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22.09.2024 à 18:21

Retailleau comme une cérémonie de clôture des JO, démocratie de façade vaincue par KO.

Nadia Meziane

A un moment, il fallait bien que finisse le cirque macroniste, la farce progressiste estivale certes utile pour endormir la gauche après un coup de force, pour susciter une douce torpeur festive, à la rentrée on verra, Lucie sera là. Non, finalement ce sera Jeanne d’Arc. Macron n’a pas fait de dissolution pour amener la gauche au pouvoir, mais pour éviter que Marine Le Pen prenne sa place en 2027. Et une des solutions pour cela, c’est  essayer de lui opposer un ersatz de Le Pen père. Juste après les élections, c’était difficile. Le mouvement contre le génocide en Palestine perdurait malgré les évacuations d’universités et les musulmans en étaient les leaders non contestés par la jeunesse. La masse de la gauche sociale s’était mobilisée dans les urnes et avait retrouvé un peu d’espoir en se comptant, après l’écrasement par la force du mouvement des retraites et la violence terrifiante contre les jeunes écologistes, déployée à Sainte Soline et ensuite. Malgré les manœuvres des islamophobes de gauche qui voient dans LFI la structure à détruire pour pouvoir définitivement isoler les musulmans de toute alliance politique, LFI avait gardé sa place centrale pas seulement en nombre de sièges à l’Assemblée Nationale mais surtout en termes de moteur idéologique positif pour une partie des classes populaires. Il fallait donc jouer sur deux plans pour neutraliser une offensive immédiate qui pouvait amener le NFP à une conquête au moins partielle du pouvoir. D’abord, le cirque sociétal. Celui qui ne coute rien qu’un paquet…
Texte intégral (2248 mots)

A un moment, il fallait bien que finisse le cirque macroniste, la farce progressiste estivale certes utile pour endormir la gauche après un coup de force, pour susciter une douce torpeur festive, à la rentrée on verra, Lucie sera là.

Non, finalement ce sera Jeanne d’Arc. Macron n’a pas fait de dissolution pour amener la gauche au pouvoir, mais pour éviter que Marine Le Pen prenne sa place en 2027. Et une des solutions pour cela, c’est  essayer de lui opposer un ersatz de Le Pen père.

Juste après les élections, c’était difficile. Le mouvement contre le génocide en Palestine perdurait malgré les évacuations d’universités et les musulmans en étaient les leaders non contestés par la jeunesse. La masse de la gauche sociale s’était mobilisée dans les urnes et avait retrouvé un peu d’espoir en se comptant, après l’écrasement par la force du mouvement des retraites et la violence terrifiante contre les jeunes écologistes, déployée à Sainte Soline et ensuite. Malgré les manœuvres des islamophobes de gauche qui voient dans LFI la structure à détruire pour pouvoir définitivement isoler les musulmans de toute alliance politique, LFI avait gardé sa place centrale pas seulement en nombre de sièges à l’Assemblée Nationale mais surtout en termes de moteur idéologique positif pour une partie des classes populaires.

Il fallait donc jouer sur deux plans pour neutraliser une offensive immédiate qui pouvait amener le NFP à une conquête au moins partielle du pouvoir.

D’abord, le cirque sociétal. Celui qui ne coute rien qu’un paquet de fric pour une cérémonie : convoquer  quelques artistes, faire un son et Lumières suffisamment kitsch pour sembler révolutionnaire à des cinquantenaires pour qui mai 68 se résume à des filles torse nu en manif et à une orgie libérale.  A l’heure du règne de l’instantané et de l’image, quelques drag queens , une chanteuse racisée et des DJ non binaires suffisent à faire oublier à une part de l’opinion de gauche, qu’avec l’argent des JO, on aurait pu rouvrir des services gynécologiques, des maternités de proximité, des permanences pour les victimes de violences sexuelles et de genre, financer des hébergements pour des mères isolées à la rue avec leurs enfants.

Le progressisme de série Netflix comme ersatz de politique féministe et inclusive a toujours réussi au macronisme

L’espace de quelques semaines, les communicants du pouvoir  ont donc réussi à imposer une polarisation factice : tous ensemble contre l’extrême droite chrétienne et réactionnaire qui n’a pas apprécié que l’on touche à ses valeurs.

En réalité, ce furent surtout des loosers définitivement à l’écart de la vie politique française qui s’indignèrent :Christine Boutin depuis longtemps à la retraite sauf sur X, des traditionnalistes de base qui ne savent pas jouer tactique. On peut y ajouter les  zemmouristes que le RN a cantonnés au rôle d’agitateurs de soupe fasciste, utiles pour entretenir la colère populiste de la base et la détourner de la tentation de rallier la droite dure, mais tenus à l’écart de la prise de pouvoir institutionnelle.

En revanche la fausse polarisation eut un effet majeur : conforter un narratif totalement déconnecté du réel immédiat, c’est à dire une  offensive d’extrême droite menée en toute impunité par un gouvernement censé être démissionnaire au nom de la protection de JO censés incarner le progressisme français.

La trêve olympique pour les uns , l’amplification de la violence islamophobe pour les autres

Les JO ont  ouvert une phase de violence sans précédent contre la communauté musulmane : sans précédent parce que ne s’appuyant pas même sur le prétexte d’attentats déjà commis. La vague de perquisitions et de MICAS lancée par Gérald Darmanin  était l’avant-goût de ce qui nous attend maintenant: la répression ‘anti-terroriste préventive” comme gouvernance contre la communauté musulmane dans un premier temps, contre toutes les autres oppositions ensuite. L’extension du domaine de ce type de répression a déjà commencé avec les inculpations pour apologie du terrorisme réalisées même contre des députés de gauche.

Cette violence islamophobe n’a créé aucune polarisation antifasciste d’ampleur. Or l’islamophobie n’est pas une diversion mais le cœur battant du régime, son centre idéologique et névralgique d’où jaillissent mille arborescences qui enserrent ensuite aussi ce qui reste des libertés publiques pour tous.

Dans ces conditions, forcément, le macronisme n’a trouvé aucune opposition suffisamment structurée en face de lui. Seulement un vasouillage impuissant , une unité de façade qui s’est brisée très rapidement. Et ce alors même que l’offensive islamophobe de gauche pour détruire LFI trouvait un visage et une voix, celle de François Ruffin dont le discours antisystème raciste a au moins le mérite de la simplicité et de l’accessibilité. Cet état de faiblesse et de désorientation de la gauche, couplé à la nécessité pour la communauté musulmane activiste de faire face quasi seule à une répression féroce, n’a pas permis d’offensive coordonnée et mobilisatrice pour mettre à nu un régime contesté de toutes parts.

C’est donc la part fasciste qui a remporté la manche.

La dernière phase du macronisme sera déjà celle de l’extrême droite au pouvoir. Avec le meilleur déni du monde, il sera désormais impossible de se raconter des fables. D’abord évidemment à cause de Retailleau. Retailleau n’est même pas Darmanin, tentant de dépasser le Pen fille sur sa droite. Retailleau est un Le Pen père, mais un Le Pen Père ayant déjà l’expérience des responsabilités politiques au moins locales . Retailleau est l’archétype du Vendéen revanchard et solide, formé et adoubé par Philippe de Villiers, le partisan affiché de la guerre civilisationnelle. Retailleau à l’intérieur, c’est la fin de la farce laïque, l’avènement de  la Croisade assumée  La décapitation pour rire de Marie Antoinette aux JO, c’était un gadget pour gogos républicanistes vulgaires à fantasmes sexistes violents.  Place à Retailleau,  l’homme du Puy du Fou, l’attraction royaliste installée depuis des décennies.

Le proche de SOS Chrétiens d’Orient n’est pas le Jean Marie Le Pen des années soraliennes, mais celui d’avant, celui  d’une vision idéologique un peu oubliée, le néo-reaganisme. C’est-à-dire le soutien affiché aux  Etats Unis en guerre contre le communisme: le Jean Marie  Le Pen des années 80,  chantre  assumé de Vichy, trouvait très peu de mérite aux Juifs mais une certaine utilité à Israël comme avant-poste de la guerre contre les arabes .

Cela ne signifie donc  pas que le macronisme avec Retailleau aux commandes  renoncera à sa petite musique antisémite traditionnelle, bien au contraire. La réhabilitation de Vichy, celle de Maurras ou de Barrès sont nécessaires à la puissance du nationalisme français éradicateur. Le schéma directeur islamophobe doit pouvoir s’appuyer sur un narratif historique familier, celui de l’Ennemi Intérieur , de l’Agent corrupteur, bref sur le schéma classique de l’antisémitisme réutilisable contre les musulmans. Ce sera d’autant plus facile que dans les cercles officiellement adoubés de la lutte contre l’antisémitisme, on n’en est plus seulement à accepter Bardella dans les manifs: comme Sfar, on se paye le luxe de déterrer Céline.

De surcroit,  dans sa phase finale, le macronisme aux abois ne peut plus être faussement laïque : depuis 20 ans, la laïcité est une coquille vide remplie uniquement par l’islamophobie, elle n’a jamais intéressé personne en tant que modèle de société éventuellement positif c’est-à-dire fondé sur la défense des services publics forts. A l’inverse, elle a été invoquée durant deux décennies marquées par la destruction de l’Etat providence, c’est-à-dire celle de toutes ses structures hors régalien.

Le prétendu état laïque est celui de la privatisation absolue du bien public, de la ruine du secteur éducatif au profit des écoles privées , sauf les écoles musulmanes. Lorsque l’islamophobe laïque nous accuse de taqya collective et de double discours , il parle de lui , qui invoque les Lumières pour replonger le pays dans l’Ombre de l’absolutisme, où le seul soleil brille à Versailles pour le clergé et la noblesse, pendant que le peuple doit financer la guerre perpétuelle  et qu’on persécute les minorités pensantes . Il était donc logique que le discours laïciste hypocrite entretenu aussi à gauche par les plus libéraux économiquement, ceux qui ont multiplié les lois antisociales sous Mitterrand , sous Jospin et sous Hollande doive au moment crucial , céder sa place à un narratif historique plus mobilisateur, celui de la Chrétienté agressive, de la Croisade islamophobe  offerte aux pauvres comme seule vengeance et dignité possible face à un destin misérable au quotidien .

 Les projets islamophobes pour la période sont en effet tout à fait clairs : exclure les musulmans de l’enseignement supérieur et des postes de cadres, cibler ceux qui exercent des professions libérales, comme en témoigne l’offensive actuelle contre les « avocats fréristes ».

La communauté musulmane ayant retrouvé sa capacité à se mobiliser, face à sa jeunesse, il faudra aussi réactiver et amplifier le logiciel antiterroriste et plus seulement celui de la loi Séparatisme. La vague islamophobe de cet été l’a annoncé, il s’agit d’assigner à résidence les militants, d’interdire toute prise de parole politique libre en la criminalisant : c’est le sens des offensives qui se généralisent contre les activistes les plus appréciés dans la communauté mais qui ont aussi fait le choix ces dernières années de travailler avec d’autres forces politiques, ce qui a fait toute la puissance du mouvement contre le génocide en Palestine. D’Abdourahmane Ridouane (1)  à Elias d’Imzalene (2), les hommes qui sont visés par la répression médiatisée en ce mois de septembre 2024 incarnent tout simplement la composante directrice du front antifasciste possible avec la gauche révolutionnaire.

