
16.12.2025 à 11:23
Frédérique Cassegrain
Depuis de nombreuses années et aujourd’hui un peu partout dans les territoires des musicien·nes et collecteur·ices sillonnent villes et campagnes, le micro tendu vers les habitant·es de différents territoires. Pour beaucoup, cette quête offre une source d’inspiration et une manière de valoriser un patrimoine oral local. Les musiques transmises dans l’intimité d’une cuisine peuvent-elles être triturées et transposées à d’autres contextes musicaux, au point parfois d’en devenir méconnaissables ? Comment rester fidèle à une parole donnée tout en nourrissant la créativité ?
L’article Du collectage à la création musicale : questions de loyautés et liberté d’inventer est apparu en premier sur Observatoire des politiques culturelles.

Dans les travaux de collectage, le rapport au contexte est toujours important ; il est donc essentiel de donner la parole aux personnes qui collectent ces récits. Ces derniers sont utilisés ensuite par les acteurs et actrices de la création artistique qui les donnent en partage au public.
Inspiré du Monde des vaincus de Nuto Revelli – qui fait s’exprimer les paysans piémontais – Philippe Hanus a effectué un travail sur les outsiders, les subalternes, les voix minoritaires. Il s’agit pour tous deux de donner la mémoire en partage autrement. Au sein des possibilités de se nourrir d’éléments mémoriels afin de les réactualiser, de leur donner une autre forme d’intelligibilité qui ne serait pas, comme au XIXe siècle, celle de l’ailleurs radical, la question du détournement, du rapt, est centrale. En effet, la notion d’héritage ne convoque pas l’idée de reproduction du même – loin de là ; des transformations ont bien lieu au fil du temps produisantun corpus de chants en devenir. Les accents, les patois, les dialectes peuvent féconder aujourd’hui les imaginaires de nos contemporains contre les faiseurs d’opinions cimentant des identités. Il est, par conséquent, primordial de penser des identités plurielles – notamment, à l’ère du marketing territorial qui fabrique des imageries très codifiées. La loyauté, la liberté d’inventer grâce à des enregistrements relèvent d’approches idiosyncrasiques très personnelles qui ne nient pas pour autant les auteurs et autrices de ces traces orales. Aller chercher des imaginaires au présent permet ainsi d’éviter le piège nostalgique de la patrimonialisation – l’écueil du « c’était mieux avant » – pour privilégier le patrimoine à l’aune d’un rapport social dynamique, avec du dissensus, et pas seulement comme un donné historique.
Alice Joisten, spécialiste des croyances populaires de la Savoie et du Dauphiné, contribue grandement à la reconnaissance du travail de son mari. Ce dernier, qui a commencé sa collecte de la tradition orale dans les Hautes-Alpes, entre les années cinquante et les années soixante-dix, ne dispose pas de magnétophone. L’on ne possède donc pour les premières chansons collectées que des paroles. Charles Joisten s’intéresse depuis sa prime enfance aux contes ; une fois adolescent, il se prend de passion pour les contes folkloriques. À quinze ans, lui tombe dans les mains un ouvrage de Van Gennep : Le folklore des Hautes-Alpes. Le monde traditionnel et ses fêtes calendaires attirent d’emblée son attention ; il va dès lors dans les alentours de Gap à la recherche de ce monde.
Il s’intéresse de près aux coutumes, recueille toutes sortes de traditions orales, des contes et surtout des récits sur des personnages fantastiques (esprits domestiques, êtres sauvages, revenants, diable…). Il se consacre par la suite à ces récits légendaires et plus marginalement recueille des chansons. Il a ensuite étendu ses recherches à la Drôme, l’Isère, la Savoie et est devenu conservateur au Musée Dauphinois. À l’époque des collectages de Charles Joisten, les paysans avaient une autre vision de la vie moderne ; ils et elles étaient complexés par rapport à la ville, à la science. La transmission n’avait alors plus cours dans les familles qui étaient en rupture avec les traditions – « les vieux ayant peur que les jeunes se moquent d’eux » déclare Alice Joisten qui décrit le travail de son mari comme une œuvre de « sauvetage ».
Elsa Lambey s’est spécialisée dans les chants traditionnels bourguignons – elle a eu un déclic grâce au fonds extrêmement riche de la Maison du Patrimoine Oral de Bourgogne. Elle a donc effectué plusieurs terrains dans le Morvan. Son premier projet pour un lycée agricole s’articule autour du lien entre la musique et le travail à travers les chants de labour. Sa curiosité l’amène de découverte en découverte jusqu’à une conférence qu’elle nomme : Comment chanter comme les casseroles de ta grand-mère ? La vision du collectage qu’Elsa Lambey véhicule s’éloigne de la logique patrimoniale dans le sens d’archiver le réel :« conserver, c’est garder le même ; sauvegarder, c’est garder vivant. » Elle cherche ainsi dans la création à transcrire, à traduire musicalement l’émotion suscitée, ce qui touche. Sa loyauté au matériau initial se situe dans ce lien sensible.
