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10.09.2025 à 21:35

Alix

Texte intégral (2305 mots)

Le temps que nous, Mathieu et Alix, avons proposé s’appelait « l’autre 11 septembre », il s’agit d’un atelier d’anticipation à un horizon très proche (dans quelques semaines). Il est inspiré de ce que propose les « ateliers de l’Antémonde » à travers l’excellent livre « Bâtir Aussi » et les ateliers qui en ont découlé. Le livre proposait en 2018 de se projeter en 2021 dans un futur post-révolutionnaire et post-capitaliste, suite à des révolutions ayant eu lieu dans les années 2010. Cet exercice collectif est un outil intéressant pour créer des utopies réalistes (les ateliers de l’Antémonde parlent d’utopie ambiguë voir « merdique ») par rapport à la situation existante.

Contexte et consignes

Au lendemain du 10 septembre, jour de mobilisation et blocage national, une commission propriété se crée avec comme objectif de remettre en cause / abolir à court – moyen terme la propriété individuelle pour plus de propriété collective. Les participant·es à cet atelier sont donc des membres de cette commission qui vont devoir questionner les attributs de la propriété d’un certain nombre de biens matériels ou immatériels à savoir :

  • L’usus, qui correspond à la propriété d’usage, le droit d’user ou de ne pas user de quelque chose,
  • L’abusus, le droit de disposer de son bien, l’abandonner, transformer, céder ou détruire,
  • Le fructus, le droit de jouir de son bien et d’en percevoir ou non les fruits que ça soit sous forme monétaire, matérielle ou symbolique.

Pour chacun des biens et des attributs, il faudra essayer de trancher si cet attribut est détenu par un / des individus ou par le collectif, quelle que soit son échelle (collectif, commun, public )

Pour cela il est possible de s’appuyer sur plusieurs critères :

  • Objet (de quoi s’agit-il?)
  • Taille (quelle échelle, périmètre?)
  • Usage (qu’est-ce qu’on en fait?)
  • Durée (pour quelle durée ? Courte ? Longue ? Limitée dans le temps ? Illimitée?)
  • Exclusivité ( est-ce qu’on en a un usage exclusif ou partagé ? )

Voici la liste des biens dont il faut questionner les attributs :

  • Une paire de chaussettes
  • Une machine à laver
  • Une résidence principale
  • Un réseau internet
  • Un bon livre
  • Une voiture
  • Un champ
  • Une station de radio
  • Un Barnum
  • Résidence secondaire
  • Une scierie
  • Une idée géniale

Ce sont des biens matériels ou immatériels d’importance ou fonction variées pour pouvoir étudier un large éventail de situation. Dans la première session, les personnes étaient réparties en 3 groupes de 4- 5 avec 4 objets à étudier en 45 minutes. Nous avons vu à l’usage que c’était trop ambitieux en termes de temps et dans la seconde session, les personnes sont réparties en 6 binômes qui étudient deux objets, ce qui a permis de balayer un plus grand nombre de cas. Puis il y a un retour en grand groupe pour partager, discuter et débattre les propositions.

Un tableau croisé biens – attributs était présenté :


FructusUsusAbusus
Une paire de chaussettes


Une machine à laver


Une résidence principale


Un réseau internet


Un bon livre


Une voiture


Un champ


Une station de radio


Un barnum


Une résidence secondaire


Une scierie


Une idée géniale


Voici de manière exhaustive un aperçu de ce qui est ressorti des discussions :

Globalement les participant·es étaient plutôt d’accord pour dire que l’abusus devait être collectif et non plus individuel c’est-à-dire par exemple que l’on peut « posséder » un bien tant qu’on en a l’usage, mais lorsque ce n’est plus le cas, son devenir est entre les mains du collectif, tout comme les modifications substantielles à ce bien.

Pour ce qui est de l’usus, c’était plus nuancé, certains biens considérés intimes, comme la paire de chaussettes, pouvaient restés privés mais il a globalement été décidé pour la majorité des biens que leur usus pouvait être partagé c’est-à-dire collectif et/ou bien individuel en même temps.

