Jusqu’ici assez anecdotique, l’écofascisme français trouve depuis quelques mois une place conséquentes dans les colonnes de Frontières – Livre noir. De quoi s’inquiéter ?
L’écofascisme français était jusqu’ici bien poussiéreux, à l’étroit dans la galaxie confidentielle d’une Nouvelle Droite que tout le monde a oubliée et la nébuleuse groupusculaire de collectifs extrémistes et d’instituts proposant d’obscures formations intellectuelles. Mais depuis quelques mois, la bouilloire commence doucement à frémir grâce au dernier né des médias d’extrême droite : Livre noir. Pardon, Frontières, puisque le trimestriel a récemment changé de nom et annoncé son ambition de devenir le « Mediapart de droite » en recrutant 25 journalistes à plein temps.
En l’espace de quelques mois, sous la plume du rédacteur en chef du journal Alexandre de Galzain, coucheur de vers antimodernes, les articles appelant la droite (extrême) à épouser enfin l’écologie se sont multipliés, allant jusqu’à proposer des conseils pratiques pour être écolo au quotidien. L’écologie serait le « devoir » de la droite qui doit faire le « choix de la cohérence ».
Sur Instagram, le journaliste y va avec moins de pincettes en affirmant qu’il « n’y a rien d’incompatible à lutter à la fois contre le grand remplacement et contre le grand réchauffement ». Renaud Camus, théoricien à qui revient la paternité de ce concept complotiste, a donc trouvé une filiation dans la nouvelle garde de l’extrême droite.
Aucun ingrédient de l’écofascisme version européenne ne manque :
un éloge de la frontière qui permet de lier communauté nationale (hermétique et homogène) et écosystème naturel ;
une mixophobie ethno-différentialiste qui ne hiérarchise pas les races mais valorise leur multiplicité… pour mieux les séparer en rejetant tout mélange ou cosmopolitisme ;
un révisionnisme écologique prétendant que l’écologie serait historiquement de droite ;
un essentialisme passant par un éloge confus de l’identité, de l’enracinement, de l’harmonie avec la nature (et donc les orientations sexuelles supposées naturelles, ou la division genrée des hommes et des femmes selon un modèle traditionnel) ;
un refus du développement économique et industriel qui se traduit par l’artificialisation des campagnes, leur défiguration, le remplacement du clocher par le supermarché (ou pire, par la mosquée).
On sent planer l’ombre de l’influenceur d’extrême droite Julien Rochedy qui a eu droit à un entretien écrit mais aussi filmé sur la chaîne YouTube du média pour défendre son idée de « biocivilisation ». L’« intellectuel » y dénonce là encore confusément les ravages d’un capitalisme qu’il peine à définir, d’une gauche qui aurait « du flair mais pas de goût », et prône un retour à de petites communautés homogènes, traditionnelles, dans le respect de la « nature ».
On rappelle que la récupération de l’écologie par la droite suit trois logiques différentes voire concurrentes :
l’option technolutionniste adhère à l’impératif écologique en intégrant la nécessité d’une décarbonation du capitalisme, qu’elle entend parachever grâce à l’innovation ;
l’option carbofasciste rejette le constat écologique en le niant ou en le minimisant, et valorise au contraire l’impérialisme, l’extractivisme, les modes de production et de consommation écocidaires (« drill baby drill ! ») ;
l’option écofasciste, enfin, revendique l’écologie elle-même en la fondant dans une logique anti-moderne, localiste et xénophobe.
Faut-il s’inquiéter de cette poussée de l’écofascisme ? Il est vrai qu’elle n’avait jusqu’ici presque aucun relais médiatique et donc peu de visibilité ou de poids dans la bataille qui se joue pour le sens à donner au mot « écologie ». Voir un média montant et des influenceurs en vue s’en emparer ne peut pas être accueilli par un haussement d’épaule. Cette poussée signifie l’ouverture d’un nouveau front pour l’écologie sociale : en plus de combattre la dilution du mot écologie dans la novlangue technocratique, elle va devoir maintenant apprendre à combattre le « coucou » écofasciste qui vient s’installer dans son nid.
De là à penser que l’écofascisme puisse, à court ou même moyen terme, peser réellement politiquement, il y a un grand pas qu’on se gardera bien de franchir.
Si vous voulez en savoir plus sur ce sujet, on vous recommande la lecture de La tentation écofasciste de Pierre Madelin et Ecofascismes d’Antoine Dubiau !
L’article Frontières, nouvelle vitrine de l’écofascisme est apparu en premier sur Fracas.
Sarah Cohen est agronome et ingénieure de recherche à l’Inrae. Elle coécrit avec Tanguy Martin De la démocratie dans nos assiettes – construire une Sécurité sociale de l’alimentation, paru aux éditions Charles Léopold Mayer en mai 2024.
Elle coordonne également Caissalim, la caisse d’alimentation de Toulouse, qui s’inspire de la proposition de Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) portée par le Collectif national pour une SSA. Leur idée : une extension du régime général de sécurité sociale, avec une nouvelle branche qui serait financée par une cotisation sociale et permettrait d’allouer un budget de 150 euros à tous les résidents en France, dédié à une alimentation conventionnée. Le conventionnement – un ensemble de critères de production, transformation et distribution prenant en compte les enjeux sociaux, environnementaux, climatiques et économiques des systèmes alimentaires – serait décidé par les citoyens de manière démocratique.
