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17.10.2025 à 12:25

Lecornu II : le (pitoyable) théâtre du journalisme politique

Jérémie Younes, Pauline Perrenot

Gardiens de l'ordre.

- Politique / ,
Texte intégral (4364 mots)

En pâmoison devant le discours de politique générale du nouveau Premier ministre, émoustillé par la perspective de « non-censure » au point de désinformer sans entraves sur la question des retraites, le journalisme politique nous a encore gratifié d'une très grande scène de son théâtre habituel. Tandis que la co-production de l'information politique (en huis-clos) bat son plein, les grands médias pèsent de tout leur poids sur la recomposition du champ politique en général… et de « la gauche » en particulier.

Dans la foulée du discours de politique générale de Sébastien Lecornu, plateaux et journaux ne savaient plus se contenir : « Est-ce la fin de la crise politique ? » se demandait-on en chœur. « Suspension » de la réforme des retraites, promesse de renoncer au 49.3, accord de non-censure avec le Parti socialiste : la perspective, même momentanée, d'une éventuelle « stabilité politique », tant désirée par les partisans de l'ordre, a déclenché une nouvelle vague d'unanimisme éditorial, où la désinformation le dispute à la dépolitisation médiatique de la politique.

Lecornu-mania

« Un discours habité de Sébastien Lecornu » ! Il est 16h05 ce mardi 14 octobre et le discours de politique générale vient d'être prononcé par le nouveau-nouveau Premier ministre. Les éditorialistes de LCI, emballés, ne savent plus quels qualificatifs enfiler : le discours est une « réussite » pour Élizabeth Martichoux, qui l'a trouvé « inédit », par « sa forme, sa durée », « son débit de mitraillette », mais aussi par « sa transgression, évidemment ». Patrice Duhamel le juge lui « extrêmement efficace, sobre, d'un pragmatisme tout à fait exceptionnel ». « Très efficace », confirme Renaud Pila. « Rusé, habile, très original » ajoute le sondeur Fréderic Dabi : « Il y avait du Rocard […], il y avait du Louis XI. » Il y avait aussi du Chaban-Delmas pour Valérie Nataf : « Un côté "nouvelle société" dans ce discours », qui était « d'une modernité absolument incroyable ! ». « Nous sommes en plein compromis », se réjouit plus tard David Pujadas, « et quel compromis ! Là, Sébastien Lecornu donne entière satisfaction ! » L'enthousiasme bat aussi son plein sur BFM-TV, avec le grand frère de Patrice, Alain Duhamel, qui a trouvé le discours « intelligent », « sobre » et « court ». Le journaliste Thierry Arnaud parle lui de « la promesse tenue de la rupture ». Même ambiance sur Franceinfo, où nous sommes « avec la crème de la crème de l'éditorialisme politique », dixit la présentatrice, à savoir Nathalie Saint-Cricq (épouse de Patrice Duhamel) et Gilles Bornstein. La directrice des rédactions nationales de France Télévisions a trouvé le discours de Sébastien Lecornu « efficace », « sérieux », « raisonnable », estime que « c'est malin » et que « ça devrait marcher ». Gilles Bornstein voit quant à lui « un style Lecornu qui est en train d'émerger », « sans esbroufe, sans emphase », « avec les mots attendus ».

L'allégresse est partagée par une large partie de la presse écrite. Libération a aussi trouvé Lecornu « plus malin que ses prédécesseurs », et salue, sur la forme, la fin du « ton sentencieux » et des « logorrhées digressives » (14/10), et sur le fond un Lecornu « humble », « combatif » et « revenu de loin » (15/10). Le Monde juge la déclaration de politique générale du Premier ministre « tout simplement décisive » (15/10). Dans son éditorial, titré « Savoir sortir d'une crise », le journal de référence se réjouit d'« un pas important sur la voie du compromis », et prévient : « censurer le gouvernement serait désormais incompréhensible » (15/10). Politico cite des sources parlementaires sans les nommer, qui permettent d'adresser des compliments indirects : « Il a sorti le grand jeu », « il a été extrêmement bon », etc. (15/10) Mêmes louanges au Progrès, qui félicite un Lecornu « politiquement habile », « les mains dans le cambouis » (15/10), quand La Dépêche applaudit la « tactique du moine-soldat » (15/10). Pour Ouest-France, le discours « sobre », « efficace » et « imparable » du Premier ministre constitue « une proposition qui ne se refuse pas ». L'extraordinaire uniformité de tous ces commentaires s'explique peut-être par ce qu'on apprend dans Midi Libre (15/10) : « Mardi matin, un proche conseiller du chef de l'État sollicitait la presse quotidienne régionale pour commencer à faire l'exégèse du discours de politique générale. » On peut le dire : opération réussie !

Réforme des retraites : mise en scène… et désinformation en masse

Avec une presse si bien disposée à l'égard du pouvoir, nulle surprise à observer le journalisme de cour redoubler d'effort pour matraquer la martingale du moment, commune au gouvernement de Sébastien Lecornu et au Parti socialiste, son allié de circonstance : la « suspension de la réforme des retraites ». Désignée par le PS comme une condition sine qua non de la « non-censure », annoncée par le Premier ministre dans son discours de politique générale, scrutée par tous les journalistes de France et de Navarre comme le signe d'une stabilité retrouvée, la « suspension » est naturellement sur toutes les lèvres… et à la Une de la quasi-totalité des journaux.