Pour ce qui est du fructus : il a été globalement proposé que le fructus soit collectif soit pour couvrir les coûts de fonctionnement du bien soit de ne pas du tout faire valoir le fructus.

On s’est rendu compte que globalement des formes collectives de propriété de ses biens existaient déjà à diverses échelles et que la propriété collective était déjà possible et expérimentée.

Il a été décidé par exemple d’abolir les résidences secondaires ou que les livres devaient être plutôt détenus par des bibliothèques plutôt que par des individus. Pour le champ c’était moins simple et cela pouvait être une forme hybride individuelle et collective du fait du rapport particulier des paysan·nes à leurs terres.

S’est posée la question des biens auxquels des individus ont un attachement sentimental : leur abusus reste-t-il collectif ou bien celui-ci est-il exceptionnellement individuel ? Parmi les pistes il y avait que l’abusus restait collectif mais que la propriété d’usage pourrait dans certains cas exceptionnels, définis dès le départ, être cessible à ces proches dans le cas de biens ayant une valeur symbolique. Les biens matériels à forte valeur financière ou d’usage ne pourraient pas entrer dans ce cas pour ne pas reproduire les dynamiques inégalitaires actuelles perpétuées par l’héritage.

S’est également posée la question du transfert des attributs de la propriété de l’individu au collectif, se fera-t-elle de manière volontaire ou contrainte (c’est-à-dire expropriation) ?

A chaque fin de session d’atelier, nous avons abordé succinctement des formes juridiques de propriété existantes actuellement qui permettent de mettre en place des formes de propriété collective :

  • Le bail emphytéotique, c’est à la base un bail rural. Il permet un transfert de l’usus, du fructus et d’une partie de l’abusus pour une durée allant jusqu’à 99 ans en échange d’un loyer symbolique. Globalement un emphytéote est propriétaire du bien durant toute la durée du bail, il peut modifier le bien, y faire des travaux d’entretien, le sous-louer ou prêter, l’utiliser ou non comme il le semble, céder ou vendre son bail, payer ses impôts… durant toute cette période le(s) propriétaire(s), et ses héritier·es, n’ont plus aucun droit sur ce bien.
    • Avec la seule limite que l’emphytéote ne possède pas le « capital » du bien qui reste détenu par le propriétaire qui récupérera son bien au terme du bail. Ce bail est sécurisant pour le « locataire », il ne peut être rompu que d’un commun accord ou en cas de non-respect du bail (non-paiement du loyer ou non-réalisation des travaux d’entretien du bien)
  • Le Fonds De Dotation ou l’Association, ce sont deux structures collectives au fonctionnement relativement similaire qui ont la possibilité d’être propriétaires de biens ,au même titre que des individus, avec les mêmes attributs. Le FDD ou une association d’intérêt général peuvent se voir céder la propriété d’un bien sans avoir à payer de frais importants à l’État lors du don / legs. Contrairement à la propriété individuelle, cette forme de propriété est plus pérenne et peut garantir que le bien reste possédé et géré collectivement sur le long terme, empêcher la vente du bien (avec un droit de veto des individus ou structures membres). Généralement il y a une association propriétaire et une association usagère du bien afin de distinguer la détention du « capital » de l’usage.
  • L’apport associatif, il s’agit d’une possibilité moins connue offerte par les assos. Des membres d’une association peuvent apporter de manière limitée, avec droit de reprise, ou illimitée des biens en échange de « privilèges » souvent symboliques au sein de l’association. Durant toute la durée de l’apport, l’association bénéficie de l’usus, du fructus et de l’abusus (y compris de la possibilité de vendre le bien). Le membre propriétaire n’a pas voix au chapitre, si ce n’est comme membre, et en cas de droit de reprise, il récupérera son bien en l’état. En cas de vente, il ne récupérera que la partie des recettes tirées de la vente restant au moment de la restitution. C’est également un statut qui protège l’usage collectif d’un bien.
  • Les coopératives immobilières, il s’agit d’entreprises coopératives où des personnes investissent des parts et dont le capital mis en commun permet l’acquisition collective de biens immobiliers. Ces biens sont gérés et entretenus collectivement et pourront ensuite être loués à des personnes ou collectifs. Ce statut permet également de sortir le bien de la propriété privée et de la spéculation avec le même principe de droit de veto des membres. Ce statut est relativement développé en Allemagne, certaines coopératives ont même par exemple comme fonction d’être destinataire du legs de personnes sans héritièr·es. En France, au moins un projet de coopérative immobilière est en cours à Lyon.
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10.09.2025 à 21:30

