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Christophe MASUTTI
Hospitalier, (H)ac(k)tiviste, libriste, administrateur de Framasoft
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▸ les 164 dernières parutions

21.10.2012 à 02:00

Aux sources de l’utopie numérique

Stewart Brand occupe une place essentielle, celle du passeur qui au-delà de la technique fait naître les rêves, les utopies et les justifications auto- réalisatrices. Depuis la fin des années soixante, il a construit et promu les mythes de l’informatique avec le Whole Earth Catalog, le magazine Wired ou le système de conférences électroniques du WELL et ses communautés virtuelles. Aux sources de l’utopie numérique nous emmène avec lui à la découverte du mouvement de la contre-culture et de son rôle déterminant dans l’histoire de l’internet.


Turner, Fred. Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture : Stewart Brand, un homme d’influence. C&F éditions, 2012.

Lien vers le site de l’éditeur : https://cfeditions.com/utopieNumerique/


16.10.2012 à 02:00

Le plagiat, les sciences et les licences libres

Ces 5-6 dernières années, la question du plagiat dans les sciences est devenu un thème de recherche à part entière. On peut saluer le nombre croissant de chercheurs qui s’intéressent à cette question à double titre: d’abord parce que le plagiat est un phénomène social, mais aussi parce que ce phénomène (pourtant très ancien) illustre combien les sciences ne constituent pas cet édifice théorique et inébranlable de l’objectivité qu’il serait étonnant de voir un jour s’effriter.

Qu’est-ce que le plagiat ?

Parmi ces chercheurs, on remarquera plus particulièrement Michelle Bergadaà, de l’Université de Genève, qui a créé en 2004 le site responsable.unige.ch. Elle fut l’un des premiers chercheurs à recueillir une multitude d’informations sur des cas de plagiat et à dresser une typographie des plagiats scientifiques. Elle a montré aussi que la reconnaissance des cas de plagiat ne peut manifestement pas se contenter d’une réponse juridique, mais qu’il appartient à la communauté des chercheurs de réguler des pratiques qui vont à l’encontre des principes de la recherche scientifique, en particulier la nécessité de citer ses sources et d’éviter la redondance au profit de l’avancement des sciences.

En 2012, Michelle Bergadaà a publié un article bien documenté et accessible, intitulé « Science ou plagiat », dans lequel elle montre que la conjonction entre le peer review process, qui fait des revues non plus des instruments de diffusion de connaissance mais des « instruments de prescription et de référencement à l’échelle mondiale » (comprendre: le système du publish or perish), et le web comme outil principal de communication et de diffusion des productions des chercheurs, cause l’opposition de deux modes de rapports au savoir:

Un malentendu s’installe entre ceux qui restent fidèles au savoir scientifique véhiculé par les revues traditionnelles et ceux qui défendent le principe des licences libres inscrites dans une logique de savoir narratif. Cette tension apparaît dans la manière dont est compris et souvent envisagé le modèle de production des Creative Commons ou licences libres, issues du monde du logiciel. Ce modèle vise d’abord à partager l’information, à l’enrichir, et non la rendre privative. Il est possible de copier et de diffuser une œuvre, à condition de respecter la licence choisie ; de la modifier à condition de mentionner la paternité de l’œuvre. Il correspond donc précisément aux pratiques canoniques de la recherche scientifique : publier et diffuser les connaissances le plus largement possible permettant de s’appuyer sur les résultats et les productions des autres chercheurs pour faire avancer le savoir.

Cette analyse assimile le web à un endroit où se partagent, de manière structurée, les productions scientifiques, que ce lieu de partage est fondamentalement différent des lieux « traditionnels » de partage, et que donc les défenseurs de ces lieux traditionnels ne comprennent pas leur propre miroir numérique… Je parle de miroir car en effet, ce que M. Bergadaà ne fait que sous entendre par le terme « malentendu », c’est que les licences libres permettent de remettre en cause l’ensemble du système de production, diffusion et évaluation scientifique. Elles démontrent même que le sens du plagiat n’est pas le même et ne questionne pas les mêmes valeurs selon qu’on se situe dans une optique ou dans l’autre. C’est une accusation radicale du système d’évaluation scientifique qu’il faut porter une fois pour toute et la « lutte » contre le plagiat est, à mon sens, l’un des premiers pas de cette étape réflexive. Il est donc important de bien situer ce « malentendu », et la question du plagiat est un bon levier.

