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20.05.2024 à 12:15

Et si l’on travaillait ensemble, sans patron et sans hiérarchie ?

Simon Cottin-Marx, sociologie de l'économie sociale et solidaire, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Baptiste Mylondo, Enseignant en sciences sociales, Sciences Po Lyon

Les hiérarchies dans les entreprises et les organisations sont-elles inéluctables ? Est-il possible de travailler sans patron ? Est-ce efficace ?
Texte intégral (3117 mots)

Travailler sans patron, nous sommes sans doute nombreux et nombreuses à y songer, ou simplement à en rêver. Mais ce rêve est-il accessible sans devoir se mettre à son compte, ou sans avoir à devenir soi-même ce patron ou cette patronne dont on souhaite se débarrasser ? Autrement dit, est-il possible de travailler collectivement sans patron, dans une entreprise sans hiérarchie ?

L’évocation de cet objectif autogestionnaire suscite le plus souvent de l’incrédulité. On entend alors plusieurs objections : « s’organiser sans chef c’est bien joli, mais à la fin il faut bien que quelqu’un tranche ! »

Et puis, « s’il n’y a pas de chef, qui donnera l’impulsion ou qui fera le tri parmi une multitude d’initiatives désordonnées ? » Bref, un triste constat semble s’imposer : sans hiérarchie, c’est très vite l’anarchie.

Une définition un peu trop hâtive de l’anarchie en fait effectivement un synonyme de désordre. Certes, dans une entreprise classique, ce sont bien les chefs qui ordonnent et la hiérarchie qui structure, mais en y regardant de plus près, on peut voir qu’il existe déjà une large part d’auto-organisation au sein des collectifs de travail, comme le montrent les travaux de Christophe Dejours par exemple. À tous les échelons hiérarchiques, les salariés disposent ou s’emparent de marges de manœuvre qui sont indispensables au bon fonctionnement des organisations.


À lire aussi : L’art de la résistance : entretien avec James C. Scott


Une entreprise pourrait-elle fonctionner sans hiérarchie ?

Pour autant, une entreprise pourrait-elle fonctionner en se passant de hiérarchie ? L’étude de divers collectifs autogérés nous conduit à confirmer que leur fonctionnement n’est pas parfait et que s’organiser sans chef n’a rien d’aisé.

Mais à ce compte-là, soyons honnêtes, il n’est pas simple non plus de travailler pour un chef, et les structures hiérarchiques sont, elles aussi, très loin d’être parfaites. En somme, chaque type d’organisation présente ses propres problèmes, et tout l’enjeu est donc de choisir ceux auxquels on souhaite être confronté : les travers de l’anarchisme ou ceux du « hiérarchisme » ?

Dans la minisérie « Machine » de Fred Grivois, diffusée sur Arte en avril 2024, un groupe de salariés d’une usine en restructuration sociale se tourne vers l’autogestion, sous la houlette de JP, féru de Marx (incarné par Joey Starr).

Pour qui a un penchant pour l’égalité et serait tenté de refuser les rapports de domination qui accompagnent inévitablement toute hiérarchie, cette question ne se pose pas vraiment, mais c’en est une autre qui vient immédiatement à l’esprit : le choix de l’autogestion ne se fait-il pas au prix d’une moindre efficacité ? De fait, la prévalence des organisations hiérarchiques n’est-elle pas la preuve de leur plus grande prospérité et, en fin de compte, de leur supériorité ?

De quelle efficacité parle-t-on ?

Lorsqu’il est question d’efficacité des entreprises, on a trop souvent tendance à s’en remettre à des critères d’évaluation comptables et financiers : le nombre d’employés, le chiffre d’affaires, et bien sûr les bénéfices réalisés.

Mais la discussion est piégeuse, car en matière d’efficacité, il est toujours essentiel de se poser au moins trois questions : efficacité pour faire quoi, efficacité pour qui, et efficacité dans quelles conditions ?

Autrement dit, il faut d’abord garder à l’esprit que l’efficacité d’une organisation ne peut être évaluée qu’à l’aune des objectifs qu’elle se donne. Ensuite, il convient de se demander si les bénéfices de l’efficacité sont équitablement répartis, s’ils ne profitent pas qu’à une minorité au détriment des autres membres ?


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Pour poser la question sous un autre angle, il faut se demander si les objectifs définis sont partagés par tous les membres ? Enfin, il est essentiel de s’interroger sur les conditions nécessaires à l’efficacité de l’organisation. Quel est le prix à payer pour cette efficacité ?

Sur ce dernier point, la position du philosophe anarchiste Dwight McDonald (qu’il expose dans son livre Le socialisme sans le progrès) est intéressante. Si, pour être efficaces, il nous faut accepter d’être dominés, exploités et aliénés ; s’il nous faut nous résigner à nous soumettre à des chefs et obéir à leurs ordres ; s’il nous faut renoncer à notre désir d’égalité, de démocratie et de justice, alors peut-être qu’il préférable d’être moins efficaces.

Refusons cette efficacité-là, ou plutôt repolitisons cet enjeu de l’efficacité. Tel est le postulat des structures de l’économie sociale et solidaire (ESS) qui décident de faire de la démocratie, de l’équité, et de la gestion humaine de leurs collectifs de travail, des critères incontournables de l’évaluation de leur efficacité.


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L’autogestion comme mode de fonctionnement

Dans cette optique, il conviendrait donc de prendre au sérieux les valeurs de l’ESS, de nous efforcer de les faire vivre, et finalement tout cela a un nom : l’autogestion. À la suite de Pierre Rosanvallon, on peut définir l’autogestion comme :

« l’exercice collectif de la décision, [la] possibilité d’intervention directe de chacun dans les problèmes qui le concernent […] la pratique vivante d’une démocratie véritable ».

