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Adeline DE LÉPINAY

Démarches collectives pour l'émancipation et la transformation sociale

▸ les 10 dernières parutions

17.04.2024 à 11:06

Critique populaire de l’exploitation – Ce que devient le travail

adeline2lep

Texte intégral (1358 mots)

Je conseille la lecture de cet ouvrage de Nicolas Latteur, que j’ai dévoré. J’ai été impressionnée et passionnée par le fait que sa lecture est très facile et agréable, notamment du fait de sa construction autour de très nombreux témoignages extrêmement parlants, et qu’il permet de balayer énormément de questions qui concernent aujourd’hui le travail. Cet ouvrage me semble avoir l’utilité d’un manuel en sociologie du travail, en étant largement accessible : un ouvrage issu de réflexions collectives, travail d’éducation populaire, dans lequel les personnes directement concernées tâchent d’analyser les situations dans lesquelles elles se trouvent afin d’en comprendre les ressorts et de décider comment agir pour les transformer. Sans surprise, le constat est terrible, mais lire tous ces témoignages produit un effet énergisant : leur clairvoyance donne l’espoir que cela peut changer.

N’étant moi-même pas experte dans cet exercice, je relaie ci-dessous la note de lecture qu’a faite Thomas Coutrot de cet ouvrage.

Par Thomas Coutrot (note de lecture)

Cette note est publiée sur le site des Assises de la santé et de la sécurité des travailleurs–euses qui ont eu lieu à la Bourse du Travail à Paris les 13 et 14 mars 2024


Nicolas Latteur s’est donné pour ambition de porter la voix de « ceux qui ne sont rien », mais qui tiennent notre société à bout de bras. Sa « critique populaire de l’exploitation » donne la parole à des dizaines de travailleuses et travailleurs du rang, qui décrivent par le menu leur difficile condition au travail. Mais qui montrent aussi des chemins de résistances et d’alternatives.

Sociologue au Cepag (Centre d’Éducation Populaire André Genot), un mouvement d’éducation populaire proche de la FGTB (Fédération générale du travail de Belgique) – avec une forte présence syndicale progressiste en Wallonie –, Latteur nous propose ici un kaléidoscope de récits de travail, 27 chapitres fourmillant d’histoires vécues, ordonnées autour de plusieurs thèmes. La première partie décrit les modes de management dans le secteur privé (« dirigés à distance, contrôlés en permanence »). A travers les témoignages d’ouvriers, d’employés, mais aussi de managers, on touche du doigt l’insécurité permanente que font planer les restructurations, les externalisations, les délocalisations. On voit aussi comment les outils numériques servent l’intensification du travail et le travail dans l’urgence permanente. Ainsi Bénédicte, scripte dans le cinéma depuis de nombreuses années, explique qu’avec les caméras numériques, « tout va beaucoup plus vite. Il y a plus de sensibilité – et donc moins d’éclairage. (…) On peut commencer à tourner alors que rien n’est prêt. Cela permet d’engranger de la matière filmée. Il y a une sorte de pression constante. L’éclairage, la mise en place, la répétition, etc…, ont sauté depuis bien longtemps » (p. 35).

La deuxième partie du livre (« Essentielles et méprisées ») s’intéresse aux services publics et professions essentielles. De façon très concrète, sont démontées les stratégies néolibérales de reconfiguration des services publics, de précarisation et déprofessionnalisation des agent·e·s, de mise à distance et disciplinarisation des usagers et usagères. Mais aussi les tensions internes aux collectifs, entre celles et ceux qui prennent encore à cœur leur tâche, et d’autres qui s’adaptent aux normes du management : « Je mets vingt minutes à faire une toilette au lieu de quinze. De ce fait j’ai des convocations au bureau parce que mes collègues se plaignent (…) Mes collègues que j’adore par ailleurs ne se rendent plus compte qu’elles sont dans la maltraitance et l’infantilisation » (p. 115).

La troisième partie (« Résister en milieu hostile ») rend compte des tentatives de résistance et de la répression féroce ou larvée à laquelle elles se heurtent le plus souvent. Particulièrement saisissant est le témoignage de Carmela (pp. 216-225), ouvrière et déléguée syndicale dans une entreprise de fabrication de sandwichs où les conditions de travail sont épouvantables – des horaires à rallonge, des températures frigorifiques, de lourds sacs à déplacer, l’obligation d’utiliser des produits parfois avariés (« Je suis parfois dégoûtée. Je ne vais pas aller manger ce que je produis »). Elle se heurte aux manipulations de son patron, qui dresse les salarié·e·s les uns contre les autres, réussissant même à susciter une pétition portée par un délégué syndical pour en faire licencier un autre. Parlant de la pression constante de l’employeur, « il souhaite me dégoûter afin que je parte de moi-même », sa santé en est fragilisée, elle ne va pas pouvoir tenir.

Mais Nicolas Latteur met aussi en visibilité des expériences plus encourageantes, où l’action militante permet de reconstruire du rapport de forces. Parfois en contournant des organisations syndicales enfermées dans des structures obsolètes. Ainsi l’association « Cordistes en colère » [spécialistes des travaux en hauteur ou difficiles d’accès équipés de cordes] s’est construite pour défendre spécifiquement les conditions de travail d’une profession risquée mais peu organisée et éclatée entre plusieurs fédérations professionnelles des syndicats « classiques » (CFDT puis CGT) avec lesquels les fondateurs de l’association avaient commencé à s’organiser. Souvent aussi, à partir d’équipes syndicales qui innovent dans la construction des liens avec les salarié·e·s en s’intéressant à leur expérience de travail réel. Ainsi la mise en œuvre d’« enquêtes ouvrières » permet de mobiliser l’intelligence individuelle et collective, comme dans le cas des aides-ménagères de Charleroi où Caroline, déléguée FGTB (pp. 273-274), estime avoir ainsi reconstruit un collectif conscient de sa force, y compris pour demander des améliorations salariales. Ou bien comme le relate Alice, élue CGT dans une grande entreprise de microélectronique proche de Grenoble : son syndicat met en œuvre une enquête sur les violences et discriminations sexistes et sexuelles, qui « construit un cadre où la sensibilité est plus grande. Cela permet de limiter les blagues sexistes et les autres phénomènes de violence, la tolérance devient plus faible » (p. 284).

Nicolas Latteur met en évidence « la légitimité de la délégation syndicale à définir elle-même son périmètre d’intervention », plutôt que de se laisser enfermer dans le « dialogue social » institutionnel : « par sa pratique de l’enquête, elle s’appuie sur les connaissances qu’ont les salarié·e·s de leur propre travail et déploie une dynamique participative. Les collectifs de travail peuvent ainsi être reconstitués – ne fût-ce que partiellement – par un syndicalisme qui se construit sur la base de l’expérience et de la connaissance qu’ont les salariés » (p. 284).

En définitive le travail de Nicolas Latteur est précieux en ce qu’il contribue à « constituer des caisses de résonance d’expériences de mobilisation dans lesquelles loin de se laisser abattre, ces salariés disputent à l’arbitraire sa toute-puissance » (p. 300). Multiplier ces expériences et les mettre en visibilité et en réseau, voici aujourd’hui une tâche centrale pour le mouvement social. Tant il est vrai que « le travail, son organisation et sa finalité apparaissent comme trois éléments centraux d’une perspective de réappropriation démocratique » (p. 306).

Thomas Coutrot est chercheur associé à l’IRES. Il a dirigé, de 2003 à 2022, le département Conditions de Travail et Santé à la Dares (Ministère du travail). Son dernier ouvrage: Redonner du sens au travail, une aspiration révolutionnaire (avec Coralie Perez), Seuil, 2022.

23.09.2023 à 11:22

« Femmes politiques » : à propos d’une mobilisation pour l’émancipation et la transformation sociale

adeline2lep

Texte intégral (4307 mots)

Le documentaire « Femmes politiques », réalisé par Daniel Bouy, nous donne à voir la mobilisation de femmes vivant à Stains pour organiser des États généraux de l’éducation et revendiquer une meilleure éducation pour leurs enfants et pour tous les enfants.

Profession Banlieue, centre ressource pour la Politique de la ville en Seine-Saint-Denis et coproducteurs du film, m’a demandé de participé à une projection de ce documentaire à Saint-Denis en octobre 2022, puis d’écrire un article pour accompagner la diffusion du film.

Je reproduis ci-dessous cet article que vous pouvez télécharger sur le site de Profession Banlieue, et vous encourage à voir le film « Femmes politiques » notamment via la plateforme Tenk ou sur Ciné Mutins. Et contactez le réalisateur pour organiser des projections-débats autour du film !


La boussole de l’éducation populaire

Le film de Daniel Bouy débute par l’affirmation des femmes que nous suivrons tout au long du film : « Nous ! ». Cette exclamation, comme souvent les actes qui revendiquent une dignité, m’a donné des frissons.

Parler en « nous », depuis ce que l’on est et où l’on est, c’est d’emblée questionner la société, sa composition, ses contradictions, ses inégalités, ses rapports sociaux. C’est s’affirmer et demander reconnaissance et respect. C’est, depuis sa position particulière, reconnaître l’altérité et revendiquer l’universel pour et par toutes et tous.

Pour ma part, j’ai regardé ce film et j’écris aujourd’hui ce texte depuis mes lunettes de femme blanche de 40 ans, ayant fait ce qu’on appelle de bonnes études et travaillant depuis vingt ans dans le secteur associatif à la croisée des secteurs de la culture, du social, de l’animation et du militantisme. Au-delà, je consacre humblement une part non-négligeable de mon temps et de mon énergie à tâcher d’oeuvrer pour transformer la société vers plus de justice, de libertés, d’égalité, et aussi de joie. J’habite dans un quartier populaire de Seine-Saint-Denis, pour des raisons économiques avant tout, mais aussi parce que j’ai vécu enfant dans ce type de quartiers et que je ne me sens pas capable d’assumer de faire sécession (et bien que je comprenne très bien les raisons des personnes qui font ce choix). Je suis cependant peu ancrée dans mon quartier et dans ma ville car j’ai régulièrement déménagé et que, n’ayant pas d’enfant moi-même, j’ai peu à faire avec les institutions et notamment l’Éducation nationale.

Dans mes analyses et mes pratiques, ma boussole est celle de l’éducation populaire. Mais qu’est-ce donc que l’« éducation populaire » ? Une expression qui, au mieux, veut tout et rien dire, et qui, au pire, est un repoussoir si on l’entend comme l’ambition d’éduquer le peuple. Il y a bien des mouvements d’éducation populaire, dans l’histoire et aujourd’hui, qui veulent éduquer le peuple [1] ; mais les pratiques dans lesquelles je me reconnais, issues du mouvement ouvrier, sont celles qui affirment que l’éducation populaire, ce n’est pas l’éducation du peuple, mais c’est notre éducation à nous-mêmes, en tant que peuple, pour construire notre émancipation et la possibilité d’une transformation sociale.

Les enjeux de l’émancipation

Ce qui nous amène à une autre notion, celle d’« émancipation » : un processus qui ne sera jamais achevé, et qui recouvre pour simplifier deux enjeux.

Se défaire de la culture dominante

D’une part, se défaire de la fatalité, de ce qu’on nous a présenté comme évident, normal : en deux mots, se défaire de la culture dominante et de son lot de normes et d’attendus. Développer ensemble notre capacité d’analyse et notre capacité critique, prendre conscience de la façon dont est structurée la société, comment elle fonctionne et comment ses mécanismes se reproduisent presque indépendamment de la volonté des individus (mais néanmoins très concrètement au bénéfice de certains et au détriment d’autres).

Reprendre prise

D’autre part, reprendre prise sur nos situations. Nous subissons en permanence le formatage issu de notre éducation et des rapports sociaux. L’éducation que nous avons reçue étant enfants, mais également les injonctions et rappels à l’ordre dits ou non-dits, symboliques ou très concrets, qui nous sont faits en tant qu’adultes, via les médias, la culture, les institutions, mais aussi l’ensemble de nos relations et interactions sociales. Cette éducation permanente, nous l’incorporons, nous ne la percevons généralement pas en tant que telle, et bien souvent nous la perpétuons même vis-à-vis des autres (enfants et adultes). Se défaire de ce formatage, c’est avant tout comprendre qu’il pourrait en être autrement, en prendre conscience. Mais cela va plus loin. Car par exemple, ce n’est pas parce qu’on sait qu’on a le droit de prendre la parole qu’on est en capacité de la prendre ; et encore moins de la demander et de la revendiquer quand elle nous est refusée. Le résultat de ce travail de désincorporation rejoint ce que les Nord-Américain·e·s nomment « empowerment » (que je traduis imparfaitement par « empuissantement »), et ce que les professionnel·le·s de l’intervention sociale appellent « développement du pouvoir d’agir » (que je considère être une volonté de développer l’« empowerment » des autres).

Ces deux aspects expliquent pourquoi l’éducation populaire n’a pas grand-chose à voir avec un simple enjeu de formation, un genre d’école parallèle à l’école. Il ne s’agit en effet pas tant de se former que de se déformer. Et cela ne peut se faire que collectivement, et au travers de l’action. Comme le dit Paulo Freire [2], un pédagogue brésilien : « Personne n’éduque personne, personne ne s’éduque seul, les gens s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde ».

Des démarches visant à la transformation sociale

C’est un tel processus d’éducation populaire qui est à l’oeuvre dans l’action du collectif de femmes que Daniel Bouy a suivi dans la préparation des 3e États généraux de l’éducation dans les quartiers populaires, qui se sont déroulés à Stains en novembre 2019, et qui ont été organisés par un collectif de femmes de la ville. Un processus qui les a amenées à développer une compréhension fine de la situation dont elles subissent les effets, à identifier comment agir et quelles revendications porter. Un processus qui les a faites se sentir plus fortes, individuellement et collectivement, plus dignes, plus puissantes.

Les démarches « Voir – Juger – Agir »

En éducation populaire, on pratique des démarches dites de « Voir – Juger – Agir ». Tout le monde ne les nomme pas ainsi : cette dénomination vient de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), mouvement d’éducation populaire. Mais qu’on l’appelle « entraînement mental », démarche développée par le mouvement Peuple et culture pendant la Résistance, ou qu’on ne lui donne pas particulièrement de nom, c’est souvent cette démarche que l’on retrouve partout.