Parmi les principales causes, on trouve en premier lieu la précarisation de la population, avec des dépenses contraintes qui font que la part consacrée à la nourriture est très faible, de plus en plus de personnes ne mangent pas à leur faim, ne mangent pas ce qu’elles aimeraient manger. C’est entre 2 et 5 millions de personnes en France qui ont recours à l’aide alimentaire, un chiffre qui est monté à 8 millions au moment du Covid. Si on prend l’année 2021, 22 % des foyers avec enfants sont dans une situation de précarité alimentaire.
Pour résumer, les gens ont de moins en moins de revenus, les dépenses contraintes sont de plus en plus élevées, et à cela s’ajoutent des causes conjoncturelles, comme l’inflation liée à la guerre en Ukraine.
On pose trois constats. Premièrement, comme nous le disions, le système alimentaire ne permet pas de nourrir toute la population de manière satisfaisante. Ensuite, les paysans ne sont pas rémunérés dignement, tout comme les caissières, les personnes qui travaillent dans la logistique, etc. Et troisièmement, on est en train de détériorer nos conditions de vie sur Terre de manière préoccupante.
Depuis des années, des politiques essaient d’y répondre, mais de façon très cloisonnée : d’un côté des subventions pour les agriculteurs, des millions à l’aide alimentaire, des millions pour dépolluer les eaux… ça ne fonctionne pas, parce que c’est tout le système alimentaire qu’il s’agit de refonder.
Du côté de l’agriculture, le problème majeur est la marchandisation des denrées alimentaires qui sont devenues un bien comme un autre dans le système capitaliste, sur lequel on peut spéculer. Les agriculteurs se retrouvent à ne pas du tout être maîtres de leur prix de vente, avec des coûts de revient quant à eux assez contraints. Si on est dans une agriculture très conventionnelle, intensive, on est dépendant des pesticides, des machines, etc. Si on est dans une petite agriculture paysanne, les produits peuvent apparaître de prime abord plus chers pour les consommateurs.
Lorsque les agriculteurs ne sont pas maître du prix de vente, soit parce qu’ils ont des multinationales en face d’eux, soit simplement parce qu’il n’y a pas de marché, en raison de la précarité des citoyens qu’on évoquait en premier lieu, ils se rémunèrent à des taux horaires ridicules (quand ils se rémunèrent).
Pour répondre de manière globale aux enjeux alimentaires, des conditions de travail à ce qu’on trouve dans nos assiettes en passant par la question environnementale, il faut un système national, macroéconomique.
Quand on commence à penser de manière globale, apparaissent des contradictions par exemple entre des formes d’alimentation accessibles et la rémunération des travailleurs. Pour y répondre, il faut qu’il y ait des débats dans la société, il ne peut pas y avoir des mesures autoritaires comme ce qui a été fait avec l’augmentation des taxes sur les carburants qui a suscité une grande colère et été le point de départ du mouvement des Gilets jaunes. Il y a des enjeux de justice sociale qui doivent absolument être pris en compte, les décisions doivent être prises de manière démocratique.
« Il faut un système national, arrêter de compartimenter les réponses à un problème global »
La Sécurité sociale de l’alimentation se base sur le régime général de sécurité sociale qui a permis de créer un droit à la santé en France et de donner le contrôle de ce droit aux citoyens via leurs représentants syndicaux.
On voit donc que ça existe, pourquoi ne pas s’appuyer sur ce régime général qui permet d’avoir des retraites, d’être aidé en cas d’accident du travail, d’avoir droit à des allocations familiales, etc. ? L’idée est de l’étendre et d’en allouer une branche à l’alimentation ; qui serait dédiée à toutes les personnes qui vivent en France, quelle que soit leur nationalité. Le montant, défini aujourd’hui à 150 euros par le collectif national de la Sécurité sociale de l’alimentation, serait fléché vers une alimentation choisie de manière démocratique.
Je viens d’évoquer deux premiers piliers : l’universalité, tout le monde a le droit à ce budget là, il ne s‘agit pas d’une politique dédiée à une partie de la population ; et la démocratie, c’est à dire que la communauté ait pu choisir ce qu’elle souhaitait pour son alimentation, en connaissance de cause – cela s’associe à une période de formation, de partage de connaissances. Et enfin, le troisième pilier, c’est celui du financement par de la cotisation sociale, à l’instar de la branche santé créée en 1946.
Ce sont vraiment des expérimentations, car à cette échelle, on doit aller chercher des financements, on ne touche que des personnes qui sont volontaires, ce n’est donc pas une sécurité sociale de l’alimentation. Mais ça permet déjà de pratiquer cette démocratie alimentaire au sein de groupes d’habitants.
Il y a un peu plus d’une dizaine d’initiatives en France et je coordonne celle de l’aire toulousaine depuis deux ans. Il y a quatre groupes indépendants, à l’échelle de quartiers ou de petites villes. Une première phase est dédiée à la rencontre, puis une autre à la formation, ensuite on passe à l’organisation et là, ayant passé toutes ces étapes, pour deux caisses sur les quatre, les participants vont à partir d’octobre cotiser et recevoir leur bouquet alimentaire à dépenser au sein du réseau de professionnels qu’ils ont choisi.