Photo d’une manifestation de mineurs dans les années 1990. Affiche d’Alternative libertaire (AL), 2000. Alternative libertaire/Wikimedia, CC BY-NC-ND

L’idéal est tentant, mais il nous faut tout de même entendre la déception du sociologue Albert Meister – lire notamment son article intitulé « Le songe égalitaire » – observateur avisé des organisations autogérées.

De ses nombreuses enquêtes à travers le monde auprès d’entreprises démocratiques du début des années 1950 à la fin des années 1970, ce sociologue a fini par revenir totalement désabusé, témoin de trop d’expériences manquées et d’utopies maltraitées. Dans tous les groupes qu’il a étudiés, il n’a finalement décelé que des moments fugaces d’autogestion, comme si, après quelques années voire quelques mois, les difficultés devaient inéluctablement ramener les collectifs à la raison, les rappeler à l’ordre hiérarchique.

Il constate, dépité, n’avoir rencontré aucun groupe qui ait adopté durablement un cadre de démocratie directe. Le rêve autogestionnaire ne serait donc qu’un mirage ? Un mirage persistant en tout cas, car ce que constate aussi Meister, c’est que de nouveaux collectifs apparaissent sans cesse pour porter cet idéal égalitaire, avant d’échouer à nouveau.

Ce mouvement est-il inéluctable ? On peut en douter, et l’observation de collectifs de travail autogérés permet en tout cas d’identifier divers points de vigilance qu’il pourrait être bon de garder à l’esprit pour éviter de retomber dans les travers systématiquement observés par Albert Meister.

Ne pas céder à la « tyrannie de l’absence de structure »

Commençons par la question de la démocratie. Pour qu’elle ne vire pas au simulacre, il est essentiel de comprendre que la démocratie est un idéal qui s’incarne dans des institutions et des pratiques qui seules peuvent lui donner une réelle substance.

Il ne faut donc pas céder à la « tyrannie de l’absence de structure » contre laquelle l’intellectuelle féministe Jo Freeman nous mettait déjà en garde dans les années 1970. Pour la militante, l’idée qu’un groupe puisse fonctionner sans règles, sur la base du laisser-faire, est totalement irréaliste. Pire, une organisation informelle permet, dans les faits, que la domination se reproduise :

« l’absence de structure cache le pouvoir et, dans le mouvement féministe, l’idée séduit en particulier les personnes les mieux placées pour en profiter (qu’elles en soient conscientes ou non) ».

L’autogestion, ça s’organise, et il ne suffit certainement pas de la proclamer pour qu’elle advienne. Mais au-delà du fonctionnement prévu dans les statuts, il faut aussi prendre garde à ce que le pouvoir ne se retrouve pas confisqué par une minorité de membres plus actifs que les autres.

Il peut aussi arriver que certains acteurs ou certaines parties prenantes soient exclus de fait des processus de décision, ou que les membres des collectifs de travail finissent par se désintéresser du fonctionnement de leur entreprise. C’est le cas par exemple, dans les grandes mutuelles ou coopératives bancaires, où les membres mutualistes ou coopérateurs désertent des assemblées générales durant lesquelles de toute façon plus rien ne se joue vraiment, si ce n’est la validation silencieuse de décisions prises ailleurs, par d’autres.

Le partage au cœur

Concernant la question de l’équité, ensuite, deux enjeux majeurs peuvent être identifiés : le partage de la propriété et le partage des fruits du travail collectif. Le premier enjeu est essentiel pour toute structure ayant des ambitions anticapitalistes, et c’est notamment sous cet angle que l’on peut distinguer l’autogestion anarchiste de l’autogestion néolibérale qui peut s’incarner dans le management participatif ou dans les entreprises libérées étudiées par Isaac Getz notamment.

Car si l’autogestion est généralement brocardée pour son manque d’efficacité économique, certains patrons ne s’y trompent pas et s’attellent à mettre à bas les hiérarchies pour accroître leurs profits dans des entreprises libérées des pesanteurs bureaucratiques. Mais pour qu’une entreprise soit effectivement autogérée, sa propriété devrait être partagée par toutes les personnes qui y contribuent, suivant le modèle SCOP ou des SCIC.

Comment se satisfaire d’une autonomie de gestion qui ne serait qu’accordée par un chef, et qui pourrait par conséquent être reprise sur simple décision d’un propriétaire majoritaire par exemple ? Quant au partage des fruits de la production, il doit faire l’objet d’une délibération démocratique, en prenant garde de ne pas laisser s’installer des logiques de précarité trop fréquentes dans le champ de l’ESS.

Enfin, s’il fallait retenir un point de vigilance, ce serait de bien garder en tête que se passer de patron, cela ne signifie surtout pas déserter la fonction employeur. Si, avec l’économiste Stephen Marglin, on peut légitimement se demander « à quoi servent les patrons », force est de constater qu’ils remplissent aujourd’hui (plus ou moins bien d’ailleurs) des fonctions essentielles dans les entreprises, fonctions dont un collectif autogéré doit impérativement se saisir.

Gérer les entrées et sorties du personnel, gérer les conflits, prendre soin du collectif et de ses membres, tout cela est primordial dans le fonctionnement d’une organisation. Travailler sans patron implique donc d’apprendre à s’employer mutuellement et à partager les responsabilités qui incombent aux chefs dans les entreprises hiérarchiques. Autant de défis, à la hauteur de notre désir d’égalité et d’émancipation, qu’il faudra relever pour que l’utopie dont est porteuse l’ESS soit bien réelle.


