07.10.2024 à 17:50
Matheo Malik
Depuis un an, dans une superposition des événements et des images, nous suivons en direct, au jour le jour, un affrontement d’une violence inouïe — qui déchaîne et polarise partout les opinions publiques. Pour Hugo Micheron et Antoine Jardin, le 7 octobre nous a clairement fait basculer dans une nouvelle ère : celle de la guerre mondiale informationnelle.
Dans l’un des premiers projets de recherche augmentée par l’IA, ils présentent en exclusivité les premiers résultats d’une vaste enquête.
L’article Le 7 octobre et la première guerre mondiale informationnelle est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Un an exactement après le 7 octobre, la revue accompagne un chantier novateur. En partenariat avec le séminaire « IA, démocraties européennes et milieu informationnel », Hugo Micheron présentera ce programme de recherche le 10 octobre 2024 de 19h à 21h dans la grande salle du Théâtre de la Concorde. Si vous nous lisez, que vous pensez que notre travail mérite d’être soutenu et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent
Depuis le 7 octobre, nous sommes entrés dans une nouvelle ère : celle de la première guerre mondiale de l’information.
L’attaque terroriste du Hamas puis l’invasion israélienne de Gaza ont marqué un tournant stratégique dans la région. Par la sidération et par l’intensité informationnelle qu’ils ont produites, ils ont rendu visible la dimension mondiale d’un affrontement jusque-là beaucoup moins perceptible. Au Proche-Orient, et notamment à Gaza, se trouve aujourd’hui l’épicentre d’une guerre d’un type nouveau.
Événement historique sans précédent à cet égard, le 7 octobre apparaît comme le révélateur d’une situation insuffisamment commentée, documentée et comprise, mesurable par l’explosion des contenus diffusés sur les réseaux sociaux.
Les attaques du Hamas ont immédiatement déclenché un tsunami des réactions, s’imposant comme sujet de discussion internationale, trans-plateforme et multimédia. Les volumes de contenus produits, partagés, commentés, ont, dès le déclenchement de l’opération « Déluge Al-Aqsa », atteint des niveaux supérieurs à ceux du dernier pic historique en la matière, provoqué par l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie de Poutine le 24 février 2022. La mobilisation hors norme était observable dans le monde entier et sur l’ensemble des plateformes sociales — X, Facebook, Instagram, Snapchat, Telegram, YouTube, Discord, etc.
Contrairement à la guerre en Ukraine toutefois, l’engagement des internautes ne s’est pas essoufflé. Plusieurs semaines après, lors de l’invasion israélienne de Gaza le 21 octobre, le flux de contenus et d’appels à la mobilisation restait à des niveaux exceptionnels, confirmant l’ampleur inédite du phénomène.
Autre particularité : le 7 octobre et ses conséquences sont devenus viraux d’une manière hétérogène au sein de presque toutes les grandes communautés militantes actives en ligne. Au-delà des soutiens pro-israéliens, pro-Hamas ou pro-palestiniens, le sujet a été récupéré par des mouvances variées : islamistes de tous horizons, pro-russes, pro-iraniens, antisémites, complotistes, extrême gauche, extrême droite, suprémacistes blancs, antivax, et même des climatosceptiques. Le conflit servait à ces multiples mouvances de catalyseur pour produire des messages sur des sujets a priori lointains mais qu’ils reliaient à l’actualité gazaouie. Les différentes communautés militantes ont investi le 7 octobre d’un sens politique qui dépasse largement la tragédie sur le terrain proche-oriental.
La guerre à Gaza produit également des effets politiques majeurs dans les démocraties occidentales. Aux divisions déjà profondes, comme celles des gauches européennes face à la caractérisation des massacres du Hamas, s’ajoutent au printemps 2024 des manifestations et des blocages d’universités, ainsi qu’un regain de la menace terroriste. Un chiffre suffit pour en prendre la mesure : les tentatives d’attentat ont quintuplé en Europe occidentale entre 2023 et 2024 — et plus d’un tiers d’entre elles visaient des cibles juives 1. Les polémiques qui découlent logiquement de l’enchevêtrement de ces dynamiques et des raccourcis qui en résultent, renforcent la polarisation de débats publics déjà durement éprouvés. Ils sont alimentés par la guerre informationnelle au moins autant qu’ils l’alimentent en retour, en la prolongeant sur les réseaux sociaux.
De toute évidence, il se joue ici un phénomène à tout point de vue hors norme et d’une nature nouvelle. La guerre s’émancipe de sa dimension physique pour s’inscrire dans le domaine informationnel : au-delà des affrontements traditionnels sur terre, mer, dans les airs et le cyberespace, le 7 octobre intervient donc comme une révélation mondiale de l’importance du conflit informationnel. À cet égard, le Hamas semble avoir démontré qu’il est possible de subir une guerre sur le plan militaire tout en en menant une autre sur le plan informationnel — en toute hypothèse, il serait donc possible de perdre militairement tout en gagnant sur le terrain de l’information. Il reste à voir si le Likoud et Benjamin Netanyahou en ont pleinement pris conscience. Si cette hypothèse devient réalité, elle représenterait un véritable changement de paradigme.