Qu’est-ce que le plagiat, aujourd’hui? N’est-il pas le « côté obscur » du sentiment légitime que les connaissances appartiennent à tous ? Dans le domaine du logiciel libre, prendre du code et le diffuser sans porter le crédit du créateur originel, même lorsqu’on modifie une partie de ce code, cela s’appelle le resquillage. Selon la législation nationale du pays où se déroule le resquillage, cette attitude peut se condamner devant les tribunaux. De même, du point de vue du droit d’auteur, reprendre à son compte des pans entiers voire la totalité d’une oeuvre sans citer l’auteur, c’est interdit et va à l’encontre du droit (moral) d’auteur.

Au-delà du droit d’auteur

Mais tant que l’on en reste là, c’est à dire à la question du droit d’auteur, on passe à côté du vrai problème de la diffusion des connaissances scientifiques: dans la mesure où un chercheur publie le résultat de recherches menées sur fonds publics (et même privés, dirai-je, mais cela compliquerait notre réflexion à ce stade) comment peut-on considérer un instant que le texte qu’il produit et les analyses qu’il émet puissent être l’objet d’un droit d’auteur exclusif ? c’est là qu’interviennent les licences libres: qu’un droit d’auteur doive être reconnu, en raison de la paternité de l’oeuvre (ou même de la découverte), mais que ce droit soit protégé tout en permettant la diffusion la plus large possible.

Ce qui pose donc problème, ce n’est pas le droit d’auteur, c’est l’exclusivité ! Lorsqu’un texte scientifique est plagié, aujourd’hui, qui est réellement lésé et en quoi ?

  • L’auteur ? dans la mesure où il est censé publier pour la postérité et dans le but de diffuser les connaissances le plus largement possible, ce qui lui pose alors problème est sa fierté et le fait que l’oeuvre dérivée ne reconnaisse pas sa paternité. Il s’agit-là d’un point de vue personnel, et un auteur pourrait prendre cela de manière plus ou moins heureuse. Par contre, cela pose problème dans le cadre de l’évaluation scientifique : moins d’impact factor à son crédit. On touche ici un des nombreux points faibles de l’évaluation de la recherche.
  • La revue? très certainement, dans la mesure où elle a les droits exclusifs de l’exploitation d’une oeuvre. Ici, ce sont les aspects purement financiers qui sont en cause.
  • La communauté des chercheurs et, au delà, l’humanité ? c’est sans doute le plus important et ce qui devrait passer au premier plan ! Tout resquillage en science revient à fouler aux pieds les principes de l’avancement scientifique: la production de connaissances nouvelles.

Mais alors, d’où vient le malentendu ? Tout le monde s’accorde pour reconnaître que les productions des chercheurs doivent être diffusées le plus largement possible (on pourra se questionner sur l’exclusivité d’exploitation des revues et les enjeux financiers). De même, tout le monde s’accorde sur le fait que la paternité d’un texte doit être reconnue à travers le droit d’auteur. Par conséquent, puisque les licences libres doublent le droit d’auteur de conditions permissives d’exploitation des oeuvres par l’humanité entière, d’où vient la réticence des défenseurs du système traditionnel de la publication revue par les pairs face aux licences libres (et peut-être au web en général) ?

Lorsqu’on discute avec ces traditionalistes de la production scientifique évaluée par les copains, les poncifs suivants ont tendance à ressortir:

  • l’absence d’évaluation dans cette jungle du web dont Wikipédia et consors représentent le pire des lieux de partage de connaissances forcément faussées puisque les articles sont rarement écrits par les « spécialistes » du domaine ;
  • la validation du travail de chercheur passe exclusivement par l’évaluation de la part de « spécialistes » reconnus. Cela se fait grâce aux revues qui se chargent de diffuser les productions pour le compte des chercheurs (notamment en s’attribuant le copyright, mais là n’est pas la question) ;
  • il faut éviter que des « non-spécialistes » puisse s’autoriser à porter un jugement sur mes productions scientifiques, cela serait non seulement non recevable mais présenterait aussi un danger pour la science qui ne doit être faite que par des scientifiques.