Peu importe qu'au moment de décider de tels gros titres, aucune rédaction ne connaisse les modalités concrètes de la mise en œuvre de cette « suspension ». Peu leur importe non plus – pour ne pas dire encore moins – que les plus fins connaisseurs du sujet aient immédiatement cherché à tempérer l'emballement, notamment en pointant l'usage équivoque du terme « suspension » : « Il ne s'agit pas d'un gel de la réforme ("suspension") au sens où la réforme n'est pas arrêtée au point qu'elle a atteint en 2025 », précise par exemple le chercheur Michaël Zemmour sur son blog d'Alternatives économiques (14/10), évoquant plutôt « un décalage du calendrier de la réforme de 2023, d'environ 3 mois pour les générations 1964 à 1968 » – ce qui, convenons-en, est tout de suite moins spectaculaire… « La suspension annoncée est en réalité un décalage de son application de quelques mois seulement, ajoute la CGT, qui dénonce par voie de communiqué une nouvelle manœuvre « au mépris de la mobilisation de millions de travailleurs et de travailleuses depuis 2 ans et demi. […] Décaler n'est pas bloquer, ni abroger ». Autant de voix qui pèsent peu dans le tohu-bohu médiatique : si, de la PQR aux chaînes d'info, des journalistes ont bel et bien cherché à nuancer l'emballement, on sentait les chefferies trop impatientes de surjouer le théâtre du « compromis » et de « l'abandon de la réforme des retraites ». Une comédie jouée à guichets fermés à peine le discours de politique générale terminé, dramatisation garantie.

Sur LCI (14/10), la présentatrice Marie-Aline Meliyi s'emballe : « La suspension de la réforme des retraites, c'est LE point clef du discours de politique générale prononcé il y a quelques minutes par Sébastien Lecornu [...]. C'est une rupture ! » Au même moment, à l'antenne de BFM-TV, son homologue Pauline Simonet dirait même plus : « La chute d'un totem d'Emmanuel Macron. » Le mot d'ordre infuse partout. « La chute du totem, la fin d'un tabou », proclame Sud Ouest (15/10). « Lecornu fait tomber un totem » avance également en Une Le Républicain lorrain. Du côté du Parisien (15/10), on multiplie aussi les hyperboles au moment d'expliquer aux lecteurs « pourquoi Lecornu a lâché le totem », la rédaction évoquant tantôt un « "bougé" majeur », tantôt une « concession majeure ».

L'AFP ne dément pas l'information, qui, par la voix du « spécialiste en communication politique » Philippe Moreau-Chevrolet, salue « une concession majeure » d'Emmanuel Macron « sur ce qui devait être son testament politique » (14/10). Une « concession majeure de Matignon », confirme L'Union (15/10). Une « décision majeure », reformule Libération (15/10), qui prend décidément son rôle de journal d'opposition très au sérieux. « Cette reculade macroniste est un tournant », se félicite d'ailleurs Paul Quinio, le directeur délégué de la rédaction, légèrement moins emphatique que Le Berry Républicain, qui nous apprend quant à lui que Sébastien Lecornu « a porté l'estocade finale à l'héritage de son bienfaiteur ». « Un dogme de l'ère macroniste vient de tomber », lâche aussi Olivier Pérou dans Le Monde (15/10). Le curseur de la dramatisation est poussé un cran au-dessus dans les pages du Figaro. « Lecornu sacrifie les retraites », titre sans honte le quotidien (15/10), qui n'en démord pas : « La concession est immense ». Tellement immense que Guillaume Tabard parle d'un « scalp de la réforme des retraites », là où son confrère Vincent Trémolet de Villers assimile le discours de politique générale à « une grande braderie d'automne ». Le directeur délégué de la rédaction n'était pas au bout de ses capacités : « Lecornu a reculé comme un lion ; Emmanuel Macron est revenu à la source de sa vie politique : le socialisme. » Carrément ! L'éditocratie radicalisée vit ce moment comme une telle révolution qu'Hubert Coudurier en a des sueurs froides : « Le chef du gouvernement risque d'être victime de la surenchère des socialistes pour le vote du budget », tremble-t-il dans Le Télégramme (15/10). Même son de cloche sur LCI : « Est-ce que le Parti socialiste va rester sur une position de chantage et va trouver une nouvelle ligne rouge ? », s'inquiète Élizabeth Martichoux (14/10).

Restent enfin quelques titres pour tester certaines formules plus innovantes au registre de la désinformation. La Voix du Nord (15/10) par exemple, qui soutient qu'« en une demi-heure chrono, Sébastien Lecornu a enterré [...] la réforme des retraites » ; Presse Océan, qui déclare en gros titre le « gel de la réforme » (15/10) ; Le Figaro, qui parle de « l'abandon de la seule réforme de ce second quinquennat » (15/10) ou encore Stéphane Vernay qui, dans son éditorial à la Une de Ouest-France (15/10), annonce aux lecteurs « une suspension complète de la réforme des retraites ». « S'il n'est pas permis de sacrifier son roi aux échecs, le Premier ministre a quand même décidé de bazarder une pièce majeure du camp macroniste : la réforme des retraites », s'avance également Midi Libre (15/10) qui, dans un article voisin, prétendait pourtant ne pas être dupe de la communication politicienne : « Le Château veut montrer qu'Emmanuel Macron cède sur ses fondamentaux, que les concessions faites ébranlent ses totems, qu'il est près [sic] à tous les sacrifices pour sortir de la crise. » Et comme d'habitude, il peut compter sur la presse française pour servir cette entreprise.

Comme du temps de la « pension minimale à 1200 euros » [1], faux scoop et dramatisation tiennent donc lieu d'information. Et si quelques accidents de « vérité » surviennent, ils ne pèsent pas grand-chose face au bruit médiatique dominant. Car un éditocrate préfèrera toujours aux faits… la bonne vieille tambouille politicienne. Exemple sur RMC (15/10), où l'économiste Michaël Zemmour dévie à 180°C du cadrage fixé par son intervieweuse en lui donnant, sobrement, une leçon de journalisme :

- Apolline de Malherbe : Lorsque vous avez entendu ces mots de Sébastien Lecornu hier, lorsque vous avez vu qu'il était applaudi sur les rangs des socialistes, est-ce que, comme eux, vous diriez que c'est une victoire de la gauche ?

- Michaël Zemmour : Euh… Ce que j'ai fait quand j'ai entendu le Premier ministre, c'est que j'ai essayé de comprendre quel était le contenu de la mesure.

Précisément la tâche à laquelle auraient dû se consacrer les rédactions. Las, sacrifiant toute déontologie sur l'autel de la dramaturgie politico-médiatique, les médias dominants signent une nouvelle fois le triomphe de la comm'. Il faut dire que l'enjeu était de taille… Tout à sa quête de stabilité – que lui commande sa fonction de gardien de l'ordre –, l'éditocratie n'avait qu'un seul cap depuis des semaines : éviter la censure d'un énième (et peut-être ultime) gouvernement macroniste. Et tout à ses obsessions politiciennes, elle a par conséquent scruté les positions du principal levier capable d'assurer cet objectif : le Parti socialiste.

