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Motus & Langue Pendue - Un journal intime de la société, avec des contenus situés quelque part entre l’art, la discussion entre potes et le journalisme.

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02.07.2025 à 16:52

La rédac

Texte intégral (1982 mots)

Une année sur un média minus avec un ego énorme.

Par Charlotte Giorgi

“Ça y est. J’ai déménagé. 

Je ne vous écris plus depuis mes mythiques 9m2 de meuf instable. 

(Nota bene : je suis toujours une meuf instable, mais j’exerce désormais dans autre chose qu’un placard)

Me voilà de retour extramuros. Pas très loin, juste au bord du périph’. Mais en banlieue quand même. 

Celle que je fuyais. 

Il faut croire que la pollution me va mieux. Que je me fonds mieux dans son décor, gris, en chantier, où quelques herbes s’évertuent à pousser au milieu du béton. Où la vie est ratatinée par les voitures et les éléments. Mais mon appartement a plus que doublé de taille. En banlieue, aussi bien ici que là où j’ai grandi, je fais l’expérience de ce que veut dire vivre une vie à peu près normale. Et depuis, un mot me trotte dans la tête pour qualifier tout ça : me déplier. Pour moi donc, la liberté, la joie, la vie, se construit ici. Dans ces lieux qu’on est censés fuir pour travailler, monter, avancer vers le centre. Et de penser ça, m’a rappelé mes profs du lycée : « pour trouver une problématique intéressante pour vos dissertations, cherchez un paradoxe. » Se déplier est un des plus gros paradoxes que permet notre époque faites de petits tiroirs où se ranger, qui donnent d’autant plus l’envie de vivre un peu de ce désordre, de ces tâtonnements, et de ces chaos de liberté des temps où il faut se réinventer.”

J’aime l’écologie et les chemins bétonnés. Les livres de bell hooks et les hommes un peu macho sur les bords. Je raffole de conversations mesquines avec de bonnes personnes, d’humour noir et de sarcasmes légers, de jolies voix truffées d’insultes et d’énormités dites doucement, de rires gras et d’engueulades où l’on pleure quand on voudrait crier. Les endroits qui me plaisent, même si ça ne plaisait pas forcément en y grandissant, ce sont les endroits où l’on ne lisse pas, où l’on ne conforme pas, où l’on ne s’excuse pas d’être plusieurs choses à la fois. Je viens des endroits où la liberté prend forme humaine et où l’on me rirait peut-être au nez d’écrire ça. Je viens des paradoxes, et je compte y rester, malgré toute la force que notre société met à les combattre. 

“J’viens de là où ça sent la pisse, même si c’est repeint” rappe SCH.

En septembre dernier, j’ouvrais cette 5e saison sur le média avec cet éditoEssorée par l’année qui vient de s’écouler (sur moi, j’ai l’impression – genre comme un gros seau d’eau glacée qu’on m’aurait retourné dessus), je le trouve sacrément bien écrit. On voit que j’avais les yeux en face des trous. Peut-être plus que maintenant. À tort ou à raison. Être à côté de la plaque, ça a parfois du bon pour embrasser ses paradoxes.

Quelques mois plus tard, j’ai retrouvé ma relation toxique et cabossée qui n’en finit pas de ne pas commencer, fait un tour aux urgences psy pour constater que ce n’est pas moi la malade mais la SocIeTeR et perdu mon grand-père sur de la musique classique toute douce dont le mot “deuil” n’arrive pas à absorber l’absurdité.

Quelques mois plus tard, beaucoup de choses ont changé dans ma tête, et dehors le même paysage : Israël qui joue à “c’est celui qui le dit qui y est” pendant que tout meurt sous ses bombes ; des demi-tours prévisibles mais tout aussi lamentables de nos pouvoirs publics sur à peu près tout ce qui concerne le social et l’écologie (A69, taxe Zucman, loi Duplomb,…) ; la presse indé qui galère. Pour les paradoxes on repassera. Bon, on notera quand même un nouveau pape pas facho, l’émergence d’une Theodora superstar plus subversive que l’ensemble des politiciens de gauche, et la résilience de l’équipe de ce petit média alors que la préparation des dossiers de subventions et la refonte de ce site internet nous aura aspiré une bonne partie de nos âmes.

Cette saison 5 nous a donné du fil à retordre, et de plus en plus il faut s’armer d’imagination et de folie pour trouver des paradoxes intéressants dans la logique implacable et déprimante du monde. Cette année m’a semblé lisse, conforme aux pires attentes et léthargies, et pour beaucoup, elle aura été l’occasion de s’engoncer dans des postures morales inefficaces, signe d’impuissance politique, de fatigue militante ou – plus souvent, si on est honnête, de lâcheté. Je m’accroche pourtant toujours à cette idée qu’il faut persévérer à chercher l’endroit de frottement dans tout ce que l’on vit, et lui faire cracher ce qu’il a à poser comme questions utiles. Je suis en train de lire à ce sujet le dernier livre de Claire Touzard, Folie et Résistance et il fait écho à mon propre diagnostic de bipolarité, qui vient de me tomber sur le nez comme une évidence. Plus qu’une collection d’étiquettes, il me semble assez logique que les hérétiques de notre temps se retrouvent sous les loupes de la psychiatrie. Ce que Claire Touzard propose en revanche, c’est d’utiliser ces labels agaçants comme autre chose qu’une pathologie. Comme une force subversive. Comme une résistance intrinsèque, qui se travaille pour ne pas la laisser nous ramollir et nous rendre malades, mais au contraire nous redonner la vitalité que l’époque est en train de nous arracher. 

Un enseignement majeur de cette année : le réel est complexe, toujours subjectif, et souvent inextricable pour les gens qui portent un poil de profondeur politique en eux. Un autre : ce n’est pas parce que les faits sont graves qu’ils sortent de l’ordinaire. Ça n’est pas parce qu’on s’empresse de choisir son camp et ses mots magiques qu’on réfléchit. On utilise le mot “conflictualité” à toutes les sauces, et on se vautre dans la binarité dès qu’on sent les questions inconfortables arriver. Le champ politique n’a pas besoin de notre embarras dégoulinant de bonnes pensées. Il a besoin qu’on tangue, qu’on creuse, qu’on le nourrisse. Et si ces réflexions manquent de concret, c’est aussi parce que l’année en a manqué.

Pour avancer, il va donc falloir laisser derrière nous toute une tripotée d’abrutis qui jouent aux profs et ne vivent rien. Par exemple, ceux qui pensent que tout est simple. Ceux qui prétendent être très au clair sur des questions qui se répètent en partie parce que ces gens-là font semblant qu’elles sont limpides. Nier la complexité d’un monde violent autant que prévisible c’est aussi en être profondément et bêtement complices. Cela dit, l’époque a aussi fait tomber les masques, et on ne va pas se mentir, certaines choses sont limpides : le soutien à un génocide ou les 40° qu’on subit pendant que Jeff Bezos invite ses amis en jet pour le marier en grande pompe à Venise. Paradoxes, encore. Il faut savoir naviguer entre les choses simples qu’on complique et les imbroglio qu’on voudrait lire sans profondeur.

 

Depuis que j’écris sur Internet et ce média que j’aime tant, je connais bien ces endroits border, où tu flirtes avec le danger d’une pensée libre et qui gratte, et le plaisir autant que l’inconfort de rencontrer tes propres contradictions. Je connais ces moments où te sentant couler, tu découvres de nouvelles portes par lesquelles laisser la vie s’engouffrer. Je connais ces conflits, ces ruptures, ces douleurs autant que ces euphories qui élargissent le monde et lui donnent le reflet de plusieurs vérités qui cohabitent. Prétendre porter une parole politique, c’est aussi s’abandonner au contradictoire, tenir grandes ouvertes les portes qui font des courants d’air désagréables, être complet et entier, et surtout assez solide pour gratter derrière la saleté de l’ordinaire. Il faut mettre les mains dans le camboui plus que des mots dans un confessionnal, voilà ce que je retiens de cette année militante à couvrir une actualité qui se délabre autant que le monde. 

Et puis, si je dois me confesser de manière absolue (et vous refiler la patate chaude), j’avoue que je prends une certaine jouissance à ne prêter allégeance à rien ici ; ni au bien ni au mal, à aucune victime ni aucun bourreau, ni à la morale ni même à ma propre vision des choses.