Michel Lepesant

Texte intégral (1495 mots)

Une partie des enjeux du focus sur la propriété porte sur la nature du droit de propriété : est-ce un droit réel (dans ce cas, la propriété privée porte directement sur la chose, et c’est le fait d’avoir quelque chose) ou bien est-ce un droit relationnel (et dans ce cas, la propriété privée n’est que la reconnaissance sociale du fait de disposer de certains droits, en particulier le droit d’imposer aux autres le respect de mon droit sur une chose). Comment penser le propre non pas comme une sphère d’indépendance mais comme un lieu de dépendances et d’interactions ? Qu’en est-il dans le cas du corps ?

a)    Le problème

  • D’un côté, « Mon corps m’appartient ! » C’est notamment au nom de ce slogan que les droits contraceptifs ont été conquis dans les années 1960.
  • D’un autre côté, comment éviter la dégringolade libertarienne qui aboutit à justifier les plus grandes inégalités à partir d’un certain nombre de principes fondamentaux dont le premier est précisément la propriété de soi ?
    • Propriété de soi : tout individu mentalement capable a un droit absolu à disposer de sa personne, y compris les talents qu’il a reçus et cultivés, pour autant qu’il n’utilise pas ce droit pour renoncer à sa propre liberté.Juste circulation : la justice d’un droit de propriété est établie lorsque celui-ci a été obtenu par un transfert volontaire, tacite ou explicite, avec ou sans contrepartie matérielle ou monétaire, avec la personne qui en était auparavant le légitime propriétaire.
    • Appropriation originelle : le titulaire initial d’un droit de propriété sur un objet est le premier à en avoir revendiqué la propriété

b)   Le fil de la discussion

Si la propriété n’est pas un droit fondamental, comme le défend l’idéologie propriétaire, mais un faisceau de droit subalternes c’est que ces droits visent à la préservation de certaines valeurs, lesquelles ?

« La propriété de son corps [est] simplement une collection de droits qui assurent un type de contrôle compatible avec la préservation de certaines valeurs comme l’égalité, la liberté individuelle, le droit de vivre de son travail, le droit d’empêcher autrui d’interférer sur mes choix libres, le pouvoir d’échapper à la domination… Pour parvenir à la réalisation de ces valeurs, il est nécessaire de débarrasser le droit de propriété de sa gangue théorique, qui le fait passer pour un droit irréfragable alors même qu’il n’a jamais été qu’un composite ouvert à toutes les formes de combinaison ».

Pierre Crétois (2020), La part commune. Critique de la propriété privée, éd. Amsterdam, p.161.

c)    Les cas

Nous avons commencé par 2 cas exemplaires :

  • La décision du Conseil d’État du 27 octobre 1995, qui a interdit le « lancer de nain » au nom de la « dignité de la personne humaine », conçue comme une composante de l’ordre public.
  • S’inspirant d’un fait réel, le livre de Jodi Picoult (2007),  Ma vie pour la tienne, Presses de la Cité, dont voici la quatrième de couverture : « Anna est une « enfant-médicament ». Elle seule peut encore sauver sa sœur. Mais Anna ne veut plus se sacrifier… A treize ans, Anne a déjà subi de nombreuses interventions et transfusions afin que sa sœur aînée, Kate 16 ans, puisse combattre la leucémie qui la ronge depuis son enfance. Anna sait qu’elle a été conçue pour être génétiquement compatible avec Kate et qu’elle est son seul espoir. Cependant, lorsqu’on lui demande de faire don d’un rein, l’adolescente refuse. Elle veut disposer librement de son corps et ira jusqu’au bout pour se faire entendre… »

