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Organisme national, l'OPC travaille sur l’articulation entre l’innovation artistique et culturelle, les évolutions de la société et les politiques publiques au niveau territorial

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02.10.2025 à 11:48

Les métiers d’art à la (re)conquête de la jeunesse

Frédérique Cassegrain

Longtemps relégués aux marges de l’imaginaire collectif, les métiers d’art demeurent largement méconnus des jeunes générations. Pourtant, ils incarnent un secteur d’une vitalité insoupçonnée, où se rencontrent savoir-faire, créativité et durabilité. Dans cet article, issu de son mémoire et nourri d’entretiens avec artisans, enseignants et acteurs institutionnels, Alys Bruneau retrace les initiatives qui tentent de rapprocher la jeunesse de ces professions d’exception.

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Texte intégral (1019 mots)
© Alys Bruneau

Inspiré de son mémoire, le texte qu’Alys Bruneau a rédigé pour la collection Écrire demain, regards d’étudiants est disponible en téléchargement ici

Pouvez-vous présenter ?

Je m’appelle Alys Bruneau. Je me suis d’abord formée à l’École du Louvre, en histoire de l’art puis en muséologie en master 1 et en médiation culturelle en master 2, ce qui m’a permis de me rapprocher des publics et de la démocratisation culturelle et de travailler la question de l’accès à l’art. J’ai ensuite intégré le master « Management des organisations culturelles » à l’université Paris-Dauphine pour lequel j’ai rédigé un mémoire sur les métiers d’art et la jeunesse, à l’origine de cet article. En parallèle, j’ai eu des expériences professionnelles dans des secteurs variés : ministère de la Culture, CAPC à Bordeaux, Fondation Culture & Diversité, puis Hermès où j’ai participé à la valorisation des savoir-faire. 

Aujourd’hui, je coordonne des programmes culturels pour l’association Orange Rouge. Nous menons des résidences artistiques avec des enfants en situation de handicap, souvent dans des quartiers prioritaires, en collaboration avec des artistes contemporains. Ces rencontres aboutissent à des œuvres collectives, reconnues et exposées ensuite dans des centres d’art. C’est une manière de conjuguer mon intérêt pour l’art, la création, et la démocratisation culturelle ainsi que mon engagement constant pour l’accès à l’art.

Comment est née l’envie de travailler ce sujet de mémoire ? 

Mon intérêt remonte à ma spécialisation en anthropologie du patrimoine à l’École du Louvre, où j’ai découvert la notion de patrimoine culturel immatériel et ses dispositifs de valorisation et de sauvegarde. Pour un premier mémoire, j’ai rencontré des artisans – une lissière, une dentellière entre autres –, dont la passion et le rapport viscéral à leur métier m’ont profondément marquée. En master de médiation culturelle, je me suis ensuite intéressée à l’éducation artistique et culturelle auprès des publics jeunes au CAPC de Bordeaux : comment leur rendre le musée accessible ? Quand je suis arrivée à Dauphine, j’ai voulu combiner ces deux dimensions : mon intérêt pour les savoir-faire et celui pour la médiation en direction de la jeunesse. Mon mémoire sur les métiers d’art et leur diversité est né de ce croisement. 

Votre terrain d’enquête vous a-t-il surpris ?

D’abord la diversité des acteurs impliqués : artisans indépendants, institutions publiques, fondations, maisons de luxe. C’était très intéressant de constater une diversité des discours et de perceptions autour de ce sujet. J’ai été frappée par la difficulté de trouver des études qui abordent les métiers d’art dans leur globalité, et encore plus leur rapport à la jeunesse. C’est ce manque qui a nourri mon intérêt, surtout après la mise en place de la stratégie nationale en faveur des métiers d’art, qui consacre un volet entier à la jeunesse. Cette orientation a éveillé mes interrogations sur l’efficacité réelle de ces politiques. Enfin, j’ai constaté un contraste fort entre le secteur du luxe, marqué par la confidentialité et la segmentation des informations, et des acteurs publics ou des artisans qui s’expriment plus librement, parfois de manière très directe sur les limites et les effets concrets de ces dispositifs.

Que voudriez-vous faire évoluer dans le secteur culturel ?