Elle prend l’exemple du chanteur Francis Michaud dont l’interprétation est empreinte d’une forte modalité et dont les intervalles ne sont pas reproductibles au piano. Comment dès lors l’interpréter musicalement ? Elsa Lambey répond que « le jazz va aller chercher dans les structures un peu brutes, entre les notes, sans chercher à faire comme lui car c’est impossible ». Elle rappelle par ailleurs le sujet majeur de ses chansons : celui de « la virginité, très présente dans toutes les familles et donc dans les chansons ». L’espace entre la norme et la marge d’innovation est grand dans une culture loin des radars où la parole libre revêt une importance qu’il est nécessaire de faire entendre. Afin de mettre en acte ses paroles, Elsa Lambey termine son intervention en proposant à toutes les personnes présentes dans la salle de chanter un chant de mai collecté à Saint-Marcellin.
Carole Joffrin s’est elle aussi spécialisée dans les chants de Bourgogne et de Haute-Loire. En analysant mille cinq cents chants, elle a produit La savoureuse irrévérence des chants paysans. Elle travaille actuellement sur un projet avec des personnes âgées dans l’ambition de les relier au territoire, à l’histoire de leurs familles et ainsi redynamiser les veillées dans le sud du Vercors.
Elle vit depuis dix ans dans la Drôme, territoire totalement inconnu à son arrivée. Sa curiosité se porte sur les enjeux conjoints de patrimoine et matrimoine. À cet effet, elle s’empare d’un répertoire de chants de femmes qui parlent d’histoires intimes, les mêmes que les femmes de sa famille ont vécues. Son attention se porte sur les chants du quotidien, les complaintes et balades a capella qui permettent d’observer les transformations radicales des modes de vie. Sa vision ne se propose pas d’être représentative d’une certaine musique traditionnelle ; elle n’est pas contraire aux notions de légitimité ou de fidélité à la tradition mais elle y associe celle de loyauté : « la tradition orale a toujours évolué en fonction des gens qui s’en emparent. »
Sa référence principale pour le Vercors est Marguerite Gauthier-Villars. Ses propres outils de traduction sont le chant, le oud et le cajon avec lesquels elle s’autorise des ornementations. Le oud permet en effet de jouer avec la notion de musique modale propre aux collectages. Avec la restitution de ces derniers, l’enjeu est de les refaire circuler pour redonner du sens à l’environnement qui nous entoure aujourd’hui. Les collectages sur la vie quotidienne, les contes, les légendes revêtent alors des formes davantage théâtrales. Les dispositifs en cercle font circuler la parole, refont jaillir des souvenirs. Le passé peut ainsi soulever une charge émotionnelle vive liée à des tabous dans les villages – qu’il s’agisse du refus des femmes à se marier, d’amours clandestines entre catholiques et protestants, d’infanticides, de harcèlement ou encore de dénonciations pendant la guerre. La vigilance reste donc de mise dans l’évocation du passé tout en soulignant la poésie de ce qui résonne en nous au présent. Carole Joffrin souligne néanmoins que la liberté de ton que s’octroie tout artiste est relative à son positionnement ; elle cite l’exemple d’Évelyne Girardon dont les choix politiques parfaitement assumés l’amènent à adopter un langage cru. L’enjeu réside dans l’usage du matériau collecté : « on peut tout raconter mais il faut savoir où on se situe. Il ne s’agit pas forcément d’effacer ou de taire le patriarcat mais de le raconter, de savoir se placer pour mieux le présenter. »
Grâce à la plateforme participative INFRASONS, Patrick Reboud se propose de valoriser les patrimoines sonores d’Auvergne Rhône-Alpes. Familier des expériences de médiation et des dispositifs in situ – notamment avec Mustradem – il crée, à partir d’une pratique de collectage et de transmission, du spectacle participatif avec des publics amateurs.
Au sein du matériau oral collecté, l’enjeu est pour lui « d’accepter les “ accidents ”, les accents, les bruits parasites voire de les valoriser – au-delà de la mémoire et du message porté ». La notion de vérité est toute relative ; ce qui l’amène à la question suivante : « cherche-t-on à inscrire un absolu dans le temps ou à énoncer une vérité, donnée à un moment, par une personne particulière ? ». Face à l’existence d’un matériau labile, nourrissant et divers, la pratique du collectage de Patrick Reboud est très éloignée d’une stricte sauvegarde historique. Au cœur de son processus, il ne s’agit pas de traduire – « traduire c’est trahir » – ni de transmettre mais bel et bien de faire naître, d’utiliser le collectage pour faire émerger la parole d’une personne qui ignore que ce qu’elle a à dire est intéressant à entendre par d’autres.
En prônant la diversité culturelle comme une richesse, en favorisant son usage collectif comme quelque chose de vivant, le collectage devient un outil qui aide à la valorisation des artistes et de tous les humains. Point de départ pour faire valoir son identité propre, le collectage crée du lien social. L’initiative artistique, en tant que catalyseur ou médium, favorise en effet les conditions d’un moment partagé, fédère les individualités et laisse la place à l’expression sensible d’humains qui ont tous besoin de se reconnaître. Dans ce maillage de résonances, dans leur interprétation, les artistes restituent du sensible et se situent irrésistiblement du côté des passerelles en évacuant toute idée de purisme et de reproduction d’un répertoire patrimonial. Par conséquent, la création musicale basée sur le collectage apparaît comme un procédé éminemment actuel qui nécessite en permanence de se réinventer.