Il faut  bien dire le mot “révolution” , très sérieusement cette fois. Donc forcément en arabe, la révolution ne se fait jamais dans un seul pays: Intifada contre le fascisme et le Capital , c’est le nom du seul Rêve réaliste pour échapper aux Cauchemar fasciste.

C’est un vœu pieux, mais face à l’apparente hégémonie fasciste, la Foi sincère est de toute façon nécessaire pour résister à la Croisade. Paradoxalement, c’est aussi un appel au calme ,à l’insurrection des consciences ,  au combat raisonné pour la justice universelle face aux hurlements nihilistes et chaotiques des fascistes uniquement capables de proposer aux masses  l’ivresse du Sang versé, jusqu’au génocide pour  oublier  l’enjeu terrible  du Temps présent. C’est à dire la nécessité de sauver la Planète d’un mode de production mortifère qui menace l’espèce humaine dans son ensemble.

(1)France. Pessac, cas d’école de l’acharnement islamophobe de l’État – Rayan Freschi (orientxxi.info)

(2) Sur l’offensive visant à criminaliser l’emploi du mot intifada dans les manifestations pour la Palestine,  (1) Perspectives Musulmanes sur X : “Communiqué de soutien à notre frère Elias d’Imzalène cible d’une vague d’attaques islamophobes et pro-impérialistes de la part de certains médias français et d’une grande partie de la classe politique française.

29.07.2024 à 17:28

Perquisitions et répression islamophobe: de la terreur psychologique comme discipline olympique

Nadia Meziane

Il y a quelques mois, comme désormais mon entourage est au courant de ma « radicalisation » supposée, un ami d’enfance m’a brusquement parlé d’une personne qui avait subi une perquisition en 2015. Il s’agissait d’un livreur Uber qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un fiché comme « islamiste ». Je n’ai pas demandé de détails car les perquisitions préventives et leurs motifs sont absurdes et inutiles à décrypter sauf pour les avocats éventuels . D’ailleurs cet homme, musulman, faut-il le préciser, a été relâché après 48 heures de garde à vue. Mais aussi après qu’on eut fracassé sa porte à six heures du matin, qu’on l’ait braqué en hurlant, et qu’on lui ait mis une lumière « bleue « dans les yeux. Mon ami pensait que c’était plutôt une lumière rouge de viseur, mais nous avons conclu que cette hypothèse était peut-être liée au fait que nous avions vu beaucoup de films américains. Ce sujet de la couleur de la lumière, de l’altération de la perception des choses dans les moments de crise est revenu plusieurs fois dans les discussions sur cette histoire : je crois que cela permettait de meubler les silences et la gêne entre nous, qui nous connaissions depuis le collège, et qui ne parlions jamais de politique ensemble. Et brusquement les présumés « terroristes », ce truc de la télé de nos enfances, c’était presque nous, des amis à nous. La personne perquisitionnée n’a pas pu sortir de chez elle pendant des semaines…
Texte intégral (4506 mots)

Il y a quelques mois, comme désormais mon entourage est au courant de ma « radicalisation » supposée, un ami d’enfance m’a brusquement parlé d’une personne qui avait subi une perquisition en 2015. Il s’agissait d’un livreur Uber qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un fiché comme « islamiste ». Je n’ai pas demandé de détails car les perquisitions préventives et leurs motifs sont absurdes et inutiles à décrypter sauf pour les avocats éventuels . D’ailleurs cet homme, musulman, faut-il le préciser, a été relâché après 48 heures de garde à vue. Mais aussi après qu’on eut fracassé sa porte à six heures du matin, qu’on l’ait braqué en hurlant, et qu’on lui ait mis une lumière « bleue « dans les yeux. Mon ami pensait que c’était plutôt une lumière rouge de viseur, mais nous avons conclu que cette hypothèse était peut-être liée au fait que nous avions vu beaucoup de films américains. Ce sujet de la couleur de la lumière, de l’altération de la perception des choses dans les moments de crise est revenu plusieurs fois dans les discussions sur cette histoire : je crois que cela permettait de meubler les silences et la gêne entre nous, qui nous connaissions depuis le collège, et qui ne parlions jamais de politique ensemble. Et brusquement les présumés « terroristes », ce truc de la télé de nos enfances, c’était presque nous, des amis à nous.
La personne perquisitionnée n’a pas pu sortir de chez elle pendant des semaines après cela, même pas pour acheter du pain et ce symptôme se répète depuis.

Depuis 2015.

Elle a perdu son emploi, sa compagne, son logement originel. Elle n’a pas vu de psychologue, n’a pas tenté d’obtenir réparation, n’a pas redémarré le moindre projet, n’a pas pris contact avec une association communautaire ou autre. Elle ne veut pas parler de ça, a refusé de me rencontrer. De l’extérieur, c’est simplement un Rsaste musulman, et je me demande comment il va faire pour aller faire quinze heures de travail gratuit et obligatoire, désormais imposé par les macronistes. Je pense très sincèrement qu’il ne le fera pas, et qu’il finira SDF et que personne ne saura plus jamais pourquoi.

Actuellement, une nouvelle vague de perquisitions et d’assignations à résidence préventives a lieu (1). Depuis un mois et demi. Je la vis de manière différente car je connais quelques personnes concernées ou éventuellement concernées dont une avec qui je suis en contact quotidien. Evidemment, ce que je vis est anodin à côté de ce qu’il vit lui, néanmoins cela a impacté mon état psychologique et physique.
Les symptômes précis n’ont aucune aucune importance en soi, ni aucune originalité globale. Sur une militante de base  moyennement  performante en temps normal, la seule chose à noter, c’est que cela invalide partiellement  ma capacité à militer, à hauteur de 70 pour cent environ, depuis plusieurs semaines. Cela fait évidemment partie des objectifs de masse d’une telle opération.

Il s’agit seulement de la manifestation individuelle  de la destruction psychologique massive que personne n’évaluera. Combien d’hommes, de femmes, d’adolescents et d’enfants musulmans vont être impactés par cette nouvelle offensive, en plus des personnes directement visées par les mesures iniques et antidémocratiques du gouvernement ?
Réponse : on ne pourra jamais le savoir exactement, pour plusieurs raisons.

Un, les dispositifs de signalement et de délation institutionnelles génèrent des phénomènes de non-recours aux soins psychologiques. La plupart des gens qui ont des personnes ciblées comme « islamistes » dans leur entourage ne le crient pas sur les toits. Leur souffrance psychique fait partie des choses à dissimuler au travail, dans la vie quotidienne, et aussi par exemple aux enfants de notre entourage, qui évidemment seraient en danger s’ils parlaient de la situation en milieu scolaire. Dans ces conditions, l’idée d’aller voir un professionnel de santé paraît absurde, d’autant que les “professionnels” ne sont pas neutres  (2), et qu’il est difficile de savoir quelle sera la réaction face à un ” Je fais des cauchemars parce que j’ai peur que mon entourage islamiste se fasse éclater sa porte à six heures du matin”. On peut imaginer qu’elle ne sera pas  forcément safe et dans le care, c’est certain, tout le monde n’a pas la chance de faire des cauchemars féministes psychologiquement corrects  . Et au fond la question de l’utilité de ce recours à des soins se pose, car l’état de détresse psychologique généré par l’islamophobie d’état n’est pas une pathologie ex nihilo, et l’islamophobie d’état ne s’arrêtant jamais, quelle guérison espérer de toute façon ?

Deux, pour être reconnu comme victime, il ne faut pas être vu socialement comme un bourreau ou un complice des bourreaux . Or, en France, même à gauche, on a beaucoup de mal à dépasser l’autosatisfaction prétendument humaniste consistant à reconnaître uniquement les formes les plus violentes de l’islamophobie, par exemple des agressions physiques commises de préférence par l’extrême droite, et de préférence également contre des musulmans certifiés totalement innocents selon les critères de gauche .

Ce ne sont évidemment pas des critères objectifs: par exemple, si l’on s’intéresse au sujet de la violence politique, celle-ci peut être parfaitement acceptée pour certains mouvements internationaux comme les mouvements kurdes, déclarés “résistants” d’emblée  , jamais pour d’autres, pour lesquels il n’y a pas la moindre empathie. A gauche la défense des  prisonniers politiques notamment contre les QHS et la torture blanche de l’isolement est une tradition existante, même si contestée et débattue.

Mais lorsque l’état désigne des personnes comme « islamistes » , « radicalisées » et qu’il sort pour ce faire des fichiers qu’il a lui-même arbitrairement remplis, lorsque le mot « terrorisme « est prononcé, même sans aucun recours à l’accusation d’actes concrets éventuellement commis,  la qualité de victime potentielle disparaît même pour des agressions étatiques extrêmement violentes. Par conséquent, bien que 99 pour cent des personnes perquisitionnées en 2015 n’aient fait l’objet d’aucune poursuite, non seulement ce scandale n’a pas généré l’indignation massive qui a eu lieu pour une répression beaucoup moins forte contre les écologistes, mais surtout, la suite, la vie Après n’a jamais été un sujet. Et l’oubli semble aussi la seule chance d’une partie des personnes concernées et de leurs proches : continuer à vivre, à être considéré comme à peu près « normal » espérer un arrêt de la surveillance étatique.

D’ailleurs de cela aussi on ne parle pas. Que génère la surveillance massive, ou simplement la menace de surveillance massive des « fichés islamistes « et de leur entourage ?

C’est un aspect intéressant psychologiquement, pourtant. Ayant longtemps été d’extrême-gauche, j’ai eu toute ma vie cette culture du jeu à se faire peur et à essayer ainsi de se sentir très important et rebelle et donc objet de l’attention des Renseignements Généraux et de la police de la pensée parce qu’on a critiqué le gouvernement sur les réseaux ou qu’on a fait deux pauvres manifs interdites ( je ne parle pas ici des camarades réellement surveillés (3) mais des militants de base peu importants comme je l’ai été la majeure partie de ma vie, membres d’une masse de dizaines de milliers de personnes ). C’était juste un moyen de compenser la non-reconnaissance sociale que ressentent tous les activistes de base à gauche. On se persuade qu’au moins la police s’intéresse à nous individuellement. Pas trop, le plus souvent.