Travailler sans patron, 2024. Fourni par l'auteur

Les auteurs viennent de publier Travailler sans patron (Folio Actuel).

The Conversation

Simon Cottin-Marx est responsable du Centre d'économie sociale et solidaire du CNAM.

Baptiste Mylondo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

20.05.2024 à 12:15

« Restaurer l’autorité » : Pourquoi pas, mais de quoi parle-t-on au juste ?

Jean-Etienne Joullié, Professeur de management à l'EMLV, Pôle Léonard de Vinci

La philosophie politique s’est attachée à distinguer l’autorité du pouvoir. C’est d’ailleurs lorsque ces deux termes se confondent que naissent les régimes qualifiés d’autoritaires.
Texte intégral (1542 mots)

Le Premier ministre a récemment annoncé vouloir restaurer l’autorité de l’État et enseigner aux (jeunes) Français son respect. Sans juger le fond de cette politique, il est permis de craindre qu’il ne fasse, avec son entourage, un contresens sur le concept et le confonde avec une notion lexicalement proche, mais conceptuellement opposée, celle d’autoritarisme. J’ai exploré cette distinction dans un travail de recherche récent.

Ils ne sont pas les seuls à commettre cette erreur. En effet, des sociologues et des psychologues sociaux confondent généralement autorité et pouvoir. Plus précisément, ils associent indifféremment l’idée d’autorité à celle de pouvoir légitime et à celle de concession ou d’autorisation. Cette confusion est parfois sans conséquence, car certains décideurs agissent à bon escient sans être autorisés à le faire. Cependant, s’ils recherchent l’autorité au sens d’autorisation, ces mêmes décideurs doivent en référer à ceux qui les entourent car ils ne peuvent pas s’autoriser eux-mêmes.

Plus généralement, l’exercice du pouvoir ne peut se faire sans affecter d’autres personnes, qui en apprécient alors ses conséquences et évaluent leur désirabilité et acceptabilité. Cette évaluation établit l’inséparabilité, à la fois théorique et pratique, du pouvoir et de l’autorité. Cependant, cela ne signifie pas que les deux notions puissent être confondues.

Une source de pouvoir, parmi d’autres

Le philosophe Carl Friedrich (1901-1984), qui fait notamment partie des grands analystes des régimes totalitaires, est l’un des premiers à s’être opposé à l’amalgame entre pouvoir et autorité et à déplorer la confusion qui en résultait. Selon lui, l’autorité se distingue du pouvoir par la nature de l’obéissance qu’elle implique : obéissance volontaire (qui indique la coopération) pour la première, obéissance involontaire (qui signale la coercition) pour l’autre.

Friedrich regrettait particulièrement que le mot « autorité » soit souvent utilisé dans un sens défavorable, dans le sens où être autoritaire serait un aspect négatif de la personnalité ou du style des individus. En effet, « autoritaire » ne désigne pas quelqu’un qui possède de l’autorité, mais plutôt quelqu’un qui prétend en avoir.

Friedrich concevait l’autorité comme une qualité précise d’une communication, celle d’avoir été élaborée raisonnablement. Une telle élaboration raisonnée (ou raisonnable) se fait selon les valeurs, les croyances, les intérêts et les besoins de la communauté au sein de laquelle l’autorité opère. En ce sens, une demande formulée dans une relation d’autorité est acceptée lorsqu’elle est reconnue comme étant étayée par des raisonnements et des justifications qui rendent son contenu souhaitable.

Cette exigence s’applique normalement à tout détenteur de pouvoir : il doit justifier ses demandes s’il veut rendre leur contenu désirable et par la même acceptable. Cependant, une différence cruciale est que les individus détenteurs de pouvoir ont la possibilité d’imposer l’obéissance sans produire une élaboration raisonnée.

Comprise au sens de Friedrich, l’autorité est accordée par ceux à qui elle s’applique. Elle est donc une source de pouvoir plutôt qu’une forme de pouvoir. C’est une qualité de la manière de communiquer qui renforce le pouvoir mais qui n’est pas elle-même le pouvoir. Pour avoir de l’autorité, le détenteur de pouvoir doit fournir des raisons convaincantes soutenant ses décisions.

Autorité n’est pas droit à diriger

L’analyse de Friedrich permet de comprendre pourquoi les décideurs qui ont « perdu leur autorité » ont perdu une forme de leur pouvoir : c’est car le contenu de leurs communications s’est dégradé. De telles situations surviennent lorsqu’ils cessent de proposer des élaborations raisonnées de leurs communications ou parce que les valeurs de la communauté à qui ils s’adressent ont changé, ce qui rend leurs arguments moins convaincants.

Dans les entreprises comme dans la sphère publique, considérer l’autorité exclusivement comme une forme de pouvoir a pour conséquence de limiter son attribution aux décideurs, comme si eux seuls pouvaient avoir de l’autorité. De plus, confondre autorité et pouvoir implique que les experts ne sont pas des autorités dans leurs domaines.


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Alors que le pouvoir des décideurs désigne leur droit à diriger, reconnaître des individus comme faisant autorité en raison de leurs connaissances ou compétences particulières n’implique pas qu’ils aient le droit d’émettre des instructions. Il est donc possible, sans remettre en cause ni les uns, ni les autres, d’opérer une distinction entre, d’une part, les décideurs en tant que détenteurs du pouvoir légitime et, d’autre part, les citoyens, salariés, experts et autres professionnels en tant qu’autorités dans des domaines précis.

