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Publié par l’association Alter-médias / Basta !

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09.12.2025 à 09:53

L'histoire de Heinz, ou pourquoi le ketchup est si sucré

Derrière le ketchup tel qu'on le connaît aujourd'hui, il y a un homme d'affaires de Pittsburgh, fils d'immigrés allemands, pionnier de l'industrie agroalimentaire : Henry Heinz. Extrait du livre Multinationales. Une histoire du monde contemporain.
En plus d'être le berceau du taylorisme et de la sidérurgie, la ville de Pittsburgh est aussi celui de Henry J. Heinz, qui, à travers l'entreprise qui porte son nom, joue un rôle tout aussi important dans la naissance de l'industrie moderne. (…)

- Multinationales. Une histoire du monde contemporain / , , , ,
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Derrière le ketchup tel qu'on le connaît aujourd'hui, il y a un homme d'affaires de Pittsburgh, fils d'immigrés allemands, pionnier de l'industrie agroalimentaire : Henry Heinz. Extrait du livre Multinationales. Une histoire du monde contemporain.

En plus d'être le berceau du taylorisme et de la sidérurgie, la ville de Pittsburgh est aussi celui de Henry J. Heinz, qui, à travers l'entreprise qui porte son nom, joue un rôle tout aussi important dans la naissance de l'industrie moderne.

Né le 11 octobre 1844, ce fils d'immigrés allemands puritains fonde une première entreprise vendant des bouteilles de sauce au raifort, un radis piquant cultivé dans la ferme familiale. On dit que ce sont les traditions familiales rigoristes qui le sensibilisent aux principes d'hygiène qu'il appliquera ensuite à la commercialisation de denrées alimentaires à grande échelle.

Heinz contribue à fixer le goût du ketchup en y ajoutant une quantité importante de sucre, qui favorise sa conservation.

C'est avec son frère John et son cousin Frederick qu'il crée en 1876 la société F.&J. Heinz, rebaptisée H.J. Heinz Company en 1888, pour commercialiser du ketchup. Initialement appelée catsup, cette sauce est connue depuis au moins le XVIIe siècle en Grande-Bretagne puis aux États-Unis, dans des versions très différentes (certaines utilisent des champignons). L'inspiration initiale serait venue de marins britanniques ayant rapporté d'Asie une sauce de saumure proche du nuoc-mâm vietnamien. Heinz contribue à fixer le goût caractéristique du ketchup tel qu'on le connaît aujourd'hui, notamment en y ajoutant une quantité importante de sucre, qui favorise en outre sa conservation.

Pour que le ketchup Heinz devienne plus tard la sauce la plus consommée au monde, il aura fallu une série d'innovations industrielles, technologiques et commerciales pour la produire à grande échelle et sans problème de contamination bactérienne. Dès 1890, Heinz met en place dans son usine des techniques d'assemblage modernes, comme la soudure automatique de ses boîtes de conserve. Comme beaucoup de conserveries de l'époque, les usines Heinz emploient surtout des femmes, moins payées que les hommes à travail équivalent, ce qui permet au dirigeant de se réserver un taux de profit conséquent.

Sécurité alimentaire

Pour assurer la qualité de ses produits, Henry Heinz va jusqu'à s'immiscer dans l'hygiène personnelle de ses employés, en les incitant à prendre des douches et en payant une manucure hebdomadaire aux ouvrières qui manipulent les matières premières. Dans cette période d'exode urbain, les enjeux de sécurité alimentaire sont cruciaux. Les besoins de conservation des aliments explosent sans que les pratiques d'hygiène adaptées soient toujours mises en place. Les consommateurs peuvent mourir intoxiqués par les conservateurs dangereux présents dans certaines conserves, comme le formaldéhyde. D'où le recours au sucre. Pour faire face à la défiance des clients potentiels, le groupe Heinz a en outre l'idée de proposer un modèle de bouteille transparente, afin de rassurer sur le contenu. Ce sera l'une de ses marques de fabrique jusqu'à aujourd'hui.

Avec les soupes Campbell, les sauces Heinz sont les symboles de ce nouvel âge de l'industrie agroalimentaire.