La vie des musulmans décrétés islamistes et de leur entourage est différente. On ne sait pas. Enfin on sait que les messages qu’on envoie à telle personne fichée S ou membre d’une organisation ciblée sont lus. Ce qui amène à se torturer le cerveau des jours entiers pour savoir si on ne l’a pas mise en danger pour un message anodin qui pourrait cependant être interprété différemment.
Mais on ne sait rien de plus. En tout cas avant la répression. On vit juste avec cette idée que possiblement tous nos échanges privés sont lus, que toute notre vie est disséquée. On sait qu’on est soi même fiché S à la drôle de tête d’employés de banque ou des services publics ou quand on veut envoyer un mandat à son cousin afghan en Allemagne pour son anniversaire et que finalement lui-même ne pourra jamais toucher l’argent (4). On sait évidemment que tout ce qui est dit sur les réseaux sociaux est susceptible de servir pour plus tard. Lorsqu’on est militant, tout ceci se vit bon an mal an car on a des raisonnements politiques accessibles pour rationnaliser.
Mais pour les autres ? Pour ces milliers de gens perquisitionnés au fil des années, et pour leur entourage, quel impact psychologique de cette surveillance massive proclamée haut et fort par les ministères de l’intérieur ? Quelle vie psychique, quelles conséquences sur les interactions sociales et la manière de les mener ?

On ne sait pas. Sans doute y a-t-il eu quelques publications scientifiques peu accessibles à ce « on » qui est la masse des personnes concernées. A vrai dire nous sommes seuls, c’est cela le principal sentiment particulièrement destructeur. Contrairement au discours étatique la fameuse « association de malfaiteurs » ou la “frérosphère”  globale n’existe pas. La répression épuise, suscite les conflits, l’éloignement. Dans la société actuelle, où la popularité sur les réseaux sociaux est devenue l’enjeu central de la plupart des représentations de soi, l’écrasement est d’autant plus fort pour celles et ceux dont les récits ne susciteront pas de réaction.
Nous qui sommes juste des « proches » sans pouvoir, nous sommes inutiles aux nôtres et nous devenons des fardeaux pour l’entourage autre. Cela aussi, c’est un non-dit. Tout le discours sur les « mouvances islamistes » concourt à l’idée d’écosystèmes fermés et florissants. En fait, nous sommes souvent aussi, avant cela, proches de beaucoup d’autres gens. Il y ceux à qui on ne peut pas parler sinon ils vont être horrifiés, et l’impression d’être réellement coupable de quelque chose à force de le taire.

En monde militant de gauche, c’est différent : la lutte contre l’islamophobie a son prestige, des militants français veulent bien en tirer avantage et sont très heureux de rencontrer et de travailler avec des frères et des sœurs connues, si ça amène des bénéfices pour leur propre militantisme. Mais si on n’est juste personne, et qu’on n’a rien à apporter que nous-mêmes, on se retrouve très vite simplement en trop avec notre histoire, et notre état psychologique dégradé

De même on ne sait pas vraiment ce que génère psychologiquement le temps suspendu de ces phases islamophobes violentes. Par temps suspendu, il faut entendre l’arrêt brutal de l’horloge interne qui règle notre quotidien et du calendrier « normal ». A partir du moment où l’offensive a été lancée, le temps se raccourcit et se dilate en même temps.

Il se raccourcit sur des cycles éternels de 24 h où peut survenir le pire, l’arrestation d’un proche. Il se raccourcit car les annonces de perquisitions chez des inconnus rythment les journées sur les réseaux sociaux. A chaque rappel de la période qui est vécue, c’est un choc interne et les espaces entre les chocs semblent se réduire, ramenant la sensation d’écoulement du temps à un jour sans fin. Le temps se dilate en même temps car le futur réel est inaccessible. Le futur simple, dirons nous, les vacances, tel évènement personnel et familial prévu de longue date, la rentrée, les projets politiques ou autres sont en partie plongés dans un brouillard dense, après le Mur. Actuellement le ministère de l’Intérieur a décidé que ce Mur couvrait la période des JO, mais le simple fait de croire ça fait se sentir stupide.
De fait, on a beaucoup de mal à se remémorer l’ « avant » cette période. Je me souviens du moment matinal où j’ai lu la dépêche résumant le discours de Darmanin annonçant les perquisitions, un matin où j’avais beaucoup de projets jusqu’à fin août en cours : des déplacements politiques, des week end avec des amis de passage à Paris, des textes à finir. Et puis plus rien, sauf la sensation physique d’un morceau de glace sur la nuque. Ce moment me semble être arrivé dans un passé lointain et inquantifiable. De fait cela pourrait bien continuer toujours. De fait on pourrait bien avoir peur pour les siens toute la vie et ne jamais sortir de la nasse mentale

Que peuvent générer des pensées aussi morbides sur des personnes en difficultés autres, en précarité sociale par exemple ? Que se passe-t-il quand les états dépressifs deviennent tels qu’on ne peut pas aller au travail ni prendre d’arrêt maladie, car le contrat de travail est trop précaire ? Que se passe-t-il quand de surcroit, pendant plusieurs semaines, le fascisme est aux portes du pouvoir et qu’en supplément AUCUN parti politique même de gauche n’a promis la fin de cette vague de répression ?
Ces questions sont rhétoriques. Les effondrements de la personnalité sont inévitables, dans des proportions évidemment inconnues. On peut juste être certains qu’ils se produisent, car on les vit soi-même sans savoir à quoi ils vont aboutir dans quelques temps. Et certains aussi que cela ne posera pas question, même pour des personnes qui ne se vivent pas comme islamophobes, car la présomption de culpabilité prévaut dans tous les esprits dès lors que le « terrorisme » est évoqué.

Ce constat chez les personnes concernées peut créer un sentiment de résignation, de repli et de séparatisme effectif. Le séparatisme défini comme la volonté de ne plus être en contact avec un environnement brutal est un mécanisme rationnel d’autodéfense.

Comme l’est la dissimulation de sa situation, ou au contraire l’affirmation plus ostensible de son appartenance religieuse, seul moyen de retrouver une certaine assurance et de contrer la honte de soi. De même ces périodes entrainent forcément des changements de comportement et d’habitudes visibles qui vont perdurer …et qui sont très exactement dans l’imaginaire public, la marque de la « radicalisation ».

En dehors de sphères assez restreintes, l’on peut raisonnablement avancer l’hypothèse qu’il est impossible de contrer ce regard sur nous. Pour ma part, j’en ai parlé avec quelques frères et sœurs convertis récemment, précaires et isolés, donc les plus susceptibles de voir de manière « neuve » leur situation. Le constat a toujours été le même. Une hostilité dite ou une hostilité non dite qui prend au mieux la forme de l’indifférence affichée, l’injonction à redevenir la personne d’avant, non musulmane. Contrairement à l’imaginaire, absolument pas de repli communautaire, bien au contraire, un repli tout court. Une sœur m’a dit « En ce moment, je suis bien quand je dors ». Une jeune femme de 30 ans. Blanche, jolie, très vive et joyeuse selon ses dires, avant la période ouverte en octobre, alors qu’elle s’était convertie quelques mois avant, au terme d’un parcours spirituel heureux n’ayant rien à voir avec la politique, au demeurant. Notre rencontre n’avait rien à voir avec la politique non plus, j’étais au supermarché, elle a fait tomber une bouteille de jus de fruit à terre et elle pleurait, je lui ai dit que je faisais aussi tout tomber en ce moment, ensuite on a parlé . De manière significative, ensuite nous n’avons même pas échangé nos numéros de téléphone.

Alors comment en sortir ? Sans doute en comprenant que le phénomène de radicalisation ne nous touche pas, nous, mais une grande part de la société environnante, et avec des signaux extrêmement forts. Ce que nous percevons comme la normalité des non-musulmans opposée à notre délabrement psychologique est en réalité pathologique politiquement et provoqué par l’hégémonie islamophobe absolue qui règne dans ce pays.
Ce qui nous arrive est monstrueux, injuste et toutes celles et ceux qui nous le font vivre ou le tolèrent ont une grave responsabilité morale et politique. C’est très important de se le répéter et de se le répéter encore

Bien avant cette vague de perquisitions, depuis le 7 octobre, j’ai croisé dans les manifs Palestine et sur les réseaux, des personnes seules, comme moi. Ressentant une intense détresse en dehors des moments de mobilisation. Se sentant parfaitement nulles et inutiles pour la communauté, impuissantes face à un génocide  tout en subissant un rejet intense du reste de leur environnement. Passant leurs nuits sur les réseaux pour se sentir appartenir à une communauté et affrontant leur entourage non musulman et surtout non concerné par toutes ces histoires politiques islamistes la journée. Ce qui m’a marquée, c’est le sentiment d’être des ratés et des ratées partagées dans des proportions quantitatives que je n’aurais pas imaginées, mais accompagné du sentiment d’être le ou la seule à être aussi minable.

Jeune, j’ai eu la chance de connaître le mouvement des chômeurs et précaires de l’hiver 97/98. Un moment où les rebuts de la société et même du monde militant de gauche, des jeunes désocialisés, des SDF, des chômeurs très longue durée se sont rassemblés et ont brusquement pris conscience d’eux même , de leur force et de leur Beauté.

En quelques semaines, toutes les nasses mentales de haine de soi ont volé en éclats malgré la domination de classe très présente, même dans les mondes militants, et surtout à gauche où le mépris se dissimule sous un faux égalitarisme.
A l’époque, j’ai eu la chance de voir des personnes se transformer et prendre conscience d’elles même, en se parlant de manière horizontale et massive.

Cela peut sembler totalement absurde et hors de propos d’évoquer cela à propos de l’”islamisme”. Ce concept cependant est une arme de destruction psychologique massive en soi. Les vagues de répression soi-disant anti-terroriste touchent indirectement des milliers et des milliers et des milliers de musulmans et de musulmanes, et pas seulement les activistes. Pour diverses raisons, nous sommes des milliers et des milliers à vivre une situation similaire à celle de mon ami que j’évoquais au début de ce texte : nous sommes des amis d’islamistes présumés et persécutés, et nous le taisons. Et en même temps, nous sommes restés nous-mêmes, en l’occurrence des gens n’ayant pas spécialement réussi dans la vie non musulmane et pas des musulmans en vue dans notre communauté. Dans notre for intérieur, tout le discours islamophobe sur la puissance islamiste crée une réalité psychologique finalement très comique dans cette période intense de persécution.

Nous voudrions bien devenir magiquement ce que décrivent les islamophobes, des islamistes. Cet imbécile de Darmanin et ses amies  nous font rêver avec les portraits qu’il croient cauchemardesques On voudrait tellement être des vrais Séparatistes, au lieu de nous sentir juste nuls comme d’habitude.

