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24.06.2025 à 11:59

Inspirations pour l’été

L'Autre Quotidien

Les enfants montrent des cicatrices comme des médailles. Les amants les utilisent comme des secrets à révéler. Une cicatrice est ce qui se passe quand le mot est fait chair. — Leonard Cohen
Texte intégral (1749 mots)

Jordi Colomer : En la pampa

Billie Holiday à l’Olympia, 1958.

Thomas Gosset - L’ordre moins le pouvoir

L'air du temps

PNL - Au DD

Le haïku de dés

Monde de rosée
Rosée du monde
Et pourtant

Kobayashi Issa

L'éternel proverbe

Il faut répondre au diable dans la langue du diable.

Proverbe sanskrit

Les mots qui parlent (1)

Un danseur danse parce que son sang danse dans ses veines.

Anna Pavlova

Anna Pavlova et Laurent Novikoff, photographie Carlo Leonetti

Les mots qui parlent (2)

Les enfants montrent des cicatrices comme des médailles. 
Les amants les utilisent comme des secrets à révéler. 
Une cicatrice est ce qui se passe quand le mot est fait chair. 

Leonard Cohen

Old Ideas, LLC

19.06.2025 à 19:03

Régressons dans la joie avec les Feelies !

L'Autre Quotidien

Ce qui n'était au départ qu'un simple exercice numérique pour les rockeurs du New Jersey The Feelies est devenu une nouvelle compilation de certaines de leurs reprises les plus difficiles à trouver. Les héros du jangle pop sortent Rewind, un album de neuf titres comprenant des reprises de morceaux des Beatles (« She Said She Said », « Everybody's Got Something to Hide Except Me and My Monkey »), de Neil Young (« Barstool Blues », « Sedan Delivery »), de Bob Dylan (« Seven Days »), des Rolling Stones (« Paint It Black ») et bien d'autres.
Texte intégral (728 mots)

Ce qui n'était au départ qu'un simple exercice numérique pour les rockeurs du New Jersey The Feelies est devenu une nouvelle compilation de certaines de leurs reprises les plus difficiles à trouver. Les héros du jangle pop sortent Rewind, un album de neuf titres comprenant des reprises de morceaux des Beatles (« She Said She Said », « Everybody's Got Something to Hide Except Me and My Monkey »), de Neil Young (« Barstool Blues », « Sedan Delivery »), de Bob Dylan (« Seven Days »), des Rolling Stones (« Paint It Black ») et bien d'autres.

La plupart ont été enregistrées pendant l'apogée du groupe dans les années 80 et au début des années 90, bien que « Seven Days » et une version de « Take It As It Comes » des Doors aient été enregistrées en 2016 et publiées deux ans plus tard sur un EP Record Store Day.

Rewind s'ouvre sur la reprise par le groupe de « Dancing Barefoot » de Patti Smith, qui a été le moteur initial de l'album. Au départ, les Feelies voulaient simplement rendre ce morceau, sorti en face B en 1988, disponible en version numérique, mais ils ont finalement décidé de compiler d'autres reprises issues de leurs archives, qui figuraient pour la plupart en face B et sur des EP. (« Me and My Monkey », qui met en vedette une formation antérieure avec la section rythmique composée du bassiste Keith DeNunzio et du regretté Anton Fier à la batterie, figurait sur le premier album du groupe, Crazy Rhythms, sorti en 1980.)

Le succès culte des Feelies dans les années 80 et au début des années 90 a donné lieu à une série d'albums célèbres sur les labels Stiff, Twin/Tone et A&M, dont The Good Earth en 1986, coproduit par Peter Buck de R.E.M. Pilier de la scène club des trois États jusqu'à sa dissolution en 1991, la formation la plus connue du groupe (le chanteur Glenn Mercer, le guitariste Bill Million, la bassiste Brenda Sauter, le batteur Stan Demeski et le percussionniste Dave Weckerman) s'est reformée en 2008. Depuis, ils ont sorti deux albums originaux, ainsi qu'un album hommage en 2023 à l'un de leurs principales influences, The Velvet Underground. Donc régressons dans la joie et dandinons-nous de concert avec ces nouveaux et crazy rhythms !

Jean-Pierre Simard, le 23/06/0/2025
The Feelies - Rewind - Bar-None Recorfs

19.06.2025 à 18:23

Festival New Beat(nick) perché au Moulin Blanchard 2/2

L'Autre Quotidien

Le Festival Moulin Blanchard hors les murs se tient à Perche en Nocé et alentours jusqu’au 15 juillet. “Ce lieu patrimonial vernaculaire singulier abrite le cœur du Champ des Impossibles, ambitieux projet de développement du territoire par l’art et la culture qui inclut un festival d’art contemporain, des expositions, des rencontres, des concerts, des ateliers de pratique artistique, une artothèque récemment ouverte, ainsi qu’un partenariat avec l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles pour l’aménagement des extérieurs.”
Texte intégral (2996 mots)

Le Festival Moulin Blanchard hors les murs se tient à Perche en Nocé et alentours jusqu’au 15 juillet. “Ce lieu patrimonial vernaculaire singulier abrite le cœur du Champ des Impossibles, ambitieux projet de développement du territoire par l’art et la culture qui inclut un festival d’art contemporain, des expositions, des rencontres, des concerts, des ateliers de pratique artistique, une artothèque récemment ouverte, ainsi qu’un partenariat avec l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles pour l’aménagement des extérieurs.”

HORS LES MURS

Le festival se poursuit HORS LES MURS, avec l’exposition SOUND TRACK au Manoir de COURBOYER, parc naturel régional du perche. Les peintures d’Anton Hirschfeld, représenté par la galerie Christian Berst Art Brut, expriment, sous forme de triptyques, des variations sur un thème modal, Anton peignant plusieurs toiles à la fois en écoutant le concerto d’Aranjuez, Round Midnight de Miles Davis, I Fall in love too easily , You and the night and the music de Chet Baker, Back to black de Amy Whitehouse, le Köln Concert de Keith Jarett, I put a spell on you de Nina Simone. La grande attractivité de son travail pictural est un dialogue avec ces morceaux de jazz sélectionnés où  les rythmes et la couleur jouent les formes, souvent très abstraites, comme des faisceaux de lumières ou des vitraux de cathédrale, quelque chose de très spécial a lieu entre la musique de Jazz et la peinture d’Anton, dans une sorte d’évènement, de happening, une réverbération d’un absolu revenu au centre des mouvements de l’âme, un langage commun s’articulant dans la physique même de la couleur et des formes autour de la vibration première de l’ Apollon sonore, source de la création…    Avec les peintures d’Anton Hirschfeld, pastelliste, on peut paraphraser ces vers si connus de Rimbaud en écrivant,   » c’est quoi l’éternité, c’est la musique de Miles et de Chet allée avec la peinture d’Anton... » quand quelque chose d’irrépressiblement haut s’exprime en retour des émotions vécues au plus profond de l’enchantement musical. Le travail D’Anton réjouit, réconforte, il s’anime à la lumière, imprégné du mouvement de cette physique de l’âme, inconnue et pourtant si vivante, ici, mouvements qui ont fait la joie des peintres les plus illustres tout au long de l’histoire de la peinture impressionniste et qui pétille ici dans les salles du manoir de Courboyer.

https://www.parc-naturel-perche.fr/le-parc-en-action/bienvenue-la-maison-du-parc/le-domaine-de-Courboyer

Un film a été réalisé sur son travail, Le Voyage d’Anton, diffusé récemment sur Arte, excellent film documentaire réalisé par Mariana Loupan.
 Frédérique Founès et Madame Hirschfield présentent le travail d’Anton.

Pierre Amourette céramiques exposition Notre Dame de Courthioust, photos ©pascalTherme2025

L’église NOTRE DAME DE COURTHIOUST accueille l’exposition des céramiques de PIERRE AMOURETTE. Celui-ci s’exprime très largement sur son histoire et cette production  enchanteresse, Art Singulier, Alchimie autour de la figure de la Reine, de la Vierge et l’enfant, des figures de la maternité, de la Grande Mère, GaÏa ou Isis, cette production est réjouissante et solaire même quand s’incarnent sous ses mains de terre des personnages ou des visions plus tourmentées. L’homme, instituteur hier, s’est vu entrainé dans cette aventure par une commande singulière, il y a plus de vingt ans. il se définit comme suit:

« je suis céramiste tripoteur de terre. Je travaille également d’autres matériaux: bois, pierre, fer, plâtre en fonction des projets qui me viennent à l’esprit ou des sollicitations. Si la terre s’est imposée à moi, c’est qu’elle me permet de travailler vite, d’aller directement à l’émotion. En effet, les céramiques créées se veulent être un média, une histoire que chacun peut interpréter à sa façon. »

« Depuis sa petite enfance, la nature l’attire ; escargots et lézards l’ont accompagné dans ses jeux favoris, aujourd’hui ce sont des animaux que l’on peut retrouver dans certaines de ses oeuvres. Dans la pierre d’abord, le bois ensuite et en ce moment à travers la céramique, il crée des personnages souvent ambivalents qui ne laissent pas indifférents. Une part importante de sa production porte sur la maternité, mais il crée également des jarres, assiettes, plats et parfois des animaux. Pour lui « ce n’est pas l’objet en lui-même qui est intéressant mais la mémoire d’un moment qu’il véhicule ». https://www.pierreamourette.fr/index.html

Son travail est régulièrement et largement exposé en France et en Europe.

Pierre Amourette s’explique Viva Voce de son œuvre en Notre Dame de Courthioust

Le Manoir de Lourmarin- Nocé reçoit deux expositions liées à l’Art Brut, dont les œuvres de Hubert Cherrey, né en Suisse, devenu ouvrier typographe, interné suite à une déception sentimentale irréparable, interné dans quatre établissements psychiatriques, dont Le Mans et Alençon. Dès qu’il fut interné, il ne cessa de s’exprimer, de dessiner et de peintre, …

Hubert Cherrey, Art Brut exposition du Manoir de Lormarin /Nocé. photos©PascalTherme2025

Le Manoir de Lourmarin- Nocé expose également une sélection d’œuvres des collections du Musée Saint Anne, assez remarquables. Faut-il rappeler que nous devons à Jean Dubuffet le terme d’ ART BRUT, regroupant les œuvres de personnes n’ayant aucune culture artistique, s’exprimant « naturellement ». Art libre, Art des fous, des marginaux, des reclus, bien souvent ces productions libres relatent une expérience plus directe, sans rapport esthétique revendiqué, dans un langage direct, dans une étroite relation avec la surface. Née de l’intuition de Jean Dubuffet, l’Art Brut bouscule les frontières de l’art conventionnel en valorisant les créations spontanées des marginaux, des autodidactes et des « fous », offrant ainsi une nouvelle perspective sur la beauté brute, détachée des normes académiques et sociales. La qualité esthétique des œuvres présentées est probante, magistrale, comme en témoignent les photographies ci-dessous.

collection du Muséee saint Anne au Manoir de Lormarin/Nocé, photos©pascalTherme2025

C’est également, par ce retour au prisme de la Beat Generation, en tant que tel, une mise en perspective de notre présent actuel inquiétant. Faut-il voir un message tout particulier dans cette programmation étoilée, ce retour du refoulé dans une actualité ô combien mortifère, une mise en exergue de ces Libertés et des mouvements culturels et artistiques qui en portent toujours l’éclat et la lumière; lampe d’Aladin, à frotter sans modération afin de faire surgir ce cantique quantique, baume de l’âme, de l’esprit et du corps en révolution, en rébellion, en recherche de ce qui compte vraiment créativement et collectivement, des productions qui se sont inscrites dans la chair du temps et qui continuent d’émettre au delà leurs fréquences rebelles, comme si, une radio encore branchée sur ces années continuait d’émettre ces slogans inscrits en filigrane des œuvres, ces injonctions à être, être libre, être soi même et s’insurger encore et toujours contre l’ordre établi quand il est porteur de guerres et d’injustices, du mensonge général de la soumission.

N’hésitez pas à passer une belle journée au cœur du Perche, avec la programmation étoilée du Moulin Blanchard IN et HORS les murs. Pour information les expositions hors les murs sont à moins d’un quart d’heure du Moulin Blanchard.

Quatre lieux d’expositions dans un petit rayon…

https://www.calameo.com/read/0073456241adc6e5a0bf9

https://www.fondation-patrimoine.org/les-projets/le-moulin-blanchard/74372

Pascal Therme, le 23/06/2025
Festival New Beat(nick) perché au Moulin Blanchard 2/2

19.06.2025 à 18:00

Pu$h Thru, l'expérience latino aux USA en version rococo d'Yvette Mayorga

L'Autre Quotidien

Connue pour ses peintures acryliques délicieuses, fleuries et parfois inquiétantes, réalisées à l'aide d'ustensiles de boulangerie, Yvette Mayorga rend hommage à sa mère, qui travaillait comme boulangère, et fait référence à l'art baroque et rococo tout en examinant de manière critique la famille, la communauté et les notions de prospérité.
Texte intégral (1464 mots)

Connue pour ses peintures acryliques délicieuses, fleuries et parfois inquiétantes, réalisées à l'aide d'ustensiles de boulangerie, Yvette Mayorga rend hommage à sa mère, qui travaillait comme boulangère, et fait référence à l'art baroque et rococo tout en examinant de manière critique la famille, la communauté et les notions de prospérité.

La Ursupadora Not 4 Me” (2025), collage, textile, glitter, lamp shade, pen, electrical outlet, hoop earrings, shoes, jeans, marker, pastel, drawer handles, lampshade, ceramic, belt, felt, pastel, clock, stickers, gold flakes, gold foil, mirror, acrylic nails, textile, nail charms, TV control, and acrylic piping on canvas, 60 x 120 inches

Les œuvres de Mayorga sont « dominées par des nuances de rose afin d'examiner de manière critique le rêve américain et l'expérience latino-américaine, empruntant souvent des compositions à des photos personnelles et familiales ainsi qu'à l'histoire de l'art », explique la galerie Monique Meloche, qui présente une exposition solo de l'artiste.

Pu$h Thru, la première exposition de l'artiste avec la galerie et la première dans sa ville natale de Chicago depuis 2018, adopte une approche semi-autobiographique en réfléchissant à ses expériences au cours de la dernière décennie dans la ville. Au-delà de ses œuvres caractéristiques inspirées de la confiserie, elle a créé des compositions à grande échelle incorporant des objets trouvés tels que des abat-jours, des vêtements et des bijoux, ainsi que des morceaux de céramique, des pastels, des feuilles d'or, des ongles en acrylique, etc.

“W3 R TIR3D” (2025), collage, rhinestones, plastic butterflies, acrylic marker, pastel, silver foil, gold foil, pen, acrylic nails, car sticker, butterflies, glitter, gold flakes, silver flakes, textile, belt, rhinestones, nail charms and acrylic piping on canvas, 48 x 36 inches

Bon nombre de ces œuvres s'inspirent des souvenirs personnels de Mayorga, comme des instantanés de l'artiste enfant lors d'une fête d'anniversaire ou assise dans le salon familial. Convergeant avec l'esthétique et le style rococo romantique, comme les portraits inspirés d'Élisabeth Vigée Le Brun ou de Jean-Honoré Fragonard, l'artiste aborde le récit euro-centrique de l'histoire de l'art et son omission générale d'autres identités. Mayorga a même inventé un terme pour décrire son approche, Latinxoco , qui fusionne l'identité latinx avec l'esthétique rococo.

« Le rose, une couleur qui a une longue histoire dans la pratique de Mayorga, est utilisé comme une stratégie conceptuelle pour déstabiliser les idéaux occidentaux en matière de teint de peau, évoquant des questions de race, de classe et d'incarnation du genre, tout en faisant référence à l'esthétique cosmétique et domestique — une réappropriation ironique et radicale de la douceur comme force », explique la galerie.

Plus sur le site de l’artiste et son instagram

Kate Mothes pour Colossal, le 23/06/2025
Yvette Mayorga - Pu$h Thru -> 26/07/2025

“Self Portrait of the Artist After Élisabeth Louise Vigée Le Brun” (2025), textile, collage, stickers, gold flakes, silver flakes, pen, lace, buttons, acrylic nails, nail charms, and acrylic piping on canvas, 72 x 60 inches

19.06.2025 à 17:53

De l’éphémère durable, une vision pour faire barrage ?

L'Autre Quotidien

Malgré les apparences, il ne faut pas désespérer de la politique. En témoigne un minuscule animal, l’éphémère, dont la présence sur la Seine est un signe de l’amélioration de la qualité de l’eau, ce qui tombe bien à l’heure où la baignade dans le fleuve est autorisée sur trois sites dès le 5 juillet 2025.
Texte intégral (1823 mots)

Malgré les apparences, il ne faut pas désespérer de la politique. En témoigne un minuscule animal, l’éphémère, dont la présence sur la Seine est un signe de l’amélioration de la qualité de l’eau, ce qui tombe bien à l’heure où la baignade dans le fleuve est autorisée sur trois sites dès le 5 juillet 2025.

C’est Le Parisien (13/06) qui rapporte l’évènement : pour la première depuis des lustres, ce petit insecte préhistorique, aussi appelé mouche de mai, a été repéré entre la cathédrale Notre-Dame et l’Île-Saint-Louis. Un miracle ? « La mouche de mai est une espèce extrêmement sensible à la pollution qui vit habituellement dans les rivières les plus propres », explique le biophysicien Bill François qui a fait la découverte. « Ce qui est encore plus rassurant est de savoir que cette mouche est bien née dans la Seine et qu’elle n’a pas été poussée par le vent », précise-t-il. L’occasion d’apprendre que la présence sur terre de cet insecte est attestée depuis 300 millions d’années avant les dinosaures et qu’il fut, pour tout dire, le tout premier animal à voler. « Partout en France, on voit les eaux se dégrader, la Seine est le seul contre-exemple », souligne le scientifique.

La naissance de cet éphémère n’est pas une anecdote. Il n’y a pas besoin de remonter très loin dans le temps pour se souvenir de la Seine comme d’un cloaque. Une situation si malodorante pour une ville lumière que Jacques Chirac, alors maire de Paris, promet en 1988 de rendre à nouveau le fleuve propre à la baignade et de le prouver en nageant dans la Seine. Une promesse non tenue ? Voire… Certes il ne s’y baigna jamais et il fallut près de quarante ans pour que quiconque s’y risquât, jusqu’aux jeux olympiques de 2024 et qu’une ministre et une maire tombe ou se jette à l’eau. Personne n’est mort. Donc, autorisée la baignade. Les pêcheurs s’en félicitent qui trouvent dans l’eau du bain 36 espèces de poissons en 2024 contre 14 en 1990.