Je souhaiterais une meilleure reconnaissance des métiers de la médiation et de la transmission. Ce sont des professionnels essentiels, souvent très engagés, mais trop peu visibles et pas toujours rémunérés à la hauteur de leurs compétences. Or, ce sont eux qui rendent possible l’accès à la culture pour tous, notamment à travers des programmes éducatifs à longs termes. Malheureusement, ces postes sont encore fragiles : dans de petites structures, ils disparaissent souvent les premiers, et les budgets qui leur sont consacrés sont parfois réduits, comme on a pu le voir avec la diminution de la part collective du pass Culture. Pourtant, cette dimension collective elle est justement indispensable pour donner aux jeunes un accès durable à des expériences artistiques qu’ils n’iraient pas forcément chercher seuls. Dans les musées, on met volontiers en avant la figure du conservateur, mais beaucoup moins celle des médiateurs, alors que leur rôle auprès des publics est tout aussi déterminant. Enfin, j’aimerais que les métiers d’art eux-mêmes soient davantage reconnus au sein du champ culturel : souvent placés à la croisée de l’économie et de la culture, ils restent à la marge, alors qu’ils représentent un patrimoine vivant et une formidable ressource pour l’avenir.

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02.10.2025 à 11:41

L’injonction à produire de la participation dans les créations théâtrales et ses dérives

Frédérique Cassegrain

Longtemps tenues éloignées de la programmation des institutions théâtrales, les créations participatives gagnent aujourd’hui leurs lettres de noblesse en figurant en bonne place dans les programmes de saison. Si les « présences ordinaires » au plateau rendent manifeste la participation du plus grand nombre à la vie culturelle souhaitée par les pouvoirs publics, les coulisses trahissent une situation moins idyllique pour les professionnels comme pour les amateurs.

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Texte intégral (2910 mots)
Personnes dont on ne voit que les jambes et les pieds sur une scène de théâtre
© Adobe Stock

« Participez ! », « Soyez acteur ! », « À vous de jouer ! », etc. Qu’elles soient d’abord destinées à des amateurs Considérés ici comme ceux « qui pratiqu[ent] le théâtre sous toutes ses formes sans en faire [leur] métier » (« Non, le “participant” n’est pas un amateur », entretien avec M.-M. Mervant-Roux, L’Observatoire, no 40, 2012, p. 13-15)., à des publics éloignés de l’offre et de la pratique culturelle, ou les deux, les invitations à participer à des projets scéniques sont devenues monnaie courante dans la communication des institutions du théâtre public. Elles convient les gens à prendre part, non plus seulement à des ateliers pratiques (susceptibles de donner lieu à des restitutions), mais à des créations artistiques intégrées aux programmations. Celles-ci prennent essentiellement deux formes : les créations localisées (dites « one-shots »), développées spécifiquement pour les amateurs ou les habitants d’un territoire, et les créations à contributeurs non professionnels changeants qui mobilisent, au plateau, dans des proportions très variables, des participants renouvelés dans chaque ville où elles sont présentées.

En contribuant au déploiement de ces créations à dimension participative, les institutions du spectacle vivant répondent à la demande des pouvoirs publics d’œuvrer en faveur de la refondation du lien social et de la participation du plus grand nombre à la vie culturelle. Elles cherchent également à prévenir le reproche d’entre-soi qui leur est souvent adressé, et à satisfaire l’appétit expérientiel et le désir de convivialité – amplifiés par la crise de la Covid-19 – qu’elles perçoivent chez des publics dont elles redoutent la désaffection. Elles obéissent ainsi en partie à des impératifs politiques et économiques, dont on peut craindre qu’ils influencent négativement la création. Aussi le monde du spectacle vivant nourrit-il de longue date des appréhensions à l’égard de l’injonction à produire de la participation dans les créations scéniques. En mettant cette méfiance en regard du développement des créations à dimension participative au sein des institutions, le présent article invite à interroger les risques auxquels les acteurs impliqués dans ces créations sont actuellement confrontés.