En 1905, Heinz produit déjà 5 millions de bouteilles de ketchup. L'année suivante, un scandale sanitaire secoue toute l'industrie agroalimentaire. Dans son roman La Jungle, Upton Sinclair révèle les conditions sanitaires déplorables qui règnent dans les abattoirs de Chicago, et notamment l'usage de viande avariée pour fabriquer des saucisses ou pour des conserves. Le Congrès américain adopte alors la première loi de protection des consommateurs, le Pure Food and Drug Act, qui fixe des normes sanitaires plus strictes pour les produits alimentaires aux États-Unis et commence à réguler la vente et l'usage de drogues et de médicaments. Il met également en place une agence publique chargée de superviser les secteurs agroalimentaire et pharmaceutique, la Food and Drug Administration (FDA), qui ne cesse de grandir au cours du siècle.

Avec sa culture hygiéniste, Henry J. Heinz mène campagne en faveur de la nouvelle loi et en influence le contenu. Il accueille d'autant plus favorablement cette volonté de standardisation et de contrôle qu'elle lui permet de mettre un frein aux pratiques d'industriels concurrents moins scrupuleux en termes de production, d'étiquetage ou de traçabilité. Avec les soupes Campbell, les sauces Heinz sont les symboles de ce nouvel âge de l'industrie agroalimentaire.

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L'entreprise continue de croître au fil des années. Elle devient un acteur majeur de la filière étatsunienne puis mondiale de la tomate, issue de champs et d'usines où les conditions de travail sont souvent problématiques. La mécanisation progressive de la production permet de réduire constamment les coûts. Porté par un marketing ingénieux – comme la mise en avant du chiffre 57, totalement arbitraire mais censé suggérer la richesse des ingrédients de la sauce –, Heinz conquiert le monde à la faveur de la Seconde Guerre mondiale. À la Libération, les Français découvrent le ketchup parmi d'autres produits emblématiques venus d'outre-Atlantique.

Porté par un marketing ingénieux, Heinz conquiert le monde à la faveur de la Seconde Guerre mondiale.

Devenu un géant qui vend, outre des sauces, des soupes, des conserves de pâtes cuisinées et des baked beans, Heinz est racheté par le milliardaire Warren Buffet en 2013 puis fusionne avec le groupe de charcuterie et fromages Kraft Food Groups, pour former Kraft-Heinz en 2015, qui devient alors le cinquième groupe alimentaire mondial. La recherche par les consommateurs d'une nourriture moins transformée et moins sucrée et des difficultés économiques contraignent Kraft-Heinz à des restrictions budgétaires et à la fermeture d'usines. Pour mieux coller à son époque, l'entreprise commercialise aujourd'hui du ketchup bio ou une déclinaison de son produit phare... réduite en sucre.

Un extrait de Multinationales. Une histoire du monde contemporain, co-dirigé par Olivier Petitjean et Ivan du Roy, éditions La Découverte, 2025, 860 pages, 28 euros.

(c) La Découverte, tous droits réservés

04.12.2025 à 07:30

Derrière la Nuit du bien commun, l'ombre embarrassante de Stérin et toute une galaxie d'hommes d'affaires

Clément Le Foll

Alors que son édition parisienne devrait se tenir ce jeudi 4 décembre, la Nuit du Bien commun tente de s'éloigner de son sulfureux fondateur Pierre-Édouard Stérin. Chefs d'entreprises catholiques traditionnalistes, startuppers conservateurs, grands patrons philanthropes... Notre enquête montre que de nombreuses figures du monde des affaires, de Stanislas de Bentzmann à Denis Duverne, ont été associés dès le début aux activités caritatives du milliardaire d'extrême droite, dont la politique (…)

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Alors que son édition parisienne devrait se tenir ce jeudi 4 décembre, la Nuit du Bien commun tente de s'éloigner de son sulfureux fondateur Pierre-Édouard Stérin. Chefs d'entreprises catholiques traditionnalistes, startuppers conservateurs, grands patrons philanthropes... Notre enquête montre que de nombreuses figures du monde des affaires, de Stanislas de Bentzmann à Denis Duverne, ont été associés dès le début aux activités caritatives du milliardaire d'extrême droite, dont la politique n'a jamais été éloignée. Certains continuent parfois de graviter dans le même écosystème.