Mais je prends aussi mon pied paradoxal dans la loyauté aux miens, à ceux qui me ressemblent, ceux qui marchent sur le fil et dont les gros rires d’équilibristes font trembler de peur tous les bien-pensants.

Je crois qu’un jour on se rendra compte que tout ça peut cohabiter, et que même, ça doit. Il suffit de penser.

Je me suis demandé pendant longtemps ce qui faisait que je me retrouvais toujours à compagnonner dans les zones d’ombres, avec les tordus. Tous mes plus chers traînent trente casseroles à leurs jolies fesses, et j’ai pris plaisir à décortiquer ces frontières difficiles entre l’acceptable et l’inacceptable, mais aussi entre la folie et le réel dans des textes et des podcasts. Je ne me suis pas épargnée, j’ai tout raconté, des manigances du contrôle aux sincérités des explosions. De l’intimité de ma chambre aux marches vers Gaza.

Je me suis accroché à ce média pour penser, de toutes mes forces. Pour écrire ces folies, ces idées, ces illuminations. S’il faut avoir l’air de se rouler dans la boue pour toucher du doigt l’essentiel des choses à dire, nous serons les vilains petits canards qui laissent des traces de gadoue sur la moquette. À bientôt sur l’internet pirate ! 

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26.06.2025 à 20:22

La rédac

Lire plus (131 mots)

Par Marius Uhl et Charlotte Giorgi

Un épisode de fin d’année hautement politique dans lequel on vous explique la vie et on rage en faisant la leçon à tout le monde.

L’occasion de revenir sur ce manifeste de seumards, et de vous annoncer une très chouette nouvelle! ⤵

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11.06.2025 à 12:46

La rédac

Texte intégral (1854 mots)

Par Charlotte Giorgi

Photo de Kelly sur Pexels.com

Créer des portes d’entrée accessibles dans les questions politiques : un défi en pleine dissolution de l’Assemblée Nationale

Il y a un an, la folie des législatives anticipées, déclenchées par la dissolution de l’Assemblée Nationale par notre fou du bus en chef, Emmanuel Macron, prenait place.

Et balayait sur son passage la sidération et l’apathie.

Contrairement à l’année d’avant, 2023, qui fut celle de soulèvements populaires massifs (soulèvements de la terre, réforme des retraites, révoltes des banlieues après la mort de Nahel,…), la campagne fut une révolte tactique, mécanique, jouant le jeu des institutions. Un an après, les dynamiques importantes soulevées par le Nouveau Front Populaire semblent loin. La sidération poursuit son chemin, et notre seuil de tolérance envers un calme qui est en fait un statu quo violent s’accroît de jour en jour. En face, des milliers, si ce n’est des millions, de jeunes qui errent dans ce monde chaotique et les questions qu’il soulève : qu’est-ce qui est politique ? À quoi se joue mon impuissance ? Quand devrions-nous arrêter d’être calmes ?

Il y a un an, aussi – hasard du calendrier, paraissait un podcast sur lequel nous travaillions depuis des mois si ce n’est des années. Un podcast pour rendre ces questions existentielles aussi sexy que les questions qu’on se pose autour de nos histoires d’amour (ce à quoi nous avions déjà travaillé avec succès autour de notre podcast Disparaître). Alors faire un Disparaître de la politique, c’était le plan. Car les contenus qui partent de l’intime sont des portes d’entrée dans la politique, et qu’il n’y a rien de plus intime que les questions que l’époque contemporaine fait s’élever. Alors à travers le décorticage intime de la trajectoire politique de l’une d’entre nous, nous espérions attraper l’attention des jeunes qui nous ressemblent, créer des chambres d’écho et des caisses de résonance, en partageant nos expériences de rupture avec l’ordre établi mais aussi nos impasses et nos contradictions : c’est ainsi que nous pourrions, peut-être, (ré)apprendre collectivement apprendre la révolte.

Péter un calme, et aussi péter l’entre-soi

S’il y a un podcast qui peut représenter la ligne édito de notre média dans ce monde qui chavire, c’est bien celui-ci. Comme depuis toujours, nous concentrons nos forces sur des contenus qui peuvent briser l’entre-soi des milieux engagés, et permettre à chacun·e de se réapproprier les combats de notre temps. Parce qu’on n’en peut plus du jargon militant et de ne parler qu’à des convaincu·es. Du mépris social et des leçons de morale. Alors on vous invite fort à (ré)écouter ce podcast pensé sur le temps long, à vous l’approprier, et à vous outiller pour mener votre propre trajectoire politique. A nos côtés ?

La génération nan-nan se raconte au micro

« Diam’s a sorti son premier album l’année où je suis née, en 1999 », commence la narratrice. « La chanson dans laquelle elle parle des jeunes de l’an 2000, donc de moi, ne figure pas sur celui-ci mais sur son 3e album, sorti en 2006. J’avais sept ans et pas encore de MP3. Mon MP3, c’est l’année de mes 10 ans. Diam’s, je comprends pas tout ce qu’elle dit. Mais je chante, machinalement. Comme une bonne partie de ma génération. La génération nan-nan. 

Diam’s et les refrains entêtants qu’on fredonne dans la cour d’école en étant ravis du pouvoir de provocation que le rap nous offre, c’est notre premier lien avec la politique. Nous, les gens dont les parents veulent faire le bien mais sont ni de droite ni de gauche et s’en foutent d’ailleurs pas mal. Nous, classe moyenne qui s’en fout et qui va devenir populaire, nous que tout encercle et que rien n’intéresse suffisamment. Trop à faire, et rien à faire du reste. Diam’s c’est mon premier contact avec la politique. 2007, dix ans avant que j’ose dire : ça m’intéresse. Ça m’intéresse, qu’on me dise que j’ai raison d’être en colère, qu’on m’explique pourquoi j’ai une boule dans le bide quand mon père cherche du travail et que ma mère en a marre d’être prof, pourquoi c’est tout le temps la crise et comment on fait pour échapper  au pire. Si tu travailles mal à l’école, si tu crois ce que tu lis sur Internet, si tu jettes ton chewing-gum par terre, si tu dis « putain », si tu regardes trop la télé, si tu respectes pas les règles que tu comprends pas encore : le pire. Personne sait exactement ce que c’est le pire. Mais ça aussi, c’est un premier contact avec la politique. Ce qui m’intéresse : échapper au pire. Pour le meilleur, on verra plus tard. 

Ça fait plusieurs années que sur le média, on produit un podcast autour de l’amour. Ça s’appelle Disparaître, et ça marche super bien. C’est facile parler d’amour, parce qu’on dirait pas qu’on parle de politique. Et la politique, même si c’est ce qui m’intéresse, tout le monde sait qu’il faut pas en parler. C’est malvenu. « Tu votes pour qui toi? ». Personne dit ça. Ou bien « ce serait bien que les hommes arrête de violer », en plein repas, bah non. Alors que l’amour, ça intéresse tout le monde. L’amour, j’avais pu en parler avec n’importe qui. Personne ne serait senti en position de dire à l’une de mes meilleures amies enregistrées pour l’occasion : « tu n’es pas assez experte ». « Pas assez spécialiste ». On est toustes spécialistes de notre propre vie. Ce que j’ai fait pour l’amour, je veux le faire pour la politique. Faire parler nos vies, faire raconter nos tripes. Me permettre d’interroger. Faire en sorte que l’étincelle que la vie a allumé chez moi, par tout un tas de mécanismes qui me prédestinait plus ou moins à parler d’où je parle aujourd’hui, embrase d’autres feux. On a besoin de feux. Qui réchauffe qui a besoin, et qui brûle ce dont on n’a pas besoin. 

De la banlieue décrépie où j’ai grandi, aux couloirs de Sciences Po Paris, des actions de désobéissance civile écolo aux manifs des gilets jaunes, de la création d’un média indépendant jusqu’aux recours devant le conseil d’Etat, mes propres privilèges, ma chance, la trajectoire de ma vie ont fait de moi un témoin privilégié du fonctionnement politique des choses, du monde, de nos vies. J’ai appris beaucoup, d’espoirs en désillusions, et ça ne sert à rien si ce n’est pas partagé. Difficile de vous dire que je compte vous partager ma vie, aussi jeune que je sois, en un podcast de six épisodes. Il s’agit plutôt de retracer un chemin qui pourra faire écho aux vôtres, le chemin d’une vérité, la mienne, à propos d’une époque, la nôtre, et comment elle pourrait faire écho plutôt que de rester ratatinée à l’arrière de ma tête. Je crois que quand les échos sont assez nombreux et solides et touchants pour constituer un brouhaha, ça s’appelle une révolution. Et j’aspire à rien de moins ambitieux que ça : une révolution. 