On peut déjà constater que ça suscite de l’intérêt, que ce soit chez des personnes qui se posaient au préalable des questions sur l’alimentation, l’environnement, la rémunération des agriculteurs ; chez celles qui sont en situation de précarité… ça parle forcément, et on voit de plus en plus de personnes se pencher sérieusement sur le sujet.
Pour aller plus loin : De la démocratie dans nos assiettes, Sarah Cohen et Tanguy Martin, ECLM, 2024.
L’article Sarah Cohen : pour une Sécurité sociale de l’alimentation est apparu en premier sur Fracas.
Clément Sénéchal a été pendant plusieurs années chargé de plaidoyer chez Greenpeace France. Dans Pourquoi l’écologie perd toujours, il décrypte les écueils des ONG environnementales ; le culte de l’image, la frilosité politique et un certain rapport au renoncement dont il s’agirait de s’extraire.
Si on parle de Paul Watson, il faut remonter à sa brouille avec Greenpeace dans les années 1970. Lors d’une campagne autour des phoques, il y a eu des heurts entre les membres de l’organisation et les Inuits. À ce moment-là, un désaccord éclate entre lui et le reste de l’équipe de Greenpeace, qui accepte de renoncer à l’intervention prévue pour se contenter de ramener simplement des images de phoques ensanglantés, au motif qu’il suffirait de porter témoignage auprès du grand public, sans confrontation matérielle concrète (donc sans attenter à la propriété privée) pour enclencher des changements majeurs. De son côté, Paul Watson est prêt à assumer un niveau de conflictualité plus élevé, notamment de s’attaquer physiquement aux bateaux de pêche pour entraver la commercialisation des phoques. Ce moment marque une rupture définitive : Paul Watson, évincé par la direction de Greenpeace, crée Sea Shepherd, qui adopte un rapport un peu moins mystificateur au réel. Pour lui, il ne faut pas hésiter à s’en prendre aux infrastructures du désastre, les baleiniers en l’occurrence : il n’a pas de problème avec l’idée de dégrader des biens. Pour moi, cela dénote déjà une forme d’environnementalisme plus sincère et sérieuse dans son engagement.
Mais paradoxalement, Sea Sheperd continue de fonctionner à l’écologie du spectacle, articulée autour de la personnalité charismatique de Paul Watson, héros de belles histoires, saisissantes mais sans portée réelle. Sans doute parce que c’est une écologie, qui, par ailleurs, se tient à bonne distance de toute tension afférente à la lutte des classes.
Quid des autres, comme la FNH, le WWF ou les Amis de la Terre ? En l’occurrence, ce soutien électoral impromptu constitue plutôt l’exception qui confirme la règle. Là, ils se sont retrouvés au pied du mur : opérer un décryptage pudique des programmes à l’ombre du fascisme semblait sans doute un peu court.
D’une part, pour ce qui concerne Greenpeace en tout cas, la base se radicalise peu à peu (une vague de syndicalisation a eu lieu début 2023), notamment face à la dégradation de la situation politique : la direction se trouve donc obligée de lâcher du lest de temps en temps pour donner le change en interne. D’autre part, c’est l’extrême droite qui était annoncée à Matignon. Pour les ONG, ça commençait à devenir limite, notamment car cela signifiait très probablement la fin de la niche fiscale sur les dons, de même qu’un certain nombre de subventions. Apporter un soutien ponctuel au NFP était donc un moindre mal.
Nonobstant, rappelons que le succès grandissant de l’extrême droite ne sort pas de nulle part : le Rassemblement national construit son capital politique échéance après échéance et progresse patiemment dans la société depuis des années, en profitant aussi de la dépolitisation sédative d’une partie de la société civile… Où étaient les ONG lors des élections européennes, qui ont abouti à cette dissolution périlleuse ? Au sein de Greenpeace France, où j’ai passé presque huit ans, il n’y a jamais eu de réel chantier collectif ouvert sur l’extrême droite, de réel axe stratégique développé sur ce sujet ni, ipso facto, aucune campagne antifasciste active.
« Face au coup d’État feutré d’Emmanuel Macron, les ONG sont en vacances »
En outre, si les ONG sont momentanément sorties de leur sommeil apartisan, c’est aussi parce que le NFP constitue précisément une coalition de partis ; ce qui permet de diluer l’engagement, de ne pas soutenir un parti en particulier. Si ça avait été la France Insoumise seule, je doute qu’ils aient affiché un franc soutien. D’ailleurs, même face à l’urgence présentée par la pression fasciste dans le pays, le lexique utilisé dans leurs déclarations est très choisi, très prudent, volontiers moralisateur, parfois même hautain (comme pour s’excuser de se mêler de politique politicienne). Et à aucun moment, de mémoire, elles n’ont écrit noir sur blanc « votez pour le NFP » : il n’y a pas eu de mot d’ordre clair et direct.
Mais ce qui me sidère surtout, c’est leur silence radio depuis le second tour des législatives et la victoire surprise du NFP. Cette victoire en demi-teinte était pourtant très fragile. C’est donc dès le lendemain de l’échéance que les ONG auraient dû accentuer la pression pour que le Nouveau front populaire, avec Lucie Castets, ait sa chance à Matignon. Face au coup d’État feutré d’Emmanuel Macron, elles sont en vacances. En définitive, elles sont trop intermittentes pour constituer un point d’appui solide pour le camp progressiste.