Pourtant nous n’avons pas besoin d’être plaints, nous sommes nombreux.
En réalité, ce que décrit le Pouvoir existe. Nous sommes la masse qui ne pense qu’à arrêter un génocide islamophobe depuis octobre. Si le pouvoir réprime quelques centaines d’entre nous, c’est qu’il craint les centaines de milliers d’autres, qui dans leur petite vie de monsieur et madame Personne, font tout à leur modeste mesure, par petits grains de sable pour enrayer la machine génocidaire, qui ne fonctionne pas seulement avec des armes, mais aussi et surtout grâce à l’assentiment même passif . Le propre de la répression féroce et de la désapprobation sociale permanente est qu’elles créent un sentiment d’impuissance, de vulnérabilité et de faiblesse absolue, car nous la vivons de l’intérieur . La maltraitance infantile crée par exemple le même phénomène, tous les professionnels de l’enfance le savent: un enfant maltraité ne peut voir l’immense capacité de résistance dont il fait preuve sur le long terme, il ne voit que sa nullité, sa méchanceté supposée et son incapacité à susciter la moindre empathie autour de lui. Les mécanismes d’oppression de masse fonctionnent de la même manière: chaque personne qui lutte depuis des mois contre le génocide a affronté les manifestations interdites, la fatigue de la lutte, la stigmatisation sociale massive, l’islamophobie d’état, l’islamophobie ambiante dans la société française Ce n’est pas rien, c’est même immense, collectivement et nous avons tous contribué.

En réalité nous sommes l’Islamisme, le vrai, même si ce mot est celui du pouvoir et que nous sommes justes musulmans .  L’islamisme est le nom que le pouvoir donne à une Force réelle, celle de toutes les petites Ames, détruites à moitié par cette période terrible mais pas totalement. Toutes ces petites Ames effroyablement arrogantes au fond, ayant décidé que nous pouvions intervenir dans le cours de l’Histoire pour faire le bien. Ne trouvera grandiloquente cette conclusion que celui qui ne croit plus en Rien, sauf à des sons et Lumières  pathétiques où le Pouvoir fait tout le bruit possible pour cacher qu’il n’a rien à proposer que le Vide, en plus d’un génocide.

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( 1) Pour des données chiffrées et organisées sur cette vague de perquisitions et d’assignations à résidence  on lira le travail de CAGE International , en bref d’abord pour comprendre de quoi on parle et le rapport précis sur la période JO ensuite.  Mettre une  source musulmane= uniquement est volontaire, car à l’heure actuelle, les chercheurs, journalistes ou activistes des droits humains musulmans sont justement criminalisés pour ces activités , et les disqualifier comme “communautaires” et donc “non objectifs” fait notamment  partie du dispositif islamophobe de gauche, elles ne sont pas moins objectives que Libération ou Mediapart et de plus grande qualité, sauf quand ces médias mainstream pillent des sources musulmanes sans les citer.

(2) On notera que Loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement prévoit la mise à disposition de l’ensemble des dossiers médicaux des personnes décrétées radicalisées qui sont hospitalisées sans leur consentement , pour le préfet de leur département mais également pour l’ensemble des préfets et les services de renseignement. Dans ce cadre, l’on peut évidemment imaginer facilement que la paranoïa pour laquelle des gens vont être “soignés” de force puisse s’auto-alimenter et que le processus de soins soit légèrement compromis.

(3) A ce sujet, on notera que les dispositifs islamophobes , surveillance préventive, dissolutions, perquisitions administratives banalisés peu à peu pour les musulmans sont évidemment aujourd’hui utilisés de manière massive contre l’extrême-gauche et l’ensemble des mouvements d’opposition au régime, dans des proportions assez inédites depuis des décennies. La vie d’une ou d’une jeune gauchiste ou antifasciste conséquent n’a rien à voir avec celle de son équivalent dans les années 90 ou 2000. A cette époque, l’islamophobie d’état était déjà en plein développement, mais semblait un monde séparé et lointain. La comparaison entre la situation actuelle et les années de plomb italiennes est objectivement justifiée, mais ce n’est pas une attaque initiale contre la gauche radicale ou des mouvements de classe qui a généré l’état d’exception en pleine extension, mais la dite politique mondiale de la guerre contre le terrorisme lancée dans les années 2000

(4 ) La déshumanisation islamophobe crée un imaginaire étrange, où “islamiste” est une essence absolue, une créature démoniaque et quasiment surnaturelle qui n’a pas besoin de manger,  ne vit ni la crise des loyers dans les grandes villes , ni la diminution de son pouvoir d’achat, ou la réforme des retraites. L’état français naturellement n’a pas ce genre de superstitions et une des mesures les plus répandues accompagnant les perquisitions ou utilisée en soi est le blocage immédiat des comptes bancaires personnels, pour “vérification” . Des années de ce genre de mesures mais aussi de “formations à la laïcité et contre la radicalisation ” aimablement proposées aux banques ont amené à des refus d’ouverture de compte  par exemple pour des librairies musulmanes , pour des activistes ou des établissements musulmans. C’est un sujet dont il est peu question, tant le complotisme islamophobe généralisé valide l’idée selon laquelle l’argent étranger coule à flots chez l’Ennemi Intérieur.

 

04.07.2024 à 21:46

D’une bougnoule à un cloporte, lettre à un lâche du RN

Nadia Meziane

    Cher compatriote. Je t’écris en espérant que les larmes de peur dominantes sur les réseaux sociaux n’étoufferont pas ma voix et que tu recevras cette lettre. Car c’est à moi que tu parles depuis longtemps, et pas à la gauche, et c’est toujours elle qui répond à ma place. Je t’écris pour te dire que j’ai toujours vécu comme ta cible idéale et que je n’ai plus peur de toi. Je suis la petite fille que tu as traité de sale arabe à six ans , en jouissant d’être un petit bonhomme de 10 ans enfin Roi du Mal , et d’avoir repéré celle qui ne savait pas qu’elle était arabe et qui se prenait pour toi. Je suis la petite fille de onze ans et tu me crachais dans les cheveux et une prof d’allemand te soutenait discrètement en me mettant des 3 alors que je méritais un 15, mais je ne le savais pas, je l’ai su quand mon petit frère a été martyrisé par cette même femme, mais lui s’est défendu. Je suis la gamine de 14 ans que tu as giflée en plein cours de sport parce qu’elle avait le vertige et ensuite, j’ai eu mon bac avec mention mais avec 0 en sport parce que je ne suis jamais retournée en cours d’EPS, phobie des profs de sport, et des racistes potentiels. Et je ne sais toujours pas courir vite, quand tu me repères, parce que tu sens les bougnoulettes en stress, et…
Texte intégral (2622 mots)

 

 

Cher compatriote.

Je t’écris en espérant que les larmes de peur dominantes sur les réseaux sociaux n’étoufferont pas ma voix et que tu recevras cette lettre.

Car c’est à moi que tu parles depuis longtemps, et pas à la gauche, et c’est toujours elle qui répond à ma place.

Je t’écris pour te dire que j’ai toujours vécu comme ta cible idéale et que je n’ai plus peur de toi.

Je suis la petite fille que tu as traité de sale arabe à six ans , en jouissant d’être un petit bonhomme de 10 ans enfin Roi du Mal , et d’avoir repéré celle qui ne savait pas qu’elle était arabe et qui se prenait pour toi. Je suis la petite fille de onze ans et tu me crachais dans les cheveux et une prof d’allemand te soutenait discrètement en me mettant des 3 alors que je méritais un 15, mais je ne le savais pas, je l’ai su quand mon petit frère a été martyrisé par cette même femme, mais lui s’est défendu. Je suis la gamine de 14 ans que tu as giflée en plein cours de sport parce qu’elle avait le vertige et ensuite, j’ai eu mon bac avec mention mais avec 0 en sport parce que je ne suis jamais retournée en cours d’EPS, phobie des profs de sport, et des racistes potentiels. Et je ne sais toujours pas courir vite, quand tu me repères, parce que tu sens les bougnoulettes en stress, et bien je reste là et j’attends les coups. Je suis pas morte, néanmoins.

Tu as détruit ma vie, mec, tu as eu raison de t’accrocher depuis ces années 90 ou tu galérais à coller des affiches avec dessus le  tortionnaire de mes ancêtres. Tu as eu raison de continuer, parce que tu savais. Que tu étais juste un lâche, un minable et un sale con, mais que tu serais aidé dans ta longue marche vers moi.

On le sait toi et moi, comment tu as eu la victoire. Ce n’est pas toi, c’est les autres. Ceux de gauche. Qui n’avaient plus de rêve, plus d’utopie à vendre depuis 81. Qui ont dit « Non, le droit de vote des immigrés, on ne va pas le faire, on est français, quand même ». Quand on dit non à l’Un, c’est pour dire oui à un Autre, t’es pas féministe, tu le sais , sale porc fasciste.

L’Autre, c’était toi. Tu les as regardés tellement de fois te faire les yeux doux en me crachant dessus. Lois racistes, lois islamophobes, réponse polie à toutes tes questions de merde, par hasard, cette petite fille en hijab ne serait-elle pas l’ennemi à abattre ? Toi tu savais à partir de 2004, ce que valaient leurs réponses embarrassées « Oui OK, tu as raison, mais néanmoins, nous on aime la petite beurette, celle qui ne le porte pas ». La petite beurette, bien que naïve, était un peu dubitative devant cet amour bizarre, ce besoin de caresser les cheveux des gens comme à un petit animal, normalement les gens civilisés  ne font pas cela.

Toi tu es un homme fidèle dans ta haine. Tu as continué à prendre de haut la gauche, à refuser de payer leurs cadeaux, tu as continué à voter RN. Tu as dit à ton voisin qui hésitait, regarde, quand on ne vote pas pour  les autres , ils nous lèchent les bottes, de plus en plus fort, de mieux en mieux.

Tu as eu raison. Néanmoins tu n’auras existé que par moi. Ton seul pouvoir sur ta vie aura été de me faire mal.

Et commence pas à essayer de monter sur tes grands chevaux de Templier à la noix, on se connaît , on a grandi ensemble. T’as rien, t’as pas d’identité, on était les Enfants du Vide Américain, notre identité, c’est Gremlins, Ca, et les romans de Stephen King. Et non t’es pas le Clown ,déso c’est moi, c’est un mec bien , il tue pas les gosses en vrai, il les emmène en sécurité loin du Cauchemar Américain.  Et je t’attends dans les égouts, tranquillement, mon oncle était éboueur et communiste, on a l’habitude de l’odeur , c’est toujours moins dégueu que le bruit de ta voix .

En attendant t’es là comme un con à partager des visuels avec des sangliers AOC et puis après tu fais comme moi, tu comptes ta monnaie pour acheter de la viande aux hormones à LIDL et puis voilà. Tu mates le foot avec de la mauvaise bière pendant que je regarde The Ring avec des bonbons chimiques. On va arrêter avec l’identité, y’aurait pas eu internet, toi et moi on aurait été des paumés de la vie post-moderne  et voilà.

Ta seule identité, c’est ma mort et celle des miens. Depuis petit. Tu es un faible et c’est seulement  quand j’ai mal  que  tu es bien, et  fais pas ton incel, me dis pas que je suis castratrice, je pense la même chose de ta femme. Juste elle, depuis Marine, et toutes ces conneries de féminisme universaliste, elle a compris qu’elle pouvait en plus passer pour une victime quand mes Frères ne lui font pas la bise, hou les vilains. Toi ça te fait un peu suer, cet argumentaire, parce que si cette salope fait la bise à un arabe, tu lui apprends la vie après, pas vrai ?