La gauche respectable et les méchants

À la recherche de tout indice permettant de nourrir l'espoir de survie du gouvernement Lecornu II, le journalisme politique s'occupe en commentant les moindres attitudes des uns et des autres : « Pendant le discours, on a vu François Hollande lancer les applaudissements », note LCI. « Les sourires socialistes ne trompent pas, selon Le Figaro (15/10), le hochement de tête victorieux d'Olivier Faure encore moins ». « Par ce hochement de tête, Olivier Faure acte sa victoire », confirme lui aussi David Pujadas (LCI, 15/10). « Sur les bancs socialistes, le soulagement et le contentement se lisent sur les visages », abonde Le Monde (15/10). Valeurs Actuelles n'a lui discerné « qu'un léger sourire » sur le visage d'Olivier Faure. La construction continue de la centralité du PS dans l'agenda et le commentariat médiatiques trahit le point de vue qu'adoptent à l'unanimité les rédactions : celui du gouvernement, suspendues qu'elles sont, comme lui, aux moindres faits et gestes des députés PS. À tel point que les journalistes leur courent après et le signifient à l'antenne. Guillaume Daret : « Allez, on va faire les couloirs du palais Bourbon pour essayer de vous trouver un socialiste qui veut parler ! » (BFM-TV, 14/10). Le landerneau politique se les arrache et leur réserve les plus hauts-lieux du PAF : « Toutes les caméras étaient bloquées sur vous aujourd'hui, c'est vous qui détenez la clef de la survie du gouvernement », résume Jean-Baptiste Boursier face à Olivier Faure, invité du 20h de TF1 (14/10). « Vous êtes le vice-Premier ministre », lui lance carrément Apolline de Malherbe, le lendemain matin, sur BFM-TV (15/10). « Le Premier ministre, c'est lui », confirme Guillaume Tabard (Le Figaro, 15/10). « Olivier Faure savoure »… et Libération profite : « Les socialistes peuvent revendiquer une victoire symbolique », explique Charlotte Belaïch (15/10). « Une victoire en forme de première étape », pour Le Parisien (15/10). « Les succès se font rares » pour le PS, note L'Écho Républicain (15/10) : « Celui glané hier dans l'Hémicycle est considérable. » « Le PS fait plier Lecornu sur les retraites » titre encore L'Union (15/10). Journaliste… ou attaché de presse ?

Et Élizabeth Martichoux de dévoiler un autre – si ce n'est le principal – motif de satisfaction parmi l'éditocratie (LCI, 14/10) :

Élizabeth Martichoux : Je parlais d'une victoire d'Olivier Faure mais elle est double, parce qu'effectivement, ce sera le coup de grâce [pour les Insoumis] ! Et là évidemment, LFI va se déchaîner, mais le Parti socialiste aura fait ce qu'il a manqué de faire depuis des années, du point de vue de ceux qui défendent la social-démocratie, c'est-à-dire couper court à un accord avec Jean-Luc Mélenchon et ses députés.

Trier le bon grain (« réformateur ») de l'ivraie (« jusqu'au boutiste ») ? Les prescriptions ordinaires de l'éditocratie. Diaboliser La France insoumise en applaudissant le « décrochage » du PS du NFP ? Son passe-temps depuis deux ans. Peser de tout son poids sur la définition de « la gauche » ? Son militantisme ordinaire. Ainsi les chefferies médiatiques profitent-elles de cette séquence de recomposition politique pour jouer les arbitres des élégances, bien décidées à s'assurer que le PS rentre dans le rang – l'avait-il déjà quitté ? « Ils ont été capables de montrer qu'ils pouvaient s'émanciper clairement de La France insoumise », les congratule la journaliste Marie-Aline Meliyi sur LCI (14/10). Rejointe sur cette ligne par sa collègue Ruth Elkrief, un peu plus tard dans la soirée :

Ruth Elkrief : C'est une victoire politique très importante pour [le Parti socialiste] dans leur chemin d'autonomisation par rapport à LFI et dans le chemin de reprise de leur ascendant au sein de la gauche. C'est un moment clef ! Donc il faudra bien profiter de ce moment-là...

Libération ne boude pas non plus son plaisir : Charlotte Belaïch décrit ainsi les Insoumis comme des rabat-joie, « concentrés à dégonfler la victoire brandie par les roses » (15/10). Toujours aussi brillant. « Les Insoumis [cherchent] à minorer la concession accordée ce mardi par Lecornu », regrette aussi Le Parisien (15/10). L'article ne s'attarde pas sur les critiques insoumises, mais prend tout de même le temps de dire qu'elles sont « balayées par le PS ». L'espoir d'une relégation de LFI réjouit bien sûr au Figaro, où l'on affirme que « les socialistes se sont même offert le luxe de s'émanciper [...] des Insoumis et de leurs acolytes écologistes » (15/10), comme au Télégramme (15/10), qui considère lui que les « socialistes se dégagent de l'emprise des Insoumis et abordent les municipales en meilleure posture ». Comme souvent, la synthèse est livrée dans Le Monde (15/10) : « Signe que la piste [de la suspension de la réforme des retraites] n'est pas inintéressante, cette perspective a semblé gêner Jean-Luc Mélenchon. » « Gêner LFI » devenu le critère d'appréciation des faits politiques dans toute la presse : aveu involontaire ? La meilleure version de ce refrain sera indubitablement chantée sur BFM-TV, dans une version crue et sans arrangements. Après que les députés Laurent Baumel (PS) et Alma Dufour (LFI) ont débattu en plateau, les journalistes-arbitres résument ce qu'ils veulent bien en retenir :

- Alain Marschall : [...] De ce qu'on peut voir sur notre plateau en direct, j'ai l'impression qu'en fait, la France insoumise va pourrir le débat parlementaire !

- Antoine Oberdorff (L'Opinion) : Va même souiller la copie en réalité !