Une validation artistique et institutionnelle qui change la donne

Les créations à dimension participative suscitent plusieurs types d’inquiétudes dans le monde du spectacle vivant. Sur le plan économique, on fait grief à ces productions de mobiliser une main-d’œuvre qu’elles n’ont pas obligation de rémunérer L’article 32 de la loi LCAP promulguée le 7 juillet 2016 a officialisé cette possibilité en prévoyant une dérogation à la présomption de salariat pour les structures qui font participer des non-professionnels en lien avec une mission d’accompagnement de la pratique amateure ou de la pédagogie., et d’accentuer ainsi les difficultés d’emploi dans le spectacle vivant. Sur le plan artistique, le déficit de formation et d’expérience scénique que présentent à priori les non-professionnels par rapport aux artistes interprètes, ainsi que les contraintes exogènes qu’ils introduisent dans les processus de création (disponibilité limitée ou fluctuante, finalités extra-artistiques, etc.), font peser un soupçon de manque d’autonomie et de moindre qualité sur les spectacles qui les mettent en scène. Or, quand la légitimité artistique d’une catégorie de créations est mise en cause, à fortiori quand les spectacles concernés induisent un important travail de nature sociale, la déconsidération dont pâtissent les créateurs risque de nuire à leur trajectoire. Dans le système très hiérarchisé du théâtre public, les artistes qui collaborent régulièrement avec des non-professionnels peuvent en effet connaître un déficit de reconnaissance qui porte préjudice à leur capacité de production. Le dernier type de préoccupations, moins présent dans le discours des acteurs des institutions culturelles, renverse les perspectives en n’accordant plus la priorité aux intérêts de l’art et des artistes, mais à ceux des non-professionnels impliqués. Leur participation est alors considérée comme forcément insuffisante, voire potentiellement néfaste, à partir du moment où les processus de création sont régis par des artistes qui demeurent seuls signataires des créations, et soumis à des conventions que les non-professionnels maîtrisent mal.

Face à l’intérêt que connaissent les créations à dimension participative dans les institutions du théâtre public depuis une dizaine d’années, certains des risques identifiés par les professionnels du secteur se sont paradoxalement atténués. Il importe tout d’abord de souligner que l’augmentation du nombre des créations n’est pas seulement liée à une progression de la demande des institutions, mais qu’elle repose sur des dynamiques artistiques qui rendent la collaboration avec des non-professionnels éminemment désirable à des artistes parfois très reconnus. On assiste en effet à la convergence de trois courants artistiques – performatif, documentaire et relationnel – qui favorisent l’accroissement sur les plateaux de ces « présences ordinaires », dont les créateurs apprécient les qualités « anti-spectaculaires », testimoniales et/ou interactionnelles. Cela améliore le statut dont jouissent les créations qui accueillent ces présences, de plus en plus reconnues pour leur valeur artistique, comme en atteste leur inscription accrue dans les saisons théâtrales des institutions. Il est à cet égard particulièrement significatif que des spectacles issus d’ateliers destinés au jeune public, habituellement considérés comme relevant de l’action culturelle, fassent aujourd’hui l’objet d’une requalification artistique dans certains lieux, où les brochures soulignent leur place « au cœur de la saison, sur le grand plateau du théâtre Brochure 2023-2024 du TNP. », comme c’est le cas avec la Troupe éphémère du TNP. Dans ce contexte de revalorisation, les artistes sollicités pour prendre en charge des créations participatives n’ont plus autant à craindre que leur reconnaissance en souffre ; leur crédit peut même s’en trouver conforté.