À ces poncifs, on peut toujours en rétorquer d’autres :

  • Comment définir un « spécialiste » puisqu’il n’y a que des degrés de compétences et que tout repose sur l’auto-évaluation des pairs à l’intérieur d’une seule communauté de chercheurs. Ainsi, les spécialistes en biologie du Bidule, ne sont reconnus que par les spécialistes en Biologie du Bidule. Et en cas de controverse on s’arrange toujours pour découvrir que Dupont était en réalité spécialiste en biologie du Machin.
  • Les évaluateurs des revues ([voire les revues elles mêmes](http://www.the-scientist.com/?articles.view/articleNo/27376 « The Scientist. L’affaire Merck »)) ont bien souvent des conflits d’intérêts même s’ils déclarent le contraire. En effet, un conflit d’intérêt est souvent présenté comme un conflit qui ne concerne que les relations entre un chercheur et les complexes industriels ou le système des brevets, qui l’empêcheraient d’émettre un jugement fiable sur une production scientifique qui remettrait en cause ces intérêts. Or, que dire des évaluateurs de revues (ou d’appel à projet) qui ont eux-mêmes tout intérêt (en termes de carrière) à être les (presque) seuls reconnus spécialistes du domaine ou, d’un point de vue moins individualiste, donner toutes les chances à leur propre laboratoire ? le monde de la recherche est un territoire de plates-bandes où il ne fait pas bon venir sans avoir d’abord été invité (demandez à tous les doctorants).
  • Enfin, relativisme extrême: pourquoi la fameuse « société civile » ne pourrait porter un jugement sur les productions scientifiques? Parce que, ma bonne dame, c’est pour cela qu’on l’appelle « société civile » : à elle Wikipédia et à nous la vraie science. Après tout c’est à cause de ce relativisme qu’on en vient à réfuter le bien fondé des essais nucléaires ou la salubrité des OGMs.

Privilégier la diffusion

Il faut dépasser ces poncifs…. je réitère la question : d’où vient ce malentendu ? Il vient du fait qu’on doit aujourd’hui considérer que les limites entre les communautés scientifiques entre elles (les « domaines de compétence ») et avec la « société civile » deviennent de plus en plus ténues et que, par conséquent, les licences libres impliquent que les scientifiques soient prêts à assumer trois choses :

  • privilégier la diffusion des connaissances sur leur distribution protégée par l’exclusivité des revues, car cette exclusivité est un rempart contre les critiques extérieures à la communauté (voire extérieures aux cercles parfois très petits de chercheurs auto-cooptés), et aussi un rempart financier qui empêche l’humanité d’avoir un accès total aux connaissances, grâce au web, ce qu’elle réclame aujourd’hui à grands cris, surtout du côté des pays où la fracture numérique est importante ;
  • que les scientifiques – et nombreux sont ceux qui ont compris cette évidence –, ne peuvent plus continuer à produire des connaissances à destination exclusive d’autres scientifiques mais bien à destination du Monde: c’est à dire qu’on ne produit des connaissances non pour être évalué mais pour l’humanité, et que ce principe doit prévaloir face à la gouvernance des sciences ou à l’économie de marché;
  • que le plagiat ne doit pas être condamné parce qu’il est malhonnête vis à vis de l’auteur, mais parce qu’il est tout simplement immoral, tout autant que la course à la publication et la mise en concurrence des chercheurs. Plus cette concurrence existera, plus la “société civile” la remplacera par d’autres systèmes de production scientifique: imaginez un monde où 50% des chercheurs publient leurs articles sur leurs blog personnels ou des sites collaboratifs dédiés et ouvert à tous (pourquoi pas organisés par les universités elles-mêmes) et où l’autre moitié des chercheurs accepte cette course au peer review pour gagner des points d’impact. Qui osera dire que la première moitié des productions ne mérite pas d‘être reconnue comme scientifique parce qu’elle n’est pas évaluée par des pairs à l’intérieur de revues de catégorie A, B, ou C ?

Voici le postulat: il est préférable de permettre aux pairs et au monde entier d’apprécier une oeuvre scientifique dont on donne à priori l’autorisation d’être publiée, que de ne permettre qu’au pairs d’évaluer cette production et ne donner l’autorisation de publication (exclusive) qu’à postériori.