Ce 14 juin 2017, l'ambiance est studieuse dans les bureaux cossus des Jardins de Saint Dominique, un lieu de séminaire dans le VIIe arrondissement parisien, mis gracieusement à disposition par l'entreprise Chateauform. Les photos, encore accessibles sur les réseaux sociaux de la Nuit du Bien Commun, montrent une table encombrée de bouilloires, de bouteilles d'eau et de fascicules. Assis autour de celle-ci, l'homme d'affaires Pierre-Édouard Stérin et le patron de la société Obole Stanislas Billot de Lochner écoutent attentivement les présentations. Vingt-six associations participent à ce grand oral. Un représentant d'Espérance banlieues, réseau d'établissements privés hors contrat où les élèves portent l'uniforme, expose ses besoins de financement pour une de ses écoles. L'objectif : convaincre le jury réuni ce jour-là, afin de participer à la toute première édition de la Nuit du bien commun, qui se tiendra quelques mois plus tard, en novembre, au théâtre Mogador à Paris. Cet événement caritatif conçu par Stérin et Billot de Lochner a pour principe de mettre en relation des associations et des mécènes au cours d'une soirée festive.

Charles Beigbeder

Pour l'épauler dans cette première sélection, Pierre-Édouard Stérin a réuni autour de la table ses premiers soutiens. Il y a notamment Charles Beigbeder, l'entrepreneur derrière Poweo et AgriGeneration, très actif dans la French Tech, ancien membre de l'UMP qui est aussi un fervent défenseur de la Manif pour tous et de l'union des droites et un soutien financier d'Atlantico, de L'incorrect ou encore de l'école de science politique créée par Marion Maréchal. Également présent ce jour là, Stanislas de Bentzmann, patron de Devoteam, une importante société de conseil en numérique qui compte plus de 4 300 collaborateurs. Il a été, comme Charles Beigbeder quelques années auparavant, le président de CroissancePlus, un lobby de patrons de PME et d'entreprises de taille intermédiaire. C'est lors d'un événement de cette association professionnelle qu'il confie avoir rencontré Stérin.

Benoît Dumoulin, le directeur de cabinet de la société Audacia de Beigbeder, Antoine Desjars, fondateur du cabinet de conseil Ares&Co, et Hugues de Lastic Saint Jal de la société Eurydice, prestataire technique audiovisuel de la première Nuit du bien commun, complètent le panel. Est également assise autour de la table Caroline de Malet, chef de service Débats au Figaro, partenaire officiel de l'événement, qui fera paraître dans le journal un élogieux article de compte-rendu. Elle y précise que les hommes d'affaires présents ce jour là ont, en plus d'aider à la sélection des candidats, « entièrement financé l'organisation de la soirée » au sein d'un groupe d'« une dizaine d'entrepreneurs soucieux du bien commun ».

Des « Nuits » de plus en plus chahutées

Huit ans après son édition inaugurale de 2017, la Nuit du bien commun s'enorgueillit d'avoir soutenu 560 projets et levé 28 millions d'euros. Une nouvelle édition parisienne se tient ce jeudi 4 décembre aux Folies Bergères, après d'autres soirées dans une quinzaine de villes françaises cette année. Mais l'événement a lieu dans un contexte beaucoup plus tendu. Depuis la révélation à l'été 2024 du « projet Périclès », par lequel Pierre-Édouard Stérin prévoit d'investir plusieurs dizaines de millions d'euros pour la victoire électorale de l'extrême droite, les regards scrutateurs se sont tournés vers ses autres activités, y compris philanthropiques.

La Nuit du bien commun a servi à financer de nombreuses associations proches des réseaux catholiques réactionnaires, comme la Maison de Marthe et Marie, accusée de réaliser un lobbying anti-IVG (lire l'enquête du collectif Hors Cadre pour Le Poulpe), ou Excellence Ruralités, réseau d'établissements hors contrats qui prônent un enseignement traditionaliste (lire l'enquête du même collectif pour Basta !). Dans les villes où sont organisées des Nuits du bien commun, les manifestations sont désormais systématiquement organisées, conduisant parfois à des annulations, comme à Aix-en-Provence début octobre. Les opposants à Stérin se sont encore donnés rendez-vous ce 4 décembre à Paris, dans un appel relayé par de nombreux syndicats et associations.

