17.03.2025 à 17:04
Équipe de l'Observatoire
La ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, et la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, ont présenté ce vendredi 14 mars un bilan chiffré de l'action des différents services de lutte contre la fraude aux recettes et aux dépenses publiques. Ce bilan porte sur la fraude fiscale, la fraude aux cotisations sociales, la fraude douanière et la fraude aux aides publiques. S'il reste à analyser ces résultats plus en détail lorsque (…)
- ActualitésLa ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, et la ministre du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, Catherine Vautrin, ont présenté ce vendredi 14 mars un bilan chiffré de l'action des différents services de lutte contre la fraude aux recettes et aux dépenses publiques. Ce bilan porte sur la fraude fiscale, la fraude aux cotisations sociales, la fraude douanière et la fraude aux aides publiques. S'il reste à analyser ces résultats plus en détail lorsque les données précises seront connues, plusieurs enseignements peuvent en être tirés.
Alors qu'Amélie de Montchalin vante des montants records, le montant de la fraude fiscale détectée est loin d'atteindre un montant record historique (pour mémoire, plus de 21 milliards d'euros avaient été détectés en 2015). Certes, les résultats de l'année 2024 s'annoncent supérieurs à ceux des années précédentes avec 16,67 milliards d'euros de fraude détectée et 11,44 milliards d'euros de montants encaissés contre respectivement 15,1 et 10,59 milliards d'euros en 2023. Le gouvernement annonce par ailleurs qu'en matière de lutte contre la fraude sociale, 2,9 milliards d'euros de fraude aux cotisations sociales ont été détectés.
Comment analyser ces résultats ?
Ces montants confirment l'ampleur de la fraude fiscale, estimée entre 80 et 100 milliards d'euros. Ils donnent tort aux voix qui en minimisent l'importance et affirment que la fraude sociale (la fraude aux cotisations sociales est estimée entre 6 et 8 milliards d'euros, voire entre 10 et 20 milliards d'euros selon les travaux), notamment celle aux prestations sociales (estimée entre 2 et 3 milliards d'euros), est plus élevée.
Sur le niveau des résultats proprement dits, il est assez évident que l'année 2024, bien que meilleure que l'année 2023, est loin d'être un record. Certes, les résultats des années 2024 à 2017 ont été boostés par le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR, qui traitait les déclarations de régularisation sur les comptes ouverts à l'étranger). Il n'en demeure pas moins que le STDR faisait partie d'une stratégie du contrôle fiscal et qu'il a participé des résultats de cette période. Surtout, ainsi que cela a démontré dans un rapport « Attac-Solidaires » sur la fraude [[Rapport Attac-Union syndicale Solidaires, « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible ! », mars 2022., les suppressions d'emplois dans les services de contrôle pèsent sur les résultats du contrôle fiscal.
On imagine ce que les résultats du contrôle fiscal auraient pu être si le niveau des emplois des services engagés dans la lutte contre la fraude fiscale avaient été maintenus. La DGFiP connaît en effet chaque année des vagues de suppressions d'emplois qui fragilisent ses missions, parmi lesquelles la détection de la fraude et le contrôle fiscal. Les pouvoirs publics préfèrent tabler sur l'intelligence artificielle (IA). Si un traitement rapide des données est évidemment utile, il reste que, d'année en année, les résultats des contrôles dont l'IA est à l'origine sont décevants. L'IA est en effet à l'origine de plus de la moitié des contrôles fiscaux, mais ceux-ci représentent moins de 14 % des résultats financiers.
De la même manière, le discours gouvernemental consistant, depuis l'annonce du plan « Attal » en 2023, à vanter le renforcement des services de contrôle en emplois est trompeur. Si certains services de contrôle sont effectivement renforcés, il ne s'agit en réalité que d'un redéploiement interne à la DGFiP. Concrètement, certains services perdent des emplois, ceux-ci étant « transférés » vers d'autres même si, au plan national, la DGFiP continue de perdre des emplois. Il reste donc beaucoup à faire en matière de renforcement de l'ensemble des moyens pour combattre la fraude fiscale.
Comme toutes les fraudes économiques et financières, l'évitement fiscal prend plusieurs formes, il évolue sans cesse, se sophistique et se complexifie.