En devenant « informationnelle », la guerre se dématérialise et la confrontation autour de Gaza se déplace : elle peut s’infiltrer dans les débats publics pour opérer comme un marqueur politique sur des enjeux beaucoup plus larges.
Le paradigme de la guerre informationnelle nous permet un exercice heuristique d’un nouveau genre, qui s’appuie sur des outils inédits pour l’étudier et, en amont, de le documenter 2.
Sans prétendre à l’exhaustivité, après avoir pris en compte plus de 10 millions de tweets et près de 200 000 articles et posts sur les réseaux sociaux publiés par des médias depuis un an, les données nous permettent de proposer de premières pistes pour étudier systématiquement les récits promus sur les réseaux sociaux par les différentes communautés et leurs évolutions dans le temps.
Depuis un an, les différentes communautés intervenant autour du conflit publient trois types de contenus assez différents. Un premier type de messages consiste en des appels à la mobilisation, à l’action et aux manifestations — en soutien à la cause palestinienne ou à Israël, même si les premières sont bien plus nombreuses que les secondes. Les messages sont majoritairement publiés sur Telegram. Ils relayent :
Le deuxième type de contenus sont les « chaînes » sur les réseaux sociaux qui proposent des flots continus d’information documentant la situation sur le terrain. La plupart des « feeds » suivent des focales spécifiques, que l’on regroupe en trois catégories principales :
L’ensemble de ces contenus, qu’ils soient défavorables ou non à Israël, se limitent à des retweets ou comportent des apports éditoriaux mineurs. Cependant, même court, les messages sont souvent orientés de façon à : 1) conditionner d’une phrase, d’un mot, d’un emoji, la réception de l’information partagée ; 2) jouer un rôle de filtre émotionnel pour indiquer à l’observateur comment traduire l’information partagée et 3) entretenir le feu émotionnel, maintenir les effets de sidération et d’indignation causés par la guerre.
Les comptes pro-iraniens et pro-Hamas sont très rodés à ces techniques, de plus en plus mobilisés aussi en 2024 au sein des communautés en soutien à l’action militaire israélienne.
Ces méthodes participent d’une mise en récit subtile mais massive de l’actualité. Elles renforcent l’indignation et associent une forte charge émotionnelle à l’information qu’elles conditionnent.
En terme de volume, l’Iran est l’acteur qui investit le plus massivement la guerre informationnelle, notamment dans les premiers mois après le 7 octobre 2023 — nous aurons l’occasion de l’évoquer en détail dans un article dédié. Les relais de la République islamique au sein de « l’axe de la résistance » sont présents sur tous les réseaux et actifs en différentes langues — farsi, arabes, français, anglais notamment. En français, ils s’affairent aussi bien à relayer des appels à manifester que la promotion de contenu religieux et politique.
Les contenus poussés par les réseaux iraniens, russes et turcs tendent à résonner fortement entre eux, notamment dans leur dimension anti-occidentale. Ils produisent un champ de force discursif sur les réseaux sociaux qui insistent notamment sur l’illégitimité et l’immoralité de l’action des capitales européennes. Ces récits sont d’autant plus « convaincants » qu’ils font mouche et qu’ils sont repris et martelés par des relais importants dans des communautés politiques et religieuses très différentes en Europe et au Moyen-Orient. Leur dissémination massive donne l’impression d’une vérité indiscutable à ceux qui chercheraient à s’informer candidement sur les réseaux sociaux.
Les réseaux pro-russes, comme leur homologues iraniens, s’activent dans toutes les langues. De manière générale, ils exploitent la situation à Gaza pour affaiblir les positions diplomatiques et discursives de l’Union européenne et des États-Unis.
La guerre en Ukraine apparaît en filigrane de quasiment tous les récits poussés par ces canaux.
Les réseaux pro-russes tendent ainsi à promouvoir une couverture de la guerre à Gaza qui incrimine les positions de l’Occident. Les contenus dénonçant le « deux poids, deux mesures » de l’Occident — chers également aux réseaux pro-turcs et pro-iraniens — sont les plus évidents. Les prises de positions des responsables européens sont ainsi fréquemment dénoncées pour leur « indignation sélective » — s’émouvant davantage de la situation sur le front ukrainien et que du sort des Palestiniens à Gaza. Les messages insistant sur le fait que la situation au Proche-Orient serait une priorité absolue — par opposition à l’Ukraine qui ne serait qu’un sujet secondaire — reviennent également de façon récurrente. Autre aspect des récits pro-russes, ils visent à associer directement les actions d’Israël à celles des puissances occidentales. L’idée que les soutiens d’Israël sont les mêmes que ceux de l’Ukraine est par exemple martelée à longueur de messages. Enfin, ces communautés vantent plus ou moins subtilement la diplomatie russe au Proche-Orient — surtout dans les contenus en arabe. Elle est présentée comme efficace et fiable par opposition à une diplomatie occidentale jugée immorale, injuste et improductive.
