12.11.2025 à 11:54
Anne-Sophie Simpere
Impensable il y a quelques années, l'idée d'un moratoire sur les énergies renouvelables portée par les droites dures et quelques lobbys jusqu'ici marginaux semble faire son chemin jusqu'au plus haut de l'État. Contexte international, activisme anti-éoliennes, chambre d'écho médiatique, défense du nucléaire, intérêts d'EDF et des énergies fossiles... Plusieurs facteurs concourent à expliquer cette « étrange défaite » qui, en plus d'être nuisible pour le climat, ne fait pas beaucoup de sens (…)
- FAF40. Enquêtes sur l'extrême droite, les grandes fortunes et les milieux d'affaires / France, Lobbying et influence, Climat et greenwashing, EDF, TotalEnergies, nucléaire, énergies fossiles
Impensable il y a quelques années, l'idée d'un moratoire sur les énergies renouvelables portée par les droites dures et quelques lobbys jusqu'ici marginaux semble faire son chemin jusqu'au plus haut de l'État. Contexte international, activisme anti-éoliennes, chambre d'écho médiatique, défense du nucléaire, intérêts d'EDF et des énergies fossiles... Plusieurs facteurs concourent à expliquer cette « étrange défaite » qui, en plus d'être nuisible pour le climat, ne fait pas beaucoup de sens économiquement.
« Je suis contre les éoliennes, c'est immonde et ça ne marche pas », assenait Marine le Pen dès 2012. L'opposition du Front national, devenu Rassemblement national (RN) à l'éolien comme au solaire est loin d'être une nouveauté. Depuis des années, le parti réclame un moratoire sur ces deux types d'énergie, et en 2022, son « plan Marie Curie » table sur un mix essentiellement composé de nucléaire (70 à 80%), complété par un peu d'hydroélectricité et d'hydrogène.
Ce programme contraste avec les scénarios d'EDF ou RTE, qui n'imaginent pas de futur décarboné sans ces énergies renouvelables que l'extrême droite veut enterrer. Il contraste aussi avec le relatif consensus politique qui prévalait encore récemment sur le sujet, depuis le plan de développement des renouvelables de la présidence Sarkozy jusqu'à la loi sur l'accélération de la production d'énergies renouvelables de 2023. Un consensus qui existe toujours dans la population : la dernière étude de l'institut de sondages Ifop sur le sujet montre que 84 % des Françaises et Français interrogés ont une image positive des énergies renouvelables, y compris le solaire (89%) et l'éolien (78%). Le chiffre grimpe à 94 % chez les riverains d'installations.
Et pourtant, depuis quelques mois, l'extrême droite gagne des points dans cette bataille énergétique à contre-courant. En juin dernier, un amendement reprenant leur projet de moratoire sur tout nouveau projet éolien ou photovoltaïque est adopté par l'Assemblée nationale, avant d'être finalement rejeté lors du vote finale de la loi. Le mois suivant, trois cadres des Républicains – dont Bruno Retailleau – signent une tribune demandant l'arrêt de tout financement public aux renouvelables. À la rentrée, des rumeurs d'un moratoire sur l'éolien et le solaire dans un décret sur la Programmation pluriannuelle de l'énergie font surface, finalement démenties, mais sans que le texte final ait encore été publié. Et les professionnels des énergies renouvelables craignent de nouvelles attaques à l'occasion des débats budgétaires. Une hausse de la fiscalité sur l'énergie photovoltaïque est déjà dans les tuyaux.
Alors que les effets de la crise climatique sont de plus en plus visibles, comment expliquer que le narratif de l'extrême droite sur les énergies renouvelables gagne autant de terrain ? L'activisme de réseaux historiques influents, la polarisation politique, la chambre d'écho médiatique, mais aussi les contraintes économiques qui pèsent sur EDF, y ont chacun leur part.
Depuis des années en France, des associations comme la la Fédération environnement durable (FED) ou Vent de colère sont mobilisés contre les éoliennes, fournissant par exemple aux opposants des kits clés en main pour monter des collectifs et contester les projets. L'ingénieur en physique et chimie Jean-Louis Butré, fondateur de la FED qu'il préside depuis 2007, est une figure historique de ce mouvement. Il a travaillé pour le Commissariat à l'énergie atomique, le groupe chimique Rhône Poulenc, et a été patron de Procatalyse, une filiale de l'Institut français du pétrole spécialisée dans les catalyseurs pour les raffineries et les usines pétrochimiques. En 2024 encore, il est signataire d'une déclaration adressée à l'ONU intitulée « Il n'y a pas d'urgence climatique ».
