15.06.2025 à 12:13
L'Autre Quotidien
Le Moulin Blanchard
Tout un programme regroupant expositions, projections, lectures, concerts, ateliers, résidences d’artistes, en lien avec les territoires et l’action culturelle rend compte de cette Liberté d’action de l’association. La programmation de cette saison retrouve tout un esprit Beat, axé sur les liens privilégiés que le territoire a tissé historiquement avec la Beat Generation.
La Beat Generation est à l’origine des changements dans la façon d’appréhender le quotidien et les libertés. Son mode de vie a ébranlé les sociétés modernes et inspire les mouvements de mai 68, l’opposition à la guerre du Vietnam ou les contestataires de Berkeley et de Woodstock contribuent à la naissance de cette culture Beat qui régénère, en tant que contre-culture, le mythe américain. Sur la route est une ode aux grands espaces américains, à l’épopée vers l’Ouest, à la découverte de monde nouveaux, alliant créativité débordante et fascination pour les milieux underground et tout l’art qui s’y crée (littérature, jazz, musique, cinéma, etc.), la Beat Generation témoigne également d’un attachement profond aux grands espaces, à la nature et aux spiritualités chamaniques dans lesquelles l’homme est partie intégrante du Cosmos.
-> Ce reportage est en deux parties, la première cette semaine est consacrée à ce qui passe sur place. LA seconde, la semaine prochaine aux expositions hors les murs.
DANS LES MURS,
Sur le lieu même de la ferme qui comporte plusieurs bâtiments, Frédérique Founès évoque ici un lien tout particulier à la naissance de la culture Beat, dans un retour au territoire à travers Pascal Barrier, percheron bien connu et photographe, témoin de la présence de Piero Heliczer, poète et co-fondateur du Velvet Underground et de Friedensreich Hundertwasser.
Piero Heliczer passera les dernières années de sa vie à Préaux du Perche.
https://bainsdouches.net/produit/piero-heliczer-poems-documents-poemes-documents/
Piero Heliczer poems & documents
Piero Heliczer / Pascal Barrier
Photographe au regard affuté bien connu des Percherons, Pascal Barrier a été le témoin de la présence de Piero Heliczer, poète et co-fondateur du Velvet Underground, et de Friedensreich Hundertwasser, à Perche en Nocé. Pris dans les années 80, ses magnifiques clichés en noir et blanc témoignent de la force d’une personnalité hors normes.
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Captation Allen Ginsberg à Paris par François Pain
On retrouve ici avec bonheur des projections où Allen Ginsberg, en shaman, psalmodie jusqu’au cri « who says BOMB » en relation avec le Vietnam, et décline tout un poème autour.
Beat Hotel d’Harold Chapman
Une passerelle objective et territoriale est tendue entre ce mouvement artistique historique et le Perche, la France, Paris aussi plus particulièrement évoqué par la projection du film Beat Hotel d’Harold Chapman, qui chronique dans les années 50/60 la vie des habitants du Beat Hotel à Paris, avec les figures de William S. Burroughs, Gregory Corso, Allen Ginsberg, Piero Heliczer. Harold Chapman s’installe à Paris en 1956 et habite au 9 rue Gît-le-Coeur, un hôtel du quartier latin. Son oeuvre est un indispensable témoignage de ce que fut la Beat Generation.
Suivent ensuite les projections des captations réalisées par François Pain des lectures d’Allen Ginsberg à Paris, faisant partie des collections du CNAP (Centre National des Arts plastiques)
Captation Ginsberg à Paris par François Pain ©PascalTherme 2025
20 000 VICTIMES par an de la coke et du speed…
Thierry Alonso, dit Gravleur
« Le peintre Thierry Alonso, dit Gravleur, artiste du territoire, a été retrouvé décédé en 2021 dans sa chambre à 55 ans. Il laisse une oeuvre magistrale, douloureuse et dérangeante. Un jour de 1999, un passant se fige devant la vitrine de la Connoisseur’s Gallery, où l’un de ses grands formats est exposé. Il entre et achète six de ses oeuvres. C’est le début d’une surprenante amitié entre Johnny Depp et Thierry Alonso, auquel l’acteur consacrera, à Los Angeles, en 2006, une exposition, et un film réalisé par Richard Carroll. Kevin Bacon collectionne aussi ses oeuvres, et l’écrivain Nick Toshes devient l’un de ses plus fidèles soutiens. Ses portraits en grand format, entre autres de Basquiat ou de Burroughs qu’il n’a jamais rencontrés, impressionnent par leur puissance. » DP
Frédérique Founès rend hommage à cet artiste peintre du territoire, dans une étrange et singulière exposition autour de ses portraits et de son amitié avec Johnny Depp. L’exposition inclut une toile de l’acteur faisant dialogue avec ceux de Gravleur, dont entre autres des portraits de Basquiat et de Burroughs. Exposition Gravleur, portraits, dont en bleu la peinture de Johnny Depp.