Dans sa communication officielle, la Nuit du bien commun tente désormais de prendre ses distances avec Pierre-Édouard Stérin. Son départ du conseil d'administration de l'événement, ainsi que celui des deux autres co-fondateurs Stanislas Billot de Lochner et Thibaut Farrenq, a été annoncé en juin dernier. Les porte-paroles de la Nuit du bien commun réaffirment que l'événement se veut « fédérateur, aconfessionnel et a politique » et réfutent aujourd'hui tout lien avec les batailles culturelles et politiques de Pierre-Édouard Stérin. « Bien que la proximité des noms puisse prêter à confusion, il n'y a aucun lien de gouvernance entre ces deux fonds de dotation. Ce sont deux initiatives indépendantes l'une de l'autre », écrit-elle sur son site. « Nous acceptons pour autant que le Fonds du Bien Commun soutienne certaines de nos soirées et de nos associations lauréates », poursuit-elle cependant. De fait, plusieurs associations ont été financées conjointement par les deux structures, comme Esprit de patronages.

La Nuit du bien commun tente désormais de prendre ses distances avec Pierre-Édouard Stérin.

Les documents que nous avons pu rassembler pour cette enquête, y compris des archives depuis effacées des sites internet de la Nuit du bien commun et du fonds de dotation créé parallèlement par Pierre-Édouard Stérin pour l'accompagner, le Fonds du bien commun, démontrent de fait que leurs liens avec les réseaux de la droite culturelle et politique sont anciens, et qu'ils perdurent jusqu'à aujourd'hui. Et que l'homme d'affaires a réussi à embarquer dans sa croisade culturelle de nombreux hommes d'affaires, certains clairement identifiés à l'extrême droite de l'échiquier politique, d'autres plus discrets sur leurs engagements.

« La tech, les énergies fossiles et la finance alternative »

Gonzague de Blignières

Dès 2019, la Nuit du bien commun s'est structurée autour d'un conseil d'administration, composé des trois fondateurs Stérin, Billot de Lochner et Farrenq, avec trois autres hommes d'affaires influents. Xavier Caïtucoli, le premier, est l'ancien directeur général de Direct Énergie, racheté en 2018 par TotalEnergies. Après être resté un an au sein du groupe pétrogazier, il a investi dans plusieurs entreprises du secteur de l'énergie, dont Transition S.A. (fusionné entre-temps avec Arverne) et Verso Energy. (Coïncidence ou non, Arverne et Verso figurent parmi les entreprises rencontrées à Bruxelles par Marion Maréchal, dans le cadre de son mandat de députée européenne. Voir notre article.)

Le deuxième est Gonzague de Blignières, ancien patron de Barclays Private Equity et cofondateur de Raise. Imaginé avec Clara Gaymard, ex patronne de General Electric France et femme de l'ancien homme politique français Hervé Gaymard, cette société est l'un des grands noms du capital-investissement français. Elle a recruté l'ancien ministre de l'Agriculture Julien Denormandie comme « senior advisor » à son départ du gouvernement. Otium, le fonds d'investissement de Pierre-Édouard Stérin, a investi dans des fonds de Raise, comme nous l'avons souligné dans notre récente enquête (lire Face à Pierre-Édouard Stérin, le grand silence de la « French Tech »).

Stanislas de Bentzmann complète le trio. « J'ai aidé financièrement Pierre-Édouard Stérin dans ce projet que je trouvais ambitieux et novateur en France, résume le président de Devoteam qui explique avoir pris depuis ses distances avec la soirée. La Nuit du bien commun a pris son envol. Pierre-Édouard continue de me solliciter de temps en temps pour me demander si je suis intéressé à l'idée de soutenir une association. Nous conservons une relation courtoise. Mais je ne suis absolument pas associé à ses autres projets. »

Ils sont issus des mêmes milieux que Pierre-Édouard Stérin, catholiques et des starts-up.

Pour Théo Bourgeron, sociologue à l'université d'Édimbourg et co-auteur avec Marlène Benquet de La finance autoritaire (Raisons d'agir, 2021), les trois profils de l'ancien conseil d'administration de la Nuit du bien commun « sont intéressants, car ils sont issus des mêmes milieux que Pierre-Édouard Stérin, catholiques et des starts-up. On constate également qu'ils reflètent presque caricaturalement les principaux soutiens de l'extrême-droite en France : la tech, les énergies fossiles et la finance alternative. »

Stanislas de Bentzmann et Xavier Caïtucoli ne cachent par leur proximité avec l'extrême droite. En 2022, Stanislas de Bentzmann participait, selon La Lettre, à un dîner privé avec Éric Zemmour, Henri de Castries d'Axa et d'autres patrons. Il y a quelques mois, il a cosigné avec son frère une tribune dans Le Figaro intitulée « Notre économie n'a pas besoin de plus d'immigration ». Quant à Xavier Caïtucoli, ancien cadre du MNR de Bruno Mégret, une enquête de Mediapart a révélé qu'il fait partie des donateurs de la campagne présidentielle du même Éric Zemmour. En janvier 2022, il était présent au meeting de Villepinte du candidat Reconquête.