Cela semble simpliste, presque rien. Mais c’est en réalité une démarche puissante qui vise, collectivement, à mieux analyser les situations que l’on souhaite transformer, mieux définir nos moyens d’action, et davantage discuter et définir ce que sont nos valeurs et notre utopie. C’est donc une démarche éthique et politique dont l’objectif est de construire pas à pas et le plus largement possible notre émancipation et la transformation sociale. Et c’est de cette démarche dont témoigne le film « Femmes politiques ».

Voir par l’objectivation

On y suit en effet ces femmes dans la démarche qui les mène à prendre le temps d’élaborer leur réflexion, leurs analyses et leurs revendications à court, moyen et long terme. Elles ne se précipitent pas sur de fausses solutions ni de mauvaises cibles, comme celle d’accuser les enseignants et les professeurs. Elles cherchent les raisons et les pistes du côté de l’organisation de la société. Recherchant dans l’histoire, elles élaborent une « contre-histoire », celle des vaincu·e·s (l’histoire officielle est toujours écrite par les vainqueurs, et invisibilise ce qui a été ou aurait pu être). Par là, elles revendiquent leur dignité et celle de leur classe sociale, ainsi que la nécessité d’une transformation de la société.

Juger par la réflexion et la recherche

Au fil de cette démarche, elles vont nourrir leurs analyses de rencontres, de savoirs et d’expériences. Leur démarche vient avant tout de leur expérience : « Je sais de quoi je parle, je l’ai subi, et mes enfants le subissent encore », dit l’une des femmes. Elle est nourrie de la rencontre et des échanges avec d’autres personnes ayant des expériences proches, notamment les personnes rencontrées lors des 2e États généraux de l’éducation dans les quartiers populaires qui se sont déroulés à Créteil.
Elles ont croisé [3] ces expériences avec des savoirs « savants », issus de recherches scientifiques, en rencontrant Choukri Ben Ayed, sociologue, Laurence De Cock, historienne et Christiane Vollaire, philosophe.

Car les démarches d’éducation populaire sont fondamentalement des démarches de recherche populaire : nul·le n’a la solution, et chercher ensemble est en soi une démarche émancipatrice, une démarche de reprise en main. Il n’est pas ici question que quiconque (universitaire, élu·e, professionnel·le ou autre) vienne « expliquer » ce qu’il faut penser de la situation, et ce qu’il faut faire et revendiquer : l’enjeu est de construire tout cela ensemble, et de se donner les moyens d’agir le plus « efficacement » possible.

Agir collectivement

Car il ne suffira pas de comprendre, de poser un diagnostic et de définir des revendications, aussi justes soient-elles. Il va falloir tâcher de se faire entendre et de peser dans le débat. C’est dans cette optique que les femmes du collectif se forment également sur des questions techniques, comme par exemple comment agir avec les médias.

Cette question de l’efficacité fait partie intégrante de la recherche collective à mener, car elle pose forcément une question éthique et politique : jusqu’où sommes-nous prêt·e·s à aller ? Quels outils sommes-nous prêt·e·s à utiliser ? Est-ce que la fin en vaut les moyens, ou est-ce que, tout en tâchant de se donner autant que possible les moyens d’arriver à nos fins, l’éthique reste la valeur supérieure, à laquelle sont subordonnés tous les choix concrets que nous avons à faire ? Ces questions, il faut se les poser collectivement et quasi en permanence, car les moyens utilisés déterminent sans doute les effets qui seront produits, mais déterminent également le fond même du combat qui est mené (« la fin est dans les moyens »).

Et il faudra enfin se lancer, car l’émancipation n’advient pas toute seule : c’est une libération qui nécessite de se mettre en danger. C’est là un paradoxe dans la société actuelle. La doxa libérale considère une émancipation individuelle : elle invite à « se prendre en main », « traverser la rue pour trouver du travail », sur le principe que « quand on veut on peut ». Mais cette injonction est mensongère : il est maintes fois prouvé que vouloir ne suffit pas, et qu’avoir du mérite non plus. Nous vivons dans une société inégalitaire dans laquelle d’une part tout le monde n’a pas les mêmes chances, et d’autre part même si c’était le cas (si les écoles, l’accès au soin etc. étaient égalitaires) tout le monde ne part pas sur la même ligne de départ du fait des inégalités pré-existantes. C’est pourquoi l’émancipation que nous considérons ici est forcément collective, et est inséparable d’une transformation de la société. Néanmoins, elle nécessite de se lancer, et c’est là le paradoxe, la pente sur laquelle il ne faut pas se laisser entraîner et culpabiliser : on ne peut pas s’émanciper tout·e seul·e dans une société inchangée.

Prendre la parole, c’est déjà un pas énorme qui contribue à nous faire reprendre prise. C’est ce que font les enfants lorsqu’ils parlent à la radio lors de la fête de la ville. C’est ce que font les femmes du collectif quand elles montent sur scène. Prendre la parole et agir nécessite de « Tuer les flics qu’on a dans la tête » [4] : c’est nécessaire, tout en étant très clair sur le fait que les barrières ne sont pas avant tout dans nos têtes, mais bien dans l’organisation de la société.

Nombreux sont celles et ceux qui souffrent d’un sentiment d’impuissance : un sentiment de ne pouvoir « ni fuir ni se battre » [5]. À celles et ceux-là, la conception libérale de l’émancipation dit « Cessez donc de vous lamenter, et prenez-vous en main ». Mais l’impuissance est un symptôme, une conséquence des situations de dominations subies. On peut certes tenter de lutter contre l’impuissance, mais ce n’est qu’en luttant contre leurs causes, c’est-à-dire les dominations, les injustices et les inégalités, qu’on pourra en venir à bout.

Un processus sans recette miracle

Or pour lutter et transformer la société, il n’y a pas de mode d’emploi ni de recette miracle. Il existe différentes stratégies. Aucune ne se suffit à elle-même, et bien que complémentaires il n’est pas rare qu’elles se contredisent.

Transformer de l’intérieur

On peut tout d’abord agir « dans le système », en utilisant les institutions telles qu’elles existent. C’est ce que font les femmes du collectif quand elles participent au conseil municipal ; c’est ce que fait la mairie quand elle fait un recours juridique et une conférence de presse. Il s’agit d’élargir des brèches, de faire reconnaître et de gagner des droits.

Rapports de force et alternatives

Mais quand on ne parvient pas à convaincre avec des arguments, il est souvent nécessaire de passer au rapport de force. On va alors utiliser notre nombre pour faire pression et forcer le pouvoir à nous écouter, à faire des compromis. D’autres stratégies peuvent encore exister [6]. Par exemple celle de s’opposer frontalement et totalement au pouvoir, sans même chercher à négocier, mais pour le faire tomber. Ou celle qui consiste à développer des alternatives en-dehors du « système », de ne pas attendre que l’État règle la situation, de la mettre en oeuvre directement.

La bataille de l’opinion publique

En parallèle, il faut mener la bataille des idées. D’abord construire nos idées, nos analyses et nos revendications : c’est le travail collectif d’éducation populaire dont il était question plus haut. Ensuite, on va tâcher de diffuser ces idées le plus largement possible : on est alors dans une bataille de l’opinion publique dans le cadre de laquelle on se bat contre des cabinets de communication experts en manipulation des opinions et des émotions. Sommes-nous prêt·e·s à utiliser les mêmes armes qu’eux ? Il est probablement nécessaire de comprendre comment fonctionne ce champ de la bataille de l’opinion publique (le marketing, la publicité, les médias…), mais il faudra probablement arbitrer entre éthique et « efficacité », et donc avoir régulièrement des cadres collectifs pour discuter des choix à faire.

Accompagner la participation et l’émancipation : la place des allié·es

Il y a des acteurs et actrices qu’on voit beaucoup dans le film et dont je n’ai pas encore parlé : ce sont les professionnel·le·s et élu·e·s qui ne sont pas directement concerné·e·s par la situation (en tout cas, ce n’est pas à ce titre qu’iels interviennent), mais qui se sentent concerné·e·s au point de consacrer beaucoup d’énergie à accompagner et soutenir le collectif de femmes. Alors que le film démarre sur l’affirmation « Nous ! », qui sont ces autres intervenant·e·s, et comment agissent-iels ?

Iels sont ce qu’on peut qualifier d’« allié·e·s ». Iels ont une place différente de celles qu’on appellera les « premières concernées » : iels ont davantage de pouvoir dans la société, mais n’ont pas pour autant de baguette magique pour la transformer selon leurs souhaits. Comment agir en tant qu’« allié·e·s » dans l’intérêt de personnes et de situations dont on se sent solidaires, mais vis-à-vis desquelles nous sommes néanmoins en extériorité ? Comment prendre sa place dans la lutte, prendre toute sa place, mais ne pas prendre toute la place ?

Le rôle des professionnel·les et des élu·es

Avant toute chose, il importe de ne jamais oublier qu’on ne peut pas émanciper autrui (perspective anti-émancipatrice au possible, en plus d’être inefficace). Ce qui amène un paradoxe : si on veut agir pour l’émancipation de toutes et tous, cela ne nécessite-t-il pas forcément d’agir pour l’émancipation des autres ? Comment faire alors ?

Attendre d’être reconnu par les autres

Un premier élément est de considérer qu’on ne peut pas s’autoproclamer « allié·e » : malgré toutes nos bonnes intentions, ce sont les personnes dont on se veut les allié·e·s qui nous reconnaîtront ou non comme tel·le·s. Humilité, donc, dans cette ambition d’aider, de soutenir, d’être aux côtés, d’accompagner.
Suite logique de cela : ce n’est pas aux allié·e·s de dire ce qu’il faut que les personnes fassent ou non. On peut avoir un avis et le dire, mais imposer sa vue serait un acte de domination (si on a le pouvoir de l’imposer en effet, or professionel·le·s et élu·e·s ont sans doute ce pouvoir), et dans tous les cas serait parfaitement anti-démocratique et anti-émancipateur (alors même que bien souvent c’est au titre de ces deux idéaux qu’on prétend agir). Agir en tant qu’allié·e nécessite donc d’accepter de se décentrer, d’écouter, d’observer, de comprendre que malgré notre bonne volonté on ne comprend rien, ou en tout cas pas tout.

Mettre ses moyens au service de l’émancipation

Ce qui n’empêche pas de proposer, notamment quand on a accès à des informations ou des financements. Quand Zouina Meddour, directrice de service à la ville de Stains et militante de longue date, propose en tant qu’allié·e à des femmes du Centre social Yamina Setti de Stains d’aller assister à Créteil aux États généraux de l’éducation dans les quartiers populaires, cela aurait pu ne pas susciter d’intérêt.
Ainsi, les allié·e·s peuvent se mettre au service de la lutte qu’iels souhaitent soutenir : proposer des moyens (financiers, matériels, etc.), passer la parole (plutôt que de parler à leur place), mais toujours en acceptant que ces propositions soient ou non acceptées.
Lutter et s’émanciper sont des dynamiques qui demandent du temps et des moyens : comment les allié·e·s peuvent-iels aider les personnes directement concernées à dégager ce temps, quand leur situation sociale fait que bien souvent le quotidien prend toute la place ?

Les professionnel·les sont-iels prêt·es à se mettre en danger ?

La dynamique gouvernementale actuelle aggrave une tendance en place depuis plusieurs décennies : les libertés citoyennes et associatives se réduisent drastiquement. Quand on travaille dans une institution, comment peut-on soutenir les dynamiques autonomes, quitte à prendre parfois soi-même des risques ? Cette question de la prise de risque des professionnel·le·s est centrale : au-delà de vouloir aider, quels risques prenons-nous ? C’est sans doute là une réponse à la question « En tant que quoi luttons-nous ? ». Par le syndicalisme et/ou d’autres formes de mobilisations collectives, il y a un enjeu déterminant à ce que les professionnel·le·s résistent aux dynamiques à l’oeuvre actuellement, qui pèsent directement sur les citoyen·ne·s et la démocratie.

Très souvent, donc, être allié·e consiste à accepter de se faire dépasser, bousculer. C’est ce dont témoigne Zouina Meddour lors du débat qui a suivi la projection du film au cinéma L’écran de Saint-Denis, en octobre 2022. « En revenant des États généraux de l’éducation dans les quartiers populaires, les femmes qui avaient fait le voyage ont déclaré publiquement à la clôture de la rencontre que la prochaine édition aurait lieu à Stains ! La municipalité a immédiatement encouragé l’initiative. Cependant, dans une autre ville, il m’est arrivé de ne pas être soutenue par ma hiérarchie. J’accompagnais alors un groupe de jeunes qui avait lancé un travail d’analyse juridique des gardes à vue et d’auditions de victimes de bavures [7]. J’ai alors été convoquée, j’étais en désaccord avec les orientations politiques, j’ai choisi de quitter cette municipalité ».

Quels effets attendre des processus d’émancipation ?

L’émancipation est un chemin : un chemin sans fin, au bout duquel personne n’arrivera jamais, mais au fur et à mesure qu’on avance sur celui-ci, on ne revient jamais en arrière. Cette image du chemin vient résonner avec les mots du poète républicain espagnol Antonio Machado : « Il n’y a pas de chemin : le chemin se fait en marchant ». La préoccupation de l’émancipation, pour nous-même et pour toutes et tous, pose la question des moyens que l’on utilise, de la façon dont nous agissons : quoiqu’on fasse, est-ce que ce que nous faisons nous fait collectivement avancer sur le chemin de l’émancipation, et donc de la transformation sociale ? La question essentielle est « Qu’est-ce que ça construit ? ».

L’émancipation est un processus qui prend du temps, d’autant plus qu’il est nécessairement collectif. Au fil du chemin, des questions de fonctionnement vont nécessairement se poser : comment on discute, on élabore, on décide ? C’est la question des pratiques démocratiques (autre idéal jamais complètement atteint et qui demande une attention permanente), et elle transparaît dans le film quand le collectif doit faire des choix. Toute expérience collective est l’occasion de travailler notre pratique du pouvoir collectif, d’être ensemble dans une démarche de recherche concrète. On va tâtonner, expérimenter, tester des choses, faire le bilan, corriger, recommencer, etc. : c’est ainsi que chacun·e d’entre nous doit apprendre à fonctionner démocratiquement, car ce n’est pas ainsi que nous avons été éduqué·e·s.

Sur ce chemin sans fin, comment allons-nous tenir ? Nous allons tenir parce que nous avons la rage de lutter contre les injustices, les inégalités, les dominations. Nous allons tenir parce que nous avons le désir de construire notre dignité collective, et que celle-ci nous donne de la force et de la puissance. La séquence de fin, autour de la chanson « Résiste », et avec le lancer de bouquet (« Je me lève et je vous passe le flambeau ! ») a été pour moi un autre moment qui m’a émue et bouleversée. La démarche de ces femmes est incontestablement politique : elle vise à construire un monde plus juste, plus libre et plus solidaire. Bravo à elles. Et merci.