On pourrait imaginer que le renforcement mutuel des motivations artistiques et institutionnelles qui semble ainsi s’opérer profite à ces créations au point d’en faire une menace pour l’emploi des artistes-interprètes. On note toutefois que leur part demeure statistiquement très réduite. Pour la saison 2023-2024, les créations localisées et créations à contributeurs non professionnels changeants que comptent les programmations des institutions du spectacle vivant ne représentent ainsi que 2,9 % des spectacles qui y sont proposés J’ai opéré ce recensement à partir des programmations artistiques 2023-2024 des théâtres nationaux, CDN, CCN, Scènes nationales et CDCN. Les créations valorisées dans les rubriques « action culturelle » des brochures sont exclues du décompte., alors même que le développement des propositions participatives est encouragé par l’Olympiade Culturelle. Cela s’explique tout d’abord par le fait que le recours à des non-professionnels dans des productions professionnelles est limité quantitativement, le nombre de représentations associant pratique amateure et pratique professionnelle dans un cadre lucratif par structure et par an ne pouvant en principe dépasser cinq représentations Ce peut être huit représentations quand des troupes d’amateurs sont concernées (décret du 10 mai 2017, relatif à la participation d’amateurs à des représentations d’une œuvre de l’esprit dans un cadre lucratif).. Produire et diffuser ces spectacles s’avère par ailleurs très exigeant ; d’une part, parce que le budget dédié à l’accompagnement des non-professionnels les rend, contrairement aux idées reçues, relativement coûteux (on soulignera au passage que cette prise en charge nécessite presque toujours le recrutement de plusieurs artistes-interprètes) ; d’autre part, parce que les faire advenir s’avère souvent logistiquement compliqué.

État des risques : ce que révèle l’expérience des acteurs

Que certaines menaces semblent s’atténuer à la faveur des évolutions récentes ne signifie nullement que les créations à dimension participative se développent sans heurts au sein des institutions du théâtre public. Leur croissance suscite des tensions, et expose à des risques, qu’il importe d’identifier pour éviter que l’encouragement à la participation ne s’exerce aux dépens de celles et ceux qui s’y engagent. La recherche que je consacre depuis quelques années aux créations associant des non-professionnels dans les institutions culturelles m’a amenée à réaliser des observations de terrain et à interroger un grand nombre d’artistes, de personnels administratifs et de participants. Les différents acteurs impliqués dans ces créations les plébiscitent très largement au titre de l’ouverture à l’autre qu’elles favorisent. Leurs expériences n’en témoignent pas moins, même s’ils ne le conscientisent pas nécessairement comme tel, que les créations participatives peuvent engendrer des formes d’instrumentalisation (et donc de négation de l’autre), imputables à trois types de dérives. 

Dans la très grande majorité des projets, l’ambition de faire œuvre n’est pas perçue comme s’exerçant aux dépens des participants. Les équipes de création et les lieux qui les hébergent apportent un soin marqué à l’accueil et à l’accompagnement des non-professionnels. Première forme de manquement constaté : certaines créations à contributeurs non professionnels changeants détonnent cependant par le caractère minimal de l’accompagnement qu’elles proposent aux participants qui les rejoignent en tant que figurants. Le temps que ces derniers passent avec les metteurs en scène et les interprètes professionnels est quasi inexistant, et il ne leur est pas donné de voir le spectacle (à travers un filage ou au minimum une captation) pour apprécier comment leur collaboration s’y inscrit. Certains estiment en outre manquer cruellement de temps de répétition pour aborder sereinement les tâches parfois complexes qu’on leur confie, et sont d’autant plus déconcertés d’essuyer des réprimandes lorsque des incidents se produisent durant les représentations. De fait, concernant l’accueil des participants, les compagnies s’accommodent parfois de protocoles insuffisamment réfléchis sur le plan éthique, les structures de diffusion formulant rarement d’exigences à cet endroit. Particulièrement quand le niveau réputationnel des compagnies leur assure d’être diffusées et d’attirer des amateurs, la banalisation du recours à la participation peut alors induire des formes d’exploitation. On observe toutefois que ces dernières ne passent pas inaperçues auprès des participants, et notamment des habitués des projets participatifs, dont la capacité à identifier d’éventuels abus s’affûte à mesure qu’ils prennent part à des aventures de création.

Sur les plateaux comme dans les bureaux, il faut gérer l’accompagnement spécifique que requièrent les non-professionnels, et les contingences qui vont avec.