Les licences libres n’interviennent que de manière secondaire, pour asseoir juridiquement les conditions de la diffusion (voire des modifications).

La conséquence, du point de vue du plagiat, c’est que l’oeuvre est connue à priori et par le plus grand nombre : cela diminue radicalement le risque de ne pas démasquer le plagiat, en particulier grâce aux moteurs de recherche sur le web.

Par ailleurs, dans ces conditions, si l’oeuvre en question n’est pas « scientifiquement pertinente », contient des erreurs ou n’obéit pas à une méthodologie correcte, c’est toute la communauté qui pourrait alors en juger puisque tous les agents, y compris les plus spécialistes, seraient en mesure de publier leurs évaluations. Il appartient donc aux communautés scientifiques, dès maintenant, de multiplier les lieux où l’exercice de la recherche scientifique pourrait s’accomplir dans une transparence quasi-absolue et dans une indépendance totale par rapport aux revues comme aux diktat de l’évaluation à tout va. C’est le manque de transparence qui, par exemple, implique l’anonymat des évaluateurs alors même que ce sont des « pairs » (j’aime l’expression « un article de pair inconnu »): ne serait-il pas juste qu’un évaluateur (comme le ferait un critique littéraire) ne se cache pas derrière le nom de la revue, afin que tout le monde puisse juger de son impartialité ? Voilà pourquoi il faut ouvrir à priori la diffusion des articles : les évaluations publiques seront toujours plus recevables que les évaluations anonymes, puisqu’elles n’auront rien à cacher et seront toujours potentiellement discutées entre lecteurs. Là encore les cas de plagiat seraient très facilement identifiés et surtout discutés.

Il se pourrait même que le modèle économique du logiciel libre puisse mieux convenir à l’économie de la Recherche que les principes vieillissants du système dominant.

27.01.2012 à 01:00

Il faut libérer les sciences

Ce billet fait suite à mon texte de 2010 intitulé « Pour libérer les sciences », au risque de paraître quelque peu redondant. En effet, en cette fin de mois de janvier 2012, le mathématicien Timothy Gowers (Cambridge + Médaille Fields 1998) a lancé un appel au boycott de l’éditeur Elsevier, un des grands poids lourds de l’édition scientifique et en particulier les éditions papier et en ligne vendues par abonnement aux Universités. Cet appel au boycott repose sur le même reproche fait depuis des années sans que rien ne bouge à propos des tarifs exorbitants des ces firmes (Elsevier en tête mais on peut aussi citer Springer et d’autres), sans aucun rapport avec le coût effectif des supports de diffusion ainsi proposés à la vente. Faut-il boycotter Elsevier et, comme T. Gowers, inciter les scientifiques à ne plus soumettre leurs publications aux revues détenues par Elsevier, ne plus faire partie des comités de lectures, etc. ?

Des connaissances libres et gratuites

Selon moi, un tel appel au boycott n’a que peu de chance de réussir. En effet, la pression de l’évaluation tout-azimut est telle sur les scientifiques qu’ils se trouvent bien obligés de participer à la mascarade collective consistant à s’auto-évaluer et se plier au racket organisé. Mais la question dépasse largement ces aspects. En effet, qu’est-ce qu’une publication scientifique? C’est un ensemble de connaissances (nouvelles) exposées selon des règles et une méthodologie claire et dont l’objectif est d’être diffusée le plus largement possible. Dans la mesure où cette publication est le produit de l’effort collectif à la fois des scientifiques et des citoyens qui, par leurs impôts, subventionnent la recherche scientifique, les connaissances produites sont censées être consultables par tous, et comme un juste retour sur l’investissement public, cela implique selon moi un accès libre et gratuit.