En fin de compte, confondre autorité et pouvoir (même sous sa forme légitime), c’est favoriser l’autoritarisme car c’est aider le décideur à accaparer le pouvoir, sans considération pour l’autorité du savoir-faire, de la compétence technique et de l’expertise de ceux qui font ou qui savent faire. Le détenteur du pouvoir autoritaire décide alors de tout, même des sujets sur lesquels il n’a pas d’autorité, c’est-à-dire ceux à propos desquels il n’est pas capable de proposer une élaboration raisonnable. L’arbitraire règne alors, puisque les décisions y sont prises sans être raisonnablement élaborées. De plus, le décideur autoritaire ne recherche pas le dialogue et la confrontation des points de vue, car de tels échanges reviennent à un partage tacite, même si partiel, du pouvoir.

L’objectif du Premier ministre de vouloir « rétablir l’autorité » passe donc en premier lieu par la restauration des conditions du dialogue construit, un dialogue qui prenne en compte l’expertise de ceux qui font et qui savent faire, même s’ils ne décident pas. La crise de l’autorité, c’est ainsi surtout la crise du crédit de la parole et du débat.

The Conversation

Jean-Etienne Joullié ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

20.05.2024 à 11:52

Europe’s climate laws could spell the end to low-cost flights - but what about private jets?

Fausto Corvino, Marie Skłodowska-Curie Postdoctoral Fellow in Philosophy, Université catholique de Louvain (UCLouvain)

Current loopholes in EU climate laws would allow affluent private jet passengers to maintain their polluting lifestyle, while the lower and middle classes are compelled to give up low-cost flights.
Texte intégral (1579 mots)

The era of low-cost air travel in Europe may be over for good, thanks in part to recent EU environmental policies. All in all, this is good news for the climate. But many low- and middle-income people who used to travel around the EU will no longer be able to do so, or at least will be able to do so much less often. Yet the same policies will have little or no impact on the use of much more polluting private jets, which typically cover distances served by commercial airlines and trains. This is a case of unfair sacrifice for climate action. Addressing this injustice should be a top priority for the next EU legislative term if a just and inclusive climate transition is to be achieved.

Rising prices…

According to data from the European Commission, intra-EU airfares last summer were on average between 20% and 30% higher than they had been before Covid-19. The main reasons are high consumer demand, rising fuel costs and disrupted supply chains – the latter two at least partly due to the geopolitical turmoil of recent years.

Prices are likely to rise further in the coming years as a result of three factors. First, the reform of the EU Emissions Trading System (ETS), which is at the heart of the “Fit For 55” policy package proposed by the European Commission in summer 2021 and partially adopted in spring 2023.

Since 2012, intra-EU aviation emissions have been part of the EU ETS, the market-based system introduced by the EU in 2005 to cap emissions from certain EU sectors, notably energy-intensive industries, electricity generation and aviation. Like industry, aviation has so far benefited from free emission allowances – until last year less than 20% of the aviation allowances were auctioned. Under the new ETS reform, free allowances will be phased out between 2024 and 2026. This means that airlines will have to bear not only the private cost of fuel, but also the social cost of their operations. While the EU ETS reform maintains free allowances for operators using less polluting fuels, these are more expensive than traditional fuels. In addition, the annual ETS emissions cap will be gradually reduced in the coming years, leading to an increase in the price of auctioned allowances (since 2021 the UK has its own ETS).

Second, the EU institutions are currently working on a reform of the 2003 Energy Taxation Directive (ETD). More specifically, the ETD was intended to introduce minimum levels of taxation on electricity and motor and heating fuels, both to avoid market distortions in the EU and to promote the decarbonisation of these sectors. However, to date, both kerosene used by aircraft and heavy fuel oil used by the shipping industry have been exempted from taxation under the ETD. As part of the “Fit for 55” package, the European Commission had also proposed an update to the ETD, which is still awaiting adoption and which would, among other things, remove the above exemptions. Thirdly, some countries, and most notably France, defended the idea of a fixed minimum price for intra-EU flights. It remains to be seen whether these proposals will be adopted in the future.

… and plummeting demand

According to Airlines for Europe, the EU’s largest airline association, the cost to airlines of complying with the above EU norms will be 13 to 14 times higher in 2030 than in 2019. According to the research centre SEO Amsterdam Economics, if these price increases are fully passed on to consumers, demand for flights will fall, leading to a reduction in intra-EU air traffic of more than 8% in 2030 and around 12% in 2035, compared to if such reforms had not been implemented.

Anyone concerned about climate change can breathe a sigh of relief. Rising ticket prices will reduce the number of air travellers and the frequency of flights. This is inevitable if the EU is to achieve its goal of zero net CO2 emissions within a few decades. In recent years, however, low-cost airlines have made it possible for people on low incomes to travel between EU countries – something that was previously very uncommon. In a way, low-cost airlines have democratised travel, allowing poorer people to both build international experience and maintain affective and family ties (think of how many parents now have children studying or working in other EU countries, or how many couples live and work in different places). This is also because, as Greenpeace pointed out in a recent study, travelling by train in the EU is still significantly more expensive than flying.

An unjust transition

You could say that these concerns are minor compared to the climate threat. Low-cost airlines have so far produced an inordinate amount of CO2 for purposes that are ultimately not about subsistence. However, if the climate threat justifies people on low incomes not travelling, or at least travelling much less than before, then it must also justify affluent EU travellers giving up private flights, which on average emit up to 14 times more CO2 per passenger than a scheduled flight, and using airlines or, better still, high-speed trains. The main problem with the EU’s one-size-fits-all approach to climate policy is that many rich jet users will simply remain indifferent to the ongoing increases in the price of emissions permits.