Il y a une tension structurelle dans le sens où les ONG se sont construites en dehors de la lutte des classes, en cultivant une idéologie du dépassement des clivages, au gré d’un œcuménisme bienveillant se présentant comme « le camp du bien ». Dès les origines, cette grammaire porte en elle la dépolitisation de la cause. Dans les statuts de la plupart des ONG, il est donc écrit qu’elles sont apolitiques ici, apartisanes ailleurs : elles se sont forgées dans ce carcan. C’est d’ailleurs cette neutralité qui leur a permis d’accumuler de nombreux capitaux et de prendre de l’ampleur, au point de devenir de véritables multinationales. Si elles se prétendent apolitiques, ou apartisanes, c’est en premier lieu, pour des raisons mercantiles : l’argent n’a pas d’odeur. En second lieu, pour garder une autonomie de ton et d’action – mais dont elles font, par construction, un usage très limité, sans quoi elles risquent de devenir… trop partisanes. Le problème, si l’on va jusqu’au bout de cette logique, c’est que cela les rend compatibles avec n’importe quel parti, donc aussi l’extrême droite.
« L’enjeu, c’est plutôt que ce petit monde soit marginalisé pour laisser place à une écologie de clivage résolument anticapitaliste »
Par ailleurs, cette dépolitisation va de pair avec l’institutionnalisation des ONG, qui sont désormais des organisations très bureaucratiques, verticales, professionnalisées, farcies de technocrates, de concepts et de “process” semblables aux milieux entrepreneuriaux…. Elles n’ont plus rien à voir avec des collectifs militants. En outre, elles s’adressent essentiellement aux différentes franges de la bourgeoisie (économique et culturelle, petite, moyenne et grande), laquelle n’a dans son ensemble pas vraiment intérêt à un bouleversement radical des hiérarchies sociales. Au surplus, la classe dirigeante du champ environnemental, bien installée dans la société mondaine actuelle, a-t-elle vraiment intérêt à la fin du capitalisme ou à n’importe quelle révolution politique ?
Une ONG qui s’engage réellement serait capable d’organiser son combat de manière intersectionnelle, de participer activement et dans le bon sens à la lutte des classes, de mailler le territoire en appuyant les luttes locales, de défier sans fard le capitalisme (donc la propriété privée) et de prendre parti selon les nécessités conjoncturelles du moment politique, par exemple lors des élections.
L’expertise des ONG est probablement ce qu’elles apportent de plus intéressant. Mais chez Greenpeace, on tourne quand même autour de 30 millions d’euros de recettes par an. On est en droit de se demander à quoi sert cet argent : est-ce que cela vaut ces quelques rapports, quand d’un autre côté les collectifs militants qui émaillent le territoire avec des luttes concrètes, ancrées, ont vraiment besoin de ressources ? Dans ce cas, il faut que les ONG cessent d’avoir la prétention de représenter le mouvement écologiste et deviennent des think tanks ou des agences de conseil. Parce qu’aujourd’hui, elles encombrent le champ militant.
Quand j’étais chez Greenpeace, j’avais la volonté de politiser la question climatique pour sortir de l’environnementalisme béat. Ça a marché un ou deux ans, on a commencé à parler de néolibéralisme et de l’empreinte carbone des riches, à revendiquer la création d’un ISF climatique, à demander un moratoire sur la publicité ou la pénalisation des dividendes fossiles, à stigmatiser certaines figures politiques… Mais ça m’a valu de nombreuses oppositions en interne et ça s’est terminé rapidement. Il fallait revenir dans les clous de la bienséance et de la sensibilisation. Aujourd’hui, je n’ai plus vraiment confiance dans la capacité des ONG à se réformer pour épouser la vérité systémique de la cause qu’elles prétendent défendre
L’enjeu, c’est plutôt que ce petit monde soit marginalisé pour laisser place à une écologie de clivage résolument anticapitaliste. Elle existe déjà, régulièrement stimulée par les Soulèvements de la Terre par exemple. Il faut que cette écologie-là devienne hégémonique dans le champ environnemental.
Ce sont des groupes, des mouvements qui ont une compréhension du capitalisme et qui instaurent un rapport de force sans concession avec leurs adversaires. Ces dynamiques sont bien sûr à réactiver en permanence, mais je pense que l’équation proposée par les Soulèvements de la terre fait sens. Elle propose une praxis cohérente avec la situation actuelle : elle inclut de la critique sociale, une réflexivité politique forte, une capacité d’attraction qui traverse différentes populations prêtes à prendre des risques, un travail sur les infrastructures matérielles à la base de l’accumulation capitaliste…
Surtout, en ce qui concerne les actions de résistance regroupées dans l’orbite des Soulèvements, elles ont la qualité d’être pérennes. Pas de simples mises en scène temporaires et symboliques pour amuser la galerie. C’est une forme d’antispectacle : les écureuils de l’A69, ils ne montent pas avec une banderole dans un arbre juste pour la photo, pour redescendre deux heures après. C’est une écologie qui n’obtempère pas. Face à la répression, ils tiennent bon : ils ne sont pas là pour faire de la figuration pour leurs adhérents.