« Il a beaucoup fait jouer ses réseaux interpersonnels, ses cercles et lieux de sociabilité. Par exemple, Valéry Giscard d'Estaing a longtemps été son voisin et il a préfacé l'un de ses livres », raconte Stéphanie Dechezelles, chercheuse en sociologie, qui a étudié les mobilisations anti-éoliennes en France. Elle mentionne ainsi des groupes de réflexions comme le collectif « Énergie et Vérité » ou le Groupe indépendant de réflexion sur l'Énergie (GIRE), composés de chefs d'entreprise et hauts fonctionnaires. On peut aussi citer un personnage comme Denis de Kergorlay, issu d'une ancienne famille aristocratique, président du Cercle de l'Union interalliés, club social très sélectif, et auteur d'un livre anti-éoliennes avec son cousin. C'est au sein de ce club que sera lancée la campagne de financement participatif du documentaire « Éoliennes, du rêve aux réalités », pamphlet à charge contre ces énergies. Pas forcément actifs de manière continue, ces cercles sont surtout des réseaux personnels et professionnels où la grande bourgeoisie opposée aux renouvelables se rencontre.
L'opposition aux projets de parcs éoliens est très différente entre le niveau local et national, prévient Stéphanie Dechezelles : « Au niveau local, ce n'est pas un groupe homogène, il y a des gens de divers bords politiques. J'ai vu des classes populaires comme des classes moyennes, des personnes en zone rurales qui peuvent se sentir délaissés par l'État et n'ont pas envie de voir s'installer des infrastructures dont ils ne vont pas utiliser l'électricité car elle partira en ville ou pour des industries… » À l'échelle nationale, les profils qu'elle rencontre sont plus uniformes : « Ce sont surtout des hommes, seniors, qui ont travaillé pour certains dans des entreprises du secteur de la pétrochimie, de la chimie ou des énergies fossiles, qui ont un niveau de revenu élevé. »
Pour la chercheuse, leur combat est lié à la défense d'intérêts économiques, mais aussi des enjeux identitaires. « Ils peuvent avoir une certaine idée de l'identité française, catholique, traditionnelle, qu'ils ont chevillée au corps et dont ils s'estiment les héritiers. Il y a eu de très grosses mobilisations contre des projets éoliens visibles depuis le Mont Saint-Michel ou qui altéreraient la vue de la cathédrale de Chartres, par exemple. »
Sans compter les intérêts patrimoniaux : si beaucoup de ces opposants habitent en Île-de-France, loin des projets auxquels qu'ils contestent, ils sont souvent propriétaires de résidences secondaires qui pourraient être impactées. L'engagement de Fabien Bouglé, figure médiatique des anti-éoliens, est né en 2008, quand il s'est rendu compte qu'un parc risquait d'être construit à 800 mètres de sa maison de campagne dans l'Orne. Au-delà des effets sur le paysage, il a mis en cause les conflits d'intérêt de plusieurs maires de la région, propriétaires de terres mises à la location pour l'implantation des turbines.
Ces mouvements qui existent depuis des années ont été récemment amplifiés par un effet de polarisation politique et de chambre d'écho médiatique. « La droite et l'extrême droite ont fait des attaques contre l'écologie un marqueur politique pour se démarquer de la gauche. Cela leur permet de dire qu'ils sont du côté des agriculteurs quand ils défendent les pesticides, ou des petits patrons quand ils s'en prennent aux régulations… et les éoliennes, c'est le truc le plus facile à attaquer, parce que face à l'argument du changement climatique, ils peuvent brandir le nucléaire », estime un lobbyiste du secteur des énergies renouvelables.
Le parcours de Fabien Bouglé confirme ce marquage politique. Juriste spécialisé en gestion de patrimoine, il est président fondateur de Saint Eloy Art Wealth Management, une société de conseil en gestion de patrimoine artistique, « service haut de gamme pour vos œuvres d'art ». Issu des rangs de la Manif pour tous, ce conseiller municipal versaillais divers droite se consacrait en 2016 à la lutte contre l'immigration. Aujourd'hui, il concentre son énergie sur son opposition aux éoliennes, pourtant absentes de sa commune. Il a produit trois ouvrages sur la question, et écume les plateaux de Cnews à France Info pour porter la parole anti-renouvelables, présenté comme expert en politique énergétique. Un domaine bien éloigné de sa formation en gestion de patrimoine, soulignent ses opposants, auxquels il rétorque (en réponse aux questions que nous lui avons adressées) que ses livres sur le sujet dont « des succès de librairie et régulièrement dans le top 100 des meilleurs ventes dans le thème énergie » et que, depuis 15 ans, aucun ministre responsable de la politique énergétique de la France n'a de formation d'ingénieur.