En vérité, la boutade de Chirac a enclenché une dynamique conjointe de l’État et de la Ville de Paris à tel point que le credo fut ensuite repris sans discontinuer par les maires suivants, de Bertrand Delanoë à Anne Hidalgo. En 2002, le premier met en place l’opération Paris Plages, pas question donc de s’y asphyxier ou attraper des boutons…

En 2015, un grand plan d’amélioration de la qualité de l’eau de la Seine et de la Marne « pour atteindre les niveaux requis pour autoriser la baignade » est engagé par la seconde avec l’État et ses opérateurs, les collectivités franciliennes et les acteurs de l’assainissement. Quatre grandes priorités sont établies pour la baignade grand public : l’amélioration des processus de traitement des stations d’épuration pour renforcer encore la qualité des eaux rejetées dans le milieu naturel, la résorption des mauvais branchements, la réduction des rejets des eaux non traitées en cas de pluie et le raccordement des bateaux aux réseaux d’assainissements.

Rien de très sexy en apparence mais rien qui ne fasse du mal à la nature ou à l’économie, au contraire ! De fait, avec les Jeux olympiques en guise d’accélérateur des bonnes volontés, six ouvrages d’assainissement ou bassins de rétention ont été construits, dont le VL 8, un collecteur de grande capacité d’une longueur de 10 kilomètres situé entre Essonne et Val-de-Marne.

De plus, pour en arriver là – aller se baigner à Paris sans autre danger que la noyade – il a fallu pour l’État, la Ville de Paris et nombre de collectivités locales en amont et en aval engager des chantiers colossaux qui se comptent ensemble en milliards d’euros et se déploient bien au-delà du centre de Paris, qu’il s’agisse du traitement des eaux ou de leur gestion, en aval comme en amont.

En témoigne en amont le barrage mobile de Vives Eaux (Seine-et-Marne) qui régule depuis 1928 les niveaux amont et aval du fleuve pour assurer sa navigation.* Exemple parmi de nombreux autres des ouvrages qui concourent à l’amélioration de la qualité de l’eau, il a été entièrement reconstruit et modernisé en 2018 pour 40 M€. Destiné à la sécurité de la gestion hydraulique au service de la navigation fluviale, il a d’autres vertus quant à l’usage de l’eau (eau potable, industries…), tout en améliorant les conditions de travail des agents d’exploitation. L’ouvrage est équipé d’une passe à poissons et d’une nouvelle passerelle publique reliant les villages des deux rives de la Seine, un point de vue devenu très couru. Bref, un investissement qui a atteint son objectif pour les prochaines décades.

« Au-delà de sa finalité fonctionnelle et technique, la reconstruction de ce barrage a fourni l’occasion d’une requalification générale du site naturel sensible de la vallée de la Seine où il s’implante », souligne ainsi Luc Weizmann (LWA) qui en signe l’architecture. « De par son dessin-même, le nouvel équipement intègre une valeur symbolique et devient un ‘ouvrage d’art’ au sens noble du terme. La nouvelle circulation publique sur la passerelle, à l’aplomb de la chute d’eau, forme à ce titre un élément précieux de valorisation de l’environnement », poursuit l’architecte. Ecologie en tout point positive donc, même si le barrage est coulé en béton… Et preuve en est qu’il y a de la place pour l’architecture !

En témoigne en aval la capacité des unités de traitement biologiques de l’usine d’épuration d’Achères Seine-Aval (Yvelines). Réalisées par LWA et LELLI Architectes et mises en service en novembre 2017, leur débit est égal à la moitié de celui de la Marne. Le chantier, gigantesque, a compté jusqu’à 1 200 personnes en même temps et duré 50 mois pour un coût de 777 M€. Ecologie punitive, vraiment ?

Ces exemples parmi d’autre prouvent qu’avec une approche globale, c’est tout le territoire jusqu’à Rouen qui bénéficie aujourd’hui d’une eau de la Seine somme toute de bonne qualité, pas seulement les bobos baigneurs parisiens. Sans même parler ici des vastes bassins naturels désormais préservés pour anticiper les inondations dans la capitale et ailleurs.

Il convient toutefois de noter que tout cet effort, au-delà de ses vertus écologiques et républicaines – gouverner, c’est prévoir – semble avoir en l’occurrence été pensé pour un usage de loisirs. Pour espérer un océan propre et accepter l’investissement nécessaire au ménage, faut-il que toute la croisière s’amuse ?

Comme l’indique Bill François, le biophysicien, partout en France les eaux se dégradent, sauf pour la Seine. C’est qu’ailleurs, ça ne rigole pas ! Pourtant il est possible, d’évidence, d’améliorer la qualité des eaux de nos rivières et de l’environnement qui leur est attaché quasiment sans même que nous nous en apercevions !

En tout cas, quoi qu’en disent les politiciens sans imagination, investir pour le bien du pays, en respectant l’environnement, avec des résultats économiquement, socialement et écologiquement certifiés durables, c’est possible, certes sur le temps long. Cette réussite est visible également avec les toutes nouvelles stations de métro et gares du Grand Paris. Les J.O. en sont une nouvelle démonstration, qui ont rapporté plus qu’ils ont coûté ! Mener à bien des projets utiles, c’est possible !

Que manque-t-il donc aujourd’hui à ce pays qu’il se retrouve empêtré à ce point entre petites autoroutes mesquines et privées et grandes bassines pour faire sécher l’eau du sous-sol, le niveau zéro de la pensée à l’échelle du territoire ? Bonjour l’ambition ! Il y a pourtant la place pour d’autres perspectives… A moins évidemment qu’un costume trop grand…

Pour autant, il ne faut pas désespérer de la politique. Après tout, pour la baignade dans la Seine, il s’en est fallu, il y a quarante ans ou presque, d’une promesse en l’air de l’impétueux Jacques Chirac qui – fait rare – a engagé toutes celles et ceux qui l’ont reçue.

Christophe Leray, le 23/06/2025

*Lire Le barrage passerelle de Luc Weizmann ou l’élégance de l’ouvrage d’art

19.06.2025 à 17:43

Chez Catherine Putman on évoque le silence pour l'été

L'Autre Quotidien

Si certaines œuvres sont évocatrices d’un silence synonyme de calme, de vide, ou de contemplation, on se plaît alors à leur trouver des correspondances visuelles. Entre apaisement et angoisse ; le silence est polysémique et par là même, ses symboliques et ses images deviennent multiples.
Texte intégral (975 mots)

Si certaines œuvres sont évocatrices d’un silence synonyme de calme, de vide, ou de contemplation, on se plaît alors à leur trouver des correspondances visuelles. Entre apaisement et angoisse ; le silence est polysémique et par là même, ses symboliques et ses images deviennent multiples.

photo de Rebecca Fanuele

Il évoque la concentration du créateur et se traduit par une forme d’épure et de radicalité dans l’œuvre qui en résulte. Il en va ainsi des abstractions bleutées de Geneviève Asse, d’une série de paysages des îles Féroés, saisis sur le vif à la pointe sèche sur zinc, par le danois Per Kirkeby, ou d’un ciel de papier teinté à l’indigo d’Éloïse Van der Heyden. Il devient onirique avec la machine à écouter le silence imaginée par Bernard Moninot dans son travail intitulé Silent Listen. Un blanc est un silence, il pourrait être sa couleur, comme l’illustre l’œuvre de Dana Cojbuc Trace de silence matérialisée dans l’image par une traînée de farine blanche dans un paysage carbonisé.

photo de Rebecca Fanuele

Le silence est dans le sommeil du Dormeur d’Éloïse Van der Heyden, ou dans la solitude de la silhouette qui s’aventure de nuit dans une eau marécageuse du dessin de Frédéric Poincelet. Il est l’absence de présence vivante dans une salle aux chaises vides dessinée par le même artiste ou sur le mur usé d’une maison de famille photographié par Sophie Ristelhueber.

Faire silence, c’est aussi se taire ou faire taire, Frédéric Malette a choisi pour titre d’une série de dessins Les Cris silencieux, pour traduire l’impuissance des cris de souffrance passés et présents.

JIm Pinceau-Velu le 23/06/2025
Collectif - Silence -> 11/07/2025

Galerie Catherine Putman 40, rue Quincampoix 75004 Pariis

19.06.2025 à 13:03

« J’essaie d’imaginer un énorme mensonge. C’est le départ de toutes mes histoires, mais il faut que le mensonge soit intéressant. » Naoki Urasawa invité d’honneur à Amiens

L'Autre Quotidien

Le mangaka qui signe l’affiche de la 29e édition des rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens est à l’honneur jusqu’au 22 juin avec deux expositions différentes accessibles gratuitement. On vous propose un triple entretien croisé avec Naoki Urasawa, mais aussi Anthony Pardi commissaire principal de l’expo « Naoki Urasawa auteur en série » et Stéphane Jarno, commissaire de l’expo « Naoki Urasawa, un talent monstre ».
Texte intégral (5261 mots)

Le mangaka qui signe l’affiche de la 29e édition des rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens est à l’honneur jusqu’au 22 juin avec deux expositions différentes accessibles gratuitement. On vous propose un triple entretien croisé avec Naoki Urasawa, mais aussi Anthony Pardi commissaire principal de l’expo « Naoki Urasawa auteur en série » et Stéphane Jarno, commissaire de l’expo « Naoki Urasawa, un talent monstre ».

La semaine dernière, je vous ai proposé une interview de Sophie Mille, la directrice des rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens pour découvrir les coulisses de ce festival qui court jusqu’à ce week-end du 21 & 22 juin. Aujourd’hui focus sur son invité d’honneur que j’ai pu rencontrer avec mes collègues dans un cadre intimiste avec nos questions collectives, une occasion de mieux comprendre son processus créatif, mais également son quotidien ou avoir une idée de ses futurs projets.

En parallèle, j’ai pu aller à la rencontre des deux commissaires d’exposition qui proposent deux lectures de l’œuvre de Naoki Urasawa pour la faire découvrir au plus grand nombre. Je vous propose quelques morceaux choisis. 

Quand on demande à Anthony Pardi, chargé de mission manga auprès du festival, depuis combien de temps ils prévoient cette exposition, il explique avec enthousiasme que « Ça fait quasiment 4 ans qu’on a commencé a entamé les premiers échanges avec Kana, mais c’est une idée qui est là depuis des années. » Mais aussi sur le choix de ce mangaka en particulier « C’est une icône dans le milieu du manga. À Amiens, on commence à peine à faire du manga, on a eu quelques projets comme Les Carnets de l’apothicaire, Blue Giant, Haikyu, mais c’était à la marge et on voulait taper un grand coup avec un auteur patrimonial.

C’est aussi parce que notre public n’est pas encore assez connaisseur de ce médium-là, on s’est dit autant faire quelqu’un qui est assez européen dans sa création, dans son découpage. C’est une très bonne porte d’entrée pour les personnes qui ont vraiment des stéréotypes en tête comme “le manga c’est de la baston et des gens qui crient”. Eh bien non ! C’est aussi pour ça qu’on a fait venir Naoki Urasawa : on amène doucement le public vers des expositions mangas chaque année. Et concrétiser cette expo avec en plus avec sa venue, c’est quelque chose d’assez fou, c’est un petit miracle, on va pas se mentir. »

Au coeur de l’expo Naoki Urasawa à la Maison de la Culture d’Amiens / Photo ©Thomas Mourier

Deux expositions ? 

La proposition est surprenante, deux expositions dans deux lieux différents autour d’un même auteur, mais quand on demande à Anthony Pardi si l’idée est de croiser les publics, il confirme « Exactement ! On travaille avec la Maison de la culture sur des expositions BD depuis 4-5 ans de mémoire et Laurent Dréano, le directeur de la Maison de la culture, qui a aussi une appétence pour le travail de Naoki Urasawa. Ils se sont très vite mis dans le projet et on a essayé de créer un lien entre eux et nous. »

L’exposition « Naoki Urasawa auteur en série » présente plusieurs œuvres dans une scénographie immersive, avec une pièce maîtresse autour d’Asadora! qui met en scène la créature, l’avion d’Asa pour présenter des reproductions de planches ou encore une double pièce dédiée à Monster avec un tableau de suspect géant. À la Maison de la culture, l’expo « Naoki Urasawa, un talent monstre » se concentre elle sur 2 œuvres 20th Century Boy et Monster dans une scénographie plus épurée qui présente des agrandissements de cases en regard des pages. 

Stéphane Jarno, commissaire de l’expo « Naoki Urasawa, un talent monstre », nous parle de la visite du dessinateur « Quand Naoki Urasawa a visité l’exposition hier soir, il était comme un enfant : quand on est dessinateur voir ses créations en 2D en volume devant soi, ça fait un choc. »  Le monstre sans nom en version physique ouvre l’exposition avant de passer aux agrandissements de cases, Stéphane Jarno poursuit « Pour le choix des visuels, l’idée était de trouver des scènes qui montrent des aspects de la personnalité de chaque personnage, mais aussi des scènes d’anthologie. »

Pourtant dans les deux cas, pas de planches originales. Anthony Pardi précise « La politique de Shôgakukan est très stricte sur la sortie d’originaux hors du Japon. Ce sont des trésors nationaux, surtout Naoki Urasawa, qui est considéré là-bas comme un des plus grands mangakas. 

On est un peu des bébés dans le manga game, pour parler très cru. Donc, forcément, on a moins la confiance que peuvent avoir Angoulême par exemple qui ont 3 expos manga avec des originaux. On n’est pas encore à leur niveau, mais on essaye petit à petit d’y arriver : ça va être des voyages au Japon dans le futur pour se présenter, montrer ce que l’on a fait et potentiellement négocier pour avoir des planches originales.

Tout Shôgakukan a vu l’exposition en 2D par échange de mail en amont. Du coup, on s’est lâché sur la scénographie, parce que c’est un peu ce qui nous caractérise en tant que festival et aussi parce sans originaux, on n’a pas la facilité de la planche. On a des reproductions qui sont certes magnifiques, mais c’est moins l’impact d’un original donc forcément, on s’acharne encore plus sur la scénographie pour rendre le truc très immersif. »

Au coeur de l’expo Naoki Urasawa à la Halle / Photo ©Thomas Mourier

L’instant où tout bascule… dans les coulisses d’une œuvre

Dans l’exposition Naoki Urasawa, un talent monstre », on rentre par les personnages, la scénographie dévoile les protagonistes de Monster et de 20th Century Boys comme points d’accroche. On y voit dès l’entrée, le combat entre Kenzō Tenma & Johann puis au loin un robot géant, sorti de 20th Century Boys

Interrogé sur les personnages, le mangaka explique que pour lui : « L’antagoniste est plus important que le protagoniste. Je suis en train d’explorer encore, mais je me dit que le personnage principal est peut-être le personnage le moins intéressant parmi tous —c’est peut-être pour cela que je n’aime pas le personnage de Tenma— en tout cas mes personnages secondaires ont plus de caractères et de personnalité. »

Pour Stéphane Jarno, 20th Century Boys marque un tournant dans son œuvre, un moment de bascule : « À partir de 20th Century Boys, il s’autorise des choses qu’il n’a pas pu faire dans Yawara, Pineapple Army ou Master Keaton. Dans ses témoignages 20th Century Boys ça né d’une vision : il s’endort dans son bain —c’est comme ça qu’il le raconte— et il a une vision d’une scène qu’il y a dans 20th Century Boys où Ami et ses sbires sont accueillis à l’ONU comme des amis de l’humanité. Il a ce flash et il envoie tout de suite un mot à son éditeur pour lui dire “j’ai une idée” alors qu’il voulait justement lever le pied parce qu’il avait trop bossé. C’est sans doute une césure dans son œuvre. »

Quand on demande à Stéphane Jarno pourquoi il y a peu de textes d’accompagnement dans l’exposition pour prolonger ces réflexions, il répond que Naoki Urasawa « se méfie beaucoup des commentaires et des analyses sur son œuvre » et du coup « ça faisait partie du cahier des charges. »

L’auteur s’est prêté en échange aux interviews et dévoile qu’il a « l’impression de faire des œuvres humoristiques, mais que les gens ne le croient pas. Je parle de drame humain, et l’humour en fait partie comme le mystère, le suspens et le polar. Je vends toujours Monster comme une œuvre d’humour et personne ne me croit. » 

Plutôt qu’un regard ou des interprétations sur son travail, le mangaka explique comment il travaille, expliquant pourquoi certaines œuvres sont plus complexes que ce qu’il avait imaginé à la base : « Quand je commence une histoire, j’ai déjà l’idée jusqu’à la fin, j’ai une image assez précise de la fin, mais au fur et à mesure que j’avance : la narration évolue, les personnages évoluent et moi-même en tant qu’auteur j’évolue aussi. Et c’est pour cela que l’intrigue évolue et que finalement la fin n’a rien à voir avec ce que j’avais conçu au début. » 

À propos de sa méthode de travail, il a expliqué comment il se documente et construit ses intrigues en prenant l’exemple d’Asadora!, sa série en cours : « Avant tout, j’essaie d’imaginer un énorme mensonge. C’est le départ de toutes mes histoires, mais il faut que le mensonge soit intéressant : je commence à ajouter des éléments de réalisme pour donner corps à ce mensonge.

Pour Asadora!, je voulais parler de l’histoire d’une pilote et je me suis renseigné et j’ai compris que c’est à l’âge de 17 ans que l’on peut avoir sa licence de pilote. À partir de cette idée, j’ai cherché quels sont les moments importants dans l’histoire du Japon et c’est là que j’ai trouvé le grand typhon de 1959 dans la baie de Ise — je suis né en 1960, donc cet événement a eu lieu 1 an avant ma naissance et quand j’étais petit ma mère me parlait de ce typhon dévastateur. Asa avait 12 ans en 1959, et je trouvais intéressant de raconter la vie de cette femme avec ce contexte historique. 

Je me suis aussi renseigné sur les façons de piloter les avions et j’ai même rencontré un pilote qui avait plus de 100 ans et j’ai beaucoup appris grâce à lui. J’ai rencontré un biologiste pour savoir si la chose pourrait exister réellement et il m’a confirmé que ce n’était pas possible.