L'étrange archive du Fonds du bien commun

Une archive transmise à l'Observatoire des multinationales suggère que Stanislas de Bentzmann a pu être davantage impliqué qu'il ne le suggère dans les projets de Pierre-Édouard Stérin. En 2021, ce dernier crée en effet le Fonds du bien commun, un fonds de dotation théoriquement abondé par les profits de ses investissements regroupés sous la marque Otium (en réalité, comme nous l'avons révélé, le Fonds du bien commun est financé par Stérin sous la forme de prêts). Contrairement à la Nuit du bien commun, dont le principe est de présenter à des mécènes venus assister aux soirées des associations et des projets pré-sélectionnés par les organisateurs, le Fonds du bien commun donne à Stérin encore plus de liberté dans le choix de ses financements, exclusivement fléchés vers des associations en phase avec les valeurs qu'il défend, comme la Nuit des influenceurs chrétiens, la plateforme de prière en ligne Hozana ou le spectacle Murmures de la cité à Moulins mettant en scène une vision révisionniste et biaisée de l'histoire de France (lire l'enquête du collectif Hors cadre pour Basta ! ici et ).

Stanislas de Bentzmann

Le document que nous avons pu consulter – dont nous n'avons pas pu établir la date précise et qui est aujourd'hui introuvable sur le site – se présente comme une page du site du Fonds du bien commun, qui présente celui-ci non comme un fonds de dotation crée par un milliardaire, mais comme « un mouvement collectif de dizaines d'entrepreneurs, dirigeants d'associations et d'entreprises ». Suit une liste de membres avec leur portrait, au premier rang desquels Ghislain Lafont, l'ancien président du conseil de surveillance de Bayard, qualifié de « Président du Fonds du bien commun », Edward Whalley, le directeur général du Fonds du bien commun depuis 2024 et présenté sous ce titre, puis Stanislas de Bentzmann et d'autres dirigeants d'entreprises ou de fonds d'investissement comme Domino RH, Partech, ManoMano ou Payfit.

Selon l'archive, ces entrepreneurs « participent au financement et au soutien des équipes dans la définition et la mise en œuvre de la stratégie du fonds du bien commun ». Questionné à ce propos, Stanislas de Bentzmann réfute tout lien avec le Fonds du bien commun. Aucune des autres personnes citées n'a répondu à nos demandes de confirmation, de sorte que nous ne sommes pas en mesure de garantir l'authenticité du document. Des liens existent entre certains noms cités et la galaxie Stérin, qui est par exemple investisseur de Payfit, tandis que le fondateur de ManoMano a un temps travaillé pour Otium.

Les présidents d'Axa et de Sanofi au comité des mécènes de la Nuit du bien commun

Plusieurs hommes et femmes d'affaires cités parmi les membres du « mouvement collectif » que serait le Fonds bien commun apparaissent également dans les premiers soutiens de la Nuit du bien commun en 2017 ou dans la liste du « comité des mécènes » de la Nuit du bien commun – une liste elle aussi disparue du site de l'événement mais dont on retrouve bien, dans ce cas, la trace dans les archives du net. Ce comité est généralement composé d'une vingtaine de personnes, en très grande majorité des hommes. Certains d'entre eux sont historiquement liés à Pierre-Edouard Stérin comme Paul-François Croisille, président d'Excellence Ruralités, financé par le Fonds du bien commun, aujourd'hui trésorier du fonds de dotation de La Nuit du Bien Commun.

La liste en date de 2020 inclut par exemple le cofondateur de la marque alimentaire Michel & Augustin Michel de Rovira, le directeur général de Sud Radio Patrick Roger, ou le fondateur de Webhelp Olivier Duha (qui a lui aussi été un temps le président du lobby CroissancePlus). Mais aussi – de manière plus inattendue – les anciens présidents du conseil d'administration d'Axa (jusqu'en 2022) et de Sanofi (jusqu'en 2023), Denis Duverne et Serge Weinberg.

Je suis très surpris à la lecture de ce document. Je n'ai jamais fait partie d'un tel comité.