Notes

1. L’éducation populaire, un phénix toujours renaissant : de la Révolution française au mouvement MeToo, Paul Masson, Éditions du Petit pavé, 2022.

2. Pédagogie des opprimés, Paulo Freire, Éditions Agone, 2021 (parution initiale 1970).

3. ATD Quart Monde parle de « croisement des savoirs » à propos des démarches qui consistent à faire se rencontrer des savoirs scientifiques, des savoirs issus de l’expérience, et des savoirs professionnels.

4. Expression d’Augusto Boal, fondateur argentin du Théâtre de l’Opprimé.

5. Expression du médecin Henri Laborit, cité par Yann Le Bossé, spécialiste du développement du pouvoir d’agir.

6. Ces stratégies sont développées dans Organisons-nous ! Manuel critique, Adeline de Lépinay, Éditions Hors d’atteinte, 2019.

7. Le projet a néanmoins abouti à un film documentaire Garde à toi, garde à vue, mode d’emploi réalisé par La CATHODE en 2005.

13.09.2023 à 11:54

Anti-oppression : charte éthique de pédagogie critique

adeline2lep

Texte intégral (1477 mots)

Dans les Cahiers de pédagogies radicales (qui visent à développer les pédagogies inspirées par l’œuvre de Paulo Freire), la chercheuse Irène Pereira invite les pédagogues à réfléchir à leurs règles éthiques quand iels cherchent à mettre en œuvre une pédagogie critique anti-oppressive.

Elle propose une charte, un ensemble de règles, qui ne constitue pas un « code de déontologie » indiscutable, mais au contraire une base de discussion. Ces règles visent à inviter à s’interroger sur ce qu’est un agir éthique en pédagogie critique, et plus particulièrement lorsque cet agir éthique est orienté vers une pédagogie anti-oppressive.

Cette charte a par ailleurs été publiée dans le n°14 de la revue N’autre école : « Critiques, les pédagogies ? »

1- Le parti pris des « opprimé·es »

La première position éthique d’une pédagogie critique est celle d’un parti pris, l’engagement en faveur des « opprimé·es ». Il s’agit d’un choix éthique existentiel. L’histoire met en scène des groupes sociaux aux intérêts antagoniques occupant des positions sociales inégalitaires. Et dans le cadre d’une telle conception de l’histoire, les pédagogies critiques, quelle que soit leur position sociale d’origine, font un choix existentiel, celui de considérer que leur action éducative doit être engagée en faveur des opprimé·es.

2- Se conscientiser

La conscientisation est pour la ou le pédagogue critique une première exigence éthique personnelle. Elle ou il considère qu’il ne peut essayer de mettre en œuvre une pédagogie émancipatrice sans effectuer un travail de conscientisation personnelle qui est sans fin.

Cette exigence d’auto-conscientisation passe par le respect des savoirs des personnes concernées par les oppressions et les discriminations. Cela passe ainsi par le fait d’écouter les récits des personnes directement concernées par des discriminations et des inégalités sociales.

Mais le processus de conscientisation ne se limite pas à cela. Il consiste à confronter ces discours subjectifs à des recherches en sciences humaines et sociales qui proposent une objectivation statistique de ces réalités. La dialectique entre les savoirs sociaux subjectifs et les savoirs scientifiques objectifs est nécessaire pour le processus de conscientisation. En effet, pour qu’il y ait conscientisation, il faut qu’il y ait une dialectique critique qui ne peut avoir lieu que par la confrontation entre des savoirs de nature différente. La confrontation entre des types de savoirs différents permet de construire un esprit critique.

Elle permet aussi de passer de l’expérience subjective émotionnelle qui fait percevoir les oppressions comme des expériences interindividuelles à une conception des oppressions comme des réalités macro-sociales qui structurent la société dans son ensemble. C’est ce que permettent par exemple d’objectiver les études statistiques.

Face à une situation, le ou la pédagogue critique cherche non pas à avoir une lecture individualisante et psychologisante, mais à mettre en lumière les rapports sociaux de pouvoir.

3- Être un ou une allié·e

Prendre le parti des opprimé·es conduit à adopter une posture d’allié·e vis-à-vis des personnes vivant une oppression.

La notion d’allié·e implique la prise en considération qu’il existe plusieurs rapports sociaux entrecroisés. Ce qui fait que la plupart des personnes sont privilégiées sur certains points, mais aussi opprimées sur d’autres.

Un ou une alliée est une personne qui ne vit pas directement une oppression, mais qui souhaite s’engager dans la lutte contre cette oppression.

Le ou la pédagogue critique voit dans les situations d’incident critique non pas uniquement un problème à résoudre, mais une occasion de développer un travail de conscientisation et de déconstruction collective des rapports sociaux.

4- Ne pas agir sur, mais agir avec, pour développer le pouvoir d’agir des opprimé·es

L’allié·e n’adopte pas une position de surplomb où elle ou il agit sur la personne, mais elle agit avec les personnes concernées par les oppressions.

L’éthique de la pédagogie critique implique de refuser une réduction de la relation éducative ou d’enseignement à un rapport de maîtrise technique d’autrui. Être un ou une pédagogue critique ce n’est pas, avant tout, maîtriser des outils, des techniques ou encore une méthode. C’est avant tout construire une relation éthique avec les apprenant·es.

Être attentif et réfléchir aux relations de pouvoir dans la relation d’aide afin de les déconstruire.

Cela suppose de commencer par écouter les personnes les premières concernées et leur vécu sur les oppressions pour connaître leur demande.

Cela implique que les décisions qui sont prises par la suite le sont avec leur accord. Cela signifie également que la ou le pédagogue critique cherche à favoriser la capacité d’auto-organisation des personnes.

5- Avoir une approche inclusive

Se demander si son discours, les supports ou les espaces dans lesquels on agit ou que l’on utilise invisibilisent, excluent ou encore stéréotypisent de manière négative certains groupes.

  • Faire attention à ce que son discours ne stigmatise pas certains groupes, faire en sorte à ce qu’il visibilise le plus possible la diversité de la société ;
  • Faire en sorte que les affichages ou les supports pédagogiques ne véhiculent pas des stéréotypes négatifs et visibilisent la diversité de la société ;
  • Éviter que se constitue une répartition inégalitaire dans les espaces ou des espaces qui apparaissent comme peu accueillants pour des personnes appartenant à des groupes socialement discriminés, faire en sorte qu’il n’y ait pas de micro-violences dans ces espaces ;
  • Être attentif à une répartition égalitaire et inclusive de la parole des différent·es participant·es

6- Intervenir face à une situation d’oppression

Ne pas laisser passer un propos discriminatoire ou un comportement discriminatoire. L’allié·e a conscience que parfois pour les personnes directement concernées, il peut être compliqué d’intervenir directement par elles-mêmes. L’allié·e peut avoir une position de soutien ou intervenir, avec si possible son accord, si la personne concernée n’est pas en mesure de le faire elle-même.

7- L’efficacité ne peut pas prendre le pas sur le respect de la dignité de la personne humaine

La lutte contre les oppressions découle de la reconnaissance d’une égale dignité de chaque être humain. De ce fait, la recherche d’efficacité dans l’action ne peut pas prendre le pas sur le respect de la dignité de  la personne humaine, en particulier de celle des opprimé·es.

8- Développer une prudence face aux dilemmes de la pratique

La lutte contre les oppressions et les discriminations s’appuie sur des principes généraux, mais la situation pratique nous oblige à réfléchir au cas par cas à ce qui doit primer dans une situation déterminée.

La prudence désigne la vertu par laquelle on est amené à réfléchir et à agir de manière à déterminer quelle est la règle d’action éthique qui doit être utilisée dans un cas particulier. Le ou la pédagogue critique ne peut pas agir mécaniquement, mais est attachée à la réflexion éthique face aux dilemmes que pose la pratique.

9- La cohérence

La cohérence consiste dans une recherche d’adéquation entre le discours et la pratique. Le ou la pédagogue critique cherche à mettre en œuvre un principe de cohérence.

10- L’éthique et les conditions matérielles

Les pédagogues critiques ont conscience que leur agir éthique est souvent contraint par les conditions sociales matérielles. C’est pourquoi les pédagogues critiques considèrent qu’il est nécessaire de lutter pour des conditions de travail décentes afin de pouvoir parvenir à une plus grande cohérence entre les principes éthiques et l’agir réel.


Annexe :
Vidéo « La vertu du social – L’approche anti-oppressive »

30.08.2023 à 18:28

Réhabiliter l’éducation populaire politique

adeline2lep

Texte intégral (2223 mots)

Ce texte m’a été signalé par son auteur, Saïd Oner, qui vient de créer le blog https://regardscritiks.blogspot.com . Je reproduis ce texte ici, et vous invite à visiter ce blog et à lire ses articles.


Réhabiliter l’éducation populaire politique

Le champ du travail social, de l’animation et de l’éducation en général s’inscrit dans des orientations diverses et variées, dont l’une peut être celle de l’éducation populaire.

Cette dernière mérite un éclairage afin de mieux comprendre son ancrage historique, ses aspirations et les différentes réappropriations dont elle a pu faire l’objet.

L’on peut remonter à l’entre-deux guerres pour percevoir des aspirations démocratiques et révolutionnaires, notamment à travers le front populaire qui revendiquait alors le droit aux congés payés ou à la semaine de 40 heures, par exemple. A cela on peut ajouter une effervescence autour des questions de pédagogie et d’éducation, mobilisées à des fins d’encadrement d’enfants dans le cadre de séjours de vacances.

Cette époque est traversée par un dynamisme autour d’ambitions émancipatrices qui mobilisent citoyens, collectifs, organismes ou encore formations politiques. C’est aussi une période marquée par le mouvement de l’éducation nouvelle qui cherche à reconsidérer le rapport à l’autre dans des perspectives pédagogiques délestées de tous rapports de domination. Le champ de l’éducation est ainsi bouleversé et cherche à se réinventer, en donnant davantage de place à l’apprenant, en questionnant la toute-puissance du maitre et en revendiquant l’importance de sensibiliser et de former les encadrants à la pédagogie.

Dans ce cadre là, nous pouvons parler d’une période où l’éducation populaire est politique, comprise dans le sens où ce mouvement a permis de développer un regard critique sur la société et a pu mobiliser des populations gagnées par l’ambition de transformer cette société.

Après la libération, les questions d’éducation et de pédagogie continuent de rythmer le quotidien des instructeurs, des encadrants et plus largement de la société. Cependant, l’éducation populaire va progressivement connaître une double transformation. En effet, dès le début des années 1950 et portée par les maisons des jeunes et de la culture, l’éducation populaire est plus ou moins redéfini subrepticement comme étant un champ d’accès à la culture. Il s’agit désormais de démocratiser la culture et de la rendre accessible à tous, l’éducation populaire se voit ainsi dotée de cette mission de démocratisation de la culture pour tous. Ou dit autrement, la démocratisation de la culture devient l’apanage de l’éducation populaire.

Dans le même temps, l’éducation populaire s’institutionnalise. Le statut d’animateur professionnel est créé par l’INEP, l’institut national d’éducation populaire. Dans cette perspective, se développe l’animation socioculturelle. Champ professionnel dans lequel l’éducation populaire est labelisé institutionnellement et qui donc répond à des missions d’accès à la culture dans un cadre défini.

Si les maisons des jeunes et de la culture vont jouer un rôle certain dans l’accès à la culture et aux savoirs, c’est précisément durant cette période que le caractère politique et militant de l’éducation populaire se verra transformé par des ambitions éducatives et culturelles. La capacité critique, la construction d’une conscience politique, l’émancipation et la perspective d’une transformation sociale se voient grandement remplacés par l’accès aux loisirs, aux activités culturelles et plus globalement à l’animation socioculturelle.

Tout cela étant la condition pour obtenir des subventions afin « d’animer » associations et maisons de jeunes et de la culture.

Dans les années 1980, on assiste à l’avènement du néo libéralisme et sa doctrine économique du « New public management » qui consiste à réformer les services publics dans une logique gestionnaire issue du privé et dont le but est d’améliorer la performance. Le service public est donc repensé selon la théorie économique du « new management public » qui fait la part belle à la productivité et à la performance.

Le néo libéralisme amène avec lui aussi tout un discours encourageant une vision apolitique et apolitisée de la société. Il faut coupler à la flexibilisation des entreprises une politique de destruction des structures collectives, afin de ramener l’individu à ce qu’il doit être, à savoir un individu responsable de lui-même. « Le chômeur est responsable de son chômage. »

Cet assaut du néo libéralisme va frapper de plein fouet le champ de l’animation et de l’éducation populaire, ce dernier étant lui aussi soumis aux injonctions de performance et de rentabilité. Dès lors, le caractère politique et militant de l’éducation populaire dont les quelques braises subsistaient encore se voit totalement étouffé par l’imposition de procédures bureaucratiques et de critères de la part des organismes financeurs.

Les années 90, sous fond de crise économique, favorise un léger retour à la dimension originelle politique de l’éducation populaire, notamment à travers l’association ATTAC fondée en 1998 qui milite pour la justice sociale et qui se réclame de l’éducation populaire politique. Néanmoins, la période est également marquée par l’accélération de la « bureautisation » et de la technicisation des associations qui seront sommées de se conformer à la logique d’appels d’offres, instituée dès le début des années 2000.

Cette logique d’appels d’offres va entériner la concurrence entre les différentes associations et structures et va ainsi reconfigurer leurs actions. Désormais, il s’agira d’obtenir de nouveaux marchés dans le but de croître économiquement, et potentiellement de jouir d’un monopole dans un secteur d’activités en particulier. Ici, le public est vu comme un marché, les personnes comme autant d’éléments pouvant participer à la viabilité économique d’une structure.

L’éducation populaire politique parlait de compagnons de lutte, l’éducation populaire labelisée institutionnellement parlait de « public », l’éducation populaire aujourd’hui aura tendance à parler de « marchés », s’alignant ainsi sur des ressorts entrepreneuriaux dans une visée managériale.