Libre, parce que la priorité doit être donnée à la diffusion des sciences et que chacun devrait pouvoir utiliser un texte scientifique : le lire, le partager, identifier les auteurs et proposer éventuellement des modifications en leur écrivant, bref, en disposer de manière démocratique et dans un esprit de partage. Libre est ici utilisé dans le même sens que dans “licence libre”, c’est à dire que les texte scientifiques devraient être soumis à de telles licences. Quant au droit d’auteur, si l’on s’en réfère à la législation française (je ne parle pas de copyright), il reste bien sûr inaliénable (droit moral) et la paternité d’un texte sera toujours reconnue quoiqu’il arrive. Dès lors, la conclusion s’impose d’elle même : un texte scientifique, produit grâce à des subsides publics, ne doit en aucun cas faire l’objet d’une cession exclusive des droits de diffusion. En effet, on devrait considérer que si le droit moral sur l’oeuvre appartient bien à l’auteur, ce dernier ne devrait pas être détenteur d’un droit patrimonial dans la mesure où son oeuvre appartient au public en premier lieu. L’évaluation de cette oeuvre par les pairs lui confère sa validité scientifique, fruit du métier de chercheur, et consiste à la reconnaître comme une véritable production de la recherche publique.

Gratuit, parce que rien n’oblige à réaliser des bénéfices sur la production scientifique, mais pour autant, cela doit rester possible. Cette gratuité peut s’obtenir d’une manière très simple : aujourd’hui, un texte scientifique est produit de manière électronique, il peut donc, pour un coût proche de zéro, être diffusé par voie électronique. La publication au format papier ou dans un format électronique spécial peuvent certes être payantes, dans la mesure où un effort est fait par un éditeur pour produire un support. Mais, quoi qu’il advienne, un chercheur devrait pouvoir garder la main sur n’importe quel moyen de diffusion qui lui semble opportun et laisser gratuitement à disposition du public ses productions scientifiques.

C’est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à un boycott d’Elsevier ou de toute autre maison d’édition. Si l’on part du principe que toute production scientifique est censée être libre et gratuitement disponible quelque part, rien n’empêche une maison d’édition de s’emparer d’un texte et participer à sa diffusion via n’importe quel support. Dans ce cas, c’est un service qui est vendu… pourquoi le condamner?

Le système est aberrant, il faut le changer

Les problèmes ne sont donc pas là où l’on pense d’emblée les trouver. Les scientifiques en ont pourtant l’habitude. La question réside dans l’exercice d’un monopole, lui même soutenu de manière politique. Preuve en est que Elsevier et d’autres ont récemment soutenu le Research Works Act qui vise explicitement à limiter voire interdire l’accès libre aux productions scientifiques ! En d’autres termes, le rêve d’Elsevier et consors est d’obtenir un monopole sur la connaissance. C’est inacceptable. Surtout si l’on relève quelques petits scandales de Elsevier sur le montage de vrais-faux journaux pharmaceutiques, au service de quelques firmes.

Face aux pratiques douteuses de ces groupes de l’édition scientifique, l’un des premiers réflexes des scientifiques est de se tourner vers des solutions de type open access. Au risque de répéter ce que j’ai déjà affirmé précedemment, cette solution n’est valable qu’à la condition que ces productions scientifiques soient véritablement libres et soumises à des licences libres. Si l’on prend l’exemple de HAL (Archives ouvertes) qui se targue d’être un accès “libre” garantissant la propriété intellectuelle des auteurs, on est encore loin du compte. Le fait de placer un texte sur HAL et autres serveurs est souvent soumis à des conditions bien particulières, dont la plus importante est d’obtenir l’autorisation préalable de l’éditeur de la revue dans laquelle le texte est censé être initialement diffusé. Tout part du principe qu’une publication scientifique passe obligatoirement par une revue au sens classique du terme. Certaines revues ont depuis longtemps fait le pari des licences libres, mais c’est loin d’être le cas de toutes les revues. Or, rien n’oblige les chercheurs à accepter de telles conditions ! Qui plus est, cet engouement pour les archives ouvertes a été perçu par certains éditeurs comme une occasion de racketter encore plus les auteurs (et leurs labos) : si vous voulez publier, il faut payer et si, en plus, vous voulez obtenir l’autorisation de placer votre texte sur l’un ou l’autre support d’archives ouvertes, il faut encore payer (très cher).