Deuxièmement, la reconnaissance dont jouissent certains créateurs faisant participer des non-professionnels ne doit pas masquer les difficultés auxquelles d’autres sont confrontés. Il existe des écarts dans la manière dont les créations à dimension participative sont envisagées et accompagnées, d’un lieu à l’autre, et parfois d’un service à l’autre. Elles ne sont pas en effet uniformément reconnues au sein des institutions du spectacle vivant, où leur position demeure donc instable. Dans la mesure où elles se situent à la croisée de l’action culturelle et de la création artistique, elles peuvent être vues comme relevant de la première plutôt que de la seconde, et bénéficier le cas échéant d’un cadre d’accueil moins favorable que les créations pleinement considérées comme telles (temps de plateau restreint, espaces de répétition mal équipés, communication réduite…). Cela peut alimenter de fortes tensions, particulièrement quand ces conditions sont en décalage par rapport à celles obtenues dans d’autres institutions partenaires. D’un côté, des compagnies considèrent que la place faite à leur création est insuffisante ; de l’autre, des lieux leur reprochent d’occuper trop de place (parfois littéralement). Cela montre combien il importe de s’accorder précisément en amont sur les modalités d’accueil des créations à dimension participative, qui ne vont visiblement pas de soi. Cela témoigne également de ce que le risque d’une instrumentalisation de la création subsiste, certaines institutions s’intéressant essentiellement aux créations avec des non-professionnels pour la participation qu’elles rendent possible, et leur assignant de ce fait une place et des moyens qui les contraignent (non sans fragiliser dans le même temps l’enjeu participatif qu’elles entendent prioriser, en augmentant le risque que des participants se retrouvent face au public sans avoir le sentiment d’y avoir été suffisamment préparés).

Le troisième type de difficultés observées présente la spécificité de concerner tous les projets, à commencer par ceux qui se distinguent des cas précédemment évoqués parce que les différents acteurs impliqués disent y trouver leur compte. Des équipes de création se réjouissent d’y expérimenter de nouvelles façons de faire et créent, avec une exigence qui leur semble reconnue, des œuvres qu’elles présentent devant un public constitué pour partie de personnes qui ne fréquentent pas habituellement les salles de spectacle. Des aventures collectives y prennent forme, rassemblant (souvent en nombre) des individus aux profils pluriels, dont on s’attache de plus en plus à ce qu’ils comprennent des personnes éloignées de l’offre culturelle. Servir conjointement ces objectifs artistiques et sociaux constitue indéniablement une gageure – mais c’est précisément ce qui est attendu des créations à dimension participative au sein des institutions du théâtre public. Pour les équipes de production et de création qui portent ces projets, mais aussi pour les chargés des relations avec le public des lieux qui les accueillent, « c’est un boulot monstrueux ! » (sic). Sur les plateaux comme dans les bureaux, il faut gérer l’accompagnement spécifique que requièrent les non-professionnels, et les contingences qui vont avec. Des conflits intergénérationnels, un amateur qui contrôle mal un mouvement et en blesse un autre, une crise d’angoisse pendant les répétitions, un participant sans papiers envoyé en centre de rétention : à chaque projet ses tribulations… Quand des personnes fragilisées sont impliquées, les professionnels de la scène peuvent être exposés à des situations de détresse matérielle et morale d’autant plus éprouvantes psychologiquement qu’ils n’ont pas été formés à les affronter. Pour développer un travail créateur respectueux des besoins des participants et des professionnels investis, il faudrait que des moyens renforcés soient attribués aux équipes. Or, c’est souvent l’inverse qui se produit, du moins pour les créations localisées, puisqu’elles disposent de budgets réduits par rapport aux autres productions. On touche là sans doute à l’une des dérives les plus inquiétantes de l’injonction à produire de la participation dans la création théâtrale : elle fait peser des demandes décuplées sur les professionnels, qui nécessitent un investissement personnel considérable de leur part, sans que les efforts spécifiques qu’ils déploient ne soient suffisamment financés et accompagnés. À l’heure où les enjeux liés à la qualité de vie et aux conditions de travail deviennent une préoccupation importante pour le secteur du spectacle vivant, la question peut-elle encore être éludée ?

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25.09.2025 à 10:51

Vers une politique culturelle de la découvrabilité

Frédérique Cassegrain

Dans un environnement numérique où les grandes plateformes accaparent notre attention et où nos choix sont gouvernés par des « architectures invisibles », les fameux algorithmes, comment garantir l’accès, la diversité et la pluralité des expressions culturelles en ligne ? Cette question est au cœur de l’idée de « découvrabilité » et ouvre un certain nombre de pistes dont il est urgent que les politiques culturelles se saisissent.