L'élu versaillais revendique de dialoguer avec l'ensemble du spectre politique en dehors d'EELV et LFI « ouvertement pro-éoliennes ». Ses contacts semblent surtout aller du centre-droit à l'extrême droite, avec une place prépondérante pour les Républicains : 42 participants sur 50 lors d'une conférence organisée en 2019 conjointement avec Contribuables associés, une association ayant des liens étroits avec les extrêmes droites (lire notre enquête). Favorable à ce qu'il appelle une « Union nationale énergétique », Fabien Bouglé échange aussi avec Marine le Pen et Eric Zemmour, qu'il aurait conseillé. Il est également intervenu à une conférence de Souveraine Tech, un site soutenu par le projet Périclès de Pierre-Édouard Stérin, et au très droitier Institut de formation politique d'Alexandre Pesey, inspiré par le réseau Atlas (lire notre enquête).
Figure médiatique plus récente de la lutte anti-renouvelables, l'écrivain Alexandre Jardin s'est mis à s'attaquer à l'éolien et au photovoltaïque après avoir mené une croisade contre les zones à faible émissions (ZFE) en revendiquant représenter les classes populaires ou, dans son langage, « les gueux », dont il semble pourtant très éloigné. Il était en revanche présent au « Sommet des libertés », rassemblement de la droite et de l'extrême droite organisé en juin dernier par les médias Bolloré, les réseaux de Pierre-Édouard Stérin et les think tanks issus de la galaxie Atlas (lire notre article).
Les discours radicaux d'un Fabien Bouglé ou d'un Alexandre Jardin trouvent porte grande ouverte dans les médias. Selon le dernier rapport de Quota Climat, les principaux narratifs de désinformation à la télévision et à la radio, sur le premier trimestre 2025, concernaient les énergies renouvelables, qu'il s'agisse de critiques sur leur coût, leur inutilité ou leurs risques environnementaux. Les médias privés représentent plus de 85 % des cas détectés par l'ONG, Sud Radio (propriété du milliardaire et patron de Fiducial Christian Latouche) et Cnews (propriété de Vincent Bolloré) en tête.
« Le problème, c'est qu'on a affaire à un flux constant d'informations saugrenues qu'il faut débunker, et ça prend du temps de le faire. Par exemple, quand ils nous sortent que les renouvelables vont coûter 300 milliards, on sait que le chiffre est fou, mais il faut comprendre où ils sont allés chercher un truc pareil pour pouvoir expliquer en quoi ça ne tient pas. À la fin, même Bayrou dit que c'est n'importe quoi, mais ils sont déjà passés à l'élément de langage suivant, en accusant les renouvelables d'être responsables du black out en Espagne », explique un lobbyiste du secteur des renouvelables. À ce jour, il n'y a pas de conclusions définitives sur les causes de ce black-out.
La presse écrite est également touchée. Début octobre, la société des journalistes (SDJ) du Figaro exprimait ses doutes sur la publication d'un article sur les impacts des « champs électromagnétiques » des éoliennes sur les élevages, appuyé par le diagnostic d'un géobiologue, discipline considérée comme une pseudoscience. La SDJ s'inquiétait plus largement des chiffres ou faits erronés sur les questions énergétiques publiés dans les pages « opinion » de leur média. Ces tribunes peuvent finir par être davantage mises en avant que le travail des journalistes, si elles génèrent plus de trafic via les réseaux sociaux.
La France est loin d'être le seul pays où les énergies solaires ou éoliennes sont attaquées de façon aussi virulente. Aux États-Unis, Donald Trump clame qu'elles sont beaucoup trop chères, « moches », et que les éoliennes offshore tuent les baleines, une affirmation du lobby anti-éolien outre-atlantique sans aucune base scientifique. Le président américain a bloqué de nombreux projets et a gelé les financements publics pour ces énergies dans sa « One Big, Beautiful Bill » – soit exactement ce que demandent LR et le RN en France.
Derrière ces décisions, il y a l'influence d'une multitude de think tanks et associations qui fournissent narratifs et argumentaires aux médias et aux décideurs politiques. « Aux États-Unis, en Australie, les fossiles sont derrière, c'est facile », commente Cédric Philibert, analyste dans le domaine de l'énergie et du climat et chercheur associé à l'Ifri. La fondation Shell USA a par exemple financé le Heartland Institute, un think tank climato-sceptique, ou la Heritage Foundation, qui a coordonné le « Project 2025 » dont l'un des objectifs principaux était de « libérer » l'exploitation du pétrole et du gaz (lire notre article).