exposition Graveleur, Photos ©PascalTherme2025
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Le voyage mexicain de Bernard Plossu.
Suivent ensuite deux expositions qui rappellent tout le climat psychologique de ces années et l’aventure qu’elles représentaient, de ces évènements qui appellent la photographie, le film, déjà Voyages, aux multiples sens, dont le très fameux voyage mexicain de Bernard Plossu, marqueur d’une rupture stylistique avec tout un conformisme et surtout d’une nouvelle façon de voir et de photographier.
» Dans la vieille Packard 50, on file vers Guanajuato, dans l’infini de l’espace, des routes, dormant n’importe où autour d’un feu sous les étoiles, réveillés par les paysans, déjeunant dans les marchés ou les cantinas, dansant, chantant partout, bavardant avec des vieillards aux chapeaux de paille esquintés par le temps… ». On peut rapprocher le Voyage Mexicain de Bernard Plossu dans la sublime simplicité de ses images à un film totalement intime et majeur, celui de cet œil si tendrement humain, si présent à la lumière, façonné par l’instant, la scène et l’action qui s’y passe, arrêté à un point qui ressemble beaucoup à cet instant décisif de Cartier Bresson. Ce livre évoque tout un cinéma, celui de Cassavetes et d’Antonioni où voyage le romanesque des personnages et des situations rapportée au réel dans un témoignage construit au fil de l’eau, presqu’en rêvant.
Bernard Plossu a pratiqué la cinémathèque de Chaillot de 1961 à 1965, s’est s’imprégné largement des images de Dreyer, Bergman, Bresson, Bunuel, Eisenstein, Cassavetes, Louis Malle, Godard, Chabrol, Resnais,… Il ne cache aucunement ce qui était alors l’envie de toute une jeunesse partie prenante de ce renouveau dans la société et dans la vie, avant 68, il écrit dans 36 vues; « Toutes ces images ont abouti au Voyage Mexicain, livre de photos d’un jeunot, qui rêvait de devenir cinéaste …. ce qui m’intéressait, c’était que mes photos expriment la vie, l’errance, l herbe, la beauté des Mexicaines et des Américaines. »
Le voyage mexicain, 1965-66 © Bernard Plossu
Autant dire que Plossu, 20 ans à peine en 1965, comptait bien s’exprimer librement, dans ce contexte en inventant une approche beaucoup plus libre formellement ( comme des poèmes silencieux) et narratologiquement parlant, en faisant se rencontrer des corps et des visages, des situations assez romanesques pour devenir immédiatement perceptibles dans cette simplicité apparente des cadres, dans cet instant qui fait photographie puisque tout est dit en une fraction de seconde de chaque situation vivante, la réparation de la roue au bord de la route, sous le soleil exactement, (personne n’a jamais dévoilé la complicité de Plossu et de Gainsbourg) Sur la ROUTE, avec ce couple enlacé et aimant, dans le contre jour très californien de cette lumière du Chiapas…. le rêve se forme, défile la photographie le fixe, le retient, l’établit dans son reflet, dans les pages du livre à venir, opérations réussies…., comme les écrivains donnent à voir en quelques lignes une situation avec personnages, en vous plaçant au centre du récit, en vous impliquant dans l’image.