Je pense qu’il est fondamental de se masser derrière ces écologies offensives pour déborder l’écologie réformiste, qui n’a eu de cesse de faire la démonstration de son impuissance alors même qu’elle était dominante. De fait, les Soulèvements ont réussi à instaurer un solide rapport de force avec le bloc capitaliste, à tel point acculé qu’il a tenté la dissolution du mouvement. En vain. C’est la preuve du potentiel révolutionnaire que ces militants souvent anonymes détiennent entre leurs mains. A l’inverse, quand une ONG environnementale a-t-elle déjà été menacée de dissolution ?
Les Soulèvements, les zadistes, les écureuils font face à des pratiques de répression ultra violentes, semi-mafieuses. Ça contraste beaucoup avec ce que j’ai vécu à Greenpeace France, où lorsque l’on arrivait sur les sites prévus pour une action de désobéissance civile (la plupart du temps dans le seul but de prendre une photo), les forces de l’ordre étaient aimables et patientes. La plupart du temps, les policiers regardaient tranquillement le show, sachant très bien que dans deux heures ce serait fini, que nous étions « non-violents » donc dociles… Il s’agit toujours d’une fausse conflictualité, lourdement ritualisée, devenue tristement banale.
« La dimension sacrificielle du combat a un sens. Pourquoi le directeur général de Greenpeace France n’est-il jamais allé faire un tour en prison ? »
Les nouveaux mouvements protestataires s’ancrent beaucoup plus dans la réalité du conflit écologique, avec ce que cela implique comme niveau d’affrontement avec les agents de l’ordre établi. Provoquer cette répression présente un intérêt heuristique, celui de faire tomber le masque de la violence d’État : elle dévoile en effet la nature autoritaire de l’accumulation de capital en temps de crise écologique et délégitime sa suprématie politique.
Je pense par ailleurs que la dimension sacrificielle du combat a un sens, qu’elle envoie un signal. Pourquoi le directeur général de Greenpeace France, qui parle de fin du monde, de combat du siècle et de désobéissance civile à tout bout de champ, n’est-il jamais allé en prison ? Ce n’est pas un hasard si les cadres de l’écologie dominante ne sont jamais blessés, ni incarcérés, alors même que le pouvoir est détenu par les adversaires de l’écologie depuis des décennies. A contrario, ils jouissent de bons salaires, d’une reconnaissance sociale et médiatique importante, d’une vie confortable… En outre, dès qu’un activiste de l’ONG coupable d’avoir désobéi à la loi se trouve placé en garde à vue, c’est tout de suite un scandale d’État. Pourtant, l’un des fondements de la désobéissance civile, c’est d’accepter de se confronter aux peines encourues et d’utiliser le circuit judiciaire comme caisse de résonance.
Au moment où XR s’est lancé en Angleterre, certains de mes collègues prétendaient qu’assumer le risque de la prison était un « truc de privilégiés, car tout le monde n’en avait pas les moyens ». Pour moi, c’est un renversement des arguments, qui permet à des entrepreneurs de causes installés de s’excuser de ne plus prendre ce genre de risques. En outre, les ONG poussent des cris d’orfraie dès que la répression se rapproche d’eux, mais quand elle s‘abat sur les quartiers pauvres et racisés, il n’y a plus grand monde. L’inconscient des environnementalistes les pousse à se considérer comme une classe à part, respectable, qui ne devrait jamais subir la violence d’État, ni même la dureté des lois. Ils proposent alors une version édulcorée et pour tout dire insignifiante, essentiellement spectaculaire, de la désobéissance civile.
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Figure de la fachosphère, Le Raptor a publié sur sa chaîne YouTube plus d’une heure d’insanités climato-négationnistes. En guise de riposte, une salve de fact-checkings patients et pédagogues. Mais peut-on convaincre par les faits ? Qui cède au déni climatique, pour quelles raisons ? Hypothèses et perspectives de résistance.
Si vous êtes écolo et que vous passez un peu trop de temps sur les réseaux, impossible que vous soyez passés à côté de la dernière vidéo du Raptor consacrée à « l’arnaque mondiale » (sic) du réchauffement climatique.
Un youtubeur d’extrême droite qui fait un exposé de plus d’une heure pour étaler des contre-vérités sur le réchauffement global et insulter les écolos : rien de bien neuf. Mais la force de frappe en ligne du Raptor et ses 700 000 vues en une semaine ont déclenché une pluie de débunks.
Voir médias et influenceurs se retrouver à devoir encore et toujours expliquer le B.A.-BA du réchauffement climatique finit par laisser perplexe. Faut-il encore débattre, ou même tout simplement débunker les arguments des climato-négationnistes ? Une question que les spécialistes de l’exercice se posent ici et là depuis quelques temps déjà…
Pas de réponse définitive à trouver ici, mais il nous semble important de comprendre la nature du déni pour élaborer les manières de lui résister.