En France, la situation est un peu différente. Des organisations liées au réseau Atlas (longtemps financé par les industriels du pétrole comme nous l'avons révélé), comme l'Ifrap, Contribuables associés, l'institut économique Molinari ou l'Iref alimentent les discours anti-éoliennes, principalement sur la base d'arguments économiques. Les profils de certains opposants historiques aux éoliennes montrent aussi une proximité avec l'industrie fossile ou pétrochimique, mais leur engagement reste principalement personnel.
De fait, cependant, une grande partie des opposants aux énergies renouvelables français semble avoir plutôt en tête la défense du nucléaire. C'est le cas d'organisations « historiques », comme la FED, ou de structures constituées plus récemment, comme l'association de défense du patrimoine nucléaire et du climat (PNC), fondée par Bernard Accoyer, ancien président LR de l'Assemblée nationale, en réaction à la fermeture de Fessenheim en 2020. Ou encore du Cérémé, qui propose un scénario énergétique basé à 80 % sur le nucléaire d'ici 2050, complété par de l'hydraulique et des énergies renouvelables thermiques (comme la géothermie ou le bois).
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donLe Cérémé a été créé par Xavier Moreno, polytechnicien et énarque, passé par Sanofi et Suez et fondateur de l'entreprise de capital investissement Astorg. Moreno est aussi président du Cercle Charles Gide, un cercle de protestants « engagées dans la vie économique, sociale ou culturelle » qui organise des dîners annuels où participent des ministres, voire le président de la République Emmanuel Macron pour l'édition 2021. Fortes de ces réseaux, ces associations pro-nucléaire et anti-éoliennes ne lésinent pas sur les actions de lobbying, avec un record de 300 000 à 400 000 euros de dépenses déclarées pour le Cérémé au cours de l'année 2020. Le think tank n'a pas répondu à nos questions sur son financement, mais sur son site, Xavier Moreno indique y consacrer une partie de sa fortune personnelle. Si leurs dépenses déclarées ont baissé depuis, ces associations restent très actives, à travers contributions écrites, campagnes publicitaires ou encore colloque au Sénat.
Le RN s'appuie, quant à lui, sur le scénario proposé par Les Voix du nucléaire, une association créée en 2018 pour « contribuer à la reconnaissance de l'énergie nucléaire comme essentielle à la transition énergétique bas carbone ». Ce scénario mise principalement sur l'atome complété par de l'hydraulique, les renouvelables intermittentes (solaire et éolien) étant incluses à titre transitoire, avant de décroître à partir de 2050. Maxime Amblard, ingénieur en physique nucléaire élu député RN en juillet 2024, a par exemple défendu un amendement en juin dernier qui reprenait précisément les propositions des Voix du nucléaire sur le déploiement de stations de transfert d'énergie par pompage (STEP).
Signe de la convergence de ces réseaux, le Cérémé a racheté l'été dernier le magazine Transitions & Energies avec Fabien Bouglé. Le titre appartenait à l'ancien propriétaire du journal d'extrême droite Minute. Fabien Bouglé nous a expliqué que cette acquisition a pour objectif d'accentuer leur influence et capacité d'information, et de corriger contre ce qu'il considère comme les « fake news » du lobby éolien. La Une du premier numéro publié après ce changement de direction affichait la couleur : « Éoliennes : la fin ? »
« Le moratoire [sur les énergies renouvelables] est un combat mené depuis des années en compagnie du Cérémé ou de la Fédération Environnement Durable. Nous disposons d'une agrégation des forces et d'une multiplication des rouages d'actions et d'influences », s'est félicité Fabien Bouglé en réponse à nos questions. L'activisme de ces différentes organisations et l'alignement avec des partis et médias de droite contribue certainement à faciliter la montée du narratif anti-renouvelables aujourd'hui. Mais pour que celui-ci commence à connaître une traduction politique concrète, un autre facteur est entré en jeu : la rentabilité d'EDF et le coût du nucléaire.
Il y a eu des périodes où la coexistence des éoliennes et panneaux solaires avec l'atome posait moins de problèmes. Ces dernières années, les renouvelables se sont révélées à la fois indispensables et lucratives. En 2022, alors que le début de la guerre en Ukraine mettait l'approvisionnement en gaz sous tension, la moitié des réacteurs français se retrouvaient à l'arrêt à cause d'un problème de corrosion sous contrainte. « Ils étaient bien contents d'avoir les renouvelables en 2022. Et puis ça a rapporté de l'argent, parce qu'avec la hausse des prix de l'énergie, les exploitants ont commencé à reverser un complément de rémunération à l'État », rappelle Cédric Philibert.