Au cours de la discussion, le géographe et anthropologue Martin de la Soudière est évoqué avec la notion d’arpentage et son article paru dans la revue Ruralia : « De l’esprit de clocher à l’esprit de terroir. » L’accent est mis sur l’inventivité des territoires et l’existence de motifs atemporels qui continuent de résonner en-dehors du cadre. Dans le patrimoine traditionnel, les créateurs sont face à des musiques à trous. L’artiste doit alors trouver une position adéquate entre interprète et inventeur ; que l’on change ou non les chants, la légitimité est totale mais la symbolique doit avoir un sens.
Dans le public, est mentionné le fait que la transmission et l’enseignement ne se sont jamais arrêtés dans les musiques classiques alors que, dans les musiques traditionnelles, les questions de légitimité se posent et se reposent en permanence. En contrepoint, une réaction souligne la même potentielle rigidité que l’on peut retrouver dans les bals trad’ « où il ne faut pas changer les pas d’un iota » et la vigilance à garder pour ne pas figer les ethos des musiques classiques et traditionnelles. Jean-Louis Murat et Anne Sylvestre, eux, font partie de celles et ceux qui brisent les dichotomies entre musique populaire et musique traditionnelle. Afin d’éviter le danger permanent de la mise sous cloche, un continuum est à privilégier au cœur d’un espace dialogique entre hier et aujourd’hui.
Eric Desgrugillers de l’AMTA (Agence des Musiques des Territoires d’Auvergne) saisit la question de la restitution des archives sonores et rappelle que la représentation que l’on a aujourd’hui de la tradition orale est biaisée pour l’unique bonne raison qu’il est impossible de ne pas y infuser sa propre singularité. Bien au-delà de l’imitation, les chanteur, musiciens et conteurs mobilisent de vrais savoir-faire dans l’appropriation d’un répertoire – ces derniers relevant de véritables choix politiques en réaction aux musiques mainstream. Le contenu des chansons présente, par ailleurs, une telle pluralité de significations que le fonds musical traditionnel s’avère inépuisable pour exprimer ce qui nous mobilise et meut intérieurement. Carole Joffrin parle de « millefeuille de sens » ; Philippe Hanus de « trésor aux forces telluriques et au background païen ».
Un des questionnements qui émerge lors de la discussion avec le public est celui de la définition de la valorisation. Comment l’appréhender ? À cette question, pas de réponse univoque mais un large spectre de manières de procéder dans des mondes multiples. Il est, par exemple, important de s’attacher à ce qui a animé les créateurs et créatrices de chansons et d’airs au moment de leur production – en observant le langage du corps au-delà même du sens des paroles.
Il existe, aujourd’hui, une formation au collectage organisée par le CMTRA ; de plus en plus de demandes sont faites de la part d’artistes mais également de professeurs de conservatoires qui s’intéressent désormais à cette dimension.
Une musicienne bolivienne intervient sur le devoir, en tant qu’artiste, de s’informer sur les origines et significations des répertoires traditionnels interprétés : « avant de choisir de les reprendre et de les modifier, avant même de savoir pourquoi on le fait, il s’agit de les connaître ». Elle s’interroge également sur la fracture potentielle qui pourrait expliquer que dans l’histoire française des musiques vivantes soient devenues l’objet de collectages : « Une politique d’éducation a-t-elle rendu national un répertoire de village ? » La réponse d’Alice Joisten est la suivante : « autrefois, on chantait beaucoup dans les familles, dans les villages, avec les fêtes et les conscrits. Aujourd’hui, toutes les occasions de se réunir et de chanter ont disparu et les chants avec. Mais le désir est encore vivant d’avoir une pratique sociale instrumentale, au sein de petits groupes ou de fanfares, ou de chanter dans une chorale ».
La réponse de Philippe Hanus, elle, a trait au modèle français d’un État centralisateur qui a institutionnalisé la culture – au point de la dévitaliser – en instrumentalisant les répertoires régionaux au service de la construction du national.
Le présent article est le compte-rendu d’une discussion axée sur la création musicale en prise avec des enjeux de fidélité à des archives, s’inscrivant dans le cadre du cinquième grand rendez-vous professionnel dédié aux musiques du monde, organisé par le CMTRA en partenariat avec les Détours de Babel, la FAMDT, Zone Franche et plusieurs structures iséroises (décembre 2023).
Avec :
– Elsa Lambey, flûtiste et chanteuse, membre de « La Mentoure » et de « Carrouge »
– Carole Joffrin, chanteuse et conteuse, membre du duo Les Hauts Talons d’Achille
– Alice Joisten, continuatrice des travaux du collecteur Charles Joisten sur les traditions orales, spécialiste des croyances populaires de la Savoie et du Dauphiné
– Patrick Reboud, musicien, compositeur, membre de plusieurs créations de Mustradem et de Bande Passante quartet
Animé par Philippe Hanus, historien, coordinateur de l’ethnopôle du CPA
Créé en 1991, le Centre des Musiques Traditionnelles Rhône-Alpes (CMTRA) est une association qui œuvre à connaissance et à la valorisation des traditions musicales et des patrimoines culturels immatériels de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Structure pionnière dans la reconnaissance des musiques de l’immigration, le CMTRA est à l’écoute de la diversité culturelle des territoires ruraux et urbains et participe à la mise en œuvre des droits culturels. Labellisé « Ethnopôle » par le Ministère de la Culture, c’est également un pôle de médiation scientifique, de ressources documentaires et de recherches collaboratives sur le thème « Musiques, Territoires, Interculturalités ».