Les années 2000 sont aussi l’occasion de réformer en profondeur la formation professionnelle. Dans un continuum néo libéral, les différentes réformes de la formation professionnelle vont introduire un champ sémantique qui renvoie en permanence à la responsabilité de l’individu. Des termes comme « compétences » ou « projet » sont pensés dans une logique de savoir être et de responsabilité de l’individu. Ce dernier doit développer des « compétences » pour se conformer à une autorité, il doit développer son savoir être pour entretenir son employabilité, il doit réaliser un projet pour faire valoir sa motivation…

Ce langage s’inscrit dans une vision néo libérale au sens économique du terme mais aussi dans une vision dépolitisée des rapports de pouvoir. Dans ce cadre-là, la question de l’accès à l’emploi (par exemple) ne se pose pas selon des conditions sociales, économiques et/ou territoriales qui pourraient contraindre l’individu à l’accès à l’emploi. Non, dans ce cadre-là, seul l’individu est responsable et donc s’il souhaite trouver un emploi, il doit travailler sur lui-même. L’individu est invité à chercher des réponses en lui, sans jamais questionner les rapports sociaux.

Terminons par évoquer cette injonction au bonheur et à la positivité qui gagne aussi le milieu de l’éducation populaire. L’arrivée en masse de termes tels que la « bienveillance » ou encore « le vivre ensemble » participe de cette vision dépolitisée de la société. Là encore, ces termes qui orientent la pratique des professionnels encouragent une vision de la société où chacun peut s’il le veut. En étant bienveillant et en étant respectueux de ton prochain, tu évolueras.

Ces mots « valises » s’imposent dans les milieux de l’éducation populaire et sont désormais les décideurs potentiels de l’obtention de nouveaux marchés. Ils sont exploités à des fins de visibilité, de communication et de viabilité économique des différentes structures. Il faut aujourd’hui valoriser le « vivre ensemble » et faire preuve de « bienveillance » pour rester compétitifs sur le marché associatif et de la formation professionnelle.

Aujourd’hui, la société est traversée par des crises économiques, sociales et écologiques comme chacun peut le percevoir au quotidien. Certaines et certains d’ailleurs subissent ces crises plus fortement que d’autres. Les mouvements sociaux récents ont eu le mérite de politiser les colères et de permettre à des personnes de s’impliquer et de s’investir dans des luttes sociales de premier plan, parfois au péril de leur vie. Si le pouvoir politique a rarement la main qui tremble, les manifestations populaires ont pu visibiliser les violences d’état incarnées par les forces de l’ordre. De ce point de vue-là, l’éducation populaire a tout intérêt à renouer avec une certaine forme de radicalité avec en ligne de mire la transformation sociale.

Les militants et autres défenseurs de l’éducation populaire ont sûrement un rôle à jouer quant à l’importance de redéfinir ce mouvement en des termes moins élogieux sur le plan communicatif, mais beaucoup plus radicaux sur le plan de sa finalité originelle. Refuser les termes consensuels qui sclérosent ce mouvement et l’orientent uniquement dans des directions apolitiques et de convenance. Refuser le chantage aux subventions ou aux appels à projets, refuser la logique de marchandisation qui tend à s’imposer, elle aussi, dans les structures se réclamant de l’éducation populaire. Refuser la labélisation des pouvoirs publics. Refuser l’injonction à la rentabilité, à la performance, à la productivité…Bref, refuser finalement tout ce qui relève d’une société débarrassée de services publics et qui vise à faire des rapports sociaux, des rapports de marchandisation et de pouvoirs entre celles et ceux qui décident et celles et ceux qui exécutent.

Oui, l’éducation populaire doit refuser un bon nombre d’impositions, souvent présentées comme « allant de soi ». Or les réformes et les directives données sont des choix politiques et sociétaux, ils s’imposent grâce à un rapport de forces gagnant par celles et ceux qui ont le pouvoir de décider et d’imposer. Si l’éducation populaire veut peser politiquement, elle ne peut fermer les yeux sur les rapports de pouvoir, elle se doit d’en encourager la lecture et la compréhension afin de développer un regard critique, préalable et condition sine qua non à toutes aspirations émancipatrices. On ne s’émancipe d’une domination que si l’on connaît la structure qui nous domine.

Pour autant, refuser est une position défensive qui ne saurait mobiliser avec engagement et enthousiasme. C’est pourquoi le refus doit s’accompagner de tout un imaginaire où le pouvoir d’agir est une des perspectives des classes dominées. Entretenir des perspectives où le champ des possibles se dessine, où la notion de sens et de plaisir retrouve une résonnance véritable dans le quotidien de chacun est absolument fondamental. Il est important de créer des conditions favorables à l’engagement, tout en gardant en tête qu’il ne faut faire à la place d’eux mais permettre à celles et ceux qui vivent les oppressions au quotidien d’imaginer et de construire des perspectives nouvelles.

Comprendre le monde dans lequel on vit est une démarche fondamentale. Créer des espaces où l’expérience et la connaissance de chacune et chacun peuvent se confronter, et s’alimenter est d’une importance capitale. Quand la parole peut être prise par celles et ceux à qui elle a toujours été confisquée, cela peut être le début d’une dynamique de compréhension et de remise en question de « l’état des choses », en plus de travailler à une conscience de classe. La perspective révolutionnaire est aux mains de celles et ceux qui en décideront ainsi, ou pas.

En attendant, la société néolibérale continue de s’exercer en paupérisant et en oppressant les classes dominées. Le discours apolitique de neutralité et le recours à la « bienveillance » ne tiendra plus très longtemps. Il faut ainsi espérer que l’éducation populaire politique aura eu la bonne idée de retrouver du politique dans ses différents champs d’action, afin de permettre à toutes ses colères populaires légitimes de ne pas se tromper de cibles.

Saïd Oner

25.06.2023 à 21:06

Voyageur ! Il n’y a pas de chemin

adeline2lep

Lire la suite (381 mots)

Voyageur ! Il n’y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.
Tout passe et tout demeure
Mais notre destin est de passer
De passer en traçant des chemins
Des chemins sur la mer


Tout passe et tout demeure
Mais notre destin est de passer
Passer en traçant des chemins
Des chemins sur la mer

Jamais je n’ai cherché la gloire
Ni voulu dans la mémoire des hommes
Laisser mes chansons
Mais j’aime les mondes subtils
Aériens et délicats
Comme des bulles de savon.

J’aime les voir s’envoler,
Se colorer de soleil et de pourpre,
Voler sous le ciel bleu, subitement trembler,
Puis éclater.

À demander ce que tu sais
Tu ne dois pas perdre ton temps
Et à des questions sans réponse
Qui donc pourrait te répondre ?

Chantez en cœur avec moi :
Savoir ? Nous ne savons rien
Venus d’une mer de mystère
Vers une mer inconnue nous allons
Et entre les deux mystères
Règne la grave énigme
Une clef inconnue ferme les trois coffres
Le savant n’enseigne rien, lumière n’éclaire pas
Que disent les mots ?
Et que dit l’eau du rocher ?

Voyageur, le chemin
C’est les traces de tes pas
C’est tout ; voyageur,
il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler

Voyageur ! Il n’y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.
Tout passe et tout demeure
Mais notre destin est de passer
De passer en traçant des chemins
Des chemins sur la mer

Antonio Machado
Poète républicain espagnol, mort à Collioure en 1939 sur la route de l’exil
Extrait de « Proverbios y cantares »

11.05.2023 à 16:22

Histoire et actualité de l’éducation populaire

adeline2lep

Texte intégral (2647 mots)

Quand on cherche des livres sur l’éducation populaire, on trouve finalement peu de choses. Il y a maintenant celui-ci, dont je conseille très fortement la lecture :

L’éducation populaire, un phénix toujours renaissant

De la Révolution Française au mouvement Me Too

Un livre de Paul Masson, publié en novembre 2022 aux éditions du Petit Pavé

Paul est un militant invétéré d’éducation populaire. J’ai énormément appris à ses côtés, et sa façon de concevoir l’éducation populaire continue de me guider. Je suis donc tout sauf objective quand je vous recommande chaleureusement la lecture de son livre : je suis enthousiaste 🙂
Visitez son blog, et notamment la page dédiée au livre.
Par ailleurs, Paul avait déjà publié en 2014, toujours aux éditions du Petit Pavé, « Chemins et mémoires », dans lequel il décryptait l’ensemble de sa vie d’adulte, son parcours professionnel et son engagement dans l’éducation populaire. À travers son expérience personnelle, il y donnait un éclairage sur l’histoire sociale de l’après-guerre à nos jours, et sur la façon dont se construit la « culture » en chacun de nous. J’avais reproduit ici son annexe dans laquelle il détaillait l’histoire du mouvement ouvrier chrétien.
Et Paul a fait tout un travail sur le poète libertaire Gaston Couté, publiant l’ouvrage « Dans les pas de Gaston Couté » en 2018, toujours aux éditions du petit pavé.

Je vous en dis plus sur ce nouvel ouvrage ci-dessous.


Éducation populaire : qui veut éduquer qui, et dans quel but ?

Le livre s’ouvre sur une question centrale quand on parle ou qu’on entend parler d’éducation populaire : « Éduquer le peuple, de quoi parle-t-on ? »
Ce qui nous amène à « Qui veut éduquer qui ? Et dans quel but ? »
Et Paul de répondre : « Les différentes réponses à ces questions recouvrent différents modèles de société, différents projets politiques. »

L’éducation populaire jusqu’à la seconde guerre mondiale

Le rapport Condorcet : l’idée d’une instruction qui doit permettre au peuple d’apprendre à raisonner et à exercer son esprit critique.
L’instruction publique, avec 3 secteurs : l’enseignement primaire, pour inscrire et moraliser le peuple ; l’enseignement professionnel, pour répondre aux besoins de l’industrie ; et l’enseignement qu’on qualifierait aujourd’hui de supérieur, réservé à la bourgeoisie et à ceux qui doivent diriger. Paul détaille plus loin les tensions autour de ce besoin ambivalent d’instruction publique, entre éclairer les citoyens et former des travailleurs au service du patronat industriel.

Puis Paul détaille trois courants autour desquels se structure l’éducation populaire au XIXè siècle.

Une approche humaniste : le peuple, corps civique, uni dans la République
Une instruction républicaine fondée sur la connaissance et la raison, dans l’esprit des Lumières, et pour construire un Peuple uni dans sa diversité sociale.
Avec un zoom sur la Ligue de l’enseignement.

Le courant ouvrier : le peuple, corps social des dominés
Quand la classe ouvrière prend conscience d’elle-même et s’organise, se développe une nouvelle approche de l’éducation populaire auto-émancipatrice.
C’est un courant qui ne peut pas être détaché des soulèvements, émeutes, grèves, révolutions de ce siècle, au cours desquels les acteurs conscientisent collectivement leurs conditions de misère, et où émerge une culture de classe dont la solidarité est la valeur structurante, une culture qui porte des analyses et des paroles autonomes. Au fil des révolutions, notamment après 1848, le peuple ne veut pas seulement une démocratie politique, mais revendique une démocratie sociale.
Il s’agit alors, pour l’éducation populaire et selon les mots de Fernand Pelloutier, d’instruire pour révolter.
Avec des zooms sur le compagnonage, les bourses du travail, les universités populaires.

Le courant religieux : entre ordre et fraternité
Entre le message évangélique et l’aspiration chrétienne à une société fraternelle, et l’alliance qui unit l’Eglise institutionnelle, la bourgeoisie et les « partis de l’ordre ».
Avec un zoom sur le mouvement le Sillon, qui entendait réconcilier les classes laborieuses avec l’Eglise et la République, ainsi que sur la JOC, ses équipes de base et ses outils.
En offrant une alternative aux mouvements de la gauche anticléricale et « matérialiste », il s’agit pour ce courant de réconcilier les classes sociales en proposant une alternative à la lutte des classes marxiste.

Après un zoom sur les mouvements de jeunesse et sur le Front populaire et sa prise en compte du temps libre, Paul nous parle de l’éducation populaire pendant la guerre et dans la Résistance, au travers de l’école d’Uriage et de Peuple et culture.
Vient ensuite la libération, avec un essai manqué en termes d’éducation politique des adultes, et la naissance de plusieurs mouvements d’éducation populaire, et un zoom sur ATD Quart Monde.
Puis vient l’interlude de mai 68 : un mouvement qui forme une génération.

Culture, démocratie, éducation, émancipation

Au fil de ces développements, Paul met en évidence deux approches de la culture dans l’éducation populaire :
« D’un côté, l’éducation populaire vise à pacifier la société. Il s’agit d’apporter au peuple des connaissances qui doivent lui permettre de s’intégrer, de s’instruire, de s’ouvrir à la culture et aux valeurs morales de la classe dominante. Selon cette approche, la culture est un patrimoine qui s’enrichit progressivement et qu’il convient de mettre à disposition du plus grand nombre.
D’un autre côté, l’éducation populaire est une éducation politique, un levier d’émancipation économique et sociale. C’est une démarche collective qui passe par une critique de nos institutions, de nos fonctionnements. Elle nécessite des confrontations, des débats, des expérimentations d’alternatives nouvelles. Selon cette approche, la culture, en construction permanente, est un ensemble de processus qui font vivre la démocratie politique, sociale et économique, jamais définitivement acquise. »

Paul développe également la tension entre deux légitimités démocratiques : celle des urnes, et celle de l’auto-organisation des citoyen·nes. Et, en découlant, celle des institutions garantes de l’ordre sociale, et celle de l’éducation populaire qui interroge en permanence les contradictions de la société au regard des valeurs républicaines, Liberté, Égalité, Fraternité, pour lui permettre d’évoluer.

Qu’est-ce qu’une éducation populaire émancipatrice ? Paul commence par définir les termes, ainsi que ceux d’enseignement, de professeur, d’instruction, de formation. Il s’intéresse ensuite aux acteurs et aux projets, pour poser par exemple la question de l’extériorité (ceux qui veulent éduquer les autres), ou de l’auto-organisation des premiers concernés pour sortir de leurs conditions de misère. En termes de démarche et d’étapes, Paul affirme qu’ « une action d’éducation populaire ne peut se limiter à de la sensibilisation ou à de la formation. Elle ne peut pas non plus se limiter à des actions d’éclat sans suite. Conduire une démarche d’éducation populaire suppose d’articuler dans la durée trois dimensions : de la sensibilisation pour faire reconnaître les situations insatisfaisantes, de la réflexion collective pour découvrir les causes des aliénations et leurs conséquences , et de l’action pour remettre en cause l’organisation sociale aliénante. Il convient également d’accompagner ce processus par de la formation, de manière à ce que les personnes victimes d’assujettissement ou d’asservissement disposent des capacités nécessaires pour s’en émanciper collectivement. »
Et pour faire le chemin de l’aliénation à l’émancipation : reconnaître sa propre culture ; articuler action et réflexion (avec par exemple le Voir-Juger-Agir de la JOC) ; confronter les cultures.