Plossu n’en reviendra pas de cette période complètement ouverte et totalement libre, il écrit dans 36 vues éditions poetry Wanted, « On est en 1966. On a tous de 20 à 24 ans. Bill conduit la vieille guimbarde (clunker en anglais)… On file au Nord de Mexico, on va plutôt au hasard….on perd vite toute notion du temps. L’herbe est très légère et douce à souhait.Roger, le new-yorkais, toujours défoncé, joue du ukulélé; Juanle poète porto-ricain du violon, Laurie et Karina dansent dans la rue; elles sont tellement heureuses! et moi, je fais des photos; le récit de notre vie, tous ensemble « sur la route ». Pas besoin de lire les livres de Kerouac…Est-on jamais rentré? Ça a continué avec Crazy George, Bob, Mary, sur les routes vers Acapulco, Oaxaca, Puerto Angel avec le maître Guillermo Olguin. une liberté insensée! … on vivait, on roulait dans des paysages gigantesques, qui n’ont jamais quitté nos mémoires. »
Il écrira également ces quelques lignes relatant son départ et son arrivée à Mexico: « J’ai emporté avec moi mon appareil photo et une petite camera d’amateur 8 mm et je suis bien décidé à continuer ce que j’avais commencé intensément, c’est à dire regarder, comprendre, filmer et surtout photographier;….dès mon arrivée, je tombe amoureux fou de ce pays et d’un changement de vie qui me libère totalement. Je photographie la ville de Mexico sans arrêt et commence à voyager avant même les grands voyages de l’époque Beat… » Ici Kerouac, Corso, Bukowski, Chandler, Brautigan, Ginsberg semblent en accords avec Plossu, sans que le jeune homme de 20 ans ait cherché quoique ce soit…. Il se contente de vivre le rêve magique de l’époque, de vivre cette liberté incroyable du voyage et de toutes ses rencontres, ce BIG TRIP qui est au centre de la vie de toute une jeunesse, dans cette contre-culture qui embrasse tous les arts et qui s’enrage à être définitivement vivante et audacieuse.
Il y a une continuité quasi documentaire du voyage mexicain qui renvoie à ces années là et à la façon dont Plossu l’évoque dans différents livres. De plus le sujet: devient photographier la vie, dans ce qu’elle touche à l’aventure, au romanesque du quotidien et à la naturalité des expériences traversées, de franchir les limites, de vivre selon son bon ou mauvais génie; il s’agit alors d équilibres ou de leurs ruptures, de ces passages secrets entre différents référents, vie, mémoire visuelle, photographies relevant également de l’archer….quand quelque chose, objet, paysage, corps, situations, être, traverse le regard, touche l’âme du photographe, il s’en empare immédiatement et le transcris dans une photographie poético-méditative, parfois assez métaphysique, traduisant tout un travail, toute une énergie sur cet éternel présent du ça a été, dans une résolution qui touche à l’échelle de la vie du photographe, toujours soucieux de vivre et d’aller de l’avant, soucieux d »échapper à la mélancolie, aux pièges du temps qui se referme; c’est sans doute pourquoi sa photographie reste ouverte à cet infini, à ces questions métaphysiques qui habitent la part sensible de chacun et qui nous font « humain, trop humain » , qui, surtout, marquent le temps et l’espace. Soixante ans après, elles ont cette fraicheur de la jeunesse ivre et folle de libertés, d’aventures, d’expériences de tous ordres, qui embrasse le monde sans se soucier plus avant de ce que seront les années à venir, vivant à mille pour cent le temps présent. Après, on verra bien!
Bernard Plossu, le voyage mexicain, 1966 ©Bernard Plossu.
Le Road Trip de Marion Scemama et de David Wojnarowicz.
« Dans les années 1980-1990, la photo-journaliste et réalisatrice Marion Scemama s’est immergée dans l’underground de la scène artistique new yorkaise dans ses ramifications les plus radicales. En 2019, dans le sillage de la première rétrospective en Europe de David Wojnarowicz au Mudam, Marion Scemama lui consacre avec François Pain le film/ essai Self-Portrait in 23 Rounds : A Chapter in David Wojnarowicz’s Life (1989-1991). » DP
Il y a une vraie continuité heureuse de style et d’espaces narratifs, de mythologies, de voyages, ce big trip pris à l’épaisseur du jeu entre la vie et la mort, de cette ambition d’avoir été libre dans ses amours et sa sexualité, à un moment de devoir en assumer la triste chute, mais toujours en Femme et en Homme libre. C’est ce dernier voyage que raconte en images Marion Scemama quelques temps avant la disparition de David Wojnarowicz, atteint du Sida. C’est ce récit visuel qui nous est présenté dans toute la force de ses convictions, dans tout l’envol de ces passions électives où figure cet oiseau libre de Braque, ce cœur battant, qui éclaire ces années là rétrospectivement, et en creux, pose la question de son actualité, qu’est devenue cette Liberté Grande, aujourd’hui?