La presse est donc à l'unisson : la « suspension » de la réforme des retraites est une « victoire majeure » pour le PS, le signe prometteur d'une renaissance de la « gauche de gouvernement » et une chance inespérée pour la stabilité du pouvoir macroniste.

Naturellement, les plus éminents journalistes politiques savent être au rendez-vous de cette vaste séquence de dépolitisation. Dans Le Monde (15/10), Olivier Pérou fait ainsi des « révélations », pas peu fier de nous faire profiter de son entregent ! Ayant visiblement accès aux SMS de François Hollande, la fine fleur nous narre les coulisses de cet accord de non-censure entre la macronie et le PS : théâtre dans le théâtre. Et comédie maximale sur LCI, où l'on ne sait plus quoi inventer pour prôner la non-censure. C'est Renaud Pila qui ouvre le bal : « Vous savez, je crois que plus on s'approche des fêtes de Noël, plus une immense majorité des Français va dire "mais c'est pas possible, on a la tête ailleurs, on a des problèmes de pouvoir d'achat". Et en novembre ou en décembre on va faire tomber le gouvernement ?! » Nous connaissions « les grèves doivent s'arrêter parce que Noël arrive », voici venu le temps de « Sébastien Lecornu doit rester parce que Noël arrive ». L'esprit de l'éditorialiste y voit néanmoins un lien logique, car qui dit stabilité retrouvée dit espoir de réforme :

- Pascal Perri : Je me réjouis qu'à court terme on ne rentre pas dans des guerres picrocholines... ou des élections... vous vous rendez compte ? Enfin, des élections... juste avant Noël, ou juste après Noël, dans un pays qui a une hypersensibilité politique.... on n'avait pas besoin de ça !

- David Pujadas : Donc le jeu en valait la chandelle ? Céder sur toutes les exigences du Parti socialiste, le jeu en valait la chandelle ?

- Pascal Perri : Oui, mais il faudra faire la réforme des retraites.

- David Pujadas : Plus tard ?

- Pascal Perri : Dès que possible.

Derrière les applaudissements de façade, les chiens de garde ruminent et veillent au grain. « Le sort économico-politique du paquebot France, toujours en proie à la voie d'eau d'un déficit incolmatable, attendra », se désole-t-on par exemple au Berry Républicain. « [F]aire l'autruche ne sera pas plus à la hauteur demain », prévient aussi Olivier Biscaye, directeur de la rédaction de La Provence (15/10). Même tonalité à la tête du Parisien (15/10), où le chef adjoint, Olivier Auguste, s'adresse fermement à tous les futurs candidats à l'élection présidentielle, lesquels « devront [...] bien expliquer que, sauf à se diriger vers l'effondrement du système par répartition, il faut trouver des façons acceptables de prolonger la carrière des Français […]. À moins de leur faire croire que, de la prolongation du déni, naîtra une solution […]. »

***

À l'été 2024, les grands médias réussissaient à faire oublier le résultat des élections législatives. Un an plus tard, obnubilé par la sauvegarde du gouvernement Lecornu, le journalisme de cour applaudit le sacro-saint « compromis » de la (non garantie) « suspension de la réforme des retraites »… pour mieux oublier tout le reste : accessoirement, un budget qui accumule les mesures anti-sociales [2] et « dont les principales mesures ressemblent furieusement à celles du budget Bayrou », selon la très gauchiste Dépêche (15/10). Le tout au mépris du pluralisme, mais aussi de la déontologie la plus élémentaire. Manifeste, la co-construction de l'information politique bat son plein, à mesure que les commentateurs distribuent leurs bons (et mauvais) points au sein de « la gauche », adoubant le PS, diabolisant LFI. Et si l'exercice relève parfois de la pratique routinière et dépolitisée du journalisme politique, la plupart des chefferies médiatiques campent résolument leur rôle d'acteurs politiques dans la séquence, au service d'un seul et même objectif : préserver l'ordre.

Pauline Perrenot et Jérémie Younes


15.10.2025 à 10:31

Sortie du Médiacritiques n°56 : Les médias contre la rue

Acrimed

Parution le 27 octobre.

- Médiacritiques
Lire plus (356 mots)

Le Médiacritiques n°56 sortira de l'imprimerie le 27 octobre. À commander dès maintenant sur notre site ou à retrouver en librairie. Et surtout, abonnez-vous !

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13.10.2025 à 11:37

Palestine : un mois ordinaire dans les médias français (1)

Pauline Perrenot

Texte intégral (5331 mots)

Septembre 2025. Bribes du naufrage, ici et là.

TF1 et France 2 · 5-14/09. C'est une hiérarchie de l'information ordinaire. Face à l'anéantissement méthodique de Gaza-ville, les JT de 13h et 20h assurent le service minimum. Entre le 5 et le 14 septembre selon une étude d'Arrêt sur images, 13h et 20h cumulés, France 2 « évoquera Gaza durant près de cinq minutes au total sur dix jours, quand TF1 y consacrera près de huit minutes. » Confrontées à cette « présence modérée de Gaza à l'antenne », dixit Télérama (23/09), les deux chaînes déroulent leur argumentaire dans les pages de l'hebdomadaire. Directrice adjointe de l'information à France Télévisions, Muriel Pleynet explique la « nécessité de respecter une forme d'équilibre entre les deux bords », « d'avoir une ligne très factuelle » et de ne pas « être dans le parti-pris ». On apprend par ailleurs que France 2 « n'utilis[e] pas le mot "génocide" car, pour l'instant, le droit international ne parle pas de "génocide" ». Tout simplement. Du côté de TF1, Gilles Bouleau « a utilisé pour la première fois ce mot mardi 16 septembre [2025] » pour citer les conclusions de la commission d'enquête indépendante de l'ONU. Le maigre traitement de Gaza ? Le présentateur et rédacteur en chef du 20h avance qu'« on a choisi de ne pas feuilletonner, ni de tenir tous les jours la "chronique" de cette guerre ». Et de poursuivre en se disant attaché à ce que la rédaction de TF1 ne soit pas « instrumentalisée, que ce soit par le Hamas ou les autorités israéliennes » : « Il nous faut des journalistes expérimentés, à équidistance, pas des militants ». Bref, l'autocritique journalistique est loin d'être à l'ordre du jour.