Commençons par faire les présentations. Y’a quelques personnages important dans mon histoire, dans la nôtre. Le premier, c’est l’époque. La sale époque. Je suis une enfant des années 2000, je n’ai jamais vécu autre chose que la crise. Tout est moins bien qu’avant, à ce qu’il paraît. Et plus tard ça pue. Je ne pourrai probablement jamais m’acheter une maison, ni vivre un printemps qui ne soit ni l’hiver ni l’été mais un vrai entre-deux. En politique non plus, il n’y a plus d’entre-deux, à supposer qu’il y en ait jamais eu. Je n’ai pas connu d’élections où l’extrême-droite ne menaçait pas et j’ai grandi avec des plateaux télé qui mettaient l’extrême-gauche dans le même sac. Droite ou gauche, pour moi ça ne veut rien dire. »

 

https://anchor.fm/s/f7bd42f8/podcast/rss

 

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09.06.2025 à 21:18

La rédac

Texte intégral (1733 mots)

Depuis cette nuit, des rassemblements sont organisés partout en France et dans le monde pour demander la libération et la protection de ces courageuses personnes qui n’ont fait que mettre en lumière la facilité avec laquelle un état génocidaire s’assoit sur les droits humains. En plus de commettre un génocide largement reconnu – le premier de l’Histoire humaine qui soit diffusé en direct sur les réseaux sociaux, l’Etat d’Israël nous crache dessus en faisant de ses pratiques coloniales fascistes la nouvelle loi internationale. L’inversion des valeurs est totale : l’acheminement d’aide humanitaire devient un crime, et les activistes deviennent les terroristes. Le collectif Urgence Palestine est toujours sous menace de dissolution, et le président renonce à la reconnaissance de l’Etat de Palestine, qu’il avait un temps brandi comme un paravent à son inaction déprimante. Pourtant, le récit de cette arrestation du Madleen (le nom du bateau affrété par la flottille) tel qu’il est fait dans les grands médias nous semble faire l’impasse sur des informations qui sont souvent questionnées sur les réseaux sociaux.

Voici un condensé de réponses qui seront mises à jour au fur et à mesure de l’avancée de la situation : 

  1. Ça sort d’où cette Freedom Flottilla, ils en profitent pour faire leur com’ ou quoi?

Des flottilles sont affrétées depuis 2008 pour accoster à Gaza qui est sous blocus illégal depuis 2007.

L’Humanité rappelle ainsi ce matin : « en 2010, l’attaque du Mavi Marmara par des commandos israéliens avait fait neuf morts, révélant, déjà, la brutalité d’un État prêt à tout pour maintenir son emprise coloniale. Quinze ans plus tard, l’histoire bégaie, même si cette fois-ci, aucun militant n’a été blessé, ni tué fort heureusement. »

Le site de la Freedom Flottilla
  • Pourquoi 12 occidentaux attirent plus l’attention que le génocide d’un peuple entier ? 

Parce c’est sur nos propres complicités qu’il faut attirer l’attention. Sur nos indifférences, nos apathies et nos angoisses privilégiées mal dirigées. Les palestinien·nes n’ont pas besoin de nous pour se défendre, leur résistance s’organise depuis des décennies et inspire de nombreuses luttes. C’est donc sur notre capacité à accompagner cette résistance et à empêcher l’impunité de notre Occident que l’attention se focalise. Logique, finalement. Les Gazaoui·es ont autre chose à faire que de quémander notre attention.

  • Un petit bateau n’aurait pas pu ravitailler 2 millions de Gazaoui·es affamé·es 

Non, et c’était bien clair dès le départ de la flottille. Rima Hassan, Greta Thunberg, les journalistes et humanitaires à bord de ce bateau ont concentré l’attention médiatique dans l’espoir que cette pression populaire permette de créer une brèche dans la machine à affamer génocidaire. Une brèche dans laquelle le reste de l’aide humanitaire pourrait s’engouffrer, car chaque convoi, chaque cargaison sauvent des vies. Notre rôle n’était pas d’espérer sauver le monde, mais d’être à la hauteur de cette brèche.

  • L’issue était déjà connue : tout ça ne servait à rien 

 

La flottille est la figure de proue de nos révoltes collectives. Avec des personnalités diplomatiquement et médiatiquement importantes, elle peut faire paratonnerre pour la suite, mettre en lumière l’impunité d’Israël de manière limpide et schématique. Et qu’importe l’issue, n’importe quelle tentative pour apporter de l’aide à une population génocidée est loin d’être vaine. Elle rappelle qu’on essaiera tant qu’il faudra, peu importe l’issue, car c’est ce qu’on appelle la « dignité du présent ». Il ne s’agit pas de « servir à quelque chose » : à ce stade il s’agit de savoir comment vivre notre court laps de temps sur terre sans se couvrir de honte.

  • C’était pour le buzz de toute façon

Bien sûr que c’était pour le buzz : le buzz et la pression populaire sont le seul bouclier des activistes palestiniens face à un génocide live stream. Le buzz est un moyen, la fin étant d’apporter n’importe quelle aide possible au peuple palestinien, de mettre à mal l’impunité d’Israël et de forcer les pouvoirs diplomatiques – seuls en capacité de faire quelque chose de militairement contraignant – à se mobiliser. 

  • Rima et Greta sont nos martyres 

 

Non, ici on ne glorifie pas le sacrifice de militants. Que l’impuissance nous pousse à trouver du réconfort dans cette bravoure est humain, pour autant c’est collectivement et en  protégeant les voix qui portent d’une répression sans vergogne que nous sommes les plus efficaces dans la lutte. Greta et Rima ne devraient pas avoir à être des hameçons humains pour que les idiots utiles de l’époque commencent à se poser des questions. Leur courage nous oblige à ne pas les sacrifier pour avoir bonne conscience.

  • Greta est écolo, rien à voir 

 

>> cf Oïkos x Urgence Palestine 

  • Israël ne fait rien de mal : il va juste renvoyer les activistes dans leur pays d’origine 

 

Mais commençons par le début : de quel droit Israël arrête et détourne un bateau humanitaire dans des eaux internationales ?

Eh oui, c’est ça la question qui devrait être posée sur toutes les radios.

Arrêter et détourner un bateau c’est de la piraterie. Empêcher l’accès à l’aide humanitaire est un crime contre l’humanité. Détenir en captivité des activistes, c’est une prise d’otages. Exterminer un peuple entier après des années de colonisation, c’est un génocide. Les mots importent, renversons-les : les criminels sont les armées israéliennes et leurs complices. Le silence est non seulement une lâcheté mais un crime. Pour rappel, Netanyahu est sous mandat d’arrêt par la cour pénale internationale. 

  • C’est fini maintenant, les activistes vont rentrer 

 

Israël aurait eu peu intérêt à ce que l’arrestation des activistes et du Madleen ait été violente : d’où les images tranquilles, la distribution de denrées et la coupure des communications ensuite. Mais si les activistes ne sont pas tués, rien ne peut les protéger des geôles et tortures israéliennes, ni de « dérapages » loin des caméras. Nous sommes les porte paroles, non seulement de ces 12 activistes, mais aussi de toutes les voix qu’Israël fait taire. On a la démonstration des méthodes en direct, sous nos yeux. 

  • C’est pas si grave 

 

C’est sûr. Pendant ce temps, le génocide se poursuit, et un enfant est blessé ou tué toutes les 10 minutes à Gaza (source : UNICEF). Mais qu’une élue de la République, membre du Parlement Européen ne passe ne serait-ce qu’une minute en détention sans aucune justification de droit international et en plein crime contre l’humanité, alors qu’on n’a plus de ses nouvelles depuis bientôt 24h et que son bateau a été détourné par une armée qui bafoue le droit international ; cela sans la moindre réaction du Président de la République ou des pouvoirs en place, est un signal d’alarme qui confirme notre lucidité : ce n’est pas de l’impuissance politique, c’est un alignement des gens de pouvoir sur la ligne de la complicité. 