Mais cette période d'incertitude a aussi été accompagnée d'une injonction, suivie par la population, à consommer moins d'électricité. Résultat : au moment où les réacteurs ont redémarré, la consommation stagnait. « Avec la remise en route des réacteurs, on a un surplus d'électricité. On exporte ce qu'on peut mais c'est limité par l'interconnexion, le fait qu'il y a du soleil un peu partout au même moment en Europe, donc les besoins vont baisser au même moment. Donc quand on vend c'est pas toujours à bon prix. Il peut y avoir des heures à prix négatif », explique Cédric Philibert.
Une note du Haut commissaire à l'énergie atomique du 10 juillet dernier alerte sur cette surproduction et sur les limites techniques du parc nucléaire pour s'adapter en modulant la production. Le coût des prix négatifs crée des tensions dans une période où la santé financière d'EDF inquiète. Selon un récent rapport de la Cour des Comptes, l'endettement de l'entreprise publique s'élevait à 54,3 milliards d'euros fin 2024. Et l'électricien va faire face à un mur d'investissement, à la fois pour prolonger la durée de vie des centrales existantes (90 milliards d'euros) et pour construire de nouveaux réacteurs (environ 75 milliards pour les six EPR2 annoncés en 2021).
Dans ce contexte, la concurrence avec les renouvelables et le risque de surproduction qu'elles engendrent peuvent être perçus comme une menace. « Dans les politiques publiques, on craint une volonté de freiner les énergies renouvelables, car ça touche à la rentabilité du nucléaire », explique Bastien Cuq, chargé de plaidoyer Énergie au Réseau action climat. Lors de son audition devant le Parlement en avril dernier, Bernard Fontana, qui venait tout juste d'être nommé PDG d'EDF, s'est contenté d'annoncer le respect les engagements pris en terme d'éolien offshore, annonçant son intention de prendre de son « temps personnel » pour développer « une compréhension plus fine » de ces énergies. Ce qui ressemblait fort à un coup de frein.
« Pourtant, il y aurait un vrai besoin d'anticiper. Un parc éolien, ça met en moyenne sept ans à sortir de terre. Si on prévoit d'électrifier les transports dans les années à venir, il faut commencer à adapter la production maintenant, alerte Bastien Cuq. Il n'y a pas de scénario dans lequel on peut faire une transition énergétique sans éolien. Donc si on s'en passe, on va maintenir une place importante pour les énergies fossiles. »
Des grandes entreprises comme TotalEnergies ont pris une place importante dans le secteur du solaire et de l'éolien en France et au niveau mondial ces dernières années, mais leur modèle « multi-énergies » (mettant en avant un mix énergétique diversifié associant fossiles et renouvelables) ne les incite pas forcément à se mobiliser pour ces dernières. Tout dépend du poids relatif du solaire et de l'éolien dans leur portefeuille. Selon Greenpeace, en 2024, moins de 3 % de la production énergétique globale de TotalEnergies venait de ces énergies propres et 70 % de ses investissements allaient aux énergies fossiles. Le 29 septembre dernier, le groupe a même annoncé une baisse de ses investissements bas carbone dans le cadre d'un plan d'économies où les activités les plus rentables seraient privilégiées. La production de pétrole et de gaz devrait, elle, augmenter en moyenne de 3 % par an jusqu'en 2030. TotalEnergies a d'ailleurs annoncé qu'il quitterait le syndicat professionnel France Renouvelables pour, selon La Lettre, « rationaliser » ses dépenses de lobbying. Le média raconte que les dirigeants du groupe n'ont pas goûté, par exemple, une vidéo humoristique de France Renouvelables ciblant en cause les lobbyistes des énergies fossiles à l'occasion de la COP28...
Pourtant, le coup de frein sur les renouvelables serait un problème non seulement pour le climat, mais aussi pour l'industrie européenne et sa compétitivité, que nos dirigeants politiques et économiques affirment pourtant avoir à cœur. « On a une filière européenne de l'éolien. Aux États-Unis, les projets que Trump a mis à l'arrêt, c'étaient des turbines européennes. En Europe, les éoliennes qu'on installe sont européennes, pas chinoises. On a des champions comme Siemens-Gamesa, Vestas, et Ørsted, et en France on a aussi des usines de composants, de pales et nacelles d'éoliennes. Trump va les mettre en difficulté en misant exclusivement sur les hydrocarbures : il faudrait les soutenir chez nous. Sinon on va laisser le marché aux entreprises chinoises », explique Bastien Cuq.
Un cadeau à des entreprises étrangères qui ne cadre pas non plus avec le nationalisme affiché de l'extrême droite. Il est vrai qu'au printemps dernier, le député RN Maxime Amblard se disait déjà prêt à faire appel aux États-Unis et à la Corée pour faire appliquer son programme nucléaire, si EDF n'avait pas la capacité de construire des réacteurs au rythme envisagé. Pour tuer les éoliennes, l'extrême droite semble prête à s'affranchir de la préférence nationale.