L’éducation populaire dans la 2è partie du XXè siècle

Du côté de la culture : « La culture est politique au sens où elle donne aux individus, aux groupes, aux classes sociales opprimées, les moyens de s’émanciper ». Or il y a loin entre les définitions de la culture données par les mouvements d’éducation populaire tels que Culture et liberté, et celles d’abord du Ministère de la culture d’André Malraux en 1959 (qui confond la culture avec la valorisation du patrimoine et la promotion des œuvres d’art), puis du « New Deal de la culture » de Jack Lang en 1981 (qui élargit le champ de la « culture » mais en fait une affaire de choix individuel). Ces conceptions institutionnelles permettent de renforcer « la frontière qui sépare les classes populaires des classes moyennes cultivées. Le culte de la culture contribue à domestiquer les classes moyennes. La rupture est complète entre culture cultivée et culture émancipatrice. »

Du côté de l’animation sociale : L’État social soutien l’essor des mouvements d’éducation populaire entre 1950 et 1970. C’est le développement des grandes fédérations et l’expansion du salariat associatif.

Mais vient alors « l’étreinte mortelle » dans les années 1980 : quand l’argent public ne va plus qu’aux associations qui répondent à la commande publique.
D’où il découle une situation où l’éducation populaire est peu à peu dépassée par ses contradictions internes : les moyens prennent la place de la finalité, et la démocratie défendue est mise à mal par le développement des liens de subordination.

Au XXIè siècle, un nouveau départ pour l’éducation populaire

Avec la naissance d’Attac : la réappropriation de la citoyenneté nécessitant la formation du peuple, Attac propose des moyens : publications, universités d’été, stages… Mais avec la profonde contradiction liée au fait que « les initiateurices d’Attac ne sont pas les premières victimes l’ordre injuste qu’iels dénoncent. Issu·es en majorité des classes aisées et moyennes « cultivées », leur attitude est celle de citoyen·nes « éduqué·es » qui souhaitent « éclairer » le peuple. Leur approche est surplombante et non égalitaire / émancipatrice, qui les empêche d’avoir une véritable assise populaire. »

Puis viennent des innovations portées par des militant·es : l’émergence de SCOP, de SCIC, de lieux autogérés.
Paul fait des zoom sur l’Année de formation rurale (initiée dans la région Nord-Pas-de-Calais au cours des années 2000), sur une recherche-action autour de la transition agroécologique.

Puis vient le puissant mouvement #MeToo, qui ébranle les conditionnements sociétaux et fait changer l’échelle des valeurs.

Comment donc penser l’éducation populaire ?

Comment sortir des conditionnements sociétaux qui nous oppriment et que nous percevons néanmoins comme dans l’ordre des choses, comme normaux ? « Inscrits dans la culture dominante, ces rapports de domination-servitude sont globalement acceptés par habitude, accoutumance, lâcheté… » « Pour dépasser ces conditionnements sociétaux et permettre aux opprimés d’acquérir leur autonomie, le processus émancipateur est long. Il nécessite à la fois de la sensibilisation, de la formation et de l’action. »
D’abord, dépasser la difficulté d’expression dans un contexte hostile.
Puis, la reconnaissance : « Pour s’émanciper de l’image de responsable-coupable que la société leur renvoie, les victimes ont besoin à la fois de se reconnaître et d’être reconnues comme faisant partie d’un collectif d’assujetties. Cette reconstruction est la première étape de la conquête d’autonomie. » C’est pourquoi l’ « entre-soi constitue une étape de recentrage nécessaire. »
Viennent ensuite différentes étapes du niveau de conscience, que Paul détaille.

Pour faire tout cela, on a vu notamment avec le mouvement #MeToo que les réseaux sociaux avaient pu faciliter une élaboration culturelle collective et une élaboration psychologique individuelle. Mais l’élargissement est ensuite indispensable.

Les résistances au changement

« La non-reconnaissance des faits oppressifs ou des personnes assujetties est la première forme de résistance au changement. Une autre forme identifiée est le retournement de la violence : les victimes sont accusées de violence contre leurs oppresseurs : la violence des salarié·es licencié·es, la violence des gilets jaunes… »
« L’homéostasie favorise l’ordre en place et les dominants. L’ambivalence des intérêts, chez chacune et chacun d’entre nous, favorise la servitude volontaire. »
Mais « la raison profonde des résistances au changements est que l’émancipation des opprimé·es met fin à certains privilèges. » C’est pourquoi « Sans négliger la confrontation des cultures dans un débat démocratique, les dominé·es, pour s’émanciper, doivent réussir à imposer un rapport de force suffisant pour faire changer les normes de la société. »

Paul développe ensuite le rapport dialectique entre la loi et les mentalités.
Il revient ensuite sur les temps de l’émancipation : le temps de sentir, le temps de comprendre, le temps de l’action pour se faire entendre et dépasser les résistances, et enfin le temps du changement dans le temps long (Paul prend les exemples de la lutte écologique, celle de la lutte des Noirs-Américains aux États-Unis, celle contre l’apartheid en Afrique du Sud). Et enfin le temps au-delà du temps et de l’espace, dans la quête incertaine pour affirmer sa dignité.

En conclusion

En conclusion, Paul affirme notamment que « faire vivre une éducation populaire émancipatrice, c’est reconnaître qu’on ne construit pas une société démocratique sans ceux qui la composent, reconnaître la capacité d’intervention de toustes les citoyen·nes, reconnaître l’expérience même de ceux qui sont sans voix, dont le savoir n’est pas académique, reconnaître l’élaboration de savoirs partagés qui sont le fruit d’une expérience humaine. Faire vivre une éducation populaire émancipatrice, c’est organiser la mobilisation des gens qui disent « non » à un ordre social qui les opprime. (…) Faire vivre l’éducation populaire émancipatrice, c’est revenir à un idéal de « subversion » pour la construction collective d’une société plus démocratique où chacune et chacun ont leur place. C’est une démarche profondément politique. »

Affirmant qu’une nouvelle forme démocratique est à inventer, Paul analyse l’expérience de la Convention citoyenne pour le climat au prisme de l’éducation populaire.

Et il conclut « L’histoire de l’éducation populaire, c’est l’histoire de citoyennes et de citoyens qui se saisissent de leur pouvoir d’action sur les rapports sociaux, économiques, idéologiques et politiques ».

18.12.2022 à 14:45

Cultures & Universel

adeline2lep

Texte intégral (2721 mots)

L’ouvrage « Il n’y a pas d’identité culturelle » du philosophe, héléniste et sinologue François Jullien (Ed. L’herne, Coll. Cave canum, 2016, 93 pages) donne à penser la question de l’universel et de la rencontre entre les cultures.

Je reproduis ci-dessous des phrases, nécessairement insuffisantes pour comprendre la pensée de l’auteur, mais qui m’ont marquée à la lecture de cet ouvrage, dont je vous conseille la lecture.


Introduction

La revendication d’une identité culturelle tend à s’imposer, aujourd’hui, de par le monde : par retour du nationalisme et réaction à la mondialisation.
L’identité culturelle serait un rempart. Contre l’uniformisation menaçant du dehors et contre les communautarismes qui pourraient miner du dedans. Mais alors où placer le curseur entre la tolérance et l’assimilation, la défense d’une singularité et l’exigence d’universalité ?
Ce débat traverse notamment l’Europe, prise soudain de doute quant à l’idéal des Lumières. Il concerne, plus généralement, le rapport des cultures entre elles et ce que peut être leur avenir.
Or je crois qu’on se trompe ici de concepts : qu’il ne peut être question de « différences » isolant les cultures, mais d’écarts maintenant en regard, donc en tension, et promouvant entre eux du commun. Ni non plus d’ « identité », puisque le propre de la culture est de muter et de se transformer, mais de fécondités ou ce que j’appellerai des ressources.
Je ne défendrai donc pas une identité culturelle française, impossible à identifier, mais des ressources culturelles françaises (européennes) – « défendre » signifiant alors non pas tant les protéger que les exploiter. Car, s’il est entendu que de telles ressources naissent dans une langue comme au sein d’une tradition, en un certain milieu et dans un paysage, elles sont ensuite disponibles à tous et n’appartiennent pas. Elles ne sont pas exclusives, comme le sont des « valeurs » ; elles ne se prônent pas, on ne les « prêche » pas. Mais on les déploie ou on ne les déploie pas, on les active ou on les laisse tomber en déshérence, et de cela chacun est responsable.
Un tel déplacement conceptuel obligeait, en amont, à redéfinir ces trois termes rivaux : l’universel, l’uniforme, le commun, pour les sortir de leur équivoque. Comme il conduira, en aval, à repenser le « dia-logue » des cultures : dia de l’écart et du cheminement ; logos du commun et de l’intelligible. Car c’est ce commun de l’intelligible qui fait l’humain.
Or, à se tromper de concepts, on s’enlisera dans un faux débat, donc qui d’avance est sans issue.

Extraits

1- L’universel, l’uniforme, le commun

Deux sens de l’universel qu’il faut distinguer :
– Sens faible : l’expérience générale
– Sens fort : la nécessité, la prescription, l’absolu, l’impératif : c’est sur cet universel fort et rigoureux que les Grecs ont fondé la possibilité de la science.

Il faut revendiquer, dans le domaine à part de la morale, de la conduite, de l’éthique, un droit à l’opposé de l’universel : l’individuel ou le singulier. L’universel ne saurait être une prescription de conduite, une éthique, une morale (VS universalité des droits de l’homme). L’universel est nécessairement singulier.

L’uniforme est ce qui est reproduit à l’identique, principalement pour des raisons économiques. Standard, stéréotype.

Le commun est ce qui se partage.
Ce n’est pas le semblable, car c’est le dissemblable qui se partage.
Or nous sommes tentés de penser le commun par réduction au semblable, autrement dit par assimilation.

2- Au soubassement européen de l’universel – L’universel est-il une notion périmée ?

L’existence est faite de singulier, d’ambigu, pas d’absolu.
La littérature récupère l’individuel qu’a laissé tombé l’universel : en évoquant une émotion, en racontant « une » vie ; en même temps qu’elle récupère l’ambigu, lui qui est inhérent à la vie même et qu’a laissé tomber l’absolu enfanté par cette abstraction.

La citoyenneté universelle de Rome.
Le christianisme instaure un nouvel universel : non de la loi, mais de la foi.
Abstraction : « Il n’y a ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme », mais tous sont compris dans le même statut d’enfants de Dieu, ne faisant qu’un en Jésus-Christ.
Arrache du même coup les hommes à toutes leurs différences et les établit dans un égalité de principe.

Cette prétention à l’universel, de la part de l’Occident, n’est évidemment plus tenable. Je dis ici l’ « Occident » et non plus l’ « Europe » : non seulement l’Occident déborde géographiquement l’Europe, mais il s’agit aussi d’une notion qui est idéologique et non pas, comme l’est l’Europe, historique – l’ « Occident » se pensant, lui, en termes de puissance, de pôle de valeurs et d’hégémonie.

Quand on croit avoir atteint l’universel, c’est qu’on ne sait pas ce qui manque à cette universalité.
Ainsi a-t-on pu parler pendant plus d’un siècle de suffrage « universel » sans songer que les femmes en restaient écartées.

L’universel, autrement dit, est à concevoir à l’encontre de l’universalisme, celui-ci imposant son hégémonie et croyant posséder l’universalité. L’universel pour lequel il faut militer est, à l’inverse, un universel rebelle, qui n’est jamais comblé. Non pas totalisateur (saturant), mais au contraire rouvrant du manque dans toute totalité achevée. Universel jamais satisfait, qui ne cesse de repousser l’horizon et qui donne indéfiniment à chercher.
S’il est projeté comme horizon, devant nous, comme horizon qui n’est jamais atteint comme idéal jamais satisfait, l’universel donne à chercher.

3- La différence ou l’écart : identité ou fécondité

Reconfigurer le débat. Déplacement conceptuel.
En place de la différence invoquée, je proposerai d’aborder le divers des cultures en termes d’écarts ; en place d’identité, en termes de ressource ou de fécondité.

La différence est classificatrice.
Elle procède par distinction pour séparer une espèce d’avec les autres et établir, par comparaison, ce qui fait sa spécificité.
Dans la différence, la distinction une fois faite, chacun des deux termes oublie l’autre ; chacun s’en retourne de son côté.
La différence est liée à l’identité. Elle est identificatrice. Elle a une fonction différentielle d’identification : d’elle procèdent des propriétés établies en caractéristiques, et, par suite, la possibilité même de la connaissance.

L’écart produit, non pas un rangement, mais un dérangement.
Il pousse à sortir de la norme et de l’ordinaire.
Il s’oppose à l’attendu, au prévisible, au convenu.
Dans l’écart, les deux termes restent en regard, et c’est en quoi l’écart est précieux à penser. Cet en regard reste à l’œuvre, à vif ; il demeure intensif.
Chacun reste dépendant de l’autre pour se connaître et ne peut se replier sur ce qui serait son identité.

L’écart, par la distance ouverte entre l’un et l’autre, a fait apparaître de l’ « entre », par conséquent, et cet entre est actif.
Or nous ne savons pas penser l’ « entre ». Car l’entre n’est pas de l’ « être ». C’est pourquoi sa pensée nous a si longtemps échappé. Parce que les Grecs ont pensé l’Être, dans les termes de l’ « être », c’est-à-dire en termes de détermination et de propriété, avaient par conséquent horreur de l’in-déterminé, ils n’ont pas pu penser l’ « entre » qui n’est ni l’un ni l’autre, mais où chacun est débordé par son autre, dépossédé de son en-soi et de sa « propriété ».

L’écart nous fait sortir de la perspective identitaire : il fait apparaître, non pas une identité, mais ce que j’appellerai une « fécondité » ou, dit autrement, une ressource. Un autre possible.
En sortant de l’attendu, du convenu (« faire un écart »), l’écart, dérangeant comme il est, fait surgir « quelque chose » qui d’abord échappe à la pensée. En quoi il est fécond : il ne donne pas lieu, par classement, à la connaissance ; mais, par la mise en tension qu’il opère, suscite la réflexion.
L’écart donne à travailler parce que les deux termes qui s’y détachent, et qu’il maintient en regard, ne cessent, dans la béance apparue, de s’interroger. Chacun reste concerné par l’autre et ne s’y ferme pas.