Nous n’attendons rien d’eux mais ne cesserons pas de leur demander. Nous assistons à un génocide et nous nous mobilisons pour 12 activistes emprisonnés. Nous sommes sans-voix et nous allons crier. Nous combattons le fascisme des temps modernes, qui s’étend au-delà du visible. Nous n’agirons pas parce que nous savons que nous aurons la victoire, nous faisons simplement ce qui est juste. Nous ne lâcherons pas des yeux ce qui se joue. 

Libérez la Palestine, laissez la Freedom Flottilla naviguer. 

Notre média est à disposition. 

 

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09.06.2025 à 16:24

La rédac

Texte intégral (2936 mots)

Par Charlotte Heyner et Soldat Petit Pois

Damiens Nicolas se présente comme un étudiant-activiste de la justice environnementale. Il est l’un des membres fondateurs de l’Observatoire Terre-Monde. À 24 ans, il a grandi en Guadeloupe puis a fait des études de philosophie et de science politique à Paris et se spécialise aujourd’hui sur les questions de coopération internationale en matière d’environnement.

C’est quoi l’écologie pour toi ? – parcours et déclic

Si le fait d’avoir grandi en Guadeloupe l’avait déjà sensibilisé à l’écologie, c’est alors qu’il fait ses études à Paris que Damiens la conceptualise pleinement comme une question politique. 2017 a été, à plusieurs titres, l’année du déclic : d’abord, parce que cette année-là, la Guadeloupe et les Caraïbes sont frappées par deux ouragans majeurs qui ont été très destructeurs. Damiens souligne combien, au-delà des catastrophes en elles-mêmes, c’est la gestion de celles-ci qui se révèle particulièrement traumatisante. Il réalise alors combien les questions autour de la vulnérabilité aux risques climatiques (particulièrement aigus dans les territoires insulaires) et de la gestion de ces risques sont politiques.

La même année, en métropole, on organise des marches du climat dans lesquelles il ne peut pas s’empêcher de percevoir un décalage : les personnes les plus exposées aux risques climatiques ne sont que peu représentées dans les cortèges et les discussions. Les questions restent très théoriques, tandis que lui a déjà vécu la réalité de ces risques. 

“Quand je suis arrivé à Paris, la jeunesse qui parlait d’éco-anxiété, de justice climatique… il y avait quelque chose d’assez théorique, qu’elle ne vivait pas encore. […] Je sentais que j’avais déjà vécu quelque chose et qu’il n’y avait pas de discours en matière de justice climatique, d’écologie qui était proposé pour les territoires aux Antilles.”

C’est aussi à cette période que s’organisent différentes actions autour de la judiciarisation de l’affaire du chlordécone, scandale sanitaire qui a eu une grande visibilité et un fort impact pour conscientiser les territoires ultramarins sur les questions environnementales et les différentes approches de lutte possibles, notamment juridique.

En 2019, alors qu’il est étudiant en philosophie, il voit paraître le livre de Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale et c’est un déclic. Avec l’association des étudiants d’Outre-mer à la Sorbonne (Sorb’Outremer), il réalise qu’il faut travailler cette question de l’écologie, car les territoires ultramarins ne sont pas suffisamment pris en compte lorsqu’on parle d’écologie en France, alors même que ce sont des régions qui ont une histoire de violence environnementale très ancienne tout comme une biodiversité très riche. En effet, selon l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), 80% de la biodiversité française se trouve dans les Outre-mer, notamment en Amazonie, dans les mangroves ou encore dans les lagons polynésiens. 

“C’était un rapport très instrumental à la chose de l’écologie en Outre-mer, sachant que souvent les populations des Outre-mer sont exclues quand on parle d’écologie, dans le sens où on va leur dire : vous, vous ne vous en préoccupez pas, c’est pas un sujet qui vous intéresse, c’est pas votre domaine. Pourtant, on observe des pratiques : moi, j’ai vu ma grand-mère avoir des pratiques, des gestes écologistes.”

C’est dans la lignée de cette volonté de travailler l’écologie depuis les Outre-mer, en sortant de cette approche instrumentale, que Damiens participe avec Malcom Ferdinand à la constitution de l’Observatoire Terre-Monde. Mais avant de revenir sur l’Observatoire, Damiens fait le point sur les mots qu’on utilise pour parler de l’Outre-mer.

DROM, COM… qu’est-ce qu’on appelle l’Outre-mer ? 

L’Outre-mer, c’est d’abord un terme qui renvoie directement à l’histoire coloniale de ces territoires : il servait à désigner les conquêtes et possessions situées au-delà de l’océan, au-delà des côtes françaises européennes. Aujourd’hui, il existe plusieurs statuts d’Outre-mer qui correspondent à la manière dont ces territoires ont été intégrés à l’ensemble national français au moment des décolonisations. On distingue ainsi les départements et régions d’Outre-mer (DROM, dont font partie les Antilles, la Guyane, La Réunion) et les collectivités d’Outre-mer (COM, comme par exemple la Nouvelle-Calédonie, St Pierre-et-Miquelon, la Polynésie…), auxquels il faudrait ajouter les Terres australes et antarctiques françaises, territoire sui generis, non-habité mais très important pour l’observation scientifique.

Comprendre le millefeuille administratif des Outre-mer, c’est étudier « comment le colonialisme a cherché à structurer les indépendances, à répondre aux attentes de la décolonisation » souligne Damiens. L’ONU distingue trois voies possibles de décolonisation : l’indépendance complète, l’association avec l’ancien pays colonisateur ou l’intégration à celui-ci.

En ce qui concerne la France, lorsque les anciennes colonies ont été assimilées juridiquement à l’ensemble du territoire national républicain (par la loi de 1946), ils le sont sous différentes modalités. Les DROM suivent un principe d’assimilation et vont être complètement intégrés à l’ensemble national, sous le même régime administratif que les départements de la métropole tandis que les COM vont garder des spécificités plus importantes, avec par exemple des institutions propres comme des Sénat particuliers.

On a donc deux trajectoires principales : l’assimilation administrative pour les DROM et la spécialisation législative du côté des COM. En corollaire, les DROM sont pleinement intégrés à l’Union Européenne tandis que les COM ont un statut spécifique de « pays et territoires d’Outre-mer européens ».

Damiens a aussi souligné combien les mots employés pour parler des Outre-mer sont significatifs à travers l’exemple du terme « population ».

“Avant la réforme constitutionnelle de 2005, on parlait de « peuples d’Outre-mer» et après 2005 on est passé à « populations ». C’est pas sans arrière-pensée : il y a quand même cette idée que, auparavant, notamment sous Mitterrand, il y avait l’idée que ces Outre-mer-là allaient vers une trajectoire de décolonisation que la France accompagnait, […] dans le sens d’une indépendance, dont la Nouvelle Calédonie. Ça a été le cas notamment des accords de Nouméa. […] Ça pose la question de : est-ce que l’assimilation est une véritable décolonisation ? On voit le manquement de la République à pouvoir assurer certains droits sociaux, économiques, l’égalité sur plein d’aspects. 

Le simple fait de parler de “population” plutôt que “peuples” c’est très critique. Par “population” on mélange tout, tandis que quand on dit le peuple martiniquais, le peuple kanak, le peuple guyanais,… indirectement on voit l’idée que la France est un territoire plurinational, que la France comporte peut-être une seule nation mais plusieurs peuples. Et ça c’est très politique parce que ça questionne l’unité et l’indivisibilité de la république.” 

L’Observatoire Terre-Monde, centre d’étude des écologies politiques des « Outre-mer » et de leur proche région

Alors qu’il travaille sur une série d’articles avec l’association des étudiants d’Outre-mer de la Sorbonne, Damiens rencontre Malcom Ferdinand. Ce dernier cherche alors à constituer un réseau de chercheurs et d’activistes pour travailler la question de l’écologie dans les Outre-mer, depuis les Outre-mer : c’est ainsi que va naître l’Observatoire Terre-Monde, constitué à l’été 2020, avec la volonté de « mettre en lumière la diversité des enjeux d’écologie inhérents aux territoires d’Outre-mer et de repenser collectivement nos manières d’habiter la terre et de vivre ensemble. »

“Pourquoi un observatoire ? Parce qu’il y avait des chercheurs mais qu’on ne voulait pas avoir une approche de recherche de type laboratoire. On voulait avoir une approche à la fois décentrée et de ce qu’on appelle « recherche-action ». C’est la recherche qui se fait en interaction avec les acteurs concernés par ces domaines d’études, c’est-à-dire que les résultats de recherche reviennent aux personnes qui sont elles-mêmes l’objet de cette recherche et qu’on n’est pas objet de cette recherche mais sujets, acteurs aussi, ensemble.”