Face à tous ceux qui n’ont pas eu la chance de vivre ces années, cette Beat Generation a la consistance de ses mythes, ses productions incandescentes font partie de l’histoire de l’Art, dorénavant et rappelle au monde toutes les expériences et la productivité de cette génération d’artistes qui a porté haut l’expérience de soi, les valeurs libertaires, œuvrant aux différentes libérations poétiques, sexuelles, transes libératoires qui ont fait un bien considérable à l’époque et dans leurs lègues. Dans cette transmission, le souffle de l’expérience amoureuse, poétique, critique, fait rupture avec le vieux monde, dans le schème de cette nouvelle tendance à vivre au dessus des lois de la société bourgeoise rétrograde, en s’accordant, entre autres le feu inspirant des passions, de toutes les passions, la ré-appropriation d’un lien quasi mystique à la Nature, au Cosmos, expériences du monde s’inscrivant dans la recherche d’un centre, d’une force centrifuge capable de relire tous les conditionnements dans leur psychologie et de les remplacer par l’expérience des limites; il était question de vivre au plus haut, de tutoyer l’infini, telle était l’ambition générale …quitte à se mettre souvent en danger!
A slow Boat in China de Marion Scemama, grand format.
Avec Slow Boat To China de Marion Scemama, défile le film de ce voyage de New Mexico à San Francisco comme une série d’instants choisis, de photographies, en couleur et en noir et blanc, prélevés et faisant la narration visuelle du dernier voyage de David Wojnarowicz, artiste majeur de la scène alternative new-yorkaise; atteint du Sida, ce big trip, sera son dernier voyage, mais la proposition reste, au delà de sa conclusion, plutôt une proposition vivante, une indéfectible attention à aimer la vie dans cette liberté d’être, dans cette recherche créatrice du verbe. Le voyage s’organise de la Vallée de la Mort jusqu’en Californie, passant par Zabriskie Point où résonne encore l’étrange film d’ Antonioni, réalisé en 1969, avec la musique des Floyds.
Ce voyage photographique est devenu un livre assez intime et en même temps très ouvert à ce que furent les relations des acteurs de la Beat Generation entre eux, fidèles à ce qu’ils furent dans cette liberté d’être assez transcendentale pour constituer ces êtres forts et fragiles assumant totalement leurs contradictions. No regret! et même si ces travaux se situent en 1990, ils sont toujours partie prenante de cette façon de vivre et de faire, à quelques dizaines années de distance, parce que l’esprit ne s’étant pas encore épuisé, il est encore l’esprit fondamental de l’époque, ici, avec ses cadrages larges, ses mises en abimes, sa narration simple et efficace, ses écrits sur l’image. Ce sont d’ inestimables documents, entre autres, mettant en scène des relations entre trois personnages dont celle de Marion et de François Pain, évoqué à travers la video de l’exposition un récit en forme de poème ou d’Indian Song, la descente en canot d’une rivière, puis une danse panique, rituel oublié, quasi sexuel, d’une transe chamanique.