Retrouvez ici les actes complets de ces journées rédigés par Sandrine Le Coz.
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11.12.2025 à 11:00
Frédérique Cassegrain
De plus en plus d’artistes choisissent d’organiser leur tournée en mode doux (à pied, à vélo, en roulotte ou en bateau). Un engagement écologique qui se double d’une réflexion critique sur les modèles productivistes traditionnels du spectacle vivant. Mais malgré l’essor remarquable des arts itinérants, une série de verrous structurels en freinent encore la diffusion et la pérennisation, ainsi que l’analysent les chercheurs du projet DEDALE (alternatives culturelles et créatives).
L’article Accélérer en décélérant ! Transformation écologique de la culture par les arts à mode doux est apparu en premier sur Observatoire des politiques culturelles.

La mobilité, et plus spécifiquement l’itinérance, connaît un regain d’intérêt dans la sphère culturelle tant du côté des acteurs que des politiques publiques. Depuis 2018, elle a été reconnue comme une priorité à travers le plan « Culture près de chez vous » Voir un résumé du plan d’action pour l’itinérance « Culture près de chez vous »., puis intégrée dans les orientations du programme France Ruralités Voir le Guide à destination des acteurs de la ruralité., et confirmée au sein des recommandations du Printemps de la ruralité, tout cela attestant de son ancrage croissant dans la cohésion territoriale des politiques culturelles Voir le dossier de presse Printemps de la ruralité : résultats de la concertation et annonce du Plan culture et ruralité..
Cependant, si elle est souvent abordée au prisme de la proximité ou de l’innovation artistique Cl. Delfosse, « Les ruralités, un ailleurs de l’innovation culturelle ? », Observatoire des politiques culturelles, hiver 2024., l’itinérance offre aussi une occasion de repenser les enjeux écologiques du secteur culturel Les enjeux de territorialisation de la culture, de transition écologique et de décarbonation des mobilités et des filières industrielles sont au cœur de la stratégie d’accélération des industries culturelles et créatives (ICC) portée par le plan France 2030. Celle-ci vise à soutenir les transitions écologique et numérique du secteur culturel, en développant l’innovation, la recherche et l’expérimentation à l’échelle nationale. Le programme de recherche ICCARE, Industries culturelles et créatives s’inscrit dans ce cadre et réunit chercheurs et acteurs culturels pour analyser les transformations en cours et accompagner les changements structurels du secteur.. Tandis que le déplacement des publics, par exemple dans les festivals, est aujourd’hui identifié comme l’un des premiers postes d’émission carbone The Shift Project, Décarbonons la culture ! Dans le cadre du Plan de transformation de l’économie française, Rapport final, novembre 2021., venant questionner une mobilité à la fois nécessaire et problématique, cette réflexion s’élargit à celle des artistes eux-mêmes. Ils sont, en effet, de plus en plus nombreux à choisir des modes de déplacement doux – à pied, à vélo, en roulotte ou en bateau – redéfinissant ainsi les modalités de production, de rencontres et de circulation des œuvres. Des tournées artistiques structurées en étapes programmées aux formats déambulatoires plus spontanés, la plupart des artistes rencontrés pour notre enquête adoptent des modes de déplacement sobres plus ou moins fréquemment. Ce qui les réunit, au cœur de leur diversité, est un désir affirmé de se déplacer autrement, selon des principes de sobriété, de respect du vivant et d’attention aux territoires traversés. À travers leur engagement, ils font de ce mode non seulement un choix écologique, mais aussi un cadre de réflexion critique et une proposition alternative aux modèles productivistes traditionnels du spectacle vivant.
Le projet DEDALE Le projet DEDALE (alternatives culturelles et créatives) a pour objectif d’identifier les ressources culturelles alternatives et de documenter les expérimentations aux marges de l’industrie, afin d’éclairer les leviers d’une transition durable, inclusive et territorialisée., au sein du programme de recherche Industries culturelles et créatives (PEPR ICCARE), propose d’explorer simultanément ce que permettent les pratiques artistiques en « mode doux », sur les plans artistique et territorial, ainsi que les limites qui en freinent la généralisation. L’objectif est de mettre en lumière les ressources inédites que ces expérimentations construisent aux marges du secteur, en intégrant des problématiques liées aux mutations écologique, sociale et territoriale. Cette enquête porte ainsi sur l’ensemble des pratiques artistiques en mobilité douce : tournées, déambulations, parades ou longs périples – autant de formes réinventées d’habiter, de créer et de relier les territoires.
Sur le terrain, la mobilité douce se distingue par sa capacité à renforcer les réseaux locaux, particulièrement en milieu rural où elle favorise la création de chaînes d’interconnexion entre habitants et artistes. Le témoignage de T., 31 ans, qui tracte sa roulotte à vélo – dans laquelle il vit depuis plus de deux ans –, illustre cette logique : sans préavis ni contrat, il mise sur l’improvisation et le bouche-à-oreille, tissant au fil des rencontres une toile de relations informelles et vivantes.
Les artistes défendent ainsi une esthétique de la lenteur et de l’échange, comme l’exprime O., une comédienne de 33 ans : « prendre le temps de prendre le temps » est essentiel pour inscrire autrement la création dans le territoire. Ce rythme permet de créer des espaces de respiration dans lesquels la dimension humaine prime sur la productivité, faisant du temps long une ressource pour l’expérimentation artistique et le lien au public.