En somme, si je parle de racket, c’est bien parce qu’un texte, produit sur des fonds publics, à la sueur du front d’un chercheur, ne donnera qu’un retour limité sur l’investissement public de départ, sera centralisé dans une revue (sclérosant ainsi la diffusion), moyennant des tarifs de publication, et revendu aux institutions publiques sous forme d’abonnement… Les membres des comités de lecture, qui prennent de leur temps de chercheur (là encore: fonds publics) pour évaluer les articles de ces revues, sont très rarement indemnisés (et s’il le sont, c’est de manière personnelle, aucune somme n’est versée à leur institution). Quant au travail d’éditeur, il se réduit ni plus ni moins qu’à imprimer un texte fourni de manière électronique par le chercheur déjà mis en page et corrigé par lui-même selon les maquettes fournies, c’est à dire un travail éditorial proche de zéro (surtout sans indemniser les comités de lecture). Comment un tel système a-t-il pu se mettre en place ? c’est une aberration.

Que faut-il faire ?

Les solutions sont très simples à mettre en oeuvre, mais très difficiles à accepter. Il faut tout d’abord s’inspirer de l’existant : ArXiv et Wikipedia sont selon moi deux systèmes parfaitement adaptés. Il faut en effet inverser la tendance : les éditeurs doivent accepter le fait que ce qu’ils publient est d’abord issu du pot commun “connaissance de l’homme”, et que leur travail est d’abord un service rendu sous forme de support. Les productions scientifiques peuvent aujourd’hui être évaluées par les pairs de manière transparente sur des serveurs en ligne adaptés. Elle peuvent être publiées et/ou référencées en ligne avec un coût nul et toucher des milliards de personnes, sans obliger le lecteur au fin fond d’une zone rurale d’un pays du tiers-monde à posséder un abonnement Elsevier. Et si ce dernier n’a pas Internet, un de ses correspondants plus chanceux devrait pouvoir avoir la possibilité la plus morale qui soit à imprimer le texte et le lui envoyer par courrier.

Recette à méditer, reposant sur le principe de la décentralisation des données et de la priorité de la diffusion des connaissances :

  • Chaque chercheur (ou simple quidam) produit des textes qu’il héberge soit depuis chez lui, soit sur un emplacement qui lui est personnellement réservé sur un serveur au sein de son université de rattachement.
  • Les universités hébergent toutes des duplicata des bases de données dont l’alimentation se fait via une technologie peer-to-peer. Les bases de données sont les suivantes : 1) la liste et les adresses des textes produits par les chercheurs et hébergés partout dans le monde 2) le descriptif de ces textes, leur domaines, suivant une nomenclature commune 3) les commentaires et les critiques de ces textes, produits de manière anonyme ou non.
  • Les revues ont accès (comme le reste du monde) à ces données et peuvent choisir celles parmi les meilleures publications (système de popularité) qui peuvent être inclues dans leurs collections. Elles font alors pour cela appel à leurs comités de lecture. En retour, d’autres comités de lecture issus des communautés scientifiques (associations internationales de chercheurs, prix de travaux scientifiques, membres de comités d’institutions publiques, etc) peuvent aussi participer à un système de notation.
  • Les systèmes de notation doivent être indépendants les uns des autres, parfaitement identifiés, et peuvent être multiples. Par exemple, l’Association des Joyeux Mathématiciens du Wyoming peut éditer mensuellement ou annuellement, toujours en ligne, un classement des productions les plus pertinentes. Ce classement pourra être différent pour les referees des médailles Fields. Et encore différent pour des institutions comme le CNRS. Il peut donc y avoir consensus ou différence : c’est bien là l’objectif des théories scientifiques que d’être discutables, non? Mais ces classements multiples permettraient de hiérarchiser la qualité des travaux selon des tendances, et permettrait aussi des notations “en contexte” : si un chercheur doit être évalué, c’est à l’instance qui l’évalue qu’il revient de noter ses productions. Ainsi par exemple en France : l’AERES, au lieu de ne se référer qu’à des évaluations de revues complètement absconses, pourrait faire l’effort de lire les publications des membres des labos et elle-même attribuer une note au labo, note qui compterait alors dans la popularité des articles référencés.
  • Le chercheur qui produit un texte peut toujours le faire en vue de le proposer dans une revue bien précise mais il le dépose en ligne et le rend accessible à tous : la revue peut alors utiliser ce texte, comme initialement prévu, mais d’autres revues peuvent très bien l’utiliser aussi : par exemple pour le traduire et favoriser sa diffusion, ou le rendre disponible dans des endroits ne disposant pas d’accès Internet (on peut imaginer une autre ambition aux éditeur consistant à publier des versions papiers des meilleurs articles dans un but humanitaire…Ceci en vertu d’une absence d’exclusivité de la diffusion.