Un artiste en haut de l’affiche

À Amiens, Naoki Urasawa a donné un concert dessiné où il a interprété ses chansons, dont certaines inédites, d’autres avec des paroles en français et en anglais, en s’accompagnant au dessin pour en illustrer les thèmes. En parallèle de ses mangas, il a sorti deux albums et se produit sur scène, seul ou avec son groupe. 

Dans l’exposition “Naoki Urasawa, un talent monstre”, on peut découvrir une partie dédiée à la musique, avec aussi bien ses disques que des planches dédiées aux musiciens, ses carnets de bords et ses chansons. Stéphane Jarno détaille “Quand il dessine, il peut avoir une idée musicale, il s’arrête, prend sa guitare et enregistre ou alors quand il joue, il a une image qui vient. Il y a parfois des allers-retours, il ne dissocie pas, dans sa création, le dessin et la musique.”

À ce propos, Naoki Urasawa revient sur cette distinction, “Dans 20th Century Boys, il y a la chanson Bob Lennon qui sert à la narration, mais je ne cherche pas à mettre des chansons dans mes mangas.” Les deux disciplines se répondent, mais ne parasitent pas. “Par contre, il ne dessine pas en musique, il est concentré” rajoute Stéphane Jarno.

Les rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens lui ont confié la réalisation de l’affiche, une proposition qu’il a acceptée très vite, “ce qui est un peu fou” comme l’explique Anthony Pardi “Le fait qu’il ait représenté tout Amiens aussi est un peu fou, elle marche très bien. 

On fournit un cahier des charges aux auteurs, autrices pressenties pour faire l’affiche de la future édition et pour Urasawa sensei, on a fait la liste de tous les endroits d’Amiens qui peuvent être sur l’affiche. Et finalement il a fait un mix de tout ça pour nous faire une planche de BD avec tous les éléments cités dans le cahier des charges. 

On était assez surpris, mais assez heureux de se dire que cette affiche marche très bien, même pour la ville. En communication pure et dure, pour la ville, c’est cool de montrer plein de spots différents d’Amiens avec en plus des personnages iconiques d’Urasawa.

Au coeur de l’expo Naoki Urasawa à la Halle / Photo ©Thomas Mourier

Un auteur au sommet, qui a su prendre du recul

En fin d’entretien, Naoki Urasawa nous explique qu’il a “travaillé en parallèle sur 2 séries pendant 20 ans. Avec une série dans un magazine hebdomadaire et l’autre série qui sortait toutes les deux semaines. Et donc j’avais des deadlines 6 fois par mois, je dessinais entre 130 et 140 pages par mois. Quand je repense à cette période, je me dis que c’était un véritable enfer. 

Je vous invite à imaginer les conditions de cette vie, d’habitude on se dit je vais finir cette semaine et je vais me reposer. Pendant 20 ans, aucune pause, quand je regarde à l’horizon ce ne sont que des dates de rendu qui continuent éternellement et je me dis heureusement que j’ai pu survivre à cette période. 

À ce moment-là, je pensais à Osamu Tezuka qui dessinait entre 500 et 600 pages par mois, le chiffre était incomparable : moi 140 et lui 600 pages par mois. Sa vie a été courte, il est mort à l’âge de 60 ans et moi je me suis dit non, je ne vis pas comme ça.

À 65 ans le mangaka a pris du recul sur cette figure de mentor —après un très bel hommage Pluto— et explique son envie de traiter de nombreux sujets en manga, et dévoile qu’après Asadora ! [toujours en cours de publication] il aimerait “traiter le manga de samurai avec un angle et une approche nouvelle.” 

Et on sera au rendez-vous !
D’ici là, vous avez de quoi faire avec cette double expo mais également les dernières parutions comme Jigorô ou Asadora ! T9 qui viennent de sortir en juin.

Pour consulter le programme complet, rendez-vous sur le site de l’événement

💡 Infos pratiques
Festival Gratuit
Ouvert de 10h à 18h les 3 week-ends de juin :
7 & 8 JUIN WEEK-END D’OUVERTURE (70 artistes invités)
14 & 15 JUIN WEEK-END MUSÉAL
21 & 22 JUIN WEEK-END DE CLÔTURE (60 artistes invités)

📍 Halle Freyssinet, Rue de la Vallée, 80000 Amiens

-> les liens renvoient sur le site Bubble pour se procurer les ouvrages évoqués

Image principale : au cœur de l’expo Naoki Urasawa à la Maison de la Culture d’Amiens / Photo ©Thomas Mourier

Thomas Mourier, le 23/06/2025
Naoki Urasawa invité d’honneur à Amiens

Le mangaka en rencontre avec les journalistes / Photo ©Thomas Mourier

19.06.2025 à 12:58

Space opera en Acadie, fun à tout point de vue

L'Autre Quotidien

Très drôle et formidablement rusée, une novella de space opera transhumaniste conduite à quelques trains d’enfer pour démontrer avec éclat qu’en matière de récit, tout est encore et toujours affaire de point de vue .
Texte intégral (3561 mots)

Très drôle et formidablement rusée, une novella de space opera transhumaniste conduite à quelques trains d’enfer pour démontrer avec éclat qu’en matière de récit, tout est encore et toujours affaire de point de vue.

Je hais la chute libre. Il a fallu au moins dix ans et plusieurs réglages minutieux de la part des Écrivains pour me faire surmonter la nausée et la terreur de m’écraser au sol, mais je n’arrive pas à m’y faire. Je déteste tout autant voler. Quand on regarde les Gamins, ça a l’air facile, élégant. Mais c’est en fait  bigrement corsé et je n’ai jamais pris le coup. Un de mes premiers gestes en tant que Président  a été d’inciter la Trésorerie à construire un monorail dans quelques-uns des habitats les plus vastes, et à légaliser les jet packs individuels dans chacun d’entre eux. Sauf que le conseil a opposé son veto. Je suis peut-être Président, mais le Conseil ne me prête aucune attention, à moins que quelque chose ne tourne mal.
L’hôtel de ville se situe près du centre de l’habitat, niché au cœur d’un énorme massif de kudzu. J’atterris tant bien que mal sur la terrasse couverte, retire ma combi et entre.
Comme à peu près tous les autres bâtiments de la Colonie, l’hôtel de ville est un polype de construction sphérique. C’est aussi la plus grosse et la plus ancienne structure du coin : une boule nacrée et noueuse de la taille d’un paquebot. Assez vaste pour faire office de pièce de survie pour toute la population de l’habitat en cas de désastre de très, très grande ampleur, elle n’en est pas moins pratiquement vide la plupart du temps, peuplée par des équipes d’administrateurs, d’ingénieurs et de techniciens réduites au minimum.
Elle abrite aussi mon bureau, et il n’y a pas de quoi se vanter. Je n’y ai passé plus de cinquante minutes depuis le début de mon mandat, huit mois plus tôt, et en toute honnêteté, je serais incapable d’y mener quiconque à travers les tunnels sinueux de l’hôtel de ville.
Fort heureusement, je ne me rends pas à mon bureau. Je vais au Bureau, plus facile à trouver, car bien plus grand et situé en plein cœur de la structure. Je constate en sortant du tunnel qu’il est rempli de gens visiblement nerveux discutant à voix basse devant leurs écrans, leurs plans de travail et les infofiches.
« Joyeux anniversaire ! me lance Connie alors que je flotte vers elle.
– Hum. Bon, qu’est-ce qu’on a ?
– Un appareil ennemi. » Elle désigne une grande infofiche à l’autre bout de la salle : on y voit un fond noir incommensurable au milieu duquel dérive une sonde. Celle-ci mesure environ quinze mètres de long pour cinq de large, un cylindre blanc cassé portant les lettres AC peintes sur un de ses flancs. À une extrémité, un bon gros bouclier antimétéores conique en glace centrifugée ; à l’autre, la mince cloche de la tuyère propulsive d’un réacteur à fission à haut rendement. Entre les deux, on aperçoit le paysage grumeleux et désordonné des radômes du moteur à hyperpropulsion, des nacelles de capteurs et des microtuyères à fusion. Concept relativement simple, fabrication peu onéreuse ; l’Agence de la Colonisation en assemble des centaines chaque année et les envoie en mission de survol rapide vers les systèmes planétaires inexplorés. Je sens mon cœur se serrer.
« Pas un rocher, donc, insiste Connie.
– Pas un rocher », je confirme avant de pousser un juron. « D’où vient cette image ? »
Elle me répond. Je jure de nouveau. Et pas qu’un peu.

Fondée par des scientifiques en rupture de ban d’États-Unis réactionnaires et théocratiques, la Colonie vit depuis cinq cents ans en secret, à bord de dizaines d’habitats spatiaux construits à partir du vaisseau de colonisation volé pour fuir la Terre et la colère des services spéciaux américains, installée loin, très loin, des routes spatiales commerciales et des missions coloniales d’exploration. Mais l’Agence Coloniale, qui a la mémoire longue, continue sa traque imperturbable, arrosant l’univers connu et inconnu de ses sondes automatisées. Bien que bénéficiant des technologies ultra-avancées développées au fil du temps par ses scientifiques d’origine (les « Écrivains ») et par leurs créations génétiques aux intelligences résolument hors normes (les « Gamins »), l’utopie réalisée hors des sentiers battus doit rester vigilante. Lorsqu’une sonde se présente par surprise quasiment aux portes de la Colonie, détectée beaucoup trop tardivement pour être neutralisée efficacement, c’est à Duke, le président élu par cette meute d’hédonistes surdoués et farceurs, élu précisément parce qu’il paraissait afficher, de toutes et tous, le plus de désintérêt pour la politique, qu’il revient de gérer la pire crise que cette population persécutée (le clin d’œil du titre à l’authentique Acadie canadienne vous éclairera a posteriori sur les nombreuses ruses malicieusement disséminées dans le choix des noms propres tout au long du texte) ait eu à gérer depuis sa création.

La Colonie ne possède pas de gouvernement en tant que tel. Chaque habitat élit annuellement le représentant d’une sorte de vague corps consultatif dont le but est de s’assurer que la machine fonctionne sans heurts. D’après le principe voulant qu’on ne peut décemment pas confier le pouvoir politique aux personnes qui le recherchent, les seuls membres admis au sein de ce collectif sont ceux qui ne désirent absolument pas en faire partie. Comme ça vaut pour à peu près tout le monde, les deux ou trois mois précédant les élections voient généralement s’orchestrer une avalanche de campagnes guignolesques à l’enthousiasme suffisant pour disqualifier le moindre candidat. J’ai moi-même mené de belles campagnes par le passé, et j’ai longtemps réussi à esquiver le tir, mais je me trouvais hors-système lors du dernier suffrage, occupé à ramener quelqu’un jusqu’à Nova California. Les autres y ont vu le signe d’un désintérêt envers la politique, et à mon retour, j’ai découvert que non seulement j’avais été élu, mais que les sales fourbes avaient interprété mon absence comme la preuve que je n’en avais vraiment rien à battre, aussi m’avaient-ils carrément nommé Président.
Ce mandat n’accorde en réalité que très peu de pouvoir. En revanche, il entraîne pas mal de responsabilités, notamment en cas de situation si problématique que tout le monde s’efforce de refiler la patate chaude au premier venu. Or le premier venu, c’est moi, et ce pour les trois ans et demi à venir environ. Président de la Colonie : le type qui se tape le boulot que personne d’autre n’a la volonté ou la patience de faire et prend les décisions merdiques que personne ne veut assumer.

Relativement peu connu en dehors des cercles d’initiées, et jamais traduit en français jusqu’ici, le Britannique Dave Hutchinson (qui, homme de goût s’il en est, confie en entretien que c’est le grand « Pavane » de Keith Roberts qui l’a le plus influencé dans la définition de ce qu’il souhaitait réaliser en tant qu’écrivain), mérite toute notre attention, au vu de cette novella de 2017, traduite par Mathieu Prioux en 2019 dans la collection Une Heure-Lumière du Bélial’. En dehors de ce qui a déjà été écrit plus haut, je me garderai bien d’éclairer la fin de cette novella construisant elle aussi (la parenté de sa thématique apparente avec celles familières aux lectrices et lecteurs d’Alastair Reynolds ne saurait être totalement fortuite) un espace de la révélation. En se laissant porter par un humour geek et même potache – qui n’a pourtant absolument rien de gratuit ici -, on découvrira dans les derniers mètres l’un de ces retournements dont la grande fiction peut avoir le secret, nous rappelant avec l’art mêlé d’un Henry James et d’un Iain Banks que petits récits et grande Histoire naissent d’abord et avant tout d’un point de vue – et que c’est à ses risques et périls (ou pour la profonde joie du twist) que la lectrice ou le lecteur l’ignoreraient.

Le Conseil est composé d’elfes, de nains, de hobbits, de gobelins et de Dieu seul sait quoi d’autre. Je n’ai pas lu les bons livres ni vu les bons films pour tous les reconnaître, mais j’aperçois aussi quantité de klingons. Assister à une réunion du Conseil revient à participer à un concours de cosplay. Après avoir fondé la Colonie, les Écrivains ont voulu s’amuser un peu… Et si pour ça il leur faut se réécrire en personnages de la culture populaire de la fin du vingtième siècle, je n’ai rien à y redire. En général, ils laissent la Colonie se gérer toute seule, du coup, mes contacts avec eux sont limités. Malheureusement, il y a parfois des cas où la décision finale leur revient ; après tout, ils restent les Fondateurs. Je suis venu ici à quatre ou cinq reprises durant ma présidence – bien que la situation n’ait jamais été si sérieuse -, et chaque fois c’était comme faire un exposé devant une salle remplie de toons.
Le stade où se tient l’assemblée est une vaste dépression herbeuse entourée d’arbres. Il y a d’un côté un petit monticule avec au sommet un podium rustique en bois et je suis planté là, une énorme infofiche dans mon dos pour l’aspect audiovisuel, à leur faire mon topo. Je leur montre les images de la sonde, leur raconte ce qu’Ernie a fait, l’échec apparent de la ligne d’alerte, ainsi que mon évaluation de la situation. J’expose mes arguments aussi clairement qu’il est possible de le faire devant une foule compacte d’elfes, de loups-garous, d’orcs, de vampires, de goules, de zombies, de Jedi, de plusieurs copies de Tom et Jerry, d’Itchy et Scratchy, de Bip-Bip et de Coyote, d’assortiments de super-héros, d’innombrables Darth Vador et d’au moins deux lions colossaux. Histoire de préserver ma santé mentale autant que ma dignité, je garde les yeux fixés au sol et parle rapidement.
« J’estime, dis-je pour conclure, que cette sonde représente un danger manifeste et immédiat. D’une façon ou d’une autre, elle a traversé la ligne d’alerte, donc soit celle-ci est défectueuse – et là-dessus, notre enquête est toujours en cours -, soit la sonde a été conçue pour infiltrer des systèmes dotés de périmètres de défense passifs, ce qui me donne à penser qu’elle était à notre recherche. » Je lève les yeux, me demande pour la énième fois qui pourrait bien se réécrire en zombie. Je prends une grande inspiration.
« Vous avez examiné la sonde ? » demande un Wolverine.
Je soupire. Il y en a toujours un… « Comme je l’ai déjà évoqué, rappelé-je au public, la sonde est une épave. Son réacteur principal l’a rendue prodigieusement radioactive. À tel point que, dans d’autres circonstances, je vous recommanderais de porter plainte contre l’Agence pour l’avoir balancée dans notre système. »
Silence… Exigeant comme public. Les Écrivains adorent les blagues, tant que ce sont eux qui les font.

Hugues Charybde, le 23/06/2025
Dave Hutchinson - Acadie - éditions Le Bélial

L’acheter chez Charybde, ici

15.06.2025 à 13:47

Mark Ernestus’ Ndagga Rhythm Force et son nouveau Khadim

L'Autre Quotidien

Qui se souvient des boitiers en alu qui contenaient les productions de Basic Channel, le label berlinois de Moritz von Oswald et Mark Ernestus ? Ces pépites dub techno qui se brisaient au moindre effort d’ouverture forcée ? Quand vous arriviez à les ouvrir, le jeu consistait à découvrir le dub présent enfoui sous des tonnes de bruit et de crachements. Mais une fois l’oreille faite, c’était le nirvana. Aujourd’hui, entre Dakar et Berlin, Ernestus reconfigure le son autrement. Explications.
Texte intégral (1161 mots)

Qui se souvient des boitiers en alu qui contenaient les productions de Basic Channel, le label berlinois de Moritz von Oswald et Mark Ernestus ? Ces pépites dub techno qui se brisaient au moindre effort d’ouverture forcée ? Quand vous arriviez à les ouvrir, le jeu consistait à découvrir le dub présent enfoui sous des tonnes de bruit et de crachements. Mais une fois l’oreille faite, c’était le nirvana. Aujourd’hui, entre Dakar et Berlin, Ernestus reconfigure le son autrement. Explications.

Khadim est une reconfiguration époustouflante du son Ndagga Rhythm Force. L'instrumentation est radicalement réduite. La guitare a disparu, tout comme la concaténation des sabars et la batterie. Chacun des quatre morceaux se concentre sur un ou deux batteurs seulement ; sinon, le seul élément enregistré est le chant, tout le reste est programmé. Les synthés sont dialogiquement verrouillés dans le rythme de la batterie. De manière révélatrice, Ernestus a fait appel à son Prophet-5 bien-aimé, un instrument emblématique depuis l'époque de Basic Channel, il y a trente ans. Sur le plan textural, le son est plus dubwise, piquant d'effets. Il y a une nouvelle spatialité, annoncée dès le début par les sons ambiants de la vie urbaine à Dakar. Au micro, Mbene Diatta Seck se délecte de cette nouvelle ouverture : diva du mbalax, elle transforme avec émotion chacune des quatre chansons en un épisode dramatique distinct, en utilisant différents ensembles de techniques rhétoriques. La musique est tendue, groovy et complexe, comme auparavant, mais plus volatile, intuitive et accessible, avec une expressivité émotionnelle et spirituelle turbulente.