Dans la guerre mondiale informationnelle, les stratégies d’influence opèrent subtilement. Les récits employés ne sont pas toujours rattachables à la politique des pays en question. Ils sont souvent pensés de façon à être récupérables par d’autres communautés politiques et devenir viraux en leur sein. C’est ainsi qu’autour du conflit en cours au Proche-Orient peuvent s’amalgamer si facilement des enjeux de politique intérieure et extérieure.
Pour comprendre le choc du 7 octobre, il faut le replacer dans son grand contexte et revenir sur les coordonnées de l’atmosphère informationnelle dans laquelle il advient. L’étude des phénomènes de viralité permet de dégager cinq grandes tendances.
La première d’entre elles résulte de la très forte polarisation, qui configure un climat d’insurrection intellectuelle. Celui-ci est palpable au quotidien sur les réseaux sociaux sur lesquels s’affrontent des « communautés » militantes plus ou moins bien organisées. Il perle aussi dans la multiplication des épisodes émeutiers — des gilets jaunes en 2018 aux affontements en Angleterre à l’été 2024, en passant par les manifestations virulentes en Allemagne et en Grande Bretagne après le 7 octobre 2023 ou aux émeutes en France à l’été 2023 après la mort de Nahel.
Le climat d’insurrection intellectuelle se matérialise aussi dans une tendance à la remise en cause des résultats issus des urnes.
L’assaut du capitole le 6 janvier 2021 aux États-Unis, largement provoqué par une surenchère sur les réseaux sociaux contestant l’élection de Joe Biden, constitue la matérialisation la plus grave de ce phénomène. Dans les contextes politiques polarisés, les enjeux des scrutins sont considérablement relevés et la victoire d’un camp est synonyme non pas de défaite électorale pour l’autre camp mais de catastrophe inacceptable. La tentation est grande alors pour les perdants de refuser la légitimité démocratique aux vainqueurs et de préférer croire à des résultats truqués, par des modes de scrutin biaisés.
L’une des conséquences les moins bien comprises de la polarisation politique et du climat d’insurrection intellectuelle qui s’ensuit est la neutralisation des capacités d’action politiques par les gouvernements élus.
En effet, si la légitimité d’une élection est immédiatement remise en question par une forte minorité de l’électorat — comme cela tend à être le cas en France, aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe — la menace n’est pas qu’insurrectionnelle. En réalité, le risque premier est celui de la paralysie politique. Un président ou un chef de gouvernement mal élu ou fortement contesté voit sa marge de manœuvre réduite et donc, ses capacités d’action politique sur le plan intérieur en partie neutralisées. Pour les décideurs publics placés dans de telle situation, le coût de la prise d’initiative augmente tandis que celui de l’inaction baisse, chaque décision pouvant provoquer une réaction potentiellement violente. En témoigne le mouvement de contestation de la réforme des retraites en France : dans pareil contexte, l’inaction politique devient un confort enviable, voire une forme de sagesse qui fait écho à l’adage prêté à Henri Queuille selon lequel : « il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout ». Le risque de paralysie politique est inhérent à la polarisation toujours plus importante sur les réseaux sociaux.
Alors que l’hégémonie des régimes européens est remise en question partout, il n’a rarement paru aussi urgent d’agir.
Sur le plan économique, les préconisations de Mario Draghi publiées dans ces pages énoncent un constat implacable et ont suscité un débat continental. L’Union accuse un retard dans la compétition économique mondiale face aux États-Unis et à la Chine, notamment en raison de retards technologiques et dans l’intelligence artificielle qui tendent à s’accumuler. Elle a moyen d’inverser la tendance et d’échapper à la « lente agonie » contre laquelle met en garde le rapport Draghi — mais le virage est serré. Au-delà de mesures sectorielles bien identifiées, il implique notamment des investissements considérables. En somme, sa mise en œuvre — qui sera peu ou prou la feuille de route de l’Union pour le cycle politique qui s’est ouvert avec les élections de cette année — repose sur un préalable : reprendre l’initiative et sortir de la paralysie politique.
Car à l’inertie politique et économique s’ajoute le recul géopolitique de l’Union, observé de façon spectaculaire depuis le début de la crise en Syrie et dont il conviendrait un jour de tirer toutes les leçons 3.
La guerre civile syrienne (2011-2019) constituait la dernière grande crise au Moyen-Orient jusqu’à l’actuelle, déclenchée par les attaques du 7 octobre et la guerre en cours à Gaza et au Liban. La crise syrienne a été un moment charnière pour l’Europe : entre son début en 2011 et son règlement partiel en 2019, l’Union est passée en moins d’une décennie du statut de puissance active dans la région à celui de témoin passif. Cela même alors que le continent a été affecté par les dynamiques qui y ont pris forme, en particulier la crise des réfugiés de l’été 2015 et le djihadisme de Daech — auquel ont participé 6000 Européens et qui s’est traduit dans une campagne d’attentats sans précédent.