Hypothèse 1 : le déni climatique est une affaire de gens peu éduqués (et pauvres)
Une hypothèse largement répandue – et qui n’est pas dénuée d’un certain mépris de classe – est que le déni climatique ne serait qu’une affaire d’éducation, voire d’intelligence. Tous les tenants de cette approche le jurent, chiffres à l’appui : les populations à bas revenu et à bas niveau d’étude ont un tropisme pour le négationnisme climatique plus prononcé que les autres classes sociales.. Le déni prendrait alors bien souvent la forme du complotisme, qui ne serait autre qu’une sorte de « cartographie mentale du pauvre », selon le théoricien marxiste Fredric Jameson, comme si le complotisme était l’apange des classes populaires. On recommande cette sucrerie de Frédéric Lordon sur le complotisme de l’anti-complotisme bourgeois, qui n’a pas vieilli.
Le complotisme permet de recréer une cohérence dans un monde qui, autrement, serait incompréhensible si l’on n’y voit pas partout l’intervention de réseaux secrets suivant un plan d’ensemble. Une rationnalité irrationnelle, comme en témoigne la vidéo du Raptor, qui parvient à nouer des liens audacieux entre l’essor du secteur immobilier au Vanuatu, les demandes des wokistes changeurs de sexe et les résumés pédagogiques des experts du Giec.
Sauf que l’analyse détaillée de ces chiffres relativise énormément l’importance du niveau d’éducation et de revenus dans le rapport au déni climatique, qui a explosé en France ces cinq dernières années. On retrouve une variété de climatoscepticismes dans toutes les catégories de population. Celui-ci est d’ailleurs plus répandu dans deux catégories d’âge : les jeunes et les plus âgés, tandis que l’idéologie des individus (gauche ou droite) joue un rôle bien plus important dans la formation de l’opinion que d’autres variables. Bref : soit on s’auto-persuade que les gens, et surtout les « pauvres », sont devenus plus cons en quelques années, soit on doit se rendre à l’évidence que le noeud du problème se joue ailleurs, et particulièrement dans la défiance envers les institutions (médias, sciences, politiques, etc.).
Hypothèse 2 : le déni climatique est une affaire de mensonge (à soi ou aux autres)
Une manière d’évacuer rapidement l’origine du déni climatique est d’invoquer la mauvaise foi et la tromperie.
Sous-hypothèse 1 : la mauvaise foi. Les gens refusent intentionnellement de comprendre. En situation de dissonance cognitive entre les croyances héritées et l’avalanche de faits contradictoires présentés, les révisionnistes en tous genres esquiveraient une sortie « par le haut » de cette dissonance. Ils préféreraient à l’inverse sélectionner et limiter les connaissances afin de ne pas franchir un seuil, ce qui permet de conforter leur vision d’un monde dans lequel ils veulent continuer à vivre même s’il est en décalage avec la réalité. Aucun doute que le mécanisme de la mauvaise foi intervient, et d’autant plus dans un monde médié par les réseaux sociaux qui incitent à la réactivité, et donc à l’agressivité et au cherry picking. Mais difficile d’asseoir une analyse du phénomène sur un trait de caractère aussi largement distribué entre les individus.
Sous-hypothèse 2 : le mensonge. Pour mentir, il faut y avoir un intérêt. La littérature sur le mensonge et la production intentionnelle du déni climatique est maintenant abondante, et les liens entre les intérêts fossiles et la fabrique du doute sont plus que documentés. Mais il est aussi évident que peu de gens, parmi les climato-négationnistes, ont un intérêt matériel direct à défendre et qui les pousserait à mentir. Il va de soi que le Raptor, qui vend ses services de coaching mascu à une communauté à la virilité insecure, a un intérêt tout matériel à brosser ses fans dans le sens de la dénonciation de l’internationale woko-zadiste.
Hypothèse 3 : le déni climatique est une affaire cognitive
L’hypothèse cognitive voire évolutive est la friandise des ingénieurs et scientifiques écolos. Le déni serait la conséquence de l’évolution, c’est-à-dire de nos limites cognitives et un défaut dans la capacité d’adaptation de l’être humain face à un enjeu comme le réchauffement global. Le déni serait la conséquence du « refus de créer de nouvelles connexions neuronales » – selon la chaîne YouTube Limit qui débunke la vidéo du Raptor. Le genre d’arguments développés dans une littérature croissante, et très critiquée, à l’instar des ouvrages de Sébastien Bohler, Le Bug humain : Pourquoi notre cerveau nous pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher.
Il ne s’agit pas ici de contester les apports des sciences cognitives, l’importance des biais de confirmation, de narration, le besoin d’appartenance et d’identification, et tant d’autres dans nos comportements individuels et collectifs. Mais l’explication cognitive est très largement insuffisante pour expliquer la diversité des dénis, leurs différentes formes et ancrages selon les groupes sociaux, la variabilité entre différents individus appartenant à une même classe, un même milieu, une même famille, mais finissant aux deux côtés opposés du spectre, etc.
Par ailleurs, une constante politique, elle, veut que la lecture biologisante du social finit toujours par effacer partiellement ou complètement la dimension politique, sociale et conflictuelle des problèmes : il y aura toujours une « nature humaine » fantasmée qui nous attend quelque part au tournant pour nous dire que ça ne sert à rien d’essayer de changer l’ordre des choses.