Enfin ça c’était avant. Le revers de la victoire, c’est qu’encore une fois , c’est le petit mec  blanc de base qui doit faire des sacrifices. Tu as du effacer ton tatouage SS sur ton bras, tu dois plus dire des trucs sur la dernière voiture de ton voisin juif et comment il l’a eue avec le complot mondial, tu dois accepter que des camarades gays te disent « Bon , il va falloir laisser pousser tes cheveux, Laurent, c’est pour la com de la section, Marine vient la semaine pro , je veux pas de gauchiasses qui encerclent ta tête sur la photo ». Et tu dois être féministe, alors que Marine t’a émasculé bien gentiment quand même, en tuant son père.

Enfin voilà, je voulais te répéter que je n’ai pas peur de toi, car toute ta vie tu n’as eu que moi, depuis le jour où tu as été si heureux après avoir fait pleurer une petite fille dont le grand-père algérien venait de mourir trois semaines avant et je ne savais pas comment le défendre. La faute de la gauche encore, mon grand père était un résistant du FLN et ils en avaient fait un travailleur immigré à soutenir  du bout des lèvres sans jamais lui donner une once de pouvoir politique.

Mais toi, qu’est ce que le RN a fait de toi ? Tu le perçois vaguement, maintenant que le moment de me tuer vraiment approche. Cette inquiétude vague, quand je serais morte, qui verras tu dans ton miroir ?

Un raté intégral. Avec sa salle de bains à crédit et ta femme qui se fait un peu trop belle dedans, ces temps-ci,  depuis que tu bois trop pour oublier les vacances que tu peux plus payer au petit. Ta vie, c’est pas une pastille de Vichy, c’est ce pavillon cheap que tu as payé pour pas rester en cité avec moi, et maintenant quoi ? Tu peux pas aller chez Maisons du Monde, du coup on se voit tous les samedis à Aktion. Et puis après une pandémie, le cancer de ton meilleur pote à quarante cinq piges, et les bulbes de tulipe qui pourrissent en terre ou sèchent sur pied dans la jardinière de ta cuisine, parfois tu te réveilles et tu as peur de l’Apocalypse. Mais comme le christianisme pour toi, ça se résume à faire ENCORE un crédit pour payer le barbecue géant après le mariage de ta fille, tu trouves pas de réconfort dans la Bible.

Réconfort nulle part, sauf dans la ratonnade. C’est peu. Ça ne remplit pas une vie.

D’autant que tu la feras par délégation , sauf si t’es flic, ou un suicidaire suprémaciste mais Brenton Tarrant avait pas de pavillon et il était pas alcoolique. Et encore, même si t’es flic, ce sera pas non plus le Grand Soir, on te dira quel arabe tuer et évidemment pas ton voisin, qui t’énerve parce que son fils est You Tubeur à Dubaï alors que le tien est prof et sa femme veut plus te voir  depuis  Noel ou tu as dit que perso tu voudrais pas de Judith Godrèche, même en levrette, alors ces histoires d’agression ….

Tant pis pour toi. Tu sais, minable , avant je pensais que t’étais mon Frère. Un prolétaire. Un homme puissant qui pouvait changer le monde et aider les petites filles arabes. Je n’étais pas bête, j’ai grandi sous la gauche bourgeoise, j’ai bien vu qu’elle changeait la vie que dalle. Que toi et moi, on était toujours des gamins tristes et perdus dans un monde moche. Nos parents n’ont jamais rien vu des promesses de 81, on a grandi dans la trahison au quotidien, elle avait la couleur de tous les sodas américains que nos parents ne pouvaient pas acheter. Mais moi, faux Frère, je me souvenais de ton passé, du mouvement ouvrier, de la masse blanche qui fait trembler les puissants, je ne t’ai jamais méprisé, je te trouvais beau même sans fric , justement sans fric. Je voyais cela en toi, je ne comprenais pas pourquoi tu voulais me tuer, alors qu’on avait juste à se dire que les bourgeois étaient moches et nous les Rois.

Je me trompais, je me croyais française. J’ai failli sombrer avec toi. Qui as continué à faire semblant de te croire Français , même quand ta France à toi, c’est un entrepôt rectangulaire avec des choses moches que tu crèves de pas pouvoir te payer, et quand tu m’auras tuée, tu seras juste français comme ça.

Alors oui, la gauche t’a choisi depuis trente ans et pas moi. Tu as été l’électeur de rêve, celui pour qui elle a abandonné toutes ses valeurs jusqu’à ce que Marine Le Pen n’ait plus tellement besoin de passer à la télé pour que Bardella gagne. Il suffisait de laisser parler Ségolène et puis Manuel, et puis Fabien et de dire à Jordan d’attendre un peu parce que franchement il parle mal.

Mais tu as un vrai malaise ces dernières années. Tu te regardes dans la glace et puis tu regardes toutes ces personnes magnifiques, courageuses, habitées, collectives, animées d’une énergie incompréhensible. Les musulmans et les musulmanes, oui. Un vrai problème.

Que se passe-t-il ? Qu’est-il arrivé à tes cibles ? Ce n’est pas normal, moi j’avais pas choisi d’être ta cible, la petite fille avait juste un nom arabe. Mais là, il se passe un truc, on dirait que nous sommes des millions à vouloir qu’on nous tue, plus on nous menace et plus on montre qu’on existe au lieu d’aller se cacher sous la table de la gauche et de dire « Non mais on est JUSTE des victimes innocentes du racisme ».

Ça fait dix ans que tu es obligé de te « dédiaboliser » alors que ta seule fierté, ta seule identité, c’était le fascisme originel, celui qui avait exterminé les Juifs et flingué des colonisés par millions. Dix ans que tu n’as plus le droit d’être Maurice Papon publiquement. Dix ans que tu es obligé de faire ta victime, et toi franchement,  être défendu par Serge Klarsefeld, tu le vis moyennement bien.

Et pendant ce temps, nous on devient nous-même,  musulmans et fiers. Et on s’en fiche que la gauche nous ait dit d’arrêter de le montrer sinon elle ne soutient pas. Chose que tu ne comprends pas, normalement dans ton récit, elle aide au Grand Remplacement, elle brandit le drapeau palestinien, et c’est foutu pour toi et les tiens, le complot frériste , tout ça. Non, elle appelle à voter Darmanin pour faire front républicain. Cherche pas à comprendre, elle a peur de toi, vraiment, pas parce que tu vas nous tuer, mais parce qu’elle veut absolument du pouvoir à l’Assemblée, pour elle-même.

Moi je n’ai pas peur. Je suis ravagée de chagrin pour le mal que tu vas faire aux miens.

C’est difficile à comprendre pour toi, car tu n’as pas de liens forts, pas de communauté, tu votes pareil que ton voisin RN, mais tu ne peux pas l’encadrer, s’il a acheté un barbecue plus cher que le tien, tu es persuadé que c’est juste pour te le montrer. Tu fais semblant d’être ému quand un gosse se fait tuer dans une bagarre, mais tu traites de sales tox les petits français qui se défoncent la tête avec des saletés de synthèse pour oublier à quel point leur père est un déchet qui se prend pour un Héros quand il vote RN. Même pas tu leur donnes une pièce.

Moi j’ai du chagrin pour les  gamins. Et  même pour les tiens, un père pareil, quelle misère.

Mais je n’ai pas peur. Car à force de me taper sur la tête, toute ma vie de beurette, tu m’as redonné la mémoire. Je ne suis pas Toi, et c’est la meilleure nouvelle qui soit, je suis musulmane. Nous n’avons pas besoin d’être plaints, nous sommes nombreux.

Et tu sais ce qui se passera après les ratonnades ? En fait c’est dans le vieux  conte que tu as oublié parce que Disney ne l’a pas adapté, , t’as pas d’identité, je te dis, et moi je te l’ai même volée. C’est l’histoire d’un jeune homme étranger qui vient nettoyer les rues d’une ville envahie par les rats, parce que les gens sont sales et paresseux dans cette ville-là. Et ils sont méchants et ingrats aussi, alors ils l’insultent et le chassent une fois qu’il a fait le travail d’arabe. Et ils restent dans leur crasse. Puis un jour le jeune homme revient, il joue un air ancien et tous les beaux  enfants des gens sales le suivent et disparaissent à jamais. Dis au revoir aux tiens, pendant qu’il en est encore temps, ils ne sont déjà plus là le samedi, ils ont une manif Palestine.

 

 

26.03.2024 à 13:18

Fermer les librairies, asphyxier les cerveaux : un nouveau chapitre de la dystopie islamophobe.

Nadia Meziane

« Il fallait le faire ». C’est la phrase par laquelle Jean-Jacques Bourdin introduit avec un ton admiratif l’épopée présumée courageuse d’un journaliste de l’Express sur Sud Radio. Celui-ci ne revient pas de Gaza sous les bombes. Il a simplement pris le métro et le RER pour visiter deux librairies musulmanes, à Aubervilliers et à Argenteuil. L’épopée a consisté à pousser la porte de deux commerces en accès libre, à feuilleter les livres, à parler avec quelques clients puis à rentrer chez lui. On peut lui accorder qu’en cette période de travaux liés aux J0 sur le réseau de transports en commun, le voyage ait pu être fastidieux, nous l’éprouvons tous les matins en allant travailler. A part cela, la phrase de Jean Jacques Bourdin relève de la mise en scène obligatoire du séparatisme présumé des musulmans lorsqu’il s’agit de réprimer. Une pure inversion accusatoire qui fonctionne socialement. En écoutant Sud Radio, toute personne non musulmane et éloignée de la communauté en déduira qu’il est interdit et dangereux d’entrer dans une librairie islamique (1). Elle n’ira donc jamais pousser la porte et restera persuadée que ce sont les musulmans qui créent cette situation. La réalité est évidemment toute autre et inversée, c’est la peur d’entrer en contact avec les musulmans qui génère leur isolement dans la société française et permet leur persécution. Depuis plusieurs semaines, en effet, aux attaques contre les écoles, collèges et lycées musulmans, à celles contre les mouvements de solidarité avec la Palestine, s’ajoutent désormais celles contre…
Texte intégral (4827 mots)

« Il fallait le faire ». C’est la phrase par laquelle Jean-Jacques Bourdin introduit avec un ton admiratif l’épopée présumée courageuse d’un journaliste de l’Express sur Sud Radio. Celui-ci ne revient pas de Gaza sous les bombes. Il a simplement pris le métro et le RER pour visiter deux librairies musulmanes, à Aubervilliers et à Argenteuil. L’épopée a consisté à pousser la porte de deux commerces en accès libre, à feuilleter les livres, à parler avec quelques clients puis à rentrer chez lui. On peut lui accorder qu’en cette période de travaux liés aux J0 sur le réseau de transports en commun, le voyage ait pu être fastidieux, nous l’éprouvons tous les matins en allant travailler.