« Je suis très surpris à la lecture de ce document. Je n'ai jamais fait partie d'un tel comité, confie Serge Weinberg à l'Observatoire des multinationales. Je ne savais pas que je faisais partie des mécènes de la Nuit du bien commun en 2020, mais cela s'explique sans doute par le fait que Denis Duverne, alors président d'Axa et moi avions lancé en 2018 un mouvement destiné à favoriser la philanthropie « changer par le don ». Nous avions demandé à la société Obole, également organisatrice des soirées du bien commun, de nous aider à organiser quelques manifestations destinées à lever des fonds pour des associations sélectionnées par plusieurs acteurs de la philanthropie. » À croire que ni la Nuit du bien commun ni le Fonds du bien commun ne consultaient leurs partenaires et mécènes avant de les afficher sur leurs sites web.

Aujourd'hui, les mécènes historiques de l'événement font majoritairement profil bas. « Je ne vois pas l'intérêt de cette discussion », balaye l'un d'entre eux à notre demande d'interview. Le président-fondateur de la société Domino RH, Loïc Labouche, argumente lui son refus : « Ayant été déjà suffisamment perturbé sur ce sujet par une succession d'attaques infondées, je ne passerais pas une minute de plus pour en échanger. Grâce aux organisateurs nous versons des dons à des associations méritant un grand respect pour ce qu'elles apportent à des personnes en difficulté. Cela ne devrait pas faire l'objet de polémiques mais, au contraire, susciter d'autres belles initiatives en ce sens. »

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Obole, une société au cœur de la galaxie Stérin

Au centre des liens entre Pierre-Édouard Stérin et la Nuit du bien commun, il y a aussi la société chargée d'organiser l'événement depuis 2017 et citée par Serge Weinberg : Obole. Elle a été lancée par les cofondateurs de la Nuit, Stanislas Billot de Lochner et Thibaut Farrenq, pour favoriser la numérisation des dons fait à l'Église. Pierre-Édouard Stérin est présent au capital de l'entreprise d'Obole depuis 2020. Il a été rejoint en 2021 par la Financière de Rosario, fonds créé il y a une cinquantaine d'années par Jean-François Michaud, figure du groupuscule d'extrême-droite Groupe union défense (GUD). En 2024, le fonds a été repris par ses fils, proches des groupuscules de Génération identitaire ou des Natifs selon Le Nouvel Obs.

En plus d'organiser les Nuits, Obole conseille également dans des levées de fonds ou des évènements certaines associations lauréates.

En 2022, Obole a également lancé son start-up studio, baptisé Obole Lab. Au capital, on retrouve encore Pierre-Édouard Stérin, mais aussi Denis Duverne, Olivier Duha, le fonds d'investissement de Loïc Labouche le patron de Domino RH, et une société liée à Vincent Strauss, autre figure de la finance alternative cité dans le comité des mécènes de 2020. En plus d'organiser les Nuits, Obole conseille également dans des levées de fonds ou des évènements certaines associations lauréates de la Nuit du Bien Commun, comme Le Rocher, Lazare ou Espérance banlieues. Depuis 2022, Obole Lab est actionnaire majoritaire de Oh My Love, la première application de rencontre intra-conjugale, dont le but est de reconnecter un couple pour éviter des divorces. Une initiative auréolée en 2024 du prix des couples, une distinction soutenue par... le Fonds du bien commun de Pierre-Édouard Stérin.

Façade grand public

Car quoiqu'en disent aujourd'hui les acteurs concernés, la Nuit du bien commun et ses lauréats continuent de faire partie du même écosystème que Pierre-Édouard Stérin, son « Fonds du bien commun » dédié à la bataille culturelle et désormais son « projet Périclès », dédié à la bataille directement politique. Les « Nuits », façade la plus grand public et « fédératrice » de cet écosystème, ont pu permettre de recruter de nouveaux alliés et repérer des projets prometteurs. Parmi les associations sélectionnées en 2017 pour présenter leur projets sur la scène du Mogador lors de la première Nuit du bien commun, il n'y avait pas qu'Espérance banlieues. Il y avait aussi l'Institut libre de journalisme, nouvelle école pensée par Jean-Baptiste Giraud, cofondateur et directeur de la rédaction d'Economie matin. Il y avait aussi Alexandre Pesey, qui a exposé le Coquetier, un incubateur pour « stimuler les initiatives des jeunes français ». S'il a réussi à recueillir pour ce projet presque 45 000 euros sur les 600 000 récoltés ce soir-là, Alexandre Pesey semble surtout avoir été conquis par une l'autre présentation. Moins d'un an plus tard, il cofonde l'Institut Libre de Journalisme, pitché par Jean-Baptiste Giraud. Depuis, l'école forme des étudiants et étudiantes à grand coup de conférences des journalistes des médias Bolloré comme Charlotte d'Ornellas ou Geoffroy Lejeune.