Asking low-income people to give up something valuable to them – travel – for the collective good, while the rich continue to enjoy superfluous luxury, is the furthest thing from the fair and inclusive transition that the EU institutions have set as their goal. Moreover, the more the rich contribute to the increase of CO2 in the atmosphere with their luxury emissions, the greater the behavioural sacrifice that will have to be made by everyone else in order to keep global warming within more or less acceptable limits.

According to a recent study commissioned by Geenpeace from CE Delft, the number of private flights in Europe increased from just under 120,000 in 2020 to more than half a million in 2022. More than half of these flights are short to medium distance, comparable to the distance between Paris and Marseille (about 750 km), which in the vast majority of cases can be reasonably substituted by alternative means of transport. The top four routes for private flights in Europe are, in order, London-Paris (just over two hours by high-speed train), London-Nice (several scheduled flights per day), Paris-Geneva (just over three hours by high-speed train) and Paris-Nice (many scheduled flights or just over five hours by high-speed train).

Several national initiatives to ban luxury flights

A group of EU countries, namely Austria, the Netherlands, and France, recently wrote to the EU institutions calling for new regulations on the use of private jets (backed by Ireland and Belgium). The current EU Transport Commissioner has indicated that this will not happen, at least for now. Press reports suggest that the European Commission’s approach is to legislate on aviation as a whole, rather than introducing specific rules for private jets.

Some EU countries are trying to fill this regulatory gap at EU level with national measures. France, for example, has discussed a ban on private flights (proposed by the left-wing coalition La France Insoumise (LFI) and supported by the Greens) and a super-tax on luxury flights (favoured by Emmanuel Macron’s centrist government). The Dutch airport Amsterdam Schiphol is planning to restrict access to private aircraft. Spain is considering a ban on short-term private flights as part of its plan to achieve net zero CO2 emissions by 2050. There is every reason for the next European Commission to take up the climate leadership baton from the current one and close the regulation loophole that private aviation currently enjoys. If there is to be ambitious and accelerated climate action, everyone, including the richest, should be part of it.

The Conversation

Fausto Corvino received funding from the European Union's Horizon Europe research and innovation programme under the Marie Skłodowska-Curie grant agreement No 101109449 (PROHIBLUX). Views and opinions expressed are however those of the author only and do not necessarily reflect those of the European Union or the European Research Executive Agency (REA). Neither the European Union nor the REA can be held responsible for them.

19.05.2024 à 19:16

« Pretty privilege » : faites-vous plus confiance à quelqu’un que vous trouvez beau ?

Astrid Hopfensitz, Professor in organizational behavior, EM Lyon Business School

D’après nos recherches, les personnes jugées les plus séduisantes sont également considérées comme les plus dignes de confiance. Pour quelles raisons ?
Texte intégral (1996 mots)

Ce qui fait la beauté d’une personne fascine les artistes et les scientifiques depuis des siècles. La beauté n’est pas, comme on le croit souvent, « dans l’œil de celui qui regarde », mais suit bel et bien des règles prévisibles. La symétrie et les proportions jouent un rôle dans ce que l’on considère comme beau, et bien que la culture et les normes façonnent notre perception de la beauté, les chercheurs observent un large consensus sur les personnes qui sont considérées comme belles par la plupart des gens.

Il n’est donc pas surprenant que le marché de la beauté soit en constante augmentation (à l’exception d’une petite baisse en 2020, liée à la pandémie de Covid), atteignant 430 milliards de dollars de revenus en 2023, selon un récent rapport de McKinsey. La fascination pour le maquillage ou les soins cosmétiques est alimentée par l’image des visages « parfaits » qui pullulent sur les médias sociaux, artificiellement améliorés par le traitement d’image et les filtres. Mais tout cet argent est-il dépensé à bon escient ?

Privilège de la beauté

Pour le dire vite : oui. Dans le contexte actuel de concurrence acharnée sur le marché du travail, les avantages économiques liés à la beauté sont indéniables. De nombreuses études ont montré que les personnes séduisantes bénéficient d’un bonus et gagnent mieux leur vie en moyenne. Certaines professions bien rémunérées sont construites autour de la beauté (comme le show-business), mais ce qui est plus surprenant, c’est que pour presque n’importe quel type d’emploi, la beauté peut entraîner un effet de halo positif. On s’attend à ce que les personnes perçues comme belles soient plus intelligentes et elles sont considérées comme de meilleurs leaders, ce qui influe sur les trajectoires et les opportunités de carrière.

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Les personnes perçues comme belles seraient également plus susceptibles de bénéficier de la confiance des gens, ce qui leur permet d’obtenir plus facilement une promotion ou de conclure des accords commerciaux. Les personnes à l’apparence agréable sont supposées être en meilleure santé et/ou avoir eu des interactions sociales plus positives dans leur passé, ce qui peut influencer leur fiabilité aux yeux des autres.

Est-ce que le fait d’être séduisant rend plus digne de confiance ?

Mais cette théorie tient-elle la route ? Dans notre récent article, Adam Zylbersztejn, Zakaria Babutsidze, Nobuyuki Hanaki et moi-même avons cherché à le savoir. Dans des études antérieures, on présentait différents portraits à des observateurs et on leur demandait ce qu’ils pensaient de ces personnes. Cependant, ces images étaient souvent tirées de bases de données de portraits ou même générées par ordinateur, ce qui permet aux chercheurs d’étudier les perceptions, mais pas de savoir si ces croyances sont exactes. Pour le savoir, nous avons dû mettre au point un paradigme expérimental dans lequel nous pouvions observer la fiabilité de différentes personnes, prendre des photos d’elles et, plus tard, présenter ces photos à d’autres personnes pour qu’elles les évaluent. Voici comment nous avons procédé.