Pratiquée en mode doux, l’itinérance renforce un processus créatif partant de l’« immersion [jusqu’]à l’infusion S. Frioux, « L’itinérance artistique en milieu rural : Le territoire comme terrain de jeu », Pour, 2015, p. 159-165. » dans les territoires, où la présence prolongée de l’artiste favorise la perméabilité aux dynamiques locales : rencontres, repas partagés et échanges informels.
Chemin faisant, la création s’enrichit au contact des paysages traversés, des échanges spontanés et des imprévus inhérents au voyage ; elle y puise une matière sensible, renouvelée à chaque étape. Le public, loin d’occuper une place passive, devient hôte, voire partenaire de jeu : une dynamique relationnelle qui redéfinit la nature même du spectacle.
Cette temporalité fait également émerger d’autres enjeux, notamment sur la parentalité. Pour éviter des séparations trop longues, certains artistes effectuent leurs tournées accompagnés de leurs enfants, la présence familiale devenant alors un « outil de médiation supplémentaire » qui, comme l’explique M., permet de « désacraliser un peu la place de l’artiste ». Cette dimension soulève toutefois des questions complexes, à la fois pratiques et juridiques (qui finance les déplacements des enfants ? Comment articuler exigences professionnelles et besoins familiaux ?), tout comme elle offre une conception nouvelle de la création indissociable d’un mode de vie en famille.
La mobilité douce transforme aussi le format même des œuvres : spectacles courts, dramaturgies et scénographies souples, adaptables à des lieux très divers, du plein air aux fermes ou refuges. De même qu’elle redéfinit le rôle de l’artiste et l’élargissement de ses compétences. De nouveaux savoir-faire (mécanique vélo, menuiserie, soudure, électricité mobile) deviennent nécessaires, étendant le répertoire professionnel au-delà de la seule création : l’artiste se fait logisticien, concepteur, médiateur et technicien adaptable. La polyvalence, déjà caractéristique du régime d’activité « ordinaire » des artistes M.-C. Bureau, M. Perrenoud et R. Shapiro (dir.), L’Artiste pluriel : démultiplier l’activité pour vivre de son art, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2009., est amplifiée ici et incarnée dans de nouveaux métiers, par exemple celui de « régisseur cycle » dans le cadre du festival Les Furtives, popularisé à Bordeaux par le Slowfest. Le recours à des véhicules non motorisés libère une plus grande autonomie logistique et inspire l’innovation, notamment via des collaborations avec des structures comme Véloma qui conçoivent, en open source, du matériel adapté à l’itinérance (remorques scéniques, dispositifs pliables, etc.). Cette dynamique s’appuie donc sur un réseau d’interconnexions affinitaires : CITI, Armodo Le réseau européen Armodo se distingue par une volonté explicite de faire du « mode doux » un cadre commun d’analyse et un levier critique face aux modèles dominants et productivistes du spectacle, visant à « bouleverser radicalement les pratiques artistiques ». Pour le collectif, le mode doux recouvre quatre dimensions indissociables : la mobilité à faible impact, le respect du vivant (équipes, animaux, écosystèmes), l’« infusion » dans les territoires parcourus (en adéquation au rythme de vie des populations et leurs pratiques locales), et une consommation sobre (dans la production, l’alimentation, les matériaux, l’énergie). Pour aller plus loin sur la conceptualisation des « arts à modes doux » proposée par le réseau, voir leur manifeste. ou Véloma. Les artistes à mode doux échangent outils et pratiques, donnant naissance à des formes adaptées de gouvernance – statuts juridiques rédigés collectivement, cartographies collaboratives, mutualisation de matériel et transmission de fiches techniques. L’autogestion et la recherche d’équité structurent les rencontres du réseau : chaque personne investit la répartition des tâches, l’organisation logistique, la décision commune et la transmission dans une perspective horizontale et transparente.
Cette horizontalité puise à la fois dans des trajectoires artistiques, militantes et associatives, révélant une forte perméabilité aux mondes engagés dans la transition écologique et sociale. L’implication dans des collectifs comme l’association Droit au vélo (ADAV), Le Réseau des arts vivants (RAVIV), la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB), Arts vivants, arts durables (ARVIVA) ou Rue de l’avenir illustre concrètement la dimension politique de la mobilité douce : coconstruction d’itinéraires, soutien logistique, promotion de déplacements alternatifs. Ainsi devient-elle à la fois pratique de création et projet politique à part entière, nourrie par une circulation féconde entre milieux culturels, associatifs et d’éducation populaire.
Si les arts itinérants engagés dans la mobilité douce connaissent un essor remarquable, l’enthousiasme de leurs initiateurs se heurte à une série de verrous structurels qui en freinent la diffusion et la pérennisation.