Analyser l'évitement fiscal et son évolution implique d'examiner les différentes possibilités, légales ou non, de réduire l'impôt dû. Au sens large du terme, l'évitement fiscal consiste à utiliser toutes les possibilités offertes tant par les législations fiscales nationales que par les conventions fiscales internationales. Il les contourne également dans des schémas complexes. Il tient compte de l'évolution de l'économie (numérique, propriété intellectuelle, etc) et des possibilités qu'elles offrent, notamment en raison de règles fiscales souvent dépassées, dans ses stratégies.
En la matière, les orientations d'Attac consistent principalement à :
• réformer la législation fiscale pour la rendre plus juste et moins « contournable » : une « revue des niches fiscales », par exemple, doit permettre d'en réduire le coût budgétaire et le nombre en supprimant celles qui sont injustes, inefficaces ou anti-écologiques, et, par la même occasion, de réduire la fraude à ces dispositifs. De la même manière, une « taxation unitaire » permettrait de neutraliser l'évasion fiscale de multinationales,
• renforcer les moyens du contrôle fiscal : créer des emplois dans l'ensemble des services de gestion, de recherche, de contrôle et de recouvrement de la DGFiP, des douanes et des services spécialisés, améliorer les moyens juridiques avec le renforcement à l'accès aux informations et l'extension de la liste des territoires coopératifs par exemple, renforcer les moyens matériels, etc.
• améliorer la coopération internationale, avec la création d'un cadastre financier par exemple.
06.03.2025 à 08:58
Équipe de l'Observatoire
Le gouvernement a annoncé un changement de méthode, qu'il qualifie « d'inédite », dans le suivi et la conduite des finances publiques. Trois séries d'annonces ont été faites. L'organisation d'une « grande conversation » sur les finances publiques. La création d'un comité d'alerte. L'instauration d'un « cercle des prévisionnistes » Il importe de remettre ces annonces en perspective.
L'organisation d'une « grande conversation » sur les finances publiques. La ministre chargée des comptes (…)
Le gouvernement a annoncé un changement de méthode, qu'il qualifie « d'inédite », dans le suivi et la conduite des finances publiques. Trois séries d'annonces ont été faites.
– L'organisation d'une « grande conversation » sur les finances publiques.
– La création d'un comité d'alerte.
– L'instauration d'un « cercle des prévisionnistes »
Il importe de remettre ces annonces en perspective.
L'organisation d'une « grande conversation » sur les finances publiques.
La ministre chargée des comptes publics, Amélie de Montchalin, a ainsi déclaré : « Nous allons ainsi ouvrir dans quelques semaines ce que j'appelle une “grande conversation” avec eux sur notre nation et nos finances », afin de « mettre de la transparence, de partager un diagnostic, de répondre aux idées reçues, voire aux fake news ». Pour le gouvernement, la tenue d'un « événement national » baptisé « Notre Nation, nos finances » serait ainsi l'occasion de partager des « données indiscutables qui permettent d'engager cette conversation nationale sur le sujet du budget ».
La création d'un comité d'alerte qui porterait sur l'ensemble de la dépense publique (Etat, Sécurité sociale et collectivités locales) associant les parlementaires .
L'objectif de ce comité serait de faire périodiquement le point sur la mise en œuvre du budget afin, le cas échéant, de proposer des « corrections adaptées ».
L'instauration d'un « cercle des prévisionnistes » .
Celui-ci serait composé de différents « experts académiques et institutionnels » dont l'objectif serait de suivre et de s'adapter aux évolutions du contexte macroéconomique.
Officiellement, cette nouvelle méthode vise à répondre tout à la fois aux critiques sur les prévisions budgétaires et de lancer une réflexion plus globale sur l'évolution des finances publiques « à l'horizon d'une génération ». L'idée du gouvernement est de se projeter à l'horizon 2050 afin d'identifier ce qui, selon lui, doit être prévu en matière de transition écologique, d'investissements en matière de défense ou encore de conséquences du vieillissement de la population.
Si l'on ne peut que souscrire à toute volonté de mieux informer la population et d'associer davantage les parlementaires aux décisions politiques, la prudence s'impose. Il importe en effet de remettre ces annonces en perspective. Pour le gouvernement, celles-ci n'ont par exemple aucune vocation à remettre en cause la « trajectoire » budgétaire consistant à ramener le déficit budgétaire à 3 % du produit intérieur brut (PIB) en 4 ans, au prix d'une véritable austérité. Le gouvernement ne cache d'ailleurs pas sa volonté de réduire les dépenses publiques, dans l'ensemble des « sphères » (Etat, collectivités locales et Sécurité sociale). La méthode évolue (peut-être), mais les orientations demeurent (certainement)...