4- Il n’y a pas d’identité culturelle

Le propre du culturel, à quelque échelle qu’on le considère, est d’être pluriel en même temps que singulier.
Il faut se défaire de la représentation commode, mais indélébilement mythologique, selon laquelle il y aurait d’abord une unité-identité culturelle qui en viendrait ensuite, comme par malédiction (Babel), ou du moins par complication (de par sa prolifération), à se diversifier.

Il n’est pas de culture dominante sans que ne se forme aussi – aussitôt – de culture dissidente. Ne pas les isoler et chercher à les fixer chacune dans son identité.
Ce serait de toute façon impossible car le propre du culturel est de muter et de se transformer. Une culture qui ne se transforme plus est une culture morte. On ne peut établir des caractéristiques culturelles ou parler de l’identité d’une culture.
Cette démarche est un danger politique, qui mène par exemple à l’idée de choc des civilisations.

5- Nous défendons les ressources d’une culture

Fécondités culturelles :
– On en est redevables pour notre éducation
– On en est responsables pour leur déploiement et leur transmission

Une culture naît et se déploie quelque part, elle se déploie comme un foyer. Au travers du singulier, car seul le singulier est créatif.
Mais ces ressources sont ensuite disponibles à tous.

Résister :
– À l’uniforme : simulacre d’universel
Appauvrissement et aplatissement des cultures par l’uniformisation mondiale et commerciale.
Ex : les langues : Babel est la chance de la pensée
– Au sectarisme et au repli identitaire
Quand le commun, qui n’est plus porté par l’universel, se renverse en son contraire : le communautarisme. A lieu si l’intégration à la communauté ne se fait plus. Le défaut d’intégration se renverse en intégrisme. La revendication identitaire est l’expression du refoulé produit par l’uniformisation du monde et son faux universel.

Défendre des ressources culturelles, c’est prioritairement les activer, les explorer, les exploiter (plutôt que les transmettre).

La démocratie consiste d’abord à traiter les autres en sujets, à promouvoir autrement dit une communauté des sujets. Son ressort, depuis les Grecs, est la capacité de convaincre l’autre par la parole, s’adressant à lui comme à un sujet d’initiative et de liberté, comme tel donc égal à soi, plutôt que de le vouloir sous influence ou d’en venir à la violence. Car seule la persuasion, comme le savait Platon, peut entrer en alternative avec la force brute.

« Sa » culture = appropriation, apprentissage (mais pas possession ou auto-justification).
On ne s’identifie pas à une culture (le nazisme a procédé de cette perversion).
La culture, ce n’est pas comme les valeurs, qui elles se brandissent, se prônent, se contredisent, s’excluent. Des ressources, elles, ne s’excluent pas. Elles n’appartiennent pas, mais sont disponibles à chacun : elles sont à qui se donne la peine de les exploiter.
Des ressources, à proprement parler, ne se transmettent pas. Mais elles sont inépuisables, le temps qu’elles sont ressources et qu’on les exploite.  Elles appellent à un investissement nouveau, de la part de quiconque s’intéresse à elles.

6- Des écarts au commun

Sortir la culture de l’ornière de sa tradition, la pensée du confort de son dogmatisme – de sa bien-pensance – et réengagent l’esprit dans une aventure.

Nécessité d’ouvrir sans cesse de nouveaux écarts (comme le fait la philosophie)
S’éloigner de l’admis et du convenu. À nouveau frayer – forer – dans la pensée, à nouveaux frais. Le dialogue se fait dans et par les écarts. Sortir chaque pensée de son atavisme, l’ébranler dans ses habitus, redonner à penser à la pensée, aménager des prises obliques sur nos impensés.

La différence qui, faisant couple avec l’identité, isole les cultures et les « essentialise ». C’est la différence qui nous enferme dans l’impasse de l’universalisme et du relativisme (figures inversées et paresseuses).

L’écart met en regard et en tension. Lui seul peut produire du commun. Chacun, en entrant en rapport avec l’autre, doit se défaire de sa suffisance.
Intégration dans un commun partagé, et non pas réduction au semblable : relation féconde.

La consistance d’une société tient à la fois à sa capacité d’écarts et de commun partagé. Empêche de s’enliser dans la norme et de s’y atrophier.
Écarts et commun : l’un est la condition de l’autre.

Vivre ensemble : ce n’est pas être dans la tolérance et le compromis.
C’est être en regard et coopérer au commun : être dans le dialogue.

7- Dia-logue

Les motions de synthèse, en résorbant les tensions et en réduisant les écarts, sont ennuyeuses. Il faut travailler le divers pour le promouvoir en commun. Sinon on perd le singulier et le créatif.

L’Occident ne dialoguait pas : il colonisait. Aujourd’hui il a perdu sa puissance. Mais on n’est pas dans une faux égalitarisme : il y a du rapport de force.

Le dia-logue est d’autant plus fécond qu’il y a d’écart en jeu. Ce n’est pas un monologue à deux, dans lequel l’esprit ne progresse pas.
Un dialogue prend du temps : c’est un cheminement.
Progressivement, patiemment, les positions écartées et distantes se découvrent, se réfléchissent l’une l’autre, et élaborent les conditions de possibilité d’une rencontre effective.
Un commun est alors produit, promu. Ce n’est pas une résorption des écarts, une assimilation forcée.

Faire sortir peut à peu chaque perspective de son exclusivité. Commencer d’entendre l’autre : produit un effet d’intelligence.
Se défaire non pas de sa position, mais de ce qu’elle a d’exclusif.
Mettre en vis-à-vis de sa position (et à l’intérieur même d’elle) la position de l’autre. Intégrer la position de l’autre dans son propre horizon. Sortir de son évidence.

Dans quelle langue dialoguer ? Nécessairement entre les 2, c’est à dire dans la traduction.
Cet inconfort permet l’intelligence. Il évite la perte du singulier.

Remettre sa raison (ses raisons) en chantier.

12.12.2022 à 17:34

Histoire des libertés associatives

adeline2lep

Lire la suite (301 mots)

Je relaie ici l’info concernant la publication de l’ouvrage « L’histoire des libertés associatives de 1791 à nos jours« , de Jean-Baptiste Jobard, coordinateur du Collectif des associations citoyennes, aux éditions Charles Léopold Mayer (je ne l’ai pas encore lu, mais le recommande les yeux fermés).
Je relaie également ci-dessous la captation vidéo de la séance du 17 novembre 2022 de l’Université des savoirs associatifs, à l’occasion de la sortie de cet ouvrage.

« Moins de deux cent pages pour résumer plus de deux siècles d’actions associatives depuis la révolution de 1789 jusqu’à aujourd’hui, voici le pari du nouveau livre de J-Baptiste Jobard coordinateur au CAC.

Le but de ce long (mais synthétique !) détour historique ? Comprendre la situation actuelle et plus particulièrement les raisons pour lesquelles celle-ci est marquée par un processus de restriction des libertés associatives… Et, fort de ces éléments de compréhension, dégager des pistes permettant d’envisager un autre scénario que celui de l’affaiblissement inéluctable des associations citoyennes. »

RDV ici pour voir une courte vidéo de présentation de l’ouvrage.

Captation de la séance du 7 décembre 2022 de l’Université des savoirs associatifs :
Présentation de l’ouvrage par son auteur.
Discutant·es : Julien Talpin (chercheur en sciences sociales au CNRS/CERAPS), Raquel Gonzales Diaz (Alternatiba-ANV Cop 21), Alexandrina Najmowicz (European Civic Forum).

 

 

22.08.2022 à 23:09

bell hooks – Apprendre à transgresser

adeline2lep

Texte intégral (3142 mots)

Dans ce recueil de textes publié aux États-Unis en 1994, et en France en 2020 aux éditions Syllepse, bell hooks livre son engagement pour « l’éducation comme pratique de la liberté ». Se basant sur son expérience en tant qu’élève noire et en tant qu’universitaire, elle nous parle de sa pratique de façon concrète, fait référence à la pensée et la pratique de Paulo Freire qu’elle enrichit et complète en abordant la question du racisme mais aussi du sexisme (que refusait Paulo Freire), pour inviter les enseignant·es à oser prendre le risque d’une pédagogie de l’émancipation et à plonger dans le plaisir d’enseigner comme un acte de résistance.

Je vous propose ci-dessous quelques extraits de ces textes, extraits nécessairement sortis de leur contexte, dans le but de vous donner l’envie de lire ce livre passionnant.


Extraits

Quand nous avons fait nos débuts dans les écoles racistes, déségréguées et blanches, nous avons abandonné un monde où les enseignant·es étaient convaincu·es qu’éduquer les enfants noir·es correctement demanderait un engagement politique. Les cours que nous suivions étaient désormais donnés par des enseignant·es blanc·hes, et renforçaient les stéréotypes racistes. Pour nous autres enfants noir·es, l’éducation n’était plus la pratique de la liberté. En réalisant ceci, j’ai perdu mon amour de l’école.
On attendait de nous l’obéissance, et non une volonté zélée d’apprendre.
La différence entre une éducation comme pratique de la liberté et une éducation destinée seulement à renforcer un système de domination.

Le « système bancaire éducatif » basé sur l’hypothèse que mémoriser de l’information et la régurgiter revenait à gagner des connaissances qui pouvaient être stockées et réutilisées plus tard.

Le plaisir d’enseigner comme acte de résistance et un barrage à l’ennui écrasant, le désintérêt, et l’apathie.
Notre travail ne consiste pas simplement à partager de l’information, mais à participer à la croissance intellectuelle et spirituelle de nos étudiant·es.
Chaque salle de classe est différente, les stratégies devant constamment être modifiées, inventées, reconceptualisées pour traiter de chaque nouvelle expérience d’enseignement.

Une éducation libératrice, qui connecterait la volonté de savoir avec la volonté de devenir.
Une connaissance qui a du sens.
La connexion entre ce qu’iels apprennent et leur expérience de la vie en général.

La plupart des enseignant·es doivent s’entraîner à être vulnérables en classe, à être totalement présent·es en corps et en esprit.

Des gens qui disent être impliqués pour la liberté et la justice alors que leur façon de vivre, les valeurs et les manières d’être qu’iels institutionnalisent au quotidien, dans des rituels publics ou privés, aident à renforcer une culture de domination, aident à créer un monde moins libre.

Tout savoir est forgé dans l’histoire, et se déroule dans le champ des antagonismes sociaux.
D’aucun·es pensent que toustes ceusses qui soutiennent la diversité culturelle veulent remplacer une dictature du savoir par une autre, échanger une façon de penser pour une autre. C’est peut-être l’incompréhension la plus grave de la diversité culturelle.

Nous devons reconnaître que nos manières de travailler doivent changer.
Les styles d’enseignement reflétaient une norme de pensée et d’expérience particulière, dont nous étions poussé·es à croire qu’elle était universelle.
L’enseignement n’est pas politiquement neutre.
Un enseignant blanc dans un département de lettres qui enseigne seulement les œuvres de « grands hommes blancs » prend un décision politique.

Prendre en compte les crainte des enseignant·es auxquel·les on demande de changer de modèle.
Le manque de volonté d’inclure la conscience de race, de sexe et de classe sociale vient souvent de la peur que les cours deviennent incontrôlables, que les émotions et les passions ne puissent pas être contenues.
C’est l’absence de sens de sécurité qui provoque souvent des silences prolongés, ou l’absence d’implication des étudiant·es.

Faire de la classe un environnement démocratique où tout le monde ressent la responsabilité de contribuer est un objectif essentiel de la transformation pédagogique.
Il faut créer une « communauté » afin de créer un climat d’ouverture et de rigueur intellectuelle.
Un sentiment d’appartenance crée un sentiment d’engagement partagé et de bien commun qui nous lie.
Une façon de construire une communauté dans la classe est de reconnaître la valeur de chaque parole individuelle.

Enseigner de manière à transformer les consciences.
Il peut y avoir, et il y a en général, un certain niveau de souffrance qui accompagne l’abandon d’anciennes façons de penser, de savoir, avec l’apprentissage de nouvelles approches.
Les étudiant·es blanc·hes qui apprennent à penser de façon plus critique les questions de race et de racisme peuvent, par exemple, rentrer dans leurs familles pour les vacances et soudainement voir leurs parents sous un angle différent.

La construction d’une identité en résistance.
« Nous ne pouvons entrer en lutte comme objets afin de devenir, plus tard, des sujets. » (Paulo Freire)

La conscientisation n’est pas une fin en soi : elle est toujours liée à une praxis ayant du sens.
La nécessité de vérifier en pratique ce que nous savons en conscience.
Tant de mouvements politiques progressistes échouent à avoir un impact à long-terme aux États-Unis précisément par manque de compréhension de la « praxis ».
Je suis toujours stupéfaite quand des individus progressistes se comportent comme s’il était naïf de croire que nos vie doivent être des incarnations de nos positions politiques.
Affirmer mon droit, en tant que sujet en résistance, à définir ma réalité.

« Les enfants sont les meilleurs théoricien·nes, car ils n’ont pas encore été formés à accepter nos pratiques sociales routinières comme « naturelles », et tiennent donc à poser des questions sur ces pratiques qui sont de façon embarrassantes les plus générales et les plus fondamentales, les considérant avec une distance interrogatrice, oubliée depuis longtemps en tant qu’adultes. Puisqu’ils n’estiment pas encore nos pratiques sociales comme inévitables, ils ne voient pas pourquoi on ne pourrait pas faire autrement. » (Terry Eagleton)

La production de la théorie féministe est complexe, il s’agit d’une pratique moins souvent individuelle que nous le pensons, et elle émerge habituellement d’un engagement avec des sources collectives.
Le refus des intellectuelles féministes blanches de respecter et valoriser pleinement les analyses critiques et les propositions théoriques des femmes noires ou racisées.
L’un des nombreux usages de la théorie dans des espaces universitaires est la production d’une hiérarchie de caste intellectuelle, où le seul travail jugé réellement théorique est une production hautement abstraite, jargonneuse, difficile à lire, et plein de références obscures.
Créer un fossé entre théorie et pratique pour perpétuer un élitisme de classe.