A part cela, la phrase de Jean Jacques Bourdin relève de la mise en scène obligatoire du séparatisme présumé des musulmans lorsqu’il s’agit de réprimer. Une pure inversion accusatoire qui fonctionne socialement. En écoutant Sud Radio, toute personne non musulmane et éloignée de la communauté en déduira qu’il est interdit et dangereux d’entrer dans une librairie islamique (1). Elle n’ira donc jamais pousser la porte et restera persuadée que ce sont les musulmans qui créent cette situation. La réalité est évidemment toute autre et inversée, c’est la peur d’entrer en contact avec les musulmans qui génère leur isolement dans la société française et permet leur persécution.

Depuis plusieurs semaines, en effet, aux attaques contre les écoles, collèges et lycées musulmans, à celles contre les mouvements de solidarité avec la Palestine, s’ajoutent désormais celles contre les librairies musulmanes.Comme souvent, tout a commencé par un ballon d’essai répressif local contre un commerce de Nice qui vend des livres mais également des vêtements. Le préfet des Alpes Maritimes a décidé d’une fermeture administrative qu’il a immédiatement médiatisée. Il arguait pour justifier son interdiction de la vente des écrits d’un imam du 14ème siècle, lequel n’était ni féministe ni pro LGBTQI +. Chose tout à fait répandue à l’époque, on en conviendra, et que l’on retrouve dans de nombreux ouvrages musulmans ou non, vendus aujourd’hui dans toutes les librairies. L’arrêté de fermeture a été suspendu par la justice administrative , La Préfecture a immédiatement fait appel (2). Dans le même temps, la médiatisation donnait la possibilité à Christian Estrosi maire de Nice d’ajouter des griefs supplémentaires : la fréquentation en hausse de la librairie, le fait que ce soient des jeunes qui s’y rendent et le fait qu’elle soit en centre-ville.
On ne saurait mieux formuler les choses concernant le problème posé par les librairies musulmanes au gouvernement et à ses organes administratifs : elles vivent, elles sont animées et le public qui les aime est jeune. Et visiblement musulman, puisqu’Estrosi parlera également des abayas et des hijab qui y sont vendus.

Mais ce problème posé par les librairies est évidemment aussi celui posé par la communauté musulmane tout entière, dont la vitalité grandissante signe l’échec de la brutalité répressive déployée ces dernières années et institutionnalisée au travers de la loi Séparatisme comme de l’inscription des principales règles de l’état d’urgence dans le droit commun.

Contrairement à ce qui a été dit lors du dévoilement de quelques enrichissements personnels au travers du Fond Marianne, l’argent public n’a pas été mal employé, les structures du Ministère et leurs affidés associatifs n’ont pas démérité. A aucun moment, il ne s’agissait en effet de défendre des principes démocratiques, ou la conception idéale d’une République fantasmée comme bienveillante et protectrice envers ses minorités. C’est la traque de toute expression autonome musulmane qui était visée, et la tentative de soumettre en faisant des exemples qui était l’objectif . De fait le fond Marianne a permis à des chasseurs de prime de viser des individus, des associations précises, de les harceler sur les réseaux, de permettre la ruine de leurs projets, et surtout de banaliser l’idée qu’un cordon sanitaire devait être établi autour des structures musulmanes, mais aussi des musulmans eux même, notamment les activistes (3).

Car sans ce cordon, il était fort possible de se trouver qualifié très vite d’islamo-gauchiste, d’être mis en cause si l’on était élu, menacé dans son travail si l’on était chercheur, stigmatisé si l’on était défenseur des droits humains et privé de subvention si l’on avait une association non musulmane qui ose parler contre l’islamophobie ou travailler avec des musulmans trop visibles.
Cependant ni le cordon sanitaire, ni la répression, ni les dissolutions n’ont eu l’effet escompté. D’une part parce que l’atmosphère de terreur a certes paralysé mais elle a aussi mis en lumière au cœur des silences sidérés du début des années 2020, ceux qui ne se taisaient pas. Ceux qui étaient déjà dans le collimateur, ceux qui étaient déjà les plus activistes et contestataires dans la communauté, quelles que soient leurs traditions originelles. A partir de la dissolution du CCIF ,la lutte contre l’islamophobie va appartenir pendant quelques temps seulement à ceux qui veulent encore la mener, ce dont témoignera par exemple la disparité des intervenants et intervenantes lors du rassemblement parisien contre l’expulsion d’Hassan Iquioussen  (3).

C’est ce substrat là qui va nourrir une jeunesse arrivée en politique en étant à la fois très musulmane mais aussi très affirmée et revendicative, parce que bénéficiant des apports des luttes qui vont suivre l’enfermement de toute une génération pendant la pandémie .

Comme tout le reste de la jeunesse en lutte, la jeune génération musulmane a une caractéristique : les débats des générations plus anciennes ne la touchent pas, et elle existe sans se justifier de le faire, et en étant dans l’attitude inverse, l’exigence de justification formulée au pouvoir et à ses soutiens. La jeunesse écologiste radicale ne se justifie pas devant les grands industriels pollueurs elle attaque. La jeunesse musulmane ne répond pas à la morale des laïcistes, elle l’affronte comme entrave à son droit d’exister comme elle est, partout où elle est.

Le mouvement de solidarité avec la Palestine né immédiatement après le 7 octobre a rendu visible cette révolution générationnelle. Le gouvernement et les islamophobes ont pensé que l’interdiction des manifestations, la pression sur les mosquées mais aussi sur les associations et collectifs existants suffirait à dissuader la majorité de descendre dans la rue. Mais les moins de 25 ans étaient déjà accoutumés aux manifs interdites et ils n’avaient pas de subventions ou de structures à préserver. Ce sont donc eux et elles qui ont porté massivement le mouvement dans ses débuts, protégé de fait les organisations musulmanes qui ont appelé à manifester d’un écrasement immédiat,  et fait exploser le carcan de terreur pratique et idéologique. Quand il n’y a rien à dissoudre, les menaces de dissolution tombent dans le vide ou plutôt au milieu d’une foule qui en est au tout début de la construction de nouvelles structures, et ne pense encore que par le mouvement. Cette réalité s’était évidemment également manifestée lors des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel. Même la répression aveugle et féroce n’a pas empêché l’émergence à peine trois mois plus tard du mouvement contre l’extension de la loi de 2004, extension défensive née à la suite d’une rébellion organisée par de très jeunes filles sur les réseaux sociaux , de manière volatile et incontrôlée, dès l’année scolaire précédente.

C’est dans ce contexte qu’il faut inscrire la nouvelle stratégie du CIPDR et de ses affiliés idéologiques : un contexte réactif qui ne relève pas de la persécution unilatérale mais de l’émergence d’un rapport de forces inédit dont l’état est parfaitement conscient. En témoigne symboliquement l’évolution de la porte-parole intellectuelle du Ministère , Florence Bergeaud : longtemps acharnée à dénoncer des « réseaux » travaillant de l’intérieur une communauté musulmane faible, soumise à toutes les influences néfastes mais encore sauvable si l’on détruisait les vecteurs de dangers en son sein , elle finit par proclamer , qu’à l’heure actuelle tous les musulmans deviennent de fait des Frères Musulmans, terme par lequel elle nomme non pas une organisation existante , mais l’objet fictif de son narratif islamophobe.

Cette évolution est également celle du CIPDR qui dans un des premiers tweets consécutifs à la nomination d’un nouveau préfet, mettra immédiatement en avant un nouveau concept, visant à remplacer celui de réseaux : les « écosystèmes islamistes »(5).

La définition la plus simple d’un écosystème est la suivante : il s’agit d’un ensemble d’être vivants qui vivent au sein d’un milieu ou d’un environnement spécifique et interagissent entre eux au sein de ce milieu et avec ce milieu.
Elle suffit amplement pour comprendre ce qui se produit actuellement, et notamment l’offensive qui démarre contre les librairies musulmanes.
Face à l’essor d’une communauté vécue comme antagoniste , il y a toujours deux voies pour l’adversaire politique : la première consiste à tenter de contrôler, de négocier des accommodements raisonnables , de permettre l’émergence de leaders et de structures qui souhaitent s’engager dans une co-construction tenant compte des volontés étatiques. Ce fut notamment la stratégie engagée au milieu des années 2000 lorsque la droite classique française décida de choisir ses interlocuteurs au sein des communautés musulmanes, en pensant que l’alliance des conservatismes pouvait être un facteur de renforcement de la stabilité du pays, notamment par rapport aux mouvements sociaux et sociétaux plutôt antagonistes au libéralisme dans lesquels évoluaient les mouvements de l’immigration musulmane axés sur la lutte sociale et antiraciste.

La seconde qui est évidemment celle choisie dans le contexte de l’islamophobie d’état comme pilier de la conservation du pouvoir face à la possibilité de sa conquête par le RN , est celle de la destruction systématique de tous les éléments qui peuvent entraîner des sociabilités positives et permettre aux énergies créatrices d’une nouvelle génération de s’épanouir dans la durée.
Ceci passe d’abord par des messages clairs sur la non-reconnaissance absolue de toute représentation musulmane avec qui négocier. C’est la raison pour laquelle l’état choisit de s’attaquer à des figures aussi intégrées dans le champ politique et religieux français qu’Hassan Iquioussen ou le lycée Averroès. Ou à des personnalités comme Ahmed Jaballah qui ont été des piliers dans les années 2000 et 2010. Cela va de concert avec les offensives menées contre ceux de l’immigration musulmane qui incarnaient les seules possibilités de réussite sociale brillante en France, notamment les sportifs ou les influenceurs comme Nabil Enasri. Ce message là est principalement adressé à l’électorat raciste et vise à dissiper les ambiguïtés : il s’agit bien de destruction intégrale des élites et de construire un modèle français ou il faudra soit abandonner l’islam soit le faire tellement discret que cela reviendra à s’anéantir soi-même.
C’est aussi à cet électorat là que s’adresse la banalisation progressive de la déchéance de nationalité, qui suit celle du régime des dissolutions. On l’applique d’abord à des jeunes condamnés pour des infractions terroristes (6) ou des personnalités marquées par un passé indéfendable à gauche comme Kemi Seba (7). Mais le message électoral délivré aux électeurs du RN est clair : la nationalité française ne protège plus les fameux « français de papier » dont on fera au besoin des apatrides en arguant de leur possibilité imaginaire de demander une autre nationalité.
Ces messages et ces pratiques visent à faire évoluer profondément le récit islamophobe qui s’était construit dans une phase moins offensive sur la distinction entre « islamistes » et « musulmans » : il s’agit de le faire correspondre au désir des français convaincus par le récit conspirationniste éradicateur du Grand Remplacement, où toutes les figures possibles du Musulman incarnent un seul et même danger absolu.