Cela ne veut pas dire que Khadim représente une rupture. Sa capacité de transformation trouve ses racines dans les centaines et centaines d'heures que le Rhythm Force a passées à jouer ensemble. Près d'une décennie s'est écoulée depuis Yermande, le précédent album du groupe. Chaque année pendant cette période, à l'exception des confinements, le groupe a effectué de nombreuses tournées en Europe, aux États-Unis et au Japon. L'improvisation étant au cœur de sa création musicale, chaque performance a été évolutive, menant finalement à Khadim. « Je ne voulais pas simplement continuer avec la même formule, explique Ernestus. Je préférais attendre une nouvelle approche. Après avoir joué tant de fois en live, je voulais capturer une partie de l'énergie et de la liberté de ces performances. » Bien que plusieurs membres de l'ensemble en tournée ne participent pas à cet enregistrement – les percussionnistes sabar, le batteur, le synthétiseur –, leur présence reste présente dans la structure et le swing de la musique.

Lamp Fall est un hommage à Cheikh Ibra Fall, fondateur de la communauté spirituelle Baye Fall. La mosquée de la ville de Touba est connue sous le nom de Lamp Fall, car sa tour principale ressemble à une lanterne. Soy duggu Touba, moom guey séen / Quand vous entrez à Touba, c'est lui qui vous accueille. Après un début rapide et incantatoire, Mbene chante avec un sérieux réfléchi. Sa voix tourbillonne avec une réverbération, sur une interaction serrée, funky et propulsive entre le synthé et la batterie, entrelacée de deux coups de basse. Cheikh Ibra Fall mi may way, mo diayndiou ré, la mu jëndé ko taalibe… Cheikh Ibra Fall amo morome, aboridial / Cheikh Ibra Fall montre la voie à suivre, il nous donne de la force, il rassemble ses disciples… Débordant de grâce, Cheikh Ibra Fall n'a pas d'égal.

Entrecroisée de proverbes wolofs, Dieuw Bakhul est une chanson accusatrice sur la trahison, le mensonge et la médisance. Sur des synthés maussades et tourbillonnants et une basse sinistre et épurée, Mbene lance des bribes de voix flottantes, comme si elle repassait de vieilles conversations dans sa tête. La musique accompagne son désespoir jusqu'au bord de la rupture, à un moment où elle semble si perdue dans ses pensées et ses souvenirs qu'elle menace de se désintégrer. Bayilene di wor seen xarit ak seen an da ndo... Dieuw bakhul, dieuw ñaw na / Arrête de juger tes amis et tes compagnons... Un mensonge n'est pas bon, un mensonge est laid.

Khadim est un morceau phare, actuellement la pièce maîtresse des concerts de Ndagga Rhythm Force. La chanson est dédiée à Cheikh Ahmadou Bamba, alias Khadim, fondateur de l'ordre soufi Mouride. Serigne Bamba mi may wayeu / Serigne Bamba est celui qui me fait chanter. Les couplets citent les noms de membres vénérés de sa famille et de sa confrérie, tels que Sokhna Diarra, Mame Thierno et Serigne Bara. Bien que l'islam soit pratiqué au Sénégal depuis un millénaire, ce n'est qu'au début du XXe siècle qu'il a commencé à imprégner profondément la société sénégalaise ordinaire, parallèlement à l'anticolonialisme. Les vers rappellent ici l'exil de Bamba par les Français au Gabon, puis en Mauritanie, à cette époque fondatrice. Pendant son exil, ses ravisseurs ont un jour introduit un lion dans sa cellule : gaïnde gua waf, dieba lu ci Cheikhoul Khadim / le lion ne bouge pas, il se soumet à Cheikh Khadim. Une basse profonde et puissante, une grosse caisse régulière et des accords simples et réverbérés sur le contre-temps confèrent à ce morceau l'atmosphère et l'élan du reggae steppers. Une flûte joue des bribes d'une mélodie traditionnelle Baye Fall ; le jeu de batterie polyrythmique éblouissant est signé Serigne Mamoune Seck. Mbene mêle de manière captivante vocalises percussives, suspense narratif, louanges exultantes, introspection et griefs.

Nimzat est un hommage dévotionnel à Cheikh Sadbou, un contemporain de Bamba, enterré dans un mausolée à Nizmat, dans le sud de la Mauritanie. Way nala, kagne nala... souma danana fata dale / Je t'appelle et je m'interroge sur toi... Si je suis submergé, viens à mon aide. La ville revêt une importance particulière pour le soufisme khadr. Un pèlerinage annuel y est organisé encore aujourd'hui. Le rythme est joyeusement funky ; l'ambiance est sombre, sobre, inquiétante. Ponctué par des coups de tonnerre, Mbene chante avec une révérence contenue et intense, d'une voix rauque et confidentielle, inébranlable. Nanu dem ba Nimz. Afrique future, techno future, à vous de voir. Mais à écouter en boucle(s) !

JP Samba africaine le 16/06/2025
Mark Ernestus’ Ndagga Rhythm Force - Khadim - Ndagga

15.06.2025 à 12:13

Festival New Beat(nick) perché au Moulin Blanchard 1/2

L'Autre Quotidien

Le Festival Moulin Blanchard hors les murs se tient à Perche en Nocé et alentours jusqu’au 15 juillet. “Ce lieu patrimonial vernaculaire singulier abrite le cœur du Champ des Impossibles, ambitieux projet de développement du territoire par l’art et la culture qui inclut un festival d’art contemporain, des expositions, des rencontres, des concerts, des ateliers de pratique artistique, une artothèque récemment ouverte, ainsi qu’un partenariat avec l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles pour l’aménagement des extérieurs.”
Texte intégral (6924 mots)

Le Festival Moulin Blanchard hors les murs se tient à Perche en Nocé et alentours jusqu’au 15 juillet. “Ce lieu patrimonial vernaculaire singulier abrite le cœur du Champ des Impossibles, ambitieux projet de développement du territoire par l’art et la culture qui inclut un festival d’art contemporain, des expositions, des rencontres, des concerts, des ateliers de pratique artistique, une artothèque récemment ouverte, ainsi qu’un partenariat avec l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles pour l’aménagement des extérieurs.”

Le Moulin Blanchard

Tout un programme regroupant expositions, projections,  lectures, concerts, ateliers, résidences d’artistes, en lien avec les territoires et l’action culturelle rend compte de cette Liberté d’action de l’association. La programmation de cette saison retrouve tout un esprit Beat, axé sur les liens privilégiés que le territoire a tissé historiquement avec la Beat Generation.

La Beat Generation est à l’origine des changements dans la façon d’appréhender le quotidien et les libertés.  Son mode de vie  a ébranlé les sociétés modernes et inspire les mouvements de mai 68, l’opposition à la guerre du Vietnam ou les contestataires de Berkeley et de Woodstock contribuent à la naissance de cette culture Beat qui régénère, en tant que contre-culture, le mythe américain. Sur la route est une ode aux grands espaces américains, à l’épopée vers l’Ouest, à la découverte de monde nouveaux, alliant créativité débordante et fascination pour les milieux underground et tout l’art qui s’y crée (littérature, jazz, musique, cinéma, etc.), la Beat Generation témoigne également d’un attachement profond aux grands espaces, à la nature et aux spiritualités chamaniques dans lesquelles l’homme est partie intégrante du Cosmos.

-> Ce reportage est en deux parties, la première cette semaine est consacrée à ce qui passe sur place. LA seconde, la semaine prochaine aux expositions hors les murs.

DANS LES MURS,

Sur le lieu même de la ferme qui comporte plusieurs bâtiments, Frédérique Founès évoque ici un lien tout particulier à la naissance de la culture Beat, dans un retour au territoire  à travers Pascal Barrier, percheron bien connu et photographe, témoin de la présence de Piero Heliczer, poète et co-fondateur du Velvet Underground  et de Friedensreich Hundertwasser.
Piero Heliczer passera les dernières années de sa vie à Préaux du Perche.

https://bainsdouches.net/produit/piero-heliczer-poems-documents-poemes-documents/

Piero Heliczer poems & documents

Piero Heliczer / Pascal Barrier
Photographe au regard affuté bien connu des Percherons, Pascal Barrier a été le témoin de la présence de Piero Heliczer, poète et co-fondateur du Velvet Underground, et de Friedensreich Hundertwasser, à Perche en Nocé. Pris dans les années 80, ses magnifiques clichés en noir et blanc témoignent de la force d’une personnalité hors normes.

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Captation Allen Ginsberg à Paris par François Pain

On retrouve ici avec bonheur des projections où Allen Ginsberg, en shaman, psalmodie jusqu’au cri  « who says BOMB » en relation avec le Vietnam, et décline tout un poème autour.

Beat Hotel d’Harold Chapman

Une passerelle objective et territoriale est tendue entre ce mouvement artistique historique et le Perche, la France, Paris aussi plus particulièrement évoqué par la projection du film Beat Hotel d’Harold Chapman, qui chronique dans les années 50/60 la vie des habitants du Beat Hotel  à Paris, avec les figures de William S. Burroughs, Gregory Corso, Allen Ginsberg, Piero Heliczer. Harold Chapman s’installe à Paris en 1956 et habite au 9 rue Gît-le-Coeur, un hôtel du quartier latin. Son oeuvre est un indispensable témoignage de ce que fut la Beat Generation.
Suivent ensuite les projections  des captations réalisées par François Pain des lectures d’Allen Ginsberg à Paris, faisant partie des collections du CNAP (Centre National des Arts plastiques)

Captation Ginsberg à Paris par François Pain ©PascalTherme 2025

20 000 VICTIMES par an de la coke et du speed…

Thierry Alonso, dit Gravleur
« Le peintre Thierry Alonso, dit Gravleur, artiste du territoire, a été retrouvé décédé en 2021 dans sa chambre à 55 ans. Il laisse une oeuvre magistrale, douloureuse et dérangeante. Un jour de 1999, un passant se fige devant la vitrine de la Connoisseur’s Gallery, où l’un de ses grands formats est exposé. Il entre et achète six de ses oeuvres. C’est le début d’une surprenante amitié entre Johnny Depp et Thierry Alonso, auquel l’acteur consacrera, à Los Angeles, en 2006, une exposition, et un film réalisé par Richard Carroll. Kevin Bacon collectionne aussi ses oeuvres, et l’écrivain Nick Toshes devient l’un de ses plus fidèles soutiens. Ses portraits en grand format, entre autres de Basquiat ou de Burroughs qu’il n’a jamais rencontrés, impressionnent par leur puissance. » DP

Frédérique Founès rend hommage à cet artiste peintre du territoire, dans une étrange et singulière exposition autour de ses portraits et de son amitié avec Johnny Depp. L’exposition inclut une toile de l’acteur faisant dialogue avec ceux de Gravleur, dont entre autres des portraits de Basquiat et de Burroughs. Exposition Gravleur, portraits, dont en bleu la peinture de Johnny Depp.

exposition Graveleur, Photos ©PascalTherme2025

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Le voyage mexicain de Bernard Plossu.

Suivent ensuite deux expositions qui rappellent tout le climat psychologique de ces années et l’aventure qu’elles représentaient, de ces évènements qui appellent la photographie, le film, déjà Voyages, aux multiples sens, dont le très fameux voyage mexicain de Bernard Plossu, marqueur d’une rupture stylistique avec tout un conformisme et surtout d’une nouvelle façon de voir et de photographier.

 » Dans la vieille Packard 50, on file vers Guanajuato, dans l’infini de l’espace, des routes, dormant n’importe où autour d’un feu sous les étoiles, réveillés par les paysans, déjeunant dans les marchés ou les cantinas, dansant, chantant partout, bavardant avec des vieillards aux chapeaux de paille esquintés par le temps… ».  On peut rapprocher le Voyage Mexicain de Bernard Plossu dans la sublime simplicité de ses images à un film totalement intime et majeur, celui de cet œil si tendrement humain, si présent à la lumière, façonné par l’instant, la scène et l’action qui s’y passe, arrêté à un point qui ressemble beaucoup à cet instant décisif de Cartier Bresson.  Ce livre évoque tout un cinéma, celui de Cassavetes et d’Antonioni où voyage le romanesque des personnages et des situations rapportée au réel dans un témoignage construit au fil de l’eau, presqu’en rêvant.

Bernard Plossu a pratiqué la cinémathèque de Chaillot de 1961 à 1965, s’est s’imprégné largement des images de Dreyer,  Bergman, Bresson, Bunuel, Eisenstein, Cassavetes, Louis Malle, Godard, Chabrol, Resnais,… Il ne cache aucunement ce qui était alors l’envie de toute une jeunesse partie prenante de ce renouveau dans la société et dans la vie, avant 68,  il écrit dans 36 vues; « Toutes ces images ont abouti au Voyage Mexicain, livre de photos d’un jeunot, qui rêvait de devenir cinéaste …. ce qui m’intéressait, c’était que mes photos expriment la vie, l’errance, l herbe, la beauté des Mexicaines et des Américaines.  »

Le voyage mexicain, 1965-66 © Bernard Plossu

Autant dire que Plossu, 20 ans à peine en 1965, comptait bien s’exprimer librement, dans ce contexte en inventant une approche beaucoup plus libre formellement ( comme des poèmes silencieux) et narratologiquement parlant, en faisant se rencontrer des corps et des visages, des situations assez romanesques pour devenir  immédiatement perceptibles dans cette simplicité apparente des cadres,  dans cet instant qui fait photographie puisque tout est dit en une fraction de seconde de chaque situation vivante, la réparation de la roue au bord de la route, sous le soleil exactement, (personne n’a jamais dévoilé la complicité de Plossu et de Gainsbourg) Sur la ROUTE, avec ce couple enlacé et aimant, dans le contre jour très californien de cette lumière du Chiapas…. le rêve se forme, défile la photographie le fixe, le retient, l’établit dans son reflet, dans les pages du livre à venir, opérations réussies…., comme les écrivains donnent à voir en quelques lignes une situation avec personnages, en vous plaçant au centre du récit, en vous impliquant dans l’image.

Plossu n’en reviendra pas de cette période complètement ouverte et totalement libre, il écrit dans 36 vues éditions poetry Wanted,  « On est en 1966. On a tous de 20 à 24 ans. Bill conduit la vieille guimbarde (clunker en anglais)… On file au Nord de Mexico, on va plutôt au hasard….on perd vite toute notion du temps. L’herbe est très légère et douce à souhait.Roger, le new-yorkais, toujours défoncé, joue du ukulélé; Juanle poète porto-ricain du violon, Laurie et Karina dansent dans la rue; elles sont tellement heureuses! et moi, je fais des photos; le récit de notre vie, tous ensemble « sur la route ». Pas besoin de lire les livres de Kerouac…Est-on jamais rentré? Ça a continué avec Crazy George, Bob, Mary, sur les routes vers Acapulco, Oaxaca, Puerto Angel avec le maître Guillermo Olguin. une liberté insensée! … on vivait, on roulait dans des paysages gigantesques, qui n’ont jamais quitté nos mémoires. »

Il écrira également ces quelques lignes relatant son départ et son arrivée à Mexico: « J’ai emporté avec moi mon appareil photo et une petite camera d’amateur 8 mm et je suis bien décidé à continuer ce que j’avais commencé intensément, c’est à dire regarder, comprendre, filmer et surtout photographier;….dès mon arrivée, je tombe amoureux fou de ce pays et d’un changement de vie qui me libère totalement. Je photographie la ville de Mexico sans arrêt et commence à voyager avant même les grands voyages de l’époque Beat… »  Ici  Kerouac, Corso, Bukowski, Chandler, Brautigan, Ginsberg semblent en accords avec Plossu, sans que le jeune homme de 20 ans ait cherché quoique ce soit…. Il se contente de vivre le rêve magique de l’époque, de vivre cette liberté incroyable du voyage et de toutes ses rencontres, ce BIG TRIP qui est au centre de la vie de toute une jeunesse, dans cette contre-culture qui embrasse tous les arts et qui s’enrage à être définitivement vivante et audacieuse.

Il y a une continuité quasi documentaire du voyage mexicain qui renvoie à ces années là et à la façon dont Plossu l’évoque dans différents livres. De plus le sujet: devient photographier la vie, dans ce qu’elle touche à l’aventure, au romanesque du quotidien et à la naturalité des expériences traversées, de franchir les limites, de vivre selon son bon ou mauvais génie;  il s’agit alors d équilibres ou de leurs ruptures, de ces passages secrets entre différents référents, vie, mémoire visuelle, photographies relevant également de l’archer….quand quelque chose, objet, paysage, corps, situations, être, traverse le regard, touche l’âme du photographe, il s’en empare immédiatement et le transcris dans une photographie poético-méditative, parfois assez métaphysique, traduisant tout un travail, toute une énergie sur cet éternel présent du ça a été, dans une résolution qui touche à l’échelle de la vie du photographe, toujours soucieux de vivre et d’aller de l’avant, soucieux d »échapper à la mélancolie, aux pièges du temps qui se referme; c’est sans doute pourquoi sa photographie reste ouverte à cet infini, à ces questions métaphysiques qui  habitent la part sensible de chacun et qui nous font « humain, trop humain » , qui, surtout, marquent le temps et l’espace. Soixante ans après, elles ont cette fraicheur de la jeunesse ivre et folle de libertés, d’aventures, d’expériences de tous ordres, qui embrasse le monde sans se soucier plus avant de ce que seront les années à venir, vivant à mille pour cent le temps présent. Après, on verra bien!

Bernard Plossu, le voyage mexicain, 1966 ©Bernard Plossu.

Le Road Trip de Marion Scemama et de David Wojnarowicz.
« Dans les années 1980-1990, la photo-journaliste et réalisatrice Marion Scemama s’est immergée dans l’underground de la scène artistique new yorkaise dans ses ramifications les plus radicales. En 2019, dans le sillage de la première rétrospective en Europe de David Wojnarowicz au Mudam, Marion Scemama lui consacre avec François Pain le film/ essai Self-Portrait in 23 Rounds : A Chapter in David Wojnarowicz’s Life (1989-1991). » DP

Il y a une vraie continuité heureuse de style et d’espaces narratifs, de mythologies, de voyages, ce big trip pris à l’épaisseur du jeu entre la vie et la mort, de cette ambition d’avoir été libre dans ses amours et sa sexualité, à un moment de devoir en assumer la triste chute, mais toujours en Femme et en Homme libre. C’est ce dernier voyage que raconte en images Marion Scemama quelques temps avant la disparition de David Wojnarowicz,  atteint du Sida.  C’est ce récit visuel qui nous est présenté dans toute la force de ses convictions, dans tout l’envol de ces passions électives où figure cet oiseau libre de Braque, ce cœur battant, qui éclaire ces années là rétrospectivement, et en creux, pose la question de son actualité,  qu’est devenue cette Liberté Grande, aujourd’hui?

