Bouygues étant légèrement en dessous de ce seuil avec 45 % (sur un effectif total beaucoup plus important). Les autres « champions français » n'ont qu'entre 9 et 23 % de leurs employés dans l'Hexagone.
En termes de création d'emplois au niveau national, L'Oréal occupe la première place du classement, avec plus de 2 000 nouveaux employés déclarés entre 2023 et 2024. Une évolution comparable à celle d'Hermès (+13 %), mais loin devant LVMH et Kering, dont les effectifs nationaux n'ont sensiblement pas évolué entre 2023 et 2024.
La seule évolution notable à la baisse concerne le groupe Bouygues, qui a perdu près de 3 000 employés en France en 2024. Tous étaient salariés d'Equans, la filiale d'Engie rachetée en 2021, dont les syndicats craignaient justement que le rachat n'entraîne des suppressions de postes au sein de leur entreprise.
Pour mettre en perspective ces données, il faut les comparer aux dividendes versés par ces multinationales à leurs actionnaires en 2024. On peut prendre la mesure de leurs efforts réels en faveur de la création d'emploi en calculant le nombre de postes supplémentaires que ces entreprises auraient pu ouvrir en France avec cet argent, en prenant comme référence le coût total pour une entreprise d'un emploi au salaire moyen net français en 2024 (2 730 euros net par mois, soit environ 4 715 euros pour l'entreprise). Cette estimation, bien évidemment très imparfaite, n'en jette pas moins une lumière assez crue sur la contribution réelle des grandes fortunes à l'économie française et sur leurs vraies priorités.
| Dividendes et rachats d'actions en 2024 en M€ | Nombre d'emplois équivalents (France) | Nombre d'emplois effectivement créés (France) | Ratio | |
|---|---|---|---|---|
| Bouygues | 699 | 12 354 | -2 591 | - |
| Dassault Systèmes | 667 | 11 789 | 172 | 69 |
| Hermès | 2 618 | 46 270 | 1 822 | 25 |
| Kering | 1 713 | 30 275 | -70 | - |
| L'Oréal | 4 065 | 71 845 | 2 128 | 34 |
| LVMH | 6 837 | 120 838 | 505 | 239 |
| Michelin | 1 462 | 25 840 | ? | - |
| Pernod-Ricard | 1 524 | 26 935 | ? | - |
| Stellantis | 6 651 | 117 550 | ? | - |
Pour chaque euro consacré à créer de l'emploi, LVMH en a consacré 239 à rémunérer ses actionnaires.
Prenons l'exemple de LVMH. La multinationale a versé 6,8 milliards à ses actionnaires en 2024 sous forme de dividendes et de rachats d'actions. Une manne dont a principalement profité la famille Arnault. Avec cette somme, elle aurait pu créer près de 121 000 emplois en France. En 2024, elle en a en fait créé 505, soit 239 fois moins. Pour le dire autrement, pour chaque euro consacré à créer de l'emploi, LVMH en a consacré 239 à rémunérer ses actionnaires. L'Oréal aurait pu ouvrir 71 845 postes supplémentaires en France – 34 fois plus que les emplois que le groupe a effectivement créé en France en 2024 – plutôt que de verser plus de 4 milliards de dividendes à ses actionnaires. Chez Dassault Systèmes, le ratio est de 69, et chez Hermès (pourtant le groupe le plus ancré en France) de 25. Quant à Bouygues et Kering, ils ont consacré respectivement 700 millions et 1,7 milliard d'euros à leurs actionnaires tout en supprimant des emplois.
Il apparaît donc, à travers cette analyse, que les milliardaires et leurs familles ne sont pas les grands créateurs d'emplois que certains prétendent, mais avant tout des accumulateurs de dividendes. C'est précisément la part importante de ces revenus financiers, surtout lorsqu'ils sont logés dans des sociétés holding, qui leur permettent de jouir d'un taux de taxation global bien plus favorable que les classes moyennes ou supérieures. Si ces revenus étaient davantage taxés, ces groupes seraient-ils davantage incités à créer des emplois ?
En réalité, la priorité accordée aux dividendes et aux rachats d'actions semble l'un des seuls réels points communs entre les différents groupes que nous examinons ici. Les autres chiffres sur l'évolution des effectifs et la part de l'emploi en France reflètent des stratégies très divergentes selon les entreprises et selon les secteurs.