Dans le même temps, ces actions marquantes mais symboliques se doublent d’un projet sur le long terme, beaucoup plus massif : frapper le biotope en même temps que la biocénose

C’est dans ce cadre que s’inscrit l’offensive qui commence contre les librairies musulmanes : les mosquées font déjà l’objet d’un contrôle tel de l’expression des imams qu’elles ne sont pas le lieu possible d’une socialisation qui intègre les luttes du moment contre l’islamophobie. Sommés de suivre une charte même dans leurs prêches, bientôt astreints à un statut encore plus infériorisant, les imams sont l’objet d’une telle pression permanente que le moindre de leurs propos peut donner lieu à la stigmatisation sociale ET à la répression. De la même manière, ceux qui sont appelés « prédicateurs » ont certes la possibilité de faire leurs prêches sur les réseaux mais voient leurs réunions interdites.

Les librairies et plus globalement les commerces à tonalité religieuse sont donc par nature un des espaces où la vie musulmane peut s’exercer, en dehors des temps de lutte et de mobilisation politique. Elles sont un espace de diffusion, de rencontre, mais aussi pour celles et ceux, nombreux et nombreuses qui reviennent à l’islam, un lieu plus facile d’accès que bien d’autres, où il est possible de venir comme on est. Contrairement aux racontars islamophobes, ce sont effet des lieux ouverts et accueillants pour la plupart. Leur essor correspond aussi à celui des maisons d’édition musulmane et répond à la fois à une demande de savoir spirituel, historique et politique mais aussi au besoin d’écrire et de publier librement. Le développement de toute communauté passe par sa forme propre d’expression culturelle : or l’islamophobie structurelle contraint l’essayiste, le romancier ou le dessinateur à s’amputer de sa créativité dès lors qu’elle revêt une dimension trop religieuse pour les maisons d’édition française.
C’est cette créativité interdite d’existence dans le champ majoritaire qui panique les islamophobes : en témoignent les derniers reportages sur les librairies, où l’on fait la liste de tout ce qu’on peut y trouver. Des BD, des albums pour les enfants , tout autant que des imams du 14ème siècle. Soit un islam vivant, fertile et multiple. Chaque librairie est effectivement un écosystème florissant. A terme, évidemment , il permettra l’émergence non plus seulement d’une sociabilité réactive contre l’islamophobie mais d’une génération éduquée, consciente et épanouie librement dans la Foi qu’elle a choisie, dotée de l’autonomie nécessaire pour se construire dans la société qui l’entoure.

Soit très exactement le pire cauchemar islamophobe qui soit. Nous sommes face à un pouvoir qui pense pouvoir contrôler et utiliser le désespoir et la violence éventuelles. C’est son pari envers tous les antagonismes qu’il peut susciter et pas seulement contre les musulmans. Mais dans ce dernier cas, l’on n’est pas face seulement à une gestion impitoyable de chaque résistance qui émerge, au coup par coup mais dans une offensive qui est existentielle Le nationalisme français actuel ne tire sa force que de son jeu de miroir avec l’islam à éradiquer. La politique de la déforestation et de la terre brûlée est donc pensée, organisée et assumée. Et ce évidemment aussi parce qu’elle correspond au désir d’une partie de la population : les jeunes écologistes soumis eux aussi à la répression et la stigmatisation sous couvert d’anti-terrorisme restent les enfants du pays dans l’imaginaire collectif majoritaire, et le pouvoir macroniste se revendique d’ailleurs dépositaire d’une écologie raisonnable et de la même famille, finalement, que les activistes radicaux.
A part les musulmans, personne ne s’identifie aux musulmans dans la population française vieillissante. Seules les jeunes générations qui n’ont pas encore accédé au pouvoir se mêlent sans souci, en acceptant réciproquement leurs différences. C’est cet avenir qui est en germe dans les luttes actuelles. Mais seulement en germe.

Et l’objectif islamophobe est bien de profiter du temps qui reste pour stériliser la terre d’où peut surgir une communauté musulmane régénérée.

Elle a les outils pour le faire, une pratique bien rodée du désherbage : d’abord s’attaquer localement et visiblement à quelques structures puis banaliser la chose et agir de manière massive. C’est ce qui a été fait pour les écoles, lycées et collèges. L’attaque contre le lycée Averroès n’est pas un début mais la fin d’un processus qui a commencé avec les fermetures massives d’écoles hors contrat qui n’ont pas été défendues, ou très minoritairement.

C’est ce qui va se passer pour les librairies. Le ballon d’essai local a été lancé, l’offensive médiatique également. Et comme à l’accoutumée, la peur joue à plein et dans les deux sens. Du côté des non-musulmans, il a suffi d’accoler le terme « islamiste » à librairie, comme cela a été fait pour « maison d’édition « avec Nawa pour qu’aucun auteur ou autrice, aucun acteur ou actrice du monde de la culture ne se demande comment il était possible que du jour au lendemain, on ferme des lieux et des producteurs de culture. Même un site comme Actualitté qui en son temps a pris la défense et donné la parole à des maisons d’extrême droite comme Ring a tranquillement recensé la fermeture de la librairie IQRA sans parler à aucun moment de la liberté d’expression, de création ou de pensée. Du côté des cibles, la crainte est grande aussi : la plupart sont accoutumées à la stigmatisation et à l’injustice dans l’indifférence générale. A partir de 2015, des libraires ont été perquisitionnées puis soumis à un régime de visites de contrôle permanent, de refus d’ouverture de comptes bancaires et de stigmatisation médiatique régulières. Dans ce contexte, se mobiliser, parler exige de pouvoir espérer une solidarité communautaire réelle et soutenue.

Il nous appartient de la faire vivre pour que l’avenir apporte à la génération montante le savoir dont elle a besoin pour ne pas sombrer dans l’anomie, et le désespoir nihiliste qui peut saisir tous les mouvements de jeunesse confrontés à une répression violente et à un mur sans portes.

 

Notes

(1) Afin de ne pas faire perdre de temps aux lecteurs qui  gardent une foi inébranlable en l’humanité et penseraient apprendre quelque chose d’intéressant en écoutant Sud Radio ,précisons que le propos sur  les  librairies Al Bayyinah d’Argenteuil et La Maison d’Ennour à Aubervilliers commence seulement à la 5ème minute, tout le début étant consacré à la condamnation rituelle et impérative du Hamas et des acteurs du soutien à la Palestine en France, sans laquelle aucune personne ayant au moins un grand parent musulman ne peut évidemment être autorisée à s’exprimer tranquillement dans la plupart des média.  Ensuite, deux autres minutes sont consacrées au port du hijab et de la abaya, signe de la manipulation des femmes par le complot des Frères Musulmans, ce qui laisse environ trois minutes au reporter de guerre intérieure pour nous apprendre que les librairies islamiques vendent des livres musulmans. Comme il n’est pas précisé que ces librairies ont également des sites internet ( oh pauvre France) les voici pour celles et ceux qui voudraient découvrir un univers plus riche en vocabulaire que l’émission de Jean-Jacques Bourdin mais habitent un peu loin.

La Maison d’Ennour

Al Bayyinah

(2) On ne se réjouira pas outre mesure de la décision du tribunal administratif, même si elle est confirmée en appel. En effet, le tribunal a statué en prenant acte du retrait de certains livres, ce qui valide le droit de la Préfecture de contrôler les ouvrages vendus dans les librairies musulmanes quand bien même ceux-ci ne sont pas interdits à la vente.

(3) A l’époque, cette diversité avait été notée par la presse islamophobe qui avait éprouvé le besoin de venir en masse assister à ce rassemblement , tout simplement parce qu’il lui apparaissait invraisemblable qu’il puisse avoir lieu alors même que son sujet, l’expulsion d’un imam qui défendait pourtant un rapport non-militant à la société était déjà considéré comme trop virulent. Comme souvent, l’extrême-droite et notamment Valeurs Actuelles avaient pressenti l’échec de la répression dans cette solidarité inattendue et activiste qui prenait justement la forme d’un inventaire à la Prévert , ou autrement dit d’un front commun en constitution qui cherchait son Nom

(3)

Au vu de la nature même de cette institution, il était peu probable que sa gestion soit synonyme d’honnêteté. Il était, au fond, parfaitement prévisible qu’un “native informant” à l’islamophobie débridée comme Mohammed Sifaoui (ayant appelé, rappelons le, à combattre militairement 20% des musulmans de la planète) soit perçu comme une “caution scientifique” par le secrétaire Gravel. Il est ainsi décisif de ne pas personnaliser les pratiques de cette institution. Ne nous trompons pas de combat. Qui que soit son secrétaire, ses membres ou ses collaborateurs, c’est l’existence même d’une telle institution qui est ici le véritable scandale d’Etat.

Il est tout à fait typique du paysage médiatique et politique français qu’à aucun instant la question de l’islamophobie gouvernementale n’ait été sérieusement posée. Ce silence, volontaire ou inconscient, témoigne d’une islamophobie tellement profonde que ses expressions les plus évidentes ne sont plus questionnées. La voix de la communauté musulmane doit pleinement exprimer la réalité crue de l’injustice à laquelle elle est confrontée depuis trop longtemps. [..] Il s’agit d’exiger l’abolition du CIPDR et de l’ensemble de la gouvernance islamophobe française comprenant la loi de 2004 sur les signes religieux, la loi de 2010 sur l’interdiction du niqab, les lois contre-terroristes d’exception et la loi « Séparatisme » confortant les principes républicains.

Rayan Freschi Fonds Marianne : pour l’abolition du CIPDR et de l’ensemble de la gouvernance islamophobe française

(4) A l’époque, cette diversité avait été notée par la presse islamophobe qui avait éprouvé le besoin de venir en masse assister à ce rassemblement , tout simplement parce qu’il lui apparaissait invraisemblable qu’il puisse avoir lieu alors même que son sujet, l’expulsion d’un imam qui défendait pourtant un rapport non-militant à la société était déjà considéré comme trop virulent. Comme souvent, l’extrême-droite et notamment Valeurs Actuelles avaient pressenti l’échec de la répression dans cette solidarité inattendue et activiste qui prenait justement la forme d’un inventaire à la Prévert , ou autrement dit d’un front commun en constitution qui cherchait son Nom

(5) Depuis ce tweet, le CIPDR s’est effectivement attaché à co-construire les nouvelles perspectives d’entrave en organisant des séances de formation géantes avec divers services publics , de la CAF au Trésor Public en passant par l’hôpital . Il s’agit manifestement de mobiliser bien au delà des forces de sécurité . En ces temps de destruction globale des tâches initiales des services publics, il s’agit de faire comprendre aux personnels que la croisade peut aisément remplacer la satisfaction de l’intérêt général comme horizon mobilisateur du quotidien de fonctionnaires dont le statut tombe en miettes par ailleurs.

 

 

 

 

(6) Sur les sujets de la banalisation de la déchéance de nationalité, on pourra , si la deshumanisation n’a pas éteint en nous tout questionnement intellectuel sur une chose qui en 2015 encore pouvait scandaliser, s’intéresser au réel , c’est à dire le commencement de la fabrication d’apatrides administratifs et concrets. On lira par exemple cet entretien précieux , parce qu’il pose au delà de la situation présente et de la réaction à l’oppression, tant Karim Mohamed Aggad est banalement nous même à bien des égards , c’est à dire français malgré La France et lui-même, entre autres choses.