Face à tous ceux qui n’ont pas eu la chance de vivre ces années, cette Beat Generation a la consistance de ses mythes,  ses productions incandescentes font partie de l’histoire de l’Art, dorénavant et rappelle au monde toutes les expériences et la productivité de cette génération d’artistes qui a porté haut l’expérience de soi, les valeurs libertaires, œuvrant aux différentes libérations poétiques, sexuelles, transes libératoires qui ont fait un bien considérable à l’époque et dans leurs lègues.  Dans cette transmission, le souffle de l’expérience amoureuse, poétique, critique, fait rupture avec le vieux monde, dans le schème de cette nouvelle tendance à vivre au dessus des lois de la société bourgeoise rétrograde, en s’accordant, entre autres le feu inspirant des passions, de toutes les passions,  la ré-appropriation d’un lien quasi mystique à la Nature, au Cosmos, expériences du monde s’inscrivant dans la recherche d’un centre, d’une force centrifuge capable de relire tous les conditionnements dans leur psychologie et de les remplacer par l’expérience des limites; il était question de vivre au plus haut, de tutoyer l’infini, telle était l’ambition générale …quitte à se mettre souvent en danger!

A slow Boat in China de Marion Scemama, grand format.

Avec  Slow Boat To China de Marion Scemama, défile le film de ce voyage de New Mexico à San Francisco comme une série d’instants choisis, de photographies, en couleur et en noir et blanc, prélevés et faisant la narration visuelle du dernier voyage de David Wojnarowicz, artiste majeur de la scène alternative new-yorkaise; atteint du Sida, ce big trip, sera son dernier voyage, mais la proposition reste, au delà de sa conclusion, plutôt une proposition vivante, une indéfectible attention à aimer la vie dans cette liberté d’être, dans cette recherche créatrice du verbe. Le voyage s’organise de la Vallée de la Mort jusqu’en Californie, passant par Zabriskie Point où résonne encore l’étrange film d’ Antonioni, réalisé en 1969, avec la musique des Floyds.

Ce voyage photographique est devenu un livre assez intime et en même temps très ouvert à ce que furent les relations des acteurs de la Beat Generation entre eux, fidèles à ce qu’ils furent dans cette liberté d’être assez transcendentale pour constituer ces êtres forts et fragiles assumant totalement leurs contradictions. No regret!  et même si ces travaux se situent en 1990, ils sont toujours partie prenante de cette façon de vivre et de faire, à quelques dizaines années de distance, parce que l’esprit ne s’étant pas encore épuisé, il est encore l’esprit fondamental de l’époque, ici, avec ses cadrages larges, ses mises en abimes, sa narration simple et efficace, ses écrits sur l’image. Ce sont d’ inestimables documents, entre autres, mettant en scène des relations entre trois personnages dont celle de Marion et de François Pain, évoqué à travers la video de l’exposition un récit en forme de poème ou d’Indian Song, la descente en canot d’une rivière, puis une danse panique, rituel oublié, quasi sexuel, d’une transe chamanique.

Cette danse évoque la puissance de la charge sexualisée des corps, la puissance tellurique des pulsions sauvages, l’appartenance à cet Éros cosmique, aux forces panthéistiques de la Nature, le retour à un primitivisme d’avant la psychologie, d’avant la Kulture, c’est une sorte d’échappée d’un temps d’avant, quand les deux protagonistes  en reviennent aux origines du monde, on assiste à une réjouissante danse nuptiale, précédant l’union sexuelle, faisant penser à ce retour à l’être prmier à Quatre jambes et quatre bras, décrit par Platon, comme l’être originaire d’avant la séparation. Il semble ici retrouvé; et c’est bien toute l’ampleur de ces expériences, happenings, experiments  qui étaient devenus autant d’intentions de création de cette vie quotidienne dédiée aussi aux sens et à l’amour le plus largement possible, rappelant ce slogan de 68 écrit sur les murs de la Sorbonne « Jouissez sans entraves »… furieusement l’amour devenait une insurrection contre l’ordre établi, un fait politique – faites l’amour et pas la guerre slogan contre la guerre au Viêt Nam – (Faites l’amour, pas la guerre est à l’origine un slogan antiguerre issu de la contre-culture des années 1960 aux États-Unis (Make Love, Not War). Utilisé principalement par les opposants à la guerre du Viêt Nam, ) le corps étant devenu politique, arraisonné par les névroses et les addictions, il devenait au moment de l’amour, un lieu de jouissances dans le surgissement de l’orgasme, une apocalypse régénérescente.

Slow Boat to China a été publié par IS-land Éditions. les films réalisés par Marion Scemama autour de leur collaboration sont parties intégrantes des collections du Whitney Museum of America Art et du CNAP, du Museo Reina Sofia de Madrid.

Marion Scemama, évoque dans ce document sonore sa relation avec François Pain et David Wojnarowicz, auteur entre autre de la série Rimbaud à New York , et de leur dernier voyage en 1991 de New Mexico à San Francisco où il devait faire une lecture de ses poèmes.

Slow Boat to China, Marion Scemama, exposition Moulin Blanchard

La direction artistique du festival est assurée par Frédérique Founès, directrice de l’agence Signatures qui est en charge de la programmation de cette sixième saison, secondé par Patrick Bard, photographe, écrivain et reporter, président de l’association Moulin Blanchard.

Pascal Therme, le 16/06/2025 - première partie du reportage, la seconde la semaine prochaine
Festival New Beat(nick) perché au Moulin Blanchard , 1/2

13.06.2025 à 14:48

Vanessa German et l’art comme talisman de guérison et d’insoumission

L'Autre Quotidien

Certain·es sculpteur·rices manipulent le marbre ou le bronze, quand Vanessa German sculpte les âmes avec des perles, du verre, des os, des prières, des reliques de rue et une force intérieure inclassable. Artiste autodidacte originaire de Pittsburgh, elle se définit comme une « citizen artist » : une citoyenne engagée, guérisseuse, poétesse, activiste, chamane, bâtisseuse d’autels contemporains.
Texte intégral (1521 mots)

Certain·es sculpteur·rices manipulent le marbre ou le bronze, quand Vanessa German sculpte les âmes avec des perles, du verre, des os, des prières, des reliques de rue et une force intérieure inclassable. Artiste autodidacte originaire de Pittsburgh, elle se définit comme une « citizen artist » : une citoyenne engagée, guérisseuse, poétesse, activiste, chamane, bâtisseuse d’autels contemporains.

Une artiste à l’identité plurielle et assumée

Vanessa German ne coche aucune case standard. Née dans l’Ohio, installée en Pennsylvanie, elle se forme en dehors du monde académique, absorbant les influences de la poésie slam, de l’art populaire afro-américain, des traditions vaudou, du hip-hop, de la spiritualité bouddhiste et des esthétiques queer.

Ce syncrétisme culturel irrigue toutes ses œuvres. Chaque sculpture, chaque installation est une sorte de corps-rituel, un « corps-monde » qui donne à voir les blessures et les beautés de la vie afro-américaine. Ses œuvres ne sont pas faites pour être regardées poliment dans un musée : elles sont faites pour être ressenties, presque touchées, comme des fétiches protecteurs.

De l’objet trouvé à l’artefact sacré

Son matériau de prédilection ? Le monde. Littéralement. Vanessa German collecte tout ce qu’elle trouve : morceaux de bois, miroirs cassés, perles, dentelles, cristaux, poupées, photos anciennes, armes jouets, bustes de plâtre, étiquettes de bouteille. Sous ses mains, ces objets deviennent porteurs d’histoires et de symboles puissants.

C’est une pratique qu’elle qualifie d’ alchimie sociale ; transformation non seulement esthétique mais politique : elle réenchante des objets jetés pour leur offrir une nouvelle dignité, un nouveau pouvoir. Chaque œuvre est une rébellion douce mais ferme contre l’effacement, la violence, le racisme, la pauvreté et l’invisibilisation.

Un engagement qui dépasse les galeries

Vanessa German ne se contente pas d’exposer dans des galeries chic. Elle est aussi la fondatrice du Love Front Porch, un projet communautaire d’art et de guérison dans son quartier de Homewood, à Pittsburgh. Là, elle crée avec les enfants, les mères, les personnes marginalisées. Elle y construit des sanctuaires où l’art devient soin, et la poésie une forme d’activisme.

Elle le dit elle-même :

Mon travail est une offrande. Je crée pour ceux qui ont besoin de voir, de toucher, de croire que la beauté peut naître même dans les ruines.

Plus de créations sur son Instagram ici

Emile Tapedur, le 16/06/2025
L’art chamanique de Vanessa German

13.06.2025 à 14:37

Sous prétexte d’économies, au ministère de l’Éducation nationale, la gabegie ?

L'Autre Quotidien

Pour les agents du rectorat et les magistrats de la cour d’appel de Versailles (Yvelines), c’est galère ad vitam aeternam ? En effet, le projet architectural de Campus Lesseps longtemps attendu qui devait leur offrir un « nouveau mode de pilotage, de management et de fonctionnement » est tombé à l’eau. À quel prix ?
Texte intégral (2248 mots)

Pour les agents du rectorat et les magistrats de la cour d’appel de Versailles (Yvelines), c’est galère ad vitam aeternam ? En effet, le projet architectural de Campus Lesseps longtemps attendu qui devait leur offrir un « nouveau mode de pilotage, de management et de fonctionnement » est tombé à l’eau. À quel prix ?

Madame la ministre des Campings

Il y a une solution toute trouvée pour dépister les 40 milliards d’économies que le gouvernement cherche désespérément : se débarrasser du budget du ministère de l’éducation nationale, le premier budget de l’État qui en 2024 a coûté dans le détail 27,4 milliards d’euros pour l’enseignement public de premier degré et 39,4 milliards pour le second degré, soit 66,8 milliards d’euros. Soustraction faite, cela laisse même de la marge, sans toucher évidemment à ce que perçoit l’enseignement privé (8,9 milliards d’euros).

Le fait est que les sociétés libérales, puis illibérales, n’ont de cesse de couper dans le budget de l’enseignement public, ce fut d’ailleurs l’une des premières décisions de Nicolas Sarkozy président. Comment lui en vouloir, c’est un ministre socialiste, le climatosceptique Claude Allègre, qui avant lui voulait déjà « dégraisser le mammouth ». Depuis, les gouvernements successifs ont si bien réussi que le mammouth est à l’os et en voie de disparition. C’est clairement ce qui se passe dans tous les pays sous la coupe de dictateurs avérés ou en devenir. C’est sûr qu’une éducation publique laïque pour des citoyens capables d’exercer leur libre arbitre fiche les jetons à tous les fous de Dieu, de Trump là-bas à Retailleau ici, qui préfèrent gouverner des veaux, pour citer De Gaulle, du moment qu’ils gouvernent. C’est d’ailleurs la seule façon pour eux d’accéder au pouvoir ! Pourtant, l’extrême-droite et les fachos, on a déjà essayé : cela se finit toujours dans les ruines.

Voyons, pour en être sûr, ce qui se passe avec le projet avorté du Campus Lesseps du Rectorat de Versailles, ville qui accueille la 3ème édition de la Biennale d’architecture et de paysage (BAP) du 7 mai au 13 juillet 2025.

De quoi s’agit-il. À Versailles, le projet « Campus Lesseps » prévoyait, sur le site qui héberge actuellement uniquement les services du rectorat, le regroupement des services du rectorat, de la Direction des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN), du CROUS et la Cour administrative d’appel de Versailles. Un projet plein de bonnes intentions puisqu’il devait permettre « de renforcer les synergies au sein de l’académie, d’adapter les surfaces de bureau aux nouvelles modalités de travail (télétravail) et d’accroître significativement la performance énergétique des bâtiments ».

Le budget prévisionnel de l’opération, encore coté dans l’annexe au projet de loi de finances pour 2025, s’élevait à 133,60 M€ toutes dépenses confondues (TDC), y compris les frais de mobiliers et de déménagement. Le même document indique par ailleurs une provision à hauteur de 16,60 M€ devant permettre « notamment le paiement des études préalables telles que les études de sols ».

À savoir. L’académie de Versailles compte 9 % des effectifs scolaires de France et plus de 100 000 agents, avec des services répartis sur trois sites à Versailles. La cour d’appel quant à elle compte six chambres et l’intégralité de ses services devait occuper un bâtiment neuf du nouvel ensemble. Sur un site classé, le projet prévoyait d’optimiser l’occupation de la parcelle avec de nouvelles circulations et de construire à la place des parkings existants deux autres bâtiments en plus de la cour d’appel et de quatre bâtiments réhabilités pour une surface totale de 17 500 m² SDP.

Un projet raisonnable d’évidence puisque validé le 8 novembre 2023 par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) qui dépend de Matignon, Élizabeth Borne alors Première ministre. Projet pourtant annulé au printemps 2025 par Borne Élizabeth, ministre de l’Éducation nationale. Avec le dérèglement climatique, ce n’est plus le vent qui tourne mais les girouettes !

Aucun communiqué de presse pour annoncer la nouvelle de cet abandon en rase campagne. Comme aucune information n’avait filtré quand fut désignée en décembre 2024 l’agence lauréate du concours. Une discrétion de violette alors même que ce rectorat nouveau devait être un « démonstrateur », associant bien-être des agents et efficacité économique, fonctionnelle et, bien sûr, énergétique puisque nul ne construit en 2025 un bâtiment non durable. De quoi en finir avec la vétusté des locaux actuels obsolètes, énergivores et inconfortables et mettre fin aux dysfonctionnements de services éclatés aux quatre coins de la ville. Mais bon, pour l’innovation et le confort, les agents devront donc attendre.

Je ne suis pas comptable des deniers de la République mais, au prétexte des économies que le gouvernement ne sait pas où trouver – taxer les super super riches n’a en effet aucun sens puisqu’ils envoient leurs rejetons dans des écoles privées – au-delà de l’amertume des acteurs du projet et de ceux-là mêmes qui devaient bénéficier de nouveaux locaux tip top, la question se pose : quel est le montant de la gabegie pour en arriver là, c’est-à-dire, après avoir fait vingt fois le tour de la terre, à l’exact point de départ ? Parce que la facture est déjà douloureuse…

Pour commencer, c’est bien simple, une fiche de l’académie de Versailles, parvenue à Chroniques, décrit pourtant « une situation d’urgence immobilière », tout report ayant des « conséquences importantes » en termes de surcoût (location, inflation des prix de la construction). Cette fiche par ailleurs détaille tous les bienfaits de ce nouveau démonstrateur. En premier lieu, elle indique que cinq des sept sites amenés à se regrouper étant loués à des bailleurs privés, le projet « engendrera » une économie annuelle de loyers et charges locatives de près de 5 M€. Soit sur 20 ans (on a le droit d’espérer que ce nouveau campus ne sera pas obsolète en 20 ans) la somme de 100 millions. L’académie anticipe également une économie annuelle de près de 300 000 € sur les charges de fonctionnement et les dépenses énergétiques.

La fiche précise donc, surtout, que l’investissement financier sera rentabilisé en une « vingtaine d’années », ce d’autant qu’une « étude socio-économique réalisée aux canons du SGPI met en avant une valeur ajoutée nette de 50 M€ du projet ». Elle souligne enfin le coût du report du projet, l’évaluant à 6 M€ par an.

Le tout sans compter le salaire pendant dix ans des fonctionnaires dédiés à ce projet passé par pertes et profits, pertes surtout.

Il est permis de penser que François de Mazières, maire de Versailles et ancien président de la Cité de l’architecture, qui n’a pas répondu à notre sollicitation, n’aurait pas été malheureux d’éviter de gros travaux dans sa ville durant une année électorale, les municipales prévues en 2026. Mais le même était membre du jury, il dut alors trouver du mérite au projet et doit être aujourd’hui malheureux qu’il soit annulé purement et simplement !

Il n’est pas le seul. Se mettre à la place des lauréats architectes ayant investi deux ans de travail, au lieu de huit mois, pour une indemnité sans commune mesure avec le coût réel pour l’agence. Sans parler du coût pour l’entreprise – c’était évidemment une conception-réalisation : entre le concours et les B.E., compter au bas mot déjà 5 M€. L’entreprise n’a pas répondu à notre sollicitation aussi les exégètes ne nous en voudront pas de l’approximation.

Contacté, Nicolas Aussenac, directeur de la transformation, responsable du « Lab d’innovation de l’académie » et, surtout, directeur du projet Campus Lesseps au sein du Rectorat de Versailles, cité dans le rapport du SGPI de novembre 2023, n’a pu, à juste titre certainement, que s’en remettre à son devoir de réserve. Dans un souffle, il a juste laissé échapper : « c’est une déception pressante… Un projet ambitieux mais les difficultés budgétaires du moment… ». Il n’a pas fini sa phrase. Ce n’est pas grave, nul ne lui en voudra, au contraire, on avait compris.

Bref, foin du bien-être des agents et de la rationalité économique, ce sera (et encore, peut-être…) au successeur d’Élizabeth Borne, dans vingt ans, de gérer ce dossier – la vétusté des bâtiments loués n’aura qu’empiré – et de se débrouiller avec un projet encore plus onéreux et plus compliqué. Pour autant, « l’intérêt public » du jour est sans doute préservé et sauvé le budget de l’État.

Cela écrit, plus inquiétant que jamais est le fait qu’il ne peut en l’occurrence s’agir ici d’un cas isolé. Celui-ci n’est donc que le dernier signe en date d’une totale déstructuration institutionnelle à l’échelle du pays. Voilà en effet une excellente façon pour ce gouvernement visionnaire de faire des économies, c’est exactement la façon dont nous en sommes arrivés là.

Christophe Leray, le 16/06/2025
Gabegie à l’Education nationale

13.06.2025 à 14:16

« On aime bien se réinventer» Interview de Sophie Mille, directrice des rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens

L'Autre Quotidien

Avec un week-end de lancement les 7 & 8 juin et un week-end de clôture les 21 & 22 juin 2025, cette 29e édition propose un mois d’ouverture avec 130 auteurices invité.e.s, des expositions, des ateliers, rencontres, concerts et animations dans toute la ville.
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Avec un week-end de lancement les 7 & 8 juin et un week-end de clôture les 21 & 22 juin 2025, cette 29e édition propose un mois d’ouverture avec 130 auteurices invité.e.s, des expositions, des ateliers, rencontres, concerts et animations dans toute la ville.