Contactés pour cette enquête, le Cérémé, EDF et Alexandre Brezet (Le Figaro) n'ont pas répondu à nos questions.
Si vous souhaitez nous transmettre des informations, vous pouvez nous contacter à cette adresse : assimpere [at] multinationales.org.
12.11.2025 à 10:40
Après une série de conférences climat organisées dans des États pétroliers comme Dubaï ou l'Azerbaïdjan, la COP 30 qui s'ouvre au Brésil bénéficie de l'image positive du gouvernement Lula, qui a fait de la protection de la forêt amazonienne une priorité.
- COP30 au Brésil : diplomatie climatique et intérêts économiques
Après une série de conférences climat organisées dans des États pétroliers comme Dubaï ou l'Azerbaïdjan, la COP30 qui s'ouvre au Brésil bénéficie de l'image positive du gouvernement Lula, qui a fait de la protection de la forêt amazonienne une priorité. Mais l'annonce de forages pétroliers en Amazonie et la présence encore massive des multinationales, y compris du secteur des énergies fossiles, projettent une ombre négative sur l'événement, dans un contexte international déjà très défavorable.
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Photo : © UN Climate Change - Kiara Worth, licence cc by-nc-sa
12.11.2025 à 10:06
Olivier Petitjean
Le gouvernement français a accrédité Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, dans sa délégation officielle à la COP30, ainsi que d'autres dirigeants d'Engie, EDF ou encore Vinci. En contradiction totale avec son engagement affiché pour la fin des énergies polluantes. Un nouveau signe que les intérêts économiques des champions français ont la priorité sur la sauvegarde du climat.
« Make our Planet Great Again. » En 2017, après l'annonce du retrait des États-Unis de l'Accord de Paris par (…)
Le gouvernement français a accrédité Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergies, dans sa délégation officielle à la COP30, ainsi que d'autres dirigeants d'Engie, EDF ou encore Vinci. En contradiction totale avec son engagement affiché pour la fin des énergies polluantes. Un nouveau signe que les intérêts économiques des champions français ont la priorité sur la sauvegarde du climat.
« Make our Planet Great Again. » En 2017, après l'annonce du retrait des États-Unis de l'Accord de Paris par Donald Trump lors de son premier passage à la Maison Blanche, Emmanuel Macron, fraîchement élu, s'était posé en champion du climat sur la scène mondiale.
Huit ans plus tard, Donald Trump et son administration ne se contentent plus de se retirer unilatéralement de l'Accord : ils cherchent désormais activement à saper le processus de négociations multilatérales et la science climatique. Quant au président français, son goût pour les grands discours et les coups de comm' ne se dément pas. De passage au Brésil pour le sommet des chefs d'État précédent la COP30 de Belém, il a fustigé les « prophètes de désordre » qui s'attaquent aux scientifiques et a appelé la communauté internationale à « tenir ses engagements climatiques ».
Des propos qui peinent à convaincre au regard des vents contraires au niveau international mais aussi du bilan d'Emmanuel Macron en matière d'écologie en France. Le président a annoncé à Belém le soutien sous condition de la France au « Tropical Forest Forever Facility » (TFFF), le mécanisme financier soutenu par le Brésil et la Banque mondiale et censé financer la lutte contre la déforestation des forêts primaires tropicales. Pourtant la déforestation se poursuit au Guyane française, alors qu'elle a marqué un net recul au Brésil cette année, faute de mécanismes de protection concrets. Emmanuel Macron a réitéré l'engagement de la France pour la sortie du charbon au niveau international, mais son gouvernement n'a toujours pas réussi à fermer les deux centrales électriques françaises qui fonctionnent avec cette source d'énergie. Il s'est vanté des nouveaux objectifs climatiques sur laquelle se sont entendus in extremis les États membres de l'Union européenne, alors que la France a poussé jusqu'à la dernière minute pour obtenir des assouplissements, notamment en matière de possibilité de recourir à des « crédits carbone » pour masquer en partie l'absence de progrès réels. Puis il est parti poursuivre son voyage d'affaires au Mexique.
Emmanuel Macron a aussi réaffirmé son soutien à l'objectif de sortie des énergies fossiles, indispensable pour réduire véritablement les émissions de gaz à effet de serre. Mais quelques jours plus tard, on apprenait que la délégation officielle de la France à la COP30 comptait dans ses rangs plusieurs dirigeants de grandes multinationales françaises, dont ceux de TotalEnergies, major du pétrole et du gaz. Au-delà du symbole, c'est un nouveau signe que les intérêts économiques des champions français continuent à avoir la priorité, pour la diplomatie française, sur la sauvegarde du climat.