Si l’influence européenne sur le cours des événements en Syrie s’est évanouie, c’est aussi le produit d’une stratégie mise en place par les rivaux géopolitiques de l’Union. En 2018, la Russie, l’Iran et la Turquie réunis à Astana au Kazakhstan pour négocier une issue aux conflits syriens trouvent un terrain d’entente. Le préalable qu’ils posent à toute discussion est simple : les puissances européennes doivent être exclues du cadre du règlement du conflit syrien. Un accord qui allait être transposé à d’autres crises, et qui se traduit depuis lors par une « astanaïsation » des relations internationales. De la Libye au Sahel, en passant par l’Afrique de l’Ouest, l’exclusion des puissances européennes des cadres d’intervention et de résolution politique des conflits s’étend vers d’autres zones du monde.
À l’heure de la guerre à Gaza et au Liban, l’Europe a perdu sa capacité d’influer sur les positions en présence alors même que la situation au Proche-Orient rétroagit encore une fois fortement sur les débats publics européens. Comme nous le rappelions plus haut, le 7 octobre est de ce point de vue un catalyseur des dynamiques précédentes.
En perdant son influence sur le cours des événements dans son environnement immédiat, l’Europe tend à devenir l’objet des transformations qui s’y produisent.
En plus de tenter proactivement d’exclure l’Union des cadres de règlements des crises qui affectent directement l’Europe, les rivaux géopolitiques et ennemis déclarés de l’Occident cherchent aussi à exploiter le climat d’insurrection intellectuelle.
À travers les méthodes dites de guerre informationnelle, ces acteurs tentent d’appuyer sur les clivages et les lignes de faille identifiés dans les débats démocratiques occidentaux 4. Par le biais de multiples campagnes de désinformation ou d’amplification de récits et de tropes déjà présents sur les réseaux sociaux, ils cherchent à renforcer les dynamiques de fragmentation et polarisation politique à l’œuvre dans le champ politique 5.
La Russie a largement recours à ces méthodes — de l’instrumentalisation de la polémique autour des punaises de lit à Paris à l’automne 2023 à l’orchestration de faux actes antisémites quelques jours après le 7 octobre. L’initiative d’un autre pays d’Asie centrale retient peu l’attention en Europe malgré sa forte activité : l’Azerbaïdjan. Hostile à l’action de l’Union, notamment en raison du soutien français à l’Arménie, le pays est à l’origine du Groupe d’initiative de Bakou (GIB) dont le but est de soutenir la lutte des peuples « mal-décolonisés ». Via les mécanismes de campagne informationnelle sur les réseaux sociaux décrites précédemment, le GIB s’est par exemple explicitement impliqué dans l’amplification des contenus hostiles à l’État français en Nouvelle-Calédonie, soutenant activement l’indépendance de l’île et le départ de ce que ses soutiens appellent des « forces d’occupation françaises ».
La polarisation politique, l’essor d’un climat d’insurrection intellectuelle, le décrochage économique et géopolitique de l’Union et la multiplication des campagnes informationnelles se sont développés de concert au cours des quinze dernières années.
Ces tendances se nourrissent les unes des autres et définissent les forces centrifuges qui menacent aujourd’hui la stabilité des démocraties occidentales : elles ont pris forme concomitamment à l’affirmation des réseaux sociaux comme lieux privilégiés de conscientisation et de socialisation politique.
Hautement politique, la problématique technologique ne peut être abordée sous le seul aspect technique. Elle se doit à ce titre d’être traitée par les sciences politiques et c’est là qu’intervient une ultime contrainte. Les défis posés par les tendances précédemment décrites sont extrêmement délicats à quantifier, à qualifier et donc, à objectiver. Si bien qu’il arrive souvent d’être d’accord sur un constat — celui de la fragmentation politique des pays démocratiques européens par exemple — sans pour autant parvenir à établir fermement et implacablement le constat lui-même.
Ce qui ressort de cela est que les transformations technologiques nous obligent à adapter nos cadres de pensée traditionnels afin de pouvoir comprendre leurs effets sur le politique. Ces problématiques ne pourront trouver de réponse, sans pouvoir au préalable :
Y répondre permettrait de mettre un terme à la désynchronisation du politique et du technologique — l’un se développant plus vite que la capacité de l’autre à l’absorber et à le réguler. Les deux premiers points sont des défis majeurs pour les démocraties européennes que peuvent et que doivent relever les sciences humaines et sociales. Pour y parvenir, il est nécessaire au préalable de produire des outils à la mesure de ces défis et d’exploiter le plein potentiel de l’IA pour produire les outils de la recherche augmentée. Dont acte.
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07.10.2024 à 09:57
Matheo Malik
« Les Israéliens ont tort mais voici l’opinion générale : nous ne pouvons plus faire confiance à nos voisins. »
Dans le deuil et l’effroi, un consensus de la rage s’est installé à bas bruit dans le pays. Alors que les bombardements israéliens ont fait des dizaines de milliers de morts à Gaza, le sentiment de menace existentielle s’est étendu partout en Israël depuis le 7 octobre. Comment sortir de cette spirale ?