A plus long terme, les orientations portées par le gouvernement consistent manifestement à prioriser certaines dépenses sur d'autres et, au passage, s'agissant de l'impact du vieillissement de la population, à arguer qu'il faut éviter de remettre la « réforme » des systèmes de 2023 en question. Autrement dit, la grande conversation pourrait prendre les allures du « grand débat » qui avait été l'occasion pour Emmanuel Macron d'occuper le terrain et de conforter ses positions. Quant au comité et au cercle des prévisionnistes, on peut s'interroger sur la création de nouvelles instances dans un environnement qui en compte déjà un certain nombre (Cour des comptes, Haut conseil des finances publiques, etc). Associer les parlementaires au quotidien, renforcer leurs moyens, améliorer leur information et tenir compte de certaines de leurs positions constituerait une alternative plus démocratique.
Le gouvernement sait que l'enjeu des finances publiques et du partage des richesses est essentiel. Mais, accroché à ses dogmes, il refuse de mener le débat de fond. De ce point de vue, ces annonces s'apparentent davantage à un brassage d'air. Si le gouvernement veut démontrer sa bonne foi (mettons-le au défi !), il a au moins deux occasions de traduire très rapidement en actes ses récentes promesses. La première serait de soutenir (après l'avoir combattue), la proposition de loi sur l'instauration d'une contribution sur les plus riches votée par l'Assemblée nationale. Une telle mesure dégagerait des recettes et améliorerait un consentement à l'impôt mis à mal par des années d'injustice fiscale. Elle répond à la demande de la grande majorité de la population (exprimée dans les enquêtes d'opinion et dans les cahiers de doléance notamment) d'instaurer un impôt sur la fortune. La seconde serait d'entendre les propositions de l'association Attac et de nombreuses organisations qui s'expriment de longue date sur les idées reçues en matière de fiscalité, le rôle de l'impôt, la justice fiscale, les choix budgétaires à faire, etc. Chiche ?
31.01.2025 à 06:38
Équipe de l'Observatoire
Tout débat sur l'évolution des finances publiques et de la politique fiscale en vient nécessairement à aborder la question de la dette publique. Parmi les facteurs qui expliquent son niveau figure bien entendu la fiscalité. Une baisse d'impôt se traduit par un manque à gagner, à moins qu'elle ne parvienne à relancer tel ou tel secteur économique, ce qui est somme toute rarement démontré. Si on songe spontanément à des mesures comme la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (…)
- ActualitésTout débat sur l'évolution des finances publiques et de la politique fiscale en vient nécessairement à aborder la question de la dette publique. Parmi les facteurs qui expliquent son niveau figure bien entendu la fiscalité. Une baisse d'impôt se traduit par un manque à gagner, à moins qu'elle ne parvienne à relancer tel ou tel secteur économique, ce qui est somme toute rarement démontré. Si on songe spontanément à des mesures comme la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière, il convient également d'analyser l'impact de certaines « dépenses fiscales » (les fameuses « niches fiscales ») et l'évolution de la mécanique de certains impôts. C'est l'objet du présent billet.
De très longue date, de nombreuses mesures, toujours existantes, présentent en effet un coût budgétaire important. Le coût de ce qu'il est convenu de nommer « niches, fiscales ou sociales », a ainsi atteint en effet des niveaux record au cours des dernières années, sans que ces dispositifs aient démontré leur efficacité en termes de relance de l'activité économique et par voie de conséquence, de rentrées fiscales et sociales.
On dénombre plus de 470 « dépenses fiscales » (la dénomination budgétaire officielle des « niches fiscales ») auxquelles il faut ajouter des mesures dites « déclassées » (c'est-à-dire n'étant plus considérées comme des dépenses fiscales mais comme des modalités particulières de calcul de l'impôt) parmi lesquelles le régime « mère-fille », le régime de l'intégration fiscale ou l'exonération de certaines plus values des sociétés (dite « niche Copé » du nom de son instigateur). Le coût global des dépenses fiscales s'élevait à 96,1 milliards d'euros en 2023. Le coût des « modalités particulières de calcul de l'impôt » mentionnées ici était évalué dans le projet de loi de finances pour 2019 à 7 milliards d'euros pour la niche « Copé », 17,6 milliards d'euros pour le régime « mère fille » et 16,4 milliards d'euros pour le régime de l'intégration fiscale. Ils ne font plus l'objet d'évaluation depuis, sans qu'une explication n'ait été apportée par le pouvoir. Le coût des différents allègements de cotisations sociales, également dénommées « niches sociales », avoisine pour sa part les 90 milliards d'euros.