Et alors, où serait le problème ? Les auteurs ne sont de toute façon pas censés toucher de revenus sur leurs propres publications scientifiques. Les institutions feraient des économies substantielles. Tout le monde aurait accès à ces connaissances. La fiabilité des informations ainsi produites serait mesurée à l’aune des méthodes de ceux qui se donneront la peine d’effectuer ces évaluations. L’ensemble pourrait très bien reposer sur un modèle Wikipedia… Avec l’avènement du tout numérique et de l’Internet, il faut aussi que nos chers éditeurs adaptent leurs modèles hérités du début du XXe siècle (Elsevier est même plus ancien) et comprennent que leur rôle n’est plus autant indispensable qu’il l’était hier, surtout si leur jeu consiste à imposer un modèle de monopole et brider la diffusion des connaissances.

01.01.2012 à 01:00

Occupations

Voici quelques éléments biographiques à propos de Christophe Masutti (voir la photo). Ils ne sont ni exhaustifs ni définitifs.

En résumé

Hospitalier, (H)ac(k)tiviste, libriste, administrateur de Framasoft. Sport à haute dose (VTT, natation, trail). Histoire, sociologie, philosophie des sciences et des techniques.

J’ai un job que j’aime beaucoup aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. Il m’est cependant indispensable de poursuivre mes activités militantes en faveur des libertés numériques. En même temps, ce sont aussi mes compétences d’historien des sciences et des techniques qui sont souvent mobilisées… et j’écris des textes. Pour décompresser de tout cela, je pratique mon sport de prédilection, le VTT, que je complète par deux autres sports, le trail (et l’endu en salle de sport) et la natation.

Trucs officiels

  • Attaché aux affaires Européennes et transfrontalières, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, dep. fév. 2008. — Coopération, coordination de projets, recherche clinique, évaluation, gestion scientifique et technique, développement de l’activité
  • Co-administrateur, Association Framasoft, Dep. janv. 2010 — Membre de différents comités, administration de l’association
  • Chercheur associé, SAGE, UMR 7363, Dep. sept. 2012 — (Sociétés, acteurs, Gouvernement en Europe)
  • Post-doctorat, INSERM, Institut national de la santé et de la recherche médicale, janv. 2008 — janv. 2009 — Histoire et politiques de santé, France / Allemagne
  • Post-doctorat, La Charité Universitätsmedizin Berlin, févr. 2007 – janv. 2008 — Développement réseau DRUGS (histoire de l’industrie pharmaceutique)
  • Attaché d’enseignement et de recherche, Faculté des sciences économiques, Université de Strasbourg, 2004 — 2006. — Histoire des sciences et des technologies, Histoire économique
  • Doctorat (allocataire-moniteur de recherches), IRIST, Université de Strasbourg, 2001 — 2004. — Histoire des sciences et des technologies (72), Sciences politiques (04), Histoire moderne et contemporaine (22)
  • DEA, IRIST, Université de Strasbourg, 2000 — 2001. — Sciences, Technologies et Société (STS)
  • Maîtrise/master, Université de Strasbourg, 1999. — Discipline : Philosophie

01.01.2012 à 01:00

Clefs publiques

Clefs à télécharger

Explications

Voir cette page Wikipedia

20.04.2011 à 02:00

Option libre

Quel est le cadre légal associé aux aux créations de l’esprit, et comment les licences libres changent-elles la donne ? Quels sont les bons usages des licences libres ? Dans ce livre, Benjamin Jean nous présente ce nouveau paradigme des licences libres et l’équilibre du système qu’elles structurent. Tout en évitant la simple exposition de règles et de normes, c’est de manière méthodique que seront abordées les notions juridiques, les exemple pratiques et les principaux écueils à éviter.


Jean, Benjamin. Option libre. Du bon usage des licences libres. Framasoft, 2011.

Lien vers le site de l’éditeur : https://framabook.org/optionlibre-dubonusagedeslicenceslibres/


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