         L’OTM a vocation à constituer un lieu d’étude, d’action, de diffusion de recherche et de connaissance autour des enjeux écologiques propres aux Outre-mer et à leur proche région. Concrètement, il s’organise autour de cinq pôles : un pôle Recherche, un pôle Documentation (pour centraliser les recherches et faire en sorte qu’elles restent sur ces territoires, le centre d’archives des Outre-mer étant situé à Aix-en-Provence), un pôle Veille (veille d’actualités et veille scientifique), un pôle Éducation/Sensibilisation, et un pôle Plaidoyer (qui s’occupe des questions juridiques, mais aussi parfois d’écrire des tribunes, par exemple sur la question de l’eau à Mayotte, ou, plus récemment, sur le cyclone Chido).

Damiens détaille le nom de l’organisation : Observatoire Terre-Monde (centre d’études des écologies politiques des « Outre-mer » et de leur proche région). Le pluriel d’écologies politiques est important : il réunit les différentes approches représentées, aussi bien côté sciences naturelles que sciences sociales pour penser l’environnement. La notion de « proche région » aussi, car il ne faut pas imaginer les territoires ultramarins comme des territoires isolés, figés dans l’espace. Ils s’inscrivent dans des contextes régionaux riches et significatifs. La Guyane, par exemple, est environnée par le Surinam, le Brésil, l’Amazonie.

Quant au nom Terre-Monde, il s’agit d’une référence à la pensée du Tout-Monde chez Edouard Glissant, écrivain, poète et philosophe martiniquais majeur. Pour Glissant, cela renvoie au concept de créolisation et à ces territoires qui se sont mondialisés à travers la violence. Ce sont ces peuples qui se sont rencontrés et mélangés via des rapports violents, la traite négrière, l’esclavage et les génocides, l’arrivée de travailleurs forcés, mais aussi la manière dont aujourd’hui, ils revendiquent une identité spécifique. C’est la pensée politique de comment on fait peuple, avec l’idée que quand des peuples se rencontrent dans un contexte spécifique, ils vont créer quelque chose qui n’existait pas auparavant et qui n’est pas prédictible.

“Cette obsession qu’on a souvent sur l’origine des peuples… souvent on se dit que pour survivre, pour décoloniser son territoire il faut revenir à l’origine. Pour Glissant, l’origine a un poids mais le plus important c’est comment on se concentre sur le destin, comment on avance de manière commune, comment on pare le trauma initial de l’esclavage, de la colonisation, comment on décentre ça pour ensuite arriver à un destin commun […], à un peuple qui arrive à se réunir par-delà de ces traumas.”

“La créolisation c’est comment 1+1 vont donner 3, pas 2.”  

Colonisation, créolisation, identité… quel lien avec l’écologie ?

Pour les Outre-mer, les rapports de domination de la nature qui sont encore très présents aujourd’hui datent de la colonisation. La créolisation renvoie à cette rencontre violente qu’a été la colonisation, rencontre entre des peuples mais aussi rencontre entre des manières de se rapporter au vivant. C’est notamment la colonisation qui va diffuser le concept de propriété de la terre, ou encore la hiérarchisation des espèces en fonction de leur degré de rentabilité pour maximiser la productivité. 

La notion que l’humain, la civilisation se définissent par opposition à la nature va s’imposer. Plus un peuple est proche de la nature, plus il va être considéré comme sauvage. À l’inverse, plus on va s’éloigner de la nature, par la médiation de techniques, plus on va s’approcher de la culture, de la civilisation, de l’humanité : une philosophie que les Lumières vont revendiquer et diffuser. Le vivant est considéré de manière mécaniste : les sciences naturelles l’étudient froidement pour en comprendre les lois, afin que l’esprit humain puisse le dominer.

C’est cette conception de la nature qui fonde le rapport extractiviste qu’on connaît aujourd’hui, notamment dans les Outre-mer. Le niveau d’industrialisation actuel, le niveau de vie que nous avons, renvoient à ce rapport extractif qui crée des échanges socio-économiques et environnementaux inégaux au niveau mondial :

“Le niveau d’industrialisation qu’on a aujourd’hui est l’équivalent du niveau d’extraction que les métropoles ont vis-à-vis des colonies.”

“Le fait qu’on ait cet appel via zoom, pour ça, il faut avoir de l’énergie, les hydrocarbures nécessaires, et en fait, derrière ça il y a de l’extraction qui se fait vis-à-vis de certains écosystèmes, et pas n’importe quels écosystèmes, pas n’importe quelles terres, pas n’importe quels peuples.”

Damiens explique que ces peuples, confrontés à la mise en place de méga projets extractivistes, voient leur mode de vie bouleversé par le changement de leur espace, ce qui crée un fort déséquilibre dans les communautés.

“On crée un manque parce que comme ils ne peuvent plus reproduire leur mode de vie, ils sont obligés de se rapporter à ce nouveau mode économique. Par exemple, ils vont devenir des travailleurs sous-payés dans les mines, ça va exposer les femmes et les enfants à des violences, parce que ça crée au sein des tissus communautaires des violences, des frustrations, ça renforce des mécanismes de violence.”

La notion de créolisation permet aussi de comprendre que la constitution d’une identité spécifique passe aussi par la manière de se rapporter à la terre, au vivant qui nous environne. L’anthropologue Arturo Escobar note bien que, lorsqu’il identifie des communautés locales, celles-ci se rapportent toujours à leur espace, à leur rapport au vivant. On ne lutte pas uniquement pour ses droits sociaux et politiques mais plus largement pour le droit d’habiter sur une terre, dans de bonnes conditions de vie, et pour que les générations futures mais aussi les autres espèces puissent aussi y vivre.

Toutes les informations et références de cet article sont tirées des explications de Damiens Nicolas, dans “L’écologie “outre-mer” : remettre en question l’écologie métropolitaine, avec Damiens Nicolas de l’Observatoire Terre-Monde”, Oïkos, saison 5 épisode 14, 20 janvier 2025.

Références abordées par Damiens:

Deleuze, Gilles et Guattari, Félix, Mille Plateaux, Editions de Minuit, 1980

Escobar, Arturo, Designs for the Pluriverse: Radical Interdependence, Autonomy, and the Making of Worlds, Duke University Press, 2018 [Autonomía y diseño: la realización de lo comunal, Tinta Limón Ediciones, Buenos Aires, 2016]

Ferdinand, Malcom, Une écologie décoloniale – Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Seuil, 2019

Glissant, Édouard, Traité du Tout-Monde, Gallimard, 1997

Glissant, Édouard, Poétique de la relation, Gallimard, 1990

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04.06.2025 à 07:00

La rédac

Texte intégral (2633 mots)

– ou du besoin de faire de la politique plus que de la morale 

Par les rédactions de Motus & Langue Pendue et Combat

Une sale époque et le vide de la pensée en réponse. 

Pour certain·es c’est la fin du monde, pour d’autres la décadence est une fête. 

Certain·es y gagnent, beaucoup y perdent, et finalement, peu y pensent vraiment. 

Ce qui est sûr, c’est que nous vivons des temps troublés. 

On y trouve tout ce que les libéraux et les alliances mortifères de ces dernières années ont déterré de plus misérable dans les poubelles de l’Histoire : des saluts nazis, des lanceur·ses d’alerte inculpé·es pour dénonciation de génocide, des récits tordus, mis en pièce ou décontextualisés, du vide, de la panique morale, de la lâcheté politique. 

Nous qui avons grandi dans un monde qui se dérobe sous nos pieds, nous devons donc non seulement affronter la pile de crises qui s’entassent sur nos épaules, mais aussi constater que nos résistances politiques sont gangrenées par le vide de la pensée. Ce qui devrait nous faire sursauter nous laisse pourtant dangereusement apathiques. 