Ainsi, au-delà du cas de Stellantis, le secteur automobile dans son ensemble a perdu depuis longtemps son rôle de moteur de l'emploi en France. Le 23 septembre dernier, Les Échos révélaient que Stellantis comptait fermer temporairement six usines européennes, dont celle de Poissy, en Ile-de-France, qui emploie près de 2 000 personnes. Toutes ont été placées au chômage partiel pendant trois semaines. D'après ses propres documents, le groupe a supprimé 16 000 postes en Europe entre 2022 et 2024, sans préciser toutefois les pays concernés.
Les constructeurs automobiles français ont fait le choix depuis plusieurs dizaines d'années de délocaliser une partie de leur activité de production et d'assemblage dans des pays avec des niveaux de salaires plus faibles qu'en France.
En 2024, le constructeur automobile avait pourtant annoncé un plan d'investissement de plusieurs milliards de dollars en Amérique du Sud entre 2025 et 2030 pour développer une gamme de voiture « bio-hybride ». Un choix peu surprenant pour Vincent Vicard, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) et spécialiste des multinationales. Selon lui, les constructeurs automobiles français ont fait le choix depuis plusieurs dizaines d'années maintenant « de délocaliser une partie de leur activité de production et d'assemblage dans des pays avec des niveaux de salaires plus faibles qu'en France. Ce qui a conduit à une baisse de l'emploi automobile sur le sol français. »
« Ces délocalisations ont aussi entraîné le départ des fournisseurs de groupe, qui se sont rapprochés des usines d'assemblage installées un peu partout en Europe », ajoute Vincent Vicard. En novembre 2024, les groupes Michelin et ArcelorMittal ont annoncé des suppressions de postes en France, citant le contexte économique morose dans le secteur de l'automobile pour justifier leur décision.
La situation est bien différente dans le secteur du luxe, qui a connu plusieurs années de forte croissance et d'euphorie boursière, et dont une partie de l'activité de production a lieu sur le territoire français. « La marque Christian Dior par exemple, propriété de LVMH, emploie plus de la moitié de ses salariés sur le territoire national », détaille Vincent Vicard. À l'inverse, seuls 9 % des salariés de Kering sont employés en France, contre 61 % pour le groupe Hermès.
Entre les deux, les groupes LVMH et L'Oréal possèdent tous deux 20 % de leurs effectifs en France. Mais si L'Oréal a embauché plus de 2 000 personnes en 2024, LVMH compte supprimer environ 1 200 postes dans sa division vin et spiritueux (Moët et Chandon, Dom Pérignon, Ruinart…), comme le révélait L'Humanité en mai 2025. Soit près de 10 % des effectifs de la branche. Une annonce qui fait tâche pour Bernard Arnault, présenté comme un moteur de l'emploi en France par bon nombre de politiciens. Précisons que sa multinationale possède près de 60 000 emplois en Chine et 45 000 aux États-Unis, soit plus que les 40 000 emplois français de son groupe.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donAu final, les tendances que l'on peut observer dans les groupes de notre échantillon semblent liées à des réalités et des stratégies économiques qui ne sont pas directement liées à la présence ou non d'une grande fortune dans leur actionnariat. C'est ce que confirme à sa manière une étude de l'INSEE parue fin septembre. Elle montre que les grandes entreprises (GE) dont font partie les multinationales françaises, soient celles qui comptent plus de 5 000 salariés et possèdent un chiffre d'affaires supérieur à 1,5 milliard d'euros, ne sont pas du tout créatrices d'emplois en France. Entre 2012 et 2022, elles auraient supprimé environ 173 000 postes.
Entre 2012 et 2022, les grandes entreprises auraient supprimé environ 173 000 postes en France.
Sur la même période, les microentreprises, les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) ont créé en cumul 1,9 million d'emplois. Néanmoins, le nombre de personnes employées par des grandes entreprises a progressé sur la période étudiée, non pas du fait de création d'emplois, mais soit parce que des ETI ont passé le seuil des 5 000 salariés, soit, et c'est l'effet majeur, parce que ces grandes entreprises rachètent des ETI, ce qui fait de facto gonfler leurs effectifs.
Les grandes fortunes (et les grandes entreprises de manière générale) rachètent des entreprises plus petites plutôt qu'elles ne créent directement de l'emploi. La hausse des effectifs du groupe Bouygues après le rachat d'Equans ou la fusion entre PSA et Fiat-Chrysler en témoignent. Le groupe L'Oréal en est également un parfait exemple : entre 2010 et 2025, la multinationale a acheté 42 entreprises, dont aucune en France… Le groupe vient également d'acquérir plusieurs marques de Kering (Creed, Gucci, Balenciaga) pour environ quatre milliards d'euros. LVMH, de son côté, a acheté ou pris une participation majoritaire dans 21 entreprises sur la même période, dont 10 en France.