Depuis maintenant plus de dix ans, les conférences climat voient s'entremêler discours éloquents, négociations diplomatiques pointilleuses et événements promotionnels publics ou privés où les entreprises sont invitées à faire la promotion de leurs « solutions ». On y signe bien davantage de nouveaux contrats commerciaux que de nouveaux engagements diplomatiques concrets. Malgré l'absence hostile des États-Unis de Trump, la « COP de la mise en oeuvre » annoncée par le gouvernement brésilien semble bien partie pour se couler dans le même moule.
Parmi les événements organisés au Pavillon France de la COP30, plusieurs ont des visées commerciales à peine cachées.
L'action de la diplomatie française à Belém reflète cette dissonance. Côté pile, le gouvernement annonce son objectif de « renforcer le multilatéralisme » et « rehausser l'ambition climatique collective ». Côté face, ses représentants au Brésil et dans les agences chargées de la « diplomatie économique » s'activent depuis plusieurs mois pour faire la promotion des entreprises françaises. Le programme du « Pavillon France » à Belém en témoigne. Parmi de multiples événements valorisant l'expertise tricolore et la coopération scientifique ou culturelle entre France, Guyane française et Brésil, on en trouve plusieurs dont les visées commerciales sont à peine cachées.
Les champions nationaux Valeo, Vinci et Blablacar y invitent les délégués, par exemple, à une discussion sur la « mobilité verte » ce mercredi 12 novembre. Le géant français du sucre Tereos et la startup spécialisée dans le biochar Net Zero parleront le lendemain de « décarbonation des filières agricoles » avec l'agence de soutien à l'export Team France. Le vendredi, le Chambre de commerce France-Brésil, le Medef, et Entreprises pour l'environnement (le lobby du CAC40, président jusque récemment par Patrick Pouyanné de TotalEnergies qui est encore son vice-président) s'associeront à l'Ademe pour discuter de comment « intégrer climat, sobriété et biodiversité pour construire la résilience des chaînes de valeur et des territoires ». Quelques heures plus tard, Engie et Schneider Electric débattront de l'accélération de la transition énergétique. Le lendemain, ce sera le tour de la start-up Sweep (qui a accueilli en son sein l'ancien ministre Julien Denormandie), d'Alstom, d'EDF et encore de Schneider Electric.
Sans trop de surprise, les associations écologistes ou de justice sociale ne seront pas invitées à s'exprimer lors de ces événements pour apporter une perspective différente, où l'action climatique ne se résumerait pas à la signature de nouveaux contrats et l'ouverture de nouveaux marchés avec la bénédiction des pouvoirs publics. Cette mise en scène savamment conçue positionner les multinationales tricolores en sauveurs intéressés du climat contribue aussi à occulter une autre réalité, celle de la responsabilité d'entreprises françaises – parfois les mêmes – dans la crise climatique et plus particulièrement dans la destruction de l'Amazonie. Cette responsabilité a parfois été directe, comme dans le cas des grands barrages hydroélectriques construits dans la région par Engie et EDF, dont l'Observatoire des multinationales a abondamment parlé dans le passé (lire notre enquête Grands barrages : les entreprises françaises à l'assaut de l'Amazonie), mais elle est surtout indirecte, à travers leurs financements (pour une banque comme BNP Paribas) ou leurs chaînes d'approvisionnement (pour les groupes de grande distribution), comme vient de le rappeler utilement un article de Mediapart.
Après son passage éclair à Belém, Emmanuel Macron a ouvert la porte à l'accord UE-Mercosur, provoquant la fureur du monde agricole français.
Les entreprises françaises seront aussi mises en valeur dans le cadre de l'AgriZone, un pavillon spécialement organisé par l'Embrapa, agence de recherche agricole du Brésil, l'équivalent de l'INRAE en France. Se présentant comme une « vitrine majeure des technologies, des sciences et de la coopération internationale axées sur l'agriculture durable et la lutte contre la faim dans un contexte de changement climatique », l'ensemble des événements est sponsorisé par des multinationales comme Bayer, le fabricant du Roundup, Nestlé ou encore Tereos (ainsi que la fondation Gates). Il sera beaucoup question de technologies et de mécanismes de marché, et très peu de remise en cause du modèle agro-industriel internationalisé qui lie indirectement beaucoup de groupes français à l'exploitation des ressources amazoniennes (terres, bois, matières premières agricoles, énergies, minerais). Des liens qui expliquent peut-être qu'après son passage éclair à Belém, Emmanuel Macron ait changé de ton sur le projet d'accord UE-Mercosur, ouvrant la porte à son adoption et provoquant la fureur du monde agricole français.