***

Sud Radio · 8/09. C'est un interrogatoire ordinaire. À peine évoque-t-elle la flottille humanitaire pour Gaza que la députée Clémence Guetté (LFI) affronte la hargne de son intervieweur :

- Jean-François Achilli : La flottille avec madame Adèle Haenel ? On parle de la même, hein ? [Oui, exactement.] Vous savez qu'Adèle Haenel, c'est quand même une personnalité du monde du cinéma qui a compté au départ de MeToo, hein ? [Oui...] Et vous trouvez normal qu'elle participe à une flottille qui va soutenir, quelque part, de fait, un mouvement terroriste qui a commis autant de féminicides le 7 octobre ?

Durant la minute trente qui suit, Clémence Guetté est interrompue 14 fois, soit une fois toutes les six secondes : « Le Hamas tient toujours Gaza hein ! » ; « Rien à voir avec le Hamas ? Vous dissociez les choses ? » ; « Vous dites quoi [au] Hamas ? Vous dites quoi ?! "Rendez les otages" ? » ; « Non, non, attendez ! [...] Vous dites quoi du Hamas ?! "Rendez les otages" ? "Arrêtez la guerre" ? » En boucle.

***

LCI · 10/09. C'est une causerie ordinaire. Alors que l'État d'Israël vient de bombarder une résidence à Doha (Qatar), les journalistes en plateau lui donnent quitus. « C'est la signature du Mossad et globalement d'Israël : nous frappons qui nous voulons, où nous voulons, quand nous voulons. Aucun agresseur d'un juif dans le monde ne sera épargné, ne sera à l'abri nulle part », affirme le lieutenant porte-parole… Christophe Barbier (10/09). L'éditorialiste poursuit en expliquant pourquoi le Qatar est certes un pays ici attaqué, mais surtout un « pays ambivalent, hypocrite pourrait-on dire », qui « n'est pas la Suisse », ayant d'un côté « de très bonnes relations avec […] la France de Sarkozy comme la France de Macron » et, de l'autre, « capable de financer des mouvements terroristes ». La réaction de l'animatrice va ensuite délier les langues :

- Anaïs Bouton : Il joue un double-jeu franchement dégoûtant, non ? Et c'est la vie ?!

- Christophe Barbier : Non mais attendez… nous sommes en Orient ! Nous sommes en Orient !

- Anaïs Bouton : Ah ! [Éclats de rire en plateau.]

- Christophe Barbier : Ah oui ! C'est pas les mêmes critères !

« Le journalisme ». Emmanuelle Ducros – qui affirmait un peu plus tôt n'être « pas très sûre d'avoir compris tous les tenants et les aboutissants de cette affaire » – est naturellement chargée de conclure ce plateau dégoulinant de racisme, en pleine démonstration de sa supériorité « occidentale » :

- Emmanuelle Ducros : Ce qui est spectaculaire, c'est de voir que quelles que soient les ambitions du Qatar d'être cette Suisse ambivalente, c'est quand même un gruyère ! [Ricanements en plateau.] Parce qu'on peut attaquer au cœur du pays et… et voilà !

- Anaïs Bouton : Magnifique conclusion Emmanuelle Ducros, merci beaucoup ! C'est maintenant l'heure de [la chronique] « Y a qu'en France que ça se passe comme ça ».

C'est peu de le dire.

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X · 14/09. C'est un Plantu ordinaire.

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RTL · 15/09. « Dans quelques jours, le président Macron va aller reconnaître l'État de Palestine à l'ONU. Ça vous inspire quoi ? » C'est une question ordinaire. Sauf que l'interviewé est chanteur et qu'en octobre 2023, il appelait à « dégommer » « peut-être physiquement » les membres de LFI (CNews, 10/10/2023). Un propos sans aucune incidence sur son capital médiatique : après deux ans d'interventions publiques constantes en soutien de l'État d'Israël, Enrico Macias se voit dérouler un énième tapis rouge pour soutenir que « les Palestiniens ne veulent pas faire la paix » et que Netanyahou « se défend contre les Palestiniens. C'est tout. » Et c'est offert par RTL.

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France Info · 15/09. C'est un rappel à l'ordre ordinaire. Dans le cadre d'une discussion sur les actions du mouvement de solidarité en Espagne, Fabienne Messica, membre de la direction de la LDH, relève que le pays « a été un des premiers […] à reconnaître qu'il y avait un génocide ». Grand seigneur, le présentateur Loïc de la Mornais n'interrompt pas sa prise de parole. Il se contente d'en attendre la fin pour la discréditer : « Et je précise, vous avez employé le mot de génocide et c'est… voilà, les historiens le diront. […] En tout cas, ce n'est pas sur ce plateau que moi je vais le trancher. […] Chacun fera son travail plus tard. » Voilà pour le coup droit. Le revers arrive avec l'intervention suivante, signée Patrick Martin-Genier, expert multimédias sur les « questions européennes et internationales » :

Patrick Martin-Genier : Je crois malheureusement qu'on oublie qu'il y a eu le 7 octobre […], le plus grand pogrom depuis la seconde guerre mondiale. […] Je ne dis pas qu'il faut légitimer tout ce que fait Israël à Gaza mais en tout cas, on a oublié cela […]. Et je crois que lorsqu'on parle de la reconnaissance d'un État palestinien, mais c'est quoi l'État palestinien ? Pour l'instant, c'est le Hamas qu'on n'a toujours pas éliminé […], c'est le Hezbollah également dans le sud Liban et donc tous ces gens qui veulent la destruction d'Israël. Donc je ne veux pas tout justifier, mais on oublie l'histoire. L'histoire proche des Israéliens qui ont été assassinés, des bébés qui ont été brûlés, des femmes qui ont été éventrées, et je crois qu'on oublie cela.

D'une durée de deux minutes et trente secondes – sans la moindre interruption, fait rare sur un plateau –, cette tirade d'« expert » s'est conclue quant à elle en douceur : sans l'ombre d'un rappel à l'ordre.