Les femmes noires voient leurs efforts, que ce soit pour parler, rompre le silence et s’engager dans des débats politiques progressistes radicaux, contrecarrés sans relâche. Il y a un lien ente la réduction au silence dont nous faisons l’expérience, la censure, l’anti-intellectualisme dans des milieux majoritairement noirs a priori favorables (comme des espaces noirs non-mixtes), et la réduction au silence qui se déroule dans des institutions où les femmes noires et racisées s’entendent dire qu’elles ne peuvent être ni entendues ni écoutées, car leur travail n’est pas assez théorique.
Le mépris et le dédain pour la théorie sapent l’effort collectif contre l’oppression et l’exploitation.
Je suis reconnaissante à toustes les femmes et les hommes qui osent créer de la théorie depuis un siège de douleur et de lutte, qui exposent courageusement leurs blessures pour nous parler de leur expérience, pour enseigner et guider, pour tracer de nouveaux chemins théoriques.
« On nous vend le mensonge qu’il n’y a pas de douleur dans la guerre. » (Mari Matsuda)

Ils ne viennent pas en classe en annonçant : « Je pense être supérieur à mes camarades, car je suis un homme blanc et mes expériences sont bien plus importantes que celles de n’importe quel groupe. » Et pourtant leur comportement projette souvent cette façon de penser à l’identité, à l’essence, à la subjectivité.
Si l’expérience est déjà invoquée en classe comme une méthode de savoir coexistant de manière non hiérarchique avec d’autres moyens de savoir, on diminue déjà la possibilité qu’elle puisse être utilisée pour réduire au silence.

« Le féminisme doit être à la pointe de tout changement social réel s’il doit survivre en tant que mouvement dans n’importe quel pays. » (Audre Lorde)

Les femmes blanches protégeaient leur position et leurs pouvoirs sociaux fragiles au sein de la structure patriarcale en affirmant leur supériorité sur les femmes noires.
Tant que les relations sexuelles entre Noires et Blancs avaient lieu dans un contexte non-légal, dans un cadre de soumission, de contrainte et d’humiliation, la division entre le statut des Blanches comme « dames » et la représentation des Noires comme « putes » pouvait être maintenue. Ainsi, dans une certaine mesure, les privilèges de classe et de race des Blanches furent renforcés par le maintien d’un système où les Noires étaient l’objet d’assujettissement et d’agression sexuelle.
Dans le patriarcat suprémaciste blanc, la relation qui menaçait le plus de perturber, défier ou démanteler le pouvoir blanc et son ordre social concomitant était l’union légalisée entre un Blanc et une Noire.
Les stéréotypes renforcèrent la notion que les Noires étaient lubriques, immorales, sexuellement licencieuses et inintelligentes.
Il fut difficile pour les Blanches considérant la domestique noire comme « faisant partie de la famille » de comprendre que l’employée puisse avoir une perception complètement différente de la teneur de leur relation.
Des situations d’exploitation peuvent aussi être le lieu de formation de liens affectueux, même en présence de la domination (les féministes sont bien placées pour savoir ça, étant conscientes que de l’affection peut exister dans des relations hétérosexuelles où les hommes abusent les femmes).

Tant que les Blanches n’auront pas affronté leur peur et leur haine des Noires (et vice-versa), tant que nous ne reconnaîtrons pas l’histoire négative qui façonne et informe nos interactions contemporaines, il ne peut pas y avoir de dialogue honnête, significatif entre les deux groupes.
L’appel contemporain à la sororité, l’appel de la femme blanche radicale aux femmes noires, et à toutes les femmes racisées, à rejoindre le mouvement féministe, est vu par beaucoup de femmes noires comme étant une nouvelle fois l’expression du déni par la Blanche des réalités de la domination raciste, de leur complicité dans l’exploitation et l’oppression des Noir·es.

Avec l’augmentation de l’institutionnalisation et de la professionnalisation du travail se concentrant sur la construction d’une théorie féministe et de la dissémination de la connaissance féministe, les Blanches ont adopté des positions de pouvoir leur permettant de reproduire le paradigme servante-servie dans des contextes radicalement différents. Les Noires sont alors mises au service du désir féminin blanc d’en savoir plus sur la race et le racisme, de « maîtriser » le sujet.

Plutôt que d’avoir peur du conflit, nous devons trouver des moyens de l’utiliser comme catalyseur pour en renouveler la pensée, pour grandir.

Quand on parlait des « femmes », on universalisait l’expérience des Blanches qui représentait alors toutes les expériences des femmes et que, quand on parlait des « Noir·es », on utilisait l’expérience des hommes noirs comme point de référence.

Ces moments puissants où les limites sont franchies, où les différences sont confrontées, où les discussions ont lieu, et où la solidarité émerge.

Un aspect de la division de classe entre ce que nous faisons et ce que la majorité des gens dans cette société font (service, travail, labeur) est qu’iels bougent leur corps.
La reconnaissance que nous sommes des corps dans la salle de classe a été importante pour moi, particulièrement dans mes efforts pour ébranler l’image de l’enseignant·e comme n’étant qu’un esprit omnipotent et omniscient.
Offrir qqch de soi à ses étudiant·es. L’effacement du corps nous encourage à penser que nous écoutons des faits neutres et objectifs, des faits qui ne sont pas particuliers à la personne qui partage l’information. On nous invite à transmettre des informations comme si elles ne venaient pas de notre corps.
Il nous faut nous réincarner afin de déconstruire la manière dont le pouvoir a été traditionnellement orchestré en classe, niant la subjectivité de certains groupes et l’accordant aux autres. En reconnaissant la subjectivité et les limites de l’identité, nous perturbons l’objectivation tellement nécessaire à la culture de la domination.
Il est fascinant de voir comment un effacement du corps se connecte à un effacement des différences de classe et, plus important, à un effacement du rôle du contexte de l’Université comme lieu de reproduction d’une classe privilégiée avec ses valeurs et son élitisme.

Je connais tellement d’enseignant·es progressistes dans leurs politiques, désireux·ses de changer leur programme, mais qui dans les faits se sont absolument opposé·es à tout changement de nature de leur pratique pédagogique.
Même ceusses d’entre nous qui expérimentent des pratiques pédagogiques progressistes ont peur du changement.
Beaucoup d’étudiant·es confondent un manque de formalité traditionnelle identifiable avec un manque de sérieux.
Quand nous essayons de transformer le cours pour y instaurer le sens de responsabilité mutuelle dans l’apprentissage, les jeunes ont peur que nous ne soyons plus le capitaine travaillant avec elleux, mais simplement un autre membre de l’équipe – et un membre peu fiable en plus.
Je pense que la peur de perdre le respect des étudiant·es a découragé bien des enseignant·es d’essayer de nouvelles pratiques d’enseignement.
À quel point est enracinée la perception étudiante que les enseignant·es peuvent et doivent être des dictateur·ices.

C’est vraiment important d’insister sur les habitudes. C’est si difficile de changer les structures existantes quand l’habitude de la répression est la norme. L’éducation comme pratique de la liberté ne concerne pas juste la connaissance libératrice, mais la pratique libératrice en cours. Tant d’entre nous ont critiqué les intellectuels blancs qui avancent la pédagogie critique, mais qui n’altèrent pas leurs pratiques d’enseignement, qui parlent de race, de classe, de privilège de genre sans interroger leur propre conduite.

Toustes en cours sont aptes à agir de manière responsable. Cela doit être le point de départ – nous sommes capables d’agir de manière responsable, pour créer un environnement d’apprentissage. Trop souvent nous avons été formé·es, en tant qu’enseignant·es, à supposer que les étudiant·es sont incapables d’agir avec responsabilité et que si nous n’exerçons aucun contrôle sur elleux, ce sera la pagaille.

La supposition implicite est que pour être vraiment intellectuel·le, nous devons nous couper de nos émotions.

Si les enseignant·es sont des individus blessés, abîmés, des gens qui ne sont pas réalisés, alors iels vont chercher asile à l’Université plutôt que d’essayer d’en faire un lieu de défis, d’échange dialectique, et de développement.

Les valeurs bourgeoises créent en classe une barrière, qui bloquent la possibilité d’affrontement et de conflit, maintenant les désaccords à distance.
Quand l’obsession du maintien de l’ordre est couplé avec la peur de « perdre la face », de ne pas avoir une bonne image auprès des enseignant·es et des pair·es, toute possibilité de dialogue constructif est sapée.
Ce processus n’est que l’une des manières dont les valeurs bourgeoises surdéterminent les comportements sociaux en cours, et ébranlent l’échange démocratique d’idées.

Un des principes centraux de la pédagogie critique féministe fut une insistance à écarter la division esprit/corps. C’est l’une des convictions latentes ayant fait des études féministes un lieu de subversion dans l’Université.
Eros est une force qui aide notre effort à s’autoréaliser.
« Quand on limite l' »érotique » à son sens sexuel, nous trahissons notre aliénation du reste de la nature. Nous confessons que nous sommes motivé·es par rien qui ne ressemble aux forces qui poussent les oiseaux à migrer et les pissenlits à fleurir. De plus, nous impliquons que l’accomplissement ou le potentiel qui nous cherchons à atteindre est sexuel – la connexion romantique-génitale entre deux personnes. » (Sam Keen)

La manière dont une éducation à la conscience critique peut fondamentalement changer notre perception de la réalité et de nos actions.

Sans une aptitude à réfléchir de manière critique à soi et à sa vie, aucun·e d’entre nous n’aurait la capacité à avancer, à changer, à grandir. Dans notre société, si fondamentalement anti-intellectuelle, la pensée critique n’est pas encouragée.
La pédagogie engagée est le seul type d’enseignement qui génère de l’excitation en cours, qui permet aux jeunes et aux enseignant·es de ressentir la joie d’apprendre.

23.07.2022 à 18:09

La BASE et la Maison du Peuple à Nantes

adeline2lep

Texte intégral (3651 mots)

La BASE et la Maison du Peuple à Nantes : une démarche de revitalisation démocratique, d’action culturelle et politique à visée de transformation sociale

Un texte de Manon Souquet écrit en avril 2022 : après avoir présenté le projet de ces lieux (Partie 1), elle décrit en quoi ils relèvent d’une démarche d’éducation populaire (Partie 2) et quelles sont malgré tout les limites à la construction d’une telle démarche (Partie 3).


I. Présentation du projet

Naissance et développement de la démarche

Le choix du nom de BASE a été décidé collectivement afin de s’inscrire dans un mouvement national de construction des Bases d’Action Sociale et Écologiste dont chacune a ses spécificités selon les territoires et les personnes qui les développent. Rejoindre ce réseau est apparu en adéquation avec les valeurs et aspirations du collectif qui sont de renforcer le maillage des alternatives en France et de mutualiser outils, connaissances et expériences. Le manque de locaux associatifs pour permettre de s’auto-organiser était criant et s’ancrer au sein de la Maison du Peuple (MdP), un centre social et culturel autogéré, est apparu comme une évidence tant cohabitation et coopération entre les deux entités faisaient sens. En effet, issue du mouvement des Gilets Jaunes, les fondateurs ont choisi ce nom de Maison du Peuple pour faire écho aux lieux du même nom ayant fleuri à la fin du XIXe siècle [Cossat et Talpin, 2012]. Il s’agissait d’un des rares endroits où se sont unifiés au sein d’un même espace « tous les piliers du mouvement ouvrier, parti, syndicat, coopération, mutuelle, Bourse du travail », ainsi que le note Gilles Morin [Morin, 2017, cité par Cossart et Talpin, 2012]. Déjà à l’époque, les coopérateur·ices [Il sera choisi d’employer l’écriture inclusive dans cet écrit afin de s’inscrire dans une démarche égalitaire et  de lutte contre les oppressions chère à l’EP] assignaient une fonction éducative centrale à la MdP, soulignant qu’elle doit contribuer à « l’éducation intellectuelle, morale et physique » de l’ouvrier [Ibid]. L’Éducation populaire (EP) semble donc inscrite dans les gènes de la MdP.
Il est difficile d’établir une dichotomie entre ce qui ressort de la MdP ou bien de la BASE tant la frontière entre les deux entités est poreuse. Les fonctionnements peuvent varier mais le travail commun est présent et constructif. C’est pourquoi, dans le cadre de cet écrit, il sera mentionné le terme de l’inter-collectif MdP x BASE (ou la MxB) comme une entité englobant les deux collectifs.
Cet inter-collectif n’a jamais dénommé sa pratique comme s’inscrivant dans une démarche d’EP. Pourtant, attaché à développer l’émancipation et le pouvoir d’agir des personnes gravitant autour du projet, articulant expérimentation, mise en pratique et réflexion, le projet d’action sociale et culturelle développé par la MxB se situe au cœur de l’EP, tant par les techniques et méthodes utilisées que par son objectif : l’accès de toustes à l’autonomie de pensée et d’action. Ce présent travail a pour objectif de mettre cet aspect en évidence.

Valeurs et aspirations du collectif

Le débat public en France se caractérise notamment par une polarisation simplificatrice, au nom de la lutte contre les extrêmes, populismes ou séparatismes. Cet appauvrissement démocratique, accompagné de dérives autoritaires, est un puissant accélérateur des phénomènes de repli sur soi et de diverses formes de radicalisations [Tribune collective, 2020]. La société a plus que jamais besoin d’une démocratie vivante et, dans ce contexte, la MxB constitue un outil puissant pour agir et construire de nombreuses initiatives sociales, culturelles, artistiques et écologiques, ouvrant un nouvel espace d’émancipation, de liberté, de mise en pratique pour entraîner à la réflexion, encourager la pensée et l’esprit critique et agir sur les injustices.
Il s’agit d’unir les énergies, les forces, pour impulser et inventer des alternatives nouvelles, à la mesure des difficultés sociales et écologiques observées et subies. La MxB met ainsi en pratique et expérimente les principes et perspectives chers à l’EP que sont l’auto-organisation, le développement du pouvoir d’agir et la volonté de transformation sociale.

Les acteur·ices de la démarche

Au sein de la MxB se rencontrent et se côtoient des personnes qui sont là par choix ou par contrainte. Des militant·es, citoyen·nes, habitant·es, s’y investissent pour le combat politique, engagé-es dans l’invention de formes plus solidaires et plus justes d’habiter, d’échanger, de consommer, de travailler, de vivre ; ainsi que des personnes dont la présence ici correspond à un sauvetage hors des griffes de la rue.
Certaines habitent sur place et d’autres viennent ici régulièrement ou de temps à autre. On y observe ainsi un mélange de personnalités aux motivations et intérêts variés. Pour certaines c’est un projet politique et pour d’autres un point de chute. Il y a autant d’objectifs que de personnes. Elle laisse place à la diversité, à la pluralité de visions, de possibilités et de complexités.