Comprenant un total de 357 volontaires, notre étude a débuté à Paris en octobre 2019, où nous avons demandé à un premier groupe de 76 volontaires de participer à une courte expérience sur la prise de décision. Dans le cadre de l’étude, les participants ont été répartis en paires de manière aléatoire, sans savoir avec qui ils jouaient. Certains jouaient un rôle qui nécessitait de faire confiance à un autre individu (groupe A), tandis que d’autres étaient en position de rendre la pareille ou de rompre la confiance qu’ils avaient reçue (groupe B), sachant qu’ils gagnaient toujours plus en rompant la confiance. Pour augmenter les enjeux, de l’argent réel était mis sur la table.

Les participants du groupe A pouvaient gagner jusqu’à 12 euros, mais seulement s’ils faisaient confiance à l’autre joueur. Pour ce faire, ils se sont vus présenter le scénario de choix abstrait expliqué ci-dessous, alors qu’ils étaient assis individuellement dans une cabine.

S’ils décidaient de ne pas faire confiance, ils étaient sûrs de recevoir un maigre paiement de 5 euros pour leur participation à l’étude. En revanche, lorsqu’un joueur A décidait de faire confiance à son partenaire B, son sort était entre les mains du joueur B. Ce dernier pouvait alors agir de manière à être digne de confiance en lançant un dé qui promettait de générer un gain de 12 euros pour le joueur A, ou de manière indigne de confiance en réclamant une récompense de 14 euros pour lui-même et en ne laissant rien au joueur A.

Ce type de jeu (appelé « jeu d’action cachée ») a déjà été développé pour mesurer l’attitude de confiance désintéressée des individus.

Il se déroulait comme suit : dans un premier temps, le joueur A devait choisir de faire confiance au joueur B (en disant « à droite ») ou de ne pas lui faire confiance (en disant « à gauche »). Dans un deuxième temps, le joueur B devait décider s’il lançait un dé ou non.

Le gain de chaque joueur dépend donc de ses propres actions et/ou des actions de l’autre joueur :

  • Si le joueur A choisit « à gauche » (ne pas faire confiance), quel que soit le choix du joueur B :

    • le joueur A et le joueur B reçoivent tous deux un gain de 5 euros ;
  • Si le joueur A choisit « à droite » (faire confiance) et que le joueur B choisit « Ne pas lancer » :

    • le joueur A ne reçoit rien et le joueur B reçoit 14 euros ;
  • Si le joueur A choisit « à droite » (faire confiance) et le joueur B choisit « Lancer » :

    • Lorsque le chiffre du dé est compris entre 1 et 5, le joueur A reçoit 12 euros et le joueur B 10 euros ;
    • Lorsque le chiffre du dé est 6, le joueur A ne reçoit rien et le joueur B reçoit 10 euros.

Nous avons non seulement observé comment les participants agissaient dans ce jeu, mais nous avons également pris des photos d’eux avec une expression neutre, avant qu’ils ne soient initiés à la tâche. Ces photos ont été présentées à 178 participants recrutés à Lyon. Nous nous sommes d’abord assurés qu’aucun de ces individus ne se connaissait. Nous avons ensuite donné aux participants de Lyon la tâche d’essayer de prédire comment la personne qu’ils voyaient sur la photo se comportait dans le jeu. S’ils tombaient juste, ils étaient récompensés en gagnant plus d’argent pour leur participation. Enfin, nous avons montré les mêmes photos à un troisième groupe de 103 personnes de Nice, dans le sud de la France. Ces personnes ont été invitées à évaluer la beauté des visages figurant sur les photos.

Le genre entre-t-il en ligne de compte ?

Nos résultats confirment que les personnes considérées comme plus belles par nos évaluateurs sont également jugées beaucoup plus dignes de confiance. Cela implique que dans notre échange économique abstrait, les personnes belles sont plus susceptibles de bénéficier de la confiance des autres. Toutefois, lorsque nous étudions les comportements réels, nous constatons que les belles personnes ne sont ni plus ni moins dignes de confiance que les autres. En d’autres termes, la confiance dépend des bonnes vieilles valeurs individuelles et de la personnalité, qui ne sont pas liées à l’apparence d’une personne.

Une prime à la beauté a déjà été observée aussi bien pour les hommes que pour les femmes. On pourrait toutefois penser que les femmes, dont on pense généralement qu’elles ont un degré d’intelligence sociale plus élevé, sont plus à même de déterminer la fiabilité de leur partenaire. Nos résultats ne le démontrent pas. Les femmes sont en moyenne jugées plus belles et jugent également les autres plus beaux. Cependant, les femmes n’agissent pas de manière plus honorable que les hommes dans le jeu. Enfin, les hommes et les femmes s’accordent sur leurs attentes quant à savoir qui sera digne de confiance ou non, et les femmes ne sont donc pas meilleures que les hommes pour prédire les comportements.

Les personnes perçues comme « belles » sont-elles plus méfiantes à l’égard de leurs semblables ?

L’adage selon lequel « tout ce qui brille n’est pas or » s’applique donc également à la beauté chez les humains. Cependant, on peut se demander qui est le plus susceptible d’être victime de ce biais. On pourrait penser que les personnes qui sont elles-mêmes souvent traitées favorablement en raison de leur apparence sont conscientes qu’il ne faut pas se fier à cette impression, qui résulte d’un biais d’appréciation.