Sophie Mille & Pascal Mériaux lors de la présentation presse / Photo ©Thomas Mourier

Pour y avoir été plusieurs années, le festival se démarque par son accessibilité et sa formule dédiée aux familles. En plus de la programmation, des artistes invité.e.s et des animations, le festival offre une grande place au jeune public avec des espaces ludiques, des ateliers et des rencontres dédiées. Le festival est ouvert à tous pour les expos ce week-end du 14 & 15 juin et le week-end de clôture, 21 & 22 juin, accueillera 60 auteurices en dédicace. 

Avant de vous présenter en détail le programme de ce festival gratuit et accessible encore 2 semaines, je vous propose d’en savoir plus avec sa directrice, Sophie Mille.

Passée par Science Po en vue d’être journaliste avant de bifurquer vers l’événementiel, elle est recrutée comme régisseuse générale des rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens à partir de 2018. En 2020, elle en devient la coordinatrice et cette année, la directrice ; succèdant à Pascal Mériaux qui prend la Direction du pôle BD Hauts-De-France. 

Comment s’organise la programmation entre les propositions adultes et la jeunesse, qui est très présente dans ce festival ? 

Sophie Mille : C’est l’ADN du festival, c’est un festival familial. 

Je ne suis pas programmatrice artistique : on a une cellule artistique du festival. Il y a 15 personnes qui se réunissent après chaque édition pour préparer la prochaine, parfois même avec 2-3 ans d’avance. 

Et ce qu’on essaie de faire, c’est d’avoir un plateau d’expo qui va des tous petits —et c’est primordial pour nous, comme on bosse sur la BD muette, on sait à quel point ça fonctionne— on fait toujours en sorte d’avoir une expo accessible aux 2-3 ans et d’aller chercher tous les publics. On essaie de ratisser le plus large possible avec des incontournables comme avoir chaque année une expo manga. 

C’est cette cellule qui fait des propositions et je suis la garante de l’équilibre : est-ce qu’on a une proposition suffisamment large ? Est-ce qu’on met en avant les jeunes autrices, les jeunes auteurs ? Et c’est comme ça qu’on fonctionne, chacun arrive avec son coup de cœur, on met tout ça sur la table, on regarde un peu ce que ça donne. On se dit on y va, on y va pas mais généralement on y va du premier coup.

Au coeur de l’expo Naoki Urasawa / Photo ©Thomas Mourier

Et vous réfléchissez sur plusieurs années ? Par exemple avec une grosse expo comme celle autour de Naoki Urasawa qui ne va pas être en concurrence avec d’autres ? 

S.M. : Oui, on fonctionne vraiment comme ça. Cette année, on savait qu’on allait consacrer 400m2 à Naoki Urasawa : et cet espace d’expo, c’est 4 espaces d’expo habituellement. Il a fallu faire des choix stratégiques et réfléchir à qu’est-ce qu’on propose en complément tout autour, pour que chacun y trouve son compte.

Et, effectivement pour certains projets, on s’est dit c’est un projet d’ampleur, on ira l’année prochaine. Et voilà, on est déjà en train de bosser sur l’année prochaine, vu que c’est les 30 ans, avec d’autres propositions d’envergure. 

Côté expositions, il y a beaucoup d’expos collectives ou thématiques chaque année, ça aussi c’est dans l’ADN du festival ? 

S.M. : On ne se l’impose pas. Mais chaque année, on a des commissaires d’expo —c’est rigolo ce sont toujours les mêmes— qui adorent soit faire dialoguer les arts, soit faire dialoguer les artistes entre eux. Et à chaque fois ils nous font une proposition collective et c’est super intéressant.

Par exemple, avec Nanas Métalliques et New York / New-York , on a deux expositions collectives et on se rend compte à quel point c’est chouette d’avoir ça.

La proposition a changé cette année avec 3 gros week-end, est-ce que vous avez une idée de quel impact aura ce changement ? 

S.M. : On va le voir. On sait que sur les 2 week-ends muséaux, comme il avait jusqu’à présent [contre 1 cette année], on a forcément moins de fréquentation. Mais on a une super fréquentation par rapport à la proposition, et on va voir cette année : peut-être que tout va se concentrer sur un week-end et qu’on aura beaucoup de monde sur le week-end muséal, et j’imagine que ça va être le cas avec le petit buzz autour du festival cette année. 

Et vous allez garder une formule similaire ? 

S.M. : On expérimente. Le 4 week-end est super, mais il reste chronophage pour les équipes. Il faut recréer la dynamique à chaque fois, ce n’est pas évident. Et le fait de rassembler sur 3 week-ends, en termes de communication, rend compte que c’est plus simple.

On va voir ce que ça va donner en termes de fréquentation mais on aime bien se réinventer, donc on verra l’année prochaine. On analyse et puis on voit.

Au coeur de l’expo Verte / Photo ©Thomas Mourier

En 2026, ce sera les 30 ans, quelles sont les grandes lignes sur lesquelles tu aimerais travailler dans les prochaines années ? 

S.M. : J’ai envie d’aller un peu plus sûr de l’indé. Notre public est tellement habitué à venir sur le festival maintenant qu’on va pouvoir commencer à proposer des choses un peu plus alternatives, un peu plus indé. Et je suis sûr qu’on trouvera le public pour, il y a moyen de faire des choses là dessus.

Chaque année, on a un coup de projecteur sur une maison d’édition indépendante et on n’a pas pu le faire cette année parce que l’espace ne s’y prêtait plus. Mais est-ce que ce sera sur le festival ou qu’on fera en amont, dans un lieu différent ? Je n’en sais rien mais il y a eu des propositions tellement intéressantes de ce côté-là. 

Naoki Urasawa signe l’affiche 

Avec une affiche sous forme de planche où Naoki Urasawa intègre ses personnages dans les rues d’Amiens, l’invité d’honneur de cette édition 2025 sera partout avec une double exposition (Monster, Asadora !, Yawara! et Happy! seront présentés dans une expo à La Halle Freyssinet —lieu où se déroule le festival— et une autre dédiée à 20th Century Boys & Monster à la Maison de la Culture d’Amiens) mais également une masterclass, un concert et des rencontres.

Mais on en reparle très vite dans un second article avec interview du mangaka et des commissaires d’expo.

Du côté des expos

En plus de ces deux expos phares, vous pourrez découvrir plusieurs expo thématiques et une programmation dédiée à la jeunesse. Je vous laisse les descriptifs et accroches du festival pour en savoir plus sur chaque expo & espace. 

New York / New-York : I’ll be your mirror 

« L’exposition sera double, comme un jeu de miroirs où viendront prendre place côte à côte les imaginaires de la vielle Europe et les œuvres plus récentes d’une nouvelle génération d’autrices et d’auteurs de la bande dessinée new-yorkaise, qui nous donnent à voir (et presque à entendre) quelque chose d’imperceptible au sujet de cette utopie en perpétuelle réinvention.»

Nanas Métalliques 

« À l’occasion des 50 ans de Métal Hurlant et des Humanoïdes Associés, nous vous proposons de plonger dans l’univers de ce magazine phare du 9e Art, et de découvrir son alias féminin, Ah! Nana, premier magazine de BD fait par des femmes et pour des femmes de 1974 à 1976. Une immersion au cœur de la SF, de l’imaginaire et du féminisme, des années 70 à nos jours.»

Verts

« Une vague de mutation végétale semble frapper l’humanité : nouveau-nés couronnés de feuilles, retraités requinqués par une tardive montée de sève, peaux bourgeonnantes d’où poussent branches et fleurs… C’est cet univers, sorti tout droit de l’imagination foisonnante de Marion Besançon et de Patrick Lacan, qui servira de cadre à cette exposition et permettra de questionner le lien de l’homme à la nature, de manière inédite et onirique.» 


« On va vers la jeunesse, c’est ainsi qu’on a structuré la Halle à travers le temps. Il y a une Halle d’animation avec, toutes les demi-heures, des propositions de lecture de bande dessinée, Kamishibai, tapis narratifs, lectures picto-signées… La dimension jeunesse est cruciale ici.»

Pascal Mériaux lors de la présentation presse

Au coeur de l’expo New York New-York / Photo ©Thomas Mourier

Do Ré Mi Chat, de la musique plein les yeux

« Crée par les éditions de la Gouttière et l’Orchestre de Picardie, cette exposition jeune public proposera une découverte de la collection Do Ré Mi Chat, composée de bandes dessinées sans texte, qui traversent trois médiums : la bande dessinée, la musique et la vidéo. Ludique et interactive, elle permettra la découverte des cinq albums et plongera les petits festivaliers dans des univers où la pratique, les émotions et l’imagination se croisent et s’entremêlent.»

Abracada-Brume ! 

« En trois tomes, la petite Brume de Carine Hinder et Jérôme Pelissier a connu un succès retentissant en France. Des milliers de jeunes lecteurs se sont passionnés pour les aventures de cette sorcière déterminée, effrontée, drôle et attachante. L’exposition retranscrira fidèlement l’univers brumeux et hors du temps de cette série à succès et fera la part belle à l’interactivité et aux animations.»

Bulles en jeux 

« Cette année marque le grand retour d’un espace entièrement dédié aux jeux inspirés de BD ! En présence d’auteurs et d’animateurs, petits et grands pourront découvrir ou redécouvrir des jeux emblématiques pour tous les niveaux : Nains (Grrre Games / Pierre-Denis Goux), Potion express (Kiwizou / Carine Hinder), Pikit (Repos Production / Sylvain Repos), Lanfeust de Troy (Oka Luda / Tarquin), Stella, un jeu de l’univers Dixit (Libellud / Jérôme Pélissier), Unlock – Dans la tête de Sherlock Holmes (Space Cowboys / Benoît Dahan), Donjon, les apprentis gardiens (Sylex Édition / Lewis Trondheim), Le Roy des ribauds (Matagot / Ronan Toulhoat).»

Au coeur de l’expo Naoki Urasawa à la Maison de la Culture d’Amiens / Photo ©Thomas Mourier

Expos & animations hors les murs 

La Lune des Pirates

« En amont du festival, les RDV BD et La Lune des Pirates s’associeront pour proposer une exposition des dessins réalisés par des autrices et auteurs de bande dessinée au cours des dernières éditions du festival Minuit Avant la Nuit. Cette présentation sera complétée par un atelier manga animé par Anthony Rico et un BD-concert explosif de Totorro & Friend.»

Ankama Éditions, 20 ans de création BD, mangas & Comics 

« Fleuron des Hauts-de-France aujourd’hui reconnu internationalement, Ankama fête en 2025 les 20 ans de sa branche édition. Cette exposition sera l’occasion de présenter son travail d’édition en proposant notamment la découverte de l’œuvre de quatre auteurs majeurs. Des rencontres, une conférence et la découverte de la branche Ankama Games viendront compléter cette exposition.»

Du côté des animations 

Une vingtaine d’ateliers animés par des autrices et auteurs en Petite Fabrique et une 40 séances proposées dans le Petit Auditorium (Kamishibai, tapis narratif, lectures picto-signées, lectures à voix haute…) sont accessibles gratuitement. 

Mais également des ateliers au cœur des expositions puis une trentaine d’ateliers BD animés par les étudiants en Licence 3 et en Master Métiers de la BD ; des ateliers en continu animés par l’école d’animation 3D Waide Somme et la Bibliothèque nationale de France. 


« On a animé en 2024 : 854 demi-journées de face à face pédagogique. La moitié avec mon équipe de médiateurs, l’autre moitié avec des auteurs, tous rémunérés. Ça crée une dynamique incroyable à l’échelle de la ville avec le prix des écoles, du département avec le prix collégien de la Somme et le prix des Lycéens. C’est au cœur de ce qu’on fait : comment la bande dessinée peut déclencher des plaisirs de lecture, éviter du décrochage au collège et faire de la remédiation.» 

Pascal Mériaux lors de la présentation presse

Des spectacles jeune public comme Le loup en slip, d’après la BD de Mayana Itoïz, Wilfrid Lupano et Paul Cauuet, ou Les contes illustrés d’Olivier Supiot et Richard Petitsigne sont aussi au programme. 

Sans oublier les battles de dessin, les dessins en live sur écran géant, les jeux collectifs et les masterclass techniques. 

Pour consulter le programme complet, rendez-vous sur le site de l’événement

💡 Infos pratiques
Festival Gratuit
Ouvert de 10h à 18h les 3 week-ends de juin : 
7 & 8 JUIN WEEK-END D’OUVERTURE (70 artistes invités)
14 & 15 JUIN WEEK-END MUSÉAL
21 & 22 JUIN WEEK-END DE CLÔTURE (60 artistes invités)

📍 Halle Freyssinet, Rue de la Vallée, 80000 Amiens

Thomas Mourier, le 16/06/2025
Interview de Sophie Mille, directrice des rendez-vous de la bande dessinée d’Amiens

Les liens renvoient sur le site Bubble

Au coeur de l’expo Brume / Photo ©Thomas Mourier

13.06.2025 à 14:04

Les images ne dorment jamais / Imago numquam dormit

L'Autre Quotidien

À la Galerie Nathan Chiche, le dialogue entre Maria Adjovi et David Mbuyi prend corps dans un lieu déjà chargé de mémoire : une ancienne école dessinée par Jean Prouvé, lieu de transmission devenu aujourd’hui un territoire plastique et de révélation sensible. Dans cette architecture pensée pour l’éveil, leurs œuvres ouvrent un champ de perception, où la peinture devient à la fois langage, prière, et acte de présence.
Texte intégral (1461 mots)

À la Galerie Nathan Chiche, le dialogue entre Maria Adjovi et David Mbuyi prend corps dans un lieu déjà chargé de mémoire : une ancienne école dessinée par Jean Prouvé, lieu de transmission devenu aujourd’hui un territoire plastique et de révélation sensible. Dans cette architecture pensée pour l’éveil, leurs œuvres ouvrent un champ de perception, où la peinture devient à la fois langage, prière, et acte de présence.

Maria Adjovi, Devoir de promesse, 2025 Huile sur toile, 200 × 170 cm Courtesy of the artist & galerie Nathan Chiche

Elles réactivent, chacune à leur manière, des images disjointes : chez David Mbuyi, c’est le souvenir d’une image vue, photographiée, puis transfigurée par la peinture ; chez Maria Adjovi, ce sont les images du passé qui reviennent comme des figures persistantes de l’âme. Toutes deux nous rappellent, chacune à sa façon, que les images ne dorment jamais.

Deux voix picturales, distinctes mais secrètement accordées, interrogent ici ce qui demeure — le regard de l’enfance, les persistances de la mémoire, la survivance des formes. L’un explore le visible en mouvement, capte l’instant dans son élan, déplie la couleur comme une énergie vivante. L’autre sculpte l’invisible dans l’immobile, fait du visage un sanctuaire intérieur, et du regard une prière silencieuse.

Chez David Mbuyi, la peinture est traversée par un regard qui ne juge pas mais qui découvre, capte, saisit : un regard d’enfant, au sens fort du terme — c’est-à-dire un regard premier, vierge de tout préjugé, disponible à l’émerveillement comme à l’inquiétude. Il ne peint pas des souvenirs, il peint ce que l’œil a enregistré dans un éclair, comme une photographie intérieure. Les corps sont saisis dans leur mouvement, leur posture — jamais inertes. Ils habitent l’espace, le traversent, s’y fondent parfois. Ce sont des figures en devenir, tendues vers un monde qu’elles interrogent plus qu’elles ne dominent.

Le visage, une fois transposé sur la toile, n’est plus une figure arrêtée. Il s’élargit, vacille, se prolonge dans l’espace pictural. David Mbuyi introduit une dynamique où la surface semble incapable de contenir l’élan du sujet représenté. Il y a débordement, transgression, comme si le portrait cherchait à excéder son propre cadre. La peinture devient alors un lieu de réécriture de la mémoire visuelle. Ce que le regard a fixé, la main le recompose. Ce que l’objectif a saisi, le geste pictural le réactive. Comme l’écrit Georges Didi-Huberman : « Voir, c’est toujours voir à travers. À travers le temps, à travers les gestes, à travers les pertes. » Chez David Mbuyi, la peinture opère précisément ce travail du regard à travers : à travers l’image initiale, à travers la mémoire, à travers la matière. Ce n’est pas la mémoire qui sommeille, c’est l’image qui veille.

Il construit une œuvre intensément habitée par la végétation — non pas en tant que décor, mais comme matrice. Les feuillages, les verts éclatants, les arborescences picturales se déploient dans ses toiles avec la vitalité d’un monde en germination. Chez lui, la nature est vivante, elle respire, elle s’élance. Elle ne cadre pas le sujet, elle en est l’extension. La végétation est mémoire et énergie, enracinement et expansion. La couleur, chez lui, est profusion. Elle ne s’applique pas : elle s’exprime. Les verts intenses, les rouges solaires, les jaunes presque liquides s’organisent dans une logique organique, non géométrique. Il y a dans ses toiles une sensation de flux : tout est traversé par une force vitale, une énergie fondatrice.

Maria Adjovi, en contrepoint parfait, installe sa peinture dans une lenteur rituelle. Ce n’est pas le mouvement qui l’intéresse, mais la vibration intérieure. Chaque portrait est une présence. Ce sont des visages qui ne s’offrent pas à la narration, mais à la méditation. Le regard qu’elle peint n’est pas descriptif, il est initiatique. Il renferme un secret, une mémoire, une blessure parfois. Et il nous regarde, non pas pour être vu, mais pour être reconnu.

Sa peinture est profondément spirituelle, mais jamais dogmatique. Elle puise dans une iconographie silencieuse, dans une intériorité mystique qui dépasse le religieux. Chaque toile devient une zone de recueillement. Les couleurs, d’abord vives, s’emplissent peu à peu d’opacité. Ce sont des couches, des voiles, des strates : comme si la lumière passait à travers une succession de peaux. Il y a là une densité qui n’est pas pesanteur, mais profondeur — un appel à la lenteur, à l’écoute, à l’introspection. Ces portraits nous fixent comme des vigies silencieuses, chargées d’un regard qui ne s’éteint jamais.

Chez Maria Adjovi, la figure maternelle est omniprésente, mais elle ne se donne jamais frontalement. Elle est dans la forme du visage, dans la texture de la peinture, dans le silence des yeux. Ce n’est pas une image, c’est une présence. La spiritualité chez elle n’est pas une posture : elle est l’espace même où s’élabore l’œuvre. Une spiritualité de la mémoire, de la transmission, du soin. Maria Adjovi ne peint pas pour représenter. Elle peint pour relier. « Je dis que l’identité s’ouvre dans la relation, non dans la solitude de l’être », écrivait Édouard Glissant. C’est dans cette poétique de la relation que s’inscrit son œuvre : une peinture qui parle aux absents, qui garde, qui veille.