Depuis quelques années, les ONG de la coalition « Kick Big Polluters Out » analysent la liste des participants accrédités aux conférences climat pour mettre en lumière la présence massive des représentants du secteur des énergies fossiles. L'année dernière en Azerbaïdjan, ils étaient 1773, 70 % de plus que le nombre combiné de représentants des dix pays les plus vulnérables au changement climatique. L'année d'avant à Dubaï, ils étaient 2456.
Petrobras, la puissante entreprise nationale du Brésil, projette une ombre significative sur la COP30
Les chiffres pour la COP de Belém ne sont pas encore connus, mais la présence de Petrobras, la puissante entreprise nationale du Brésil, projette déjà une ombre significative sur la conférence. Quelques jours à peine, son ouverture, elle a obtenu l'autorisation de lancer de nouveaux forages pétroliers au large de l'embouchure de l'Amazone, à quelques centaines de kilomètres des salles où se tient la conférence (lire COP30 : pourquoi le Brésil a autorisé des forages pétroliers au large de l'Amazonie).
Comme les éditions précédentes, la COP30 est sponsorisée par des grandes entreprises brésiliennes (ainsi que des constructeurs automobiles chinois et japonais). Ni Petrobras ni aucune représentante directe du secteur des énergies fossiles ne figure sur la liste, mais on y trouve, au premier rang, des grandes banques brésiliennes très impliquées dans le pétrole et le gaz, comme la banque publique BNDES ou Banco do Brasil.
Parce que le débat démocratique mérite mieux que la com' du CAC 40.
Faites un donEn 2023 à Dubaï, la France avait emmené dans sa délégation officielle à la COP le patron de TotalEnergies Patrick Pouyanné. Rien de tel en 2024 à Bakou, où la délégation française était de toute façon minimale en raison du froid diplomatique entre les deux pays. Le PDG du groupe pétrogazier avait été convié directement par la présidence azerbaïdjanaise. Plusieurs organisations de la société civile dont l'Observatoire des multinationales ont adressé il y a quelques jours, dans le cadre de la campagne Fossil Free Politics, une lettre ouverte à Emmanuel Macron et au gouvernement français demandant que la délégation officielle tricolore n'inclue pas à nouveaux de représentants du secteur des hydrocarbures.
Le groupe pétrogazier français était déjà totalement intégré aux initiatives de la diplomatie française autour de la COP.
Cette lettre était restée sans réponse... jusqu'à ce que l'on découvre la liste des participants. La délégation de la France inclut bien, comme à Dubaï, Patrick Pouyanné et d'autres cadres de TotalEnergies, ainsi que des dirigeants d'Engie, EDF ou encore Vinci. Tous sont accrédités au titre du « party overflow », c'est-à-dire qu'ils ont accès à tous les espaces de la conférence. Ils n'ont simplement pas le droit d'y parler au nom de la France (lire les explications de Mediapart).
Le groupe pétrogazier français était déjà totalement intégré aux initiatives de la diplomatie française autour de la COP. Sponsor de la saison culturelle France-Brésil, il était aussi présent au colloque économique franco-brésilien sur la transition énergétique organisé début novembre à Rio . Patrick Pouyanné était présent lors de la réunion avec les PDG français organisée à l'occasion de la visite de Lula à Paris en juin dernier. Partenaire stratégique de Petrobras associé à l'exploitation des immenses gisements offshore du « pre-sal », impliqué également dans le secteur des renouvelables depuis le rachat partiel de l'entreprise Casa dos Ventos, TotalEnergies est comme dans beaucoup d'autres pays un poids lourd des intérêts français au Brésil.
En phase avec l'air du temps, les PDG des majors pétrolières et des multinationales occidentales en général seront plutôt discrets au Brésil cette année. Le patron d'ExxonMobil, qui a participé à des événements à São Paulo en amont de la COP, a accordé à cette occasion un entretien au Financial Times annonçant un ralentissement de ses investissements dans les énergies renouvelables. De son côté, TotalEnergies est devenu en pleine COP30 opérateur d'un nouveau champ pétrolier offshore au large de la Guyana, là encore non loin de Belém.
TotalEnergies a publié il y a quelques jours son nouveau rapport sur l'évolution du système énergétique mondial, annonçant que le maintien du réchauffement des températures en deçà de 2°C était désormais hors de portée et que la demande de pétrole continuerait à augmenter dans les années à venir. La faute à la « fracturation géopolitique » et à l'absence de « coordination internationale ». Une impuissance que le choix de laisser grande ouverte les portes des conférences climat aux lobbyistes des multinationales n'aura fait qu'aggraver.