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Texte intégral (2510 mots)
Miroirs sur le sol qui renvoient le reflet d'immeubles
© Coffee curtains – Unsplash.

Pourquoi et comment s’emparer de la notion de découvrabilité ? Le monde de la culture est traversé, voire bouleversé, par des pratiques numériques devenues massives Ph. Lombardo, L. Wolff, Cinquante ans de pratiques culturelles en France, DEPS, ministère de la Culture, 2020.. Streaming audio et vidéo, communautés de prescription via les likes, commentaires et republications… les publics et acteurs des industries culturelles enrichissent ces contenus en ligne depuis plus de trente ans. Si ce régime de l’abondance est gage de diversité, il ne l’est pas nécessairement du point de vue de l’accès. L’offre numérique sur les plateformes étant concentrée autour d’un nombre limité d’acteurs internationaux qui maîtrisent à la fois l’économie du secteur, la collecte des données de navigation et les systèmes de recommandation algorithmiques, il en découle des effets de disproportion notables tant dans la sélection des contenus « mis en avant » selon des logiques de popularité, que du point de vue d’une diversité linguistique (rappelons que l’immense majorité d’entre eux est en anglais alors même qu’ils ne représentent que 30 % de l’ensemble de l’offre sur le Web). Or la découvrabilité des contenus culturels en ligne dépend de trois facteurs essentiels : leur disponibilité (existence effective sur le Web), leur visibilité (mise en avant sur les catalogues, recommandations algorithmiques personnalisées), mais aussi leur accessibilité (gratuité, possibilité de téléchargement, compatibilité avec les terminaux et logiciels numériques ou encore traduction en plusieurs langues) sur les différentes plateformes. 

Passé une approche strictement technique, la découvrabilité vient surtout interroger les conditions de la rencontre d’une œuvre avec son public. Elle soulève en cela une question centrale de politique culturelle : comment garantir l’accès, la diversité et la pluralité des expressions culturelles en ligne, dans ces environnements d’abondance de contenus, à fortiori quand le choix est, majoritairement, gouverné par des « architectures invisibles », les fameux algorithmes ?

Pour conduire cette réflexion, ce numéro de L’Observatoire s’est appuyé sur une recherche menée par des universitaires québécois et français dans le cadre d’un appel à projets conjoint entre le ministère de la Culture français (Direction générale des médias et des industries culturelles) et le ministère de la Culture et des Communications du Québec qui ont, de longue date, exploré ces problématiques. Il ne s’agissait pas d’inventorier de bonnes pratiques ou d’axer uniquement le travail sur la gouvernance des algorithmes, mais de mettre en regard les conditions contemporaines de la visibilité des expressions culturelles et des contenus artistiques et la façon dont les politiques culturelles sont susceptibles de s’en saisir. Sur ce point, et selon les contextes, plusieurs doctrines peuvent coexister : celle de la démocratisation culturelle (pour donner accès et diffuser la culture au plus grand nombre), celle de la souveraineté culturelle (pour défendre une identité linguistique menacée) et celle de l’exception culturelle (pour préserver la culture de la domination marchande). S’y ajoute également une approche par les droits culturels, c’est-à-dire, entre autres, le droit de prendre part à la vie culturelle et de faire connaître et reconnaître une pluralité de références. 

De l’usager prescripteur à l’intelligence culturelle distribuée

Au-delà des dimensions sociotechnique et juridique de la découvrabilité qui vont de l’encadrement légal des plateformes et des algorithmes jusqu’aux instruments juridiques mobilisables pour garantir un accès équitable à une diversité de contenus, les travaux de cette équipe de recherche et les auteurs de ce numéro ont mis en lumière deux autres perspectives. 