Entre les deux artistes s’installe une conversation silencieuse, vibrante. Là où David Mbuyi explore les extériorités — les corps en tension, les paysages habités, les pulsations chromatiques —, Maria Adjovi creuse les intériorités — les regards fermés sur un monde intérieur, les couleurs qui absorbent la lumière, les visages comme des reliquaires. Cette exposition n’oppose pas deux esthétiques : elle tisse une trame commune entre le geste et la présence, la lumière et l’ombre, l’élan vital et le sacrée. Elle installe la peinture dans un entre-deux fécond : entre l’image comme trace, et l’image comme seuil. Car ici, plus qu’ailleurs, les images ne dorment jamais.

Leon Redfinger, le 16/06/2025

Maria Adjovi et David Mbuyi - Les images ne dorment jamais / Imago Nunquam Dormit -> 15/09/2025
Galerie Nathan Chiche - 90, rue Jean Julien Barbe 57070 Vantoux

13.06.2025 à 12:46

Où sont les survivants: d'une poésie commune à partager

L'Autre Quotidien

Les éditions MF lancent une nouvelle collection intitulée "Poésie commune", dont quatre titres viennent de paraître, quatre petits livres cartonnés de format 95x130 qui tiennent entre les paumes, et et dont les différentes couleurs semblent annoncer un passionnant arc-en-ciel.
Texte intégral (847 mots)

Les éditions MF lancent une nouvelle collection intitulée "Poésie commune", dont quatre titres viennent de paraître, quatre petits livres cartonnés de format 95x130 qui tiennent entre les paumes, et et dont les différentes couleurs semblent annoncer un passionnant arc-en-ciel.

Si j'emploie cette image météorologique, ce n'est pas par hasard, car quelque chose de climatique rassemble ces ouvrages, qu'il s'agisse des nuages du Xixi de Florence Jou, des saisons de Des branches et des autres de Camille Sova, de la neige de Poudreuse de Séverine Daucourt, ou de l'eau de Veules-les-Roses de Gabrielle Schaff.

Les éléments comme élément commun? Et la poésie, alors? Ici, elle est tout sauf hors-sol, même si elle se préoccupe d'arrachements de toutes sortes. Ici, elle va et vient dans le monde d'aujourd'hui en affrontant un paysage-panique. Ici, elle devient, comme dans le Xixi de Jou, un discret kung-fu permettant de survivre dans un présent où le ciel a des "accents de cannibale", le ciel qu'il faut à tout prix éviter de "perdre". La poésie non pas comme remède à l'industrie humaine, mais comme langue-passeport ouvrant d'autres possibles, la poésie comme un mouvement de tai-chi que l'ennemi n'a pas le temps de détecter.

Dans un petit livre savamment accordéoné, offert pour l'achat de deux titres, des extraits et des textes commentant ces parutions étoffent la vision qu'on peut déjà se faire de cette excitante aventure éditoriale – d'autant plus que MF nous annonce pour l'an prochain la parution d'un nouveau livre d'Elke de Rijcke, Paradisiaca. Un Lac-Opéra, et nous en donne à lire un extrait (en attendant, je vous conseille vivement de lire l'anthologie de cette auteure, parue chez Lanskine sous le titre Et puis, soudain, il carillonne).

Mais écoutons pour lors la voix de Florence Jou, qui devrait vous donner envie de faire poésie commune avec ces livres:

mon réveil est vent féroce / une tasse de thé vide au pied de mon lit / je me décolle de ma carcasse aux lèvres gelées / pour prendre le rasoir de mon père / tailler dans ma masse brune touffue / trancher comme des lambeaux de viande / devenir combattante de la vraie ombre / ninja des rivières célestes 

Combattant de la vraie ombre: ce pourrait être une possible définition de la poésie, aussi commune que diffractée, à l'œuvre dans ces quatre ardents missels.

__________________

Claro, le 16/06/2025

Collection Poésie Commune - éditions MF
Pour en savoir plus, c'est ici.

13.06.2025 à 12:31

Venez vous perdre dans La Vallée de l'étrange avec J.D. Kurtness

L'Autre Quotidien

Subtils détours sensibles et politiques autour de l’affinité humain-machine et de ses pièges, pour un grand roman pudique et machiavélique.
Texte intégral (4176 mots)

Subtils détours sensibles et politiques autour de l’affinité humain-machine et de ses pièges, pour un grand roman pudique et machiavélique.

Pas de note de lecture proprement dite pour « La vallée de l’étrange », nouveau roman de J.D. Kurtness, publié en 2023 chez L’Instant Même au Québec (quatre ans après « Aquariums », son deuxième roman qui nous avait tant plu ici), et introduit en France début 2025 aux belles éditions Dépaysage, sous une couverture originale d’Olivier Mazoué : l’ouvrage fait en effet l’objet d’un petit article de ma part dans Le Monde des Livres daté du vendredi 30 mai 2025 (à lire ici). Comme j’en ai pris l’habitude en pareil cas, ce billet de blog est donc davantage à prendre comme une sorte de note de bas de page de l’article lui-même (et l’occasion de quelques citations du texte, bien sûr).

Le centre de récupération est un long bâtiment rectangulaire entouré d’asphalte. Un érable chétif a réussi à pousser dans une fissure du ciment près de la clôture barbelée qui entoure le complexe. On l’a laissé faire, davantage par négligence que par compassion. Le vent chaud de l’été balaie le terrain vague et le stationnement. Une poussière gris métallique s’accroche aux véhicules et aux vêtements. Il faut porter un masque dès qu’on franchit le périmètre du complexe industriel. Même s’il est recommandé de continuer de le porter à l’intérieur, tous les employés l’arrachent dès le seuil franchi. On n’y voit rien derrière ces globes de plastique mou et ça sent mauvais. C’est comme enfouir son visage dans un rideau de douche en PVC tout juste sorti de l’emballage. À l’entrée de la bâtisse se trouve le fouineur, une machine haute de huit mètres chargée de repérer les explosifs parmi les cargaisons d’objets reçus. Tout ce qui entre, même les employés, passe par ce nez paranoïaque qui s’agite au bout de son bras robotisé.
Les wagons se succèdent sur la voie ferrée qui frôle l’entrepôt. Leurs bogies claquent sur les rails dans un vacarme qui ne s’arrête jamais. Le contenu de ces wagons est aspiré puis déversé dans l’entonnoir avant d’aboutir sur le lent convoyeur. L’opération s’arrête brièvement lorsqu’un employé arrive pour son quart de travail ; le travailleur prend place à son tour sur le tapis roulant, à bonne distance des objets. Le détecteur ultrasensible le frôle des pieds à la tête pendant quelques secondes. Surtout, ne pas bouger.
Rarement, mais ça arrive, on entend le tonnerre lourd d’une détonation. Le fouineur, dès qu’il détecte quelque chose, stoppe le convoyeur, verrouille le sas d’entrée et fait exploser l’objet suspect sur-le-champ. Tout le monde est averti. Aucun mort depuis huit ans et le dernier incident ne compte pas vraiment puisque c’était une erreur de calibrage de la machine. Après, le convoyeur repart. Une odeur sèche et minérale se répand dans l’entrepôt. De l’argent change de mains. On parie sur le jour et l’heure des explosions.
Les attentats ont beaucoup diminué depuis qu’on a installé le fouineur, passant d’un ou deux incidents par jour à moins d’une tentative par semaine. Malgré les publicités éducatives du gouvernement, une frange de la population perçoit encore les employés comme des assassins. Quelques personnes manifestent avec des pancartes près de la clôture. Elles lancent des brochures dans le stationnement dans l’espoir que le vent les porte jusqu’à ceux qui font le trajet entre leur voiture et la porte d’entrée.
Une femme est convaincue que l’âme de son fils se trouve enfermée dans un serveur à l’intérieur de l’usine. On a beau lui expliquer qu’aucun serveur ne se trouve sur les lieux, elle ne croit pas les autorités. On n’a jamais permis au public de visiter la totalité du complexe, juste quelques pièces, pour des raisons de sécurité. Cette « maman » (c’est comme ça qu’elle veut qu’on parle d’elle) souhaiterait pouvoir explorer elle-même tout le complexe, soulever chaque trappe et regarder derrière chaque bureau, sous chaque table, examiner chaque recoin du plancher pour voir si là ne se trouverait pas une petite boîte chaude et clignotante contenant l’âme palpitante de son garçon.
Un homme cherche sa fiancée et tient le même discours maniaque. Sans parler des défenseurs de la vie privée qui exigent qu’on détruise toutes les données siphonnées des puces. On affirme le faire, mais ils n’en croient rien. On leur cache des choses. Ces groupes de manifestants ont fait sauter plusieurs fermes de serveurs. De beaux illuminés. Au moins, les journalistes sont partis. Les fous sont restés derrière.
Les objets désuets ou interdits entrent, témoins d’une époque révolue. On en retire les matériaux précieux et on envoie ce qui reste à l’incinérateur. On récupère le palladium, l’or, le tantale, le cuivre, le nickel, l’argent, le lithium, le cobalt, le néodyme et l’indium.

Dans « Aquariums » (et même dans « De vengeance », son tout premier roman, qui se situait nettement en dehors du genre science-fictif – dont on vous parlera aussi prochainement sur ce blog), J.D. Kurtness nous avait déjà montré à quel point elle excelle à jouer avec les attentes de la lectrice ou du lecteur pour mieux les déjouer, ou plutôt pour les utiliser comme à rebours. En plaçant d’emblée son roman, dès son titre sous le signe de la théorie de l’Uncanny Valley, défendue dans les années 1970 par le roboticien japonais Masahiro Mori, théorie qui postulait (voir schéma ci-dessous) une brutale chute de l’affinité possible entre un être humain et une construction artificielle lorsque la ressemblance est « proche mais décidément non », elle explore avec beaucoup de ruse les faces cachées et éminemment discutables de la « construction de l’empathie » (sous sa forme brute du « désir de câliner »… et davantage éventuellement), comme en écho à la sublime approche développée par Adam Levin dans son indispensable « Bubblegum » (2019). Là où Louisa Hall, dans son « Rêves de machines » de 2015 avait privilégié (anticipant ainsi joliment les talents d’imitation des grands modèles statistiques de langage et d’imagerie contemporains) la composante langagière dans l’élaboration de la mécanique addictive, J.D. Kurtness s’est résolument placée du côté du look & feel de la machine, pour explorer les facettes éventuellement inavouables du business d’ores et déjà explosif (en termes de marchandisation rémunératrice) du robot d’agrément.

Comme premier maillon de cette chaîne de démontage, Brodeur a pour tâche d’effacer les mémoires, toutes les mémoires, jusqu’au dernier octet d’une puce à comptine. S’il en oublie une, on l’apprend à la station suivante. La détection d’un danger imminent pour l’intégrité matérielle de l’appareil déclenche une plainte aiguë d’animal blessé. Elle provoque nausée, tremblements et mal-être général. C’est conçu pour ça. Brodeur n’oublie jamais une puce mémoire. Un professionnel apprécié de ses collègues.
Son aire de travail s’apparente au quai d’embarquement de l’Arche de Noé décimé par une bombe. Des centaines de répliques mécanisées des animaux préférés des Québécois s’empilent en tas aussi hauts que le technicien. Outre ces imitations de chiens, chats, lapins, bêtes de ferme miniatures et singes, on a aussi saisi les créatures sans équivalents naturels : Pokémon, héros mangas, humanoïdes. Les multiples déclinaisons de poupées sexuelles complètent la pile large comme une piscine hors terre au milieu de laquelle œuvre le destructeur de souvenirs.
Certains refusent d’éteindre leurs jouets, ou alors ils n’ont pas le temps lors des saisies. Allumer et éteindre un jouet nécessitent une série de mots et d’actions posés dans un ordre précis pour éviter que n’importe qui puisse faire fonctionner le bien d’autrui. Un effort, et du temps. Bien des gens n’ont pas l’énergie ou la volonté de faire ce qu’il faut.
Brodeur les trouve bien cruels, envers lui et peut-être aussi envers les machines, s’il est vrai que les plus sophistiquées ont une âme. Il n’en croit rien, mais les plus convaincus pourraient au moins faire l’effort d’éteindre leur bébelle pour la laisser aller en paix au paradis des jouets, ou en enfer si on se fie à la chaleur qu’il fait ici. Couinements, pleurs et gémissements des appareils immobilisés se font entendre autour du fonctionnaire, mais Brodeur ne les entend plus. Il ne pourrait pas occuper ce poste s’il ne s’était pas endurci à l’égard de ces appels à l’aide émis par des robots dont l’apparence a été conçue pour attirer câlins et caresses.
Brodeur étire son bras luisant de sueur et agrippe un morceau. Les modèles de luxe sont parfois encore tièdes, avec leur sous-peau persillée comme des planchers chauffants et leurs piles à décharge lente renommées pour leur durabilité. Brodeur tire jusqu’à dégager l’objet du tas. S’il y a trop de résistance ou qu’il sent une déchirure, il le lâche et tâtonne pour en trouver un autre, et recommence à tirer. Puis, c’est une chorégraphie de câbles et de fiches pour trouver les puces et effacer ce qu’elles contiennent, les yeux rivés sur les écrans de contrôle intégrés à ses lunettes.

Si la sexualisation du non-vivant constitue un thème désormais fréquent (sans avoir besoin de remonter aux ancêtres « La semence du démon » de Dean R. Koontz (1973), « Blade Runner » de Ridley Scott (1982, le film bien davantage en effet que le roman de Philip K. Dick en 1968) ou « La survivante » de Paul Gillon (1985) dans les approches fictionnelles de la machine réputée peu ou prou « intelligente » (les séries télévisées « Real Humans » de 2012 et « Better Than Us » de 2018, notamment, sont particulièrement directes à ce sujet), c’est dans la mise en scène du détournement, explicite et implicite, dans les variations du non-dit et du bankable, que J.D. Kurtness déploie ici son art, avec une pudeur qui en devient machiavélique (là aussi, chacun à leur manière, « De vengeance » et « Aquariums » nous avaient averti qu’elle sait y faire en ce domaine de tromperie magnifique sur les intentions romanesques apparentes). L’entrechoc subtil, sous couvert de technologie, entre impératifs économiques et entrepreneuriaux, socialisation des désirs avouables et moins avouables, voire prohibés, et médications apportées avec ou sans nonchalance à l’ultra-moderne solitude, crée un espace piégé, où le roman déploie ses volutes techniques et sensibles.

La où J.D. Kurtness nous surprend et nous ravit peut-être encore davantage, c’est dans sa mise en scène de la mécanique entrepreneuriale, et des couplages improbables qui habitent les start-up nations de tout poil. Comme chez Louisa Hall déjà citée (et avec infiniment plus de fougue et d’habileté que dans le bien pachydermique – quoique tout à fait intéressant – « Le problème de Turing » de Harry Harrison et Marvin Minsky, en 1992, dont on vous parlera aussi prochainement sur ce blog), on retrouve une capacité à habiter littérairement la mécanique créative éventuellement implacable qui opère à la lisière trouble de la science, de la technologie, du bon sens business et de la performance économique jusqu’au-boutiste. Et cette habitation-là est rendue possible et crédible par l’extrême attention portée en permanence aux détails de la vie matérielle, jusque dans ses moindres composants électroniques – et jusque dans leur poésie métallique aussi secrète que d’abord improbable.

Son quart de travail terminé, Brodeur jette un regard sous le bureau mais les beaux yeux bruns qu’il a croisés tout l’après-midi n’y sont plus. Il prononce une suite de jurons colorés et examine les alentours. Tout est normal, ses collègues blaguent et ramassent leurs affaires. Son remplaçant marche tranquillement vers lui et lui fait un salut amical. Comme Brodeur déteste les problèmes, il fait comme si de rien n’était. Après tout, ce n’est pas sa faute si on lui envoie de la marchandise active.
Le vestiaire des employés est presque vide. Le nouveau quart est commencé et on est vendredi. Personne ne s’attarde. Brodeur ouvre son casier et prend son grand imper noir. Il frôle la crise cardiaque en apercevant le garçon caché derrière, pieds nus sur une pile de vêtements sales. Brodeur a la désagréable intuition que le robot a reconnu son casier à son odeur. Il lui fait signe de ne pas faire de bruit, l’index appuyé sur ses lèvres. Il enroule l’enfant dans le manteau, le prend sous son bras et se dirige lentement vers la sortie. Le gardien ne lève même pas la tête lorsqu’il passe le point de contrôle. C’est une formalité. La rétention des employés est si difficile qu’on accepte que quelques-uns puissent sortir de petites quantités de métal. Les fouilles sont rares et personne n’aime côtoyer Brodeur et sa sueur à la fin d’une longue journée. Il passe les portes et marche vers sa voiture. Il essaie d’avoir l’air normal, mais il sursaute quand un collègue gueule son nom.
— Bro ! Enfin tu fais ton ménage ? Mets pas tout le tas en même temps dans ta laveuse elle va se sauver !
Brodeur est trop stressé pour rire de la blague. Il dépose son précieux paquet dans le coffre de sa Honda beige et fait un doigt d’honneur aux employés qui rigolent en fumant leur cigarette de fin de quart. Habitué à son humeur, on le regarde s’asseoir lourdement au volant et démarrer sans plus de cérémonie.
Brodeur passe les quarante minutes qui séparent son lieu de travail de sa maison à se demander ce qui lui prend de sortir de la marchandise interdite. Non seulement c’est du vol – la quantité de matériau contenu dans ce robot vaut bien un mois de salaire – mais ce type de jouet ne doit plus être en circulation. Ceux qui refusent de les rendre sont passibles de huit ans de prison. S’il se fait prendre, il perdra son emploi, l’amende le mettra sur la paille, sans compter qu’il passera pour dépravé. On a pendu des gens par les couilles pour moins que ça.
Une fois stationné dans son entrée, Brodeur s’assure que personne ne l’observe lorsqu’il ouvre le coffre de sa voiture. Ne pas posséder de garage attenant à sa maison ne l’avait jamais dérangé avant. Il n’avait pas prévu de faire le saut dans la criminalité. Le garçon est toujours enroulé dans le manteau, mais sa tête échevelée est visible. Il sourit.