Et nous avons poursuivi au fil de différents cas réels, en prenant le prétexte de chercher la valeur liée pour partager des réflexions :

  • La mobilisation militaire → la « patrie ».
  • La vaccination obligatoire (enfants, personnel soignant, Covid) → la protection personnelle + la santé publique.
  • La ceinture de sécurité → protection personnelle + sécurité routière.
  • Les transformations du corps : chirurgie esthétique, tatouage, piercing : le cas de Sylvain, alias Freaky Hoody, le corps entièrement tatoué et les yeux encrés, interdit par son inspection académique d’enseigner en maternelle.
  • Le suicide.
  • Les addictions.
  • Le don d’organe  → juridiquement le principe d’indisponibilité a été remplacé par celui de non-patrimonialité.
  • Le contrat de travail diffère-t-il vraiment d’un « contrat d’esclavage » ? La prostitution est-elle du travail ou le travail est-il de la prostitution ?
  • La question de la douleur à l’hôpital : celle du nourrisson, de la fin de vie, de l’accouchement…
  • Le placement d’office, la curatelle et la tutelle → protection (du sujet) et sécurité (vis-à-vis des autres).

Les 2 ateliers, à partir d’une réflexion générale sur l’articulation entre corps individuel et corps social, en sont venus à une discussion sur ce qu’une société pouvait considérer comme « normal ». Si consensus il y a eu, c’est de voir dans le « normal » ni un cadre impératif qui traite de « pathologique » tout ce qui est dans les marges ni une simple moyenne statistique, mais plus un « halo » normatif qui décrit une généralité et prescrit « ce qui ne se fait pas » (common decency) plutôt que ce qui doit se faire : il y a ainsi plus de liberté dans l’inter-diction (de faire) que dans l’obligation (de faire).

d)   En conclusion

La propriété n’est pas une bonne façon de penser le rapport au corps parce qu’elle reste dans le domaine de l’avoir et de l’objet, alors que le corps peut être pensé dans le domaine de l’être et du sujet. En pensant le corps comme objet, je le pense comme autre que le sujet que je suis et du coup je risque de faire de cette altérité le modèle à partir duquel je vais considérer l’altérité des « autres », qui seront alors considérés d’abord comme des corps-objets, à qui j’accorde, ou non d’ailleurs, une subjectivité.

Bref, dans ce dernier cas, l’altérité est pensée à partir d’un côte à côte, ou d’un face à face et non pas à partir d’une interdépendance. Dans le vocabulaire de Martin Buber, dans ce cas je pense le Je-Tu à partir du Je-Cela (que le Cela soit mon corps ou celui d’un autre) et non pas comme relation première, primordiale.

Quelle serait une meilleure façon de se rapporter aux corps, le « sien » comme les « autres » ? Par les valeurs ? Mais alors il faut éviter de répéter la fable de l’équivalence généralisée – celle qui s’étale tout au long de l’horizontalisme du régime de croissance – et admettre que si tout corps doit être reconnu dans sa dignité, alors la société à laquelle j’appartiens doit reconnaître le droit de chacun à privilégier le corps qu’il est. Les « valeurs » dans ce cas n’apparaissent pas comme des injonctions descendantes (du haut de la Société comme Totalité) et venant soi-disant contraindre ma liberté de « faire ce que je veux » (le caprice) mais comme des « liens », ceux qui font société.

Et si ce « privilège » fait de moi le « propriétaire » de mon corps, ce n’est pas parce que je pense la propriété à partir des attributs romains du droit – usus, fructus et abusus – mais à partir de la conception américaine du faisceau de droits, faisceau qui articule des droits (claims), des privilèges, des pouvoirs et des immunités. Je ne fais donc pas de mon corps un objet sur lequel j’aurais un droit absolu mais je conserve un droit inaliénable d’exclusivité et donc d’exclusion : nul ne peut user de moi, en jouir, y pénétrer sans mon consentement délibéré.

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