Nous avons conçu notre étude de manière à pouvoir également étudier cette question. Plus précisément, les participants que nous avons recrutés à Lyon pour faire leurs prédictions ont également été pris en photo. Nous savions donc à quel point ils étaient influencés par l’apparence des autres, mais aussi à quel point ils étaient eux-mêmes conventionnellement beaux. Nos résultats sont clairs. Le biais de beauté existe pour tout le monde. Alors que nous pourrions penser que ceux qui bénéficient d’une belle apparence peuvent voir derrière le masque, ils sont tout autant influencés par l’apparence des autres lorsqu’ils décident à qui faire confiance.

L’industrie de la beauté a donc raison. Investir dans la beauté en vaut vraiment la peine, car cela apporte des avantages réels. Toutefois, les recruteurs ou les managers doivent se garder de se laisser abuser. Une façon de le faire est de rendre les CV anonymes et d’interdire les photos dans les candidatures. Mais dans de nombreuses interactions, nous devons décider d’accorder ou non notre confiance. Il est donc essentiel d’être conscient de ses propres biais. Nos résultats soulignent que ce biais est très difficile à surmonter, puisque même les personnes qui, de par leur propre expérience, devraient être conscientes du biais de jugement que confère la beauté en sont victimes.

The Conversation

Astrid Hopfensitz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

19.05.2024 à 19:11

La géo-ingénierie, un enjeu géopolitique ? Pour les pays en surchauffe, la tentation de modifier le climat

Ben Kravitz, Assistant Professor of Earth and Atmospheric Sciences, Indiana University

Tyler Felgenhauer, Research Scientist in Civil and Environmental Engineering, Duke University

La géo-ingénierie peut-elle contribuer à réduire les risques du changement climatique pour la sécurité nationale des États, ou les aggraverait-elle au contraire en générant des tensions ?
Texte intégral (2743 mots)
La géo-ingénierie solaire entend réfléchir une partie des rayons du soleil vers l'espace. John Crouch/Moment via Getty Imgaes

L’emblématique accord de Paris sur le climat a donné naissance à un nouveau slogan dans les pays en développement : « 1,5 pour rester en vie ». Il se réfère à l’objectif international de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Mais le monde dépassera probablement ce seuil d’ici une décennie, et le réchauffement climatique ne montre que peu de signes de ralentissement.

Le monde est déjà confronté à des catastrophes naturelles qui prennent des proportions épiques en raison de l’augmentation des températures. Les records de chaleur sont régulièrement battus. Les saisons des feux de forêt sont de plus en plus extrêmes. La violence des ouragans augmente. L’élévation du niveau de la mer, enfin, submerge lentement les petites nations insulaires et les zones côtières.

La seule méthode connue pour arrêter à court terme cette hausse des températures est l’ingénierie climatique. Elle recoupe des techniques appartenant à la géo-ingénierie. Certaines permettent de réduire artificiellement l’ensoleillement, ce qui est aussi connu sous le nom d’interventions solaires sur le climat. Il s’agit d’un ensemble d’actions visant à modifier délibérément le climat.

L’intention est d’imiter l’effet refroidissant des grandes éruptions volcaniques historiques, soit en plaçant dans l’atmosphère de grandes quantités de particules réfléchissantes, soit en éclaircissant les nuages bas au-dessus de l’océan. Ces deux stratégies permettraient de renvoyer une petite partie de la lumière du soleil vers l’espace afin de refroidir la planète.

De nombreuses questions restent toutefois sans réponse quant aux effets d’une modification délibérée du climat. Est-ce une bonne idée de seulement se poser la question ? Il n’y a pas de consensus scientifique.

Une illustration montrant comment l’énergie solaire est déviée par divers changements dans les aérosols et les nuages
Techniques potentielles d’ingénierie climatique. Chelsea Thompson/NOAACIRES

L’une des principales préoccupations de nombreux pays en matière de changement climatique est la sécurité nationale. Il ne s’agit pas seulement de guerres : les risques pour l’approvisionnement en nourriture, en énergie et en eau sont des questions de sécurité nationale, tout comme les migrations humaines provoquées par le climat.

L’ingénierie climatique pourrait-elle contribuer à réduire les risques du changement climatique pour la sécurité nationale, ou au contraire aggraverait-elle la situation ? Répondre à cette question n’est pas simple, mais les chercheurs qui, comme nous, étudient les liens entre changement climatique et sécurité nationale ont quelques idées sur les risques à venir.

Le changement climatique, un problème majeur

Pour comprendre à quoi pourrait ressembler l’ingénierie climatique à l’avenir, examinons d’abord les raisons pour lesquelles un pays pourrait vouloir l’essayer.

Depuis la révolution industrielle, l’homme a rejeté environ 1 740 milliards de tonnes de dioxyde de carbone (CO₂) dans l’atmosphère, principalement en brûlant des combustibles fossiles. Ce dioxyde de carbone emprisonne la chaleur et réchauffe la planète.

L’une des choses les plus importantes que nous puissions faire est de cesser de rejeter du carbone dans l’atmosphère. Mais la situation ne s’améliorera pas rapidement, car le CO2 met des siècles à être éliminé de l’atmosphère. La réduction des émissions ne fera qu’empêcher la situation de s’aggraver davantage.

Les pays pourraient extraire le dioxyde de carbone de l’atmosphère et le confiner quelque part, processus appelé élimination du dioxyde de carbone (en anglais, Carbon Dioxyde Removal, ou CDR). À l’heure actuelle, les projets d’élimination du dioxyde de carbone, notamment le fait de planter ou replanter des arbres et les dispositifs de capture directe du CO₂ de l’air, permettent de retirer de l’atmosphère environ 2 milliards de tonnes de CO₂ par an.