Cette danse évoque la puissance de la charge sexualisée des corps, la puissance tellurique des pulsions sauvages, l’appartenance à cet Éros cosmique, aux forces panthéistiques de la Nature, le retour à un primitivisme d’avant la psychologie, d’avant la Kulture, c’est une sorte d’échappée d’un temps d’avant, quand les deux protagonistes en reviennent aux origines du monde, on assiste à une réjouissante danse nuptiale, précédant l’union sexuelle, faisant penser à ce retour à l’être prmier à Quatre jambes et quatre bras, décrit par Platon, comme l’être originaire d’avant la séparation. Il semble ici retrouvé; et c’est bien toute l’ampleur de ces expériences, happenings, experiments qui étaient devenus autant d’intentions de création de cette vie quotidienne dédiée aussi aux sens et à l’amour le plus largement possible, rappelant ce slogan de 68 écrit sur les murs de la Sorbonne « Jouissez sans entraves »… furieusement l’amour devenait une insurrection contre l’ordre établi, un fait politique – faites l’amour et pas la guerre slogan contre la guerre au Viêt Nam – (Faites l’amour, pas la guerre est à l’origine un slogan antiguerre issu de la contre-culture des années 1960 aux États-Unis (Make Love, Not War). Utilisé principalement par les opposants à la guerre du Viêt Nam, ) le corps étant devenu politique, arraisonné par les névroses et les addictions, il devenait au moment de l’amour, un lieu de jouissances dans le surgissement de l’orgasme, une apocalypse régénérescente.
Slow Boat to China a été publié par IS-land Éditions. les films réalisés par Marion Scemama autour de leur collaboration sont parties intégrantes des collections du Whitney Museum of America Art et du CNAP, du Museo Reina Sofia de Madrid.
Marion Scemama, évoque dans ce document sonore sa relation avec François Pain et David Wojnarowicz, auteur entre autre de la série Rimbaud à New York , et de leur dernier voyage en 1991 de New Mexico à San Francisco où il devait faire une lecture de ses poèmes.
Slow Boat to China, Marion Scemama, exposition Moulin Blanchard
La direction artistique du festival est assurée par Frédérique Founès, directrice de l’agence Signatures qui est en charge de la programmation de cette sixième saison, secondé par Patrick Bard, photographe, écrivain et reporter, président de l’association Moulin Blanchard.
Pascal Therme, le 16/06/2025 - première partie du reportage, la seconde la semaine prochaine
Festival New Beat(nick) perché au Moulin Blanchard , 1/2
13.06.2025 à 14:48
L'Autre Quotidien
Vanessa German ne coche aucune case standard. Née dans l’Ohio, installée en Pennsylvanie, elle se forme en dehors du monde académique, absorbant les influences de la poésie slam, de l’art populaire afro-américain, des traditions vaudou, du hip-hop, de la spiritualité bouddhiste et des esthétiques queer.
Ce syncrétisme culturel irrigue toutes ses œuvres. Chaque sculpture, chaque installation est une sorte de corps-rituel, un « corps-monde » qui donne à voir les blessures et les beautés de la vie afro-américaine. Ses œuvres ne sont pas faites pour être regardées poliment dans un musée : elles sont faites pour être ressenties, presque touchées, comme des fétiches protecteurs.
Son matériau de prédilection ? Le monde. Littéralement. Vanessa German collecte tout ce qu’elle trouve : morceaux de bois, miroirs cassés, perles, dentelles, cristaux, poupées, photos anciennes, armes jouets, bustes de plâtre, étiquettes de bouteille. Sous ses mains, ces objets deviennent porteurs d’histoires et de symboles puissants.
C’est une pratique qu’elle qualifie d’ alchimie sociale ; transformation non seulement esthétique mais politique : elle réenchante des objets jetés pour leur offrir une nouvelle dignité, un nouveau pouvoir. Chaque œuvre est une rébellion douce mais ferme contre l’effacement, la violence, le racisme, la pauvreté et l’invisibilisation.
Vanessa German ne se contente pas d’exposer dans des galeries chic. Elle est aussi la fondatrice du Love Front Porch, un projet communautaire d’art et de guérison dans son quartier de Homewood, à Pittsburgh. Là, elle crée avec les enfants, les mères, les personnes marginalisées. Elle y construit des sanctuaires où l’art devient soin, et la poésie une forme d’activisme.
Elle le dit elle-même :
Mon travail est une offrande. Je crée pour ceux qui ont besoin de voir, de toucher, de croire que la beauté peut naître même dans les ruines.
Emile Tapedur, le 16/06/2025
L’art chamanique de Vanessa German
13.06.2025 à 14:37
L'Autre Quotidien
Madame la ministre des Campings
Il y a une solution toute trouvée pour dépister les 40 milliards d’économies que le gouvernement cherche désespérément : se débarrasser du budget du ministère de l’éducation nationale, le premier budget de l’État qui en 2024 a coûté dans le détail 27,4 milliards d’euros pour l’enseignement public de premier degré et 39,4 milliards pour le second degré, soit 66,8 milliards d’euros. Soustraction faite, cela laisse même de la marge, sans toucher évidemment à ce que perçoit l’enseignement privé (8,9 milliards d’euros).