La première porte sur les aspects humains qui sous-tendent ces dynamiques. Ceux-ci se traduisent à la fois par le rôle stratégique joué par les gatekeepers dans l’industrie musicale, par la médiation aux contenus opérée par les professionnels de la culture, mais aussi par la place et les actions en ligne des usagers, quelles qu’en soient les formes. Les outils numériques ont en effet donné à chacune et chacun la capacité de produire, diffuser et prescrire des contenus. Ce qui a été construit grâce à l’architecture décentralisée d’Internet se traduit aujourd’hui dans les dynamiques culturelles, qu’elles soient en ligne ou en présentiel. Aussi les pratiques des usagers composent-elles une grande part de la valeur culturelle des contenus et des services, et sont le moteur des mécanismes participatifs sur les plateformes contributives P. Collin, N. Colin, Mission d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, janvier 2013.. Dès les années 2000, Lawrence Lessig constatait que « l’intelligence ne réside plus au centre mais dans les périphéries L. Lessig, Free Culture. How Big Media Uses Technology and the Low to Lock Down Culture and Control Creativity, New York, Penguin Press, 2004. ». Cette « intelligence culturelle » distribuée façonne désormais l’environnement culturel en ligne en même temps que les stratégies industrielles et économiques, car nos « gestes numériques » – post, like, scroll, commentaires, partage, recherche, abonnement… – contribuent largement à alimenter les algorithmes. 

« L’intelligence dans les périphéries » de Lessig devient alors une notion clé : c’est depuis les marges, les communautés, les usages quotidiens que se produit la valeur des environnements numériques. Cela n’a pas échappé aux géants du Web qui ont utilisé ces nouvelles formes de production de valeur et d’intermédiation : d’une certaine manière, on pourrait dire qu’ils ont capté cette intelligence à leur seul profit, pour alimenter leurs propres économies et services en ligne. Sous couvert d’innovation et de révolution des usages, ces acteurs se développent en suivant les logiques classiques des industries culturelles par la concentration économique, technologique et informationnelle. 

Toutefois, malgré cette situation de monopole détenue par quelques grands acteurs économiques, nous devons pouvoir lui articuler la réalité d’un Internet décentralisé. Pour sortir de cette problématique qui guide, depuis plusieurs années, les efforts en matière de régulation menés au niveau européen ou national, il faudrait pouvoir penser les plateformes ou les médias sociaux dans la culture comme un service public de la culture dématérialisé, tel qu’on a pu l’envisager pour d’autres politiques publiques, et la place particulière que les usagers seraient amenés à y jouer. 

Pourquoi proposer cette hypothèse ? Depuis plus de dix ans, l’État dématérialise ses services publics – caisse d’allocations familiales, démarches en mairie, trésor public, formations… –, mais, étape après étape, on n’a pu que constater un non-recours des usagers à leurs droits sociaux, reflet criant de la difficulté technique, économique, cognitive et culturelle d’une partie de la population qui ne sait ni utiliser ni se repérer dans les environnements numériques. Ce taux important d’illectronisme représente encore aujourd’hui entre 15 % et 20 % de la population française Insee, Insee Première, no 1953, juin 2023.. La transformation numérique des services publics n’a donc pas supprimé les besoins d’accompagnement, elle les a démultipliés et a nécessité davantage de médiation humaine. Par ailleurs, cette dématérialisation a aussi rendu l’usager coproducteur du service public comme le montrent de récentes analyses Défenseur des droits, Dématérialisation des services publics : trois ans après, où en est-on ?, Rapport 2022.. Nous l’avons toutes et tous vécu durant les périodes de confinement de la crise sanitaire entre 2020 et 2021 lorsque, depuis chez nous, nous avons coproduit de l’école, du travail, de l’institution… derrière notre écran d’ordinateur ou notre tablette, prenant dès lors conscience que le numérique garantissait une continuité sociale. Dans le champ culturel, cette analyse trouve un terrain de résonance intéressant : depuis les années 2000, l’usager ne se contente pas de produire ou d’accéder à des contenus, mais, d’une certaine manière, il coproduit des services culturels, des contextes et expériences artistiques, des récits selon un principe de réception-production de l’information, et exprime son potentiel de « devenir auteur J.-L. Weissberg, « Retour sur interactivité », Revue des sciences de l’éducation, no 25(1), 1999. » tel que l’a conceptualisé Jean-Louis Weissberg. Peut-être y a-t-il là une perspective stimulante pour la coproduction des services publics dématérialisés : proposer que les usagers et publics participent davantage à la construction même des conditions de la découvrabilité des contenus en ligne ? Cette approche permettrait de dépasser les positions défensives que l’on rencontre souvent dans les milieux et institutions de la culture quand on traite des impacts du numérique. Positions qui freinent ce secteur pour trouver une place dans les transformations en cours. 