Tous les ans, un rapport spécial des deux commissions des finances (Assemblée nationale et Sénat) est consacré aux « remboursements et dégrèvements », qui constituent des restitutions trouvant leur origine « dans le fonctionnement concret de certaines impositions (remboursement de trop versés), dans la mise en œuvre de politiques publiques (crédits d'impôt) ou encore dans la rectification du montant d'un impôt (correction d'une erreur matérielle, conséquences d'un contentieux fiscal ou application d'une convention internationale par exemple) [1]. Le coût budgétaire de ces « remboursements et dégrèvements » est élevé : il représente un peu moins de 30% des recettes fiscales brutes en 2025. Et il est en constante évolution : il a en effet globalement progressé de 142 % depuis 2001 et de 182 % pour les impôts d'État.
Depuis plusieurs années, ces rapports parlementaires s'inquiètent plus particulièrement de la hausse du coût de deux dispositifs, l'un lié à la mécanique fiscale (les remboursements de crédit de TVA), l'autre découlant d'une dépense fiscale (le crédit d'impôt recherche).
En effet, une entreprise est tenue de déclarer à l'administration fiscale la TVA qu'elle paie sur ses achats et celle qu'elle collecte sur la vente de ses biens ou services. La plupart du temps, l'entreprise reverse la différence. Mais lorsque la TVA qu'elle a payée sur ses achats (la « TVA déductible ») est supérieure à celle qu'elle a encaissée sur ses ventes (la « TVA collectée »), elle peut, sous conditions, demander le remboursement de la différence (qui constitue un crédit de TVA). Or, le Sénat [2] relevait que les remboursements de crédit de TVA, estimés à 80,3 milliards d'euros en 2025, sont en forte hausse tendancielle « de 2014 (exécution) à 2025 (prévisions PLF), la progression des remboursements de TVA s'élève à 68,6 %, représentant 32,7 milliards d'euros ». Le Sénat précise que, si les restitutions de TVA découlent de la mécanique classique de fonctionnement de la TVA ; « le niveau élevé des remboursements ainsi que la hausse continue, dans des proportions plus élevées que l'évolution de la valeur ajoutée elle-même, impose une vigilance accrue sur les risques de montages frauduleux ».
Le Sénat relève par ailleurs que le coût du crédit d'impôt recherche (CIR) est en forte hausse depuis la réforme de 2008 : « en 2009, il s'établissait à 4,5 milliards d'euros pour un peu plus de 14 000 dossiers, il devrait représenter, en 2025, 7,7 milliards d'euros pour près de 15 500 entreprises ». Le CIR est très concentré sur les grandes entreprises : « les cinquante premières entreprises bénéficiaires du CIR concentrent à elles seules près de 45 % du bénéfice du dispositif, tandis que les 200 premières entreprises représentent près des deux tiers du coût total ». Le Sénat s'interroge sur l'efficacité de ce dispositif, puisque « l'effet du CIR sur l'effort supplémentaire de recherche fourni par les entreprises se limite à un réinvestissement égal au bénéfice du dispositif ». En d'autres termes, un CIR accordé est reconduit sur les dépenses du même type sans effort supplémentaire de la part de l'entreprise. Le Sénat s'inquiète également des difficultés de contrôler le CIR.
Par ailleurs, alors que la fraude fiscale est évaluée entre 80 et 100 milliards d'euros, la baisse des moyens des administrations fiscales et douanières notamment contribue également à affecter le rendement des recettes fiscales, comme cela a été démontré dans un rapport de 2022 consacré à l'évaluation des résultats du contrôle fiscal [3]. Dans leurs multiples annonces, les gouvernements successifs ont en effet omis de préciser qu'année après année, ils sapaient les moyens humains de l'administration fiscale et de ses services de contrôle…
Tout gouvernement sérieusement attaché aux comptes publics devrait tirer des conclusions de la lecture de ces travaux parlementaires. Il devrait également engager une stratégie globale contre l'évitement de l'impôt.
[1] Rapport de la Commission des finances de l'Assemblée nationale sur le projet de loi de finances 2025, annexe 39, « Remboursements et dégrèvements », 19 octobre 2024.
[2] Rapport de la Commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances 2025, annexe n° 27, « Remboursements et dégrèvements », 21 novembre 2024.
[3] Rapport Attac-Union syndicale Solidaires, « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales, ne pas se tromper de cible », mars 2022.