Le fait est que les sociétés libérales, puis illibérales, n’ont de cesse de couper dans le budget de l’enseignement public, ce fut d’ailleurs l’une des premières décisions de Nicolas Sarkozy président. Comment lui en vouloir, c’est un ministre socialiste, le climatosceptique Claude Allègre, qui avant lui voulait déjà « dégraisser le mammouth ». Depuis, les gouvernements successifs ont si bien réussi que le mammouth est à l’os et en voie de disparition. C’est clairement ce qui se passe dans tous les pays sous la coupe de dictateurs avérés ou en devenir. C’est sûr qu’une éducation publique laïque pour des citoyens capables d’exercer leur libre arbitre fiche les jetons à tous les fous de Dieu, de Trump là-bas à Retailleau ici, qui préfèrent gouverner des veaux, pour citer De Gaulle, du moment qu’ils gouvernent. C’est d’ailleurs la seule façon pour eux d’accéder au pouvoir ! Pourtant, l’extrême-droite et les fachos, on a déjà essayé : cela se finit toujours dans les ruines.
Voyons, pour en être sûr, ce qui se passe avec le projet avorté du Campus Lesseps du Rectorat de Versailles, ville qui accueille la 3ème édition de la Biennale d’architecture et de paysage (BAP) du 7 mai au 13 juillet 2025.
De quoi s’agit-il. À Versailles, le projet « Campus Lesseps » prévoyait, sur le site qui héberge actuellement uniquement les services du rectorat, le regroupement des services du rectorat, de la Direction des services départementaux de l’éducation nationale (DSDEN), du CROUS et la Cour administrative d’appel de Versailles. Un projet plein de bonnes intentions puisqu’il devait permettre « de renforcer les synergies au sein de l’académie, d’adapter les surfaces de bureau aux nouvelles modalités de travail (télétravail) et d’accroître significativement la performance énergétique des bâtiments ».
Le budget prévisionnel de l’opération, encore coté dans l’annexe au projet de loi de finances pour 2025, s’élevait à 133,60 M€ toutes dépenses confondues (TDC), y compris les frais de mobiliers et de déménagement. Le même document indique par ailleurs une provision à hauteur de 16,60 M€ devant permettre « notamment le paiement des études préalables telles que les études de sols ».
À savoir. L’académie de Versailles compte 9 % des effectifs scolaires de France et plus de 100 000 agents, avec des services répartis sur trois sites à Versailles. La cour d’appel quant à elle compte six chambres et l’intégralité de ses services devait occuper un bâtiment neuf du nouvel ensemble. Sur un site classé, le projet prévoyait d’optimiser l’occupation de la parcelle avec de nouvelles circulations et de construire à la place des parkings existants deux autres bâtiments en plus de la cour d’appel et de quatre bâtiments réhabilités pour une surface totale de 17 500 m² SDP.
Un projet raisonnable d’évidence puisque validé le 8 novembre 2023 par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI) qui dépend de Matignon, Élizabeth Borne alors Première ministre. Projet pourtant annulé au printemps 2025 par Borne Élizabeth, ministre de l’Éducation nationale. Avec le dérèglement climatique, ce n’est plus le vent qui tourne mais les girouettes !
Aucun communiqué de presse pour annoncer la nouvelle de cet abandon en rase campagne. Comme aucune information n’avait filtré quand fut désignée en décembre 2024 l’agence lauréate du concours. Une discrétion de violette alors même que ce rectorat nouveau devait être un « démonstrateur », associant bien-être des agents et efficacité économique, fonctionnelle et, bien sûr, énergétique puisque nul ne construit en 2025 un bâtiment non durable. De quoi en finir avec la vétusté des locaux actuels obsolètes, énergivores et inconfortables et mettre fin aux dysfonctionnements de services éclatés aux quatre coins de la ville. Mais bon, pour l’innovation et le confort, les agents devront donc attendre.