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LCI · 16/09. « Merci colonel. Nous voulions passer ces quelques minutes avec un porte-parole de Tsahal pour mieux comprendre. » C'est une révérence ordinaire : Éric Brunet vient de terminer son « interview » avec Olivier Rafowicz, auquel il donne tout du long du « mon colonel ». Après lui avoir passé les plats pour parler de « cette grande offensive qu'on attendait », Éric Brunet remet une couche de cirage au terme du duplex :

Éric Brunet : [Olivier Rafowicz] a beaucoup parlé mais ça a permis à ceux qui regardent LCI de comprendre ce qui se passe en ce moment même à Gaza. Nous avons eu tout à l'heure l'intervention de ce journaliste, qui a passé une nuit très difficile dans Gaza, et nous suivrons de très très près sur LCI le sort des populations civiles dans cette offensive lancée ce matin par l'armée israélienne.

Le journaliste palestinien qu'Éric Brunet ne prend pas la peine de nommer est Rami Abou Jamous, dont un « face cam » enregistré – d'une minute à peine – a été diffusé par LCI avant l'interview, en direct, du porte-parole de l'armée israélienne. Bilan des courses ? Un temps de parole près de dix fois supérieur pour le second, et des conditions d'expression incomparablement meilleures. Rien à dire : LCI se donne effectivement tous les moyens de « suivre de très très près le sort des populations civiles ».

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France 5 · 16/09. C'est un expert médiatique ordinaire. Nous sommes le jour de la publication du rapport de la commission d'enquête indépendante de l'ONU concluant à l'existence d'un génocide à Gaza, mais certains médias disposent de savants autrement mieux informés. Après avoir brillé le matin dans la matinale de BFM-TV/RMC, celui que Blast décrit comme « une sorte de généraliste spécialiste », alias Frédéric Encel, débarque dans « C à vous ». Pour refuser la qualification de génocide : « Ne galvaudons pas les termes ! Ou alors, il faut baptiser différemment ce qui s'est produit en 1915 [...] contre les Arméniens, pendant la Shoah, qui a concerné les juifs mais également les tziganes, et les Tutsis rwandais. Et j'ajoute l'ex-Yougoslavie. Donc je ne suis pas pour le galvaudage des termes. » Juriste et historien : deux casquettes de plus à épingler au brillant CV du « géopolitologue » médiatique.

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France Info · 17/09. C'est un journal d'actualité ordinaire. Diffusé à 15h, un bulletin d'information a encore été malencontreusement confondu avec un communiqué de l'armée israélienne : « Tsahal indique avoir frappé plus de 150 cibles, poussant des milliers d'habitants sur les routes. Pour leur permettre de fuir ce matin, Israël a annoncé l'ouverture d'une nouvelle route de passage temporaire. »

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France Inter · 17/09. C'est une invitation ordinaire. « Bonjour Joshua Zarka, merci d'être avec nous ce matin sur France Inter, alors que l'armée israélienne a lancé hier son offensive terrestre sur la ville de Gaza. » Face à Benjamin Duhamel, l'ambassadeur d'Israël en France n'en espérait sans doute pas tant. Netanyahou sous mandat d'arrêt international pour crimes contre l'Humanité ? La matinale radio s'obstine à octroyer une exposition de premier plan à l'un de ses porte-parole. Naturellement, il arrive ce qui devait arriver : « Ce n'est pas un génocide quand on demande à la population de se retirer de là où ont lieu les attaques. » La promotion du n'importe quoi – qui valut à France Inter une réaction immédiate d'Amnesty International – fait en prime les gros titres de l'émission : « Pour Joshua Zarka, le terme de génocide "est utilisé comme un terme politique, pas comme un terme légal". » Et l'information sur le rapport de la commission de l'ONU, dans tout ça ? Inexistante.

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X · 17/09. C'est un crachat ordinaire. « Israël éradique le Hamas. Sans prendre de gants et brutalement. Mais tous les autres pays – même les pays arabes qui sont empoisonnés par les palestiniens depuis +80 ans – attendent juste qu'Israël finisse le job tout en s'indignant en façade. Ça déplaît mais c'est la réalité. » Xavier Gorce. Le maître à penser des pingouins.

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LCI · 17/09. Ce n'est pas un mea culpa ordinaire. « Très vite [après le 7 octobre], on s'est dit : "Où vont-ils ? Il n'y a pas d'objectif politique." Et puis, je fais partie des gens qui se sont trompés, c'est-à-dire qu'il y avait un objectif politique. On l'a vu, c'était en effet, finalement, une forme d'épuration ethnique, d'essayer de rendre Gaza invivable pour forcer les Gazaouis à partir. » 23 mois : le temps d'un revirement public pour la grand reporter de L'Express, Marion Van Renterghem. Où sont les équivalents parmi les commentateurs les plus en vue ?

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CNews · 18/09. C'est un commentaire ordinaire. Au beau milieu de bavardages (à charge) à propos de la mobilisation sociale du 18 septembre, le plateau se déchaîne contre les drapeaux palestiniens visibles dans le cortège parisien. Rachel Khan éructe :

Rachel Khan : Ce drapeau ne symbolise pas du tout le peuple palestinien, il symbolise dans nos rues une colonisation de l'espace public, une colonisation des esprits parce que derrière ce drapeau, c'est le palestinisme ! C'est la victoire du Hamas dans nos rues, c'est la haine d'Israël, c'est la haine des juifs, c'est la haine du peuple libre ! Et puis c'est un drapeau qui symbolise l'instrumentalisation des masses, l'instrumentalisation de nos jeunes. C'est aussi le drapeau qui efface le 7 octobre, c'est le drapeau qui efface l'ensemble des victimes.

Discours quotidiens, quotidiennement tolérés par l'Arcom. Quelques jours plus tard, sur la même antenne : « [Le drapeau palestinien] est vu aujourd'hui comme étant le drapeau de l'islamisme vainqueur, de l'islamisme conquérant […], des antisémites. Et c'est le drapeau d'un communautarisme. [...] Et derrière cette cause palestinienne, vous avez la cause djihadiste qui, naturellement, méprise les juifs mais au-delà des juifs, méprise l'Occident dans lequel cet islam-là s'est imprégné. » Signé Ivan Rioufol. La haine, H24.