Nous, petit collectif de médias et militant·es qui sursautons, voulons donc prendre le temps de rappeler ici :

  • que l’esprit critique se cultive et qu’il est urgent de ne pas le laisser se rabougrir dans les poncifs, 
  • que les solidarités se tissent et qu’en ce moment elles s’effilochent, 
  • que d’honnêteté intellectuelle ou de conflictualité politique saine il n’est plus question, alors que c’est de cela dont nous sommes assoiffés – et la soif nous fait dormir. 

Faire le pacte des malpoli·es. Ou de l’urgence de maintenir les portes du débat public grandes ouvertes.

Nous vous proposons donc un pacte : celui de briser le monopole des récits d’actualité (monopole détenu par des idéologues réactionnaires comme par des humanistes moraux qui se vautrent dans les discours sans les penser) et de maintenir grandes ouvertes les portes du débat public à celles et ceux qui entendent se réveiller et résister intelligemment. 

Depuis des lustres, nous marmonnons entre nos dents qu’il faut s’engueuler, être mal-polis, rentrer dans le lard. Mais nous n’avons pas la place de le faire! 

Les entre-soi, les caresses dans le sens du poil, les copinages, les ramollissements, nous en empêchent. En ce qui nous concerne, nous pâtissons de nos petites tailles et de nos marginalités. Pourtant, ce sont les marges qui servent à secouer les centres de gravité, et à les empêcher de devenir des poids morts. Or l’année 2025 nous a semblé être un sacré poids mort dans nos trajectoires politiques. Que s’est-il passé ? Est-ce que nous dormons ? 

Jour après jour, nous faisons le constat que nous battre devient de plus en plus compliqué, y compris au sein de nos propres milieux et cercles idéologiques. Nous avançons de plus en plus difficilement, sous les airs moqueurs des plus gros médias, des voix qui portent déjà et ne se renouvellent pas, ou de celles qui prônent la positivité à tout crin, la neutralité, l’apolitique – et qui nous désactivent. Nous comprenons la fatigue que peut susciter un débat public virulent et une pensée qui reste critique, mais nous sommes davantage fatigué·es par cette atmosphère de pré-défaite idéologique

Lutter, sans faire de bruit ni demander de comptes, pour ne pas déranger l’ordre des choses, c’est ce à quoi nous semblons condamnés. Non seulement ce monde nous écrase sous son poids, mais en plus, il exige de nous que nous ne troublions pas sa paix en le mettant en question autrement que superficiellement dans des débats de salons ou sur de petits blogs obscurs que plus personne n’a le temps de parcourir. 

Alors, qui sommes-nous pour exiger mieux ? 

Depuis que nos médias précaires existent, nous avons pris la parole en lien avec des organisations militantes diverses, parce qu’au-delà d’une reprise de pouvoir stratégique sur nos destins communs, il nous est à tous insupportable de nous taire. Nous avons donc rejoint le grand et joyeux monde des « médias indépendants », ce terme qui ne veut plus dire grand-chose au fond. Nous écrivons, parlons, débattons, et surtout : nous entretenons savamment un seum qui nous dévore quand il pourrait servir à réveiller cette gauche lasse et molle. Le seum qu’on nous claque la porte au nez, et avec elle la possibilité de jouer notre rôle de trublions

Pour parler de chez nous, le merveilleux monde des indés n’échappe pas aux logiques qui empêchent la pensée. Aux entre-soi qui abrutissent et aux petits manèges de pouvoir et de flatteries qui donnent de l’eau à un moulin qui tourne à vide ou commente l’époque au lieu d’y prendre part. Nous, petits parmi les gros indés, nous avons aussi été témoins d’une machine à broyer la solidarité qui a gangrené notre milieu, reflet des souffrances d’une gauche en proie à l’auto-destruction débile, sous prétexte d’évidences, de complicités faciles ou de faux caractères subversifs. La course à qui sera le plus moral d’entre nous n’a pas abouti à l’efficacité de notre camp politique mais au contraire à son surplace. Nous avons confondu posture et activisme.

Mais, force est de constater que nous sommes encore là : les bras ballants, et les tripes en feu. Un constat nous est donc commun : il faut faire quelque chose de ça tant que faire se peut. 

Les médias Motus & Langue Pendue et Combat sont les premiers seumards d’un collectif qui a vocation à s’élargir d’autres aigris.

Chacun de notre côté, avec nos spécificités et nos outils, nous avons construit des collectifs à échelle humaine, sans appui financiers ni sociaux, sans célèbre tête d’affiche, sans réseaux, sans diplômes et sans salaires. Nous l’avons fait pour nourrir l’époque de questionnements, car nous sommes convaincus qu’apporter des réponses nous dessert plus que de continuer à poser les questions. Nous l’avons fait pour continuer à abreuver le monde de propositions véritablement indépendantes, pour relayer des paroles dont la carrière, la réputation ou le réseautage ne conditionnent pas le contenu, qui ne sont pas influencées par qui sont nos amis ou quel coup d’éclat verbal nous planifions sur Twitter.

Nous avons une responsabilité : celle de chahuter le débat public 

Cela fait de nous des rebelles, des vilains petits canards, des cancres, des impubliables, des inaudibles. Inaudibles car nous avons constaté que les « médias indépendants » ne le sont pas tant que ça, que les militant·es stars le sont sur des questions que d’autres ont défrichées pour elles et eux et au-delà desquelles ils s’aventurent rarement. 

Que l’on s’entende bien : de tels médias et cercles politiques (plus visibles, lisses, consensuels) sont probablement, sur le fond, nos ami·es et nos allié·es, et il nous en faut pour murmurer à l’oreille du grand public. Mais pour nous assurer qu’ils le soient, ami·es et allié·es, il est de notre responsabilité de leur rappeler que la forme et la matérialité de notre contre-pouvoir compte aussi. N’est pas subversif qui veut, hélas. Il est de notre responsabilité, en d’autres termes, de les chahuter, et de s’imposer à la table bien fermée des discussions pour éviter qu’ils s’endorment.

Cela étant dit, parce que nous ne faisons pas les choses dans les règles de l’art avec la posture qui va avec (celle du sérail) et la réput’ qui grossit nos egos, nous avons été confrontés à des fin de non-recevoir, des portes closes, de la cooptation, des renvois d’ascenseur et des opportunités bien confidentielles desquelles nous étions soigneusement écartés. Nous avons constaté que nous étions dans l’incapacité de déranger ce monopole tranquille de la gauche parisienne et bourgeoise qui ne remarque plus que le soleil ne se lève et ne se couche pas dans son trou du cul. 

Appel à rejoindre notre contre-soirée : un collectif de seumards

Ce manifeste a donc pour but d’acter la naissance d’un collectif de seumard·es. 

Aigri·es, pros du système D, farouchement asociaux face à ce monde de petits pouvoirs cooptés, nous décidons de créer un réseau d’entraide, de chahutage et de partage de bons plans, pour que les paroles sincèrement indépendantes puissent se doter des moyens de survie que personne ne veut leur accorder. 

Au-delà de grands discours sur l’état de l’art dans la presse, nous nous engageons à : 

  • Nous donner une visibilité mutuelle, en partageant, recommandant, défendant le travail de nos camarades du collectif 
  • Nous faire profiter des opportunités qui nous sont habituellement défendues : invitations, prises de paroles, emplois, subventions – via une mailing list d’informations partagées et auto-gérée et surtout transparente 
  • Nous secouer mutuellement, sans fuir la conflictualité ou les questions qui fâchent, lorsque la morale de surface ou l’ego prendront le pas sur nos missions médiatiques 
  • Mutualiser les moyens de production : échanges de matériels / locaux, évènements communs, échanges de pratiques,… 
  • Continuer à poser à nos camarades les questions qu’on ne se pose plus en interne au sein de chaque média 
  • Défendre de manière générale la nécessité de la conflictualité et de l’inconfortable en politique 
  • Lutter contre une pureté militante bête et méchante, et pour une politisation des enjeux qui traversent aussi nos orgas, et donc prendre le temps de discuter des conditions matérielles d’existence de nos médias ainsi que de leurs modes d’organisation – reconnaissant ainsi qu’ils conditionnent beaucoup de choses 
  • Organiser des cercles de parole du seum régulièrement autour de verres ou de repas chauds, pour que l’aigreur et la rancœur face à l’impuissance politique soient rendues efficaces et pertinentes et ne rabougrissent aucune de nos initiatives.