Je ne suis pas comptable des deniers de la République mais, au prétexte des économies que le gouvernement ne sait pas où trouver – taxer les super super riches n’a en effet aucun sens puisqu’ils envoient leurs rejetons dans des écoles privées – au-delà de l’amertume des acteurs du projet et de ceux-là mêmes qui devaient bénéficier de nouveaux locaux tip top, la question se pose : quel est le montant de la gabegie pour en arriver là, c’est-à-dire, après avoir fait vingt fois le tour de la terre, à l’exact point de départ ? Parce que la facture est déjà douloureuse…
Pour commencer, c’est bien simple, une fiche de l’académie de Versailles, parvenue à Chroniques, décrit pourtant « une situation d’urgence immobilière », tout report ayant des « conséquences importantes » en termes de surcoût (location, inflation des prix de la construction). Cette fiche par ailleurs détaille tous les bienfaits de ce nouveau démonstrateur. En premier lieu, elle indique que cinq des sept sites amenés à se regrouper étant loués à des bailleurs privés, le projet « engendrera » une économie annuelle de loyers et charges locatives de près de 5 M€. Soit sur 20 ans (on a le droit d’espérer que ce nouveau campus ne sera pas obsolète en 20 ans) la somme de 100 millions. L’académie anticipe également une économie annuelle de près de 300 000 € sur les charges de fonctionnement et les dépenses énergétiques.
La fiche précise donc, surtout, que l’investissement financier sera rentabilisé en une « vingtaine d’années », ce d’autant qu’une « étude socio-économique réalisée aux canons du SGPI met en avant une valeur ajoutée nette de 50 M€ du projet ». Elle souligne enfin le coût du report du projet, l’évaluant à 6 M€ par an.
Le tout sans compter le salaire pendant dix ans des fonctionnaires dédiés à ce projet passé par pertes et profits, pertes surtout.
Il est permis de penser que François de Mazières, maire de Versailles et ancien président de la Cité de l’architecture, qui n’a pas répondu à notre sollicitation, n’aurait pas été malheureux d’éviter de gros travaux dans sa ville durant une année électorale, les municipales prévues en 2026. Mais le même était membre du jury, il dut alors trouver du mérite au projet et doit être aujourd’hui malheureux qu’il soit annulé purement et simplement !
Il n’est pas le seul. Se mettre à la place des lauréats architectes ayant investi deux ans de travail, au lieu de huit mois, pour une indemnité sans commune mesure avec le coût réel pour l’agence. Sans parler du coût pour l’entreprise – c’était évidemment une conception-réalisation : entre le concours et les B.E., compter au bas mot déjà 5 M€. L’entreprise n’a pas répondu à notre sollicitation aussi les exégètes ne nous en voudront pas de l’approximation.
Contacté, Nicolas Aussenac, directeur de la transformation, responsable du « Lab d’innovation de l’académie » et, surtout, directeur du projet Campus Lesseps au sein du Rectorat de Versailles, cité dans le rapport du SGPI de novembre 2023, n’a pu, à juste titre certainement, que s’en remettre à son devoir de réserve. Dans un souffle, il a juste laissé échapper : « c’est une déception pressante… Un projet ambitieux mais les difficultés budgétaires du moment… ». Il n’a pas fini sa phrase. Ce n’est pas grave, nul ne lui en voudra, au contraire, on avait compris.
Bref, foin du bien-être des agents et de la rationalité économique, ce sera (et encore, peut-être…) au successeur d’Élizabeth Borne, dans vingt ans, de gérer ce dossier – la vétusté des bâtiments loués n’aura qu’empiré – et de se débrouiller avec un projet encore plus onéreux et plus compliqué. Pour autant, « l’intérêt public » du jour est sans doute préservé et sauvé le budget de l’État.
Cela écrit, plus inquiétant que jamais est le fait qu’il ne peut en l’occurrence s’agir ici d’un cas isolé. Celui-ci n’est donc que le dernier signe en date d’une totale déstructuration institutionnelle à l’échelle du pays. Voilà en effet une excellente façon pour ce gouvernement visionnaire de faire des économies, c’est exactement la façon dont nous en sommes arrivés là.
Christophe Leray, le 16/06/2025
Gabegie à l’Education nationale