L’article « Depuis le 7 octobre, nous menons plusieurs guerres à la fois », une conversation avec Nitzan Horowitz est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Depuis un an, la revue cartographie la nouvelle phase dans laquelle est entré le Moyen Orient à partir du 7 octobre 2023. Si vous nous lisez, que vous pensez que ce travail mérite d’être soutenu et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent
Tout d’abord, je voudrais préciser que si j’ai été ministre de la santé dans l’ancien gouvernement, je ne suis plus en politique aujourd’hui. Je ne représente donc en aucune manière le gouvernement israélien actuel et mes opinions n’appartiennent qu’à moi.
Depuis cette journée du 7 octobre, il y a un an exactement, nous vivons dans un cauchemar permanent.
La guerre s’étend désormais sur sept fronts : à Gaza, au Liban, en Iran, au Yémen, en Cisjordanie, en Israël et, pour les communautés juives qui sont visées, partout à travers le monde. Lorsque des centaines de missiles balistiques ont été lancés depuis l’Iran sur Tel Aviv, ma mère était chez elle, dans son immeuble, sans abri anti-bombe. Au moment des frappes, elle m’a téléphoné depuis son armoire et m’écrit sans arrêt depuis. Tout cela me touche très personnellement. Mardi, 8 personnes sont mortes dans un attentat à Jaffa.
C’est donc un tout : depuis le 7 octobre, nous menons plusieurs guerres à la fois.
Il faut ajouter à cette situation les problèmes que connaît Israël en interne depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Netanyahou, qui se place résolument contre la démocratie. En parallèle de la guerre extérieure imposée à Israël, il y a un mouvement civique considérable contre le gouvernement. Il s’agit à mon sens de la crise la plus profonde que mon pays ait subie depuis sa création en 1948. Les gens sont inquiets, bouleversés, abasourdis et choqués. Tous les jours, les nouvelles sont horribles.
En ce qui concerne la question palestinienne, je suis convaincu, plus que jamais, que la seule solution viable est la solution à deux États ; c’est à dire un État palestinien à côté de l’État d’Israël ; un État palestinien formé par la Cisjordanie et Gaza, et Israël à côté. Nous avons déjà un cadre avec l’autorité palestinienne, les accords d’Oslo, qui sont toujours en vigueur — mais il faut aller plus loin.
Il est très difficile en ce moment de faire des prédictions.
Beaucoup d’Israéliens sont déçus de nos partenaires palestiniens mais je crois que dans ce petit pays où il y a deux peuples, juifs et arabes, israéliens et palestiniens, il faut avoir deux États.
Pour l’instant, Israël occupe la plupart de la bande de Gaza. J’ai bon espoir qu’en cas d’accord, Israël se retirera. Je ne peux pas dire que je suis optimiste pour l’instant parce que la situation est vraiment très dure et que les émotions sont extrêmement fortes.
Concernant le Liban, il faut être clair : depuis 25 cinq ans, il n’y a pas de sujets territoriaux entre le Liban et Israël. Israël s’est retiré du territoire libanais en 2000. Depuis, au cours de mon mandat même, Israël a signé un accord avec le Liban sur le gaz naturel et sur la ligne maritime internationale. Il n’y avait donc aucune raison pour le Hezbollah d’attaquer Israël au lendemain du 7 octobre.
J’habite dans le nord d’Israël, à côté de la frontière libanaise. Depuis le 7 octobre, à cause des attaques du Hezbollah, notre région est bombardée sans arrêt, tous les jours. Les gens l’ignorent peut-être, mais depuis un an, quelques 100 000 Israéliens de tous les villages, villes, kibboutz, tout au long de la frontière libanaise, ont été évacués. Israël a abandonné toute la Galilée à cause des tirs. Ce qui se passe maintenant, c’est une démarche menée par le gouvernement de Netanyahou pour repousser le Hezbollah. Qu’est-ce-que cela va donner ? Je ne sais pas.
Cette combinaison de guerres externes avec une crise interne place Israël dans une position unique. Je fais confiance à la solidarité entre les gens et à la capacité d’Israël à se reconstruire. J’espère, personnellement, que nous obtiendrons enfin la paix et la stabilité — pas seulement pour nous, mais pour toute la région.
Avant le 7 octobre, nous étions effectivement sur une voie, je ne dirais pas de paix, mais de normalisation de nos relations avec la région. Les accords d’Abraham avec les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc ou le Soudan s’inscrive dans la longue histoire de la reprise des relations avec l’Égypte de Sadate, la Jordanie du roi Hussein, le Liban, ou les accords d’Oslo avec les Palestinien… Israël était en train de normaliser ses relations et d’être accepté dans la région.
Le 7 octobre a violemment bouleversé cette dynamique. La voie de la normalisation, de la paix, a été brisée en petits morceaux. Depuis un an, nous sommes en guerre.
Pourquoi est-on tellement choqués, déstabilisés par le 7 octobre ? Dans mon livre Les Assiégés. Dans l’enfer du 7 octobre co-écrit avec Hervé Deguine, nous racontons l’histoire d’un groupe de 27 personnes qui sont allées faire la fête pendant ce shabbat. Tous étaient très jeunes. Ils se sont réfugiés dans un petit abri à côté de la route et ont été visés, massacrés par le Hamas. Quatre ont été enlevés. Trois personnes sont toujours en captivité à Gaza. Aujourd’hui il y a plus de 100 otages israéliens détenus à Gaza.