Nous serons les trouble-fête, car notre marginalité nous le permet

Nos positions et nos alliances feront de nous des trouble-fête, des fauteurs de trouble. Des chouineur·es jamais contents ou hystériques.

Alors nous voudrions poser ici cela : nous acceptons de l’être. Pire : nous défendons les trouble-fête, des enquiquineurs aux révolutionnaires. Nous pensons qu’à l’heure où l’espace de discussion médiatique et politique, l’espace de tolérance et de remise en question, tous se rétrécissent, certains doivent endosser ce rôle et nous le pouvons puisque nous ne profitons de rien et jouissons d’une liberté sans commune mesure – dont nous payons le prix, celui de la précarité et de la marginalisation.  Nous devons tirer profit de cette marginalisation : laissez-nous vous déranger, c’est nécessaire.

Nous, nous acceptons de jouer ce rôle. Celui de poser les questions qui fâchent, de mettre les pieds dans le plat, et de continuer d’affirmer que quelque chose d’autre, est non seulement possible, mais également désirable. Et que cette « autre chose » existe déjà, de manière inconfortable, dans les interstices de liberté que nous tentons de protéger des assauts de manière très inconfortable.

Nous appelons à une solidarité entre nous, celles et ceux qui osent braver les ordres établis, parce qu’avoir ce courage-là n’est pas toujours facile. Nous encaissons des coups et des doutes, nous sommes parfois pointés du doigt, régulièrement invisibilisés, souvent violemment attaqués et rarement défendus. Nos problématiques sont silencieuses et étouffées. 

La force du collectif sert à ne pas renoncer, jamais.

Nous devons apprendre à composer avec un espace politique et médiatique qui n’est pas un consensus, un jeu calme et indolore. 

Parce que c’est en refusant que nos vies soient tracées d’avance que nous l’investissons, l’espace politique doit impliquer une part de conflit et des remises en question constantes.

Car la politique est un rapport de force et pas un débat de salon

La politique se façonne par les rapports de force, parce que nous n’avons pas toustes la mainmise sur nos réalités, ni les mêmes intérêts. Nous assumons de jouer notre partition, et nous voulons aujourd’hui nous donner les moyens que nos fausses notes parviennent aux oreilles des chefs d’orchestre qui perdent leur virtuosité dans le confort des répétitions classiques. 

Peut-être faut-il que nous soyons ensemble pour trouver le courage quotidien de refuser en bloc ce statu quo qui détruit tant et nous isole les uns des autres pour se perpétuer, en mettant au ban les trouble-fête.  

Il est temps de renverser les perspectives. Si vous êtes calmes alors que tout se dérobe, vous faites peut-être bien partie du problème. Charge à nous de re-paramétrer les récits, avec tout le courage possible et malgré tout ce que cela nous coûte. De créer des passerelles entre les a priori et les réalités situées, variées, et diverses qui nous poussent à nous engager dans la recomposition du monde.  

Il est temps que ce récit-là prenne la place : c’est le calme qui nous menace, pas le changement. À l’échelle de l’écosystème médiatique dit « indépendant », et des sphères militantes qui le nourrissent, nous nous engageons à continuer de nous enrager, et de vous réveiller. 

Qui ne nous aime pas nous suive! et grand bien nous en fasse.

La suite bientôt.

CONTACT : combat.lemedia@gmail.com / motusetlanguependue@gmail.com

 

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09.05.2025 à 17:25

La rédac

Texte intégral (1314 mots)

Par Laura Wolkowicz

Madrid dans le noir

C’était un lundi comme un autre, j’étais attelée à la table du salon, travaillant sur la présentation que je devais finaliser pour le soir-même. Comme un lundi, j’étais dans un entre-deux, la tête encore dans le week-end et le flux sanguin bien activé par le stress du retour au travail. Il était 12h30 quand ma connexion a cessé de fonctionner, quand mon clavier arrêta d’écrire. Imperturbable, je me suis mise en quête d’un café pour récupérer une connexion et continuer ma journée comme prévu. Mais une fois sortie dans la rue, je me suis rendu compte que je n’étais pas la seule. Ce n’était pas juste mon immeuble, ce n’était pas juste mon quartier, ce n’était pas juste Madrid, ce n’était pas juste l’Espagne, c’était toute la péninsule, la France, l’Italie, la Suisse… Tout le monde y allait de son info, de sa supposition, proclamant une cyberattaque, la troisième guerre mondiale ou je ne sais quelle autre théorie complotiste.

On était comme des hamsters déboussolés à qui on aurait soudainement enlevé leur roue. Toustes bien engagé·es dans notre course routinière, à répéter en boucle la chorégraphie que l’on connaissait par cœur : Travailler, manger, se connecter, s’informer, consommer, sortir, dormir. Un pas de côté et nous étions perdus.

Un lundi, sans nos outils, nous n’étions plus rien : de simples opérateurs sans rien à opérer. Si ça avait été un samedi ou un dimanche, l’histoire aurait été différente. Mais non c’était un lundi et les lundis, c’est raviolis ! Non, les lundis sont productifs, les lundis sont initiatifs, pas passifs.

En relisant ces lignes je me dis, et vous devez sûrement vous dire aussi : elle parle d’une coupure de courant de 12h comme si c’était la fin du monde – les Gazaouis vivent bien pire depuis plus de deux mois ! Mais sur le moment, c’est comme ça que je l’ai vécu. Autant vous dire que si une troisième guerre mondiale venait à exploser, mes chances de survie sont moindres !

Et à côté de ça, les espagnols, aussi flegmatiques qu’à leur habitude y ont juste vu une opportunité supplémentaire pour discuter avec leurs voisin·es et ami·es, se poser en terrasse et boire des coups. Je n’ose imaginer ce qu’il se serait passé si c’était en France : Une manifestation contre l’inefficacité du système électrique se serait montée ? Les êtres malveillants en auraient profité pour piller les commerces ? Tout le monde aurait été en panique ?

Bah oui, ce n’est pas parce que l’électricité saute que la vie s’arrête. Finis les téléphones, finis les réseaux, fini l’argent dématérialisé, finis tous les travaux informatisés et électrisés… On ne peut plus travailler, on ne peut plus produire, on ne peut plus consommer. J’ai rêvé ou ce serait finalement juste la fin du capitalisme ?

Alors que nous reste-t-il ? Nos mains pour faire, nos têtes pour penser, nos lèvres pour communiquer, nos cœurs pour aimer, nos jambes pour nous déplacer, nos pieds pour nous porter… Bref vous avez compris l’idée. Et comme dit Charlotte dans son édito du 1e Mai, je dirais qu’on n’a plus qu’à vivre. Vraiment. Pas dans un simulacre de vie. Mais la vie, la vraie.

Parce que passer huit heures derrière un ordinateur, envoyer mails sur mails, coups de fils sur coups de fils, remplir des tableurs, créer des jolis powerpoint, passer ses journées dans l’air ambiant d’un call center ou d’un open space, rester assis jusqu’à s’en courber le dos, opérer des machines dans des usines, satisfaire toutes les demandes des clients, se tuer à la tâche pour alimenter la machine infernale, ce n’est pas vivre, c’est survivre.

C’est dans le noir de cet « Apagón » qu’une lueur m’est apparue. Alors que le monde s’éteignait, je me suis rallumée. Reboot. Reset. Libérée des chaînes de la pression monétaire qui me tiennent en carotte dans ma roue : « Sans argent, je suis rien. Sans travail, il n’y a pas d’argent. CQFD, je suis travail. » Je sens le vent souffler dans mes cheveux, je me gonfle de légèreté, d’espoir, je me sens voler comme un être libre, libre d’aller où le vent me porte, libre de décider où le vent me portera.

Puis la lumière est revenue. Reboot. Reset. Noir salle. On reprend place dans nos roues et c’est reparti pour un tour. La tête dans le guidon, on suit le chemin tracé comme si rien ne s’était passé, comme au lendemain du confinement. Un espoir a plané dans l’air le temps d’un instant, très vite étouffé par le ronronnement de la machine infernale qui redémarre.