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France Inter · 18/09. C'est un lundi matin ordinaire. Sophia Aram est en pleine forme. Et pour cause : une flottille est de nouveau en route pour Gaza. La boute-en-train renoue pour l'occasion avec le jeu des surnoms – « Lady Gaza » pour Rima Hassan ; « Miss Krisprolls » pour Greta Thunberg –, et partage ses traits d'esprit, hilare face à un équipage qui « continu[e] ses ronds dans l'eau, avec à son bord deux kilos de pâté vegan, un pack de Palestine Cola et trois boîtes de protections périodiques ». La mission humanitaire ? « Se dorer la nouille en Méditerranée sur des voiliers à 6 000 boules par jour co-financés par les proxys du Hamas. » Mais encore ? Un « cirque pour aller chercher trois sandwichs et un vol retour auprès de l'armée israélienne ». À ce stade, la médiocrité annulerait presque l'indécence.

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Le Point · 18/09. C'est une pleine page ordinaire dans un hebdomadaire. À court d'éditorial, d'interview ou de tribune contre la reconnaissance de l'État de Palestine par la France ? Pas de panique ! La direction du Point a la solution toute trouvée : publier tel quel un communiqué du réseau « Agir ensemble » – « Et si tous les pays arabes reconnaissaient enfin Israël ? » –, à la pointe de la rigueur historique [1]. Étonnant… ou pas : le communiqué en question fut projeté la veille, à Paris, lors du meeting « contre la reconnaissance d'un État palestinien sans conditions » co-organisé par « Agir ensemble » et Elnet, l'un des principaux lobbies pro-Israël en France. Le tout en compagnie d'éminents représentants de CNews (Paul Amar, Rachel Khan, Michel Onfray, etc.) et de quelques personnalités politiques, de Manuel Valls à Caroline Yadan en passant par David Lisnard.

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Le Figaro · 19/09.

C'est un gros titre ordinaire. Et Le Figaro fait d'une pierre quatre coups : convertir la question politique de l'État de Palestine en une question identitaire ; essentialiser les « Français juifs » ; invisibiliser les voix palestiniennes ; et établir un lien entre la reconnaissance et « les niveaux très élevés » des « actes antisémites » en France. Le niveau très élevé d'islamophobie culmine quant à lui dans les pages intérieures :

Stéphane Kovacs : Expert en stratégie numérique et coauteur de La Fin des juifs de France ?, Didier Long considère que quelque « 150 000 Juifs, vivant directement au contact de populations arabo-musulmanes, sont en danger aujourd'hui en France ». « Reconnaître la Palestine aujourd'hui, c'est mettre une cible dans le dos des Juifs du monde entier », craint-il.

Et l'avalanche raciste de se poursuivre – « cette décision qui vise à calmer les banlieues aura l'effet inverse : cela importera encore plus le conflit sur notre territoire, en y légitimant la violence » – sans le début du commencement d'une contradiction : Le Figaro en roue libre.

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L'Éclair des Pyrénées · 20/09. « En quoi la reconnaissance d'un État palestinien facilitera la paix au Proche-Orient ? Voudrait-on importer en France le conflit israélo-palestinien qu'on ne s'y prendrait pas autrement. » C'est un éditorial ordinaire. Signé Patrice Carmouze – et oui, il existe encore un journal pour le prendre au sérieux.

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T18 · 20/09. C'est une démonstration de mépris ordinaire. Après que Pierre Jacquemain (Politis) a dénoncé le génocide à Gaza commis par « une armée face à un peuple qui est démuni », Jean Quatremer lui saute à la gorge :

- Jean Quatremer : C'est insupportable ! Quand je vous entends dire que l'armée israélienne ne se bat contre personne mais contre le peuple palestinien... mais c'est un pur scandale de dire une chose pareille ! [...] Israël ne se bat pas contre le peuple ! Israël se bat contre le Hamas ! Si le Hamas demain rend les otages, dépose les armes, ça s'arrête. [...] Dire que c'est une guerre contre le peuple palestinien, c'est purement scandaleux ! [...]

- Pierre Jacquemain : 60 000 civils… [Coupé]

- Jean Quatremer : C'est pas 60 000 civils ! C'est 30 000 civils, et 30 000 combattants, déjà ! Rien que là-dessus, voyez, sur les chiffres ! Donc on peut continuer longtemps là-dessus la mauvaise foi.

- Pierre Jacquemain : [30 000], c'est quand même pas mal...

- Jean Quatremer : Oui mais ça, c'est de l'importation du conflit justement et c'est tenter de tordre la réalité. Je vous demande de faire du journalisme !

C'est un expert qui parle : un mois plus tôt, une enquête conjointe de journalistes israéliens et britanniques, basée sur des données des services de renseignements israéliens, faisait état de 83% de civils tués à Gaza entre octobre 2023 et mai 2025 sur un bilan – par ailleurs largement sous-estimé – de 53 000 morts. En d'autres termes, au moins 44 100 civils. Mais à l'évidence, celui qui enjoint de « faire du journalisme » n'en est pas à 10 000 morts palestiniens près.

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Public Sénat · 22/09. C'est un transfert ordinaire. Après Maël Benoliel, recruté par le bureau « Moyen-Orient » de France Télévisions, voici qu'un autre journaliste d'i24News est embauché comme éditorialiste officiel sur le service public : Michaël Darmon, professionnel exigeant et passionné de droit international – la Cour internationale de justice rebaptisée « conclave de l'inimitié juive », c'est de lui. Au cours de la saison 2024-25, il bénéficiait d'un fauteuil sur France Info et officiait déjà sur Public Sénat sous le statut « éditorialiste i24News ». Il est depuis monté en grade, comme le laisse entendre son confrère Thomas Hugues au moment de présenter le plateau de l'émission « Sens Public » : « Bonsoir Michaël, bienvenue à vous. Éditorialiste politique pour "Sens Public", je rappelle que vous avez été vous aussi correspondant à Jérusalem. » Puis éditorialiste pour une chaîne propagandiste et coutumière de discours génocidaires : dommage d'avoir oublié la précision.