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Mais l’humanité rejette actuellement dans l’atmosphère plus de 37 milliards de tonnes de CO₂ par an du fait de la consommation de combustibles fossiles et des activités industrielles. Tant que la quantité de CO2 ajoutée dans l’atmosphère sera supérieure à la quantité éliminée, les sécheresses, les inondations, les ouragans, les vagues de chaleur et l’élévation du niveau de la mer, parmi les nombreuses autres conséquences du changement climatique, continueront de s’aggraver.

Il faudra sans doute beaucoup de temps pour réduire à zéro nos émissions nettes de CO2, c’est-à-dire pour ne plus augmenter les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. L’ingénierie climatique pourrait être utile dans cet intervalle.


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Qui veut s’essayer à l’ingénierie climatique ?

Différents organismes de recherche gouvernementaux dans élaborent déjà des scénarios examinant qui pourrait décider de mettre en œuvre l’ingénierie climatique et comment.

L’ingénierie climatique devrait être peu onéreuse par rapport au coût que représente l’élimination des émissions de gaz à effet de serre. Mais il faudrait tout de même des milliards de dollars et des années de développement et de fabrication pour obtenir une flotte d’avions capable de transporter, chaque année, des mégatonnes de particules réfléchissantes dans la stratosphère. Tout milliardaire envisageant une telle entreprise se retrouverait rapidement à court d’argent, en dépit de ce que la science-fiction pourrait suggérer.

Malgré tout, un seul pays ou une coalition de pays constatant les effets néfastes du changement climatique pourrait faire un calcul géopolitique et financier. Et décider de mettre en place des pratiques d’ingénierie climatique de sa propre initiative.


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C’est ce que l’on appelle le problème du « free driver », c’est-à-dire que si le coût de ces technologies n’est pas prohibitif, un pays moyennement riche pourrait décider unilatéralement de modifie le climat de la planète.

  • Par exemple, les pays confrontés à des vagues de chaleur de plus en plus dangereuses pourraient vouloir provoquer un refroidissement du climat.

  • Les pays qui dépendent des précipitations de la mousson pourraient vouloir rétablir une certaine fiabilité que le changement climatique a perturbée.

  • L’Australie étudie actuellement la possibilité de refroidir rapidement la Grande Barrière de Corail pour éviter sa disparition.

La création de risques pour les pays voisins

Sauf que le climat ne respecte pas les frontières nationales. Ainsi, un projet d’ingénierie climatique dans un pays serait susceptible d’affecter les températures et les précipitations dans les pays voisins. Cela pourrait être une bonne ou une mauvaise chose pour les cultures, l’approvisionnement en eau et les risques d’inondation. Cela pourrait également avoir des conséquences inattendues à large échelle.

Certaines études montrent qu’un niveau modéré d’ingénierie climatique aurait probablement des effets bénéfiques à grande échelle quant au changement climatique. Mais tous les pays ne seraient pas affectés de la même manière.

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Une fois les mesures d’ingénierie climatique déployées, les pays pourraient également être plus enclins d’accuser la géo-ingénierie d’être à l’origine des événements extrêmes tels que les ouragans, les inondations et les sécheresses, quelles que soient les preuves.

L’ingénierie climatique peut déclencher des conflits entre les pays, conduisant à des sanctions et à des demandes de compensation. Le changement climatique peut rendre les régions les plus pauvres plus vulnérables encore, et l’ingénierie climatique ne devrait pas exacerber ces dommages. Certains pays, en bénéficiant de l’ingénierie climatique, seraient plus résilients face aux conflits géopolitiques, tandis que d’autres seraient lésés – et d’autant plus vulnérables.

La géo-ingénierie est-elle un risque à prendre ?

Certes, des expériences de faible échelle ont été menées, mais personne n’a encore pratiqué l’ingénierie climatique à vaste échelle. Cela signifie que beaucoup d’informations sur ses effets reposent sur des modèles climatiques. Or, si ces modèles sont d’excellents outils pour étudier le climat, ils ne permettent pas de répondre aux questions liées à la géopolitique et aux conflits. En outre, les effets physiques des mesures d’ingénierie climatique dépendraient aussi pour beaucoup de l’approche utilisée.

La prochaine étape

Pour l’instant, l’ingénierie climatique suscite plus de questions que de réponses. Il est difficile de dire si l’ingénierie climatique risque d’aggraver les conflits ou si elle pourrait désamorcer certaines tensions internationales en réduisant le changement climatique.

Il est toutefois probable que des décisions internationales sur l’ingénierie climatique seront bientôt prises. Lors de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement de mars 2024, les pays africains ont demandé un moratoire sur l’ingénierie climatique, appelant à la prudence. D’autres nations, dont les États-Unis, ont insisté pour qu’un groupe formel de scientifiques étudie les risques et les avantages de ces technologies avant de prendre toute décision.

L’ingénierie climatique pourrait faire partie d’une solution équitable au changement climatique. Mais elle comporte aussi des risques. En résumé, l’ingénierie climatique ne saurait être ignorée, mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour que les décideurs politiques puissent prendre des décisions en connaissance de cause.

The Conversation

Ben Kravitz a reçu des financements de la National Oceanographic and Atmospheric Administration (NOAA) américaine et de la National Science Foundation américaine.

Tyler Felgenhauer a reçu des financements de la National Science Foundation américaine et de Resources for the Future.

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