Mais moi je reste plongée dans le noir éclairée à la lueur de ma bougie. Je ne veux pas y retourner. Je ne peux pas oublier. Comme une envie d’acheter How to blow up a Pipeline et d’aller débrancher le réseau électrique national à nouveau pour qu’on se réveille toustes.

Ce lundi-là reste gravé en moi comme la cicatrice d’Harry Potter, un rappel qu’il existe une alternative. À nous de la trouver. À nous de l’inventer avec notre tête, de la façonner avec nos mains et de la partager avec nos lèvres. Vous me suivez ?

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17.04.2025 à 19:10

La rédac

Lire plus (162 mots)

Par Charlotte Giorgi et Marius Uhl

Pierre Alessandri, c’était le nom de ce paysan engagé, militant depuis des années en Corse pour une agriculture paysanne et contre les pratiques mafieuses fortement liées à l’accaparement des terres. Cette semaine, on vous raconte son histoire, et on se demande pourquoi quasi personne dans le paysage politico-médiatique ne parle de cet homme, tué chez lui de trois balles dans le dos. ⤵

https://www.youtube.com/watch?v=vFmgy0eA_8E

 

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22.03.2025 à 07:03

La rédac

Texte intégral (1557 mots)

Par Alyss Haller

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Peut-être as-tu remarqué, le mois dernier, l’absence de ta chronique préférée sur ton web média favori (si ce n’est pas le cas, fais au moins semblant, par politesse). Peut-être t’es-tu perdu.e en conjectures plus fantaisistes les unes que les autres pour tenter d’expliquer cette triste nouvelle, que dis-je, cet irréparable préjudice (comment ça, j’en fais trop ?). Eh bien figure-toi qu’écrire sur les interstices me donne une excellente excuse : quand on cherche à rester agile, à fuir les cases et à éviter l’encroûtement, s’astreindre à produire un épisode par mois coûte que coûte, ça a quelque chose d’un peu dissonant, non ? Je revendique donc la liberté de l’irrégularité, l’authenticité qu’elle permet, le droit de ne pas écrire quand je n’ai rien d’intéressant à dire ou que ce n’est pas le bon moment. 

La fluidité : c’est justement ça, dont il va être question ici, puisque c’est de l’eau que j’avais envie de vous parler. Et pour faire bonne mesure avec mon entorse au calendrier éditorial, je serai du moins raccord avec le calendrier de l’ONU (si ça, c’est pas un argument imparable…). Il se trouve en effet que le 22 mars est la journée mondiale de l’eau, et on est bien content.es que quelqu’un y ait pensé, comme pour la journée de  la femme – heureusement rebaptisée journée du droit des femmes : ça change tout – la journée de la pastèque1 ou celle du naturisme (à ne pas confondre avec la journée mondiale du jardinage nu, qui tombe le premier samedi de mai : le naturisme, lui, se partage le 4 juin avec les enfants victimes innocentes de l’agression, et… les sentiers  – si si)2

Mais ne nous égarons pas.

L’eau, donc. 

Personnellement, c’est l’élément que je trouve le plus fascinant. Pas seulement parce que Bachelard lui a consacré un essai3, mais surtout parce qu’elle existe sous des formes si différentes : des paillettes de givre à la vapeur, en passant par la glace, le flocon, la goutte ou l’océan, et tous les états intermédiaires entre le liquide, le solide et le gazeux. L’eau a la capacité de prendre mille visages, sans jamais perdre sa nature. Elle se fraie des chemins presque n’importe où, et bien sûr, s’infiltre aisément dans les interstices. L’eau déborde, ruisselle et irrigue, l’eau polit les rochers les plus ancrés dans leur fixité4

Depuis mon plus jeune âge, j’ai eu la chance d’habiter à proximité de cours d’eau : canal, rivière, fleuve ; je le réalise en l’écrivant, l’eau a toujours fait partie de mon paysage. Au ruisseau asséché les trois quarts de l’année longeant le jardin de mon enfance, où je sautais à pieds joints avec mes bottes en caoutchouc dès que les fortes pluies le faisaient renaître, ont succédé la Saône, dont les bras encerclaient mon « île », comme j’aimais l’appeler, puis le Saint-Laurent qui borde Québec (et lui a donné son nom : littéralement, « là où le fleuve est le plus étroit »). 

Un jour pas si lointain, tandis que je marchais au bord de l’eau, j’ai eu comme une révélation. Et c’est de ça que je voulais parler aujourd’hui. Ce jour-là, les yeux fixés sur la rivière sans vraiment y penser, j’ai tout à coup interrompu mes pas. Quelque chose clochait : il me semblait que l’eau ne coulait pas dans le sens où elle aurait dû, du nord vers le sud. Au lieu de ça, elle paraissait remonter à contre-courant. En observant plus attentivement, j’ai remarqué qu’en réalité, à l’intérieur du courant principal qui suivait bel et bien, inexorablement, la direction nord-sud, existaient ça et là plusieurs micro-courants, créés certainement par des irrégularités du terrain ou des obstacles temporaires, qui suivaient leur propre sens, leur propre rythme et leur propre mouvement, tout en faisant partie du même cours d’eau. 

L’eau venait de répondre à l’un des dilemmes existentiels qui me taraudait depuis que j’avais l’âge de savoir que la kétamine n’a rien à voir avec les fleurs, ni les confitures : comment je fais, si je ne veux pas de cette vie absurde et standardisée qu’on me vend et à laquelle on me destine, mais que je ne veux pas non plus me condamner à la marginalité ? Comment rester moi-même, respecter mes besoins et mes valeurs, sans pour autant renoncer à faire partie du groupe social ? 

J’avais la réponse sous les yeux depuis toujours : des micro-courants indépendants dans le courant principal (mainstream, like they say). 

Photo de Donald Tong sur Pexels.com

Épilogue

J’avais prévu d’ajouter au moins deux bons paragraphes à cet épisode. En fait, j’y réfléchis activement depuis deux jours (parce que même si je te parle comme si on était déjà le 22 mars, là tout de suite on est encore le 21, et ça fait presque une semaine que j’ai entamé la rédaction de ce texte), et j’ai bien passé trois heures entre hier et aujourd’hui, assise devant mes notes, à rédiger des bouts de phrases, les rayer, les récrire pour les effacer de nouveau. Mais rien à faire : la fatigue, le cerveau qui pédale dans la semoule en réclamant des vacances… bref, tu sais, ces moments où plus on s’acharne, moins on y arrive, et plus on s’épuise et on s’énerve en se trouvant nul·le et on réduit encore nos chances d’y arriver. Et puis, je me suis arrêtée deux secondes – comme je m’étais jadis arrêtée au bord de la rivière. Et j’ai rigolé : j’étais en train d’essayer de nager contre le courant, tout en restant dedans. Alors qu’une fois que j’ai arrêté et accepté de laisser couler, il m’a suffit de me décaler légèrement pour repérer un micro-courant – et voir que la solution se trouvait juste sous mes yeux.

__

1. Le 3 août. 

2. Si tu n’as rien de mieux à faire, je te suggère d’aller faire un tour sur http://journee-mondiale.com, c’est édifiant : tu y apprendras par exemple que le 2 mai 2025 sera la journée mondiale de l’asthme, mais aussi du thon ; ou encore que le 26 avril sera dédié aux chiens guides pour personnes malvoyantes et à la visibilité lesbienne (je te laisse apprécier l’à-propos). 

3. L’eau et les rêves : essai sur l’imagination de la matière (1942). 

4. Projette ici mentalement l’image de la personne de ton choix.

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21.03.2025 à 21:54

La rédac

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Par Marius Uhl et Charlotte Giorgi

Le mois dernier, C8 a arrêté de diffuser sur la TNT, suite à la décision de l’Arcom de ne pas renouveler son contrat. Rip comme on dit. Si nos yeux à nous sont plutôt secs, on se demande si c’est vraiment à cause du manque de pluralisme sur la chaîne qu’elle a été arrêtée, comme l’affirme l’Arcom. Parce que si c’est bien le cas, on aurait quelques autres noms en tête. Bref, la question de l’épisode : l’Arcom a-t-elle peur de l’extrême droite ou des nouilles dans le slip des chroniqueurs de C8…? On en discute en vidéo ⤵

https://www.youtube.com/watch?v=-3BHXlXLsMQ

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