Avant de se lancer dans cette aventure, Alexandre Pesey avait déjà créé le très droitier Institut de formation politique (IFP), version française du Leadership Institute aux États-Unis, destiné à « former de jeunes conservateurs en France, pour les destiner à la politique ou pour qu'ils diffusent leurs idées dans les médias [...] en étant ultralibéral économiquement et en prônant des valeurs conservatrices » (lire notre enquête). L'IFP est désormais financé par Pierre-Édouard Stérin via le projet Périclès. De la philanthropie à l'entreprise de changement de régme, il n'y a parfois qu'un pas.

28.11.2025 à 08:56

L'odeur de l'argent. La lettre du 27 novembre 2025

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Quand le mécénat profite surtout... aux mécènes

Reconstruire Notre-Dame, secourir les Restos du Coeur, aider les hôpitaux face à la crise Covid, empêcher des chefs d'oeuvre artistiques d'être rachetés par de riches étrangers… Ces dernières années, les dons des milliardaires et de leurs entreprises ont bénéficié d'une forte médiatisation.

Mais qu'y a-t-il vraiment derrière cet élan de générosité ? C'est ce que nous avons voulu savoir en nous plongeant dans la législation actuelle sur le mécénat et son application.

Aujourd'hui, avec le mécénat, le don d'une entreprise ou d'un milliardaire c'est :
60% pour la collectivité sous forme de réduction d'impôt
25% pour le « bénéficiaire » en contreparties (généralement secrètes)
15% pour le donateur, qui décide où l'argent va et peut s'en arroger tout le mérite.

En réalité, donc, le mécénat coûte relativement peu aux entreprises et leur rapporte beaucoup en termes de publicité et d'influence.

Mais pour l'État et les simples citoyens, il coûte de plus en plus cher : 1,7 milliard d'euros par an en 2024. Et il risque de nuire aux missions d'intérêt général qui devraient être celles des institutions culturelles et d'enseignement supérieur.

Lire Défiscalisation, contreparties, privatisation rampante... Le mécénat, un cadeau de l'État aux entreprises et aux milliardaires ? et Mécénat : derrière la manne d'argent, le silence est d'or

Exemple avec l'omniprésence du groupe LVMH au Louvre. Louis Vuitton dans les appartements d'été d'Anne d'Autriche, Dior dans la Cour carrée, Bulgari dans la salle des Cariatides, Kenzo dans le jardin des Tuileries...

Profitant de la législation très accommodante sur le mécénat, les marques du groupe sont autorisées à s'approprier les lieux et bénéficient de généreux privilèges. Mais sans résoudre le manque criant d'investissements dans la maintenance et la sécurité du musée, dont a témoigné le cambriolage retentissant du 19 octobre dernier.

Lire Comment LVMH a envahi le Louvre

Extrême crypto

L'année dernière, le secteur américain des cryptomonnaies s'est ouvertement et massivement rallié à Donald Trump et aux Républicains, en finançant leurs campagnes à hauteur de plusieurs millions de dollars. On en a parlé dans cet entretien avec Molly White.

La même dérive vers la droite extrême est à l'oeuvre en France, comme le montre le deuxième volet de notre série « Extrême Tech ».

Le libertarianisme traditionnel du secteur des cryptos prend des tournures de plus en plus radicales, avec des appels à l'exil et à la sécession, tout en se conjuguant à des discours sécuritaires, sexistes et racistes. Certaines figures de la crypto française ont franchi le pas en s'affichant aux côtés de personnalités politiques d'extrême droite, ou encore en participant au « Sommet des libertés » co-organisé par Vincent Bolloré et Pierre-Édouard Stérin en juin dernier, voire carrément en invitant des néo-nazis à s'exprimer dans leurs chaînes YouTube.