Découvrabilité : des politiques culturelles numériques territorialisées 

La seconde perspective qui ressort des réflexions abordées dans ce numéro serait de déplacer la focale vers les territoires. 

Le territoire est en effet l’espace dans lequel continue de se penser l’accès à la culture et à la création à partir des équipements, mais aussi l’espace dans lequel nous « situons » nos pratiques numériques : on regarde un film depuis son canapé, pas dans le cloud ! On écoute de la musique dans les transports, pas de manière virtuelle. Une rame de train ou de métro devient une salle de cinéma ; et une chambre ou un salon, une salle de danse ! Les cultures à domicile étudiées par Olivier Donnat O. Donnat, « Démocratisation de la culture : fin… et suite ? », dans Jean-Pierre Saez (dir.), Culture & Société. Un lien à recomposer, Toulouse, Éditions de l’Attribut, 2008. dans les années 2000 sont aujourd’hui connectées, reliées et fondent des communautés culturelles ainsi que des expériences culturelles hybrides. 

Les plateformes ne peuvent plus être appréhendées seulement comme des dispositifs de médiations « neutres », mais certainement comme des « équipements culturels » à part entière. En dehors des grandes plateformes qui accaparent l’attention existe une palette étendue de dispositifs qui mettent en lien contenus et publics, et qui ont une incidence territoriale forte. Cela concerne tout autant des plateformes gérées par des scènes de musiques actuelles (à l’image de L’Électrophone en Centre-Val de Loire ou de SoTicket), d’autres dédiées aux patrimoines (telle que Nantes Patrimonia), des médias et services de vidéo à la demande spécialisés sur des « offres de niche » (le documentaire de création avec Tënk, la création sonore avec Arte Radio, le film jeunesse avec MUBI…), mais aussi un dispositif national tel que le pass Culture. Tous jouent un rôle de prescription et d’organisation de la contribution culturelle à une échelle territoriale. Aussi, le territoire peut-il être l’espace d’une alternative à la prescription venant des Gafam, par un travail collectif sur les offres, les besoins, les pratiques et les esthétiques… 

Inventer des politiques culturelles pleinement numériques, c’est donc imaginer une continuité entre création, production, diffusion, médiation, accessibilité, diversité et contribution. C’est aussi articuler pratiques en ligne, via des plateformes ou des dispositifs, avec des pratiques en présence, que ces dernières s’expriment dans des lieux, chez soi, dans la rue… ou qu’elles soient produites par des amateurs, des usagers, des artistes et des professionnels. Autrement dit, il s’agit de concevoir une politique de la médiation pour garantir l’accessibilité aux contenus, accompagner les usages et répondre à un illectronisme culturel portant sur le sens et l’appropriation des outils. Pour y parvenir, il devient nécessaire de cultiver la capacité à investir les environnements numériques, à en comprendre les logiques, les rapports de force, les potentiels, les pouvoirs d’agir en tant qu’artistes, politiques, techniciens, publics, citoyens… C’est ainsi que pourra prendre forme une véritable politique de la contribution : en soutenant et en légitimant les formes de la prescription entre pairs et la coproduction de la découvrabilité. Cette perspective invite alors à intégrer pleinement la participation des usagers dans les stratégies publiques de diffusion, d’indexation, de recommandation sur les plateformes, mais aussi dans l’ensemble des dispositifs d’information, de communication et de prescription des offres culturelles (site web des équipements culturels, réseaux sociaux…). 

À ce titre, nous pourrions imaginer passer d’une économie des attentions par les plateformes, au développement d’une écologie de l’attention chère à Yves Citton Y. Citton, Pour une écologie de l’attention, Paris, Seuil, 2014., qui prendrait forme à travers un souci conjoint des usagers à faciliter, de pair à pair, l’accès à la diversité des œuvres et des contenus en ligne. 

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