Un premier type de verrous est d’ordre administratif et économique. Les spectacles prennent en effet souvent place en dehors des circuits conventionnels de diffusion culturelle, dans des lieux ni labellisés, ni équipés, parfois éloignés des programmations institutionnelles. De ce fait, leur position dans le champ culturel se situe dans une zone grise, à la fois économique et statutaire – ni totalement informelle, ni pleinement reconnue. Cette situation complique la contractualisation, alourdit la charge administrative des artistes et fragilise la viabilité économique de leurs projets. Ainsi, de nombreux spectacles sont réalisés « au chapeau » et doivent, pour ouvrir droit au régime de l’intermittence, être valorisés en cachets, ce qui impose des montages financiers et administratifs complexes. Cette posture innovante, engagée, suppose une prise de risque qui s’accompagne d’une insécurité persistante : la crainte, récurrente, de ne pas comptabiliser assez de cachets pour renouveler l’intermittence J. Sinigaglia, Artistes, intermittents, précaires en lutte : retour sur une mobilisation paradoxale, 2003-2006, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2012., particulièrement lorsque ceux-ci sont faibles, atypiques ou fréquemment sujets à vérification. Refuser l’intermittence peut aussi, dans certains cas, être vécu comme un choix assumé vers la liberté de création, voire de faire de la sobriété un moyen de valorisation culturelle par l’exemple.
Nombre d’artistes témoignent néanmoins du poids des représentations dévalorisantes qui pèsent sur l’itinérance artistique, notamment de la part de certains programmateurs. Ils ont le sentiment que leurs créations sont perçues comme des « sous-spectacles », peu professionnels, précisément du fait de leur choix de mobilité. P., circassien d’une quarantaine d’années, revient sur cette crainte du jugement : « Tu tournes à vélo, t’es un hippie saltimbanque. » Le regard condescendant qu’il éprouve contraste radicalement avec l’exigence réelle inhérente à sa pratique : « C’est mon métier, je m’entraîne toute l’année, c’est juste que je le fais à vélo. » Pour lui, ces formes sont injustement associées à un imaginaire « archaïque » et dépassé du spectacle, alors qu’elles incarnent au contraire une esthétique résolument tournée vers l’avenir, davantage sobre, mobile et attentive aux enjeux écologiques.

Si l’on peut spontanément penser que les conditions météorologiques constituent un frein majeur, les véritables difficultés relèvent plutôt d’une logistique contraignante : les artistes doivent composer avec des distances journalières limitées tout en assurant une représentation le soir. Cela implique une organisation minutieuse : préparation des itinéraires, gestion des temps de pause, de repos et de récupération, recherche d’un hébergement (souvent improvisé). Le transport du matériel est un autre obstacle central. Certains artistes innovent en concevant des remorques adaptées, parfois motorisées ; d’autres réduisent la scénographie à l’essentiel ou s’appuient sur des solutions mutualisées avec leurs hôtes. La coordinatrice du projet Slowfest résume la difficulté de ces choix techniques qui requièrent une grande adaptabilité et un engagement physique considérable, parfois au prix d’une réelle dégradation des conditions de travail et de la santé collective : « On s’est rendu compte que la mobilité douce engendre un épuisement à la fois physique et psychologique. […] On arrive à se créer des petites sphères de valeurs communes avec des projets de mutualisation sans argent et en mobilité douce alors qu’on est sur un territoire qui est fait pour la voiture. […] Et moi, ce que je trouve le plus intéressant et le plus fatigant dans nos métiers, c’est d’articuler ces deux sphères-là. » Ces propos soulignent que d’un côté, le mode doux incarne un choix délibéré de sobriété, mais de l’autre, il repose sur une charge de travail et d’organisation accrue, qui semble paradoxale au regard de l’idéal de décélération qu’il défend. Le mode doux se situe ainsi à la croisée d’une démarche volontaire facteur de liberté, et d’une adaptation contrainte, où l’idéal se confronte aux réalités du métier d’artiste. Plus globalement, le mode doux repose encore beaucoup sur la bonne volonté des artistes à assumer les contraintes : il peut freiner les ambitions artistiques, mais aussi plus largement grever la généralisation du modèle. Le poids logistique restreint la taille des spectacles, les possibilités de jouer à plusieurs, ou d’emporter des scénographies élaborées. Ces contraintes matérielles semblent néanmoins pleinement assumées et deviennent des choix artistiques à part entière. Par ailleurs, l’acquisition de moyens adaptés – vélos cargos, remorques spécifiques, systèmes d’attelage, structures pliables – repose principalement sur des fonds propres, renforçant une inégalité d’accès rarement compensée par le soutien institutionnel contrairement à la raison d’être affichée des dispositifs publics susmentionnés, et précarisant d’autant plus les pratiques artistiques en mobilité douce.
Le transport ferroviaire, présenté comme un partenaire de la décarbonation, confronte lui aussi les artistes à de multiples contraintes pratiques et réglementaires. Les lignes de TER sont souvent les plus adaptées au transport de matériel encombrant ou fragile, mais chaque région applique ses propres règles pour l’accueil des vélos et des objets volumineux. Cette absence d’uniformité complique la circulation nationale et entrave les capacités d’autonomie des compagnies. Plusieurs collectifs se sont mobilisés pour affronter ces difficultés et mieux faire entendre les besoins des artistes auprès de la SNCF et des conseils régionaux. De façon concrète, le collectif Slowfest agit en Nouvelle-Aquitaine en lien avec le groupe Atterrissage, composé d’agents et de volontaires travaillant sur la transition écologique Voir la feuille de route pour la transition écologique de la culture et par la culture en Région Nouvelle-Aquitaine., afin de porter auprès des institutions régionales les obstacles rencontrés lors des déplacements ferroviaires. C’est là l’espoir d’inventer de nouvelles formes de coopération entre l’art itinérant et les pouvoirs publics, à l’échelle régionale.