Le choc que nous avons subi en écoutant ces histoires nous a obligés à briser cette voie de normalisation. Les Israéliens ont tort mais voici l’opinion générale : nous ne pouvons plus faire confiance à nos voisins. C’est impossible et inutile d’avoir des accords de paix. Il faut juste avoir recours à la force. Personnellement, je suis convaincu qu’au moment où la guerre va se terminer, les intérêts fondamentaux de tous les pays de la région — y compris ceux d’Israël, du Liban, d’Égypte et des Palestiniens… — nous forceront à reprendre la voie de la normalisation. Il n’y a pas d’autre solution. Autrement, on se trouvera en permanence dans cette situation, avec des guerres sur tous les fronts et peut-être plus.
Israël est un pays très fort avec beaucoup d’atouts et de capacités. En même temps, le gouvernement israélien doit comprendre que nous ne pouvons pas effacer ou éliminer la question palestinienne ou régler tous les problèmes par la force. Il faut revenir à la logique d’Oslo, aux négociations, au processus de paix. C’est la seule voie possible.
Le président Joe Biden, et sa Vice-présidente Kamala Harris font ce qu’ils peuvent pour empêcher une guerre régionale totale, voire une guerre mondiale.
Depuis le 7 octobre Israël ressent une menace existentielle. Peut-être que, vu depuis l’Europe, vous trouvez cela exagéré ou injuste, mais ce que nous avons vécu le 7 octobre nous a montré que certains de nos voisins voulaient nous tuer, tout simplement. C’est malheureusement l’opinion qui domine aujourd’hui en Israël.
Et si un pays fort, riche, comme Israël se trouve dans cette situation de menace existentielle, alors ce pays réagit. Il est très difficile de faire pression sur un pays qui ressent une menace existentielle.
Je suis un homme raisonnable, j’ai lutté toute ma vie pour la paix. Je souhaite que la guerre s’arrête et qu’on puisse revenir à ce chemin très réel, très logique, très clair de normalisation. Nous avons des relations diplomatiques, commerciales, économiques avec plusieurs pays arabes. Il faut élargir ce cercle. Pour cela, il faut arriver à la solution à deux États.
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07.10.2024 à 05:00
Matheo Malik
Depuis l’attaque terroriste commencée il y a un an, le Moyen-Orient s’embrase. L’Iran est acculé. À Gaza, les bombes continuent de tomber. Au Liban, la guerre s'étend. Que nous disent la défaite de la coalition chiite et la persistance du Hamas ? Comment explique-t-on la passivité des pays arabes ? Quelle est la nouvelle stratégie d’Israël ? Olivier Roy dégage les tendances d’un grand contexte.
L’article Le tournant stratégique du 7 octobre : Israël dans la nouvelle géopolitique du Levant est apparu en premier sur Le Grand Continent.
Depuis un an, la revue cartographie la nouvelle phase dans laquelle est entré le Moyen Orient à partir du 7 octobre 2023. Si vous nous lisez, que vous pensez que ce travail mérite d’être soutenu et que vous en avez les moyens, nous vous demandons de penser à vous abonner au Grand Continent
Cette guerre qui a déjà un an a changé la donne. Elle n’est plus une guerre de basse intensité mais elle ne se transformera pas en conflit régional.
Jusqu’ici l’Iran s’abritait derrière des organisations militaires locales — Hezbollah, Hamas, Houthis — qui combattaient Israël tout en restant dans le cadre de « lignes rouges » censées empêcher une confrontation directe entre les deux pays.
Contrairement au Hezbollah, le Hamas a conservé son autonomie décisionnelle par rapport à l’Iran, ce qui fait que l’ampleur du 7 octobre a pris même les Iraniens au dépourvu. Mais le Hamas ne peut survivre sans une conjonction des luttes qui oblige Israël à combattre sur plusieurs fronts. Ce dernier a donc décidé de hausser le niveau de la réponse : il s’agit non plus de contenir mais de réduire, voire d’anéantir, les alliés de Téhéran, tout en empêchant l’Iran de venir à leur secours, ou de faire peser sur Israël une pression telle que seules des négociations pourraient lui permettre de sortir de l’impasse.
De son côté, le régime iranien est acculé et cherche à se présenter comme une puissance soucieuse de rétablir l’équilibre, se contentant de riposter dans les limites de sa nouvelle doctrine. Le régime se limite à chercher à sauver la face, en organisant ce qui paraît, par l’asymétrie des forces en place, un « show » balistique, tandis qu’Israël revendique au contraire sa volonté de se lancer dans une escalade.
Le petit jeu qui fonctionnait depuis quarante ans — après l’invasion du Liban par Israël en 1982 —, un statu quo maintenu à coups de mini-crises, ne fonctionne plus. Pourquoi ?
On peut y voir deux raisons : un effondrement des capacités militaires de la coalition anti-Israël et un changement dans la vision stratégique d’Israël — que l’on ne saurait ramener à la simple volonté de Benyamin Netanyahou de prolonger la guerre pour éviter le tribunal.