Hypothèse 4 : le déni climatique est une affaire politique
Par ailleurs, le déni est un phénomène complexe et polymorphe. Selon le sociologue Stanley Cohen, on peut distinguer trois formes de négationnisme :
littéral, lorsqu’on affirme qu’une chose ne s’est jamais produite ;
interprétatif, lorsque la chose s’est produite, mais qu’on en relativise l’importance ;
implicatoire, lorsque la chose s’est produite, qu’on en minimise pas l’importance, mais qu’aucune action n’est prise en conséquence.
A partir de cette typologie, on se rend rapidement compte que les idéologies produisent la version du déni climatique compatible avec leurs intérêts et leur vision du monde. Ainsi, dans la cartographie politique des dénis :
l’extrême droite se retranche dans le déni littéral et dans le déni interprétatif, tantôt niant l’existence du réchauffement, tantôt relativisant son origine anthropique, ses effets concrets, sa gravité.
les libéraux se cramponnent au déni implicatoire en renonçant de facto à toute action sérieuse pour endiguer le dérèglement climatique, celle-ci se traduisant nécessairement par une menace existentielle pour le capitalisme.
Les frontières sont néanmoins poreuses et mouvantes, et un recentrage sur la version interprétative semble s’opérer : de moins en moins de gens à l’extrême droite contestent l’existence du changement climatique, tandis que de plus en plus de libéraux tiennent des propos relativistes (« qui aurait pu prédire ? »), rassuristes (« on a encore le temps », « les solutions technologiques vont arriver »…), voire opportunistes (« de nouvelles routes arctiques vont s’ouvrir!”) sur le changement climatique.
Ce relativisme ambiant offre un débouché politique commun : pour l’extrême droite, il permet d’adhérer aux faits les plus évidents tout en démontrant la prétendue instrumentalisation de l’écologie par la gauche. En témoignent les incessants aller-retours dans la vidéo du Raptor entre « démonstrations scientifiques » et insultes adressées aux mangeurs de quinoa. De la même manière qu’une partie de l’extrême droite et la droite d’affaires états-unienne continue de faire passer le changement climatique pour une invention des « néo-marxistes », suite à l’effondrement du mur de Berlin. La preuve, le 22 avril, jour de la Terre, est aussi l’anniversaire de Lénine ! Ce n’est pas une blague.
Pour les libéraux, flirter avec le déni interprétatif permet de gagner du temps pour proposer des « solutions » qui ne nuisent pas aux intérêts financiers, quitte à soutenir des discours et des groupes fascisants.
C’est en cela que le déni politique est une affaire profondément politique : il émane structurellement des deux espaces idéologiques qui y ont intérêt. Le déni climatique est le signe d’un conflit entre deux ordres : un ancien, à conserver ou à régénérer, et un nouveau à ériger.
Si le débunk peut être un exercice plus qu’utile face aux formes de doute ou de relativisme produites aujourd’hui de manière industrielle, il reste impuissant à combattre les germes politiques du déni climatique. Face à ces derniers, on ne voit pas d’autre moyen que de relever, encore et toujours, que derrière le rideau du climat et de l’écologie, se joue une guerre des classes que nous n’avons pas le luxe de perdre.
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Ostraciser le sabotage n’a pas rendu service à la lutte écologiste, selon Anaël Châtaignier. L’auteur d’Écosabotage, de la théorie à l’action (Écosociété, 2024) estime que les décennies d’efforts infructueux du mouvement climat ont démontré les limites du militantisme non-violent pour faire face à l’inaction climatique d’État. En parallèle, les rares désobéissant·es se sont heurté·es à une répression immédiate et sans précédent. Pour le militant et docteur en histoire de l’art, un tour d’horizon des précédents historiques du sabotage s’avère nécessaire pour rafraîchir les mémoires collectives et renouer avec une pratique qui, pensée stratégiquement, a fait ses preuves par le passé.
Nous sommes dans une phase intermédiaire de construction du mouvement écologique. J’entends par là la constitution d’un mouvement autonome, radical, et sur la durée, face à un système techno-industriel et ses relais étatiques destructeurs qui nous conduisent dans l’impasse. Un mouvement tel qu’on peut le voir sur la lutte contre l’A69 par exemple, impliquant de nombreux collectifs et sensibilités, avec une conscience de plus en plus forte et une acceptation de la diversité des formes d’action.
Mon propos n’est pas de limiter la dimension créative dans les formes d’action ou dans les manières de faire collectif. Mais on ne va pas non plus réinventer l’eau tiède. Ce que je défends dans le livre, c’est qu’il y a de toute évidence une histoire et des modes d’action qui ont été perdus suite au retour de bâton répressif et au recadrage capitaliste et modernisateur des années 1980-90.
Les sabotages ont été stratégiquement mis de côté et déconsidérés, alors qu’ils existent depuis longtemps et ont fait leurs preuves par le passé. On observe que ces formes d’action sont finalement récurrentes dans toutes les luttes depuis le XIXe et XXe siècle, qu’elles aient été ouvrières, paysannes, décoloniales ou écologiques. L’histoire regorge de gestes porteurs, de modes d’action et de savoir-faire très concrets que l’on peut trouver dans la lutte anti-nucléaire en France, mais aussi dans toutes les luttes décoloniales. Nous recouvrons simplement la mémoire des luttes.