Nous l'avons vérifié dans un portrait parallèle de deux patrons emblématiques de la crypto française. Le premier, Pierre Noizat (Paymium), ne cache plus son engagement politique. Le second, Eric Larchevêque (Ledger) garde encore ses distances, tout en écumant les plateaux télévisés (et une émission de téléréalité sur M6 où il participe comme juré) pour dire tout le mal qu'il pense de la taxe Zucman, de l'impôt et de l'État... alors qu'il a lui-même profité d'aides publiques.

Lire Libertariens et plus si affinités ? Chez les patrons français de la crypto, la tentation de l'extrême droite

Mais ces figures ne sont que la face visible d'une tendance plus profonde. Sur YouTube, en podcast et sur les réseaux sociaux, de nombreuses chaînes pro-crypto recyclent les discours de l'extrême droite et donnent la parole à certaines de ses figures les plus violentes. Appliquant une stratégie éprouvée de l'alt-right américaine, elles ciblent un public d'hommes jeunes qu'elles nourrissent d'idées fascisantes sous couvert de parler de Bitcoin.

Lire « La France est un Socialistan » : sur YouTube, la sphère crypto française ouvre grand les portes à l'extrême droite

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En bref

L'extrême droite s'ouvre aux « lobbies bruxellois ». L'extrême droite est en position de force au Parlement européen depuis les élections de 2024. Si ses eurodéputés rencontrent encore relativement moins de représentants d'intérêts que la plupart des autres groupes, les informations disponibles sur leurs rendez-vous montrent un penchant pour les lobbies de l'agroindustrie et de l'énergie, ainsi que pour des think tanks trumpistes ou proches du pouvoir hongrois. Nous nous sommes penchés sur ces données dans cet article : Quels lobbies les eurodéputés d'extrême droite (et les autres) rencontrent-ils à Bruxelles ?.

TotalEnergies s'allie au magnat des hydrocarbures Daniel Křetínský. Le groupe pétrogazier français a annoncé son alliance avec le milliardaire tchèque, propriétaire du groupe EPH, très investi dans le gaz et le charbon (lire notre enquête Daniel Křetínský : une fortune basée sur les énergies fossiles). L'homme d'affaires deviendra à cette occasion l'un des premiers actionnaires de l'entreprise, et celle-ci met la main sur plusieurs actifs énergétiques en Italie, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Irlande et en France, notamment dans le gaz. L'acquisition ne concernerait pas la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle), dont l'avenir est incertain. Autre avantage : le nouvel actionnaire de TotalEnergies a des intérêts financiers directs ou indirects dans plusieurs médias (Marianne, Libération...) et possède des maisons d'édition, via le groupe Editis.

Mozambique : bras de fer financier et plainte contre TotalEnergies. Le groupe pétrogazier français a confirmé récemment qu'il allait relancer son projet gazier au large du Mozambique, qui avait été interrompu plusieurs années suite aux avancées d'une force insurgée islamiste dans le nord du pays. Mais il demande 4,5 milliards d'euros et une extension de sa concession au gouvernement de Maputo, en raison du retard pris. Ce dernier a rétorqué en annonçant un audit des surcoûts du projet. L'ONG European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) a déposé le 17 novembre dernier une plainte pénale contre TotalEnergies et contre X auprès du Parquet national antiterroriste français pour « complicité de crimes de guerre, de torture et de disparitions forcées ». Dans le contexte du conflit, des civils mozambicains avaient été séquestrés et torturés par des soldats surveillant le site gazier de TotalEnergies (lire notre article).

Catastrophe de Mariana au Brésil : condamnation historique de BHP. En novembre 2015, un barrage minier s'était effondré près de la ville de Mariana, au Brésil, entraînant 19 morts, des centaines de déplacés et une coulée de boue toxique dans toute la vallée du Rio Doce (lire Rupture d'un barrage au Brésil : BHP Billiton et Vale impliqués dans un désastre environnemental historique). La mine était gérée par Samarco, une filiale conjointe de deux groupes miniers, le britannique et australien BHP et le brésilien Vale. La Haute Cour de Londres a jugé BHP responsable de la catastrophe, pour avoir omis d'assurer la sécurité du barrage malgré les alertes. Ce jugement ouvre la voie à l'indemnisation de centaines de milliers de personnes affectées. Il fait suite à un accord de réparation de 28 milliards d'euros signé au Brésil l'année dernière, dont BHP – qui a annoncé son intention de faire appel – estime qu'il est redondant avec la décision du tribunal de Londres.

Cette lettre a été écrite par Olivier Petitjean.

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