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Le Parisien · 22/09. Ce n'est pas un éditorial ordinaire (mais un peu quand même). Déplorant « le timing » de la reconnaissance de l'État de Palestine, « car ceux qui se féliciteront bruyamment sont les bourreaux d'Israël », le directeur des rédactions Nicolas Charbonneau va jusqu'à se fâcher avec son Président chouchou : « Bien sûr, la France et ses alliés assureront que cette reconnaissance doit s'accompagner du démantèlement du Hamas – la blague –, mais ces discours à l'ONU iront bien droit au cœur des maîtres de Gaza. » Et de poursuivre en suivant un lien de cause à effet pour le moins cavalier : « Qui peut […] croire que cette reconnaissance sans avoir obtenu jusqu'ici la moindre condition préalable mettra un terme à un antisémitisme débridé ou aidera les populations civiles palestiniennes ? » Qui peut croire que quoi que ce soit mettra un terme à la couverture indigente que donne à voir jour après jour Le Parisien depuis deux ans ?

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TMC · 22/09. C'est une consécration ordinaire. Et une double peine : « Ça s'appelle Les nouveaux antisémites. Enquête d'une infiltrée dans les rangs de l'ultra gauche. C'est sorti chez Albin Michel. Et voici le prochain numéro de Franc-Tireur aussi, avec une nouvelle enquête signée de vous, et ça sort mercredi. Merci [Nora Bussigny] d'être venue sur le plateau de Quotidien ! »

Non, Yann Barthès ne reçoit pas l'extrême droite partisane sur son plateau. Par contre, il sert régulièrement la soupe aux commentateurs qui promeuvent activement ses obsessions, de l'islamophobie (bon teint) à la haine de la gauche et des « nouveaux inquisiteurs », selon le titre du précédent livre de cette « infiltrée en terres wokes » (chez Albin Michel, déjà).

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Mediapart · 24/09. C'est une manipulation de l'information ordinaire. Fin juillet 2025, l'ambassade israélienne en France a organisé un voyage de presse tous frais payés en Israël [2]. Alors que perdure le blocus de Gaza et que les journalistes internationaux y sont toujours interdits, il se trouve encore des journaux français pour répondre présent à ce type d'invitation. Cinq, en l'occurrence : Le Journal du dimanche, Le Figaro, L'Express, Marianne et La Croix. Comme le rapporte Mediapart, « hormis le quotidien catholique et L'Express, aucun des trois autres n'a jugé utile de préciser que leurs articles avaient été rédigés dans le cadre d'un voyage concocté par l'ambassade israélienne ». Dans Marianne (7/08), la directrice de la rédaction, Ève Szeftel [3], livre même une caricature de « reportage embedded » au cœur d'« une nation prête à rendre le moindre coup »… et au plus près des autorités militaires, dont le récit est recraché sans aucun recul. « Je n'ai pas mentionné le cadre du voyage de presse car ce cadre n'était pas contraignant », affirme-t-elle à Mediapart. On n'en doute pas ! Et lorsque le journal lui demande si elle entrevoit « un problème déontologique » dans sa démarche, la réponse est tout aussi tranquille : « Non, et la preuve c'est que le papier que j'ai écrit était très équilibré. »

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Mediapart · 29/09. C'est un management ordinaire. Le 18 septembre, la directrice de Marianne Ève Szeftel, encore elle, était visée par une motion de défiance votée par 71 % de la rédaction. « En tête des griefs formulés : son positionnement personnel pro-israélien », rapporte Mediapart, que la directrice commente avec toute la franchise qu'on lui connaît : « Marianne traite avec le souci de la contradiction et du pluralisme tous les sujets, celui-là comme les autres. » Les plaintes des journalistes disent pourtant le contraire, témoignant d'un interventionnisme débridé concernant tout sujet lié de près ou de loin à la question palestinienne et à ses répercussions en France. Éditoriaux caricaturaux ; « entretiens téléguidés » avec ses « interlocuteurs fétiches […] généralement favorables à l'action de Tsahal » ; reprises en main éditoriales, comme ce jour où une proposition d'article mettant en scène deux juristes « pour et contre » la caractérisation de génocide est devenue, in fine, « un débat entre deux juristes, le premier choisi par la directrice, qui a ensuite lui-même désigné son contradicteur » [4]. Sans compter d'autres types de pratiques autoritaires, incluant un entretien sous forme de coup de pression avec une « pigiste permanente », alors susceptible d'être promue rédactrice en cheffe du service culture :

La discussion s'était vite orientée sur la question israélo-palestinienne. Ève Szeftel a donné son point de vue – pour elle, « il n'y a pas de génocide à Gaza » et les journalistes gazaoui·es, « à partir du moment où ils ont des liens avec le Hamas, et ils en ont, sont des terroristes ». Pour offrir le poste à la journaliste, elle a posé comme condition que celle-ci soit alignée sur ses convictions. Raison avancée ? En tant que potentielle cheffe du service culture, la journaliste devrait recenser les boycotts en France d'artistes israélien·nes ou soutenant Israël [5].

Sans commentaire…

… et en attendant le mois prochain.

Pauline Perrenot


[1] On y apprend par exemple que « le conflit israélo-arabe » a débuté au lendemain de la déclaration d'indépendance de l'État d'Israël, le 14 mai 1948, lorsque « le monde arabe lui déclare la guerre pour l'effacer de la carte ». Ou encore qu'« à sept reprises, les pays arabes puis les Palestiniens [ont] rejeté les propositions de paix et une "solution à deux États", toutes acceptées par l'État juif ». Entre autres.

[2] Aller-retour en avion, repas et nuits d'hôtel (de luxe). Seul le journal La Croix a pris en charge le transport, selon Mediapart.

[4] Le tout pour que tous deux se rejoignent à la fin sur le fait que le terme génocide « est dans le cas de Gaza instrumentalisé et ne correspond pas à la situation sur place », ainsi que le décrit Mediapart.

[5] Une version, précise Mediapart, contestée par Ève Szeftel.

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