« Alors que la situation se dégrade d’un point de vue écologique et répressif, la conscience de la nécessité de résister, de faire sécession, devient de plus en plus forte »
Ce que je défends dans ce livre, c’est que le sabotage doit-être accepté, ou a minima ne pas être condamné par les collectifs militants impliqués dans une lutte. Ce genre d’action n’a de sens et de pouvoir qu’avec un large soutien populaire, à la fois logistique (pour se protéger, se cacher, trouver de l’aide…) et symbolique. Ce soutien et cette culture de la résistance n’existent pas à grande échelle en France pour l’instant, sinon sous des formes plus sectorisées et autonomes comme sur les ZAD.
Alors que la situation se dégrade d’un point de vue écologique et répressif, la conscience de la nécessité de résister, de faire sécession, devient de plus en plus forte… A l’heure actuelle, l’un des enjeux principaux est de massifier la conscience de l’ampleur du désastre à venir et de l’impasse que constitue le capitalisme d’État. Il faut miser sur le fait que beaucoup de gens en sont conscients mais ne le formulent pas ainsi ou ne sont pas libres de vivre et d’agir autrement.
J’ai écrit ce livre parce que je voulais proposer un argumentaire en défense de l’écosabotage et encourager la discussion, mais également apporter des éléments assez précis et concrets sur le volet technique. Ce livre est nourri par des expériences personnelles de terrain, des kits trouvés sur internet et rarement publiés, beaucoup de discussions, et des lectures aussi. C’est un véritable travail de salubrité militante, un outil à disposition des militants, qu’il s’agisse de militants qui doutent de la pertinence de l’écosabotage et que j’entends convaincre de se montrer solidaires, ou bien de militants qui souhaiteraient concrètement s’y mettre !
Je le souhaite en tout cas ! C’est une bonne stratégie qui fait suite à plusieurs années de remise en question au sein du mouvement climat. C’est le principe même de la stratégie : quand on essaye et que ça ne marche pas, on en reste pas là, on essaye autre chose, ici l’écosabotage. Le principe, c’est de rester mobile et inventif pour finalement faire avancer les luttes et arracher des victoires sur le terrain.
La période composite dans laquelle on se trouve implique beaucoup d’intersectionnalité, de dialogue, d’échange et de mises en commun. On a vu à Sainte-Soline, sur l’A69 et ailleurs une grande variété dans les profils militants : des syndicalistes, des militants écolo, des anar, des ados motivés, des paysans et la confédération paysanne, des élus… Mais il reste beaucoup à faire, comme le fait d’étendre la conviction de la nécessité de se débarrasser à moyen terme du capitalisme. Si on partage le même ennemi, qu’on a tous envie de pousser dans le même sens et qu’on reste vigilants des erreurs passées, qui sait ce qui pourrait arriver ?
Une action de sabotage réussie permet, comme d’autres formes d’action directe, de priver l’ennemi de ses infrastructures de reproduction. Dans le livre, je montre que le sabotage n’a pas la fonction logistique qu’il a pu avoir pendant la Seconde Guerre mondiale et les luttes décoloniales au XXe siècle par exemple, celle de priver l’ennemi de ses moyens militaires et de renverser la tendance. Pour l’heure, l’écosabotage reste essentiellement symbolique car le rapport de force est largement asymétrique. Mais mettre des coups de cutter dans la bâche d’une mégabassine, que le plastique soit facile à changer ou pas, que d’autres mégabassines soient construites ou pas, n’est pas une action inutile pour autant. L’une des fonction de l’écosabotage, c’est aussi de créer une fissure dans le mur de la pensée unique, de donner à voir une libération du champ des possibles, et de redonner du courage aux collectifs.
« L’écosabotage n’a aucun sens s’il n’y a pas derrière un mouvement social qui est motivé pour aller chercher autre chose »
Je me garde bien de présenter le sabotage comme une sorte de solution spectaculaire ultime… Il faut toujours appréhender le sabotage en synergie avec d’autres formes d’action, violentes ou non. Le retour du sabotage implique cependant, pour les collectifs locaux, de considérer et d’estimer la pertinence effective, à la fois stratégique et logistique, à certains moments et dans certaines luttes, de ce moyen d’action.
Par ailleurs, l’écosabotage n’a aucun sens s’il n’est pas inscrit dans une perspective de renversement, et une perspective de renversement n’a aucun sens s’il n’y a pas derrière un mouvement social qui est motivé pour aller chercher autre chose. Par exemple, la propagande par le fait, avec ses attentats anarchistes dans le monde entier à la fin du XIXe siècle, fut un échec stratégique. Sans soulèvement populaire qui suit, on reste impuissant… Nous en sommes toujours à la création des conditions d’émergence d’une vraie organisation collective autonome. Il adviendrait ensuite au mouvement de monter petit à petit d’étapes en étapes, pour arriver à la solidification de collectifs autonomes, capables de se défendre.
Face à la répression étatique qui va continuer de s’exercer, il faut se poser plein de questions et mettre des scénarios sur la table. Il faut aussi réfléchir sur le long terme, concrètement : et si qu’on gagne, qu’est-ce qu’on fait ? Le basculement institutionnel radical qui s’impose ne s’improvise pas ! Il faudra plus qu’une dizaine de groupes clandestins pour mettre sur pied le monde demain…
Crédits illustrations : Anaël Châtaignier
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