Jusqu’ici, le petit jeu d’adaptation des deux camps à l’amélioration des capacités de l’autre camp permettait de revenir presque au point de départ après chaque crise : la résistance du Hezbollah à l’intervention israélienne au sud Liban en 2006 a réussi à la suite des progrès tactiques comme la construction de tunnels, mais l’usage massif par le Hezbollah et le Hamas de missiles de plus en plus sophistiqués s’est heurté à l’efficacité du dôme de protection anti-missiles mis en place par les Israéliens.
Par son ampleur, l’attaque terroriste du 7 octobre en territoire israélien a brisé cet équilibre.
Israël s’est lancé dans une opération d’éradication du Hamas. Mécaniquement, cela a entraîné une confrontation avec le Hezbollah — qu’Israël a cette fois-ci minutieusement préparée. La vraie cible de Tel Aviv devenant le Hezbollah et l’Iran, Israël fait de la question palestinienne un objectif plus lointain. L’important est d’éliminer aujourd’hui les acteurs extérieurs.
Cette stratégie semble prendre pour une raison très simple. L’extraordinaire succès des opérations d’éradication des leaders et des cadres du Hezbollah. Jusqu’ici, leurs exécution apparaissait plus comme une sorte de vengeance, car le leader tué était immédiatement remplacé tandis que l’organigramme de l’organisation restait intact. L’affaire des « bipeurs » et des talkies walkies, en revanche, a brisé la chaîne de commandement du haut en bas, obérant la capacité de faire la guerre. Couplée avec l’assassinat de Haniyeh au cœur même de l’Iran des Pâsdârân, cette opération révèle, bien au-delà de la simple collecte de renseignements, la pénétration israélienne dans le Hezbollah et surtout dans l’appareil d’État iranien. Bien plus, son effet est multiplié par la paranoïa qu’elle entraîne dans les rangs du Hezbollah et des Pâsdârân : tout le monde devient soupçonnable, même au plus haut niveau.
C’est sur le plan du renseignement et de ses nouvelles technologies que s’est jouée la défaite de la coalition chiite. Même s’il faut s’attendre à des attentats, c’est cette pénétration qui rend extrêmement difficile une contre-attaque iranienne soit contre Israël soit contre ses intérêts ou simplement contre des institutions juives à l’échelle du pays ou dans le monde.
Il faut remarquer que ce niveau de pénétration ne touche pas le Hamas. Elle a trait à la structure de commandement spécifique dans les rangs des Pâsdârân et du Hezbollah.
La hiérarchie des Gardiens repose sur une seule génération : ceux qui ont combattu dans les années 1980 surtout au Liban et, plus accessoirement, en Irak. Ils sont nés dans les années 1960, ils sont alors volontaires, militants, idéologiquement formés. Ils ont passé toute leur jeunesse dans la guerre et le dévouement à la cause, au détriment de leurs études. Mais ils vieillissent, fondent une famille et veulent que leurs enfants réussissent dans la paix plus que dans la guerre. Ils se lancent alors dans le business, et jouent sur la corruption du système. Certes il subsiste un noyau « pur » — comme le général Soleimani. Certes il y a de jeunes recrues, mais qui viennent plus par tradition familiale ou pour le besoin de trouver du travail — de toute façon on ne voit pas monter une nouvelle génération de leaders. À cela s’ajoutent les conflits personnels, les blocages de carrière et la fatigue militante. C’est un phénomène que l’on retrouve dans tous les mouvements révolutionnaires pris dans des guerres interminables : les sandinistes, les moudjahidines afghans, les guérillas colombiennes, le Vietcong, etc 1.
Aigris, désabusés, témoins de la corruption du régime, désireux que leurs enfants mènent une meilleure vie, ce sont des centaines voire des milliers de cadres qui ne demandent qu’à trahir — à condition bien sûr d’être payés. Et s’il n’y a pas de membre du Hamas, c’est parce que ces derniers restent au milieu du peuple palestinien et n’ont d’autres perspectives que la lutte — ceux qui veulent mener une autre vie partent rejoindre une diaspora plutôt prospère.
La défaite du Hezbollah et de l’Iran vient avant tout de l’effondrement de l’idéologie d’origine, à laquelle s’ajoute, surtout pour Téhéran, le vieillissement et le non-renouvellement des cadres.
Car, bien entendu, la population iranienne ne suit pas l’activisme régional du régime — au-delà de la protestation contre le voile ou contre la dictature. Les Pâsdârân sont des volontaires, mais l’armée est faite de conscrits : jamais la population n’acceptera leur envoi à l’étranger ou même leur engagement dans une mauvaise guerre. Le régime est donc dans l’impasse : certes, il peut lancer une campagne terroriste à l’extérieur, mais cela ne fera que renforcer le soutien occidental à Israël. Et la bombe nucléaire, heureusement, n’est pas opérationnelle.
La meilleure carte d’Israël, outre les bombes qui peuvent rendre obsolète la bunkerisation des sites nucléaires iraniens, c’est précisément que le régime de Téhéran ne connaît pas l’étendue de la pénétration du Mossad dans ses propres rangs — et peut donc craindre un nouveau coup venu de l’intérieur.