Hugues Charybde, le 16/06/2025
J.D. Kurtness - La Vallée de l’étrange - éditions Dépaysage

l’acheter chez Charybde, ici

06.06.2025 à 13:34

Le Lotus de Little Simz : à la fois brillant, brut et traumatisé

L'Autre Quotidien

Son triomphe à Glastonbury en 2024 laissait penser que le sixième album de Little Simz aurait dû être un triomphe, mais Lotus la retrouve sous le choc d'un traumatisme. Mais, rien ne l’empêche de trouver les mots et les sons pour s’en sortir haut la main.
Texte intégral (849 mots)

Son triomphe à Glastonbury en 2024 laissait penser que le sixième album de Little Simz aurait dû être un triomphe, mais Lotus la retrouve sous le choc d'un traumatisme. Mais, rien ne l’empêche de trouver les mots et les sons pour s’en sortir haut la main.

L'album s'ouvre avec « Thief », qui vise une confidente devenue traîtresse (suggérant sa plainte contre le producteur Inflo), et sa colère distillée suggère d'éviter les mauvaises fréquentations de Simz. Bien qu'aucun autre morceau ne soit aussi violent, les émotions restent vives tout au long de l'album.

Avez-vous eu du mal à vous aimer ? A accepter votre image publique ?

Little Simz : Oui, beaucoup. A certaines périodes de ma vie, j’ai été très dure avec moi-même, peu aimante. Je ne vais pas me flageller, c’était temporaire. Il faut impérativement s’entourer de personnes capables de vous dire : «Fais attention à toi.» J’ai beaucoup de chance dans ce domaine. Et cela passe aussi par le fait d’être là pour les autres. Je suis quelqu’un de très empathique, ça en devient même parfois difficile. Je ressens des choses que je n’ai pas envie de ressentir, j’ai tendance à trop me soucier de ceux qui m’entourent. Et j’ai du mal à gérer le regard des autres, à avoir la lumière braquée sur chacun de mes mouvements, chacune de mes paroles. Je suis admirative de ceux qui parviennent à s’en foutre, à prendre cela à la légère et à jouer avec. Parce que ces personnes s’expriment justement par le regard des autres. Il y en a, évidemment, qui vont trop loin. Mais être totalement soi-même aux yeux du monde demande beaucoup, beaucoup de courage. Pour ma part, j’essaie de réserver l’aspect le plus virulent, le plus sauvage de ma personnalité, à ma musique. Ma rage demeure artistique et, dans un sens, il est presque impossible de me le reprocher. C’est pratique (rires). ( extrait interview de Libération du 4/06 par Brice Miclet)

Mais pour Simz, l'agonie est clairement une énergie, donnant naissance à certaines de ses meilleures œuvres à ce jour, comme Blood, qui écoute discrètement une conversation complexe entre frères et sœurs, oscillant entre rancœur et dévotion, ou encore la tranche d'acid-soul ravagée du morceau titre, portée par la batterie agitée de Yussef Dayes et le refrain hanté et méditatif de Michael Kiwanuka. L'ambiance n'est cependant pas si déprimante : Young est une étude de caractère aussi déchirante que Specials ; l'afrobeat Fela-esque de Lion est irrésistible (« tous les scatterbody », en effet). Le producteur et collaborateur Miles James Clinton, quant à lui, réalise tous les caprices créatifs de Simz, gardant le génie toujours à portée de main.

Du hip-hop qui dépote, en louchant un peu vers la pop parfois. Mais c’est le disque du mois. Rien moins. Achetez-le !

Jean-Pierre Simard, le 9/06/2025
Little Simz- Lotus - AWAL

06.06.2025 à 13:22

Avec ses textures luxuriantes, les tapisseries mixtes d'April Bey imaginent un monde afrofuturiste

L'Autre Quotidien

Comment passer de là où nous sommes à là où nous voulons être avec toutes ces constructions qui nous encombrent ? Comment avancer si nous devons constamment riposter ? Le passé s'installe comme un brouillard et encombre de désespoir les conversations sur l'avenir.
Texte intégral (1829 mots)

Comment passer de là où nous sommes à là où nous voulons être avec toutes ces constructions qui nous encombrent ? Comment avancer si nous devons constamment riposter ? Le passé s'installe comme un brouillard et encombre de désespoir les conversations sur l'avenir.

“Calathea Azul” (2022), woven textiles, sherpa textiles, resin, glitter on canvas, 24 x 24 inches. Image courtesy of April Bey and GAVLAK Los Angeles | Palm Beach

April Bey, artiste multimédia noire et queer, nous rappelle que parfois, pour se libérer, il faut transcender. S'inscrivant dans la tradition afro-futuriste, elle travaille avec un univers fictif appelé Atlantica. Atlantica s'inspire des histoires extraterrestres que son père lui racontait enfant pour expliquer l'oppression raciale aux Bahamas et aux États-Unis. Aujourd'hui installée à Los Angeles, Bey utilise Atlantica pour construire l'esthétique du futur : une réalité où les Noirs sont libérés des contraintes de la suprématie blanche, du capitalisme et du colonialisme.

“Your Failure is Not a Victory for Me” (2022), watercolor, graphite, acrylic paint, digitally printed/woven textiles, hand sewing, 110 x 72 inches. Image courtesy of April Bey and GAVLAK Los Angeles | Palm Beach. All images shared with permission

Originaire de Nassau, aux Bahamas, Bey intègre également la flore tropicale de la région dans son travail. Elle situe l'avenir des Noirs en lien direct avec l'environnement, qui peut se manifester par un paysage physique vibrant de textures harmonieuses, et s'inspire de l'héritage de l'art et de la littérature noirs, qui démontrent comment la nature a toujours contribué à la libération des Noirs.
Ses broderies complexes représentant des Noirs dans toute leur splendeur ajoutent également à ces histoires une touche de décadence qui rappelle la cuisine de la diaspora africaine. Les aliments longuement assaisonnés ou mijotés absorbent la profondeur de ces saveurs et, à la dégustation, enveloppent le palais. Le processus et le souci du détail, ainsi que les connaissances historiques et culturelles, constituent les fondements de l'œuvre.

“I’m the One Selling the Records…They Comin to See ME” (2021), digitally woven tapestry, sherpa, canvas, metallic cord, glitter (currency), hand-sewing, epoxy resin on wood panel, 36 x 48 inches. Image courtesy of April Bey and GAVLAK Los Angeles | Palm Beach

Cette œuvre, à l'image de l'environnement et de la cuisine, est immersive. Paillettes, armatures en fourrure écologique, tissus cirés tissés en grandes couvertures et motifs colorés séduisent par leur plaisir et leur vitalité. Ce charme sensoriel transporte le spectateur au-delà du visuel et dans l'esprit du corps, reliant les générations à travers l'espace et le temps et semant les graines du futur. Alexis Pauline Gumbs illustre ce lien dans un essai sur la respiration de combat, que nos ancêtres utilisaient pour revendiquer leur liberté dans un monde qui ne la reconnaissait pas, et Bey évoque ce fil conducteur dans des pièces émouvantes telles que « Don’t Think We’re Soft Because We’re Gracious ». L'œuvre de Bey s'inscrit dans la longue et transformatrice histoire des personnes noires et queer qui ont subverti les structures de pouvoir par le biais du futur, de l'amour et de l'hybridité. Et à juste titre ? Car elle sait qu'être queer, c'est vivre dans le futur de toute façon. Vous pouvez la suivre sur Instagram pour des mises à jour et pour voir des gros plans de ses œuvres.

Mimo Ratello, le 9/06/2025
April Bey
et ses tapisseries mixtes

“Fear No Man” (2022), digitally printed and woven blanket with hand-sewn “African” Chinese knockoff wax fabric, 80 x 60 inches. Image courtesy of April Bey and GAVLAK Los Angeles | Palm Beach

06.06.2025 à 13:02

Assemblée nationale : ZFE, une décision empoisonnée ?

L'Autre Quotidien

Sous prétexte de simplification de la vie économique, des députés visionnaires ont trouvé une majorité pour voter le 28 mai 2025 la suppression des « zones à faibles émissions » (ZFE), lesquelles interdisent ou limitent l’accès à plusieurs grandes villes aux véhicules les plus polluants.
Texte intégral (1690 mots)

Sous prétexte de simplification de la vie économique, des députés visionnaires ont trouvé une majorité pour voter le 28 mai 2025 la suppression des « zones à faibles émissions » (ZFE), lesquelles interdisent ou limitent l’accès à plusieurs grandes villes aux véhicules les plus polluants.

C’est-à-dire que nous sommes dans un pays où les élus remettent en cause même les politiques qui marchent. En effet, le combat contre la pollution des villes était bien engagé.

Souvenez-vous du trou dans l’ozone qui a bien fait flipper la planète entière. Comme les rayons UV ne font pas dans la discrimination, les décideurs, pour ne pas se retrouver aveugles et le visage plein de pustules après un week-end sur la côte, ont pris des décisions drastiques et sages. Depuis, le trou se résorbe un peu plus chaque année et les enfants d’aujourd’hui n’en ont même jamais entendu parler. Pourtant, qui se souvient que des marchands de frigidaires, gros utilisateurs de CFC (chlorofluorocarbures) à l’époque, aient jamais fait faillite ? Exactement !

Idem avec Le premier ‘Clean Air Act’ de 1956, à Londres, qui a permis de faire disparaître le Smog. Le ‘Clean Air Act’ des Américains en 1970 a eu lui aussi des résultats probants. Les économies de ces deux pays ne se sont pas effondrées pour autant. Autrement dit, la politique peut donc œuvrer sans dommage à éviter le pire. C’était l’objet des ZFE et elle a fini par porter ses fruits. À Paris, « la qualité de l’air s’est globalement améliorée. Les concentrations moyennes de dyoxide d’azote ont baissé de 40 % entre 2012 et 2022 et les concentrations moyennes des particules fines ont diminué de 25 % sur la même période », indique AirParif, l’organisme chargé du contrôle de la qualité de l’air, cité par Le Parisien (30/05/2025).

Le problème demeure cependant que ces mesures exacerbent des inégalités qui connaissent déjà des niveaux records, le pays saigné par les baisses d’impôts des plus riches : Macron et Trump, même combat ! En effet, il n’est pas très fair-play de préserver la qualité de l’air dans les métropoles tandis que dans les banlieues, et pire encore à la campagne, l’air est devenu si pollué et irrespirable que la nature sauvage cherche refuge en ville. Comment faire ?

Des solutions existent pourtant pour atteindre sans douleur et au bénéfice de tous les objectifs vertueux des ZFE, en voici une : il suffit par exemple d’interdire dans Paris toutes les voitures DE MOINS de 30 ans et le problème est réglé. Et de quelle façon !

Voyons. Avec une telle mesure, Paris intra-muros est dès demain débarrassé des embouteillages et de sa pollution car les voitures de plus de trente ans ne représentent que 11 % du parc. Bref, malgré les vieux moteurs à explosion, les Parisiens respirent mieux du jour au lendemain. Surtout, ce qui est rare étant cher, voilà des véhicules qui pour les riches, d’un jour à l’autre pour ainsi dire, deviendraient une commodité vite recherchée. Les pauvres, qui en sont propriétaires, retireraient alors un prix excellent de leur vieille guimbarde – la loi du marché, tout ça… – de quoi en tout cas s’acheter, même si elle coûte bonbon, une voiture neuve hybride ou électrique ou à hydrogène ou à voiles, en tout cas beaucoup moins polluante que l’actuelle pour faire ces longs trajets de banlieue à banlieue.

Les riches disposeraient bien sûr de parkings sécurisés en périphérie pour leurs véhicules neufs qui – à part lorsqu’est venu le moment de faire la route jusqu’à Monaco ou en Suisse – seront gentiment laissés à vieillir comme un bon vin. Avec leurs nouvelles vieilles bagnoles, ceux-là pourraient caracoler sans encombre sur les grands boulevards ! En sus de trouver un nouveau mode de vie dans un Paris libéré, ils pourraient même redécouvrir le plaisir de la conduite – quand c’est l’humain qui contrôle la machine et non l’inverse – luxe qui n’existe plus avec le dernier modèle bling bling dont ils raffolent.

Ici, au contraire, pour les grands bourgeois et grosses fortunes, se procurer une caisse démodée deviendrait vite une vraie chasse au trésor. Offrir une R5 vintage au fiston qui a réussi le bac, sortir tous les jours, et non plus seulement deux dimanches par an, avec sa Mustang de 1967, offrir à madame une VRAIE Alpine Renault, une Simca 1000 à fifille et rouler en Rolls ou en Cadillac pour les premiers de cordée puisque le but du jeu demeure d’être vu avec des signes extérieurs de richesse. Pour les ménages de la classe moyenne supérieure, il leur suffira de troquer leur BMW Série 3 nouvelle version M340i (de 0 à 100 km / h en 4,4 secondes) achetée en 2019 pour une BMW 3-Series de 1985 et personne ne verra la différence.

En tout cas, avec la disparition de 90 % du parc automobile, Paris redevient d’un coup d’un seul la ville rêvée des transports en commun qui arrivent à l’heure, des traversées apaisées et bon marché à vélo ou scooter ou en taxi électriques.

Au-delà de l’avantage écologique évident pour la planète, considérer qu’il s’agit aussi d’une mesure sociale puisqu’ainsi des pans entiers de l’argent de poche des (trop) riches iraient valoriser les possessions des pauvres, dès lors encouragés eux-mêmes à conserver leur voiture écologique, achetée neuve souvenez-vous, pendant au moins 30 ans. Tout le contraire de l’obsolescence programmée. Le fait est qu’une voiture avec un moteur à explosion de quarante ans a un meilleur bilan carbone que n’importe quel SUV de 2025 pesant plus d’une tonne et demie et truffées de terres rares, de plastiques et de batteries qu’il faudra bientôt stocker à Bure (Meuse), en attendant un jour les déchets nucléaires.

Noter encore que cette redistribution massive de cash – d’aucuns diraient ce ruissellement – ne coûterait pas un rond aux contribuables : les riches seraient toujours aussi riches et m’as-tu vu, les pauvres un peu moins pauvres – leur voiture, au lieu d’en perdre, gagnerait de la valeur chaque année – et tous ensemble œuvreraient de concert à la préservation de la planète en général et à l’amélioration des conditions de vie en Île-de-France en particulier.

Qui plus est, toutes ces voitures anciennes nécessiteraient de vrais artisans mécaniciens, tôliers, ajusteurs, tapissiers, peintre, etc. pour les entretenir, les réparer, voire recréer les pièces détachées nécessaires, de quoi développer un artisanat de luxe et un réservoir d’emplois qualitatifs dans de multiples ateliers en plein Paris. Quand la De Dion-Bouton est en panne, il faut un mécano formé par LVMH !

Le dernier avantage d’une telle mesure – et non des moindres – est que, puisque Paris a vocation à devenir une ville-musée, autant que ses rues soient envahies de voitures antiques, comme à La Havane. Les touristes n’auront de cesse avant de quitter la ville que d’avoir fait un tour dans l’une de ces automobiles toutes plus surprenantes les unes que les autres et si typiques désormais de la capitale et, qui sait, des grandes villes françaises.

Si ce n’est pas là un projet de société !

Cela aurait évidemment un impact sur l’architecture. Ne serait-ce qu’avec une nouvelle répartition de l’espace public et donc des m² constructibles. Le périphérique devenu boulevard urbain, ses abords redeviendraient de l’immobilier de premier ordre et les investisseurs et financiers finiraient par y trouver leur compte.

Christophe Leray, pour Chroniques d’Architecture le 9/06/2025
Assemblée nationale : ZFE, une décision empoisonnée ?

06.06.2025 à 12:51

Tactical Specters - les morts ont encore leur mot à dire à la Ferme du Buisson

L'Autre Quotidien

« Les morts ont encore leurs mots à dire et leur part de travail à effectuer. Par délégation bien entendu, mais ils sont présents, car bien représentés. », Vinciane Despret, Les morts à l’œuvre
Texte intégral (1320 mots)

« Les morts ont encore leurs mots à dire et leur part de travail à effectuer. Par délégation bien entendu, mais ils sont présents, car bien représentés. », Vinciane Despret, Les morts à l’œuvre

Assoukrou Aké, Les perfection-nés et le sacrifice de maturité, 2022, acrylique et crayon graphite sur contreplaqué gravé, 366 x 244 x 6 cm, Courtesy Ellipse Art project © l’artiste et Adagp — Paris, 2025 © Photo Théo Pitout

Comment les défunts insistent-ils, à travers le temps, pour nous tenir en question ? La voix des morts occupe une place centrale dans les réflexions contemporaines, qu’elles soient artistiques, littéraires, dramaturgiques, philosophiques, notamment chez des artistes qui articulent des appartenances diasporiques, transculturelles ou minoritaires. Orienté autour de la notion d’hantologie, pour citer le néologisme du philosophe Jacques Derrida dans son ouvrage Spectres de Marx, ce projet s’attache à présenter des œuvres ou des interventions qui portent en elles des voix du passé.

Nils Alix-Tabeling, Sans titre (chaises), 2023 Courtesy de l’artiste et Piktogram Varsovie © Blazej Pindor

À travers elles s’expriment les irréconciliables contradictions dont nous héritons : des mirages de la modernité aux cendres du continuum colonial. S’il n’existe qu’un présent trouble et lourd de complexités dans lequel nous naviguons, les pratiques d’ancestralité ou de généalogie nous enseignent comment nous construire des lignées affectives et intellectuelles à travers le temps et entrer en conversation avec les spectres qui nous entourent.

Avec les artistes : Assoukrou Aké, Nils Alix-Tabeling, Vir Andres Hera, Chiara Fumai, Coco Fusco, Hamedine Kane, Belinda Kazeem-Kamiński, Élise Legal, Joshua Leon, Anne Le Troter, Anouk Maugein et Lorraine de Sagazan, Jota Mombaça, Publik Universal Frxnd, Samir Ramdani et Euridice Zaituna Kala.

Imogene Ploum, le 9/06/2025
Collectif - Tactical Specters -> 13/07/20285
La Ferme du Buisson - Allée de la Ferme Noisiel 77186 Marne-la-Vallée

Chiara Fumai, I Did Not Say or Mean « Warning », 2013, courtesy Chiara Fumai Archive, vue de l’exposition Tactical Specters, Ferme du Buisson, 2025 © Photo Émile Ouroumov

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