II. Une démarche d’éducation populaire

En introduction de cette partie il paraissait intéressant de souligner que le nom même de la BASE a fait l’objet, lors de la journée d’inauguration de ce collectif, le 8 août 2020, d’une activité de « porteur de parole » afin que tout le monde puisse s’approprier ce nom et dans la volonté que rien ne soit formalisé pour que tout soit possible. Était par exemple né de l’acronyme BASE le sigle de « Bastion d’Animaux Solidaires et Éclectiques ».
Il existe autant de définition de l’éducation populaire que de practicienn·e, cependant celle de Jessy Cormont correspond à la vision de l’EP politique développée au sein de la MxB. Il affirme que l’EP correspond au «  processus par lequel des citoyen·nes, confronté·es à des enjeux ou des problèmes (personnels, collectifs, sociétaux), se rassemblent et rompent ainsi leur isolement, partagent leurs inquiétudes, leurs questionnement, leurs analyses, leurs besoins, cherchent ensemble à comprendre  »pourquoi est-ce ainsi ? », se réapproprient leur histoire, leur environnement et leur vie, et se mettent en mouvement pour trouver des solutions, les mettre en place en fonction de valeurs et de volontés collectivement définies » [Cormont, 2019].

Revitalisation démocratique et culturelle

L’organisation de « micro-ouvert », de même que la pratique de débats mouvants, de world cafés ou d’agora et la mise à disposition d’un studio vidéo issu d’un chantier participatif permet aux artistes, journalistes amateur·ices ou toute personne désireuse de s’exprimer de venir s’entraîner ou performer et ainsi libérer les paroles enfouies, décalées, marginalisées ou réprimées. La MxB propose ainsi un lieu d’expression de valeurs d’actualité (écologie, féminisme, soutien aux immigrés) ou de formes artistiques renouvelées (théâtre d’improvisation et d’intervention, expression corporelle, conférences gesticulées, etc). Il s’y joue « la réhabilitation de la culture dans sa dimension politique », à l’encontre de sa réduction à l’art telle que la dénonce, entre autres, Franck Lepage [Lepage, 2009, cité par Bel, 2018].
Le collectif s’est ainsi attaché à développer toute forme de participation, de délibération afin de créer des espaces de démocratie, de dépasser l’auto-censure et de revitaliser la parole et l’écoute.
Au sein de la MxB, tout était décidé collectivement par consensus, des règles de vie à la stratégie politique du collectif. Cela donnait place à des réflexions plurielles et des débats parfois longs mais utiles et constructifs, où se développait un art du vivre ensemble « qui permette aux humains de prendre soin les uns des autres et de la Nature, sans dénier la légitimité du conflit mais en en faisant un facteur de dynamisme et de créativité » [Collectif d’auteurs, 2013].
Ceci s’inscrit ainsi dans une démarche d’EP qui « valorisera toujours la conflictualité, les débats contradictoires, la complexité de la pensée et l’absence de solutions miracles » [de Lépinay, 2019] parce qu’ils sont indispensables à un fonctionnement démocratique.

Expérimentation permanente et esprit critique

Le collectif se questionnait régulièrement pour transformer les situations par la réflexion et l’auto-organisation individuelle et collective permettant la mise en place de changements effectifs. Il s’agit d’apprendre en faisant, d’oser, de s’autoriser à tenter et donc parfois à échouer [Ibid]. Lors des AG, une importance était attachée à travailler régulièrement le sens, remettre en question les pratiques, les objectifs, afin de s’adapter au contexte mouvant et aux besoins et envies des personnes composant le collectif.
Véritable laboratoire démocratique et social, l’inter-collectif s’inscrit ainsi dans une démarche d’EP, travaillant à partir du vécu individuel et collectif, de situations concrètes pour les analyser, les comprendre et être en capacité d’agir pour les transformer.

Horizontalité, toustes capables

Dans le cours « Gestion de projet » que Hugues Mallard a dispensé dans le cadre de la formation MOVSC, il est indiqué que, pour mener à bien un projet, il faut identifier le « système humain opérationnel » et le « système humain décisionnel ». Dans le fonctionnement de la MxB, au sein de laquelle les acteur·ices sont attaché-es aux principes d’horizontalité, ces deux systèmes sont confondus. Ceci constitue une déclinaison majeure répondant aux principes de l’EP, refusant la séparation entre « celleux qui font, celleux qui réfléchissent, et celleux qui décident » [Ibid].
Afin de donner à chacun-e la possibilité d’endosser des responsabilités croissantes, tous les rôles étaient mouvants. En particulier, les missions de préparation et d’animation des réunions ainsi que pilotage des pôles et groupes de travail étaient ainsi assurées de façon volontaire et tournante. En début de réunion, les participant-es étaient libres, lors du tour d’inclusion mis en place par le collectif, de donner leur prénom ou non, leur organisation ou non, dans le but « d’effacer les statuts » et d’instaurer une relation d’égalité entre les savoirs et les discours produits.
Par ailleurs, le développement de projets participatifs comme les chantiers coopératifs et ateliers de co-réparation permet mutualisation, mise en réseau, une montée en compétences des participant-es via un processus « bottum up ». Comme le décrit Paulo Freire, « Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde » [Freire, 1968]. Il s’agit ainsi de démystifier et échanger les savoirs, compétences, connaissances et savoir-faire qui nous construisent et nous transforment.
Enfin, le système de gouvernance démocratique et horizontal est pensé de façon à ce que le collectif reste attentif aux individualités et singularités de chacun-es tout en définissant le vivre ensemble consensuel qui permette harmonie, respect au quotidien et mise en place de liens pérennes de coopération et de réciprocité.

Ouverture et intelligence collective

La BASE est passée de 8 organisations à son lancement en juin 2020 à 25 aujourd’hui. Afin de rendre les réunions ouvertes à toustes sans distinction ni discrimination, elles sont régulièrement indiquées sur les réseaux sociaux et s’appuient sur un ODJ participatif.
La MxB part du postulat que, pour que l’impact de toutes leurs diverses actions soit plus fort, iels ont besoin de connaître ce que font les autres, de se rassembler pour partager expériences et pensées et de chercher à s’appuyer les un-es sur les autres. Iels affichent ainsi la finalité de décloisonner les organisations et collectifs militants du territoire nantais.
L’organisation régulière de tables rondes ou de projections-débats encourage l’émergence de discussions amenant la pensée à évoluer, le regard à se modifier. Ce décentrement autorisé facilite ainsi l’émergence d’une pensée complexe en rupture avec la pensée unique et simplificatrice [Arnordin, 2018].
La mixité au sein de la MxB et le caractère ouvert et égalitaire permettent, d’apprendre les un-es des autres en s’appuyant à la fois sur les similitudes et sur les différences de perception et de point de vue, les interrogations et savoir-faire. Les confronter permet d’identifier ce qu’il est possible de construire collectivement et l’horizon des nouveaux possibles communs. Ceci favorise ainsi l’émergence d’une intelligence collective qui dépasse l’addition des savoirs individuels [Bazin, 2018].
Dans cette logique d’ouverture et pour lutter contre la privatisation et la marchandisation du social, de la culture, du milieu associatif, toutes les activités et ateliers proposés à la MxB étaient accessibles gratuitement ou à prix libre ; la gratuité étant promue comme levier contre l’assujettissement de la société aux rapports sociaux inégalitaires établis par le modèle libéral et capitaliste [Collectif EPTS, 2009].

Conscientisation, développement du pouvoir d’agir et transformation sociale

« Le fait d’aborder des problématiques humaines, environnementales, où l’on prend conscience que chaque problème est lié à un ailleurs, que chaque événement, chaque action, chaque choix a des répercussions, des conséquences pour d’autres, fait naître ce que l’on pourrait appeler une culture des communs. Culture qui tente de se construire en résistance à la logique néolibérale et individualiste, laquelle empêche de comprendre ces liens qui nous unissent tous comme citoyens du monde » [Arnodin, 2018].
Ce combat démocratique repose sur une vision de la citoyenneté qui ne relève pas de la seule instruction civique, mais qui se nourrit aussi de l’expression libre, de l’écoute, de la compréhension des désaccords et de l’appropriation du cadre commun qui régule la vie en société [Tribune collective, 2020]. Le débat produit du commun, par la confrontation et le dépassement des opinions particulières, la compréhension des enjeux plus globaux et des interdépendances [Ibid], l’appréhension du monde pour pouvoir le transformer.
Il s’agit de s’emparer du savoir pour développer la conscience politique comme rempart au repli sur soi, au rejet, à la haine et à la violence tout en répondant aux besoins formulés par les acteur·trices eux-mêmes, afin de fortifier l’organisation de base et la capacité de mobilisation.

III. Les limites à la construction d’une démarche d’EP

L’agissement dans l’urgence

La MdP a dû subir plusieurs expulsions successives, dont celle des anciens locaux du collège N.D. de Bon Conseil au centre de Nantes. Évacués par la préfecture sur ordre du gestionnaire des biens immobiliers de l’église, la MxB est aujourd’hui sans toit ni espace ressource. Ainsi, actuellement, la grande majorité de l’énergie dépensée par le collectif, tant en terme d’organisation d’action qu’en terme de développement de stratégie de communication et de mobilisation s’articule autour de la recherche d’un nouveau lieu pour continuer ses activités associatives, culturelles et militantes.
Ainsi, s’étant toujours développé dans un contexte étranglé par l’urgence, le collectif se trouve en difficulté pour allouer du temps à la prise de recul, nécessaire à l’analyse de pratique, chère à l’EP. Malgré l’organisation trimestrielle d’une Assemblée Générale où le mot d’ordre, inscrit sur les kits et documents du collectif, est « lever la tête du guidon », la densité des sujets à traiter ne permet pas toujours une démarche d’autoréflexion critique.

La question de la légitimité

Alors même que le collectif essayait de confier les rôles d’animation, de facilitation et de coordination à différentes personnes qui se relayaient, il n’était pas toujours aisé de faire émerger l’envie et le sentiment de légitimité auprès des militant·es. Car il ne suffit pas de proposer d’animer une réunion par exemple pour que les gens s’en saisissent. Il a ainsi été entamé des réflexions collectives afin de trouver les clés pour avoir véritablement un fonctionnement inclusif permettant à toustes de se sentir légitimes dans l’ensemble des tâches communes. Car, comme l’affirme Tzvetan Todorov: « Il ne suffit pas d’avoir le droit de s’exprimer, encore faut-il en avoir la possibilité » [Arnordin, 2018].

L’ouverture toujours trop limitée

Malgré la diversité des publics qui se côtoient au sein de la MxB, la question de l’ouverture a toujours été une préoccupation centrale avec une mise en pratique difficile. En effet, comme nous l’avons vu, l’enrichissement du collectif et des personnes le composant s’appuie sur l’intelligence collective, elle même favorisée par la rencontre entre des réalités et problématiques différentes. Cependant, freiné-es par une communication qui a difficilement dépassé le cercle des militant·es, leurs ami·es et connaissances, il n’y a pas eu assez de liens avec les milieux ouvriers ou des personnes de quartiers prioritaires par exemple. Il pourrait être envisagé par la suite d’aller plus à la rencontre de la population, en étant présent-es sur les marchés, en tenant des stands ou en proposant des animations ou ateliers dans l’espace public.

IV. Conclusion

Ainsi, à la MxB, les personnes se rencontrent, débattent, s’impliquent pour transformer leur cadre de vie, agir sur les décisions prises à l’échelle de leur ville ou du pays et imaginer des alternatives pour la société de demain. On y parle éducation, logement, économie, santé, écologie, discriminations ou encore aménagement du territoire, en partant des préoccupations et du vécu des personnes. On y vit des moments festifs et solidaires, des luttes, des débats vifs sur des sujets parfois complexes et des réussites collectives, qui donnent chair à l’idée d’adelphité.
A la croisée de diverses problématiques sociales, l’inter-collectif MxB propose un modèle susceptible de favoriser autonomie, engagement et capacité d’initiative en encourageant créativité individuelle et collective, apprentissage et enrichissement permanent. Il s’agit de faire ensemble pour mieux vivre ensemble, d’explorer une autre manière de vivre en société, de faire territoire, de penser les organisations et la création de sens, de valeurs et de ressources du commun.
A ce titre, le squat, laboratoire citoyen à dimension subversive où se réinventent collectivement les manières d’être, de faire et de savoir, constitue une « zone du dehors » [Damasio, 2015], un « oasis » [Rancière, 2017] offrant une échappatoire aux logiques dominantes pour imaginer un autre futur possible.
La MxB fait ainsi partie de ces nombreux collectifs qui ne dénomment pas leur pratique d’EP tout en s’y inscrivant néanmoins. On peut ainsi la penser en tant que lieu de pratiques d’EP à valoriser, l’EP consistant alors fondamentalement en la création de liens horizontaux, d’égalité à tisser, de liens historiques et sociaux à établir, afin de décloisonner les humain-es, leurs savoirs et pratiques.

V. Bibliographie

ARNODIN Camille, (2018). Debout éducation populaire : la circulation de la parole et le partage des savoirs dans l’espace public, Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire | « Cahiers de l’action », février, n°51-52, pp. 113-121.

BAZIN Hugues, (2018). Récit d’une recherche-action en situation, Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire | « Cahiers de l’action », février, n°51-52, pp. 7-17.

BEL Arthur, (2018). Les squats, une alter-urbanité riche et menacée, Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire | « Cahiers de l’action », février, n°51-52, pp. 79-86.

Collectif d’auteur, (2013). Manifeste du convivialisme. Bord de l’eau, 48p.

Collectif EPTS, (2009). Éducation populaire et transformation sociale, Érès | « Vie sociale », avril, n°4, pp. 123-136.

CORMONT Jessy, (2019). P.H.A.R.E. pour l’Égalité et le courant de l’action-recherche matérialiste. Entre sociologie, éducation populaire et lutte pour l’égalité(s) dans les quartiers populaires, Revue Agencement, n°3, édition du Commun, Paris.

COSSART Paula, TALPIN Julien, (2012). Les maisons du peuple comme espaces de politisation : Étude de la
coopérative ouvrière la paix à Roubaix (1885-1914), Presses de Sciences Po, « Revue française de science politique », avril, vol. 62, pp. 583-610.

DAMASIO Alain, (2015). La Zone du Dehors. Paris : Folio SF.

DE LEPINAY Adeline, (2019). Organisons-nous : Manuel critique. Marseille : Hors d’atteinte, 286p.

FREIRE Paulo, (1968). Pédagogie des opprimés. La Découverte. 1974. 298p.

LEPAGE Frank, (2009). De l’éducation populaire à la domestication par la “culture”, Le Monde diplomatique, mai.

RANCIERE Jacques, (2017). En quel temps vivons-nous? Conversation avec Éric Hazan, La fabrique éditions, Paris, p. 72.

Tribune collective, (2020). L’éducation populaire et l’urgence du combat démocratique, Ouest France, décembre, en ligne.

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