Le deuxième élément nouveau dans cette guerre, c’est que la stratégie israélienne va au-delà de la simple quête de la sécurité, qui en était la ligne directrice jusqu’au 7 octobre.
La droite au pouvoir ne veut pas de deux États. Ses représentants plus extrêmes le disent et le répètent ouvertement. Elle veut la disparition des Palestiniens en tant que Palestiniens. Soit ils disparaissent — parce qu’ils meurent ou sont contraints à l’exil — soit ils ne sont plus que des Arabes comme les autres, en abandonnant toute prétention nationale — ce qui était la vision majoritaire entre 1948 et 1967.
Les accords d’Oslo de 1993 avaient institué les Palestiniens comme peuple national, tout en les coupant du monde arabe. Ils ont aujourd’hui perdu sur les deux tableaux : la perspective des deux États est fermée et il n’y a pas et il n’y aura pas de soutien arabe à la cause palestinienne — même s’il y a une forte résonance émotionnelle dans la population arabe, surtout dans l’intelligentsia.
On compte trop en Occident sur le mouvement anti-Netanyahou en Israël. Si celui-ci présente une dynamique démocratique réelle, ce n’est en rien un mouvement de soutien aux Palestiniens 2. Il concerne d’une manière prépondérante les questions politiques internes à la société israélienne. Pour certains manifestants qui reprochent à Netanyahou de ne pas vouloir sauver la vie des otages, tuer 500 civils palestiniens pour un otage sauvé n’est pas un problème. Le sort des Palestiniens n’est pas leur affaire.
La « gauche » israélienne n’a aucune stratégie à opposer à celle de la droite. Elle n’a jamais empêché les colons de grignoter les terres palestiniennes. C’est le pays tout entier qui glisse de la recherche d’un équilibre sécuritaire à un nettoyage ethnique de la Palestine. La première phase — isoler les Palestiniens — est un succès. La seconde phase sera de les « user », de les pousser dans des réduits puis à l’exil.
Si la droite israélienne le dit explicitement, la gauche se tait et laissera faire. Ce deuxième volet de la stratégie se fera sur le temps long. Depuis soixante-dix ans, par à-coups, Israël a étendu son territoire propre ainsi que les zones qu’il contrôle. Quand on est millénariste, on peut attendre quelques générations de plus…
Un leitmotiv dans les médias internationaux est d’alerter sur la possible régionalisation du conflit. Mais c’est le contraire qui se passe. Il n’y a plus aucun État arabe qui soutienne activement — ou même politiquement — la cause palestinienne. Les États du Golfe, l’Arabie saoudite, le Maroc et l’Égypte ont tranquillement poursuivi leur politique de rapprochement avec Israël et blâment le Hamas pour avoir cherché la crise. Tous se réjouissent de voir l’Iran expulsé du Proche-Orient. Les discours indignés d’Erdoğan n’ont pas interrompu les ventes d’armes turques à Israël. Les milices pro-iraniennes n’ont nulle part, sauf au Liban, le monopole de l’accès aux armes : en Irak comme en Syrie, elles doivent faire face à d’autres groupes armés — les Kurdes dans le nord-est syrien, le groupe Jolani à Idlib, les milices anti iraniennes en Irak. Quant au peuple syrien, la défaite du Hezbollah et de l’Iran ne peut que le réjouir : Bachar al-Assad ne mettra pas en jeu le peu de pouvoir qui lui reste.
La passivité des pays arabes acte la fin d’un panarabisme. A-t-il vraiment existé au-delà des slogans ? L’Égypte n’est plus un pays leader et collabore avec Israël. Les deux poids lourds aujourd’hui sont l’Arabie saoudite et le Maroc : ils ne défendent que leurs propres intérêts nationaux. Par son soutien à Israël, le Maroc a renforcé sa position sur le Sahara occidental. Le Prince héritier saoudien met en avant un nationalisme purement saoudien et a mis au pas un clergé wahhabite souvent accusé de propager le salafisme dans le monde musulman. En promouvant désormais un islam « national et modéré » — le malékisme au Maroc —, ils s’opposent à tout mouvement qui pourrait pousser à un nouveau pan-islamisme — Frères musulmans, salafistes ou clergé iranien.
Un an après le 7 octobre, deux limites à l’extension de cette guerre sont apparues.
Sur le plan international d’abord, il paraît certain qu’il n’y aura pas de coalition contre Israël : ni panarabe, ni « sud global » — cette notion n’étant bonne que pour animer un débat « géostratékitsch » qui fait les délices des débats télévisés.
En Europe et en Occident, enfin, l’impact du conflit se limitera à ce qu’il est aujourd’hui : une protestation morale cantonnée aux campus et aux lieux habituels de la révolte. L’intifada des banlieues est un fantasme que l’on peut mobiliser pour marquer des points sur le plan politique, mais qui n’a pas de consistance réelle.
Ces deux limites montrent une chose : Israël n’en a plus aucune.
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