Dans la sphère culturelle, la mobilité douce se confronte également à des verrous idéologiques souvent amplifiés par l’actualité politique. Si de nombreux projets reposent sur un fort ancrage local et le soutien des collectivités, ces partenariats demeurent précaires et instables : leur solidité dépend des orientations politiques et des alternances parfois très défavorables à l’innovation ou à la transition. Plusieurs artistes témoignent d’une défiance croissante de la part des élus vis-à-vis des projets dits « écologiquement » ou « culturellement engagés », considérés de plus en plus comme risqués. A., musicien, relate une récente déprogrammation par une collectivité, justifiée par la crainte d’une récupération politique : « Ils nous ont annoncé : “On ne vous programme plus parce qu’on a peur que le RN récupère ce truc-là, se moque de nous, et après nous décrédibilise en disant : voilà où part l’argent de la mairie.” » Ce type d’arbitrage traduit une crispation grandissante autour de la question écologique et culturelle et soulève une réflexion globale sur la définition commune d’une culture considérée comme « légitime » : il force les artistes à adapter leur discours, à moduler la présentation de leurs projets selon les contextes, voire à s’autocensurer pour préserver l’avenir de la tournée.
Le climat d’instabilité ne pèse pas uniquement sur la programmation : il influence en profondeur la conception, la négociation et la réception des productions artistiques. Ce contexte oblige les porteurs de projets à questionner leur capacité réelle à obtenir un soutien public pérenne, remettant en cause la possibilité de promouvoir, par les arts, une bifurcation écologique d’envergure. Toutefois, certaines formes d’itinérance plus informelles offrent des moyens de contournement : ainsi, T. montre que l’appui des habitants facilite l’acceptation des projets par les municipalités.
À ces blocages externes s’ajoutent des contradictions internes, souvent relevées dans les entretiens. Nombre de porteurs de projets expriment en effet une volonté d’autogestion, de collégialité, d’indépendance, mais constatent en parallèle la nécessité de se structurer, de trouver des financements, de coopérer avec les collectivités, voire de s’institutionnaliser, pour donner un avenir à leurs démarches. Comme le souligne une salariée de La Poursuite, association lyonnaise engagée dans la cyclologistique culturelle : « Nous sortons tout juste de l’expérimentation pour aller vers la concrétisation. » Des modèles économiques plus stables émergent, davantage d’artistes accèdent à l’intermittence et la confiance institutionnelle s’amorce. Ces évolutions invitent à penser l’institutionnalisation non comme une menace, mais comme une tension féconde : comment se structurer sans trahir ses valeurs ? Ce débat traverse aussi l’espace transnational : les membres d’Armodo, par exemple, sont divisés sur le recours aux financements publics au nom du collectif ; certains membres belges y voient l’opportunité de pérenniser les projets en profitant du rayonnement offert par Armodo, tandis que d’autres redoutent les conflits d’intérêts ou une hiérarchisation entre compagnies. À cela s’ajoute l’impossibilité de créer des associations à l’échelle européenne, chaque législation nationale rendant toute structuration plus incertaine. La crainte d’une institutionnalisation excessive limite la capacité collective d’action, là où le bénévolat reste souvent incontournable.
Enfin, ces tensions internes se doublent d’un verrou structurel qui limite la portée des changements à l’entre-soi socioculturel qui sous-tend la majorité de ces initiatives. Les collectifs sont très majoritairement composés de membres issus des classes moyennes cultivées, la présence de personnes d’origines populaires restant très faible. Cette homogénéité sociale freine la diffusion du modèle dans d’autres sphères, ce qui exacerbe les effets de distinction et limite l’ouverture du mode doux aux seuls cercles déjà acquis M. Grossetête, « Quand la distinction se met au vert. Conversion écologique des modes de vie et démarcations sociales », Revue française de socio-économie, vol. no 22, no 1, mai 2019, p. 85‑105, en ligne.. Paradoxalement, cet éloignement relatif des mécanismes institutionnels protège aussi, dans une certaine mesure, la capacité subversive de ces démarches : à distance de la récupération et du formatage, elles préservent l’esprit d’expérimentation individuel ou collectif. Néanmoins, même lorsque ces artistes cherchent à brouiller les frontières culturelles en intégrant davantage le public, l’espace scénique reste un lieu de pouvoir qui ne parvient pas à abolir la distinction statutaire entre artistes et spectateurs. Loin de corriger les inégalités de répartitions des capitaux culturels, l’itinérance en mode doux contribue parfois, et paradoxalement, à en reconduire la légitimation, même dans un contexte de précarité. Autrement dit, cette situation en marge des institutions culturelles offre aux artistes la possibilité d’expérimenter des formes de création alternatives et de préserver leur position sociale d’artiste, tout en les maintenant dans une situation d’impuissance politique qui ne leur permet pas véritablement de changer les choses J.-B. Comby, Écolos, mais pas trop : les classes sociales face à l’enjeu environnemental, Paris, Raisons d’agir, 2024.. D’ailleurs, bon nombre d’artistes sont déjà lucides sur cette contradiction : beaucoup se disent « sociologisés », conscients des limites propres à leur position. Les freins à la mobilité douce, loin de se restreindre à des questions logistiques, forcent ainsi à une remise en cause bien plus profonde des modèles dominants de la production culturelle.