Reste une question : les emplois dépendant de ces grands groupes disparaîtraient-ils si les milliardaires venaient à quitter la France ? C'est l'un des arguments les plus avancés pour critiquer la taxe Zucman : taxer les milliardaires feraient disparaitre des emplois en France. Mais cette affirmation est largement contredite par une note du Conseil d'analyse économique (CAE) parue en juillet dernier. Dans celle-ci, les économistes s'interrogent sur les effets que pourraient provoquer l'exil fiscal de ménages à hauts revenus sur le tissu économique français si l'on venait à imposer fortement leurs fortunes. Leurs conclusions sont sans appel. Premièrement, une hausse de l'imposition sur les ménages les plus fortunés (les 1 % les plus riches) entraînerait le départ de 0,2 % d'entre eux. Deuxièmement : cet exil fiscal provoquerait une baisse de 0,036 % de la masse salariale française à long-terme (entre 15 et 20 ans).
Même en tenant compte du poids important des hauts patrimoines dans l'activité économique et entrepreneuriale, leur exil fiscal n'aurait qu'un impact marginal sur l'économie domestique.
Dans leur conclusion, les auteurs précisent que les effets d'une taxe incluant les revenus issus des biens professionnels, comme le propose Gabriel Zucman, « sont remarquablement similaires » à ceux qu'ils ont observés. Ainsi, « même en tenant compte du poids important des hauts patrimoines dans l'activité économique et entrepreneuriale », leur exil fiscal n'aurait qu'un impact « marginal » sur l'économie domestique.
Pour l'économiste Vincent Vicard, il ne faut également pas négliger l'ancrage des multinationales sur le territoire français. « Je pense qu'un certain nombre de multinationales, notamment celles du luxe, n'ont pas la possibilité de délocaliser leur système productif hors de France. Leurs activités de recherche et développement (R&D), de marketing, de communication, ainsi que leurs sièges sont implantés en France, et la plupart d'entre elles revendiquent cette nationalité française. »
Lier le départ d'un actionnaire à celui d'une multinationale évacue du débat toutes les problématiques de stratégies de production, mais aussi d'image. « La question de l'image d'une marque est fondamentale pour le secteur du luxe, note Vincent Vicard. Quand vous achetez un sac à plusieurs milliers d'euros, vous achetez d'abord de l'image, mais aussi une qualité de production. Ce qui rend les délocalisations plus compliquées dans ce secteur, notamment du fait du niveau de qualification de la main d'œuvre française. »
L'exode d'une multinationale de l'armement comme Dassault n'est pas envisageable non plus pour Vincent Vicard, « du fait de ses liens avec l'État français ». Ainsi, « théoriser la fuite de la production ou de certaines activités de multinationales hors de France à cause d'une hausse des taxes sur leurs propriétaires n'est pas pertinent », conclut l'économiste.
Les milliardaires possédant des multinationales françaises ont au premier abord un bilan plutôt positif en termes de création d'emploi au niveau mondial. Mais quantitativement, ces nouveaux emplois ne pèsent rien face aux sommes gigantesques qu'elles préfèrent verser à leurs actionnaires. Certaines d'entre elles suppriment des emplois en France, comme Bouygues ou Stellantis. Et lorsqu'elles en créent, c'est d'abord grâce à leur stratégie de concentration via le rachat d'entreprises déjà existantes, ce qui fait gonfler à court terme leurs effectifs.
S'opposer à une taxe sur les revenus financiers des milliardaires en dénonçant les probables conséquences sur l'emploi en France va également à rebours des réalités économiques. Bien d'autres facteurs pèsent sur l'ancrage des multinationales sur le territoire français, et le fait que leur actionnaire principal soit une grande fortune ou non semble bien moins important que les particularités sectorielles par exemple. À plus forte raison la taxation de leurs revenus non salariaux.
On pourrait même, à l'opposé, argumenter que les dispositifs fiscaux actuels incitent les grands actionnaires à privilégier les revenus financiers moins taxés et qu'introduire des mesures comme la taxe Zucman pourraient même avoir des effets bénéfiques pour l'économie réelle, au-delà des recettes supplémentaires pour l'État.
[1] Nous n'avons pas inclus les groupes du CAC40 contrôlés en partie par des grandes fortunes non françaises comme EssilorLuxottica et ArcelorMittal.