Est-ce que tu parles l’arabe marocain ? La Darija?
Non, je ne parle pas le marocain malheureusement. D’ailleurs, j’en ai voulu à mes parents par rapport à cette question. Car je n’ai pas eu cette chance de pouvoir parler les dialectes marocain et algérien. On nous a parlé de temps en temps en arabe dans la famille, mais c’était surtout le français. Pourquoi ? Parce que mes parents envisageaient pour leurs enfants un avenir ici en France et non pas au Maroc ou en Algérie. Il y avait une certaine crainte à cette période des années 1990 avec le climat général en France : c’était « l’envie de vouloir bien faire les choses » et s’assimiler d’une manière « normale ». ”

Entretien avec Karim Mohamed Aggad, déchu de sa nationalité française et désormais apatride (cage.ngo)

(7) Concernant Kemi Seba et dans la mesure où Lignes de Crêtes a consacré beaucoup d’encre peu élogieuse à ce personnage, il faut d’abord évidemment dire que rien ne justifie une déchéance de nationalité et que cette sanction exige la réaction la plus intransigeante qui soit. Ajoutons ensuite que son motif ” propos anti-français” est une humiliation vertigineuse pour tous les activistes sincères de la lutte contre l’antisémitisme, car ce qui est dit à travers cela, c’est évidemment que l’antisémitisme n’est pas en soi quelque chose de suffisamment grave pour enclencher la vindicte de la République. Néanmoins ceci passera inaperçu puisque les acteurs sincères de la lutte contre l’antisémitisme, c’est à dire ceux n’ayant pas abdiqué devant le nationalisme français , sont somme toutes très peu nombreux depuis quelques temps et absolument inaudibles dans l’espace médiatique .

 

 

 

23.02.2024 à 18:59

Solidarité inconditionnelle avec Urgence Palestine.

Lignes de Crêtes

Un génocide ne peut advenir par la seule force militaire. Ce qui permet sa réalisation, c’est l’assentiment actif, assumé ou non, de forces sociales et politiques massives, notamment par la neutralisation et la disqualification des forces qui cherchent à être solidaires des victimes. Ce rappel préliminaire est nécessaire dans le contexte français actuel, lorsqu’il s’agit de débattre d’une tribune contre Urgence Palestine, le collectif unitaire sans lequel il n’y aurait tout simplement pas de mobilisation pour la Palestine. Ses membres fondateurs sont ceux qui ont été là dès le 8 octobre, dans le cadre d’une répression massive visant à empêcher toute mobilisation même minimale. Si Urgence Palestine est la tête du mouvement, c’est parce qu’il est le mouvement tout entier, son émanation naturelle. La concentration de toutes les énergies, les anciennes et les nouvelles. Quiconque a engagé son corps ailleurs que sur les réseaux sociaux le sait, parce qu’il a tout simplement obéi à ce sentiment d’urgence absolue qui a suivi les déclarations ouvertement génocidaires de Netanyahu et de son gouvernement. Il n’y aucun moyen d’attaquer Urgence Palestine sans attaquer la solidarité contre le génocide. Au moment où celui-ci s’intensifie, au moment où l’armée israélienne massacre à Rafah ceux à qui elle a ordonné de s’y rendre s’ils ne voulaient pas mourir, il n’y a aucun hasard dans la publication d’une tribune qui demande en réalité aux gens de ne plus se mobiliser pour la Palestine, en boycottant le collectif unitaire qui mène la mobilisation avec l’assentiment de tous et…
Texte intégral (1368 mots)

Un génocide ne peut advenir par la seule force militaire. Ce qui permet sa réalisation, c’est l’assentiment actif, assumé ou non, de forces sociales et politiques massives, notamment par la neutralisation et la disqualification des forces qui cherchent à être solidaires des victimes.

Ce rappel préliminaire est nécessaire dans le contexte français actuel, lorsqu’il s’agit de débattre d’une tribune contre Urgence Palestine, le collectif unitaire sans lequel il n’y aurait tout simplement pas de mobilisation pour la Palestine. Ses membres fondateurs sont ceux qui ont été là dès le 8 octobre, dans le cadre d’une répression massive visant à empêcher toute mobilisation même minimale. Si Urgence Palestine est la tête du mouvement, c’est parce qu’il est le mouvement tout entier, son émanation naturelle. La concentration de toutes les énergies, les anciennes et les nouvelles. Quiconque a engagé son corps ailleurs que sur les réseaux sociaux le sait, parce qu’il a tout simplement obéi à ce sentiment d’urgence absolue qui a suivi les déclarations ouvertement génocidaires de Netanyahu et de son gouvernement. Il n’y aucun moyen d’attaquer Urgence Palestine sans attaquer la solidarité contre le génocide.
Au moment où celui-ci s’intensifie, au moment où l’armée israélienne massacre à Rafah ceux à qui elle a ordonné de s’y rendre s’ils ne voulaient pas mourir, il n’y a aucun hasard dans la publication d’une tribune qui demande en réalité aux gens de ne plus se mobiliser pour la Palestine, en boycottant le collectif unitaire qui mène la mobilisation avec l’assentiment de tous et toutes.

Ce serait déjà grave et contraire à toute éthique morale et politique si l’enjeu était seulement l’aggravation de la répression. Cette tribune est en soi un pathétique brouillon pour un décret de dissolution clé en main contre les organisations visées, un réquisitoire introductif pour des perquisitions à six heures du matin contre les camarades, frères, sœurs et organisations visés nommément. Les signataires le savent, au point d’avoir ajouté un post-scriptum sur la répression, en précisant bien qu’ils n’en seront auxiliaires éventuels qu’à l’insu de leur plein gré, et qu’il ne saurait leur en être tenu rigueur.

Ce serait déjà grave, car ce réquisitoire vole éhontément les combats de ceux, qui dans les années 2010 ont mené la lutte contre l’antisémitisme dieudonniste et soralien et contre celui de la gauche, en leur donnant un sens unilatéral. Nous en sommes, et pas des moindres et ce n’est pas d’avoir refusé de défiler avec Darmanin contre les Palestiniens qui autorise ceux qui l’ont fait à réécrire l’Histoire de nos combats.Nous en sommes et nous assumons nos erreurs, celles d’avoir été aveugles sur l’islamophobie ignoble de tant et tant de nos compagnons de route et d’avoir donc été islamophobes nous-mêmes. C’est ce qui a amenés Lignes de Crêtes à décider qu’une nouvelle époque s’ouvrait et à travailler avec des gens qui ont fait de même.
Notamment Elias d’Imzalene, que nous citons particulièrement car il a nous accordé sa confiance. en acceptant de donner un écho à la mesure de son audience importante à la lutte contre l’antisémitisme, notamment dans un Space X où l’un des relais enthousiastes de cette tribune et membre fondateur de Golem put exprimer sa douleur, son vécu et celui des siens après les attentats antisémites en France devant des centaines de frères et sœurs musulmans.

Honte à ceux qui après cela osent dénoncer en sachant quelles en seront les conséquences possibles. Qu’ils aient au moins la décence de ne pas le faire au nom des morts. Honte à celles et ceux qui en réalité veulent tout, sauf une nouvelle ère antiraciste, et qui sont tellement dans l’incapacité de trouver de l’antisémitisme dans la mobilisation actuelle qu’ils en sont à remonter à une décennie en arrière, où à applaudir l’annulation de projections de films sur la Shoah, parce qu’il y a des invités arabes au débat.

La lutte contre l’antisémitisme, n’est pas le sujet de cette tribune. Elle n’en parle pas, sauf pour faire des copiés collés de Taguieff, avec une inculture crasse pour des libertaires. Lorsqu’on somme les musulmans de se soumettre à un énième not in my name, on pourrait avoir l’élégance de commencer par soi-même quand on remonte aux années 50. Citer Johann Von Leers comme éminence grise des islamistes, c’est d’abord oublier qu’il fut surtout conseiller de Nasser, star actuelle des documentaires laïcistes, pour ses diatribes contre les Frères Musulmans. Et c’est surtout assez caustique lorsqu’on sait que Von Leers travaillait à l’époque avec Paul Rassinier, premier des négationnistes français de gauche, membre de la Fédération Anarchiste, et défendu alors même qu’il participait ouvertement à des congrès néo-nazis. Détail de l’Histoire, sans doute…

Néanmoins, cette tribune ne serait qu’un épisode sans intérêt de la longue déchéance de l’antiracisme prétendument universaliste et de son rôle d’accompagnateur anecdotique de l’islamophobie d’Etat, si nous n’étions pas en plein génocide. Si la solidarité musulmane internationale n’était pas essentielle pour sauver des vies, simplement cela. Si particulièrement en France, le combat pour faire exister cette solidarité face à un gouvernement totalement aligné sur les positions fascistes israéliennes n’était déjà pas si difficile. Cette fois les choses prennent une autre dimension et méritent une réponse ferme sur le fond.

Nul n’a à se justifier de ses positions concernant la résistance armée palestinienne. Quelles que soient les pressions, nul n’a à répondre aux mauvaises questions des islamophobes, parce que ce ne sont pas eux qui décident des termes du débat dans notre camp. En plein génocide la question ne sera jamais de savoir s’il faut ou non condamner le Hamas, à part au commissariat où comme chacun le sait, le droit au silence existe encore.

Quant au débat politique démocratique à gauche, il porte sur un tout autre sujet : de quoi se rendent coupables ceux, qui en pleins massacres, demandent aux Palestiniens de correspondre à leur idée de la victime parfaite, pacifique et sans doute aussi sommée de rédiger ses communiqués en écriture inclusive ? De quoi se rendent coupables ceux qui dénoncent l’inhumanité des prisonniers des nouveaux petits Guantanamo de Tsahal au moment où on les déshumanise pour les torturer et les assassiner sans procès ? De quoi se rendent coupables ceux qui préfèrent un Palestinien mort à un Palestinien « islamiste »? Voilà les seules questions du débat à gauche, et elles sont cruciales.

La première des réponses et la plus simple, pour celles et ceux, qui comme nous n’ont aucune qualité pour parler des questions internes à la politique palestinienne, consiste à faire front autour d’Urgence Palestine et des organisations visées à la fois par Darmanin et cette tribune, notamment Europalestine, Perspectives Musulmanes, les Indigènes de la République et l’UJFP. Et ce quelles que soient les divergences et même les affrontements passés. Et se rappeler que même à l’heure des réseaux sociaux et du grand déballage permanent, la dignité devant Darmanin consiste d’abord à régler les conflits éventuels sans prendre à parti publiquement le ministère de l’Intérieur dans un média censé être antiraciste, surtout quand on sait parfaitement qui il va soutenir.

Que vive la résistance du peuple palestinien, dans son ensemble.

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