Pour dépasser l’ensemble de ces verrous, les artistes et collectifs impliqués dans la mobilité douce ont esquissé diverses pistes d’action qui conjuguent réponse pragmatique, propositions à portée politique et expérimentations collectives. Parmi les premiers leviers avancés, la mutualisation des ressources : qu’il s’agisse de matériel scénique léger, de véhicules adaptés, de réseaux de contacts logistiques ou d’appuis administratifs, cette dynamique de partage vient rompre l’isolement structurel et la surcharge pesant sur nombre de compagnies itinérantes. Des outils numériques collaboratifs voient par ailleurs le jour : cartographies interactives de lieux d’accueil, bases de données mutualisées et plateformes d’entraide favorisent la mise en réseau, la planification des itinéraires ainsi que des formes renouvelées de solidarité concrète sur le terrain.
Sur le plan contractuel, plusieurs artistes insistent sur l’importance d’établir des conventions, mêmes souples et pour des montants modestes, avec les partenaires locaux. Cette formalisation rend visible le travail, légitime la présence artistique et contribue à éviter la généralisation de l’informel : elle devient ainsi un facteur de reconnaissance et de professionnalisation.
À un niveau plus institutionnel se dessinent des recommandations susceptibles d’infléchir les politiques publiques. L’instauration de « budgets publics de l’imprévu culturel », qui permettrait aux communes d’accueillir des spectacles hors programmation préétablie, est une idée qui revient fréquemment. Elle s’accompagne de la revendication d’une reconnaissance officielle de l’itinérance à mode doux comme mode artistique à part entière, avec ses temporalités, ses dynamiques propres et ses particularités logistiques. Dans cette perspective, une évolution des critères d’attribution des subventions apparaît nécessaire : elle consisterait à inclure explicitement la prise en compte des phases de repérage, de rencontre et d’ancrage en amont auprès des habitants et relais territoriaux, qui constituent pour l’itinérance l’équivalent des « résidences artistiques ». Ces moments préparatoires, décisifs pour l’inscription progressive des artistes dans un territoire, sont trop souvent ignorés par les dispositifs classiques.
Ces réflexions ne peuvent se déployer sans un dialogue étroit avec la recherche. Un grand nombre d’artistes expriment un réel besoin d’accompagnement critique, de documentation de terrain et de valorisation des effets de leurs pratiques sur les territoires traversés. L’articulation entre création artistique et production de savoirs devient ainsi un levier stratégique : elle permet de faire émerger, d’outiller et de pérenniser des alternatives culturelles écologiquement et socialement durables. En outre, ce dialogue fécond entre culture et science contribue à rendre visibles les obstacles concrets rencontrés par les artistes et à dessiner collectivement des solutions partagées. Il s’agit, enfin, de reconnaître le mode doux dans les arts comme une architecture possible des politiques culturelles à venir, en soutenant l’émergence de pratiques sobres, ancrées localement et réellement porteuses de transformation sociale.
Cet article s’appuie sur l’enquête menée dans le cadre du Programme de recherche Industries culturelles et créatives, projet ciblé DEDALE (Alternatives culturelles et créatives).
Méthodologie :
– méthodologie qualitative structurée en trois volets complémentaires : observations participantes, entretiens semi-directifs auprès d’une quinzaine d’artistes pratiquant la mobilité douce, recueil d’archives auprès d’acteurs impliqués à divers titres dans le mode doux.
– La première phase du travail d’observation s’est tenue lors des huitièmes rencontres du collectif réseau Armodo à Castanet-Tolosan (31) en mars 2025. La seconde a eu lieu durant la journée d’échange « Culture et mobilité : quelle coopération ? » à Bordeaux, le 23 mai 2025, coorganisée par des institutions régionales et locales. Ce contexte institutionnel a permis de participer à un atelier animé par le Slowfest et d’observer en direct l’intégration croissante de la mobilité douce dans les politiques culturelles.
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04.12.2025 à 11:19
Aurélie Doulmet
La Cartocrise a été diffusée en mars 2025 par l’OPC dans un contexte budgétaire et politique très défavorable pour le secteur culturel. Cette cartographie contributive visait à identifier précisément les organisations impactées par des diminutions de soutien public entre 2024 et 2025. Elle concerne l’ensemble des catégories d’acteurs culturels, artistiques, socioculturels et patrimoniaux à l’échelle nationale. […]
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La Cartocrise a été diffusée en mars 2025 par l’OPC dans un contexte budgétaire et politique très défavorable pour le secteur culturel. Cette cartographie contributive visait à identifier précisément les organisations impactées par des diminutions de soutien public entre 2024 et 2025.
Elle concerne l’ensemble des catégories d’acteurs culturels, artistiques, socioculturels et patrimoniaux à l’échelle nationale. Plus de 70 groupements professionnels (réseaux, associations, fédérations et syndicats) ont affiché leur soutien au projet et l’ont relayé auprès de leurs membres.
Après 8 mois de mise en ligne, quels enseignements peut-on tirer des données récoltées ? Quel est le montant total des baisses ? Quels secteurs sont les plus touchés ? Quels impacts les structures culturelles font-elles remonter ? Quelles conséquences sur les territoires et populations ? L’infographie publiée ci-dessous présente les principaux résultats.
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